HISTOIRE DES ROMAINS

 

TREIZIÈME PÉRIODE — RAFFERMISSEMENT DE L’EMPIRE PAR LES PRINCES ILLYRIENS (268-305).

CHAPITRE C. — L’ÈRE DES MARTYRS (303-311).

 

 

I. — LES ÉDITS DE PERSÉCUTION (303).

La persécution qui, commencée sous Dioclétien, se continua six années après lui, a été terrible. On lui donne pour cause la haine d’une vieille femme[1], la cruauté de Galère et l’affaiblissement d’esprit de l’empereur vieillissant. Ce fut, au contraire, une mesure très réfléchie de gouvernement, une campagne conduite avec une habileté supérieure, mais aussi l’application d’une politique deux fois mauvaise, puisqu’elle versa le sang injustement et n’atteignit point son but ; Dioclétien, qui la crut nécessaire, doit en garder la responsabilité.

Ce Dalmate, fils d’un esclave, méritait de descendre d’un vieux Romain ; c’était un homme d’autorité et de résolution froide, qui ne se décidait qu’après mûre réflexion et dont la foi dans l’ancien culte n’avait pas été ébranlée par les nouveautés religieuses venues de l’Orient. S’il a persécuté les chrétiens, c’est qu’il a cru qu’ils mettaient en péril la religion de l’État, la discipline de l’armée et l’ordre social. En tête d’un édit contre les manichéens, il disait ce que, neuf siècles plus tard, l’Église dira en d’autres termes contre les manichéens de l’Albigeois : Les dieux ont déterminé ce qui est juste et vrai ; les meilleurs, parmi les hommes, en ont par conseil et action démontré et fermement établi les principes. Il n’est donc pas permis d’aller à l’encontre de cette sagesse divine et humaine, et de prétendre qu’une religion nouvelle peut corriger l’ancienne religion : c’est le plus grand des crimes de vouloir changer les institutions des aïeux[2]. Ces pensées sont celles du souverain pontife de Rome ; l’empereur, l’homme politique, n’y conforma point d’abord sa conduite. Il avait respecté l’édit rendu par Gallien en faveur des Églises et laissé les chrétiens pénétrer partout, à l’armée, à la cour. Eusèbe en nomme plusieurs qui vivaient dans l’entourage et l’amitié des princes, qui faisaient des prosélytes jusque dans la famille de Dioclétien, dont la femme, la fille, paraissaient gagnées à la foi, et il écrit : Il est difficile de dire en quel degré d’estime était tenue notre doctrine et de quelle liberté nous jouissions. Les empereurs donnèrent à plusieurs fidèles des gouvernements de province, sans les contraindre à sacrifier aux dieux. Ils permettaient à leurs officiers de s’acquitter publiquement avec leurs femmes, leurs enfants et leurs esclaves, des devoirs de la religion, même en la présence des princes. Les évêques étaient honorés et des églises s’élevaient dans toutes les villes[3].

Mazarin dira des protestants : Le petit troupeau broute de mauvaises herbes, mais il ne s’écarte pas. A cette époque de son règne, Dioclétien pensait ainsi à l’égard des chrétiens. Une phrase singulière, écrite dans l’édit de 511, aide à comprendre ce respect involontaire pour le Crucifié. Galère, en accordant la paix aux chrétiens, leur dit : Notre indulgence vous oblige à prier votre Dieu pour notre santé et pour la prospérité de notre empire. Galère croyait donc que Jésus était un dieu et qu’il pouvait, comme Apollon et Jupiter, faire aux hommes du bien ou du mal. Avec la doctrine des δαίμονες, tout s’expliquait. En ce temps de confusion philosophique et religieuse, païens et chrétiens croyaient aux démons : les mauvais étaient les dieux des adversaires ; les bons, ceux qu’on adorait, et l’on acceptait les miracles que, des deux côtés, on leur attribuait. Dioclétien partageait certainement cette opinion et il s’y tint aussi longtemps qu’il ne crut pas voir un danger dans la tolérance.

Prévenir les révolutions, rendre vaines les intrigues des ambitieux et les émeutes de la soldatesque, enfin condamner au repos et à la crainte les ennemis du dehors, tel avait été le but de son règne ; et jusqu’alors tout avait cédé à sa prudence et à ses armes. Mais au dedans restait une grave difficulté qui, tous les jours, s’accroissait. Depuis quarante ans, les chrétiens avaient la liberté du culte, et leur assurance s’était augmentée avec leur nombre. On les entendait, avec colère, accuser l’humanité entière d’avoir vécu dans les ténèbres de l’esprit, sauf en un coin écarté du monde. Rien n’avait encore ébranlé la famille romaine : le culte domestique s’accomplissait toujours au foyer de la maison paternelle ou au tombeau des aïeux, et voilà que les chers morts étaient condamnés au feu éternel. Dans un temps on l’État, accepté comme un être divin, se croyait le droit de gouverner les consciences aussi bien que les actes extérieurs, les chrétiens étaient en révolte contre ses dieux et bien prés de l’être contre ses princes. Qui êtes-vous ? leur disait Galère. Une secte juive et turbulente qui a renié le dieu de ses pères, puis attaqué ceux de l’empire ; qui s’est donné des lois selon ses caprices et qui fait des assemblées séditieuses[4]. Et, en vérité, ils formaient au milieu de la société païenne, languissante et troublée, un État plein de vie et d’espérance, parce que cette république nouvelle avait ce que l’ancienne n’avait plus depuis longtemps, ses assemblées populaires, ses élections, ses chefs choisis du consentement de tous et, avec les conciles, ce régime représentatif dont l’empire n’avait pas compris la force. En quelque point des provinces que s’arrêtassent les regards des empereurs, ils voyaient des communautés d’hommes à la fois enthousiastes et disciplinés, dociles à la voix de leurs pasteurs, quelquefois rebelles à celle des magistrats, ayant d’autres mœurs, un autre esprit que leurs concitoyens, étrangers au sein de la patrie, sans souci d’elle et de sa fortune. C’était certainement un péril pour l’État païen et pour l’ordre social qu’il représentait. Au sein du gouvernement et dans le monde officiel, beaucoup regrettaient que les malheurs du temps, la captivité de Valérien, la faiblesse de son fils, n’eussent pas permis d’extirper du corps social cet élément ennemi qui le minait, et certains incidents semblaient donner raison à ces aveugles conservateurs d’un passé qui se mourait.

Eusèbe parle pour ce temps d’une grande agitation dans les Églises. Y eut-il un réveil du vieil esprit montaniste ? Quelques fougueux disciples de Tertullien déclaraient-ils la vie des camps incompatible avec la vie chrétienne[5] ? On ne sait. Les soldats n’étaient pas des engagés volontaires ; le service était obligatoire, et, une fois au camp, on n’en sortait qu’au bout de longues années. Les ennuis de la caserne, les inquiétudes de la conscience, en amenèrent plusieurs à regarder comme une impiété de servir des princes idolâtres, et comme un sacrilège d’assister aux fêtes nationales que l’armée célébrait militairement. Il est probable que, dans les corps, les chrétiens vivaient à l’écart et formaient des conciliabules qui excitèrent des soupçons ; que dans les villes, on surprit de secrètes visites aux communautés chrétiennes, qui parurent des intrigues menant à des complots. Les Actes de saint Victor donnent ce dernier motif pour la cause de la condamnation du martyr.

L’évêque de Césarée était contemporain des événements qu’il raconte, et son témoignage est recevable, quand il n’a pas intérêt à altérer la vérité. Or ses paroles nous autorisent à croire qu’il y eut dans l’armée des excès de zèle et, pour cause de religion, des violations de la loi militaire ; que des chrétiens se refusèrent à l’enrôlement, ce qui était une désertion ; à des services commandés, ce qui était une désobéissance ; ou à des obligations imposées à tout soldat par sa profession même, telles que le port de certains insignes, etc. Les Actes des martyrs confirment cette interprétation.

A Théveste, un citoyen qui, d’après sa taxe foncière, était obligé de fournir un soldat, conduit au proconsul son fils Maximilien que le recruteur avait accepté comme bort pour le service. Sur l’ordre de se placer sous la mesure, afin qu’on marquât sa taille, Maximilien répond qu’étant chrétien il ne peut être soldat. Le magistrat n’en tient compte et le fait mesurer, puis commande qu’on lui passe au cou le cordon auquel était suspendue la plaque de plomb qui portait le signalement de chaque soldat. Je le briserai, s’écrie-t-il, et ne porterai jamais que le signe sauveur de mon seul maître Jésus-Christ. Le proconsul lui représente qu’il peut, comme tant d’autres, accomplir librement à l’armée ses devoirs religieux ; le montaniste persiste, et il est exécuté pour refus du serment militaire. L’arrêt ne parle point de christianisme[6]. Un peu plus tard, dans cette Afrique encore où Tertullien avait glorifié la désertion de l’armée et poussé au martyre[7], à Tingis, un jour que la garnison célébrait l’anniversaire de la naissance de Maximien, le centurion Marcellus jeta aux pieds des soldats son cep de vigne, sa ceinture militaire et ses armes, en s’écriant : Je ne veux plus servir vos empereurs et je méprise leurs dieux de bois et de pierre. Au lieu de réclamer sans bruit ce que le gouvernement accordait alors, la liberté de conscience, même son congé, il insultait, au milieu d’une solennité, la religion officielle et les empereurs ; c’était une provocation publique qui ne pouvait être tolérée : il fut mis à mort[8]. La loi commandait ce supplice, et Marcellus l’avait cherché.

Le gouvernement finit par prendre ombrage de ces désordres. Il avait besoin polir lui-même et pour l’empire d’être sûr de ses troupes, et il ne l’était pas avec des soldats qui entendaient mesurer leur obéissance. Un résolut de faire une épuration de l’armée : ceux qui déclarèrent leur foi incompatible avec leur présence sous les enseignes furent licenciés.

