I. — DÈCE (249-251) ; GOTHS ET CHRÉTIENS.Dèce était né dans une famille romaine établie au bourg de Bubalia, près de Sirmium[1]. Il commence la longue liste des empereurs sortis de l’Illyricum et dont plusieurs rendirent de grands services à l’empire. Les qualités brillantes leur manquent, mais ce sont des esprits nets et des caractères énergiques comme il devait s’en former dans ces provinces pauvres et belliqueuses. Dèce était de petite condition et fit son chemin par l’armée[2]. Des anciens font de lui beaucoup d’éloges[3], que son règne ne justifie pas : il fut très court, et l’histoire en est singulièrement confuse ; aussi prête-t-elle à beaucoup de contradictions. Trois faits s’y détachent pourtant avec netteté, et cela nous suffit : la guerre contre les Goths, le rétablissement de la censure, qui indique un retour vers les anciennes coutumes, et, comme conséquence, une persécution contre la grande nouveauté du temps, le christianisme. Après sa victoire près de Vérone (sept. 249)[4], Dèce se rendit à Rome avec son fils Quintus Herennius Etruscus, qu’il avait nommé césar[5] ; mais il fut presque aussitôt forcé d’en sortir pour aller repousser une invasion gothique. Confiant dans les succès qu’il avait remportés en Thrace
sur ces Barbares, Gordien III avait supprimé le subside annuel promis à cette nation. Du
moins Jordanès[6]
raconte que le roi Ostrogotha s’en plaignit et qu’il passa le Danube avec
trente mille des siens, pour saccager
Quand les Goths revinrent avec un riche butin, les Gépides
voulurent piller les pillards ; une bataille acharnée s’ensuivit, où les
premiers restèrent vainqueurs. Ces événements se passaient durant le règne de
Philippe. L’invasion avait été si désastreuse pour Sous Dèce, Kniva, successeur d’Ostrogotha, fit une
invasion plus formidable ; il divisa ses forces en deux corps, envoya l’un
saccager la partie de
Plan de Philippopolis. C’était le premier empereur qui tombait sous les coups de l’ennemi en pleine terre romaine. Aussi ce désastre porta la terreur dans les provinces, la joie et l’espérance dans le monde barbare ; il était le prologue terrible du grand drame qui ne finira que le jour où la race germaine, après avoir couvert de sang et de ruines toute l’Europe romaine et une partie de l’Orient, fera monter un Hérule au palais d’Auguste et de Trajan. Dans la très courte durée de son principat, Dèce avait commis deux grandes fautes et une erreur. Malgré son expérience, il ne sut ni préparer la guerre contre les Goths ni la bien conduire, et la conséquence fut le ravage de deux provinces et sa mort. Comme il aurait eu l’honneur du succès, il doit avoir le blâme du revers. Sa seconde faute fut la persécution des chrétiens. Quant à l’erreur, elle marque une naïveté politique qu’on s’étonne de trouver dans un homme. de cet âge ; il rétablit la censure, oubliée depuis Claude et Domitien, et le sénat en investit Valérien. Va, lui dit l’empereur, va prendre la censure de l’univers ; tu diras ceux qui doivent rester au sénat et tu rendras son lustre à l’ordre équestre ; tu régleras le cens et la perception des impôts ; tu feras les lois et les nominations aux grades militaires. Ta vigilance s’étendra jusque sur le palais impérial et sur tous les magistrats, excepté le préfet de Rome, les consuls ordinaires, le roi des sacrifices et la grande vestale. Si Trebellius Pollion[11] a lu ces paroles dans les actes publics, c’était un collègue temporaire que Dèce se donnait, une sorte d’interroi qu’il laissait derrière lui dans la capitale, au moment où il partait avec son fils pour une guerre dangereuse[12]. On peut même voir, dans cette mesure, une nouvelle manifestation de la pensée qu’il était sage de partager entre plusieurs les pouvoirs impériaux ; d’avoir, comme au temps de Pupien et de Balbin, un empereur de la ville et un empereur de l’armée. On avait très justement laissé tomber en désuétude la censure, institution bonne dans une petite cité, impraticable dans un grand État. Nais, s’il était impossible de restaurer le passé, il semblait possible de proscrire certaines choses du présent, et Valérien, qui ne ramena pas les anciennes mœurs, fit pour le compte de Dèce, et plus tard pour le sien, rude guerre aux nouvelles croyances. L’idéal des chrétiens était plus haut que celui de Marc Aurèle, mais il était moins désintéressé. Le sage égaré sur le trône ne demandait rien en retour de l’accomplissement du devoir ; aussi bien peu l’avaient suivi. Le chrétien au contraire comptait avec Dieu, comme la foule des païens avait compté avec Jupiter. En échange de leur piété, ceux-ci voulaient des biens terrestres ; en échange de la sienne, celui-là se croyait assuré d’une béatitude éternelle. Sa religion avait donc des séductions assez puissantes pour attirer à elle les esprits qui ne se résignaient pas à subir la loi de toute créature : après la vie, la mort, en laissant à Dieu le secret du tombeau. Aux espérances divines qu’elle donnait, l’Église ajoutait des paroles et des pratiques pleines de douceur. Au milieu d’une société aristocratique, très dure pour les humbles, elle enseignait l’égalité de tous, grands ou petits, Romains ou Barbares, devant la loi religieuse, et elle promettait a aux serviteurs de Dieu n, qu’ils fussent esclaves ou sénateurs, les mêmes récompenses. Son esprit de charité, sa sollicitude pour les malades et les pauvres, les qualités nouvelles qu’elle réclamait à la place de celles que les Romains avaient perdues, en perdant la dignité du citoyen, lui avaient gagné bien des cœurs. Mais tandis que le nombre des fidèles croissait, la vertu des premiers jours semblait diminuer. A lire saint Cyprien, on croirait que la paix dont l’Église jouissait depuis quarante ans avait été fatale à la discipline et aux mœurs ; que la piété était morte dans les prêtres, la probité dans les ministres, la charité dans les fidèles, et que tous les vices de la société païenne avaient envahi les membres de Jésus-Christ. Des évêques, méprisant le saint ministère, allaient de province en province, pour gagner davantage. Au lieu d’assister les pauvres, ils ravissaient par la fraude des terres et des héritages, et ils grossissaient leurs revenus par l’usure[13]. — Nous nous déchirions les uns les autres, dit un second contemporain, et nos péchés ont élevé un mur entre Dieu et nous. Aman nous insulte ; Esther, avec tous les justes, est dans la confusion, car toutes les vierges ont laissé leur lampe s’éteindre ; elles se sont endormies, et la porte de l’Époux est fermée. Quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il de la foi sur la terre ! Ah ! le Verbe de Dieu a le van à la main pour nettoyer son aire[14]. Ainsi que tous les orateurs de la chaire, Cyprien force le ton. Son tableau de la chute est trop noir, comme ses apologies ont de trop brillantes couleurs. Saint Cyprien écrivait au milieu de la persécution ; et puisque Dieu l’avait permise, il fallait en prouver la justice, les dérèglements des chrétiens devenaient nécessaires pour expliquer le châtiment divin. Les choses se passaient plus humainement. Depuis la courte persécution de Sévère[15], l’héroïsme n’avait pas eu l’occasion de se produire, et il s’en était suivi une détente dans l’exaltation, par conséquent moins de rigueur dans la vie. Mais la haine restait la même entre chrétiens et païens, et ceux-ci, en voyant tant de maux fondre sur l’empire, invasions des Barbares, peste meurtrière, perpétuelles révolutions, crurent les dieux irrités de l’impunité qu’on laissait à leurs blasphémateurs. Le gouvernement aussi s’inquiétait des progrès de cette puissance ennemie que, sous peine de périr, l’État païen devait s’assimiler ou détruire. Dèce, esprit étroit et dur, qui, dans son amour du passé, rêvait à ressusciter les morts, à rendre au sénat sa puissance et son foudre à Jupiter, se chargea de venger ses dieux. Il promulgua un édit qu’on afficha dans toutes les cités pour la recherche et la punition des chrétiens. C’était la guerre d’extermination qui commençait. Elle parut d’abord réussir, parce qu’on y mit plus encore d’adresse que de