HISTOIRE DES ROMAINS

 

DOUZIÈME PÉRIODE — L’ANARCHIE MILITAIRE (235-268). COMMENCEMENT DE LA DÉCADENCE.

CHAPITRE XCVI — DE L’AVÈNEMENT DE DÈCE À LA MORT DE GALLIEN (249-268). INVASIONS PARTIELLES DANS TOUT L’EMPIRE.

 

 

I. — DÈCE (249-251) ; GOTHS ET CHRÉTIENS.

Dèce était né dans une famille romaine établie au bourg de Bubalia, près de Sirmium[1]. Il commence la longue liste des empereurs sortis de l’Illyricum et dont plusieurs rendirent de grands services à l’empire. Les qualités brillantes leur manquent, mais ce sont des esprits nets et des caractères énergiques comme il devait s’en former dans ces provinces pauvres et belliqueuses.

Dèce était de petite condition et fit son chemin par l’armée[2]. Des anciens font de lui beaucoup d’éloges[3], que son règne ne justifie pas : il fut très court, et l’histoire en est singulièrement confuse ; aussi prête-t-elle à beaucoup de contradictions. Trois faits s’y détachent pourtant avec netteté, et cela nous suffit : la guerre contre les Goths, le rétablissement de la censure, qui indique un retour vers les anciennes coutumes, et, comme conséquence, une persécution contre la grande nouveauté du temps, le christianisme.

Après sa victoire près de Vérone (sept. 249)[4], Dèce se rendit à Rome avec son fils Quintus Herennius Etruscus, qu’il avait nommé césar[5] ; mais il fut presque aussitôt forcé d’en sortir pour aller repousser une invasion gothique.

Confiant dans les succès qu’il avait remportés en Thrace sur ces Barbares, Gordien III avait supprimé le subside annuel promis à cette nation. Du moins Jordanès[6] raconte que le roi Ostrogotha s’en plaignit et qu’il passa le Danube avec trente mille des siens, pour saccager la Mœsie. D’autres Barbares se joignirent à lui ; des soldats romains vinrent même prendre part à la curée, et les montagnards de l’Hæmus, sur qui la civilisation grecque et romaine avait eu peu de prise, fournirent sans doute aux envahisseurs des guides et des auxiliaires. La grande ville de Marcianopolis (à l’ouest de Varna) fut mise à rançon[7].

Quand les Goths revinrent avec un riche butin, les Gépides voulurent piller les pillards ; une bataille acharnée s’ensuivit, où les premiers restèrent vainqueurs. Ces événements se passaient durant le règne de Philippe. L’invasion avait été si désastreuse pour la Mœsie, que la série monétaire des villes pontiques s’arrête à cet empereur ; elles n’avaient plus d’or pour frapper des monnaies.

Sous Dèce, Kniva, successeur d’Ostrogotha, fit une invasion plus formidable ; il divisa ses forces en deux corps, envoya l’un saccager la partie de la Mœsie que les troupes romaines avaient abandonnée pour se concentrer dans les places fortes, et avec l’autre, qui s’élevait à soixante-dix mille hommes, il attaqua Ad Novas, ville importante au confluent du Janthrus et du Danube. Repoussé par le futur empereur Gallus, alors duc de Mœsie, il tenta un coup de main sur Nicopolis, que Trajan avait bâtie en souvenir de ses victoires daciques. Mais il se heurta contre une armée que Dèce y avait réunie. Incapable d’en forcer les lignes, le Barbare, avec l’audace d’un coureur indien, laissa l’empereur dans son camp et se jeta dans l’Hæmus, dont les passes n’étaient point gardées ; il descendit sur la grande cité de Philippopolis, sans s’inquiéter si sa ligne de retraite était coupée[8]. Dèce le suivit par des sentiers de montagne non frayés, où son armée, hommes et chevaux, eut beaucoup à souffrir. Il avait atteint Béroë, à 60 milles, dans l’est de Philippopolis, et s’y croyait encore loin des Goths, lorsque Kniva, tombant sur lui à l’improviste, fit des troupes impériales un grand carnage.- Dèce n’eut que le temps de fuir à travers l’Hæmus. Tandis qu’il reformait une armée avec les garnisons des forteresses, Kniva s’emparait de Philippopolis, par la connivence du gouverneur de la Macédoine, Priscus, qui semble avoir pris la pourpre[9]. Le roi barbare rentra ensuite dans la Mœsie pour aller mettre en sûreté, au delà du Danube, les fruits de cette heureuse campagne. Sur sa route, il rencontra l’empereur, qui essaya de venger l’empire, en reprenant aux Goths leur butin et leurs captifs, parmi lesquels se trouvaient de nobles personnages. La trahison de Gallus lui fit perdre une nouvelle bataille, dans laquelle il périt avec son fils. On ne put même retrouver son cadavre (novembre 251)[10].

Plan de Philippopolis.

C’était le premier empereur qui tombait sous les coups de l’ennemi en pleine terre romaine. Aussi ce désastre porta la terreur dans les provinces, la joie et l’espérance dans le monde barbare ; il était le prologue terrible du grand drame qui ne finira que le jour où la race germaine, après avoir couvert de sang et de ruines toute l’Europe romaine et une partie de l’Orient, fera monter un Hérule au palais d’Auguste et de Trajan.

Dans la très courte durée de son principat, Dèce avait commis deux grandes fautes et une erreur. Malgré son expérience, il ne sut ni préparer la guerre contre les Goths ni la bien conduire, et la conséquence fut le ravage de deux provinces et sa mort. Comme il aurait eu l’honneur du succès, il doit avoir le blâme du revers. Sa seconde faute fut la persécution des chrétiens. Quant à l’erreur, elle marque une naïveté politique qu’on s’étonne de trouver dans un homme. de cet âge ; il rétablit la censure, oubliée depuis Claude et Domitien, et le sénat en investit Valérien. Va, lui dit l’empereur, va prendre la censure de l’univers ; tu diras ceux qui doivent rester au sénat et tu rendras son lustre à l’ordre équestre ; tu régleras le cens et la perception des impôts ; tu feras les lois et les nominations aux grades militaires. Ta vigilance s’étendra jusque sur le palais impérial et sur tous les magistrats, excepté le préfet de Rome, les consuls ordinaires, le roi des sacrifices et la grande vestale.

Si Trebellius Pollion[11] a lu ces paroles dans les actes publics, c’était un collègue temporaire que Dèce se donnait, une sorte d’interroi qu’il laissait derrière lui dans la capitale, au moment où il partait avec son fils pour une guerre dangereuse[12]. On peut même voir, dans cette mesure, une nouvelle manifestation de la pensée qu’il était sage de partager entre plusieurs les pouvoirs impériaux ; d’avoir, comme au temps de Pupien et de Balbin, un empereur de la ville et un empereur de l’armée.

On avait très justement laissé tomber en désuétude la censure, institution bonne dans une petite cité, impraticable dans un grand État. Nais, s’il était impossible de restaurer le passé, il semblait possible de proscrire certaines choses du présent, et Valérien, qui ne ramena pas les anciennes mœurs, fit pour le compte de Dèce, et plus tard pour le sien, rude guerre aux nouvelles croyances.

L’idéal des chrétiens était plus haut que celui de Marc Aurèle, mais il était moins désintéressé. Le sage égaré sur le trône ne demandait rien en retour de l’accomplissement du devoir ; aussi bien peu l’avaient suivi. Le chrétien au contraire comptait avec Dieu, comme la foule des païens avait compté avec Jupiter. En échange de leur piété, ceux-ci voulaient des biens terrestres ; en échange de la sienne, celui-là se croyait assuré d’une béatitude éternelle. Sa religion avait donc des séductions assez puissantes pour attirer à elle les esprits qui ne se résignaient pas à subir la loi de toute créature : après la vie, la mort, en laissant à Dieu le secret du tombeau. Aux espérances divines qu’elle donnait, l’Église ajoutait des paroles et des pratiques pleines de douceur. Au milieu d’une société aristocratique, très dure pour les humbles, elle enseignait l’égalité de tous, grands ou petits, Romains ou Barbares, devant la loi religieuse, et elle promettait a aux serviteurs de Dieu n, qu’ils fussent esclaves ou sénateurs, les mêmes récompenses. Son esprit de charité, sa sollicitude pour les malades et les pauvres, les qualités nouvelles qu’elle réclamait à la place de celles que les Romains avaient perdues, en perdant la dignité du citoyen, lui avaient gagné bien des cœurs.

Mais tandis que le nombre des fidèles croissait, la vertu des premiers jours semblait diminuer. A lire saint Cyprien, on croirait que la paix dont l’Église jouissait depuis quarante ans avait été fatale à la discipline et aux mœurs ; que la piété était morte dans les prêtres, la probité dans les ministres, la charité dans les fidèles, et que tous les vices de la société païenne avaient envahi les membres de Jésus-Christ. Des évêques, méprisant le saint ministère, allaient de province en province, pour gagner davantage. Au lieu d’assister les pauvres, ils ravissaient par la fraude des terres et des héritages, et ils grossissaient leurs revenus par l’usure[13]. — Nous nous déchirions les uns les autres, dit un second contemporain, et nos péchés ont élevé un mur entre Dieu et nous. Aman nous insulte ; Esther, avec tous les justes, est dans la confusion, car toutes les vierges ont laissé leur lampe s’éteindre ; elles se sont endormies, et la porte de l’Époux est fermée. Quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il de la foi sur la terre ! Ah ! le Verbe de Dieu a le van à la main pour nettoyer son aire[14]. Ainsi que tous les orateurs de la chaire, Cyprien force le ton. Son tableau de la chute est trop noir, comme ses apologies ont de trop brillantes couleurs. Saint Cyprien écrivait au milieu de la persécution ; et puisque Dieu l’avait permise, il fallait en prouver la justice, les dérèglements des chrétiens devenaient nécessaires pour expliquer le châtiment divin. Les choses se passaient plus humainement. Depuis la courte persécution de Sévère[15], l’héroïsme n’avait pas eu l’occasion de se produire, et il s’en était suivi une détente dans l’exaltation, par conséquent moins de rigueur dans la vie. Mais la haine restait la même entre chrétiens et païens, et ceux-ci, en voyant tant de maux fondre sur l’empire, invasions des Barbares, peste meurtrière, perpétuelles révolutions, crurent les dieux irrités de l’impunité qu’on laissait à leurs blasphémateurs. Le gouvernement aussi s’inquiétait des progrès de cette puissance ennemie que, sous peine de périr, l’État païen devait s’assimiler ou détruire. Dèce, esprit étroit et dur, qui, dans son amour du passé, rêvait à ressusciter les morts, à rendre au sénat sa puissance et son foudre à Jupiter, se chargea de venger ses dieux. Il promulgua un édit qu’on afficha dans toutes les cités pour la recherche et la punition des chrétiens. C’était la guerre d’extermination qui commençait. Elle parut d’abord réussir, parce qu’on y mit plus encore d’adresse que de cruauté. Tous les efforts des proconsuls tendirent à obtenir des apostasies. Les tourments, dit saint Cyprien, ne finissaient pas. Ils étaient calculés non pour donner la couronne, mais pour lasser la patience[16]. Aussi les chutes furent-elles nombreuses. Pour sauver sa vie, le fils reniait son père, le père dénonçait son fils. — A Carthage, le plus grand nombre des frères déserta aux premières menaces de l’ennemi. Ils n’ont pas attendu qu’on les interrogeât ; mais, pour conserver des richesses qui tenaient leur âme captive, ils couraient d’eux-mêmes sacrifier aux idoles ; ils suppliaient le magistrat de les recevoir sur l’heure à brûler l’encens impur et de ne pas remettre au lendemain ce qui devait assurer leur perte éternelle. Mêmes scènes à Alexandrie, à Smyrne, à Rome, partout. On vit jusqu’à des évêques entraîner tout leur peuple dans la chute. Trophime d’Arles mena lui-même les chrétiens aux autels des idoles. D’autres, avec un peu d’argent, achetaient la tolérance : les libellatiques furent très nombreux. Ces faiblesses sont dans la nature humaine, et il n’y a point à s’étonner que le christianisme, en s’étendant, ait perdu de sa vertu première.

Cependant la persécution de Dèce ne semble pas avoir été aussi meurtrière qu’on la représente[17]. Un arrêt de mort ne fut pas toujours la sentence inévitable. Ceux-ci furent dépouillés de leurs biens, ceux-là condamnés à l’exil, d’autres jetés en prison : Babylas d’Antioche et Alexandre de Jérusalem, arrivés à un grand âge, ne purent en supporter les rigueurs et, y moururent. Le chrétien le plus redouté, parce qu’il était alors le plus célèbre, Origène, fut chargé de chaînes et menacé du feu, sans que l’homme d’acier cédât. Les bourreaux se lassèrent plus tôt que la victime ; on le relâcha, et il vécut quatre années encore[18].