Beaucoup, dit Eusèbe[9], quittèrent la milice. Un général ayant donné le choix à ses soldats de renoncer à leur religion ou à leurs grades, ils préférèrent confesser le nom de Jésus et perdre les avantages dont ils jouissaient dans le siècle.

Ces ménagements pour des soldats qui refusaient de se soumettre à la règle commune n’étaient pas habituels aux Romains[10]. Galère s’en indignait ; il y voyait la perte de la discipline, en quoi il avait raison, et il aurait voulu étendre à tous les chrétiens les moyens d’intimidation pris contre ceux de l’armée.

Quoique Dioclétien eût montré, en Égypte, qu’il n’hésitait pas à verser le sang quand il s’agissait de châtier des rebelles, il répugnait à frapper des hommes qui ne l’étaient pas. Il espérait qu’une exécution ordonnée de temps à autre, en vertu des lois militaires, suffirait à réprimer partout les trop grandes ardeurs religieuses. Mais voici que la société civile, à son tour, se trouble et que le grand instrument de l’administration dans l’empire, le régime municipal, se fausse et menace de ne plus servir. Le chrétien ne veut pas plus être citoyen que soldat[11]. Il se refuse aux fonctions de duumvir, même de décurion, à cause des pratiques païennes qu’elles imposent ; il divise ou distribue son bien de manière à n’avoir plus les 25 jugera qui condamnent à la curie, et des empereurs chrétiens seront forcés de prendre des mesures rigoureuses contre ceux qui aimeront mieux servir l’Église que le sénat[12] ; telle est la pénurie des honestiores, que Dioclétien permet d’imposer les charges du décurionat aux affranchis, même à des hommes marqués de la note d’infamie[13].

Dans le même temps, entre philosophes et chrétiens, et au sein des sectes dissidentes, les disputes recommencent ou continuent, et les clameurs retentissent. De la Perse, cette éternelle ennemie de l’empire, arrive une secte nouvelle, celle des manichéens. Formée aux dépens des doctrines de Zoroastre et de Jésus, elle agite les esprits dans les provinces limitrophes des deux empires, et, suivant l’usage, les présidents l’accusent de mille forfaits que saint Épiphane répétera, en retournant contre ces sectaires l’accusation de mystères scandaleux, dont les chrétiens avaient été longtemps poursuivis[14]. En Égypte, Meletius fait un schisme[15] ; Hiérax en commence un autre. En Afrique, les paroles échangées entre les évêques du concile de Cirta (305) montrent la violence de quelques-uns de ces hommes de paix et annoncent celle des donatistes, qui, dans quelques années, couvriront la province de sang et de ruines. Porphyre ou un néo-platonicien de son école compose alors son traité contre les chrétiens, que docteurs et évêques combattent par de vives réfutations[16]. Un rhéteur fameux, Arnobe, attaque l’Église que bientôt il défendra, et un grand fonctionnaire de l’empire, Hiéroclès, vicaire du diocèse de Bithynie, se mêle aux combattants ; il publie son Ami de la Vérité, le Philalèthe[17], où il oppose aux miracles de Jésus ceux d’Apollonius de Tyane, qui cependant, dit-il, ne fut pas fait dieu pour cela. Et ce ne sont pas des questions dogmatiques qu’on agite : le peuple n’écouterait pas. Porphyre montre, accusation meurtrière, la peste ravageant les cités, et Esculape ne la chassant point, parce qu’il a fui loin de l’abomination chrétienne[18]. Aux luttes des docteurs répondent celles des foules. Les uns crient que les dieux de l’Olympe sont des démons et s’attribuent le pouvoir de les chasser ; les autres redoutent cette puissance satanique et s’imaginent qu’un signe de croix empêche les sacrifices de s’accomplir[19]. Personne n’a vu les dieux s’enfuir ni la flamme de l’autel s’éteindre sur un geste des chrétiens ; mais on les croit capables de tous les maléfices, et on les maudit en attendant de pouvoir les traîner à l’amphithéâtre.

Les chrétiens se battent même entre eux. La liberté dont nous jouissions, dit Eusèbe, avait causé le relâchement de la discipline. La guerre commença entre nous par des paroles outrageantes : évêques contre évêques, peuples contre peuples. Quand la malice fut arrivée à son comble, la justice divine leva son bras pour nous punir. Les fidèles qui faisaient profession des armes furent d’abord persécutés. Après ce premier avertissement, donné par le Seigneur, au lieu de chercher à l’apaiser, nous ajoutâmes crimes sur crimes ; nos pasteurs, méprisant les règles saintes, élevèrent les uns contre les autres de haineuses contestations et se disputèrent aigrement le premier fang. Alors, selon la parole de Jérémie, Dieu renversa du haut du ciel la gloire d’Israël[20].

C’était en Orient que les haines religieuses étaient le plus ardentes, et, depuis février 299 jusqu’au commencement de 302, Dioclétien y résida presque constamment[21]. Lorsque, dans l’automne de cette dernière année, il revint à Nicomédie, sa conviction était formée qu’il fallait mettre un terme à ces agitations et ramener le calme dans la société civile, comme il l’avait ramené dans les légions et dans les provinces. Galère avait depuis longtemps la même pensée. Mais quels moyens prendre ? Durant tout l’hiver, les deux princes agitèrent la terrible question. Lactance prétend que Dioclétien se serait contenté d’interdire aux chrétiens l’armée et le palais, c’est-à-dire les charges militaires et administratives ; qu’à la fin il porta l’affaire au consistoire et que le conseil opina dans le sens de Galère. Les mesures auxquelles Dioclétien aurait voulu s’arrêter n’auraient pas été plus dures que celles qui ont exclu des fonctions publiques et des professions libérales les protestants de France jusqu’à la Révolution, les catholiques d’Angleterre jusqu’à nos jours. Mais les conservateurs obstinés s’efforçaient d’entraîner l’auguste dans la voie sanglante. Les sentiments contraires du politique et du païen qui se combattaient en lui jetaient dans cette âme si forte un trouble d’où il voulut sortir en demandant l’avis du ciel. Il décida que la question serait posée à l’oracle d’Apollon Didyméen à Milet[22]. Apollon ne pouvait être miséricordieux pour ceux qui ruinaient ses prêtres et qui blasphémaient son nom : il répondit qu’il fallait supprimer les ennemis des dieux. Les chrétiens paraissaient donc condamnés tout à la fois par la sagesse humaine et par la sagesse divine.

A en croire Lactance, Galère voulait qu’on brûlât vifs ceux qui refusaient de sacrifier. Dioclétien espéra arriver à la suppression de l’Église sans verser le sang. La résolution qu’il allait prendre était bien grave ; il demanda aux pontifes de désigner pour l’exécution un jour propice. On choisit la fête des Terminalia, qui devait marquer la fin de la secte maudite (23 février 303). Dès le point du jour, le préfet du prétoire, accompagné de ducs, de tribuns et de soldats, se rendit à l’église de Nicomédie, en força les portes, saisit les objets sacrés et les livra aux flammes. Il voulait mettre le feu aux bâtiments. Dioclétien, qui, du haut de son palais, surveillait l’opération, craignit que l’incendie ne gagnât les maisons voisines : il fit démolir le temple. Le lendemain parut le premier édit de persécution : les églises seront abattues, leurs livres brûlés, les lieux sacrés et les cimetières des chrétiens confisqués[23]. Ceux qui refuseront de sacrifier seront notés d’infamie, de quelque condition qu’ils soient, déclarés incapables de garder aucune charge, soumis, en cas de condamnation, aux peines réservées aux humiliores. Toute action judiciaire sera autorisée contre eux ; ils ne pourront en intenter aucune[24] ; leurs assemblées sont interdites ; celui que sa condition range déjà parmi les humiliores deviendra esclave du fisc[25], et l’esclave chrétien ne pourra jamais être affranchi. Ce premier édit n’allait donc pas aussi loin que celui de Valérien : il n’ordonnait pas la mort des chrétiens, mais il faisait d’eux un peuple de parias. Des mesures à peu prés semblables seront prises à la révocation de l’édit de Nantes : double iniquité qui fut la conséquence et qui est restée la condamnation des religions d’État.

La violence appelle la violence ; Dioclétien aurait voulu ne pas répandre le sang, il va couler à flots. Un chrétien indigné arracha l’édit et le déchira en invectivant les princes : Voilà leurs bulletins de victoire sur les Sarmates et les Goths ! s’écriait-il ironiquement. Arracher un édit impérial était un crime de majesté ; l’homme fut brûlé sur des charbons ardents[26]. A peu de temps de là, le feu prit au palais, et, quinze jours après, un second incendie éclata près de l’appartement de Dioclétien. Il était difficile d’imputer ce double incendie au hasard. Lactance en accuse Galère, qui aurait rejeté ce crime sur les chrétiens pour irriter Dioclétien contre eux, et Eusèbe fait raconter par Constantin aux Pères du concile de Nicée qu’il avait vu la foudre, instrument de la justice divine, tomber sur le palais et allumer les flammes[27]. Mais le Constantin d’Eusèbe a souvent vu, entre ciel et terre, des choses que personne n’y a jamais aperçues. On accusa plus naturellement les chrétiens, et la vie des empereurs parut menacée par un vaste complot. S’ils n’y furent point exposés, ils avaient du moins à craindre des vengeances individuelles, et les chrétiens étaient assez nombreux pour qu’il se rencontrât parmi eux, à côté des victimes résignées, des hommes de combat que l’iniquité révoltait. Galère ne se trouva plus en sûreté dans Nicomédie : il en sortit. Resté seul au palais, Dioclétien, qui, lui aussi, se crut entouré d’assassins, ordonna une recherche sévère, et tous ceux qu’on put soupçonner de christianisme eurent ordre de sacrifier. La femme et la fille de l’empereur, qui semblent y avoir eu répugnance, donnèrent l’exemple ; d’auges suivirent ; mais des esclaves, des affranchis, des eunuques, refusèrent, et ce refus parut une charge suffisante pour qu’on les déclarât convaincus d’être les auteurs ou les complices de l’attentat : ils périrent dans les tourments. L’enquête fut poursuivie en dehors du palais, et les soupçons firent trouver des coupables : l’évêque de Nicomédie eut la tête tranchée ; beaucoup de gens de petite condition furent jetés au bûcher ou à la mer.