cruauté. Tous les efforts des proconsuls tendirent à obtenir des apostasies. Les tourments, dit saint Cyprien, ne finissaient pas. Ils étaient calculés non pour donner la couronne, mais pour lasser la patience[16]. Aussi les chutes furent-elles nombreuses. Pour sauver sa vie, le fils reniait son père, le père dénonçait son fils. — A Carthage, le plus grand nombre des frères déserta aux premières menaces de l’ennemi. Ils n’ont pas attendu qu’on les interrogeât ; mais, pour conserver des richesses qui tenaient leur âme captive, ils couraient d’eux-mêmes sacrifier aux idoles ; ils suppliaient le magistrat de les recevoir sur l’heure à brûler l’encens impur et de ne pas remettre au lendemain ce qui devait assurer leur perte éternelle. Mêmes scènes à Alexandrie, à Smyrne, à Rome, partout. On vit jusqu’à des évêques entraîner tout leur peuple dans la chute. Trophime d’Arles mena lui-même les chrétiens aux autels des idoles. D’autres, avec un peu d’argent, achetaient la tolérance : les libellatiques furent très nombreux. Ces faiblesses sont dans la nature humaine, et il n’y a point à s’étonner que le christianisme, en s’étendant, ait perdu de sa vertu première. Cependant la persécution de Dèce ne semble pas avoir été aussi meurtrière qu’on la représente[17]. Un arrêt de mort ne fut pas toujours la sentence inévitable. Ceux-ci furent dépouillés de leurs biens, ceux-là condamnés à l’exil, d’autres jetés en prison : Babylas d’Antioche et Alexandre de Jérusalem, arrivés à un grand âge, ne purent en supporter les rigueurs et, y moururent. Le chrétien le plus redouté, parce qu’il était alors le plus célèbre, Origène, fut chargé de chaînes et menacé du feu, sans que l’homme d’acier cédât. Les bourreaux se lassèrent plus tôt que la victime ; on le relâcha, et il vécut quatre années encore[18]. Comme la persécution avait été annoncée avec éclat, beaucoup eurent le temps de fuir. Les chefs le plus en évidence, Cyprien de Carthage, Denys d’Alexandrie, Grégoire le Thaumaturge, échappèrent au péril, en quittant leur ville épiscopale pour vivre dans une retraite peu éloignée, d’où ils communiquaient avec les fidèles. Il dut être facile pour un grand nombre de se mettre, ainsi qu’eux, à l’abri. De ces fugitifs, quelques-uns allèrent chez les Barbares, d’autres au désert : saint Paul ermite y vécut jusqu’à quatre-vingt-dix-huit ans[19], c’est-à-dire assez longtemps pour que saint Antoine pût recueillir son dernier soupir et son exemple. Ainsi naquit de la persécution l’ordre monastique, le plus redoutable instrument des persécutions futures. Les martyrologes comptent, pour cette époque, un nombre considérable de martyrs ; mais de graves auteurs n’osent garantir l’authenticité de ces Actes, remplis d’anachronismes et de merveilleuses légendes, comme celle des Sept Dormants d’Éphèse qui, enfermés dans une caverne dont on avait muré la porte, en sortirent vivants deux cents ans plus tard. Il ne faudrait cependant pas tomber dans l’excès contraire, en concluant de ces fraudes pieuses qu’il y eut très peu de condamnations à mort. L’édit de Dèce révèle l’intention du gouvernement impérial de frapper un grand coup[20] ; quelques-uns des chefs de l’Église, évêques ou docteurs, et, comme toujours, des gens du peuple et des esclaves, périrent. Les plus illustres victimes furent saint Saturnin, premier évêque de Toulouse, Pionius, prêtre de Smyrne, qui racheta par son sacrifice l’apostasie de son évêque[21], et Fabien, évêque de Rome, dont le siège resta vacant l’espace d’un an et demi. Pionius avait été mis en croix, en même temps qu’un marcionite. Les hérétiques avaient donc aussi leurs martyrs. S’ils nous en avaient raconté l’histoire, ils auraient ajouté de glorieux chapitres à ce grand et terrible poème de la persécution, qui a entretenu dans les âmes, à travers les siècles, la flamme du sacrifice et qui suscite encore de nobles dévouements. La tempête déchaînée sur l’Église par celui que Lactance appelle l’exécrable animal ne dura véritablement que quelques mois. Dès la fin de l’année 250 la paix était à peu près rendue à la chrétienté, et, avant la mort de Dèce, tous les confesseurs étaient sortis de prison[22]. L’empereur avait bien autre chose à faire que de tourmenter des hommes inoffensifs, à cause de leur croyance. Kniva et ses Goths le forçaient à s’occuper moins de ses dieux que de l’empire : il laissa son entreprise inachevée. La persécution n’avait pas mieux réussi que la censure des mœurs ; mais celle-ci était demeurée une innocente curiosité, celle-là avait fait couler des larmes et du sang, et la trace en est justement restée sur le nom du persécuteur. II. — RAVAGES DES BARBARES DANS L’EMPIRE ; VALÉRIEN ; PERSÉCUTION DES CHRÉTIENS (251-260).
Dans les circonstances critiques où l’armée se trouva
après la défaite et la mort de Dèce, elle n’avait pas plus le loisir que le
goût d’attendre une décision du sénat. Gallus réussit sans peine à se faire
donner la pourpre par ses légions[23]. Afin d’écarter
de lui le soupçon d’avoir trahi son prince, il prit pour collègue le second
fils de Dèce, Hostilianus, et il fit épouser par son fils Volusianus, qu’il
nomma césar[24],
la sœur du second auguste. Peu de temps après, celui-ci mourut de la peste ou
fut tué. Un traité honteux avait permis aux Goths de repasser tranquillement
le Danube avec leur butin, leurs captifs et la promesse d’un subside annuel
payé en or. Mais ils avaient trouvé l’empire à la fois si faible et si riche,
qu’il fallait compter revoir bientôt Kniva ou d’autres chefs. On parle en
effet, pour Ce vaniteux personnage[27] promit au sénat de renouveler la gloire des grands règnes, de laisser aux pères conscrits l’administration de la république, tandis que, prenant pour lui-même les travaux de la guerre, il irait chasser les Barbares du Nord et de l’Est ; déjà il se laissait représenter sur les médailles avec les attributs d’Hercule Victorieux et de Mars Vengeur. Avant même la mort de Gallus, Valérien, que ce prince
avait chargé d’amener à son secours les légions de On trouve, pour cette année, un préfet de Rome qui avait été comte des domestiques, titre nouveau et réservé à un grand éclat. Déjà l’on a vu des ducs et des présidents : au grand conseil de guerre tenu à Byzance en 258, l’empereur en sera entouré. Voici que l’ami du prince devient un fonctionnaire ; un Clarus est dit préfet de l’Illyrie et des Gaules, et, durant le principat qui commence, il y aura comme deux empires : celui d’Orient, où Valérien combattra ; celui d’Occident, dont Gallien, son fils, sera l’auguste ; les éléments de la réforme prochaine sont en préparation. Nous allons entrer dans la période dite des Trente Tyrans, c’est-à-dire dans la plus horrible confusion. Aussi irons-nous vite dans cette histoire, comme on presse le pas dans les lieux mal famés et dans les régions de la malaria. Le désordre qui est dans l’État se retrouve dans les récits
qui en parlent. La chronologie même est incertaine, parce que les princes se
succèdent trop vite pour avoir le temps de frapper des monnaies qui fixent
les dates. Ce que l’on voit bien, c’est que toute la barbarie se jette sur
l’empire ; que les Francs courent Valérien était un citoyen honnête qui avait mérité d’être le censeur des autres, parce qu’il l’avait toujours été de lui-même ; très digne du second rang, mais non du premier[29]. Il cherchait à soulager les peuples, écoutait les avis et avançait les gens de mérite ; Claude, Aureolus, Postume, Ingenuus, Aurélien, furent distingués par lui, et Probus lui dut ses premiers honneurs[30]. Mais la conduite des affaires demandait, à une époque aussi troublée, autre chose que de bonnes intentions : il fallait une intelligente nette et vive, de la fermeté, de la persévérance, et Valérien n’avait pas ces qualités-là. D’ailleurs il arrivait bien tard à l’empire : la vieillesse est l’âge du repos et non celui de fonctions qui veulent la double énergie de l’âme et du corps[31]. Pour combattre Gallus, Émilien avait emmené en Italie les
meilleures troupes de Gallien était encore tout entier aux plaisirs, et il y
passa sa vie[33].