Comme la persécution avait été annoncée avec éclat, beaucoup eurent le temps de fuir. Les chefs le plus en évidence, Cyprien de Carthage, Denys d’Alexandrie, Grégoire le Thaumaturge, échappèrent au péril, en quittant leur ville épiscopale pour vivre dans une retraite peu éloignée, d’où ils communiquaient avec les fidèles. Il dut être facile pour un grand nombre de se mettre, ainsi qu’eux, à l’abri. De ces fugitifs, quelques-uns allèrent chez les Barbares, d’autres au désert : saint Paul ermite y vécut jusqu’à quatre-vingt-dix-huit ans[19], c’est-à-dire assez longtemps pour que saint Antoine pût recueillir son dernier soupir et son exemple. Ainsi naquit de la persécution l’ordre monastique, le plus redoutable instrument des persécutions futures.

Les martyrologes comptent, pour cette époque, un nombre considérable de martyrs ; mais de graves auteurs n’osent garantir l’authenticité de ces Actes, remplis d’anachronismes et de merveilleuses légendes, comme celle des Sept Dormants d’Éphèse qui, enfermés dans une caverne dont on avait muré la porte, en sortirent vivants deux cents ans plus tard. Il ne faudrait cependant pas tomber dans l’excès contraire, en concluant de ces fraudes pieuses qu’il y eut très peu de condamnations à mort. L’édit de Dèce révèle l’intention du gouvernement impérial de frapper un grand coup[20] ; quelques-uns des chefs de l’Église, évêques ou docteurs, et, comme toujours, des gens du peuple et des esclaves, périrent. Les plus illustres victimes furent saint Saturnin, premier évêque de Toulouse, Pionius, prêtre de Smyrne, qui racheta par son sacrifice l’apostasie de son évêque[21], et Fabien, évêque de Rome, dont le siège resta vacant l’espace d’un an et demi. Pionius avait été mis en croix, en même temps qu’un marcionite. Les hérétiques avaient donc aussi leurs martyrs. S’ils nous en avaient raconté l’histoire, ils auraient ajouté de glorieux chapitres à ce grand et terrible poème de la persécution, qui a entretenu dans les âmes, à travers les siècles, la flamme du sacrifice et qui suscite encore de nobles dévouements.

La tempête déchaînée sur l’Église par celui que Lactance appelle l’exécrable animal ne dura véritablement que quelques mois. Dès la fin de l’année 250 la paix était à peu près rendue à la chrétienté, et, avant la mort de Dèce, tous les confesseurs étaient sortis de prison[22]. L’empereur avait bien autre chose à faire que de tourmenter des hommes inoffensifs, à cause de leur croyance. Kniva et ses Goths le forçaient à s’occuper moins de ses dieux que de l’empire : il laissa son entreprise inachevée. La persécution n’avait pas mieux réussi que la censure des mœurs ; mais celle-ci était demeurée une innocente curiosité, celle-là avait fait couler des larmes et du sang, et la trace en est justement restée sur le nom du persécuteur.

 

II. — RAVAGES DES BARBARES DANS L’EMPIRE ; VALÉRIEN ; PERSÉCUTION DES CHRÉTIENS (251-260).

Dans les circonstances critiques où l’armée se trouva après la défaite et la mort de Dèce, elle n’avait pas plus le loisir que le goût d’attendre une décision du sénat. Gallus réussit sans peine à se faire donner la pourpre par ses légions[23]. Afin d’écarter de lui le soupçon d’avoir trahi son prince, il prit pour collègue le second fils de Dèce, Hostilianus, et il fit épouser par son fils Volusianus, qu’il nomma césar[24], la sœur du second auguste. Peu de temps après, celui-ci mourut de la peste ou fut tué. Un traité honteux avait permis aux Goths de repasser tranquillement le Danube avec leur butin, leurs captifs et la promesse d’un subside annuel payé en or. Mais ils avaient trouvé l’empire à la fois si faible et si riche, qu’il fallait compter revoir bientôt Kniva ou d’autres chefs. On parle en effet, pour la Pannonie, de nouveaux combats que le gouverneur Émilien, Maure d’origine, sut faire tourner à son avantage. Ces légers succès enflèrent le cœur de ses troupes dont le traité de Gallus avec les Goths avait humilié l’orgueil militaire. La distribution aux soldats de l’argent du tribut gothique acheva de les gagner ; ils proclamèrent leur général[25]. La peste, la famine, désolaient les provinces, sans troubler la vie efféminée que Gallus menait à Rome, et les peuples le rendaient responsable de ces fléaux. Émilien pénétra sans obstacle en Italie[26], jusqu’à la ville de Terni, où il rencontra son adversaire. Une promesse d’argent faite aux soldats de Gallus décida la défection. L’empereur fut tué avec son fils (février 254), et le vainqueur eut quelques jours de royauté.

Ce vaniteux personnage[27] promit au sénat de renouveler la gloire des grands règnes, de laisser aux pères conscrits l’administration de la république, tandis que, prenant pour lui-même les travaux de la guerre, il irait chasser les Barbares du Nord et de l’Est ; déjà il se laissait représenter sur les médailles avec les attributs d’Hercule Victorieux et de Mars Vengeur.

Avant même la mort de Gallus, Valérien, que ce prince avait chargé d’amener à son secours les légions de la Gaule et de la Germanie, avait été, quelques mois auparavant (253), décoré par elles de la pourpre dans la Rhétie. Rome eut donc un moment trois empereurs à la fois. La catastrophe de Terni en supprima un. Valérien n’eut pas besoin de combattre l’autre. Les soldats de son adversaire, se sentant les plus faibles et blessés peut-être des avances faites par leur prince au sénat envoyèrent au nouvel auguste la tête d’Émilien. Le malheureux avait été égorgé prés de Spolète, en un lieu qui, de cette catastrophe, garda le nom de Pont-Sanglant ; il n’avait pas régné trois mois[28].

On trouve, pour cette année, un préfet de Rome qui avait été comte des domestiques, titre nouveau et réservé à un grand éclat. Déjà l’on a vu des ducs et des présidents : au grand conseil de guerre tenu à Byzance en 258, l’empereur en sera entouré. Voici que l’ami du prince devient un fonctionnaire ; un Clarus est dit préfet de l’Illyrie et des Gaules, et, durant le principat qui commence, il y aura comme deux empires : celui d’Orient, où Valérien combattra ; celui d’Occident, dont Gallien, son fils, sera l’auguste ; les éléments de la réforme prochaine sont en préparation.

Nous allons entrer dans la période dite des Trente Tyrans, c’est-à-dire dans la plus horrible confusion. Aussi irons-nous vite dans cette histoire, comme on presse le pas dans les lieux mal famés et dans les régions de la malaria.

Le désordre qui est dans l’État se retrouve dans les récits qui en parlent. La chronologie même est incertaine, parce que les princes se succèdent trop vite pour avoir le temps de frapper des monnaies qui fixent les dates. Ce que l’on voit bien, c’est que toute la barbarie se jette sur l’empire ; que les Francs courent la Gaule ; que les Alamans franchissent le Rhin ; les Goths ou les Scythes, le Danube et l’Euxin ; les Perses, le Tigre et l’Euphrate.

Valérien était un citoyen honnête qui avait mérité d’être le censeur des autres, parce qu’il l’avait toujours été de lui-même ; très digne du second rang, mais non du premier[29]. Il cherchait à soulager les peuples, écoutait les avis et avançait les gens de mérite ; Claude, Aureolus, Postume, Ingenuus, Aurélien, furent distingués par lui, et Probus lui dut ses premiers honneurs[30]. Mais la conduite des affaires demandait, à une époque aussi troublée, autre chose que de bonnes intentions : il fallait une intelligente nette et vive, de la fermeté, de la persévérance, et Valérien n’avait pas ces qualités-là. D’ailleurs il arrivait bien tard à l’empire : la vieillesse est l’âge du repos et non celui de fonctions qui veulent la double énergie de l’âme et du corps[31].

Pour combattre Gallus, Émilien avait emmené en Italie les meilleures troupes de la Pannonie, tandis que, pour le secourir, Valérien y avait conduit l’élite des légions du Rhin. Les Barbares, à qui cet affaiblissement des garnisons de la frontière n’avait pas échappé, tentèrent un nouvel assaut. Valérien reconnut qu’il ne pourrait répondre seul à tant de menaces : c’était sage. Mais, au lieu de prendre pour collègue quelque général vaillant et expérimenté, comme il s’en trouvait alors plusieurs dans l’armée romaine, il choisit son fils Gallien qui était trop jeune pour avoir de l’autorité, et trop efféminé pour la bien employer, s’il en avait eu[32]. Le père et le fils se partagèrent la défense. Valérien se chargea de l’Orient, Gallien de l’Occident (255) ; nous les verrons tous deux incapables de faire leur métier d’empereur.

Gallien était encore tout entier aux plaisirs, et il y passa sa vie[33]. Son père avait peu de confiance dans ce grand enfant[34], et n’osa lui donner comme conseiller et comme guide Aurélien, dont la sévérité lui paraissait trop grande pour ce temps et surtout pour son fils. Il le confia à Postume, habile homme de guerre, qu’il nomma duc de la frontière rhénane et gouverneur de la Gaule. Quoique les Romains tinssent encore leurs places fortes du Rhin, les maraudeurs francs trouvaient toujours sur l’immense étendue des frontières un point mal gardé par où leurs bandes se glissaient dans la province. Une fois la ligne des castra franchie[35], ils arrivaient au milieu de populations désarmées qu’épouvantait la vue de ces guerriers aux longues moustaches fauves, dont la francisque ne manquait jamais son but, et ils passaient fleuves et montagnes pour le plaisir de voir, de tuer et de faire flamber les cités et les villas. Les Pyrénées ne les arrêtèrent pas, ni le détroit d’Hercule ; et les Maures virent avec effroi ces enfants d’un autre monde, dont les Vandales devaient leur révéler plus tard les instincts destructeurs. Entre les villes espagnoles pillées ou détruites par les francs, Eusèbe nomme la grande cité de Tarragone[36], à qui un siècle et demi ne suffit pas pour effacer toutes les traces de cette dévastation. Ilerda, du temps d’Ausone, n’était qu’un monceau de décombres[37] ; et, au cinquième siècle, Orose parle de beaucoup de villes espagnoles encore en ruine. Si, comme nous le demandions en racontant le règne d’Auguste, l’empire avait su donner aux assemblées provinciales une sérieuse existence, si les milices municipales du premier siècle[38] avaient subsisté au troisième, l’Espagne attrait eu aisément raison de cette poignée de maraudeurs. L’isolement des cités les empêcha d’organiser la défense commune.

Gallien s’inquiétait peu de ces malheurs : le soleil de l’Espagne et de l’Afrique, la civilisation dont le contact est mortel aux Barbares, quand ils ne sont pas assez nombreux pour l’étouffer, devaient Le détroit d’Hercule. avoir raison de ces audacieux aventuriers. Il se contenta d’arrêter le gros de la nation sur le Rhin par une foule de petits combats et, finalement, en recourant au moyen si souvent employé d’acheter un chef barbare qui fit pour lui la police de la frontière ; après quoi, il prit le titre de Germanique, et se fit représenter sur les monnaies domptant les deux fleuves, le Mein et le Rhin, dont l’un couvrait la Gaule contre les Germains et l’autre ouvrait la Germanie aux invasions romaines[39]. Aurélien se distingua dans ces campagnes laborieuses. Il détruisit près de Mayence un corps franc, et l’on a conservé trois vers d’une chanson de ses soldats :

Mille, mille, mille, mille, mille decollavimus.

Mille Sarmatas, mille Francos occidimus,

Mille, mille, mille, mille, mille, Persas quærimus[40].

En 258, une insurrection des légions de Pannonie appela Gallien dans cette province ; elle était à peine étouffée que les Alamans, ne trouvant pas jour à pénétrer dans la Gaule, bien gardée par Postume, se jetèrent sur l’Italie et arrivèrent jusqu’à Ravenne. Au temps d’Aurélien, ils se vantaient que quarante mille de leurs cavaliers s’étaient abreuvés dans le Pô et avaient saccagé une grande partie de la péninsule[41]. C’était la première fois depuis les Cimbres que les Germains touchaient autrement qu’en captifs, le sol sacré de la vieille Italie. Les Alpes n’étaient donc plus une infranchissable barrière, et la crainte des tumultes gaulois, que quatre siècles de victoires avaient dissipée, reparaissait. Rome fut dans l’épouvante. En l’absence des empereurs, le sénat prescrivit des levées et arma les citoyens : c’était le premier acte de virilité qu’il eût accompli depuis longtemps. Les Alamans, sans doute moins nombreux[42] qu’ils ne le prétendirent ensuite et déjà chargés de butin, reprirent en désordre la route des Alpes. Gallien eut le temps d’accourir de la Pannonie, et il en défit, prés de Milan, quelques détachements (258 ou 259). Dans l’espoir de prévenir le retour de pareilles incursions, il pratiqua sur le Danube la politique qui paraissait réussir sur le Rhin, celle des alliances achetées par des présents ou des honneurs : il épousa la fille d’un roi des Marcomans, Pipa, et la fit asseoir à côté de l’impératrice Cornelia Salonina. La blonde Germaine devint la favorite du prince et la maîtresse du palais, où Salonina se consola de ne conserver que de vains honneurs, en philosophant avec le chef de la nouvelle école d’Alexandrie[43].