A Nicomédie, on frappait les chrétiens comme incendiaires ; dans les provinces, on en frappa comme rebelles. Il semble du moins qu’on peut attribuer à l’exaspération causée sur certains points par la destruction des églises, deux insurrections qui, chose qu’on n’avait point vue depuis vingt ans, éclatèrent l’une à Antioche, l’autre dans la Mélitène, sur le haut Euphrate. On ne sait rien de la dernière, qui pouvait devenir dangereuse, à cause du voisinage de l’Arménie, où le christianisme, prêché par saint Grégoire l’Illuminé, faisait alors de grands progrès[28]. Quant à celle de Syrie, Libanius la présentait quatre-vingts ans plus tard comme une ridicule équipée de soldats[29]. Mais le chef de ces soldats avait pris la pourpre, et les magistrats d’Antioche, ceux de Séleucie, avec eux beaucoup d’habitants, furent mis à mort. Si les chrétiens n’avaient point fait ou secondé ces mouvements, Eusèbe n’en eût point parlé ; surtout il ne les aurait pas montrés comme la cause qui détermina Dioclétien à publier un nouvel et plus sévère édit[30]. La rigueur de la répression prouve l’importance de la révolte. Aux yeux du prince, elle avait été une tentative pour transférer l’empire aux chrétiens ; et cette tentative n’était point téméraire, puisque ce qui ne put se faire en 305 fut entrepris avec succès huit ans plus tard. Dans la dernière année de la persécution, le gouverneur de la Palestine, entendant un martyr parler de la Jérusalem céleste, s’imagina que les chrétiens avaient dessein de bâtir une ville et de s’y fortifier contre les Romains. Ce gouverneur est ridicule, mais sa crainte ne l’était pas ; car il devait croire que ces persécutés, dont il ne comprenait pas l’ardeur à courir au-devant de la mort, saisiraient tout moyen d’échapper à la persécution.

Un siècle plus tôt, ils n’aspiraient qu’au ciel ; leur force croissant avec leur nombre, ils commençaient à se préoccuper de la terre. Avec sa sagacité habituelle, Dioclétien se rendit compte de l’évolution qui, dans l’esprit de beaucoup, se faisait d’une manière inconsciente, mais que révélaient l’incendie de son palais et deux révoltes éclatant au milieu du calme profond de l’empire. Durant vingt années, le prince qui mettait l’intérêt de l’ordre au-dessus de tout avait contraint ses dieux et leurs prêtres à rester tolérants ; du moment qu’il crut la paix publique en péril, il voulut la sauver par d’énergiques mesures, et pourtant ne pas verser encore le sang. Il se souvint d’une vieille loi qui permettait de frapper, sans leur laisser le recours en appel, ceux qui étaient regardés comme des seditionum concitatores vel duces factionum[31] ; et contre l’insurrection ou la propagande qu’il redoutait, il prit le clergé pour otage. Le second édit ordonna d’arrêter les évêques, les prêtres et les diacres qui refuseraient de livrer les Écritures. En démolissant les églises, il empêchait les chrétiens de tenir leurs assemblées et de célébrer leur culte ; en privant les communautés de leurs pasteurs, il espérait que, restées sans direction ni discipline, ces sociétés se dissoudraient ou cesseraient d’être dangereuses ; enfin, par la destruction des livres sacrés, il pensait supprimer l’enseignement, et, par tous ces moyens, éteindre la foi[32]. Dans l’état moral du monde, ces mesures devaient rester impuissantes ; l’avenir était alors au christianisme, et, contre lui, deux empereurs useront leur force.

Les deux édits de l’année 303 ne parlaient pas de peine de mort : Dioclétien avait compté sur leur effet comminatoire[33]. Les chrétiens, alors au nombre de plusieurs millions, ne pouvaient être tous frappés, mais il espérait les intimider tous, obtenir parmi les chefs des apostasies et ramener aisément aux temples des dieux la foule terrifiée. Les Actes de saint Romanus, quelque mêlés qu’ils soient de récits légendaires, prouvent que Galère même n’osait prononcer une peine capitale. Il se trouvait à Antioche quand Romanus y fut condamné à être brûlé vif, moins peut-être pour sa généreuse obstination à confesser sa foi, que pour des paroles qui furent considérées par le juge comme un crime de lèse-majesté ; celle-ci par exemple : Christ seul est mon roi. On n’osa procéder à l’exécution sans l’ordre de Galère, et il ne le donna pas[34]. A Carthage, même hésitation, non pas à torturer, mais à tuer. Le proconsul laisse saint Saturnin proclamer hautement sa croyance et n’en fait pas un chef d’accusation ; mais il lui demande s’il a pris part à des assemblées contrairement à la loi des princes, s’il a gardé des livres magiques[35] ? Le saint répond par cette parole qui est restée la doctrine de l’Église : Avant tout, il faut obéir à Dieu. Ainsi les chrétiens refusaient de se soumettre à des lois d’ordre extérieur. Que ces lois fussent mauvaises, nul n’en doute ; mais la révolte contre elles n’en était pas moins une révolte contre le gouvernement établi ; et cependant le proconsul, après avoir fait donner la question aux accusés pour obtenir d’eux un mot qui lui permette de les relâcher, les envoie à la prison publique, où il les oublie[36]. Au sujet de ces Actes, on remarquera encore que le magistrat sépare soigneusement la question religieuse de la question de police. Quand les frères lui crient : Nous sommes chrétiens ! il leur répond : Ce n’est pas cela que je vous demande ; et la seule question qu’il leur adresse est celle-ci : Êtes-vous allés à l’assemblée ? Ou bien encore : Possédez-vous des livres défendus ?[37] Ces réunions ayant été interdites par le pouvoir souverain tombaient sous le coup des vieilles lois contre les sociétés secrètes, et les Évangiles qui propageaient la foi, les Passiones qui l’exaltaient, semblaient aux païens avoir la vertu des livres magiques, lesquels étaient proscrits[38].

Cependant l’emprisonnement des prêtres ne produisit pas l’effet attendu ; un troisième édit ordonna de mettre en liberté ceux qui sacrifieraient et de contraindre les autres par tous les moyens d’abandonner leur foi[39]. Le gouvernement avait pu légalement interdire des assemblées qu’il croyait dangereuses et exiger de ses fonctionnaires qu’ils sacrifiassent aux dieux de l’empire ; il n’avait pas le droit d’imposer cette obligation à tous les chrétiens. Entraîné par la progression fatale d’une pensée mauvaise, l’homme intelligent, mais dur, qui régnait à Nicomédie allait faire de son règne, jusqu’alors paisible et glorieux, l’ère des martyrs.

Comme dans toutes les persécutions, il se trouva des gouverneurs qui, répugnant à la violence, fermaient les yeux ou se contentaient d’une apparente soumission. L’évêque de Carthage, Mensurius, n’avait laissé dans son église que des traités hérétiques ; le proconsul les saisit ; et quand on lui apprit où étaient cachés les livres saints, il refusa de les faire prendre. Toutes les églises aussi ne furent pas démolies ; on se contenta d’en fermer beaucoup ; quelques-unes même restèrent ouvertes[40].

En d’autres lieux, on s’ingéniait à trouver pour les chrétiens des moyens de satisfaire à la loi sans qu’ils y consentissent. L’un, dit Eusèbe, ayant été traîné à l’autel et contraint de toucher aux viandes abominables, était laissé libre comme s’il eût volontairement sacrifié. Un autre avait approché sa main du coffret qui contenait l’encens, mais n’y avait rien pris, et les païens criaient qu’il avait fait offrande aux dieux. Celui-ci, à demi mort sous les coups, était jeté parmi les renégats ; celui-là avait beau protester qu’il n’avait point fait ce qu’on exigeait de lui, on lui fermait violemment la bouche, tant ces impies souhaitaient que l’on crût qu’ils étaient venus à bout de leur dessein[41].

Ailleurs, le juge disait au chrétien : Sacrifie à qui tu voudras, même à ton Dieu[42] ; et pour faire croire aux assistants qu’un chrétien cédait, en buvant le vin des libations, on lui offrait de l’eau dans un verre rouge[43]. J’ai vu, écrit encore Lactance, des gouverneurs se glorifiant de n’avoir pas prononcé une seule sentence de mort et tout fiers d’avoir vaincu les chrétiens[44]. Ce n’est pas que la persécution révoltât toujours leur conscience : pour leur réputation d’habileté, une apostasie valait mieux que dix condamnations. Le Donatus à qui Lactance a dédié son livre sur la Mort des persécuteurs fut mis neuf fois à la question, jamais de manière à y laisser la vie, mais avec assez de raffinement de tortures pour que le bourreau pût espérer une défaillance. Dans plusieurs Actes, il est même question d’argent offert, de dignités promises en échange d’une abjuration[45].