Son père avait peu de confiance dans ce grand enfant[34], et n’osa lui
donner comme conseiller et comme guide Aurélien, dont la sévérité lui
paraissait trop grande pour ce temps et surtout pour son fils. Il le confia à
Postume, habile homme de guerre, qu’il nomma duc de la frontière rhénane et
gouverneur de Gallien s’inquiétait peu de ces malheurs : le soleil de
l’Espagne et de l’Afrique, la civilisation dont le contact est mortel aux
Barbares, quand ils ne sont pas assez nombreux pour l’étouffer, devaient Le
détroit d’Hercule. avoir raison de ces audacieux aventuriers. Il se contenta
d’arrêter le gros de la nation sur le Rhin par une foule de petits combats
et, finalement, en recourant au moyen si souvent employé d’acheter un chef
barbare qui fit pour lui la police de la frontière ; après quoi, il prit le
titre de Germanique, et se fit représenter sur les monnaies domptant les deux
fleuves, le Mein et le Rhin, dont l’un couvrait Mille,
mille, mille, mille, mille decollavimus. Mille
Sarmatas, mille Francos occidimus, Mille, mille, mille, mille, mille, Persas quærimus[40]. En 258, une insurrection des légions de Pannonie appela
Gallien dans cette province ; elle était à peine étouffée que les Alamans, ne
trouvant pas jour à pénétrer dans Il faut sans doute rapporter à l’invasion des Alamans en Italie une importante loi de Gallien. L’ardeur belliqueuse que le sénat venait de montrer l’inquiéta. Un rescrit interdit aux pères conscrits le service militaire, et défense leur fut faite de paraître dans une armée ou dans un camp[44]. On a vu, au précédent chapitre, les effets de cette décision. Les Marcomans et les Goths avec leurs alliés les Carpes,
les Boranes et les Burgondes, infligeaient à l’Illyrie, à Le cercle de barbarie qui enveloppait l’empire se resserrant de toutes parts, l’Asie avait, comme l’Europe, ses invasions. Les garnisons des postes romains qu’on a vus établis le long des côtes méridionales de l’Euxin jusqu’à Sebastopolis, au pied du Caucase, avaient été affaiblies pour fournir des soldats aux continuelles révolutions de l’empire, et des séditions, que les Antonins auraient empêchées, mettaient le royaume du Bosphore à la discrétion de ses nouveaux voisins[47]. Les Cimmériens livrèrent leurs navires aux Goths, aux Alains, aux Hérules, et ces pirates improvisés se firent mener par les marins du Bosphore, à travers la mer inhospitalière, jusqu’aux côtes d’Asie. Ils s’emparèrent de Pithyus, puis de la grande cité de Trébizonde, où trois siècles de prospérité avaient entassé d’immenses richesses, qu’une nombreuse garnison ne sut pas défendre[48]. Le bruit de cette importante capture excita l’ardeur des
Goths du Danube. Ils forcèrent leurs prisonniers romains il construire des
embarcations, sur lesquelles ils longèrent la côte, tandis que le gros de
l’armée d’invasion, franchissant le fleuve, traversait sans être inquiété
toute L’année précédente, Valérien avait tenu à Byzance un grand
conseil de guerre, en présence des officiers du palais et de l’armée. Nous
avons l’ordre des préséances dans cette assemblée, et nous le donnons pour
montrer les dignités nouvelles qui s’établissaient. A la droite du prince étaient
assis un des consuls ordinaires, le préfet du prétoire et le gouverneur de
l’Orient ; à sa gauche, le duc de la frontière scythique, le préfet d’Égypte,
le duc de la frontière orientale, le préfet de l’annone en Orient, le duc de
l’Illyricum et de Où était le vainqueur des Francs et des Goths au moment
des désastres qu’on vient de raconter ? Sans doute à Antioche avec Valérien.
Ce prince ne fit rien pour prévenir ou arrêter les malheurs dont L’invasion gothique se rattachait probablement à une autre
invasion qui sembla devoir chasser les Romains de l’Asie, celle de Sapor. Du
moins on a vu les Barbares porter leurs premiers coups sur les villes où
aboutissaient les routes d’Arménie, dont les Perses s’emparaient à cette
heure, et, en venant occuper Si l’on croyait que c’est prêter à ces Barbares des combinaisons trop vastes, nous rappellerions les émissaires envoyés par les Daces aux Arsacides, sous le règne de Trajan. Il ne fallait pas aux Amales de grands efforts d’intelligence politique pour comprendre et suivre la tradition de Décébale[53]. Sapor avait fait assassiner le roi d’Arménie, Chosroês[54], qu’il remplaça
par un de ses partisans. Durant plus d’un quart de siècle, ce pays fut comme
une province persane, à l’extrême douleur de ses habitants, car les Perses
persécutaient tous ceux qui tenaient aux coutumes nationales ; ils abattaient
les édifices du culte public, les temples du Soleil et de La possession de l’Arménie rendait, en effet, facile pour
les Perses la conquête de Les Romains, restés maîtres d’Édesse, barraient à l’armée
persane une des routes de l’Asie Mineure, et les Pyles Ciliciennes, saris
doute alors bien gardées, fermaient l’autre. Sapor, avec sa mauvaise
infanterie[55],
n’était point capable de forcer le passage des montagnes et il ne pouvait
empêcher une armée romaine de descendre en Syrie ; Valérien, en effet, entra
sans combat dans Antioche. L’apparition des Goths en Bithynie l’obligea de
retourner dans l’Asie Mineure, où il ne fit rien,
dit Zosime, que d’incommoder les peuples par son
passage. Leur retraite lui permit de quitter enfin Sapor profita de la consternation jetée dans l’armée romaine par cet événement pour essayer de prendre l’empire après l’empereur. Guidé par le traître Cyriadès, il pénétra en Syrie. Un jour que les habitants d’Antioche regardaient au théâtre le jeu des mimes, un de ceux-ci s’écria tout à coup : Je rêve, ou voici les Perses ! Quelques instants après, les flèches tombaient au milieu de la foule, et la ville était impitoyablement saccagée[60]. L’épouvante gagna encore une fois toutes ces provinces. On prétendit qu’Émèse avait été sauvée par son dieu[61]. Sans doute le gros des forces persanes était dans le nord de la province ; et il n’arriva du côté de la ville sainte qu’un détachement auquel il fut facile de résister ; ou bien Sapor, par politique, respecta un temple, objet de la vénération des peuples de cette région. Toute l’attention des Perses se tournait vers l’Asie
Mineure ; elle conquise, le reste tombait de soi-même. Ils franchirent, sans
y trouver de résistance, les passes de Cilicie, prirent la grande ville de
Tarse et assiégèrent la capitale de On dit que Sapor avant. annoncé sa victoire à tous les peuples voisins ou alliés, ceux-ci, effrayés de ce grand triomphe, cachèrent leurs craintes sous des conseils de modération philosophique, qu’ils lui envoyèrent en réponse[65]. Le fils de Valérien n’eut pas besoin des consolations de la sagesse pour calmer une douleur qu’il n’éprouvait pas. Je savais bien, dit-il, que mon père était mortel : d’ailleurs, il est tombé en homme de cœur ; et, le considérant déjà comme mort, il en fit un dieu. On pardonnerait peut-être ces paroles à Gallien, s’il les avait fait suivre d’actes énergiques pour venger son père et l’empire ; mais ce prétendu stoïcisme n’était qu’une lâcheté impie. Le règne de Valérien est marqué par la plus cruelle persécution que l’Église eût encore soufferte. En voyant les Barbares menacer le cœur de l’Italie et ravager les deux tiers de l’empire, la colère des païens se tourna contre ce peuple étranger qui vivait au milieu d’eux, indifférent à leurs douleurs et refusant de s’armer contre l’ennemi public. Comme si les empereurs étaient entrés à regret dans cette voie, leurs premières lettres interdirent seulement les assemblées des chrétiens et l’entrée des cimetières ; elles ne contraignaient personne à renoncer au Christ, mais obligeaient tout le monde à se conformer aux cérémonies romaines, ce qui, au fond, eût été l’équivalent de l’apostasie ; enfin elles ne punissaient encore les contrevenants que de l’exil. Les actes de Cyprien montrent cette première phase de la persécution, qui semble n’avoir pas frappé en dehors du clergé. Sous le quatrième consulat de l’empereur Valérien et le troisième de Gallien, le 3 des calendes de septembre (30 août 257), dans la salle d’audience à Carthage, le proconsul Paternus a dit à l’évêque Cyprien : Les très saints empereurs Valérien et Gallien ont daigné m’adresser des lettres où ils ordonnent à quiconque ne professe pas la religion des Romains d’en observer sans délai toutes les cérémonies. Je vous ai donc fait citer pour connaître vos intentions : qu’avez-vous à répondre ? L’évêque Cyprien a dit : Je suis chrétien et évêque ; je ne connais d’autre Dieu que le Dieu unique et véritable qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment. C’est ce Dieu que nous servons, nous chrétiens ; c’est lui que nous prions nuit et jour, pour nous-mêmes et pour tous les hommes, en particulier pour le salut des empereurs. Le proconsul Paternus a dit : Persistez-vous dans cette résolution ? L’évêque Cyprien a répondu : La bonne volonté qui a une fois connu Dieu ne change pas. Le proconsul Paternus a dit : Vous pouvez donc vous disposer à partir en exil pour la ville de Curubis : ainsi l’ordonnent Valérien et Gallien. L’évêque Cyprien a dit : Je suis tout prêt à partir. Le proconsul Paternus a dit : Les ordres que j’ai reçus ne concernent pas seulement les évêques, mais encore les prêtres. Je veux donc savoir de vous le nom des prêtres établis en cette ville. L’évêque Cyprien a répondu : Vos lois ont sagement et utilement proscrit la délation : je ne puis donc vous faire connaître ni vous déférer ceux dont vous me parlez ; vous les trouverez dans les villes où ils demeurent. Le proconsul Paternus a dit : Je veux qu’ils se présentent aujourd’hui même dans ce lieu. Cyprien a dit : La discipline leur défend de se livrer eux-mêmes, et, en cela, vous ne sauriez improuver leur conduite : mais faites-les chercher, vous les trouverez. Le proconsul Paternus a dit : N’ayez pas peur, je saurai les trouver. Puis il a ajouté : Les empereurs interdisent également les réunions dans n’importe quel lieu et l’entrée des cimetières. Quiconque violera cette sage défense sera puni de mort. L’évêque Cyprien a répondu : Faites ce qui vous est ordonné[66]. Le successeur de Paternus leva la sentence d’exil portée contre Cyprien et lui permit de résider aux portes de Carthage, dans une maison qui appartenait à l’évêque. Mais les calamités de l’empire augmentaient. Des princes, qui ne savaient pas s’aider eux-mêmes, crurent obtenir l’assistance du ciel en vengeant leurs dieux. Au milieu de l’année 258, Valérien envoya au sénat le rescrit suivant : Les évêques, les prêtres et les diacres seront punis de mort ; les sénateurs, dignitaires et chevaliers, dégradés et dépouillés de leurs biens. S’ils persévèrent, la mort. Les femmes de condition seront bannies ; les affranchis du palais, envoyés comme esclaves sur les domaines de l’empereur[67]. Nous rapporterons encore le dernier interrogatoire de Cyprien, qui montre la procédure suivie partout contre les martyrs. Le proconsul Galerius Maximus a
dit à Cyprien : Vous êtes Thascius Cyprianus ? L’évêque a répondu : Je
le suis. Le proconsul a dit : Vous êtes le pape de ces hommes sacrilèges
? — Je le suis. — Les très saints empereurs vous ordonnent de
sacrifier aux dieux. — Je ne le ferai point. — Consultez-vous.
