I. — L’IDÉE DE L’ÉTAT CHEZ LES ANCIENS ; SENTIMENT CONTRAIRE DES CHRÉTIENS.Le gouvernement impérial connaissait bien l’organisation puissante de l’Église[1], ces communautés correspondant entre elles d’un bout de l’empire a l’autre ; ces hommes qui, sans argent, traversaient les terres et les mers[2], qui voyaient partout, à leur approche, des portes et des cœurs s’ouvrir ; qui enfin, même avec des hommes d’une autre langue, sur un signe s’entendaient sans avoir besoin de se comprendre[3]. Le gouvernement impérial, si craintif à l’égard des sociétés secrètes, en trouvait une immense, répandue en tous lieux et qui était pour lui un péril évident, car c’était au sein de l’État un autre État auquel ne manquait aucun organe d’action ; mais la tolérance était une conséquence nécessaire de l’organisation religieuse des Romains, qui n’eurent jamais de théocratie, parce que, dans leurs pontifes, le caractère civil primait le caractère sacerdotal. Les prêtres de Jupiter et de Mars étaient des juges, des soldats, des administrateurs ; et ils avaient appris, dans le gouvernement des hommes, que la loi atteint seulement les actes et n’a point de prise sur la pensée. Aussi ne songèrent-ils jamais à imposer leurs croyances et tolérèrent-ils celles des autres tant qu’elles ne se manifestaient point par des faits jugés offensants pour l’empereur ou dangereux pour l’empire. Au milieu de la paix profonde que Sévère garantissait au monde romain, alors que nulle crainte de danger public n’exaltait les esprits, les sages qui conduisaient l’État ne songeaient pas à proscrire la nouvelle religion, tout en la laissant sous la menace du rescrit de Trajan. Ce rescrit, il était impossible de le retirer, tant que les Césars garderaient la religion de leurs pères car, pour eux, le titre de souverain pontife équivalait au serment fait par nos rois, le jour du sacre, de conserver la religion orthodoxe et de ne pas tolérer d’hérétiques dans leurs États[4]. Mais rois et empereurs ne pouvaient-ils se soustraire à ce dangereux serinent ? La sagesse dit oui, la fatalité historique dit non, et c’est elle malheureusement qui d’ordinaire est la plus forte. Cette demi tolérance ne donnait à l’Église qu’une paix incertaine, car les meilleurs des païens ressemblaient à l’historien Dion Cassius, esprit timoré, ennemi de toute violence, qui pourtant voulait qu’on punît les chrétiens, parce que, disait-il, les novateurs en religion étaient nécessairement dés novateurs en politique qui poussaient les citoyens à la révolte[5]. De temps à autre, une émeute populaire faisait quelques victimes[6], ou un gouverneur trop zélé appliquait les vieilles lois de l’empire. Sévère n’avait eu d’abord pour les chrétiens qu’une grande indifférence, car il ne voyait parmi eux que des cardeurs, des foulons, des cordonniers[7], et il ne lui semblait pas qu’un empereur eût quelque chose à craindre de ce dieu des petites gens. On n’est pas sûr qu’il en ait envoyé aucun, avant l’année 202, dans les lieux d’exil ou aux carrières d’où Marcia, sous Commode, les avait tirés[8], et les chrétiens furent sans doute compris dans la faveur qu’il accorda aux sectateurs de la superstition juive, de pouvoir arriver aux honneurs municipaux, avec dispense des obligations contraires à leurs croyances[9]. On en voyait jusque dans son entourage. Avant sa grandeur, un d’eux l’avait guéri de nous ne savons quel mal ; il en avait gardé si bon souvenir, que, devenu empereur, il le fit chercher partout et l’établit au palais[10]. D’autres y demeuraient, si le célèbre graffito du crucifié à tête d’âne, trouvé naguère au Palatin, est, comme il semble, de ce temps. Ne savons-nous pas d’ailleurs que Caracalla eut une nourrice chrétienne[11] et qu’un jour il prit une telle colère de ce qu’on avait fouetté un de ses compagnons de jeu, parce que cet enfant était de religion juive ou chrétienne, qu’il refusa longtemps de voir ceux qui l’avaient battu[12]. Lorsqu’on lit au Digeste que Sévère ordonna de renvoyer devant