Lorsque, à l’occasion des fêtes qui célébrèrent la vingtième année de son principat, Dioclétien proclama, selon l’usage, une amnistie[46], les portes des prisons, ouvertes pour les condamnés ordinaires, restèrent fermées sur les chrétiens. Il avait mis le clergé dans ses geôles par crainte d’une insurrection, et, comme il conservait cette crainte, il gardait ses captifs. Par les deux premiers édits, les chrétiens avaient été dégradés des honneurs civils, privés de la protection des lois et déclarés criminels, s’ils ne livraient pas les Écritures ou s’ils tenaient leurs assemblées[47]. Le troisième avait prescrit l’emploi de tous les moyens pour arracher des conversions, sans toutefois autoriser, dans cette première phase de la persécution, la peine capitale. Il y avait eu des exécutions pour des fautes qualifiées crimes de droit commun : insultes aux dieux, aux empereurs, assemblées secrètes ou réunions interdites ; et, comme. il n’était pas possible que cette politique de colère fût partout conduite avec modération, les privations et les tortures avaient fait périr dans les prisons beaucoup de captifs. Beaucoup aussi, sous le poids des souffrances morales et physiques, avaient eu des défaillances. Les lapsi qui sacrifièrent, les traditores qui livrèrent les Écritures, les timides qui cachèrent leur foi[48], avaient été nombreux et devinrent, après la persécution, un sujet de dissensions violentes dans l’Église : à Antioche, grande cité à demi chrétienne, Romanus resta seul dans les prisons[49].

II semblait donc qu’un dernier coup suffirait pour abattre cette Église dont les colonnes chancelaient et pour ramener l’empire entier à sa vieille religion. Maximien et Galère le pensèrent, et, lorsqu’en 304 une grave et longue maladie de Dioclétien les laissa maîtres du gouvernement, ils remirent en vigueur le dernier édit de Valérien. Les Actes de saint Savin, dont l’authenticité est douteuse[50], racontent que Maximien assistant aux jeux du cirque, à Rome, tout le peuple s’écria : A mort les chrétiens ! et que le prince fit proposer au sénat, par le préfet du prétoire ou par celui de la ville, de rédiger un décret condamnant les chrétiens à sacrifier ou à mourir[51]. Cette mise en scène est fausse, et cet abandon au sénat du soin de faire un acte législatif de cette importance est contraire à tout ce que l’histoire de ce temps nous enseigne. Il faudrait donc rejeter ce décret tiré d’actes suspects, si Eusèbe ne parlait de lettres impériales ordonnant que tout le monde se présentât aux sacrifices et y prît part[52]. Maximien a dû les écrire, ou Galère les aura fait signer par l’autre auguste dans un moment d’accablement, et le crime de christianiser fut de nouveau inscrit dans la loi. Alors la guerre déchaînée par les trois bêtes fauves, comme dit Lactance, sévit avec fureur.

La persécution dura huit ans. Quelle part, dans cette tragique histoire, revient à Dioclétien ? On a vu sa répugnance à ordonner les mesures extrêmes. La haine des chrétiens ne s’y est pas trompée ; c’est Galère qu’ils ont poursuivi de leurs malédictions. Il faut aussi reconnaître que la juste horreur inspirée par ces cruautés a fait illusion sur le nombre des victimes. La Palestine était pleine de chrétiens, et, en l’an 304, dix seulement périrent, dont six étaient venus s’offrir d’eux-mêmes aux bourreaux[53]. L’Italie et l’Espagne en eurent peu ; du moins, pour ces pays, les Actes sont rares, la plupart d’une authenticité douteuse[54], et l’on voit que les fidèles de Rome, désireux de se procurer des reliques, allaient en ce temps-là les chercher dans l’Orient[55]. L’Illyricum, trop voisin des Barbares pour posséder de grandes villes livrées, comme Antioche et Alexandrie, aux querelles théologiques, se préoccupait avant tout de son salut terrestre. Il avait peu d’évêchés, et les martyrs qu’on lui donne sont en petit nombre ; un seul y devint populaire, saint Irénée de Sirmium[56]. Dans la Bretagne et la Gaule, Constance Chlore se contenta d’abattre quelques églises : Il ne ruina pas le temple élevé à Dieu dans le cœur des fidèles[57]. En Égypte et dans les provinces orientales, les martyrs exécutés et plus encore les confesseurs envoyés aux mines après de cruelles tortures furent très nombreux[58]. Mais une chose étonne : dans le chapitre où Eusèbe récapitule les morts glorieuses des Pasteurs d’Église, pendant toute la persécution, il ne nomme que neuf évêques[59]. Cependant l’administration impériale les connaissait tous ; ils étaient la tête des Églises, et, dans le système de Dioclétien, c’est à la tête qu’il fallait frapper ; mais on a vu qu’il ne voulait point frapper mortellement.

Il ne semble même pas que l’administration ait fait une recherche des chrétiens, inquisitio ; autrement il eût fallu employer une partie de la population de l’empire à exterminer l’autre. Du reste cette recherche était inutile, car la plupart des récits parlent de chrétiens se livrant eux-mêmes. Celui-ci renverse un autel des dieux ; celai-là brûle un temple de Cybèle ; cet autre va droit au gouverneur qui offrait un sacrifice et lui arrache l’encens des mains ; un autre encore l’outrage en paroles et en actions. C’étaient, dit saint Augustin, les flèches de Dieu lancées par les saints à la face des oppresseurs[60]. On vit alors comme une épidémie de suicides religieux. Contrairement à la doctrine de l’Église qui ne veut pas que l’on coure au-devant du martyre par des provocations ou des imprudences volontaires, les Actes montrent une foule de chrétiens avides d’échanger leur vie mortelle contre la vie bienheureuse que les Écritures leur promettaient[61]. Et, il faut bien le dire avec un évêque du temps[62] parmi ces saints de la dernière heure se trouvaient, chose moins étrange qu’on ne serait, tenté de le croire, des hommes qui spéculaient sur la torture, en espérant sans doute qu’elle n’irait pas jusqu’à la mort : ceux-ci perdus de dettes pour finir glorieusement une vie misérable ; ceux-là pour vivre, dans la prison, des charités et des aumônes de la communauté ; d’autres encore, incapables d’une haute spiritualité, pour gagner le salut par un suprême effort de constance charnelle. Mais aussi que de dévouements admirables et de morts stoïques ! A lire certains interrogatoires, on croirait entendre des chants d’une pureté virginale qui n’ont déjà plus rien de la terre[63].

L’histoire politique ne relève pas tous les actes de courage accomplis au cours d’une bataille, et, des soldats tombés pour la patrie, elle ne conserve que le souvenir de leur victoire. Elle n’a pas non plus à raconter ces morts triomphantes qui ont été la force et qui sont l’honneur de l’Église. Ce soin appartient à l’histoire religieuse qui devra décider quels actes sont à garder : œuvre longue et difficile, commencée depuis longtemps et pas encore terminée ! Nous renvoyons aux hagiographes pour le récit de ces scènes héroïques et abominables où la méchanceté humaine s’ingéniait à trouver de nouveaux moyens de faire crier la chair, et où les victimes souffraient pour la plus noble des causes, la liberté de conscience. Comme les persécutés, Dioclétien aura son supplice ; cet homme si sage, qui, sur la fin de son règne, perdit sa sagesse, verra du fond de son palais de Salone ses dieux mourir et le Christ triompher[64] !

 

II. — ABDICATION ET MORT DE DIOCLÉTIEN (305-313).

A la fin de l’année 303, les deux augustes approchaient de leur vingtième année d’empire, et tous deux avaient pris ensemble, sur les autels des dieux, l’engagement de marquer cet anniversaire par un fait qui n’a été imité qu’une fois, dont la postérité s’étonne et que dans l’intérêt du monde romain il eût mieux valu ne pas accomplir. Au printemps de 303, Dioclétien quitta Nicomédie et s’achemina lentement par la Thrace et les provinces Danubiennes vers l’Italie. Il s’était enfin décidé à visiter cette Rome, qu’il n’avait point vue depuis son avènement, et à célébrer tout à la fois la fête des Sacra Vicennalia et le triomphe que le sénat avait depuis longtemps décerné aux deux empereurs[65]. Mais, comme il n’aimait pas la popularité malsaine et qu’il n’était pas de ceux qui se baissent pour ramasser ou pour barder le pouvoir, il entendait ne faire, dans la vieille capitale du monde, qu’une visite officielle et rapide. Le 20 novembre, il entra dans la ville avec Maximien sur un char traîné par quatre éléphants, en souvenir des victoires orientales. Derrière lui, on portait les images du roi de Perse qu’il avait vaincu, de ses femmes et de ses enfants qu’il avait pris dans le camp de Narsès, tous vêtus de la robe de pourpre brodée de perles ; puis venaient les trophées qui rappelaient les succès gagnés sur les nations voisines des frontières. Selon la coutume usitée dans ces anniversaires, il accorda une amnistie qui ouvrit les portes des prisons, excepté pour les chrétiens, et il fit dans toutes les grandes villes des libéralités. Le peuple de Rome en eut sa large part : un congiaire de 310 millions de deniers, ou 1500 par tête, s’ils étaient encore 200.000[66]. Les jeux, les combats d’animaux, étaient l’accompagnement nécessaire de ces solennités ; Dioclétien en donna, niais ils manquèrent de magnificence. Dans les chasses, peu de bêtes furent tuées ; à l’amphithéâtre, peu de gladiateurs. Le peuple criait à la lésine ; il murmura plus encore quand il connut ce mot de l’empereur, qui faisait de la parcimonie une règle : En présence du censeur, il faut de la modération. Au fond, cette foule frondeuse déplaisait au prince soucieux des besoins de l’empire bien plus que de ceux de la populace romaine[67] ; content de lui avoir jeté de l’or, il ne daignait pas prendre soin de ses plaisirs. On comprend ce dédain, en lisant ce qui nous est conté par Ammien Marcellin de la frivolité de ces hommes tout occupés de leurs festins meurtriers, ou secouant à chaque instant les plis de leur toge pour appeler le regard sur les franges de la bordure et le curieux travail d’une tunique semée de figures d’animaux qui faisaient corps avec le tissu (XIV, 6).