— Faites ce qui vous est ordonné ; dans une chose si juste, il n’y a pas à
délibérer. Galerius Maximus, après avoir pris l’avis de son conseil,
s’est exprimé en ces termes : Depuis longtemps vous vivez dans des
sentiments sacrilèges ; vous avez fait entrer beaucoup d’hommes dans cette
conspiration impie, vous mettant ainsi en hostilité avec les dieux de Rome et
les lois religieuses, sans que les pieux et très saints princes Valérien et
Gallien augustes, et le très illustre Valérien césar, aient pu vous ramener à
la pratique de leurs cérémonies. Voilà pourquoi, étant l’auteur des forfaits
les plus noirs et le porte-étendard de la secte, vous servirez d’exemple à
ceux que vous vous êtes agrégés par vos manœuvres criminelles ; votre sang
sera la sanction de la loi. Cela dit, il a pris des tablettes pour y
écrire cette sentence qu’il a lue à haute voix : Nous condamnons Thascius
Cyprianus à être décapité. L’évêque a dit : Dieu soit loué ![68] Les gardes
l’emmenèrent. Arrivé au lieu du supplice, Cyprien ôta son manteau,
s’agenouilla et pria quelque temps. Puis il donna sa dalmatique aux diacres,
se banda les yeux et commanda aux siens de remettre après sa mort vingt-cinq
pièces d’or au bourreau. Autour de lui les frères étendaient des linges pour
recueillir le sang du martyr. L’exécuteur tremblait en frappant le coup
mortel ; tous les païens auraient dû trembler comme lui devant ces morts
triomphantes ( Cyprien était parmi les privilégiés : il avait la fin la
moins cruelle ; d’autres étaient brûlés vifs, comme l’évêque de Tarragone, ou
jetés aux bêtes. Rome paya largement la dette du sang : le pape Sixte II fut frappé un des
premiers. Surpris dans les catacombes pendant qu’il célébrait les saints
mystères, il fut décapité ; son diacre saint Laurent fut brûlé à petit feu.
Dans toutes les chrétientés, beaucoup de prêtres, de diacres et de fidèles,
même des femmes, périrent. Novatien, qui avait apporté dans l’Église la
dureté du stoïcien Zénon, son premier maître, fut une des victimes, peut-être
aussi saint Denys, qui évangélisa le nord de L’empire se déchirait de ses mains, comme si ce n’était pas assez pour sa ruine de la peste, de la famine et des Barbares qui paraissaient aux chrétiens avoir été déchaînés par Dieu, pour ce jour de colère[70]. Gallien eut un mérite : il comprit que cette persécution était inique autant qu’inutile, et, dès qu’il fut seul maître, il ordonna de rendre aux chrétiens leurs cimetières, leurs biens et la liberté de leur culte[71] (260). C’était une guerre de moins dans l’empire. Malheureusement il en restait bien d’autres. Lorsque l’imprudence de Valérien avait livré Mais la meilleure assistance vint d’un côté où l’empire ne l’attendait pas. Il a déjà été souvent question dans cette histoire de Palmyre, de ses richesses, de sa nombreuse population et d’une famille qui y avait pris le premier rang, celle des Odenath[73]. Les Palmyréens avaient besoin pour leur commerce de l’amitié de Sapor. Ils lui envoyèrent des ambassadeurs avec de riches présents, pour solliciter son amitié. Le roi fit jeter les cadeaux au fleuve, déchira la lettre que les députés lui avaient remise et exigea une absolue soumission[74]. Palmyre avait alors comme chef, ou prince de son sénat, un homme intelligent et résolu, très riche et très influent, Septimius Odenath. Dans les moments de crise, les hommes supérieurs prennent naturellement leur place. Odenath persuada à ses compatriotes qu’on ne répondait que par la guerre à des insultes qui étaient une menace certaine pour leur indépendance ; et cette guerre, il l’organisa aussitôt d’une manière formidable. Lés caravanes avaient fait la fortune de Palmyre. Pour les conduire, elle avait dei s’entendre avec les Arabes du désert de Syrie, qui tous, de l’Oronte au Pasitigre, étaient dans ses intérêts. Odenath rappela à leurs cheiks la destruction de la ville arabe d’Atra par Sapor ; il montra leur liberté, leurs richesses perdues, si l’orgueilleux prince chassait les Romains de l’Asie. L’Arabe a deux passions : la religion et le commerce. Mahomet ne lui avait pas encore donné l’une, mais l’autre avait été singulièrement développée par les profits que les denrées qui s’échangeaient entre les deux empires laissaient aux mains des convoyeurs. Ils accoururent en foule autour du prince de Palmyre, et nous allons les voir élever un premier empire arabe. Palmyre avait une garnison romaine permanente ; cette
troupe servit de noyau à la nouvelle armée. Les fugitifs épars dans Leur prince n’avait pu délivrer Valérien ; mais il envoya à Rome des satrapes captifs, et Gallien, oublieux de son père, célébra par un triomphe cette victoire que les légions avaient laissé gagner par des Bédouins. De cette expédition, Odenath revenait trop grand pour rester simple particulier. Les Arabes le proclamèrent roi, et Gallien, en vue de s’attacher un serviteur si utile, le nomma chef des forces impériales dans cette partie de l’Orient, αύτοxράτωρ ou imperator (commencement de 262). Plus tard, après de nouveaux services, il lui reconnut le titre d’auguste, et le fils des clients de Sévère prit rang parmi les empereurs de Rome[76]. III. — LES EMPEREURS PROVINCIAUX (244-268) ; GALLIEN.