Il faut sans doute rapporter à l’invasion des Alamans en Italie une importante loi de Gallien. L’ardeur belliqueuse que le sénat venait de montrer l’inquiéta. Un rescrit interdit aux pères conscrits le service militaire, et défense leur fut faite de paraître dans une armée ou dans un camp[44]. On a vu, au précédent chapitre, les effets de cette décision.

Les Marcomans et les Goths avec leurs alliés les Carpes, les Boranes et les Burgondes, infligeaient à l’Illyrie, à la Macédoine, à la Thrace et à la Grèce, les maux que les Francs faisaient souffrir à la Gaule et les Alamans à l’Italie. Toutes ces provinces furent désolées par des dévastations, des meurtres et il ne foule de petits combats dont on ne sait ni le lieu ni la date, mais où des généraux gagnèrent de la réputation, l’affection intéressée de quelques soldats et, plus tard, le dangereux honneur d’être, par eux, élevés à l’empire : faveur redoutable qui était l’équivalent d’un arrêt de mort à bref délai. Un de ceux qui se signalèrent dans ces rencontres, Aurélien, gardera cependant la pourpre cinq années et sera un grand prince[45] : dans une lettre de 257 au préfet de Rome, Valérien l’appelle le libérateur de l’Illyrie, qu’il avait nettoyée de Barbares. Pour se nourrir, ces hordes tramaient à leur suite beaucoup de bétail ; il leur en prit une telle quantité qu’il put répartir entre plusieurs villes de Thrace un grand nombre de bœufs et de chevaux. Il envoya même à Rome, pour une villa de Valérien, cinq cents esclaves choisis, deux mille vaches, deux mille juments, dix mille brebis et quinze mille chèvres[46].

Le cercle de barbarie qui enveloppait l’empire se resserrant de toutes parts, l’Asie avait, comme l’Europe, ses invasions.

Les garnisons des postes romains qu’on a vus établis le long des côtes méridionales de l’Euxin jusqu’à Sebastopolis, au pied du Caucase, avaient été affaiblies pour fournir des soldats aux continuelles révolutions de l’empire, et des séditions, que les Antonins auraient empêchées, mettaient le royaume du Bosphore à la discrétion de ses nouveaux voisins[47]. Les Cimmériens livrèrent leurs navires aux Goths, aux Alains, aux Hérules, et ces pirates improvisés se firent mener par les marins du Bosphore, à travers la mer inhospitalière, jusqu’aux côtes d’Asie. Ils s’emparèrent de Pithyus, puis de la grande cité de Trébizonde, où trois siècles de prospérité avaient entassé d’immenses richesses, qu’une nombreuse garnison ne sut pas défendre[48].

Le bruit de cette importante capture excita l’ardeur des Goths du Danube. Ils forcèrent leurs prisonniers romains il construire des embarcations, sur lesquelles ils longèrent la côte, tandis que le gros de l’armée d’invasion, franchissant le fleuve, traversait sans être inquiété toute la Thrace et, arrivé près de Byzance, trouvait dans ces parages quantité de pêcheurs, qui consentirent à prêter leurs barques, sans doute pour une part du butin. De Chalcédoine jusqu’au temple qui s’élevait à l’entrée du Bosphore de Thrace, il y avait des forces plus considérables que celles des Barbares ; mais les Romains, saisis d’épouvante, s’enfuirent, et les Goths entrèrent dans Chalcédoine, Nicomédie, la future capitale de Dioclétien, Nicée, Cius, Apamée, Pruse, Apollonie que ne protégea pas son temple d’Apollon, construit sur l’île d’un lac charmant que le Rhyndacus forme et traverse. Cyzique échappa, parce qu’ils ne purent franchir le fleuve grossi par les pluies. Toute la Bithynie fut mise à sac, sans que les légions romaines osassent nulle part attendre l’ennemi. Les populations fuyaient dans une indicible épouvante, et beaucoup de ces malheureux, parmi lesquels nous sommes forcés de compter des chrétiens, profitaient de cette immense désorganisation pour piller à leur tour (commencement de 258). Nos pauvres Jacques, au moyen âge, obéissant aussi, en face de pareils maux, à un désespoir farouche, disaient : Le diable est déchaîné, faisons du pis que nous pourrons. Trois siècles après, on reconnaissait aux ruines laissées derrière eux par les Goths le chemin qu’ils avaient suivi. Ils rapportèrent en leur pays, dit Zosime, un butin immense, et ils rendirent de grands honneurs à Chrysogonos, qui leur avait conseillé cette expédition[49].

L’année précédente, Valérien avait tenu à Byzance un grand conseil de guerre, en présence des officiers du palais et de l’armée. Nous avons l’ordre des préséances dans cette assemblée, et nous le donnons pour montrer les dignités nouvelles qui s’établissaient. A la droite du prince étaient assis un des consuls ordinaires, le préfet du prétoire et le gouverneur de l’Orient ; à sa gauche, le duc de la frontière scythique, le préfet d’Égypte, le duc de la frontière orientale, le préfet de l’annone en Orient, le duc de l’Illyricum et de la Thrace, enfin celui de la frontière rhétique. L’inepte chroniqueur qui avait pu lire le procès-verbal de cette séance ne nous fait pas connaître les graves délibérations dont elle fut remplie : il se contente de dire que Valérien y décerna d’éclatants éloges à Aurélien pour de récents succès, en Illyrie, sur des bandes gothiques et sarmates[50].

Où était le vainqueur des Francs et des Goths au moment des désastres qu’on vient de raconter ? Sans doute à Antioche avec Valérien. Ce prince ne fit rien pour prévenir ou arrêter les malheurs dont la Bithynie venait de souffrir. Il envoya seulement un général è Byzance, afin de garder ce point important. Mais les Goths ne songeaient pas encore à faire un établissement fixe dans l’empire, et leur retraite fut sans doute déterminée, moins par l’approche de l’empereur qui s’avança jusqu’en Cappadoce, que par le désir de mettre en sûreté, avant la saison orageuse[51], le butin chargé sur leurs navires et dont la richesse dépassait toutes leurs espérances[52].

L’invasion gothique se rattachait probablement à une autre invasion qui sembla devoir chasser les Romains de l’Asie, celle de Sapor. Du moins on a vu les Barbares porter leurs premiers coups sur les villes où aboutissaient les routes d’Arménie, dont les Perses s’emparaient à cette heure, et, en venant occuper la Cappadoce, Valérien semble avoir voulu se placer entre les deux alliés.

Si l’on croyait que c’est prêter à ces Barbares des combinaisons trop vastes, nous rappellerions les émissaires envoyés par les Daces aux Arsacides, sous le règne de Trajan. Il ne fallait pas aux Amales de grands efforts d’intelligence politique pour comprendre et suivre la tradition de Décébale[53].

Sapor avait fait assassiner le roi d’Arménie, Chosroês[54], qu’il remplaça par un de ses partisans. Durant plus d’un quart de siècle, ce pays fut comme une province persane, à l’extrême douleur de ses habitants, car les Perses persécutaient tous ceux qui tenaient aux coutumes nationales ; ils abattaient les édifices du culte public, les temples du Soleil et de la Lune ; et le feu sacré d’Ormuzd, allumé sur les pyrés, rappelait sans cesse le triomphe d’une race et d’une religion ennemies. C’était encore un boulevard de l’empire et un des meilleurs qui tombait.

La possession de l’Arménie rendait, en effet, facile pour les Perses la conquête de la Mésopotamie, où Sapor prit les fortes places de Nisibe et de Carrhes. La situation était donc très menaçante, et elle était due a ceux qui, en moins de quarante années, avaient provoqué ou accompli dix révolutions militaires.

Les Romains, restés maîtres d’Édesse, barraient à l’armée persane une des routes de l’Asie Mineure, et les Pyles Ciliciennes, saris doute alors bien gardées, fermaient l’autre. Sapor, avec sa mauvaise infanterie[55], n’était point capable de forcer le passage des montagnes et il ne pouvait empêcher une armée romaine de descendre en Syrie ; Valérien, en effet, entra sans combat dans Antioche. L’apparition des Goths en Bithynie l’obligea de retourner dans l’Asie Mineure, où il ne fit rien, dit Zosime, que d’incommoder les peuples par son passage. Leur retraite lui permit de quitter enfin la Cappadoce et de marcher sur Édesse, qui, bloquée depuis plusieurs années, tenait toujours. Mais la peste avait décimé ses troupes. Une défaite qu’il éprouva et les clameurs de l’armée le décidèrent à traiter. Sapor ayant refusé de recevoir ses envoyés, il lui demanda une entrevue personnelle : c’était renouveler la faute de Crassus. Quand l’astucieux Barbare vit l’empereur venir à lui mal accompagné, il le fit enlever par sa cavalerie et le retint prisonnier (260)[56]. Cette captivité dura pour Valérien six années, avec d’indignes outrages ; et, après sa mort[57], sa peau tannée, empaillée et teinte en rouge, fut suspendue à la voûte du principal temple de Perse, où elle resta plusieurs siècles[58]. Les rochers de Nakeh-Roustem et de Schahpùr ont gardé le souvenir de cette grande humiliation romaine, et les cavaliers qu’on y voit foulant des légionnaires aux pieds de leurs chevaux ont peut-être donné naissance à la légende de Sapor se servant de l’empereur romain comme d’un marchepied pour monter à cheval[59].

Sapor profita de la consternation jetée dans l’armée romaine par cet événement pour essayer de prendre l’empire après l’empereur. Guidé par le traître Cyriadès, il pénétra en Syrie. Un jour que les habitants d’Antioche regardaient au théâtre le jeu des mimes, un de ceux-ci s’écria tout à coup : Je rêve, ou voici les Perses ! Quelques instants après, les flèches tombaient au milieu de la foule, et la ville était impitoyablement saccagée[60]. L’épouvante gagna encore une fois toutes ces provinces. On prétendit qu’Émèse avait été sauvée par son dieu[61]. Sans doute le gros des forces persanes était dans le nord de la province ; et il n’arriva du côté de la ville sainte qu’un détachement auquel il fut facile de résister ; ou bien Sapor, par politique, respecta un temple, objet de la vénération des peuples de cette région.

Toute l’attention des Perses se tournait vers l’Asie Mineure ; elle conquise, le reste tombait de soi-même. Ils franchirent, sans y trouver de résistance, les passes de Cilicie, prirent la grande ville de Tarse et assiégèrent la capitale de la Cappadoce, Césarée, à laquelle on donne pour ce temps-là quatre cent mille habitants. Elle résista longtemps, jusqu’à ce qu’un prisonnier, pour échapper aux tortures qu’on lui infligeait, indiquât un endroit mal gardé, par où les assiégeants entrèrent de nuit dans la place. Ils avaient ordre de saisir vivant le brave Démosthène, qui avait dirigé la défense ; monté sur un vigoureux cheval, il se précipita au milieu d’eux, en tua plusieurs et se fit jour[62]. Deux années plus tôt, les Perses auraient pu, de la Cappadoce, donner la main aux Goths, maîtres de la Bithynie. Mais cette assistance des Barbares du Nord n’était même pas nécessaire aux Barbares du Sud pour atteindre la Propontide et la mer des Cyclades. L’épouvante les précédait. Ils se seraient, dit Zosime, rendus facilement maîtres de toute l’Asie, s’ils n’eussent été pressés d’aller jouir chez eux de leur victoire et d’y porter leur butin[63]. Après leur départ, les Syriens se vengèrent du traître Cyriadès[64], qui avait pris le titre d’auguste : ils le brûlèrent vivant.

On dit que Sapor avant. annoncé sa victoire à tous les peuples voisins ou alliés, ceux-ci, effrayés de ce grand triomphe, cachèrent leurs craintes sous des conseils de modération philosophique, qu’ils lui envoyèrent en réponse[65]. Le fils de Valérien n’eut pas besoin des consolations de la sagesse pour calmer une douleur qu’il n’éprouvait pas. Je savais bien, dit-il, que mon père était mortel : d’ailleurs, il est tombé en homme de cœur ; et, le considérant déjà comme mort, il en fit un dieu. On pardonnerait peut-être ces paroles à Gallien, s’il les avait fait suivre d’actes énergiques pour venger son père et l’empire ; mais ce prétendu stoïcisme n’était qu’une lâcheté impie.