le préfet de la ville les individus accusés de tenir de assemblées illicites[13], on peut en conclure, les garanties de justice augmentant à mesure que le juge est pris plus haut, que ce rescrit dut être favorable aux chrétiens : la vieille et dure loi coutre les associations allait être tempérée par la prudence politique. Le mène prince autorisa, par tout l’empire, les pauvres gens à former des collèges avec cotisation mensuelle[14]. En fait, ce rescrit était favorable aux chrétiens, et l’on n’a pas le droit de dire que Sévère n’avait pas songé à eux en l’écrivant[15]. Mais l’empereur n’aimait le bruit nulle part, et les disputes religieuses en faisaient beaucoup, surtout quand Tertullien s’en mêlait et il y passa sa vie. Ce fils d’un centurion était un homme de combat ; il attaquait pour se défendre et frappait bruyamment tout autour de lui, invectivant à la fois les païens, leurs magistrats, leurs dieux, admis au ciel de par un sénatus-consulte[16], et ceux de ses frères qu’il traitait d’hérétiques[17], sans penser que les orthodoxes lui réservaient le même sort. Dans un fragment récemment retrouvé de saint Clément Romain se lit cette prière à Dieu : C’est toi, maître suprême, qui as donné à nos souverains la royauté pour que nous leur soyons soumis. Accorde-leur, Seigneur, la santé et la paix, afin qu’ils exercent sans obstacle le pouvoir que tu leur as confié sur toute existence. Dirige, Seigneur, leur volonté selon le bien et suivant ce qui t’est agréable, afin que, usant de l’autorité avec douceur, ils te trouvent propice....[18] Voilà la pensée des premières chrétientés, celle des apôtres Paul et Pierre, celle encore d’un évêque de Rome à la fin élu premier siècle, et de Théophile d’Antioche au milieu du second. Que ces saints hommes sont loin du fougueux docteur de Carthage écrivant dans son traité de l’Idolâtrie une véritable déclaration de guerre à la société païenne ! Dans un autre[19], on entend encore ce cri de révolte : C’est affaire à nous de combattre les institutions des anciens, les lois de nos maîtres[20] ; et cette révolte morale était légitime, puisque le gouvernement impérial, ne comprenant pas les droits sacrés de la conscience, avait traité vies hommes de foi comme des hommes de crime. Quant à la vie des chrétiens, Tertullien la veut triste et sombre, toujours sous la cendre et le cilice, dans la prière et les larmes. La femme qui ne vit pas comme une Ève repentie et gémissante est condamnée et déjà morte. Ses parures sont la pompe de ses funérailles[21]. Et cette sévérité répondait si bien à l’esprit de l’Église, que l’autorité du prêtre de Carthage, malgré sa chute, y était et y est restée fort grande. Donne-moi le maître, disait saint Cyprien, quand il voulait un livre du célèbre docteur, da magistrum[22], et Bossuet, qui l’a souvent copié, est bien près de parler comme Cyprien. Minucius Félix n’a ni son génie ni sa rudesse, et est plus amer encore. Il ne lui suffit pas de livrer les dieux de Rome à la dérision ; il foule aux pieds le dernier culte qui lui restât, l’orgueil des souvenirs. Saint Clément reconnaissait Rome pour sa patrie ; en parlant d’elle il disait : Nos légions, nos généraux[23]. Minucius n’est plus Romain ; pour lui, la fortune de ce peuplé est faite d’iniquités, son histoire est pleine de crimes, et sa ville n’a jamais été qu’un repaire de brigands[24]. Avec moins de colère et autant de dédain, saint Augustin dira encore de la gloire des Romains : acceperunt mercedem suam, vani vanam. Les sentiments de Minucius sont ceux du plus grand nombre des chrétiens. A Sanctus, un des martyrs de Lyon, on demande, au milieu des tortures, son nom, sa ville, son pays, s’il est libre, s’il est esclave. Mais il n’a pas de nom ; il n’a point de patrie. A tout il ne répond qu’un mot : Je suis chrétien ! C’est très beau, mais aussi très menaçant. Civis Romanus sum ! s’écriait le Romain des anciens jours attestant sa noblesse et son droit. Le stoïcien était encore un citoyen du monde. Les