Ceux qu’on a appelés par un souvenir d’Athènes les trente tyrans n’étaient ni trente ni
tyrans. De la captivité de Valérien à la mort de son fils, on compte dix-huit
généraux qui furent proclamés empereurs[77] par leurs
troupes, comme l’avaient été tous les princes depuis les Antonins, et il ne
leur a manqué que le succès pour prendre place légalement parmi les maîtres
du monde romain. Un seul, Calpurnius Pison, était de haute noblesse[78] ; un autre,
Tetricus, de condition sénatoriale ; le reste, d’obscure origine. D’ailleurs,
ces usurpateurs prétendus ne furent ni pires ni meilleurs que les princes
portés au catalogue officiel ; plusieurs montrèrent de l’habileté et
rendirent des services ; tous enfin étaient légitimes, aussi bien que Septime
Sévère l’avait été. L’empire, c’est-à-dire l’union pour la commune défense,
semblait n’exister plus, depuis qu’un des empereurs était captif à Ctésiphon,
qu’un autre s’oubliait dans les plaisirs, et que les Barbares couraient les
provinces. Sous le coup de la nécessité, le patriotisme se réveilla, et,
puisqu’on n’avait rien à attendre de Rome, on demanda tout à soi-même. Les
légions formaient la garnison permanente des provinces et restaient
habituellement fort longtemps dans les mêmes lieux :
Le plus remarquable de ces empereurs est Postume[80]. Il était de
basse condition[81],
mais de grand cœur et très populaire dans les Gaules, où il était né et dont
il avait garanti la sécurité. Lorsque Gallien quitta le pays en 258, il
laissa son fils Saloninus à Cologne, avec le titre de césar, sous la garde,
non pas de Postume, le gouverneur de Sous la pourpre, il garda sa casaque militaire. Il empêcha
les Alamans d’entrer en Gaule, fit reculer les Francs en construisant, sur la
rive droite du Rhin, des châteaux forts qui commandèrent les passages, et sa
flotte purgea la mer britannique des pirates saxons. Une de ses médailles, Neptuno reduci, indique qu’il avait dirigé
lui-même cette expédition[85] ; une autre
atteste ses efforts pour éloigner la peste de ses troupes et de ses provinces[86]. Des succès, que
nous ne connaissons pas, lui méritèrent ces salutations impériales que,
depuis Caracalla, les monnaies ne nous montraient plus et le surnom de Germanicus
Maximus[87]. Des monnaies de
l’année 262 lui donnent ces titres pour la cinquième fois, et représentent
les unes L’usurpateur remplissait donc tous les devoirs d’un prince légitime ; la sécurité régnait dans les provinces, le commerce reparaissait sur les routes et sur les fleuves pacifiés[88]. Pour montrer d’où venait cette sécurité, Postume faisait représenter le Rhin tranquillement appuyé sur son urne penchante avec des symboles de paix, une ancre, un roseau, et suivant du regard le cours de ses ondes paisibles. La légende était expressive : Salus provinciarum[89]. En 262, Postume célébra la cinquième année de son gouvernement. Depuis Auguste, cette solennité n’avait eu lieu que pour les decennalia ; mais, à l’époque où nous sommes, un prince s’estimait heureux d’avoir vécu la moitié de ce temps, et cinq années étaient le grande ævi spatium qu’un empereur ne dépassait guère. Un autre général renommé, Ingenuus, avait été fait empereur par les troupes de Pannonie (258)[90], et les peuples s’étaient prononcés avec ardeur pour l’homme qui avait maintes fois repoussé ou jeté au Danube Goths et Sarmates. Gallien cependant le vainquit près de Mursa par une habile manœuvre d’un de ses lieutenants, Aureolus, qui brisa la ligne ennemie par une charge furieuse de cavalerie. Ingenuus se tua ou se fit tuer par son écuyer. La province fut inondée de sang[91] ; elle en garda le souvenir, et nous la verrons bientôt faire un nouvel empereur, Regalianus.
Pour le moment, Gallien, vainqueur des rebelles de Grâce à Odenath, l’Orient était délivré des Perses, mais il y avait à remettre l’ordre dans les esprits, la discipline dans l’armée, la confiance dans les populations. C’était de quoi occuper longtemps la sollicitude d’un prince. Macrien n’y songea pas : il voulut étendre sa puissance avant de l’avoir consolidée. Laissant Quietus et Balista en Asie, il passa en Europe, avec son autre fils Macrianus et trente mille hommes, pour renverser Gallien. Il s’était fait précéder d’un de ses généraux, Pison, qui devait le débarrasser du proconsul d’Achaïe, Valens, dont il redoutait les talents. Valens, menacé, prit la pourpre en Grèce : on prétend que Pison fit de même[94] en Thessalie, où il se réfugia ; mais ils avaient peu de troupes, probablement peu d’argent, et ils allaient se trouver pris entre les deux grosses armées de Macrien et de Gallien : leurs soldats les tuèrent[95].
Aureolus avait été récompensé de la défaite d’Ingenuus par
la charge de maître de la cavalerie et par le gouvernement des provinces illyriennes.
C’était le fils d’un pâtre de A la nouvelle de ce succès, Odenath assiégea dans Émèse le second fils de Macrien, Quietus, le mit à mort, et fit tuer peu de temps après Balista, le seul homme qui pût lui être un obstacle[97]. Le Palmyréen restait seul maître de l’Orient romain ; Gallien et Postume se partageaient l’Occident. Ces guerres intestines n’étaient point faites pour arrêter
les courses des Goths et des Sarmates dans l’Asie et Byzance, le boulevard de l’empire dans ces régions, avait une garnison nombreuse, qui, sans doute pour quelque retard de solde, se révolta et pilla la ville. Gallien s’y JU rendit et, suivant son habitude, se montra fort cruel dans la répression. Il y séjourna plusieurs mois, pour intimider les Barbares, qui avaient reparu en Cappadoce, et mettre quelque ordre dans ces provinces, où il fit relever les fortifications de plusieurs cités. En même temps il conduisait avec Odenath les négociations dont le résultat fut, l’année suivante (264), l’association du chef arabe à l’empire. De retour à Rome, Gallien célébra, avec toute la magnificence que l’état précaire de ses finances lui permit, la dixième année de son triste gouvernement. Au printemps de 264, il songea enfin à venger son fils et à recouvrer les Gaules[101]. On prétend[102] qu’il offrit à Postume de décider leur querelle en combat singulier ; à quoi l’empereur gaulois aurait répondu qu’il n’était pas un gladiateur. Aureolus commandait les troupes de Gallien : il ne voulut ou ne sut pas profiter d’un succès considérable pour accabler Postume, et la guerre traîna en longueur. Malgré la défection d’un général du césar italien, Victorinus[103], qui, avec plusieurs légions, passa du côté du césar gaulois, et que celui-ci en récompense associa à l’empire (265)[104], Postume fut obligé de s’enfermer dans une place forte, où les troupes impériales vinrent l’assiéger. Gallien y fut blessé d’une flèche. Cette blessure et l’ennui d’une guerre qui ne finissait pas le décidèrent à laisser son entreprise inachevée. Il rentra en Italie et chargea Aureolus de veiller sur les passages des Alpes : précaution qui prouve que l’expédition des Gaules n’avait pas bien fini. Postume, cependant, à demi victorieux, à demi vaincu, perdit à cette guerre le prestige que lui avaient donné ses rencontres heureuses avec les Barbares. Un compétiteur s’éleva contre lui, Lælianus[105] : il le battit ; mais, ayant refusé à ses soldats le pillage de Mayence, la principale place de la rébellion, une émeute éclata, et il y périt avec son fils (267). Les Germains profitèrent de ces désordres pour recommencer leurs courses et brûler plusieurs villes gauloises. Lælianus, que la mort de Postume avait sauvé, remporta sur eux quelques avantages, attestés par ses monnaies[106], et releva les châteaux de la rive droite, qu’ils avaient abattus. Les soldats, fatigués des travaux qu’il leur imposait, l’égorgèrent. Victorinus avait sars doute préparé cette tragédie, qui le délivrait d’un compétiteur ; mais on lui en donna aussitôt lui autre, Marius, ancien ouvrier forgeron. L’Histoire Auguste n’assigne à celui-ci que trois jours de règne, afin de pouvoir dire que le premier il fut élu, qu’il régna le second, et qu’on s’en défit le troisième. Il faut probablement lui en accorder un peu plus. Un de ses anciens compagnons d’atelier, dont il refusa de toucher la main, le frappa d’une épée qu’ils avaient, dit-on, forgée ensemble[107]. L’ancien collègue de Postume, Victorinus[108], était resté durant ces catastrophes l’empereur des Gaules. Il y était né dans une riche famille, et un de ses parents, le sénateur Tetricus, gouvernait l’Aquitaine. Ces liens de parenté consolidaient sa puissance en faisant de lui, pour les Gaulois, un prince national, et il parut assez redoutable pour que Gallien, au lieu de l’attaquer en Gaule, craignît qu’il ne vînt lui disputer l’Italie. Mais des habitudes de grossières débauches ternissaient les qualités de Victorinus : il fut assassiné, à Cologne, par un soldat dont il avait outragé la femme (268)[109]. Le vrai prince avait été sous ce règne la mère de l’empereur,
Victorina, femme au cœur viril, Un Dace, Regalianus, qu’on croyait descendant du fameux