Le règne de Valérien est marqué par la plus cruelle persécution que l’Église eût encore soufferte. En voyant les Barbares menacer le cœur de l’Italie et ravager les deux tiers de l’empire, la colère des païens se tourna contre ce peuple étranger qui vivait au milieu d’eux, indifférent à leurs douleurs et refusant de s’armer contre l’ennemi public. Comme si les empereurs étaient entrés à regret dans cette voie, leurs premières lettres interdirent seulement les assemblées des chrétiens et l’entrée des cimetières ; elles ne contraignaient personne à renoncer au Christ, mais obligeaient tout le monde à se conformer aux cérémonies romaines, ce qui, au fond, eût été l’équivalent de l’apostasie ; enfin elles ne punissaient encore les contrevenants que de l’exil. Les actes de Cyprien montrent cette première phase de la persécution, qui semble n’avoir pas frappé en dehors du clergé.

Sous le quatrième consulat de l’empereur Valérien et le troisième de Gallien, le 3 des calendes de septembre (30 août 257), dans la salle d’audience à Carthage, le proconsul Paternus a dit à l’évêque Cyprien : Les très saints empereurs Valérien et Gallien ont daigné m’adresser des lettres où ils ordonnent à quiconque ne professe pas la religion des Romains d’en observer sans délai toutes les cérémonies. Je vous ai donc fait citer pour connaître vos intentions : qu’avez-vous à répondre ? L’évêque Cyprien a dit : Je suis chrétien et évêque ; je ne connais d’autre Dieu que le Dieu unique et véritable qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment. C’est ce Dieu que nous servons, nous chrétiens ; c’est lui que nous prions nuit et jour, pour nous-mêmes et pour tous les hommes, en particulier pour le salut des empereurs. Le proconsul Paternus a dit : Persistez-vous dans cette résolution ? L’évêque Cyprien a répondu : La bonne volonté qui a une fois connu Dieu ne change pas. Le proconsul Paternus a dit : Vous pouvez donc vous disposer à partir en exil pour la ville de Curubis : ainsi l’ordonnent Valérien et Gallien. L’évêque Cyprien a dit : Je suis tout prêt à partir. Le proconsul Paternus a dit : Les ordres que j’ai reçus ne concernent pas seulement les évêques, mais encore les prêtres. Je veux donc savoir de vous le nom des prêtres établis en cette ville. L’évêque Cyprien a répondu : Vos lois ont sagement et utilement proscrit la délation : je ne puis donc vous faire connaître ni vous déférer ceux dont vous me parlez ; vous les trouverez dans les villes où ils demeurent. Le proconsul Paternus a dit : Je veux qu’ils se présentent aujourd’hui même dans ce lieu. Cyprien a dit : La discipline leur défend de se livrer eux-mêmes, et, en cela, vous ne sauriez improuver leur conduite : mais faites-les chercher, vous les trouverez. Le proconsul Paternus a dit : N’ayez pas peur, je saurai les trouver. Puis il a ajouté : Les empereurs interdisent également les réunions dans n’importe quel lieu et l’entrée des cimetières. Quiconque violera cette sage défense sera puni de mort. L’évêque Cyprien a répondu : Faites ce qui vous est ordonné[66].

Le successeur de Paternus leva la sentence d’exil portée contre Cyprien et lui permit de résider aux portes de Carthage, dans une maison qui appartenait à l’évêque. Mais les calamités de l’empire augmentaient. Des princes, qui ne savaient pas s’aider eux-mêmes, crurent obtenir l’assistance du ciel en vengeant leurs dieux. Au milieu de l’année 258, Valérien envoya au sénat le rescrit suivant :

Les évêques, les prêtres et les diacres seront punis de mort ; les sénateurs, dignitaires et chevaliers, dégradés et dépouillés de leurs biens. S’ils persévèrent, la mort. Les femmes de condition seront bannies ; les affranchis du palais, envoyés comme esclaves sur les domaines de l’empereur[67].

Nous rapporterons encore le dernier interrogatoire de Cyprien, qui montre la procédure suivie partout contre les martyrs.

Le proconsul Galerius Maximus a dit à Cyprien : Vous êtes Thascius Cyprianus ? L’évêque a répondu : Je le suis. Le proconsul a dit : Vous êtes le pape de ces hommes sacrilèges ?Je le suis. — Les très saints empereurs vous ordonnent de sacrifier aux dieux. — Je ne le ferai point. — Consultez-vous. — Faites ce qui vous est ordonné ; dans une chose si juste, il n’y a pas à délibérer. Galerius Maximus, après avoir pris l’avis de son conseil, s’est exprimé en ces termes : Depuis longtemps vous vivez dans des sentiments sacrilèges ; vous avez fait entrer beaucoup d’hommes dans cette conspiration impie, vous mettant ainsi en hostilité avec les dieux de Rome et les lois religieuses, sans que les pieux et très saints princes Valérien et Gallien augustes, et le très illustre Valérien césar, aient pu vous ramener à la pratique de leurs cérémonies. Voilà pourquoi, étant l’auteur des forfaits les plus noirs et le porte-étendard de la secte, vous servirez d’exemple à ceux que vous vous êtes agrégés par vos manœuvres criminelles ; votre sang sera la sanction de la loi. Cela dit, il a pris des tablettes pour y écrire cette sentence qu’il a lue à haute voix : Nous condamnons Thascius Cyprianus à être décapité. L’évêque a dit : Dieu soit loué ![68] Les gardes l’emmenèrent. Arrivé au lieu du supplice, Cyprien ôta son manteau, s’agenouilla et pria quelque temps. Puis il donna sa dalmatique aux diacres, se banda les yeux et commanda aux siens de remettre après sa mort vingt-cinq pièces d’or au bourreau. Autour de lui les frères étendaient des linges pour recueillir le sang du martyr. L’exécuteur tremblait en frappant le coup mortel ; tous les païens auraient dû trembler comme lui devant ces morts triomphantes (14 sept. 258).

Cyprien était parmi les privilégiés : il avait la fin la moins cruelle ; d’autres étaient brûlés vifs, comme l’évêque de Tarragone, ou jetés aux bêtes. Rome paya largement la dette du sang : le pape Sixte II fut frappé un des premiers. Surpris dans les catacombes pendant qu’il célébrait les saints mystères, il fut décapité ; son diacre saint Laurent fut brûlé à petit feu. Dans toutes les chrétientés, beaucoup de prêtres, de diacres et de fidèles, même des femmes, périrent. Novatien, qui avait apporté dans l’Église la dureté du stoïcien Zénon, son premier maître, fut une des victimes, peut-être aussi saint Denys, qui évangélisa le nord de la Gaule, et Polyeucte, qui doit à Corneille sa renommée[69].

L’empire se déchirait de ses mains, comme si ce n’était pas assez pour sa ruine de la peste, de la famine et des Barbares qui paraissaient aux chrétiens avoir été déchaînés par Dieu, pour ce jour de colère[70].

Gallien eut un mérite : il comprit que cette persécution était inique autant qu’inutile, et, dès qu’il fut seul maître, il ordonna de rendre aux chrétiens leurs cimetières, leurs biens et la liberté de leur culte[71] (260). C’était une guerre de moins dans l’empire. Malheureusement il en restait bien d’autres.

Lorsque l’imprudence de Valérien avait livré la Syrie aux Perses, il se trouvait en Orient deux hommes renommés pour leurs talents militaires : Macrien, le principal lieutenant de l’empereur captif, et Balista, ancien préfet du prétoire. Ils réunirent les débris de l’armée d’Édesse et cherchèrent, à Samosate, dans l’angle étroit que forme le mont Amanus et l’Euphrate, au nord de la Commagène, une retraite qu’il fût aisé de défendre[72]. Peu à peu, le cœur revint aux Romains. Balista gagna les côtes de la mer de Chypre, y réunit une flottille, où il mit quelques troupes, et fit çà et là, en Cilicie, des descentes heureuses. Comme les Perses, dans l’orgueil de leur triomphe, dédaignaient toute prudence, il surprit plusieurs fois leurs bandes et en tua beaucoup.

Mais la meilleure assistance vint d’un côté où l’empire ne l’attendait pas. Il a déjà été souvent question dans cette histoire de Palmyre, de ses richesses, de sa nombreuse population et d’une famille qui y avait pris le premier rang, celle des Odenath[73]. Les Palmyréens avaient besoin pour leur commerce de l’amitié de Sapor. Ils lui envoyèrent des ambassadeurs avec de riches présents, pour solliciter son amitié. Le roi fit jeter les cadeaux au fleuve, déchira la lettre que les députés lui avaient remise et exigea une absolue soumission[74]. Palmyre avait alors comme chef, ou prince de son sénat, un homme intelligent et résolu, très riche et très influent, Septimius Odenath. Dans les moments de crise, les hommes supérieurs prennent naturellement leur place. Odenath persuada à ses compatriotes qu’on ne répondait que par la guerre à des insultes qui étaient une menace certaine pour leur indépendance ; et cette guerre, il l’organisa aussitôt d’une manière formidable. Lés caravanes avaient fait la fortune de Palmyre. Pour les conduire, elle avait dei s’entendre avec les Arabes du désert de Syrie, qui tous, de l’Oronte au Pasitigre, étaient dans ses intérêts. Odenath rappela à leurs cheiks la destruction de la ville arabe d’Atra par Sapor ; il montra leur liberté, leurs richesses perdues, si l’orgueilleux prince chassait les Romains de l’Asie. L’Arabe a deux passions : la religion et le commerce. Mahomet ne lui avait pas encore donné l’une, mais l’autre avait été singulièrement développée par les profits que les denrées qui s’échangeaient entre les deux empires laissaient aux mains des convoyeurs. Ils accoururent en foule autour du prince de Palmyre, et nous allons les voir élever un premier empire arabe.

Palmyre avait une garnison romaine permanente ; cette troupe servit de noyau à la nouvelle armée. Les fugitifs épars dans la Syrie s’y rallièrent, et Odenath y joignit ses Arabes. Les succès de Balista avaient compromis la situation des Perses en Syrie, leur ligne de retraite était menacée au sud par les armements de Palmyre, au nord par la garnison d’Édesse, que les troupes de Samosate venaient sans doute de rejoindre,’et, sur cette terre trop romaine, l’inquiétude commençait à lés prendre. Sapor les ramena vers l’Euphrate, en laissant derrière lui beaucoup des siens surpris par une soudaine attaque d’Odenath. Arrivés sur la rive droite du fleuve, les Perses s’embrassaient, se croyant sauvés ; mais il leur fallut encore, dit Zonare, acheter la liberté du passage, en livrant à l’armée d’Édesse ce qui leur restait de l’or syrien. Dans ces déserts, il se produit aussi des avalanches d’hommes. Attirés par l’appât du carnage et du butin, les nomades accourent de tous les points de l’horizon, et de puissantes armées sortent de la solitude. Odenath, que Balista vint rejoindre, se trouva assez fort pour entreprendre de reconquérir la Mésopotamie, et pour oser suivre jusqu’à Ctésiphon les traces de Trajan et de Septime Sévère[75]. Dans une bataille, il enleva une partie des trésors et des femmes de Sapor. C’était la sanglante réponse des Palmyréens au grand roi.

Leur prince n’avait pu délivrer Valérien ; mais il envoya à Rome des satrapes captifs, et Gallien, oublieux de son père, célébra par un triomphe cette victoire que les légions avaient laissé gagner par des Bédouins.

De cette expédition, Odenath revenait trop grand pour rester simple particulier. Les Arabes le proclamèrent roi, et Gallien, en vue de s’attacher un serviteur si utile, le nomma chef des forces impériales dans cette partie de l’Orient, αύτοxράτωρ ou imperator (commencement de 262). Plus tard, après de nouveaux services, il lui reconnut le titre d’auguste, et le fils des clients de Sévère prit rang parmi les empereurs de Rome[76].