chrétiens n’ont plus qu’une cité, le ciel ; l’autre patrie, ils ne la connaissent pas. A ces malédictions contre l’histoire et la philosophie, c’est-à-dire contre la civilisation, s’ajoutaient des menaces contre l’empire et sa Babylone sacrilège. La secte des montanistes, qui s’accroissait tous les jours, même, à en croire l’orateur païen de l’Octavius, tous les chrétiens[27], annonçaient à Rome sa destruction prochaine, et leurs sombres prophéties donnaient à croire qu’ils se feraient volontiers les ouvriers de cette heure sinistre. Si tous les autres pensaient comme vous, leur disait Celse, le monde deviendrait la proie des Barbares[28]. Et, en effet, il l’est devenu, quand tout le monde pensa comme eux. Il se trouvait bien, à cette heure, dans Alexandrie, des hommes tels que Pantenus, Clément et Origène, qui, admirateurs sincères de l’ancienne philosophie, auraient voulu dégager les perles perdues dans un alliage funeste, afin de les joindre au diamant précieux dont l’éclat en deviendrait plus vif[29] ; ou, comme disait Origène, ravir l’or des Égyptiens pour en faire les vases sacrés de l’autel[30]. Mais lorsqu’ils parlaient de leurs contemporains, c’était avec l’amertume de Tertullien. Un des plus modérés, Cyprien, écrivait, au milieu d’une peste et d’une famine, au proconsul Demetrianus : Si je n’ai pas répondu à tes aboiements contre Dieu, c’est pour ne pas exposer notre vérité sainte aux outrages des chiens et des pourceaux.... Ces fléaux sont la vengeance divine qui frappe des coupables endurcis. Quoi ! vous blasphémez contre le Dieu véritable, vous persécutez ses serviteurs, et vous vous étonnez que la pluie ne descende pas sur vos plaines arides, que les sources tarissent, que la grêle détruise vos récoltes et que l’air empoisonné décime vos populations ? Ces maux sont la suite de vos iniquités ![31] Les païens parlaient de même, et de plus criaient : Les chrétiens aux lions ! Des deux côtés la passion concevait des dieux il son image, irrités et violents, tandis que l’impassible nature, suivant le cours de ses lois immuables, portait ici les nuées fécondes et lit les miasmes mortels. On a dit que cette rupture était nécessaire pour donner à
cette société une secousse qui fit tomber de sa tête les couronnes de fleurs
et l’ivresse des voluptés impures. Notre cinquième volume a démontré l’exagération
de cette légende, et nous savons, hélas ! que tous les vices n’ont pas
disparu de la terre du jour où le Christ s’est assis avec Constantin sur le
trône impérial. Les abominations du moyen âge et ries temps modernes, jusqu’aux
noyades de Les Romains, qui avaient nu goût si vif pour les déclamations tragiques, et l’empereur, qui en avait fait[33], n’auraient peut-être pas donné grande attention aux sombres tableaux que beaucoup de chrétiens déroulaient à leurs yeux, si, par d’autres côtés, la nouvelle doctrine ne leur avait paru dangereuse. Saint Paul avait dit : Que toute personne soit soumise aux puissances supérieures, car il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu[34]. Et quelques années plus tard, Clément Romain avait rédigé pour les églises une prière où il demandait à Dieu de donner aux empereurs la santé, la force et la sécurité[35]. Mais cet esprit de soumission n’était déjà plus celui d’une partie des fidèles. Sévère était un soldat. Que devait-il penser d’hommes répondant à Celse, qui leur reprochait d’abandonner l’empire assailli par les Barbares : Il est vrai que nous ne portons pas les armes et que nous ne les prendrions pas si l’empereur voulait nous y contraindre, nous avons un autre camp où nous combattons pour lui par nos prières[36]. Jurisconsulte, de quel œil pouvait-il regarder une secte où l’on enseignait que quand la loi de l’Église est en opposition avec la loi de l’État, c’est à la première qu’il faut obéir[37], parce que la foi n’admet pas l’allégation de la nécessité[38]. Prince enfin et conservateur nécessaire d’un ordre de choses qui avait toujours exigé le dévouement aux