Les sénateurs ne furent pas traités avec plus de considération. La cérémonie de l’installation des consuls approchait c’était pour le sénat et pour la ville une fête dont les empereurs prenaient autrefois leur part ; il ne l’attendit pas. Le 18 décembre[68] il quitta Rome, qui n’avait pu le retenir un mois entier, et, malgré l’hiver, la pluie et le froid, il se mit en route pour Ravenne, où il prit possession de son neuvième consulat (304). Ce triomphe et ces fêtes qui venaient de remettre en mémoire tous les succès de son règne étaient un calcul de l’avisé politique. Résolu à aller chercher, dans l’asile qu’il s’était de longue main préparé, ce que les contemporains ont appelé le repos des augustes, quies Augustorum[69], mais ce qui était pour lui l’exécution d’une pensée profonde, Il avait voulu ne quitter la scène du monde qu’après cette manifestation éclatante qui devait consacrer sa gloire.

De Ravenne il gagna Aquilée et l’Istrie, descendit sans doute jusqu’à Salone, afin de s’assurer que tout y était prêt pour le recevoir[70], et rentra dans Nicomédie au milieu de 304 : un de ses derniers rescrits est daté de cette ville, le 28 août de cette année.

Dioclétien avait beaucoup souffert durant ce voyage. Mais il n’avait pas encore soixante ans ; il était de constitution robuste et, avec sa ténacité habituelle, il était revenu dans la ville où il avait pris la pourpre et où il la voulait quitter. Le mal augmenta durant l’hiver ; tous les dieux, assaillis de prières pour le salut de leur défenseur, restaient sourds aux supplications. Le 13 décembre il eut une syncope ; le palais fut en larmes et le bruit de sa mort courut dans la ville. Quand s’y répandit la nouvelle contraire, beaucoup refusèrent d’y croire, pensant que l’on voulait cacher la vérité jusqu’à l’arrivée de Galère, dans la crainte de quelque émeute de soldats. Il ne se montra en public qu’aux calendes de mars. On put à peine le reconnaître, dit Lactance, tant il était changé. S’il avait repris la santé, il avait perdu la raison, qu’il ne recouvra plus que par instants[71]. Mais Lactance, son ennemi, tient à montrer le persécuteur des chrétiens privé de sa dignité d’homme par la justice divine, de sa couronne impériale par celui qu’il a fait césar, et tout l’édifice qu’il avait si laborieusement élevé s’écroulant sur sa tête. Il a vu, au fond du palais, Dioclétien gémissant et le visage baigné de larmes ; il a entendu les dures paroles, les menaces de Galère et les réponses résignées de son ancien maître, scène de rhétorique que de complaisants écrivains ont prise pour une scène d’histoire[72]. Cette abdication, que Galère semble arracher à un vieillard à bout de forces et de volonté, était une des conditions d’existence du nouveau système politique qui réservait la puissance à la virilité. Dioclétien l’avait affirmé le jour où il avait condamné les fils des césars à n’être que des soldats de plus dans l’armée impériale ; et la joie la plus vive que ce vaillant esprit pouvait rêver pour ses vieux jours, ne serait-ce pas de voir sa grande institution subsister sans lui ? Il avait réussi à prévenir les usurpations militaires en se donnant des collègues qui acceptaient son autorité supérieure. Mais, pour assurer dans l’avenir la paisible transmission du pouvoir, il avait résolu d’en limiter polir lui-même l’exercice à une durée de vingt ans, afin de faire, par son exemple, aux futurs augustes une obligation du désintéressement, et de calmer l’impatience des nouveaux césars, en leur prouvant que l’heure de la souveraine puissance arriverait aussi pour eux. Ainsi s’affermirait le système qui avait été la grande œuvre de sa vie : la succession selon le mérite remplaçant la succession selon la nature ou suivant les hasards des camps. On a deux preuves décisives que telle était bien sa pensée : les soins donnés depuis neuf ans à la construction de son palais de Salone dans un coin écarté du monde, loin de toutes les capitales, comme de toutes les affaires, et l’abdication dont il avait, depuis longtemps, arraché la promesse à l’ambitieux Maximien. Sur une monnaie frappée au moment de l’abdication, on lit ces mots : A la Destinée victorieuse. Pour les païens, la fatalité était la volonté supérieure de Jupiter maître du Destin, et la sagesse humaine, une inspiration du dieu. La résolution des deux empereurs était donc attribuée à Jupiter même : FATIS VICTRICIBUS[73], et en se retirant ils obéissaient à sa volonté.

Lorsque Dioclétien avait, au mois de décembre 303, célébré dans Rome ses Vicennalia, il était dans sa vingtième année d’empire, laquelle ne fut accomplie que le 17 septembre 304. Le moment qu’il avait fixé pour son abdication était donc arrivé ; il attendit quelques mois encore, afin de laisser Maximien commencer l’année où, vingt ans plus tôt, il avait été nommé césar. Par ce retard volontaire, il ne dépassait point la limite qu’il avait marquée pour lui-même et il atteignait celle où il pouvait réclamer de son collègue l’exécution de sa promesse.

L’empire jouissait alors d’une paix profonde que ne troublaient pas, pour les princes, les cris lointains des chrétiens martyrisés. A l’intérieur, pas un désordre ; au dehors, pas une menace. En face de ce gouvernement si bien ordonné et de ces frontières si bien défendues, les ambitieux se taisaient et les Barbares restaient dans une crainte respectueuse. Rien n’empêchait donc Dioclétien de faire l’expérience, toujours si redoutable dans une monarchie absolue, de la transmission du pouvoir.

A trois milles de Nicomédie, sur un monticule qui en domine la plaine, s’élevait une colonne surmoulée d’une statue de Jupiter. C’était là que Dioclétien avait donné à Galère la pourpre des Césars. Il y lit porter son trône et il vint s’y asseoir pour la dernière fois. Quand les grands de l’empire, les officiers du palais et les représentants de toutes les légions se furent rangés alentour, il se leva et annonça sa résolution. Ses forces diminuaient, dit-il, et, après tant de travaux, le repos lui était nécessaire ; il rendait au dieu dont l’image brillait au-dessus de sa tête, ce que le dieu lui avait donné, et il remettait l’empire à de plus jeunes, aux anciens césars que des généraux expérimentés, Sévère et Maximin Daza, allaient remplacer. Le dernier, neveu de Galère, était présent. Il l’appela, et, se dépouillant de son manteau de pourpre, il l’en revêtit. Le même jour, 1er mai 305, Sévère était proclamé césar à Milan par Maximien, et Dioclétien, redevenu Dioclès, quittait Nicomédie pour aller s’enfermer dans son palais de Salone[74].

Voilà une belle et grande scène ! Ce prince qui, non pas comme Charles-Quint au déclin de la puissance, mais en pleine prospérité, et loin encore du terme de ses jours, quitte le pouvoir pour donner une solennelle sanction à un système politique, était certainement un homme supérieur. Après lui, dit un vieil historien[75], commença la décadence de l’empire, et peu à peu la barbarie l’emporta.

Sur un de ces golfes charmants que l’Adriatique   creuse dans la côte dalmate et que des îles protègent contre les flots irrités du large, s’élève aujourd’hui la ville de Spalato[76], qui, naguère, tenait presque entière dans le palais de Dioclétien. D’un côté, la mer et ses aspects changeants ; de l’autre, des montagnes couvertes de bois, de vignobles, de villages, et toujours un air doux et pur, excepté aux heures brûlantes de l’été. C’est dans ce site heureux que Dioclétien avait fait construire la somptueuse demeure où il voulait finir ses jours, près des lieux où il les avait commencés. L’immense édifice couvrait une surface de plus de 30.000 mètres. Son enceinte, contre-butée aux angles par quatre grosses tours, laissait passer, sous des portes défendues par des ouvrages militaires et dites les portes d’Or, de Fer, d’Airain et de la Mer, quatre voies bordées de colonnades en granit rouge. Le vieux soldat avait conçu son palais à l’image de son empire : vu du dehors, c’était un camp et une forteresse. Mais l’intérieur rappelait le prince : des thermes, un forum, des salles de réception et de conseil, des casernes pour les gardes, et deux temples pour ses divinités de prédilection, l’un d’Esculape (?), l’autre de Jupiter (?). Celui-ci, octogonal au dehors, circulaire au dedans, avec des arcs reposant sur des colonnes, au lieu de l’architrave directement placée sur les chapiteaux, était un prélude de l’architecture byzantine[77]. Une épaisse, muraille dont le pied baignait dans la mer portait une galerie à jour longue de 180 mètres et soutenue par 50 colonnes : loggia incomparable, d’où la vue s’étendait par delà les îles, sur l’immensité des flots que couvraient alors d’innombrables navires. Par de grands souterrains qui s’ouvraient de ce côté, les approvisionnements entraient au palais et y étaient distribués sans bruit. Au voisinage, un parc pour la chasse. Mais où était le jardin fameux que le prince cultivait de ses mains et d’oie il répondit à Maximien, qui le pressait de reprendre la pourpre : Si tu voyais les beaux légumes que je fais pousser, tu ne me parlerais point de pareilles fatigues. Peu importe la place : le mot reste, et les hommes lassés de la vie publique le répéteront toujours.

Cette demeure n’était pas celle d’un philosophe, mais Dioclétien ne philosophait pas. Il avait fait un acte politique qui suppose une grandeur d’âme peu commune, et, le sacrifice accompli, il avait voulu conserver comme particulier une existence princière. Le temple dit de Jupiter ne recevait de jour que par la porte d’entrée, et il est de fort petite dimension ; des savants en ont conclu que c’était un tombeau. Au faite de la puissance, Dioclétien avait préparé pour sa vieillesse un refuge magnifique ; il peut bien, dans la retraite, s’être construit pour demeure dernière un somptueux tombeau[78].