 

III. — LES EMPEREURS PROVINCIAUX (244-268) ; GALLIEN.

Ceux qu’on a appelés par un souvenir d’Athènes les trente tyrans n’étaient ni trente ni tyrans. De la captivité de Valérien à la mort de son fils, on compte dix-huit généraux qui furent proclamés empereurs[77] par leurs troupes, comme l’avaient été tous les princes depuis les Antonins, et il ne leur a manqué que le succès pour prendre place légalement parmi les maîtres du monde romain. Un seul, Calpurnius Pison, était de haute noblesse[78] ; un autre, Tetricus, de condition sénatoriale ; le reste, d’obscure origine. D’ailleurs, ces usurpateurs prétendus ne furent ni pires ni meilleurs que les princes portés au catalogue officiel ; plusieurs montrèrent de l’habileté et rendirent des services ; tous enfin étaient légitimes, aussi bien que Septime Sévère l’avait été. L’empire, c’est-à-dire l’union pour la commune défense, semblait n’exister plus, depuis qu’un des empereurs était captif à Ctésiphon, qu’un autre s’oubliait dans les plaisirs, et que les Barbares couraient les provinces. Sous le coup de la nécessité, le patriotisme se réveilla, et, puisqu’on n’avait rien à attendre de Rome, on demanda tout à soi-même. Les légions formaient la garnison permanente des provinces et restaient habituellement fort longtemps dans les mêmes lieux : la IIIa Augusta occupa la Numidie durant trois siècles. Il en résultait d’étroites relations entre l’armée et le pays. Le soldat s’y mariait, la légion s’y recrutait, et les troupes prenaient les mœurs, les croyances du milieu où elles habitaient. Nous avons eu mainte occasion de montrer que la différence entre les armées gauloises et syriennes, par exemple, répondait à la différence des deux régions. Peu à peu ces liens multiples avaient fait des légionnaires, comme les représentants de ceux dont ils étaient les défenseurs obligés, et, durant l’éclipse de l’empire unitaire, l’intérêt provincial se personnifia en des empereurs provinciaux. Presque dans le même temps, la Gaule, l’Illyrie, la Mœsie, la Pannonie, la Grèce et la Thessalie proclamèrent leurs gouverneurs, et les peuples étaient si bien d’accord avec les soldats qu’ils partagèrent leur fortune. Là où Gallien put renverser un de ses rivaux, les civils eurent autant à souffrir que les militaires : il fit décimer les légions ; mais les villes furent, comme les camps, remplies de carnage[79].

Le plus remarquable de ces empereurs est Postume[80]. Il était de basse condition[81], mais de grand cœur et très populaire dans les Gaules, où il était né et dont il avait garanti la sécurité. Lorsque Gallien quitta le pays en 258, il laissa son fils Saloninus à Cologne, avec le titre de césar, sous la garde, non pas de Postume, le gouverneur de la Gaule, mais sous celle du tribun Silvanus. Postume fut blessé de cette marque de défiance. Un jour qu’il avait partagé entre ses soldats un riche butin repris aux Francs, Silvanus revendiqua ces dépouilles comme appartenant au césar. Quand Postume fit connaître cet ordre, les soldats, plutôt que de rendre ce qu’ils avaient reçu et sans doute déjà dépensé, arrachèrent de leurs enseignes les images des princes et proclamèrent leur chef (258). Il les amena devant Cologne, se fit livrer, après un long blocus, le césar avec son conseiller, et les mit tous deux à mort[82]. Les peuples et les armées des Gaules, de la Bretagne et de l’Espagne prêtèrent serment au nouvel auguste[83]. Ce n’était pas un empire gaulois, espagnol et breton qui se formait ; personne ne songeait encore à rompre avec Rome : on ne rompait qu’avec Gallien, et, pour se défendre, on s’unissait sous un glorieux soldat. Trèves fut sa capitale ; il y réunit un sénat, qui lui décerna tous les titres que les princes recevaient au bord du Tibre ; mais, sur ses monnaies, la seule histoire que nous ayons de lui[84], il conserva l’image de la Ville éternelle, Roma æterna.

Sous la pourpre, il garda sa casaque militaire. Il empêcha les Alamans d’entrer en Gaule, fit reculer les Francs en construisant, sur la rive droite du Rhin, des châteaux forts qui commandèrent les passages, et sa flotte purgea la mer britannique des pirates saxons. Une de ses médailles, Neptuno reduci, indique qu’il avait dirigé lui-même cette expédition[85] ; une autre atteste ses efforts pour éloigner la peste de ses troupes et de ses provinces[86]. Des succès, que nous ne connaissons pas, lui méritèrent ces salutations impériales que, depuis Caracalla, les monnaies ne nous montraient plus et le surnom de Germanicus Maximus[87]. Des monnaies de l’année 262 lui donnent ces titres pour la cinquième fois, et représentent les unes la Victoire couronnant l’empereur des Gaules, les autres un trophée s’élevant entre deux captifs jetés à terre. Après avoir fait sentir sa force aux Francs, il sut les attirer dans son alliance : un corps auxiliaire qu’il recruta chez eux mit en ses mains des soldats et un gage de la fidélité de ces peuples.

L’usurpateur remplissait donc tous les devoirs d’un prince légitime ; la sécurité régnait dans les provinces, le commerce reparaissait sur les routes et sur les fleuves pacifiés[88]. Pour montrer d’où venait cette sécurité, Postume faisait représenter le Rhin tranquillement appuyé sur son urne penchante avec des symboles de paix, une ancre, un roseau, et suivant du regard le cours de ses ondes paisibles. La légende était expressive : Salus provinciarum[89].

En 262, Postume célébra la cinquième année de son gouvernement. Depuis Auguste, cette solennité n’avait eu lieu que pour les decennalia ; mais, à l’époque où nous sommes, un prince s’estimait heureux d’avoir vécu la moitié de ce temps, et cinq années étaient le grande ævi spatium qu’un empereur ne dépassait guère.

Un autre général renommé, Ingenuus, avait été fait empereur par les troupes de Pannonie (258)[90], et les peuples s’étaient prononcés avec ardeur pour l’homme qui avait maintes fois repoussé ou jeté au Danube Goths et Sarmates. Gallien cependant le vainquit près de Mursa par une habile manœuvre d’un de ses lieutenants, Aureolus, qui brisa la ligne ennemie par une charge furieuse de cavalerie. Ingenuus se tua ou se fit tuer par son écuyer. La province fut inondée de sang[91] ; elle en garda le souvenir, et nous la verrons bientôt faire un nouvel empereur, Regalianus.

Pour le moment, Gallien, vainqueur des rebelles de la Pannonie et des Alamans, qu’il venait de chasser de l’Italie, semblait en mesure de faire rude guerre à Postume ; mais les mauvaises nouvelles arrivaient d’Asie ; Valérien était captif et Balista avait décidé Macrien à prendre la pourpre. Ce Macrien[92] ; soldat de fortune, s’était élevé des derniers rangs de la milice aux premiers postes de l’État : Un mariage et les libéralités de Valérien, qui mettait en lui sa confiance, l’avaient fait assez riche pour que sa fortune privée lui permît de payer sur l’heure le donativum aux troupes. Il est représenté par les écrivains ecclésiastiques comme ayant, à l’aide de la magie, décidé Valérien à entreprendre la grande persécution de 258. L’empereur s’y était résolu par des raisons qui ne valaient pas mieux, niais qu’il croyait plus sérieuses. Les païens, de leur côté, lui reprochent d’avoir poussé son prince à cette fatale conférence d’où il ne revint pas. Ces accusations, qui sortent des sous-sols de l’histoire, devraient y rester. Du reste, le personnage est peu intéressant, et son règne fut très court. Il exigea, pour accepter l’empire, qu’on nommât augustes ses deux fils, Macrianus et Quietus. L’Égypte le reconnut[93] (fin de 260 ou commencement de 261).

Grâce à Odenath, l’Orient était délivré des Perses, mais il y avait à remettre l’ordre dans les esprits, la discipline dans l’armée, la confiance dans les populations. C’était de quoi occuper longtemps la sollicitude d’un prince. Macrien n’y songea pas : il voulut étendre sa puissance avant de l’avoir consolidée. Laissant Quietus et Balista en Asie, il passa en Europe, avec son autre fils Macrianus et trente mille hommes, pour renverser Gallien. Il s’était fait précéder d’un de ses généraux, Pison, qui devait le débarrasser du proconsul d’Achaïe, Valens, dont il redoutait les talents. Valens, menacé, prit la pourpre en Grèce : on prétend que Pison fit de même[94] en Thessalie, où il se réfugia ; mais ils avaient peu de troupes, probablement peu d’argent, et ils allaient se trouver pris entre les deux grosses armées de Macrien et de Gallien : leurs soldats les tuèrent[95].

Aureolus avait été récompensé de la défaite d’Ingenuus par la charge de maître de la cavalerie et par le gouvernement des provinces illyriennes. C’était le fils d’un pâtre de la Dacie : nouvelle preuve que le recrutement pour les plus hauts grades se faisait très bas. Chargé d’arrêter l’invasion syrienne, il en eut facilement raison : une partie de cette armée passa de son côté, et Macrien périt avec son fils[96]. La situation se simplifiait.

A la nouvelle de ce succès, Odenath assiégea dans Émèse le second fils de Macrien, Quietus, le mit à mort, et fit tuer peu de temps après Balista, le seul homme qui pût lui être un obstacle[97]. Le Palmyréen restait seul maître de l’Orient romain ; Gallien et Postume se partageaient l’Occident.

Ces guerres intestines n’étaient point faites pour arrêter les courses des Goths et des Sarmates dans l’Asie et la Thrace. Sur les côtes de l’Asie Mineure, ils brillèrent le temple fameux d’Éphèse, qui, avec ses cent vingt-sept colonnes de marbre précieux, hautes chacune de 60 pieds, les sculptures de Scopas et les dons des rois et des peuples entassés dans son enceinte, passait pour une des merveilles du monde[98]. Dans la Mœsie, ils prirent Nicopolis, qui avait arrêté Kniva, et en Macédoine ils assiégèrent Thessalonique, la clef de cette province. Leurs bandes, grossies par des esclaves fugitifs dont beaucoup étaient d’origine barbare, allèrent jusqu’en Grèce, où ils trouvèrent peu de butin et beaucoup de montagnes, qui rendaient la résistance facile ; ils paraissent y avoir éprouvé un échec[99]. Jordanès note la joie enfantine des Goths, quand, au retour, ils se trouvèrent, au pied des Balkans, près des sources chaudes d’Anchialos[100] (262-3).

Byzance, le boulevard de l’empire dans ces régions, avait une garnison nombreuse, qui, sans doute pour quelque retard de solde, se révolta et pilla la ville. Gallien s’y JU rendit et, suivant son habitude, se montra fort cruel dans la répression. Il y séjourna plusieurs mois, pour intimider les Barbares, qui avaient reparu en Cappadoce, et mettre quelque ordre dans ces provinces, où il fit relever les fortifications de plusieurs cités. En même temps il conduisait avec Odenath les négociations dont le résultat fut, l’année suivante (264), l’association du chef arabe à l’empire. De retour à Rome, Gallien célébra, avec toute la magnificence que l’état précaire de ses finances lui permit, la dixième année de son triste gouvernement.

Au printemps de 264, il songea enfin à venger son fils et à recouvrer les Gaules[101]. On prétend[102] qu’il offrit à Postume de décider leur querelle en combat singulier ; à quoi l’empereur gaulois aurait répondu qu’il n’était pas un gladiateur. Aureolus commandait les troupes de Gallien : il ne voulut ou ne sut pas profiter d’un succès considérable pour accabler Postume, et la guerre traîna en longueur. Malgré la défection d’un général du césar italien, Victorinus[103], qui, avec plusieurs légions, passa du côté du césar gaulois, et que celui-ci en récompense associa à l’empire (265)[104], Postume fut obligé de s’enfermer dans une place forte, où les troupes impériales vinrent l’assiéger. Gallien y fut blessé d’une flèche. Cette blessure et l’ennui d’une guerre qui ne finissait pas le décidèrent à laisser son entreprise inachevée. Il rentra en Italie et chargea Aureolus de veiller sur les passages des Alpes : précaution qui prouve que l’expédition des Gaules n’avait pas bien fini.

Postume, cependant, à demi victorieux, à demi vaincu, perdit à cette guerre le prestige que lui avaient donné ses rencontres heureuses avec les Barbares. Un compétiteur s’éleva contre lui, Lælianus[105] : il le battit ; mais, ayant refusé à ses soldats le pillage de Mayence, la principale place de la rébellion, une émeute éclata, et il y périt avec son fils (267). Les Germains profitèrent de ces désordres pour recommencer leurs courses et brûler plusieurs villes gauloises. Lælianus, que la mort de Postume avait sauvé, remporta sur eux quelques avantages, attestés par ses monnaies[106], et releva les châteaux de la rive droite, qu’ils avaient abattus. Les soldats, fatigués des travaux qu’il leur imposait, l’égorgèrent.