Décébale, avait le gouvernement de En voyant l’empire mis en pièces, il n’y avait pas si mince personnage qui ne voulût en avoir un morceau. D’Antoninus, de Memor et de Cécrops, nous ne savons que les noms ; de Saturninus, on a gardé cette parole à ses soldats : Camarades, vous perdez un bon général et vous faites un misérable empereur ; de Celsus, ce souvenir, que ses amis, ne trouvant pas le manteau de pourpre indispensable pour consacrer un empereur, l’avaient couvert du péplum de la dea cœlestis de Carthage. La grande déesse se scandalisa sans doute de cette impiété, car il fut tué presque aussitôt. On jeta son corps aux chiens, qui le dévorèrent, et l’on cloua son portrait à la croix des condamnés à mort, afin d’éterniser l’infamie de ce malheureux, qui avait régné sept jours. Æmilianus, aux bords du Nil, jouit un peu plus longtemps de son éphémère royauté, jusqu’à ce que Gallien, qui avait besoin des blés d’Égypte, envoyât contre lui Théodote, dont il avait déjà utilisé en Gaule les services et la fidélité. Vaincu et pris, Æmilianus fut étranglé dans sa prison. On met encore au nombre des usurpateurs un certain Trebellianus, chef de ces montagnards de l’Isaurie que jamais Rome n’avait humanisés ni disciplinés. Bandit de profession, écumeur de mer, il profita de l’universelle désorganisation pour étendre ses brigandages. Un frère de Théodote en eut raison et le tua. C’est le mot qui revient sans cesse et qui termine toutes ces histoires. Le patriotisme local était assez vif pour qu’on cédât au désir d’avoir un chef national : il n’était pas assez persévérant pour soutenir longtemps ces empereurs provinciaux qui, devant leur fortune à l’indiscipline et aux malheurs publics, en devenaient à leur tour les victimes. Les révoltes continuaient parce qu’elles avaient commencé, et l’on tuait parce que l’on avait tué. Un seul de ces parvenus, précipités si vite, nous intéresse, le roi de Palmyre, le fondateur d’un État à demi arabe, qui, s’il avait pu se consolider, aurait changé la face de l’Orient. Pour cela, il était nécessaire qu’Odenath vécut, et, comme tous les autres, il fut assassiné. Nous reviendrons sur cette mort et sur ce royaume dans l’histoire d’Aurélien. Que faisait Gallien au milieu de ces catastrophes ? Un ancien
l’accable de toutes les malédictions[113] ; un autre le
représente travaillant avec persévérance à conjurer les malheurs publics[114]. Quand arriva
la nouvelle de la défection des Gaules et de l’Égypte : Ne peut-on vivre, lui fait dire Pollion, sans le lin d’Égypte et les draps d’Arras ? Cependant
il ne manquait pas de courage ; il aimait la poésie, l’éloquence, les arts,
et il fut sur le point, à la demande de l’impératrice Salonina, de donner à
Plotin un canton de En 267, Aureolus, ancien berger de Dacie[115], mais brave
soldat, le vainqueur de Macrien dans Pendant que Gallien guerroyait en Illyrie, Aureolus trouva
l’occasion propice pour soulever l’Italie et se saisir de Rome. L’empereur le
vainquit à Pontirolo (Pons Aureoli),
sur l’Adda, et l’assiégea dans Milan. Mais, au milieu de son propre camp,
Aurélien, Héraclius, Claude, les chefs les plus importants de l’armée,
conspiraient contre le prince violent et efféminé sous qui l’empire était tombé
si bas. Un jour que, à la nouvelle d’une sortie tentée par Aureolus, Gallien
s’était jeté sans armes sur un cheval, un conjuré le perça d’un trait ( On a pu remarquer que toute la défense, sous ce règne,
s’arrête au Danube et au Rhin : cela signifie que les terres décumates et |
[1] C. Messius Quintus Trajanus Decius, né en 201,
suivant Aurelius Victor ; en 191, suivant
[2] Militiæ gradu ad imperium (Aurelius Victor, de Cæsaribus, 29).
[3] Surtout Zosime (I, 21-25) et Aurelius Victor (29).
[4] On a un rescrit de
lui, daté du
[5] Eckhel, t. VII, 342. Aurelius Victor (29) dit que le césar fut aussitôt envoyé in Illyrios. Dèce avait un second fils, C. Valens Hostilianus Messius Quintus, qui fut aussi nommé césar et prince de la jeunesse.
[6] Sur les pensions faites aux Goths, peut-être dés le temps d’Alexandre Sévère, voyez Tillemont, III, 216. Jordanès a résumé, dans son Hist. des Goths, un grand ouvrage, aujourd’hui perdu, de Cassiodore, le ministre favori du grand Théodoric. Voyez, sur la guerre Gothique, Wietersheim, op. cit., au tome II, où il discute les récits contradictoires de Jordanès, Zosime, Zonare et Aurelius Victor. Ces détails perdent d’ailleurs tout leur intérêt devant le fait trop certain du désastre de l’armée romaine et de la mort de Dèce.
[7] Post longam obsidionem, accepio præmio ditalus Geta recessit (Jordanès, 17).
[8] C’est la manœuvre qui donna la victoire aux Russes dans la dernière guerre.
[9] Aurelius Victor (29) fait aller les Goths jusqu’en Macédoine, où ils auraient décidé l’usurpation de Priscus.
[10] Avant l’invasion de Kniva, Dèce doit avoir eu quelques succès en Dacie, car une inscription l’appelle restitutor Daciarum (Orelli, 991), et contre les Germains, victoria Germanica (Eckhel, t. VII, 344-5), mais il n’y en a point trace dans les histoires.
[11] Valerianus, 1.
[12] Zonare (XII, 22) fait même de Valérien le collègue de Dèce.
[13] De Lapsis, passim.
[14] Saint Pionius, prêtre de Smyrne et martyr en 250. (Ap. Bollandistes, 1er févr., p. 45.) Allusion à la parabole des vierges folles et des vierges sages : an omnino dormitaverunt omnes virgines et dormierunt.... (Id., ibid.)
[15] Origène (Contra Celsum, III) dit que, jusqu’à la grande persécution de Dèce, il n’y a eu qu’un très petit nombre, très facile à compter, de chrétiens mis à mort.
[16] S. Cyprien, Ep.,
8, 52, 53, et le de Lapsis ; Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 39, 41 ;
Grégoire de Nysse, dans
[17] Excepté en Égypte, où se trouva sans doute un gouverneur particulièrement animé contre les chrétiens. Dans Alexandrie, une émeute populaire avait coûté la vie à plusieurs chrétiens avant l’arrivée de l’édit de Dèce. (Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 41.) Après la publication de l’édit, il y eut beaucoup de chutes et un certain nombre de martyrs. Toutefois. Denys, évêque d’Alexandrie à cette époque, ne nomme comme martyrisés, après l’édit, que neuf hommes et quatre femmes. (Ibid.) Il y en eut certainement davantage.
[18] Origène, qu’on appelait Άδαμάντιος (Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 14), avait alors soixante-cinq ans. Il venait d’écrire, entre 245 et 249, son grand traité contre Celse, le Λόγος άληθής. Saint Cyprien disait des confesseurs africains : Nec cessistis suppliciis, sed vobis potius supplicia cesserunt (Ep. 10).
[19] S. Jérôme, Vita Pauli, t. IV, p. 68.
[20] Saint Cyprien (Ep.
52) parle de la haine de Dèce contre les évêques. Voyez, dans
[21] Avec lui périt une esclave fugitive.
[22] Si les Actes de saint Acace sont authentiques (Bollandistes, 10 mars), Dèce aurait lui-même ordonné la mise en liberté de cet évêque.
[23] C. Vibius Trebonianus Gallus, né en 206, suivant
Aurelius Victor ; en 194, selon
[24] Eckhel, t. VII, 365. Après la mort d’Hostilianus, son beau-frère fut fait auguste (ibid., 566) et régna de nov. 251 à févr. 254.
[25] Vers la fin d’août 353. (Eckhel, t. VII, 371.)
[26] A la fin de 253. Pour cette chronologie difficile a établir, j’ai suivi Eckhel, qui en a savamment discuté les bases.
[27] M. Æmilius Æmilianus. (Orelli-Henzen, n° 5542.)
[28] Eutrope (IX, 6) dit qu’il fût tué tertio mense.
[29] P. Licinius Valerianus était d’une vieille famille et âgé peut-être de soixante-trois ans. Sa première puissance tribunitienne, comptée du vivant de Gallus, est de l’année 253. (Eckhel, t. VII, 376.)
[30] Trebellius Pollion, Tyr. trig., 20 ; Vopiscus, Aurelius, 8, 9, 11-15 ; Probus, 3-5.
[31] Zosime est très sévère pour Valérien (I, 36).
[32] Toutes les monnaies de Publius Licinius Egnatius Gallienus lui donnent le titre d’auguste ; aucune, celui de césar.
[33] Jamais les fêtes ne furent plus multipliées que sous Valérien et Gallien. (Eckhel, t. IV, 422.)
[34] Puer. Le mot est dans une lettre citée par Vopiscus (Aurelius, 9) et dont on a révoqué en doute l’authenticité sans motifs suffisants. Il est vrai qu’Aurelius Victor donne trente-cinq ans à Gallien au temps de son avènement.
[35] Ils semblent être
entrés en Gaule par la vallée de
[36] Eusèbe met la prise de Tarragone par les Francs en 263. Suivant Orose (VII, 22), ils seraient restés douze ans en Espagne (256-268).
[37] A la fin du quatrième siècle. (Ep., XXV, 5, 5.)
[38] Voyez mon Mémoire sur les tribuni militum a populo.
[39] Eckhel, t. VII, 385, 390-1. Postume fit graver des monnaies semblables. (Ibid., 447.)
[40] Vopiscus, Aurelius, 6. La date de ce fait est incertaine. Tillemont le place trop tôt, en 242 ; car la lettre de Valérien au préfet de la ville (ibid., 9), où l’empereur l’appelle liberator Illyrici, Galliarum restitutor, et fait allusion à des services considérables qui venaient mettre Aurélien en lumière, est de 257.