obligations sociales, il était inévitable qu’il chercherait à arrêter les progrès d’une religion dont les sectateurs se désintéressaient des devoirs publics. D’après les idées des anciens, que l’État fût représenté par un homme, un sénat ou une assemblée populaire, dans une puissante cité comme Athènes et Rome, ou dans le plus obscur des municipes, le citoyen lui devait toutes ses facultés : son courage dans les combats, sa fortune dans les nécessités publiques, sa vie dans les grands périls. Cette dépendance à l’égard de l’État, fort opposée à nos idées sur les droits de la liberté individuelle, avait donné au patriotisme une énergie que le nôtre a perdue[39] ; et c’est pour cela que nous ne comprenons pas, ou que nous comprenons mal, tant de choses de la société ancienne. Ainsi, pour faire, dans les persécutions, la part de chacun, bourreaux et victimes, il faut se rendre compte de l’horreur qu’inspiraient ces hommes qui opposaient à la patrie commune léguée par les aïeux celle qu’ils s’étaient faite eux-mêmes. Pourquoi, leur demandait-on, pourquoi fuyez-vous les fonctions municipales où l’on défend la loi ? — Parce que, dans chacune de vos cités, nous avons une autre patrie que Dieu nous a faite, l’Église, et que c’est à gouverner celle-là que doivent s’attacher ceux d’entre nous qui ont autorité par la parole et les mœurs[40]. Plusieurs philosophies, celle même qui régnait alors, conseillaient aussi le détachement du monde ; mais, dans l’école, cet esprit était inoffensif, parce qu’il restait à l’état de simple curiosité psychologique. Dans l’Église, il devait apparaître aux gouvernants comme un péril social ; d’abord parce qu’il était l’âme d’une société ennemie de l’ordre établi, ensuite parce que le renoncement aux fonctions municipales désorganisait la cité en faisant peser des charges plus lourdes sur ceux qui les acceptaient. Bien d’autres choses scandalisaient encore les païens.
Alors, comme aujourd’hui, on honorait les familles nombreuses, et la loi
romaine punissait le célibat. Or les gnostiques chrétiens, presque aussi
nombreux que les orthodoxes, maudissaient la chair comme le principe de tout
mal et pratiquaient l’ascétisme, qui fait vivre dans un monde à part. D’autres,
méconnaissant jusqu’aux conditions de la vie humaine, rangeaient parmi leurs
livres pieux des traités a sur les inconvénients du mariage[41]. Quelques-uns
osaient penser qu’Adam eût beaucoup mieux fait de rester dans un état de
pureté virginale et Dieu de trouver un autre moyen de mettre sur la terre des
adorateurs de sa puissance[42]. Un d’eux est
allé jusqu’à écrire : Quand nous avons des
enfants, nous souhaitons qu’ils nous devancent devant le Seigneur.
Quelle perversion de ce qu’il y a de meilleur en nous, l’amour paternel !
Tertullien, qui parlait ainsi, dit, il est vrai, de lui-même : Je ne plaide pas, je ne vais pas à la guerre, et mon
unique souci est de m’exempte de tout souci ; je me suis retiré du peuple, secessi
de populo. Ou encore : Nous n’avons
d’autre intérêt en ce monde que d’en sortir au plus tôt[43]. On accepterait,
au contraire, cette pensée de Montanus : L’homme
est une lyre que l’Esprit de Dieu fait vibrer[44], si elle n’exposait
à un autre péril par l’anéantissement de notre volonté et l’abandon absolu à Les éloquentes et sombres déclamations de Tertullien n’étaient pas la règle de foi de tous les fidèles. Il y avait certainement des chrétiens dans l’armée, dans les charges municipales, dans les fonctions civiles[45], et tous ne renonçaient pas à leurs biens par crainte du sort d’Ananias[46], ou au commerce, à l’industrie, de peur d’enfreindre les prescriptions de l’Église sur le prêt à intérêt[47]. Il s’en trouvait qui, pénétrés de la douceur des Évangiles, oubliaient le Dieu des vengeances inexorables, pour ne voir que le Bon Pasteur rapportant sur ses épaules la brebis égarée. Ceux-là étaient les néophytes qui se souvenaient d’avoir été nourris par l’Église de lait et de miel à leur entrée dans la terre de promission ; ils jouissaient de la vie, du soleil, des fleurs, de l’amitié, de l’amour, comme de dons du l’ère céleste ; et ils étaient les plus nombreux, parce qu’ils obéissaient aux vraies lois de notre nature, contre lesquelles il ne peut y avoir de révolte générale. Mais ils n’étaient pas les plus ardents. Ceux-ci, à qui l’on versait le vin de la colère et l’ivresse de la mort, s’écriaient avec Minucius Félix : Le temps n’est plus d’adorer les croix, mais de les porter[48] ; et ils vont faire les martyrs de la persécution qu’il nous reste à raconter. II. — RESCRITS DE TRAJAN, DE MARC-AURÈLE ET DE SÉVÈRE.Les persécutions, un des incidents du drame éternel de l’histoire, sont suscitées par la révolte de la conscience contre le droit établi, par la lutte de l’avenir qui approche contre le présent qui ne veut point devenir le passé, car la sagesse ne fait malheureusement son œuvre que sur des ruines. Sophocle, dans son Antigone, avait déjà montré, en termes magnifiques, l’opposition qui peut se trouver entre la loi civile et la loi naturelle, entre les décrets des hommes et ces lois éternellement vivantes qu’aucune main n’a écrites, mais que les dieux ont gravées au cœur de tous les hommes. La pieuse jeune fille qui brave les menaces orgueilleuses d’un tyran, pour ne pas encourir la colère des immortels, parle déjà comme vont parler les martyrs ; et nous sommes avec le poète quand il revendique noblement les droits de la conscience. Mais si les chantres inspirés sont parfois les prophètes de l’avenir, le prince est toujours l’homme du présent, et il a le devoir d’imposer l’obéissance à la loi que ses prédécesseurs lui ont léguée et dont la société lui demande l’exécution. Tertullien réclame de Sévère la liberté religieuse : Il est de droit humain, dit-il, jus humanum, que chacun adore ce qui lui plait, et il est contraire à la religion de contraindre à la religion[49]. Belles paroles que prononçait l’Église souffrante, que répudiera l’Église victorieuse et que certains modernes repoussent encore, en disant à leurs adversaires : Nous réclamons la liberté au nom de votre principe ; nous vous la refusons en vertu du nôtre. Origène aussi s’indigne que l’Église soit enveloppée par l’État, et il est dans la vérité, car le for intérieur doit être à l’abri de toute contrainte ; mais un jour la papauté, aussi peu sage que l’empire, voudra, par un excès contraire, mettre l’État dans l’Église. Minucius Félix dans son Octavius, le prêtre de Carthage dans son Apologétique, et avec eux tous les défenseurs de la foi nouvelle, plaident l’innocence des chrétiens ; ils ont encore mille fois raison. Mais aucun ne comprend cette fatalité historique qui veut, en religion comme en politique, que ce qui existe cherche à se défendre et qu’une vieille société repousse ceux qui prétendent changer ses mœurs, ses idées et ses institutions. Pour les Romains, conservateurs de l’ancien ordre social, les chrétiens étaient de dangereux révolutionnaires ; dans leurs actes pieux, ils voyaient des sacrilèges ; dans leur foi, la ruine du culte officiel et de l’organisation politique dont ce culte était un élément essentiel[50]. Aussi l’argument de Tertullien demandant que les règles de la justice ordinaire fussent appliquées aux chrétiens, tombe à faux, malgré l’éloquence qui la soutient. On leur impute, dit-il, tous les crimes, mais ils ne sont pas interrogés à ce sujet : Es-tu chrétien ? — Oui. Voilà tout le procès[51] ; et tandis qu’on emploie la torture pour contraindre les coupables ordinaires à l’aveu de leur crime, on s’en sert avec le chrétien pour obtenir de lui qu’il permette, en reniant sa foi, que le juge le déclare innocent. Persiste-t-il : un plus ample informé n’est pas nécessaire. Les accusations habituelles : adoration de la tête d’âne[52], meurtres d’enfants dont la chair était mangée, orgies incestueuses dans les ombres de la nuit, tout cela est bon pour la populace ; le juge ne s’y arrête pas. Dans le christianisme, celui-ci ne voit que rêveries