Victorinus avait sars doute préparé cette tragédie, qui le délivrait d’un compétiteur ; mais on lui en donna aussitôt lui autre, Marius, ancien ouvrier forgeron. L’Histoire Auguste n’assigne à celui-ci que trois jours de règne, afin de pouvoir dire que le premier il fut élu, qu’il régna le second, et qu’on s’en défit le troisième. Il faut probablement lui en accorder un peu plus. Un de ses anciens compagnons d’atelier, dont il refusa de toucher la main, le frappa d’une épée qu’ils avaient, dit-on, forgée ensemble[107].

L’ancien collègue de Postume, Victorinus[108], était resté durant ces catastrophes l’empereur des Gaules. Il y était né dans une riche famille, et un de ses parents, le sénateur Tetricus, gouvernait l’Aquitaine. Ces liens de parenté consolidaient sa puissance en faisant de lui, pour les Gaulois, un prince national, et il parut assez redoutable pour que Gallien, au lieu de l’attaquer en Gaule, craignît qu’il ne vînt lui disputer l’Italie. Mais des habitudes de grossières débauches ternissaient les qualités de Victorinus : il fut assassiné, à Cologne, par un soldat dont il avait outragé la femme (268)[109].

Le vrai prince avait été sous ce règne la mère de l’empereur, Victorina, femme au cœur viril, la Zénobie de l’Occident, qui, par ses largesses, exerçait un grand empire sur l’armée. Les soldats l’appelaient la mère des camps, et une médaille, il est vrai suspecte, lui donne le titre d’empereur. Si elle ne le prit pas, du moins elle en disposa, en faisant reconnaître par l’armée son parent Tetricus[110], prudent personnage à qui la pourpre brûlait les épaules et qui voulait vivre loin des camps, où les princes se faisaient et se défaisaient si vite. Il s’établit à Bordeaux, sous la protection de la déesse Tutela ; nous l’y laisserons attendre philosophiquement Aurélien et la fin d’un empire qu’il n’avait pas souhaité.

Un Dace, Regalianus, qu’on croyait descendant du fameux Décébale, avait le gouvernement de la Pannonie et de la Mœsie. S’il s’était montré bon général[111] et comptait un certain nombre de victoires sur les Sarmates. Il n’en fallait pas davantage pour décider soldats et provinciaux à faire un empereur d’un homme qui donnait aux uns du butin, aux autres de la sécurité, surtout quand le souvenir des cruautés de Gallien, en cette province, était encore dans toutes les mémoires. Regalianus fut donc revêtu de la pourpre. C’était le royaume pannonien qui se reconstituait, comme on a vu se former ceux de la Gaule et de l’Orient., toujours par les mêmes raisons, la défense du territoire remise au plus digne, puisque l’empereur officiel ne l’assurait pas. Regalianus finit mal : selon les uns, par une révolte des siens[112] ; selon les autres, sous les coups de Gallien.

En voyant l’empire mis en pièces, il n’y avait pas si mince personnage qui ne voulût en avoir un morceau. D’Antoninus, de Memor et de Cécrops, nous ne savons que les noms ; de Saturninus, on a gardé cette parole à ses soldats : Camarades, vous perdez un bon général et vous faites un misérable empereur ; de Celsus, ce souvenir, que ses amis, ne trouvant pas le manteau de pourpre indispensable pour consacrer un empereur, l’avaient couvert du péplum de la dea cœlestis de Carthage. La grande déesse se scandalisa sans doute de cette impiété, car il fut tué presque aussitôt. On jeta son corps aux chiens, qui le dévorèrent, et l’on cloua son portrait à la croix des condamnés à mort, afin d’éterniser l’infamie de ce malheureux, qui avait régné sept jours.

Æmilianus, aux bords du Nil, jouit un peu plus longtemps de son éphémère royauté, jusqu’à ce que Gallien, qui avait besoin des blés d’Égypte, envoyât contre lui Théodote, dont il avait déjà utilisé en Gaule les services et la fidélité. Vaincu et pris, Æmilianus fut étranglé dans sa prison. On met encore au nombre des usurpateurs un certain Trebellianus, chef de ces montagnards de l’Isaurie que jamais Rome n’avait humanisés ni disciplinés. Bandit de profession, écumeur de mer, il profita de l’universelle désorganisation pour étendre ses brigandages. Un frère de Théodote en eut raison et le tua. C’est le mot qui revient sans cesse et qui termine toutes ces histoires. Le patriotisme local était assez vif pour qu’on cédât au désir d’avoir un chef national : il n’était pas assez persévérant pour soutenir longtemps ces empereurs provinciaux qui, devant leur fortune à l’indiscipline et aux malheurs publics, en devenaient à leur tour les victimes. Les révoltes continuaient parce qu’elles avaient commencé, et l’on tuait parce que l’on avait tué.

Un seul de ces parvenus, précipités si vite, nous intéresse, le roi de Palmyre, le fondateur d’un État à demi arabe, qui, s’il avait pu se consolider, aurait changé la face de l’Orient. Pour cela, il était nécessaire qu’Odenath vécut, et, comme tous les autres, il fut assassiné. Nous reviendrons sur cette mort et sur ce royaume dans l’histoire d’Aurélien.

Que faisait Gallien au milieu de ces catastrophes ? Un ancien l’accable de toutes les malédictions[113] ; un autre le représente travaillant avec persévérance à conjurer les malheurs publics[114]. Quand arriva la nouvelle de la défection des Gaules et de l’Égypte : Ne peut-on vivre, lui fait dire Pollion, sans le lin d’Égypte et les draps d’Arras ? Cependant il ne manquait pas de courage ; il aimait la poésie, l’éloquence, les arts, et il fut sur le point, à la demande de l’impératrice Salonina, de donner à Plotin un canton de la Campanie pour y essayer la république de Platon. Mais que nous importent ces dons de l’esprit, riche et charmante décoration des règnes heureux ? En un pareil temps, il fallait à l’empire, non pas un faiseur de vers latins et grecs, mais un soldat. Gallien aurait pu régner, comme régneront bientôt Aurélien, Probus et Dioclétien. S’il ne l’a point fait, c’est qu’il en était incapable : laissons-lui donc sa mauvaise réputation.

En 267, Aureolus, ancien berger de Dacie[115], mais brave soldat, le vainqueur de Macrien dans la Thrace et l’adversaire de Postume dans la Gaule, fut chargé de garder, avec une armée, les passages des Alpes occidentales contre Victorinus, tandis que Gallien irait chasser de l’Illyrie des Barbares qu’on ne s’était pas attendu à trouver dans ces provinces. Ils venaient de loin, en effet ; de la mer d’Azoff étaient partis cinq cents navires, où aucune force n’était perdue, car ils portaient de nombreux guerriers[116] qui, à la mer, servaient de rameurs et, à terre, de combattants. Ils franchirent le Bosphore, la Propontide et l’Hellespont, tuant et pillant. Quand Mithridate assiégea Cyzique, quatre siècles plus tôt, cette ville avait trois arsenaux remplis d’armes, de blés, de machines de guerre et, dans son port, deux cents galères de combat. Malgré tant d’avertissements sinistres, donnés depuis trente ans à ces populations, les Goths n’y trouvèrent aucun préparatif de défense. La ville fut pillée ; Lemnos, Scyros, eurent le même sort. Le Péloponnèse, l’Épire, furent ravagés, et une de leurs bandes surprit Athènes, d’où la population s’enfuit. Un moine du douzième siècle raconte que les Goths, ayant réuni en un bûcher tous les livres trouvés dans la ville, allaient livrer aux flammes ces produits d’une civilisation qu’ils méprisaient, lorsqu’un de leurs chefs les en détourna. Laissons aux Grecs, leur dit-il, ces livres qui les amollissent et les déshabituent des armes. Montaigne a repris[117] cette boutade du moine, et Rousseau l’a répétée après lui. Les Goths ne faisaient pas tant de philosophie. Un Athénien d’ailleurs leur prouva qu’on pouvait être brave et lettré : Cléodémos, dit Zonare, réunit les fugitifs, arma quelques navires et tua bon nombre de maraudeurs ; le reste s’enfuit[118]. Zonare se trompe sur l’auteur de ce coup hardi : le dernier des héros d’Athènes fut l’historien Dexippos. La ville ayant été enlevée par surprise, deux mille Athéniens réfugiés sur une montagne boisée y résistèrent à toutes les attaques. Des Grecs accoururent à ce camp du refuge ; on fit des sorties heureuses, et quelques galères impériales, qui survinrent, brisèrent les embarcations des Barbares. Ceux-ci ne s’en mirent pas en peine ; ils allèrent rejoindre ceux de leurs compagnons qui pillaient le Péloponnèse et la Béotie, entrèrent par l’Acarnanie dans l’Épire, et formèrent l’audacieux projet de, retourner chez eux par l’Illyricum. C’est pour les arrêter que Gallien y était venu. Il détruisit quelques-unes de leurs bandes, en acheta d’autres et fit consul un de leurs chefs. Nous serions tentés de croire qu’il mit une toge consulaire sur les épaules de cet Hérule avec le même sentiment que nous donnons un chapeau à plumes à un roi nègre de la côte d’Afrique. Mais le gendre des Marcomans, qui avait laissé prendre une si grande influence à Pipa, sa jeune épouse barbare[119], voulut que cette cérémonie eût toute la gravité officielle, et le fait est plus important qu’il ne parait d’abord. Nous savions déjà que les Barbares, admis dans les troupes auxiliaires, puis faits citoyens, remplissaient les légions. Voici qu’ils passent, sans transition, de la barbarie au consulat. L’invasion se faisait par en bas ; elle va aussi se faire par en haut[120], et, en conséquence de cette lente mais continuelle infiltration, elle se trouvera accomplie le jour où elle paraîtra commencer, avec l’attaque furieuse de 405. Voilà pourquoi tout ira déclinant durant deux siècles dans cet empire, romain encore à la surface, au fond, pénétré de jour en jour davantage d’éléments germaniques[121].

Pendant que Gallien guerroyait en Illyrie, Aureolus trouva l’occasion propice pour soulever l’Italie et se saisir de Rome. L’empereur le vainquit à Pontirolo (Pons Aureoli), sur l’Adda, et l’assiégea dans Milan. Mais, au milieu de son propre camp, Aurélien, Héraclius, Claude, les chefs les plus importants de l’armée, conspiraient contre le prince violent et efféminé sous qui l’empire était tombé si bas. Un jour que, à la nouvelle d’une sortie tentée par Aureolus, Gallien s’était jeté sans armes sur un cheval, un conjuré le perça d’un trait (22 mars 268). Son frère Valerianus fut tué après lui. Celui-ci était un doux et brillant jeune homme, qui, moissonné à l’âge des espérances, laissa une mémoire aimée. Claude avait ordonné sa mort par raison d’État ; il lui éleva un sépulcre sur lequel il fit graver ces mots où l’on voudrait sentir un regret à demi étouffé : Valerianus, imperator[122].

On a pu remarquer que toute la défense, sous ce règne, s’arrête au Danube et au Rhin : cela signifie que les terres décumates et la Dacie, d’où le haut empire tenait la barbarie en bride, étaient perdues[123]. Les troupes romaines ne savaient même plus garder la ligne des deux fleuves, que des bandes armées franchissaient incessamment, dans l’intervalle des grandes invasions, de sorte que l’inquiétude était partout. C’est l’état où se trouvera la France à l’époque des incursions normandes. Aussi, comme on le fera à l’origine des temps féodaux et par les mêmes raisons, les provinces se couvraient de châteaux forts et on relevait les murailles des villes. Gallien reconstruisit celles de Vérone, la porte de l’Italie[124], et chargea deux ingénieurs de Byzance de fortifier les places de la Mœsie[125] ; Claude II rebâtira les murs de Nicée[126] ; Aurélien, Probus, ont certainement continué ces travaux de défense, et, les Barbares pénétrant au loin dans les provinces, les villes de l’intérieur s’enveloppaient de remparts comme celles des frontières. Les empereurs des deux premiers siècles n’avaient pas eu besoin de tant de prudence, parce qu’ils avaient fait de l’empire une immense cité, paisible et laborieuse, dont il avait suffi de couvrir les approches par des avancées, que des soldats disciplinés rendaient inabordables. Les deux époques sont caractérisées par leurs monuments : dans l’une, les œuvres de la paix, de la force et de la confiance ; dans l’autre, les œuvres de la guerre, de la faiblesse et de l’effroi.

 

 

 

 



[1] C. Messius Quintus Trajanus Decius, né en 201, suivant Aurelius Victor ; en 191, suivant la Chronique d’Alexandrie.

[2] Militiæ gradu ad imperium (Aurelius Victor, de Cæsaribus, 29).

[3] Surtout Zosime (I, 21-25) et Aurelius Victor (29).

[4] On a un rescrit de lui, daté du 16 oct. 249, au Code, X, 16, 3, et, suivant Eckhel, Philippe vivait encore le 29 août de cette année.