[41] Dexippos, Excepta
de Legat., dans
[42] Zonaras dit trois cent mille ; mais il ajoute que Gallien les battit avec dix mille hommes.
[43] Pipa, malgré l’amour de Gallien, ne fut qu’une concubine. Il ne reste d’elle ni une médaille ni une inscription, tandis que Salonina est toujours qualifiée d’augusta. Sur des monnaies de Gallien, on voit les bustes des deux époux. Il existe une monnaie de Salonina avec la légende in pace, qui est une formule chrétienne. Je ne crois cependant pas que Salonina soit résolument entrée dans l’Église, où l’on n’était reçu qu’après une répudiation éclatante des rites païens, et l’impératrice qui bâtit un temple à la déesse des Moissons, Segetia, n’a certainement point fait cette abjuration. Mais, curieuse des idées qui couraient de son temps, l’âme troublée par les malheurs de l’empire et par ses chagrins domestiques, l’amie de Plotin a sans doute aspiré à la paix que le christianisme et les néo-platoniciens promettaient i leurs morts. Son époux, qui promulgua le premier édit de tolérance en faveur des chrétiens, aura donné ce témoignage suprême à l’impératrice, qui l’avait peut-être incliné à la bienveillance envers les adhérents de la religion nouvelle. Voyez le Mémoire de M. de Witte sur l’impératrice Salonine, 1852.
[44] Aurelius Victor, 55 ; cf. id., 27. Depuis cette époque, le prœfectus legionis remplaça le légat légionnaire.
[45] Un autre, Valens, qu’on verra un moment empereur, paraît avoir fait lever aux Goths le siège de Thessalonique. Du moins, dans Ammien Marcellin (XXI, 16), il porte le surnom de Thessalonicus.
[46] Vopiscus, Aurelius, 10.
[47] Les rois du
Bosphore mettaient au revers de leurs monnaies la tète de l’empereur régnant :
Decius, Gallus, Volusianus, Hostilianus, Æmilianus, Gallienus, Odenath, Probus,
etc. Cf. Eckhel, t. III, p. 306, et Cary, Hist. des rois du Bosphore, p.
76-8. Mais ces rois étaient maintenant à la discrétion des Barbares, leurs voisins.
Ainsi une lacune de plusieurs années, dans les monnaies de Rhescuporis IV,
annonce des troubles dont un usurpateur barbare, Ininthimevus, profita.
Pharéansès, qui semble n’avoir régné que peu de temps vers
[48] Il y eut deux expéditions : la première, qui échoua, peut-être en 255 ; la seconde, qui réussit, en 257. (Zosime, I, 32-3.)
[49] Jordanès (de Gothorum gestis, 20) dit que les Goths avaient brûlé Ilium et le temple de Diane à Éphèse ; il ajoute que de son temps (sixième siècle), on voyait encore à Chalcédoine les ruines qu’ils avaient faites. Zosime (I, 35) ne dit pas quel était ce Chrysogonos, mais on voit que ces Barbares n’étaient pas assez barbares pour ne pas savoir tirer parti des traîtres et recueillir les informations nécessaires au succès de leurs expéditions.
[50] Vopiscus, Aurelius, 73. Valérien lui donna alors, non pas le consulat, comme le dit Vopiscus, mais les ornements consulaires. Les inscriptions et les monnaies prouvent qu’Aurélien fut consul pour la première fois en 279. Voyez Eckhel, t. VII, p. 479.
[51] Les anciens n’aimaient pas à s’aventurer sur l’Euxin avant le mois de mai et après celui de septembre.
[52] Sozomène (Hist.
ecclés., 11, 6) et Philostorge (Hist. ecclés., II, 5) disent que
parmi les captifs se trouvèrent des prêtres qui convertirent une grande
quantité de Barbares des bords du Danube et du Rhin. L’œuvre de conversion
commença peut-être parmi les Goths dès cette époque en 525, un évêque de ce
peuple siégera au concile de Nicée ; mais dans
[53] Pline avait arrêté en Bithynie un émissaire de Décébale à Chosroês. Sous Marc-Aurèle, la puissante ligue marcomannique se forma en 165, peu de temps après les grands succès de Vologèse en Arménie et sur les légions syriennes.
[54] Le fils de Chosroês, Tiridate, fut sauvé par les satrapes, qui l’envoyèrent à Rome ; en 287, Dioclétien le fit remonter sur le trône de ses pères. (Moïse de Khorène, Hist. Armeniaca, II, 69-75.)
[55] Sur l’infanterie persane, voyez Ammien Marcellin, XXIII, 6.
[56] C’est le récit de Zosime (I, 5). Zonare (XII, 25) parle d’un combat et d’une défaite. Il ajoute qu’on gardait aussi le souvenir d’une révolte de l’armée qui aurait forcé Valérien à se réfugier prés de Sapor.
[57] Agathias dit même qu’il fut écorché vif.
[58] Quelle est, dans
ce récit, la part de la légende et celle de la vérité ? On ne saurait le dire.
Une lettre de Constantin à Sapor II, citée par Eusèbe (Vie de Const.,
IV, 11), et les paroles de Galère à Narsès, rapportées par Pierre le Patrice (Excerpta
de Legat., dans
[59] Le bas-relief de Darabgerd montre Sapor foulant aux pieds de son cheval un homme renversé, sur la tête duquel on a cru voir un reste de couronne de laurier. (Flandin, Perse ancienne, pl. XXXIII.) Mais c’était un symbole de victoire fort usité chez les Perses, et l’on ne saurait en conclure que cette sculpture représentât une action réelle.
[60] Ammien Marcellin (XXIII, 5) met cet événement sous le règne de Gallien, par conséquent après la captivité de Valérien.
[61] Jean Malalas.
[62] Zonare, XII, 23.
[63] Ammien Marcellin (XXIII, 5) parle aussi de cette retraite précipitée.
[64] Ou Mariadès. Cf. Fragm. hist. Græc., t. IV, p. 992 (Didot).
[65] Ces lettres ont été
évidemment fabriquées, car les archives de
[66] Freppel, Saint Cyprien, p. 477-78, d’après les actes proconsulaires du martyre de saint Cyprien. Denys, évêque d’Alexandrie, ne fut aussi qu’exilé dans le désert de Libye, à trois journées de Parætomium. (Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 11.) Interrogé par le préfet d’Égypte, il avait fait la réponse fameuse de saint Pierre (Actes, V, 29) que Polycrate d’Éphèse avait déjà répétée (Eusèbe, Hist. ecclés., V, 24) et par laquelle le lien social peut être toujours brisé : a Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, c’est-à-dire à ses idées personnelles que l’on croit être de révélation ou d’inspiration divine, et non pas à la loi commune. Dans le cas des chrétiens, l’État avait tort, et leur résistance était légitime ; mais la formule était dangereuse, car elle ne servira pas toujours à sauvegarder des droits qui doivent être sacrés, ceux de la conscience.
[67] S. Cyprien, Ep. 82, à Successus. L’édit de Valérien s’y trouve.
[68] Freppel, Saint Cyprien, p. 490-491, d’après les actes proconsulaires.
[69] Pour le détail de cette persécution, voyez Tillemont, III, p. 415-440. Les actes du martyre de saint Denis, rédigés au septième ou au huitième siècle, n’ont aucune autorité.
[70] Orose, VII, 22.
[71] Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 13. Gallien semble avoir été débonnaire. Un marchand ayant vendu à Salonina des pierres fausses, il le condamna à être mangé par un lion et fit lâcher contre lui un chapon. Tout le monde de rire et l’empereur de s’écrier : Il a trompé, on le trompe ! (Hist. Auguste, Gallien, 12.)
[72] Fragm. hist. Græc., t. IV, p. 193 (Didot).
[73] En avril 258, Odenath avait déjà reçu les ornements consulaires. (Waddington, Inscr. de Syrie, n° 2602.)
[74] Pierre le Patrice, Excerpta de Legat., 2.
[75] Eutrope, IX, 10, 11 ; Malalas, XII, p. 227 ; Zonare, XII, 23.
[76] M. de Vogüé (Inscr. sémitiques, p. 29 et suiv.) ne croit pas qu’Odenath ait porté le titre d’auguste. Mais, comme le remarque M. Waddington (Inscr. de Syrie, p. 601), à Palmyre, on ne se piquait pas de traduire très exactement les noms des fonctions romaines, et comme Zénobie est appelée dans une inscription εεβαστή ou augusta, on peut en conclure que ce titre lui était donné comme veuve d’un εεβαστός.
[77] On arrivera à vingt-neuf césars ou augustes égorgés en moins de douze ans, si l’on compte les fils d’empereurs à qui leurs pères avaient donné la pourpre.