Il passa huit ans à Salone, respecté de ceux dont, il avait fait la fortune. Une inscription de l’année 305 le nomme le Père des empereurs. Lorsqu’ils firent à Rome l’inauguration de ses thermes, ils laissèrent son nom au colossal édifice[79], et ils frappèrent des monnaies où il est appelé le plus ancien des augustes, Augustus senior[80]. Galère le consulta touchant l’élévation de Licinius, et, en 310, Eumène célébrait, devant Constantin, le grand prince qu’entourait la vénération des nouveaux maîtres du monde[81]. Mais il vit les ambitions qu’il avait contenues se déchaîner de nouveau ; les guerres civiles, les meurtres d’empereur, se succéder ; le christianisme obtenir la reconnaissance légale ; sa femme, l’impératrice Prisca, sa fille Valeria, la veuve de Galère, dépouillées de leurs biens et confinées en un lieu d’exil[82]. Ces douleurs, qui frappaient en lui le prince, l’époux et lé père, ne suffirent pas à la haine des chrétiens. Ils le montrèrent abreuvé d’outrages et tremblant pour sa vie. Constantin fait abattre ses statues, marteler son nom sur des monuments publics[83] et lui écrit des lettres menaçantes[84] ; Maximin rie répond pas, quand Dioclétien demande, en d’humbles messages, que sa fille lui soit rendue ; et les derniers jours de ce puissant monarque sont si tristes, qu’il s’empoisonne ou se laisse mourir de faim. Sa langue, rongée de vers, avait pourri dans sa bouche ; il la vomit en expirant. Pour les chrétiens, l’éternelle damnation du persécuteur devait commencer dés cette vie. Puisqu’on ne l’avait pas tué, il fallait qu’il se tuât lui-même, au milieu des angoisses du désespoir. Ainsi justice serait faite.

Le tableau est dramatique et la légende qu’il consacre vit encore ; mais Eusèbe, un contemporain et un ennemi, Eutrope, un indifférent, ne savent rien de ces lugubres horreurs. L’un le fait vieillir dans un repos honoré ; l’autre ne connaît qu’une longue maladie qui, à la fin, l’emporta[85].

Dans une constitution écrite peu de jours avant la mort de Dioclétien, Constantin l’appelle encore : Notre seigneur et notre père[86] ; enfin il permit au sénat de lui décerner l’apothéose, bien qu’à Salone l’ancien empereur ne fût plus qu’un particulier[87]. Conservateurs de la religion d’État, les sénateurs de Rome eurent plaisir à protester contre la victoire des chrétiens, en faisant monter au ciel leur persécuteur. Mais un tel acte ne pouvait s’accomplir qu’avec l’assentiment de l’empereur ; ce fut donc de par Constantin que Dioclétien prit place parmi les dieux[88] ; sur terre, les honneurs ne manquèrent pas à sa mémoire : son tombeau resta toujours couvert du manteau impérial[89].

Le vainqueur d’Actium avait donné à l’empire sa première forme : le pouvoir absolu caché sous des apparences républicaines, avec de libérales institutions de cités et de provinces. Dioclétien entreprit de supprimer les derniers restes du principat des Césars, pour constituer une monarchie savamment organisée dont les agents seraient présents partout. L’union, n’ayant pu se faire de bas en haut par des institutions libres, se ferait de haut en bas par des liens administratifs qui envelopperaient l’empire tout entier, et qui en tinrent une moitié à peu près debout pendant dix siècles. On a vu combien de matériaux anciens furent employés dans la construction de ce nouvel édifice ; il en est toujours ainsi. En politique, les novateurs heureux sont ceux qui organisent bien plus que ceux qui inventent, parce que le présent, pour être solide, doit s’appuyer d’abord sur le passé.

 

Fin de l’Histoire des Romains

 

 

 

 



[1] La mère de Galère, zélée païenne, que Lactance appelle .... deorum montium cultrix.

[2] Préambule de l’édit de Malefidis et Manichæis (Code Grégorien, XI V, 4). C’était l’opinion des païens passionnés et des politiques à courte vue. L’idée que la fortune de l’empire dépendait du culte persévérant des dieux était dans l’esprit du prince, mais aussi dans celui de beaucoup de sujets. Vopiscus (in Caro, 9) promet à Galère et à Dioclétien de plus brillants triomphes, si a nostris non deseratur promissus numinum favor.

[3] Hist. ecclés., VIII, 6 : Dorothée et Gorgone, élevés à de hautes dignités, étaient aimés des princes comme s’ils en eussent été les enfants. Lucien, chef des eunuques, était en relation avec l’évêque d’Alexandrie, Théonas, qui lui écrivait : Quanto.... ipsis Christianis, velut fidelioribus, vitam et corpus suum curandum credidit (Diocletianus), tanto decet vos sollicitiores esse.... ut per id plurimum Christi nomen glorificetur. Dans cette même lettre, Théonas parle de la paix per bonum principem ecclesiis concessa. (Routh, Relig. sacr., III, 439.) Cette lettre, le passage d’Eusèbe qui vient d’être cité et toute l’histoire du règne de Dioclétien empêchent d’admettre l’opinion soutenue par divers écrivains catholiques d’une persécution officielle dans les premières années de ce prince. Je dis officielle parce qu’il peut y avoir eu des condamnations isolées, prononcées pour de prétendus crimes de droit commun. Sur les chrétiens amis du prince, voyez Le Blant, Suppl. aux Actes de Ruinart, p. 76.

[4] Ce sont les termes de l’édit de 319. Eusèbe, Hist. ecclés., VIII, 17 ; et Lactance, 34 : Volueramus.... juxta loges veteres et publicam disciplinam, Romanorum cuncta corrigere atque id providere, ut etiam Christiani, qui parentum suorum reliquerant sectam, ad bonas mentes redirent.

[5] Voyez le de Corona milit. de Tertullien et ce qu’il dit au chapitre XI : Credimusne humanum sacramentum divino superduci licere ? Croit-on que l’engagement fait avec le prince puisse être mis au-dessus de l’engagement fait avec Dieu ?

[6] Extrait des Actes officiels : ut a notariis excepta : .... in sacro comitatu Christiani sunt et militant (Ruinant, Acta sincera, p. 299). Le fait est de l’année 295 ou 296.

[7] Voyez, ci-dessus, le chapitre XCI. Tertullien dit, au de Fuga, 9 : Spiritus omnes pæne ad martyrium exhortatur.

[8] Acta sincera, p. 302. La date est incertaine, peut-être 208. Pour la légion thébaine, voyez au chapitre précédent.

[9] Hist. ecclés., VIII, t1 et 4. La mesure fut générale, datis ad propositos litteris, dit Lactance (de Morte pers., 90), et il ajoute : nec amplius quidquam contra legem aut religionem Dei fecit.

[10] L’édit ne fut pas formellement suivi partout. Les Actes des saints Jules, Nicandre et Marcien montrent des soldats mis à mort pour avoir refusé de brûler, comme leurs camarades, un grain d’encens sur l’autel, en recevant la gratification accordée par Galère pour l’anniversaire de sa dixième année d’imperium. Des généraux habitués à punir sévèrement toute désobéissance avaient cru, en les condamnant, rester fidèles aux lois de l’armée.

[11] Les affaires publiques ne sont pas nos affaires. Nec ulla magis res aliena quam publica (Tertullien, Apologétique, 38).

[12] Curiales qui ecclesiis malunt servire quam curiis (Code Théodosien, XII, 104, 115).

[13] Infames persona : .... curialium vel civilium munerum vocationem non habent (Code Théodosien, X, 56 et 57).

[14] Avant d’être chrétien orthodoxe, saint Augustin avait été, durant neuf années, manichéen, ce qui permet de croire qu’il n’y avait point d’impureté dans ce culte. La constitution de Dioclétien porte :.... de Persica adversaria nobis gente.... multa facinora commitiere, populos quietos turbare (Code Grégorien, XIV, 4). Les chefs de la secte seront brûlés avec leurs livres, les adhérents de basse condition décapités ; les honestiores envoyés aux mines. La date du rescrit est incertaine.

[15] Se séparant de Pierre, son métropolitain, et des autres évêques, il publia contre eux des calomnies. (Fleury, Hist. ecclés., VIII, 24 [vers 301].)

[16] Lactance mentionne un philosophe qui, en 303, écrivit à Nicomédie trois livres contre les chrétiens. On a contesté que ce philosophe fût Porphyre, parce que l’auteur des Divinæ institutiones (V, 2) parle du dérèglement de ses mœurs. Mais Lactance ne se fait jamais faute à calomnier ses adversaires, et nous savons par saint Augustin (Civ. Dei, X, 32) que Porphyre était encore vivant au temps de la persécution. Du reste il résulte des paroles de Lactance qu’un philosophe écrivit à Nicomédie même contre les chrétiens, au moment de la promulgation de l’édit, et cela suffit à notre thèse. Quelques critiques placent la composition du livre de Porphyre entre 290 et 300. Saint Methodius le combattit dans un poème en dix mille vers. (S. Jérôme, de Viris ill., 85.) Eusèbe aussi le réfuta.

[17] Ausus est libros suos nefarios ac Dei hostes Φιλαληθεϊς annotare (Lactance, Div. inst., V, 2, et ce qu’il nous reste du traité d’Eusèbe contre Hiéroclès).

[18] Eusèbe, Præp. Ev., V, 1 ; Lactance, Div. inst., IV, 27.

[19] Lactance, de Morte pers., 10 : .... cum adstiterint immolanti imposuerunt frontibus suis immortale signum, quo facto fugatis dæmonibus, sacra turbata sunt. Prudence raconte aussi que des sacrifices de Julien furent troublés par la présence d’un chrétien. Dans les occasions de tentation, les chrétiens ajoutaient au signe de croix le souffle pour chasser le démon. (Fleury, les Mœurs des chrétiens, p. 63.)