[5] Eckhel, t. VII, 342. Aurelius Victor (29) dit que le césar fut aussitôt envoyé in Illyrios. Dèce avait un second fils, C. Valens Hostilianus Messius Quintus, qui fut aussi nommé césar et prince de la jeunesse.

[6] Sur les pensions faites aux Goths, peut-être dés le temps d’Alexandre Sévère, voyez Tillemont, III, 216. Jordanès a résumé, dans son Hist. des Goths, un grand ouvrage, aujourd’hui perdu, de Cassiodore, le ministre favori du grand Théodoric. Voyez, sur la guerre Gothique, Wietersheim, op. cit., au tome II, où il discute les récits contradictoires de Jordanès, Zosime, Zonare et Aurelius Victor. Ces détails perdent d’ailleurs tout leur intérêt devant le fait trop certain du désastre de l’armée romaine et de la mort de Dèce.

[7] Post longam obsidionem, accepio præmio ditalus Geta recessit (Jordanès, 17).

[8] C’est la manœuvre qui donna la victoire aux Russes dans la dernière guerre.

[9] Aurelius Victor (29) fait aller les Goths jusqu’en Macédoine, où ils auraient décidé l’usurpation de Priscus.

[10] Avant l’invasion de Kniva, Dèce doit avoir eu quelques succès en Dacie, car une inscription l’appelle restitutor Daciarum (Orelli, 991), et contre les Germains, victoria Germanica (Eckhel, t. VII, 344-5), mais il n’y en a point trace dans les histoires.

[11] Valerianus, 1.

[12] Zonare (XII, 22) fait même de Valérien le collègue de Dèce.

[13] De Lapsis, passim.

[14] Saint Pionius, prêtre de Smyrne et martyr en 250. (Ap. Bollandistes, 1er févr., p. 45.) Allusion à la parabole des vierges folles et des vierges sages : an omnino dormitaverunt omnes virgines et dormierunt.... (Id., ibid.)

[15] Origène (Contra Celsum, III) dit que, jusqu’à la grande persécution de Dèce, il n’y a eu qu’un très petit nombre, très facile à compter, de chrétiens mis à mort.

[16] S. Cyprien, Ep., 8, 52, 53, et le de Lapsis ; Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 39, 41 ; Grégoire de Nysse, dans la Vie de Grégoire le Thaumaturge ; Tillemont, III, 326-245.

[17] Excepté en Égypte, où se trouva sans doute un gouverneur particulièrement animé contre les chrétiens. Dans Alexandrie, une émeute populaire avait coûté la vie à plusieurs chrétiens avant l’arrivée de l’édit de Dèce. (Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 41.) Après la publication de l’édit, il y eut beaucoup de chutes et un certain nombre de martyrs. Toutefois. Denys, évêque d’Alexandrie à cette époque, ne nomme comme martyrisés, après l’édit, que neuf hommes et quatre femmes. (Ibid.) Il y en eut certainement davantage.

[18] Origène, qu’on appelait Άδαμάντιος (Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 14), avait alors soixante-cinq ans. Il venait d’écrire, entre 245 et 249, son grand traité contre Celse, le Λόγος άληθής. Saint Cyprien disait des confesseurs africains : Nec cessistis suppliciis, sed vobis potius supplicia cesserunt (Ep. 10).

[19] S. Jérôme, Vita Pauli, t. IV, p. 68.

[20] Saint Cyprien (Ep. 52) parle de la haine de Dèce contre les évêques. Voyez, dans la Vie de Grégoire le Thaumaturge, la sévérité des ordres envoyés aux gouverneurs pour qu’ils ramenassent les chrétiens τή τών δαιμόνων λατραϊα... φόβωτε xαί τή τών αίxιοματών άναγxή.

[21] Avec lui périt une esclave fugitive.

[22] Si les Actes de saint Acace sont authentiques (Bollandistes, 10 mars), Dèce aurait lui-même ordonné la mise en liberté de cet évêque.

[23] C. Vibius Trebonianus Gallus, né en 206, suivant Aurelius Victor ; en 194, selon la Chronique d’Alexandrie. C’était peut-être un Africain, originaire de l’île de Meninx.

[24] Eckhel, t. VII, 365. Après la mort d’Hostilianus, son beau-frère fut fait auguste (ibid., 566) et régna de nov. 251 à févr. 254.

[25] Vers la fin d’août 353. (Eckhel, t. VII, 371.)

[26] A la fin de 253. Pour cette chronologie difficile a établir, j’ai suivi Eckhel, qui en a savamment discuté les bases.

[27] M. Æmilius Æmilianus. (Orelli-Henzen, n° 5542.)

[28] Eutrope (IX, 6) dit qu’il fût tué tertio mense.

[29] P. Licinius Valerianus était d’une vieille famille et âgé peut-être de soixante-trois ans. Sa première puissance tribunitienne, comptée du vivant de Gallus, est de l’année 253. (Eckhel, t. VII, 376.)

[30] Trebellius Pollion, Tyr. trig., 20 ; Vopiscus, Aurelius, 8, 9, 11-15 ; Probus, 3-5.

[31] Zosime est très sévère pour Valérien (I, 36).

[32] Toutes les monnaies de Publius Licinius Egnatius Gallienus lui donnent le titre d’auguste ; aucune, celui de césar.

[33] Jamais les fêtes ne furent plus multipliées que sous Valérien et Gallien. (Eckhel, t. IV, 422.)

[34] Puer. Le mot est dans une lettre citée par Vopiscus (Aurelius, 9) et dont on a révoqué en doute l’authenticité sans motifs suffisants. Il est vrai qu’Aurelius Victor donne trente-cinq ans à Gallien au temps de son avènement.

[35] Ils semblent être entrés en Gaule par la vallée de la Moselle, où l’on a trouvé beaucoup de monnaies de ce temps, qui furent sans doute enfouies à leur approche.

[36] Eusèbe met la prise de Tarragone par les Francs en 263. Suivant Orose (VII, 22), ils seraient restés douze ans en Espagne (256-268).

[37] A la fin du quatrième siècle. (Ep., XXV, 5, 5.)

[38] Voyez mon Mémoire sur les tribuni militum a populo.

[39] Eckhel, t. VII, 385, 390-1. Postume fit graver des monnaies semblables. (Ibid., 447.)

[40] Vopiscus, Aurelius, 6. La date de ce fait est incertaine. Tillemont le place trop tôt, en 242 ; car la lettre de Valérien au préfet de la ville (ibid., 9), où l’empereur l’appelle liberator Illyrici, Galliarum restitutor, et fait allusion à des services considérables qui venaient mettre Aurélien en lumière, est de 257.

[41] Dexippos, Excepta de Legat., dans la Byzantine ; Orose, VII, 22.

[42] Zonaras dit trois cent mille ; mais il ajoute que Gallien les battit avec dix mille hommes.

[43] Pipa, malgré l’amour de Gallien, ne fut qu’une concubine. Il ne reste d’elle ni une médaille ni une inscription, tandis que Salonina est toujours qualifiée d’augusta. Sur des monnaies de Gallien, on voit les bustes des deux époux. Il existe une monnaie de Salonina avec la légende in pace, qui est une formule chrétienne. Je ne crois cependant pas que Salonina soit résolument entrée dans l’Église, où l’on n’était reçu qu’après une répudiation éclatante des rites païens, et l’impératrice qui bâtit un temple à la déesse des Moissons, Segetia, n’a certainement point fait cette abjuration. Mais, curieuse des idées qui couraient de son temps, l’âme troublée par les malheurs de l’empire et par ses chagrins domestiques, l’amie de Plotin a sans doute aspiré à la paix que le christianisme et les néo-platoniciens promettaient i leurs morts. Son époux, qui promulgua le premier édit de tolérance en faveur des chrétiens, aura donné ce témoignage suprême à l’impératrice, qui l’avait peut-être incliné à la bienveillance envers les adhérents de la religion nouvelle. Voyez le Mémoire de M. de Witte sur l’impératrice Salonine, 1852.

[44] Aurelius Victor, 55 ; cf. id., 27. Depuis cette époque, le prœfectus legionis remplaça le légat légionnaire.

[45] Un autre, Valens, qu’on verra un moment empereur, paraît avoir fait lever aux Goths le siège de Thessalonique. Du moins, dans Ammien Marcellin (XXI, 16), il porte le surnom de Thessalonicus.

[46] Vopiscus, Aurelius, 10.

[47] Les rois du Bosphore mettaient au revers de leurs monnaies la tète de l’empereur régnant : Decius, Gallus, Volusianus, Hostilianus, Æmilianus, Gallienus, Odenath, Probus, etc. Cf. Eckhel, t. III, p. 306, et Cary, Hist. des rois du Bosphore, p. 76-8. Mais ces rois étaient maintenant à la discrétion des Barbares, leurs voisins. Ainsi une lacune de plusieurs années, dans les monnaies de Rhescuporis IV, annonce des troubles dont un usurpateur barbare, Ininthimevus, profita. Pharéansès, qui semble n’avoir régné que peu de temps vers 253, a encore un nom d’une physionomie douteuse. Un Rhescuporis VII régna de 254 à 266 et probablement plus longtemps. (Trésor de numismatique, p. 63.)

[48] Il y eut deux expéditions : la première, qui échoua, peut-être en 255 ; la seconde, qui réussit, en 257. (Zosime, I, 32-3.)

[49] Jordanès (de Gothorum gestis, 20) dit que les Goths avaient brûlé Ilium et le temple de Diane à Éphèse ; il ajoute que de son temps (sixième siècle), on voyait encore à Chalcédoine les ruines qu’ils avaient faites. Zosime (I, 35) ne dit pas quel était ce Chrysogonos, mais on voit que ces Barbares n’étaient pas assez barbares pour ne pas savoir tirer parti des traîtres et recueillir les informations nécessaires au succès de leurs expéditions.

[50] Vopiscus, Aurelius, 73. Valérien lui donna alors, non pas le consulat, comme le dit Vopiscus, mais les ornements consulaires. Les inscriptions et les monnaies prouvent qu’Aurélien fut consul pour la première fois en 279. Voyez Eckhel, t. VII, p. 479.

[51] Les anciens n’aimaient pas à s’aventurer sur l’Euxin avant le mois de mai et après celui de septembre.

[52] Sozomène (Hist. ecclés., 11, 6) et Philostorge (Hist. ecclés., II, 5) disent que parmi les captifs se trouvèrent des prêtres qui convertirent une grande quantité de Barbares des bords du Danube et du Rhin. L’œuvre de conversion commença peut-être parmi les Goths dès cette époque en 525, un évêque de ce peuple siégera au concile de Nicée ; mais dans la Germanie occidentale, il n’y eut pas de chrétiens, avant Clovis, parmi les Francs que Sozomène semble désigner, et les Alamans se sont convertis encore plus tard.

[53] Pline avait arrêté en Bithynie un émissaire de Décébale à Chosroês. Sous Marc-Aurèle, la puissante ligue marcomannique se forma en 165, peu de temps après les grands succès de Vologèse en Arménie et sur les légions syriennes.

[54] Le fils de Chosroês, Tiridate, fut sauvé par les satrapes, qui l’envoyèrent à Rome ; en 287, Dioclétien le fit remonter sur le trône de ses pères. (Moïse de Khorène, Hist. Armeniaca, II, 69-75.)

[55] Sur l’infanterie persane, voyez Ammien Marcellin, XXIII, 6.

[56] C’est le récit de Zosime (I, 5). Zonare (XII, 25) parle d’un combat et d’une défaite. Il ajoute qu’on gardait aussi le souvenir d’une révolte de l’armée qui aurait forcé Valérien à se réfugier prés de Sapor.

[57] Agathias dit même qu’il fut écorché vif.

[58] Quelle est, dans ce récit, la part de la légende et celle de la vérité ? On ne saurait le dire. Une lettre de Constantin à Sapor II, citée par Eusèbe (Vie de Const., IV, 11), et les paroles de Galère à Narsès, rapportées par Pierre le Patrice (Excerpta de Legat., dans la Byzantine), attestent que Valérien a certainement subi la plus humiliante des captivités ; elle dura, selon la Chronique d’Alexandrie, jusqu’en 269. Mais Trebellius Pollion (Tyr. trig., 14) met la mort de Valérien avant celle d’Odenath, par conséquent en 266 : .... iratum fuisse reipublica : Deum credo, qui, interfecto Valeriano, noluit Odenatum reservari.

[59] Le bas-relief de Darabgerd montre Sapor foulant aux pieds de son cheval un homme renversé, sur la tête duquel on a cru voir un reste de couronne de laurier. (Flandin, Perse ancienne, pl. XXXIII.) Mais c’était un symbole de victoire fort usité chez les Perses, et l’on ne saurait en conclure que cette sculpture représentât une action réelle.