[78] On le croyait du moins, mais on ne peut prouver qu’il fût de cette illustre famille des Pisons, qu’Horace appelait Pompilius sanguis (Ars pœt., 292), parce qu’ils prétendaient descendre de Numa. On n’est même pas sûr que Pison ait pris la pourpre. (Voyez plus loin.)
[79] Trebellius Pollion, Tyr. trig., 8. Ce réveil du patriotisme provincial se montre en deux choses beaucoup de villes, en Gaule, par exemple, quittent, au troisième siècle, leur nom romain pour prendre celui de leur peuple ; et quand les empereurs démembrent un ancien gouvernement pour organiser de nouvelles provinces, c’est le plus souvent en donnant à celles-ci les limites que ces régions avaient eues au temps de leur indépendance.
[80] M. Cassianius Latinius Postumus (C. I. L., II, n° 4943).
[81] Obscurissime natus (Eutrope, IX, 9).
[82] Eckhel (t. VII, p. 391 et 438) met la reddition de Cologne en 259. —L’Histoire Auguste (Tyr. trig., 3) donne à Postume un fils que Valérien avait nommé tribun des Voconces, et que son père aurait pris pour collègue ; mais, quoique nous possédions une grande quantité de médailles de Postume, aucune ne donne à penser que son fils, qui n’avait que des goûts littéraires, ait été fait césar, puis auguste, et l’adoption de Victorinus confirme ces doutes. (Eckhel, t. VII, 447, et de Witte, Revue de numism., t. IV, 1859.)
[83] Bréquigny, Hist. de Post., p. 356, au tome XXX des Mém. de l’Acad. des inscr. Cette opinion s’appuie, il est vrai, sur deux lectures douteuses de légendes monétaires qui paraissent être d’une autre époque ; mais elle a pour elle la vraisemblance. (Eckhel, t. VII, 442.)
[84] M. de Witte les a réunies dans un savant livre. Le sénat de Posthume frappa comme celui de Rome des monnaies de bronze, avec le sigle SC.
[85] Mionnet, II, 61, 68.
[86] Salus exercitus (Mionnet, II, 64).
[87] Le chiffre V, placé à la suite de ce titre, paraît à Eckhel (t. VII, p. 439) signifier une Ve victoire remportée sur les Germains. Une autre monnaie, qui confirme la première, porte IMP. V.
[88] C’est la signification probable de deux médailles qui portent les légendes inusitées : Mercurio felici et Minerva fautrix. (Eckhel, t. VII, p. 445.)
[89] Les bronzes de
Postume sont très défectueux, mais ses pièces d’or égalent les plus belles des
empereurs précédents, et ses monnaies d’argent ont encore un peu de métal fin,
tandis que celles de Gallien n’en contiennent plus. D’après les pièces qu’on a
trouvées dans les dépôts de ce temps, on est autorisé à conclure que les
monnaies de
[90] Cf. Fragm. hist. Græc., t. IV, p. 194 (Didot). Il se peut que cette révolte d’Ingenuus soit antérieure à l’invasion des Alamans en Italie.
[91] Voyez la lettre de Gallien à Verianus Celer. (Trébellius Pollion, Ingenuus.)
[92] Fulvius Macrianus. Voyez, dans Trébellius Pollion (Tyr. trig., 12), le curieux discours de Balista à Macrien.
[93] Sur le misérable état d’Alexandrie, désolée alors par la peste et par les émeutes, voyez Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 21-22.
[94] L’éloge de Pison, prononcé par le prince du sénat, et le sénatus-consulte qui lui décerna une statue triomphale (Trébellius Pollion, Tyr. trig., 20), ne permettent pas de penser que Pison ait pris la pourpre.
[95] Pison fut peut-être tué par des émissaires ou par les troupes de Valens, qui prit le surnom de Thessalicus. (Trébellius Pollion, Tyr. trig., 20.)
[96] Dans la neuvième
année du règne de Gallien, par conséquent avant le
[97] Suivant d’autres récits, Odenath aurait épargné Balista, qui vécut en simple particulier sur une terre qu’il possédait près de Daphné.
[98] Ce temple avait
[99] Trébellius Pollion, Gallien, 5.
[100] Les aquæ calidæ étaient à 15 milles au nord de celle ville, qui s’élevait au bord de l’Euxin, et elles avaient une grande réputation, inter reliqua totius mundi thermorum innumerabilium loca omnino præcipue ad sanitatem infirmorum efficacissimæ (Jordanès, 20).
[101] Eckhel (t. VII, p. 238) croit qu’il y eut des hostilités entre Gallien et Postume dès 260.
[102] Fragm. hist. Græc., t. IV, p. 194.
[103] Du moins les monnaies de Victorinus portent des noms de légions que l’on sait avoir été dans l’armée de Gallien. (Cf. Eckhel, t. VII, p. 402 et 451.)
[104] C’est l’avis très autorisé de M. de Witte, Revue de numismatique, nouvelle série, t. VI, 1861.
[105] Witte, Revue de numismatique, t. IV, 1859.
[106] Cohen, V, 60. Une monnaie de Lælianus représente l’Espagne, où il n’a certainement pas commandé, mais il la comprenait dans son gouvernement. (Eckhel, t. VII, p. 449.)
[107] On a de lui des monnaies et des inscriptions qui font supposer un règne plus long. De Boze (Mém. de l’Acad., XXVI, 512) le fait régner quatre à cinq mois, de septembre ou octobre 267 à janvier ou février 268.
[108] Marcus Piavonius Victorinus (Orelli-Henzen, n° 5548 ; Eckhel, t. VII, p. 450.)
[109] Dans les premiers mois de cette année, puisque, à la fin de mars, le sénat demande à Claude de renverser Tetricus. On vient de trouver des monnaies de Victorinus en Angleterre.
[110] C. Pius Esuvius Tetricus (Borghesi, t. VII, p. 430, n. 4). Il fut proclamé à Bordeaux avant mars 268. De Witte, Revue de numism., t. VI, 1861 ; et Recherches sur les empereurs qui ont régné dans les Gaules au troisième siècle.
[111] Voyez la lettre où Claude le félicite de ses succès, en lui insinuant de ne pas trop les multiplier, de peur d’éveiller la jalousie de Gallien, à qui personne ne dit la vérité, ni sur ceux qui le servent bien ni sur ceux qui le servent mal. (Trébellius Pollion, Tyr. trig., 10.)
[112] Trébellius Pollion, Tyr. trig., 10.
[113] Trébellius Pollion, dans l’Histoire Auguste. Il écrivait au temps du césar Constance, qui descendait de Claude II (Gallien, 44), et Claude fit tuer Gallien. Celui-ci devait donc être pour Pollion un condamné, comme il l’avait été pour Claude.
[114] Zosime, I, 30-45.
[115] Zonare, XII, 24.
[116] Gibbon dit quinze mille, en s’appuyant d’un texte de Strabon, qui donne vingt-cinq à trente hommes d’équipage aux bateaux de l’Euxin. Mais rien ne prouve que, trois siècles après Strabon, ces navires n’étaient pas plus grands.
[117] Essais, I, 24. C’est le souvenir classique des paroles rapportées par Cicéron au de Senectute, 95, à propos des doctrines d’Épicure.
[118] Zonare, XII, 26.
[119] .... quam is perdite dilexerit. Pour lui plaire, il semait lui-même sa noire chevelure de poudre d’or et voulait que ses amis s’accommodassent ainsi. Gallienus cum suis semper flavo erinem candit (Trébellius Pollion, Salon. Gall., 3).
[120] Voyez quels lieutenants Valérien donne à Aurélien.
[121] Une médaille de cette année se rapporte à un succès naval obtenu sur les Goths, qui, revenant d’Asie chargés de dépouilles, furent battus d’une tempête sur l’Euxin et ensuite par une flottille romaine. (Eckhel, t. VII, p. 594, et Trébellius Pollion, Gallien, 12.)
[122] Trébellius Pollion, Valeriani duo, 8. Il était fils d’une seconde femme de Valérien. Eckhel (t. VII, p. 427-435) croit qu’il ne fut jamais ni césar ni auguste, malgré l’assertion précise de Trébellius Pollion. Le mot imperator ne serait plus alors que le titre militaire ; mais depuis longtemps ce titre ne se donnait qu’aux souverains. Zonare dit qu’un second fils de Gallien fut mis à mort par ordre du sénat.
[123] Aurelius Victor,
Eutrope et Orose (VII, 22) mettent sous ce règne la perte de
[124] Aussi Vérone prit son nom : Colonia Augusta Verona Nova Gallieniana, inscription de la porte de Vérone dite aujourd’hui de Borsari. (C. I. L., V, 3329.)
[125] Trébellius Pollion, Gallien, 13 : .... instaurandis urbibus muniendisque præfecit. Un de ces ingénieurs s’appelait Athénée, et nous avons d’un auteur de ce nom, dans les Malhematici veteres, 1695, un traité sur les machines de guerre.
[126] Letronne, Journal des Savants, 1827.