[20] Hist. ecclés., VIII, 1. Ces tristes querelles se continuèrent durant la persécution. Eusèbe interrompt son récit des martyrs de Palestine pour dire encore : Je ne parlerai pas de l’ambition de quelques-uns, de leurs ordinations téméraires et illégitimes, des différends et des contestations des confesseurs, des divisions par lesquelles ils déchirèrent les membres qui restaient à l’Église. Voyez Tillemont, Mém. ecclés., t. V, p. 98, 100 et 105, pour les désordres qui avaient lieu à Rome ; les canons du concile d’Elvire pour ceux qu’il fallut réprimer en Espagne ; les actes d’abord scandaleux, plus tard abominables, des circoncellions africains ; les misérables intrigues attribuées par saint Athanase aux Eusébiens ; les dénonciations remises à Constantin en 325 par des évêques contre plusieurs de leurs confrères (Ruffin, I, 2), etc., etc., et l’on se convaincra que les communautés chrétiennes eurent, à côté de grandes vertus, beaucoup de faiblesses, ce qui est très humain, et qu’il ne faut pas toujours prendre l’Église des légendes pour celle de l’histoire.

[21] C’est ce que l’on peut conclure de la date de plusieurs rescrits. (Mommsen, Zeitf, p. 444.)

[22] Lactance, de Morte pers., 11.

[23] De Rossi, Roma sotterranea, II, p. VIII et 578. Constantin, à son tour, fera brûler les livres de Porphyre. (Socrate, I, 9.)

[24] Pour ne laisser aux chrétiens aucun moyen d’éluder la loi, aræ in secretariis et pro tribunati positæ, ut litigatores prius sacrificarent (Lactance, 15).

[25] Eusèbe, Mart. de Pal., 1, et les Actes de saint Théodote d’Ancyre. (Bollandistes, 18 mai.)

[26] Legitime coctus, dit Lactance, c’est-à-dire brûlé selon les règles établies (de Morte pers., 13). Il est remarquable que le premier édit fut promulgué, en Syrie, seulement au bout de cinquante jours, et, en Afrique, après quatre mois. Avec sa prudence habituelle, Dioclétien avait voulu se donner le temps d’étudier les effets du coup qu’il avait frappé à Nicomédie.

[27] Orat. ad S. Coet., XXV. D’après ce passage, l’incendie du palais aurait été très considérable.

[28] Siméon le Métaphraste raconte l’histoire de trente-trois chrétiens martyrisés à Mélitène, mais Tillemont (Mém. ecclés., V, 171) ne croit pas que ces Actes soient recevables. S’ils avaient quelque fondement historique, il faudrait y voir encore, d’après les détails qu’ils donnent, une exécution pour refus de service militaire, et pour coups et blessures aux recruteurs.

[29] Disc., XIV.

[30] Eusèbe, Mart. de Pal., II.

[31] Digeste, XLIX, I, 16.

[32] Un édit de Constantin (Eusèbe, Vie de Constantin, II, 30-34) rendit la liberté aux chrétiens détenus dans les îles, les carrières ou les mines ; leurs biens à ceux qui, sans être curiales d’origine, avaient été addicii curiæ, ce qui avait mis leur fortune à la disposition des administrations municipales ; leurs grades ou l’honesta missio aux officiers et soldats chassés de l’armée ; leurs dignités à ceux qui avaient été notés d’infamie ; leur condition d’ingénus à ceux qu’on avait faits esclaves, etc. Cet édit complète ce que nous savions des pénalités prononcées contre les chrétiens.

[33] Voyez les Actes de saint Hilaire (Bollandistes, 16 mars) : .... ut ipso tormentato, universi ejus corrigantur exemplo. (Le Blant, op. cit., p. 42.)

[34] Eusèbe, Mart. de Palestine, 2. Même chose pour Alphée et Zachée : Χριστόν Βασιλία Ίηοιΰν (ibid., 1). Procope, invité à brûler de l’encens en l’honneur des quatre princes, répond par un vers d’Homère : Il n’est pas bon d’avoir tant de maîtres, nous n’en voulons qu’un. Le juge voit dans ces paroles un outrage aux empereurs, une révolte contre la constitution, et il lui infligé le supplice des criminels de majesté. (Eusèbe, ibid.) Beaucoup de juges cherchaient à transformer les procès contre les chrétiens en procès politiques.

[35] Ruinart, Acta sincera, p. 587, Acta SS. Saturnini, Dativi, etc., § 72.

[36] Bollandistes, 11 février, §§ 7 et 16.

[37] Ruinart, Acta sincera, p. 367.

[38] Prudence (Perist., I, 73) dit que beaucoup d’Actes des martyrs furent alors détruits. On a vu Dioclétien brûler, en Égypte, les livres de sciences occultes.

[39] Eusèbe, Hist. ecclés., VIII, 6.

[40] Tillemont, Mém. ecclés., t. V, p. 29, 37, etc.

[41] Eusèbe, Mart. de Pal., 1. Cependant, en certains lieux, l’antipathie subsistait : non seulement on courait aux exécutions comme à un spectacle, mais on pillait les biens des prisonniers et des fugitifs. (Actes de S. Théodule d’Ancyre, Bollandistes, 18 mai.)

[42] Bollandistes, 3 mars et 14 juillet.

[43] Derenbourg, Hist. de la Palestine, p. 422.

[44] Div. instit., V, 11.

[45] Léopold Delisle, Note sur un manuscrit de Prudence, p. 6. Cf. Edmond Le Blant, Supplément aux Actes de Ruinart, p. 35.

[46] Eusèbe, Mart. de Pal., 2. C’est l’abolitio generalis du Code Justinien, IX, 43.

[47] Le diacre Euplius fut décapité à Catane, le 12 août 304, pour avoir, malgré les édits, rassemblé la communauté chrétienne ; de même Philippe d’Héraclée, en Thrace ; les martyrs d’Abitina, en Afrique ; saint Saturnin, etc.

[48] Les canons du concile d’Elvire, tenu en 305, montrent que beaucoup de fidèles avaient dissimulé leur croyance, rempli des charges de duumvir, de flamine, de sacrificateur, donné de l’argent pour des fêtes païennes, pour les spectacles et les jeux ; le concile leur permit même, s’ils redoutaient les dénonciations de leurs esclaves, de garder des idoles dans leurs maisons, a condition de ne leur rendre aucun culte, etc. Ceci n’est pas en contradiction avec ce qui a été dit plus haut de la décadence du régime municipal par suite de l’abstention des chrétiens. Les pénitences prononcées par le concile d’Elvire s’adressaient évidemment à quelques riches qui avaient capitulé avec leur conscience pour conserver leur richesse, et ces capitulations sont de tous les temps. L’hérésie des donatistes commença en 311, lorsque Donatus attaqua l’élection, au siége de Carthage, de Cæcilianus qui avait été ordonné par un évêque traditor.

[49] Μόνος, dit Eusèbe, Mart. de Palestine, 2.

[50] Tillemont, Mém. ecclés., t. V, p. 41 et 603.

[51] Ap. Surius, 31 décembre.

[52] Eusèbe, Mart. de Pal., 3.

[53] Pour les huit années de la persécution, Eusèbe, qui était sur les lieux et qui en a écrit l’histoire, ne compte en Palestine que quatre-vingts martyrs. D’après ce chiffre, Gibbon estime qu’il peut y avoir eu, au total, deux mille martyrs : chiffre énorme et douloureux, car une seule victime eût été déjà de trop ; mais toute évaluation est incertaine.

[54] Tillemont, Mém. ecclés., t. V, p. 41, 58, 74, etc. Le plus célèbre des martyrs d’Espagne fut alors saint Vincent, dont les Actes sont une légende remplie de miracles. Les fameuses inscriptions de Clunia sont rangées par Hübner (C. I. L., t. II, n° 233) parmi les apocryphes, et elles sont à leur place.

[55] Actes de saint Boniface. (Tillemont, op. cit., t. V, p. 173).

[56] Bollandistes, 25 mars. Pour la Passio SS. IV coronatorum (Gurius, 8 nov.), voyez Hunzicker, Zur Christenwerf., p. 262, et de Rossi, Bull. di archeol. crist., §§ 3 et 4, n. 11.

[57] Lactance, de Morte pers., 15. Eusèbe (Vie de Const., I, 17) prétend même, très à tort, que la messe fut célébrée dans son palais de Trèves.

[58] Cedrène (Hist., p. 467) mentionne un édit ordonnant d’arracher l’œil droit aux chrétiens condamnés. Je ne sais si ce fut un ordre officiel ou une pratique de quelques juges, mais Eusèbe parle souvent de ce supplice avec brûlure d’un nerf du pied pour les chrétiens envoyés aux mines par Maximin.

[59] Hist. ecclés., VIII, 13. Seize s’étaient déjà succédé sur le siège d’Alexandrie ; le dernier seul fut martyrisé en 311.

[60] S. Augustin, in Psalm. XXXIX, § 16 ; Eusèbe, Mart. de Palestine, 4 et 5 : λόγεις τε xαί έργοις. Cf. Bollandistes, 7 février, S. Théodore d’Amasie.

Martyr....

Infremuit usque tyranni oculos

Sputa jacit.

(Prudence, Peristeph., III, S. Eulal., 126-128.)

Cf. Le Blant, Supplément aux Actes de Ruinart, p. 33.

[61] Comme les trois martyrs de Cilicie, Tarachus, Probus et Andronicus (Tillemont, Mém. ecclés., t. V, p. 285), et une foule d’autres. Sulpice Sévère (Hist. sacra, II, 46) dit : On courait à ces glorieux combats et l’on recherchait plus avidement la mort que la cupidité ne recherche aujourd’hui les évêchés.