[60] Ammien Marcellin (XXIII, 5) met cet événement sous le règne de Gallien, par conséquent après la captivité de Valérien.

[61] Jean Malalas.

[62] Zonare, XII, 23.

[63] Ammien Marcellin (XXIII, 5) parle aussi de cette retraite précipitée.

[64] Ou Mariadès. Cf. Fragm. hist. Græc., t. IV, p. 992 (Didot).

[65] Ces lettres ont été évidemment fabriquées, car les archives de la Perse n’ont pas été ouvertes aux écrivains de l’Histoire Auguste.

[66] Freppel, Saint Cyprien, p. 477-78, d’après les actes proconsulaires du martyre de saint Cyprien. Denys, évêque d’Alexandrie, ne fut aussi qu’exilé dans le désert de Libye, à trois journées de Parætomium. (Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 11.) Interrogé par le préfet d’Égypte, il avait fait la réponse fameuse de saint Pierre (Actes, V, 29) que Polycrate d’Éphèse avait déjà répétée (Eusèbe, Hist. ecclés., V, 24) et par laquelle le lien social peut être toujours brisé : a Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, c’est-à-dire à ses idées personnelles que l’on croit être de révélation ou d’inspiration divine, et non pas à la loi commune. Dans le cas des chrétiens, l’État avait tort, et leur résistance était légitime ; mais la formule était dangereuse, car elle ne servira pas toujours à sauvegarder des droits qui doivent être sacrés, ceux de la conscience.

[67] S. Cyprien, Ep. 82, à Successus. L’édit de Valérien s’y trouve.

[68] Freppel, Saint Cyprien, p. 490-491, d’après les actes proconsulaires.

[69] Pour le détail de cette persécution, voyez Tillemont, III, p. 415-440. Les actes du martyre de saint Denis, rédigés au septième ou au huitième siècle, n’ont aucune autorité.

[70] Orose, VII, 22.

[71] Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 13. Gallien semble avoir été débonnaire. Un marchand ayant vendu à Salonina des pierres fausses, il le condamna à être mangé par un lion et fit lâcher contre lui un chapon. Tout le monde de rire et l’empereur de s’écrier : Il a trompé, on le trompe ! (Hist. Auguste, Gallien, 12.)

[72] Fragm. hist. Græc., t. IV, p. 193 (Didot).

[73] En avril 258, Odenath avait déjà reçu les ornements consulaires. (Waddington, Inscr. de Syrie, n° 2602.)

[74] Pierre le Patrice, Excerpta de Legat., 2.

[75] Eutrope, IX, 10, 11 ; Malalas, XII, p. 227 ; Zonare, XII, 23.

[76] M. de Vogüé (Inscr. sémitiques, p. 29 et suiv.) ne croit pas qu’Odenath ait porté le titre d’auguste. Mais, comme le remarque M. Waddington (Inscr. de Syrie, p. 601), à Palmyre, on ne se piquait pas de traduire très exactement les noms des fonctions romaines, et comme Zénobie est appelée dans une inscription εεβαστή ou augusta, on peut en conclure que ce titre lui était donné comme veuve d’un εεβαστός.

[77] On arrivera à vingt-neuf césars ou augustes égorgés en moins de douze ans, si l’on compte les fils d’empereurs à qui leurs pères avaient donné la pourpre.

[78] On le croyait du moins, mais on ne peut prouver qu’il fût de cette illustre famille des Pisons, qu’Horace appelait Pompilius sanguis (Ars pœt., 292), parce qu’ils prétendaient descendre de Numa. On n’est même pas sûr que Pison ait pris la pourpre. (Voyez plus loin.)

[79] Trebellius Pollion, Tyr. trig., 8. Ce réveil du patriotisme provincial se montre en deux choses beaucoup de villes, en Gaule, par exemple, quittent, au troisième siècle, leur nom romain pour prendre celui de leur peuple ; et quand les empereurs démembrent un ancien gouvernement pour organiser de nouvelles provinces, c’est le plus souvent en donnant à celles-ci les limites que ces régions avaient eues au temps de leur indépendance.

[80] M. Cassianius Latinius Postumus (C. I. L., II, n° 4943).

[81] Obscurissime natus (Eutrope, IX, 9).

[82] Eckhel (t. VII, p. 391 et 438) met la reddition de Cologne en 259. —L’Histoire Auguste (Tyr. trig., 3) donne à Postume un fils que Valérien avait nommé tribun des Voconces, et que son père aurait pris pour collègue ; mais, quoique nous possédions une grande quantité de médailles de Postume, aucune ne donne à penser que son fils, qui n’avait que des goûts littéraires, ait été fait césar, puis auguste, et l’adoption de Victorinus confirme ces doutes. (Eckhel, t. VII, 447, et de Witte, Revue de numism., t. IV, 1859.)

[83] Bréquigny, Hist. de Post., p. 356, au tome XXX des Mém. de l’Acad. des inscr. Cette opinion s’appuie, il est vrai, sur deux lectures douteuses de légendes monétaires qui paraissent être d’une autre époque ; mais elle a pour elle la vraisemblance. (Eckhel, t. VII, 442.)

[84] M. de Witte les a réunies dans un savant livre. Le sénat de Posthume frappa comme celui de Rome des monnaies de bronze, avec le sigle SC.

[85] Mionnet, II, 61, 68.

[86] Salus exercitus (Mionnet, II, 64).

[87] Le chiffre V, placé à la suite de ce titre, paraît à Eckhel (t. VII, p. 439) signifier une Ve victoire remportée sur les Germains. Une autre monnaie, qui confirme la première, porte IMP. V.

[88] C’est la signification probable de deux médailles qui portent les légendes inusitées : Mercurio felici et Minerva fautrix. (Eckhel, t. VII, p. 445.)

[89] Les bronzes de Postume sont très défectueux, mais ses pièces d’or égalent les plus belles des empereurs précédents, et ses monnaies d’argent ont encore un peu de métal fin, tandis que celles de Gallien n’en contiennent plus. D’après les pièces qu’on a trouvées dans les dépôts de ce temps, on est autorisé à conclure que les monnaies de la Gaule n’étaient pas reçues en Italie et, réciproquement, que celles de Gallien n’avaient pas cours en Gaule. (Mommsen, Hist. de la monnaie rom., t. II, p. 924.)

[90] Cf. Fragm. hist. Græc., t. IV, p. 194 (Didot). Il se peut que cette révolte d’Ingenuus soit antérieure à l’invasion des Alamans en Italie.

[91] Voyez la lettre de Gallien à Verianus Celer. (Trébellius Pollion, Ingenuus.)

[92] Fulvius Macrianus. Voyez, dans Trébellius Pollion (Tyr. trig., 12), le curieux discours de Balista à Macrien.

[93] Sur le misérable état d’Alexandrie, désolée alors par la peste et par les émeutes, voyez Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 21-22.

[94] L’éloge de Pison, prononcé par le prince du sénat, et le sénatus-consulte qui lui décerna une statue triomphale (Trébellius Pollion, Tyr. trig., 20), ne permettent pas de penser que Pison ait pris la pourpre.

[95] Pison fut peut-être tué par des émissaires ou par les troupes de Valens, qui prit le surnom de Thessalicus. (Trébellius Pollion, Tyr. trig., 20.)

[96] Dans la neuvième année du règne de Gallien, par conséquent avant le 29 août 262 et probablement à la fin de 261.

[97] Suivant d’autres récits, Odenath aurait épargné Balista, qui vécut en simple particulier sur une terre qu’il possédait près de Daphné.

[98] Ce temple avait 425 pieds de long sur 220 de large. (Pline, Hist. nat., XXXVI, 21.) Le pied romain équivaut à 0m,296.

[99] Trébellius Pollion, Gallien, 5.

[100] Les aquæ calidæ étaient à 15 milles au nord de celle ville, qui s’élevait au bord de l’Euxin, et elles avaient une grande réputation, inter reliqua totius mundi thermorum innumerabilium loca omnino præcipue ad sanitatem infirmorum efficacissimæ (Jordanès, 20).

[101] Eckhel (t. VII, p. 238) croit qu’il y eut des hostilités entre Gallien et Postume dès 260.

[102] Fragm. hist. Græc., t. IV, p. 194.

[103] Du moins les monnaies de Victorinus portent des noms de légions que l’on sait avoir été dans l’armée de Gallien. (Cf. Eckhel, t. VII, p. 402 et 451.)

[104] C’est l’avis très autorisé de M. de Witte, Revue de numismatique, nouvelle série, t. VI, 1861.

[105] Witte, Revue de numismatique, t. IV, 1859.

[106] Cohen, V, 60. Une monnaie de Lælianus représente l’Espagne, où il n’a certainement pas commandé, mais il la comprenait dans son gouvernement. (Eckhel, t. VII, p. 449.)

[107] On a de lui des monnaies et des inscriptions qui font supposer un règne plus long. De Boze (Mém. de l’Acad., XXVI, 512) le fait régner quatre à cinq mois, de septembre ou octobre 267 à janvier ou février 268.

[108] Marcus Piavonius Victorinus (Orelli-Henzen, n° 5548 ; Eckhel, t. VII, p. 450.)

[109] Dans les premiers mois de cette année, puisque, à la fin de mars, le sénat demande à Claude de renverser Tetricus. On vient de trouver des monnaies de Victorinus en Angleterre.

[110] C. Pius Esuvius Tetricus (Borghesi, t. VII, p. 430, n. 4). Il fut proclamé à Bordeaux avant mars 268. De Witte, Revue de numism., t. VI, 1861 ; et Recherches sur les empereurs qui ont régné dans les Gaules au troisième siècle.

[111] Voyez la lettre où Claude le félicite de ses succès, en lui insinuant de ne pas trop les multiplier, de peur d’éveiller la jalousie de Gallien, à qui personne ne dit la vérité, ni sur ceux qui le servent bien ni sur ceux qui le servent mal. (Trébellius Pollion, Tyr. trig., 10.)

[112] Trébellius Pollion, Tyr. trig., 10.

[113] Trébellius Pollion, dans l’Histoire Auguste. Il écrivait au temps du césar Constance, qui descendait de Claude II (Gallien, 44), et Claude fit tuer Gallien. Celui-ci devait donc être pour Pollion un condamné, comme il l’avait été pour Claude.

[114] Zosime, I, 30-45.

[115] Zonare, XII, 24.

[116] Gibbon dit quinze mille, en s’appuyant d’un texte de Strabon, qui donne vingt-cinq à trente hommes d’équipage aux bateaux de l’Euxin. Mais rien ne prouve que, trois siècles après Strabon, ces navires n’étaient pas plus grands.

[117] Essais, I, 24. C’est le souvenir classique des paroles rapportées par Cicéron au de Senectute, 95, à propos des doctrines d’Épicure.

[118] Zonare, XII, 26.

[119] .... quam is perdite dilexerit. Pour lui plaire, il semait lui-même sa noire chevelure de poudre d’or et voulait que ses amis s’accommodassent ainsi. Gallienus cum suis semper flavo erinem candit (Trébellius Pollion, Salon. Gall., 3).

[120] Voyez quels lieutenants Valérien donne à Aurélien.

[121] Une médaille de cette année se rapporte à un succès naval obtenu sur les Goths, qui, revenant d’Asie chargés de dépouilles, furent battus d’une tempête sur l’Euxin et ensuite par une flottille romaine. (Eckhel, t. VII, p. 594, et Trébellius Pollion, Gallien, 12.)

[122] Trébellius Pollion, Valeriani duo, 8. Il était fils d’une seconde femme de Valérien. Eckhel (t. VII, p. 427-435) croit qu’il ne fut jamais ni césar ni auguste, malgré l’assertion précise de Trébellius Pollion. Le mot imperator ne serait plus alors que le titre militaire ; mais depuis longtemps ce titre ne se donnait qu’aux souverains. Zonare dit qu’un second fils de Gallien fut mis à mort par ordre du sénat.

[123] Aurelius Victor, Eutrope et Orose (VII, 22) mettent sous ce règne la perte de la Dacie. La série des monnaies d’Odessus (près de Varna), qui commence à Trajan et s’arrête à Salonina, femme de Gallien, prouve que cette partie de la Messie, où les Goths avaient détruit Istria, tendait à se détacher de l’empire.

[124] Aussi Vérone prit son nom : Colonia Augusta Verona Nova Gallieniana, inscription de la porte de Vérone dite aujourd’hui de Borsari. (C. I. L., V, 3329.)

[125] Trébellius Pollion, Gallien, 13 : .... instaurandis urbibus muniendisque præfecit. Un de ces ingénieurs s’appelait Athénée, et nous avons d’un auteur de ce nom, dans les Malhematici veteres, 1695, un traité sur les machines de guerre.

[126] Letronne, Journal des Savants, 1827.