[62] Voyez la lettre de Mensurius, évêque de Carthage (ap. S. Augustin, t. IX, p. 568), qui ne voulait pas qu’on honorât comme martyrs ceux qui avaient provoqué leur supplice, .... quidam facinorosi et fisci debitores qui, occasione persecutionis, vel carere vellent onerosa multis debitis vita, vel purgare se putarent, et quasi abluere facinora sua, vel cerce adquirere pecuniam et in custodia deliciis perfrui de obsequio Christianorum. Ainsi avait fait le Peregrinus de Lucien. Il est aussi question dans les Actes de saint Théodoret, apud Ruinart, de débiteurs cherchant la mort pour échapper à la cruauté du fisc ou de leurs créanciers. Cf. Le Blant, Suppl. aux Actes de Ruinart, p. 105 et suiv. Le sort des débiteurs insolvables était si dur, que Constantin sera obligé de l’adoucir, mais longtemps encore après lui, Valentinien I faisait mourir les débiteurs insolvables du fisc. A. Marc., XXVII, 7. J’ai dit par quels festins et quelles liqueurs enivrantes on soutenait le courage de certains martyrs mal résolus à mourir.

[63] Celui, par exemple, de sainte Théodora d’Alexandrie.

[64] Les chrétiens l’ont poursuivi dans la postérité de leurs malédictions : c’était leur droit et, pour ce qui concerne la persécution, c’était justice. Un historien de ce prince, Casagrandi (Diocleziano, p. 368, n. 1), s’est même posé cette question : Quale è stala la mano che dalle storie di Ammiano e Zosimo strappaza le pagini dedicale a Diocleziano ? Chi ha distrutta la vita che di lui scrisse il suo segretario Eustenio ?

[65] Un savant numismate, M. Lépaulle, dans sa Note sur l’Atelier monétaire de Lyon, 1885, signale, d’après trois deniers de sa collection, trouvés en 1880, un fait qui n’est mentionné nulle part, la célébration de jeux Séculaires par Dioclétien, cinquante ans environ après ceux de l’empereur Philippe. L’autorité des monnaies est grande, mais le silence des historiens sur ce fait important est singulier, celui surtout de Zosime, qui parle longuement des jeux Séculaires et ne tonnait point ceux de Dioclétien, bien qu’il nomme ce prince à leur sujet.

[66] Il est plus vraisemblable que le chiffre de 310 millions de deniers (Mommsen, op. cit., p. 648) représente l’ensemble des gratifications accordées par Dioclétien aux grandes villes de l’empire, πάσή ‘Ρωμαίων πολιτεία, dit Malalas, Chron., XII, p. 300, ad ann. 502. La Chronique d’Alexandrie mentionne aussi, page 514, pour cette même année, une distribution dans cette ville de panis castrensis. Le triomphe de Dioclétien ne fut pas, comme on l’a dit, le dernier que Rome ait vu. Constance en célébra un en 357 et Honorius un autre après la victoire de Stilicon sur Marie.

[67] Cum libertatem populi Romani ferre non paterat (Lactance, 17).

[68] Lactance, 17. Il est probable qu’avant de quitter Rome, il fit renouveler par Maximien, dans le temple de Jupiter Capitolin, l’engagement d’abdiquer en même temps que lui. (Pan. vet., VII, 15.)

[69] Pan. vet., VI, 11, et Eckhel, t. VIII, p. 14.

[70] Conjecture autorisée par les mots de Lactance, 17 : per circuitum. ripæ Istricæ Nicomediam venit. Dioclétien, malade et habitué aux climats de l’Orient, a dû, en janvier 304, éviter la vallée du Danube, par où certains critiques le font passer et qui est soumise d des froids si excessifs, que le puissant fleuve y est souvent pris par les glaces.

[71] Lactance, 17 : Demens enim factus est, ita ut certis horis insaniret, certis resipisceret.

[72] Pour rendre cette scène moins invraisemblable, Lactance avait montré, dès l’année 297, Galère enflé de superbe après sa victoire sur Narsès, et s’écriant : Quousque Cæsar ? Combien de temps resterai-je encore césar ? L’habile rhéteur ne manque pas à une des règles de son art qui veut que les grands effets soient préparés de loin. Mais il se réfute lui-même en disant plus tard, au chapitre XKVI, que Galère était résolu à abdiquer aussi après ses Vicennalia, ce qui prouve que l’abdication, au bout de vingt années d’empire, était bien le principe du nouveau gouvernement. Aurelius Victor ne sait rien de cet affaissement de Dioclétien : Il renonça, dit-il, aux soins du gouvernement, en pleine vigueur de corps et d’esprit, valentior curam reipublicæ abjecit.

[73] Eckhel. t. VIII, p. 6. Une inscription trouvée à Carlsbourg (C. I. L., t. III, n° 1090) appelle Jupiter divinorum humanarumque rerum rector fatorumque arbiter. Cf. Pausanias, V, 15, sur Jupiter μοιραγέτης.

[74] .... et iterum Diocles factus (Lactance, 19). Ce mot de Lactance n’est pas plus juste que beaucoup d’autres. Dioclès, au contraire, resta Dioclétien avec tous les honneurs impériaux. Des médailles frappées après l’abdication le montrent la couronne en tête et portent pour légende : Domino nostro Diocletiano, beatissimo seniori Augusto. Sur d’autres, on lit : Æterno Augusto, ou : Providentia deorum, quies augusta. — Maximien se retira en Lucanie.

[75] Zosime, II, 7.

[76] Spalato, corruption de Salonæ palatium. La pierre, dont le palais fut construit, presque aussi belle que le marbre, avait été tirée des carrières de Tragurium ; mais il était venu beaucoup de porphyre et de granit d’Égypte.

[77] M. A. Choisy, le savant auteur de l’Art de bâtir chez les Byzantins, dit très bien, p. 152 : On a coutume de dater l’art byzantin du quatrième siècle. Suivant l’opinion accréditée, Justinien en fut le promoteur et Sainte-Sophie la première application. En fait, une architecture ne naît point ainsi à date fixe et prête à consacrer son existence par un chef-d’œuvre. L’auteur cite, comme exemple des débuts de l’art byzantin dans l’empire, deux citernes de Constantinople construites sous Constantin, le palais de Spalato, etc. ; et il en voit très justement l’origine dans l’Assyrie : L’art byzantin, dit-il encore, vivait dès l’époque romaine à côté de l’architecture officielle et il n’attendait pour se produire au grand jour que le déclin des traditions classiques.

[78] Pour un temple, l’édifice était de bien petite dimension : 13 mètres de diamètre, 21 de hauteur. Les colonnes n’ont que 7 mètres, mais sont surmontées d’un lourd entablement et d’un second ordre de colonnes qui ont 3 mètres 50. D’autre part, les tombeaux n’étaient point placés si près de la demeure, mais Dioclétien a peut-être tenu à mettre le sien à l’abri des défenses de son palais. Lanza met le tombeau dans le temple d’Esculape.

[79] C. I. L., t. VI, 1130 : .... Seniores Augusti patres imperatorum et Cæsarum.

[80] Eckhel, t. VIII, p. 14.

[81] Divinum illum virum.... quem vestra tantorum principum colunt obsequia privatum, .... multo jugo fullus imperio et vestro legitur lætus umbraculo (Pan. vet., VII, 15).

[82] Les deux impératrices furent, au commencement de 315, décapitées par ordre de Licinius, qui fit jeter leurs corps à la mer. Un fils de Galère, Candidianus, que Valeria avait élevé avec tendresse, fut en même temps mis à mort.

[83] .... Statuæ revellebantur (Lactance, 42). Constantin, dit-il, fit détruire les peintures où les deux augustes avaient été représentés ensemble, renverser celles de leurs images où la statue de Dioclétien formait groupe avec celle de Maximien et marteler les inscriptions qui leur étaient communes. Cette proscription posthume s’adressait à Maximien, que Constantin avait fait tuer. Voyez ci-dessous. Quant à la mutilation des inscriptions particulières à Dioclétien (L. Renier, Inscr. d’Algérie, 908 ; C. I. L., t. II, 1439, et Wilmanns, 769 a, 9060), il faut y voir un acte de colère de populations chrétiennes se vengeant de leur persécuteur et non pas l’exécution d’un ordre du gouvernement.

[84] Constantin aurait voulu le contraindre à venir à la conférence de Milan en 313, et, sur le refus du vieillard, lui aurait écrit une lettre qui le décida à s’ôter la vie. Le sénat l’aurait condamné à mort, etc., etc. Cf. Tillemont, Hist. des empereurs, t. IV, p. 54.

[85] Præclaro otio senuit (Eutrope, IX, 28 ; Eusèbe, Hist. ecclés., VIII, 17).

[86] Code Théodosien, XIII, 10, 2 ; édit des calendes de juin 313. Dioclétien n’y étant pas nommé divus, était encore vivant à cette date. On peut conclure de Lactance (de Morte pers., 35-45) qu’il mourut avant Maximin (juillet 313), par conséquent peu de jours après l’édit, vers la fin de mai.

[87] Contigit ei ut, quum privatus obisset, inter Divos referretur (Eutrope, IX, 28).

[88] Sous les empereurs chrétiens, le mot divus fut conservé pour désigner l’empereur mort. Le règne de Dioclétien a donné lieu à beaucoup de discussions que le caractère de ce livre ne permet pas de reproduire ; on les trouvera en divers ouvrages spéciaux dont quelques-uns sont excellents : Hunzicker, dans les Untersuch. zur röm. Kaisergesch. de Max Budinger, t. II, p. 115-284, 1866 ; Preuss, Kaiser Diocletian, 1869 ; Casagrandi, Diocleziano, 1876 ; Mason, the Persecution of Diocletian, 1876 ; Coen, l’Abdicazione di Diocl., 1877 ; Morosi, l’Abdic. dell’ imp. Diocl., 1880 ; Burckhardt, die Zeit Conslantin’s des Grossen, 1880. Pour une partie de la chronologie de ce règne, il existe un savant travail de Mommsen : Ueber die Zeitfolge der Verordnungen Diocletians, que nous avons déjà eu occasion de citer.

[89] Ammien Marcellin raconte (XVI, 8) qu’un certain Danus fut, sous Constance, accusé du crime de lèse-majesté pour avoir dérobé sur le tombeau de Dioclétien un voile de pourpre, velamen purpureum.