mystiques et doctrines antisociales ; dans le chrétien, qu’un ennemi public[53] dont il suffit de constater l’identité avant de le jeter aux bêtes. L’inquisition catholique n’en demandera pas davantage pour envoyer un albigeois ou un protestant au bûcher[54]. Ces persécutions, qui nous font horreur, ne paraissaient aux contemporains que des questions d’ordre public. Contre les chrétiens, Rome faisait ce que les gouvernements modernes font contre ceux qui attaquent leur principe, mais elle le faisait avec les procédés d’un temps où la législation pénale prodiguait la mort[55]. Voilà pourquoi il faut admettre des circonstances atténuantes en faveur de ceux qui les commandaient, tout en nous réservant de condamner énergiquement les idées et les institutions qui ont rendu ces iniquités possibles. Il y a un autre devoir à remplir : c’est de distinguer parmi les persécuteurs ceux qui ont cédé à regret et dans une faible mesure aux passions du temps et ceux qui, les partageant, ont unis la cruauté au lieu de l’indulgence dans l’exécution de lois détestables. Sévère doit être placé parmi les premiers, car, s’il a été moins sage qu’Hadrien, il le fut plus que Dioclétien. Trajan avait fait un crime d’État de la manifestation
publique de foi chrétienne[56], niais il en
avait interdit la recherche ; sous Marc Aurèle on trouve un décret portant : Celui qui, par des pratiques superstitieuses, effrayera l’âme
mobile des hommes sera relégué dans une île[57]. Ce rescrit ne
désignait pas nominalement les chrétiens, mais ils étaient à coup sûr compris
parmi ceux qu’il devait frapper. C’était un pas de plus vers la persécution.
En 202, Sévère en fit un troisième. Au bord du Nil, il avait mis sous clef
les livres de théologie égyptienne, et, en traversant Dans toute l’antiquité, la religion et l’État avaient été si étroitement unis, qu’un Romain ne pouvait comprendre l’un sans l’autre. Il en avait été de même à Jérusalem ; aussi Rome avait-elle officiellement admis la religion des Juifs en reconnaissant, par les traités faits avec eux, leur nationalité. Il était donc facile de leur appliquer le rescrit de Sévère et de les tenir enfermés dans leur race, d’autant mieux qu’ils ne cherchaient plus que rarement à en sortir. Mais les chrétiens formaient une secte et non pas une nation : ils se recrutaient partout, même chez les Barbares. Entrer en communion avec les ennemis de l’empire, c’était déjà bien grave ; ruais entraîner des citoyens à abandonner le culte national semblait une trahison, et le gouvernement aurait voulu arrêter la désertion de ces transfuges de la patrie romaine. L’édit n’allait pourtant pas jusqu’à proscrire les communautés chrétiennes existantes ; il ne tendait qu’à les empêcher de s’étendre. Or cette défense était contraire à une des prescriptions les plus impérieuses de la loi évangélique : Ite et docete gentes[58]. Elle eût arrêté les conversions et elle permettait de frapper ceux qui cherchaient à en faire. Cependant la recherche des chrétiens ne fut pas encore prescrite, puisque Tertullien écrivit en paix ses livres si durs pour les païens, puisque les prêtres purent enseigner, les hérétiques discuter, les fidèles venir publiquement, comme Origène[59], en aide aux martyrs dans la prison, les assister au tribunal, les fortifier jusqu’à l’amphithéâtre, puisque enfin, malgré le nombre très grand des évêques[60], pas un d’eux ne périt, et qu’on laissa aux chrétiens leurs chefs et leurs docteurs, leurs assemblées et leurs élections, leurs écoles de catéchumènes et leurs cimetières[61], c’est-à-dire leur organisation et leur culte. Il y eut des exécutions pour effrayer l’Église et arrêter sa propagande par la terreur. Mais on ne frappa que de petites gens et des esclaves, dont on se souciait peu. Les victimes furent donc ces exaltés d’en bas qui, dans toutes les révolutions, sont les plus animés, ceux qui d’eux-mêmes se désignaient au juge ou à l’émeute par leur ardeur à chercher le supplice, ou qui, dénoncés au magistrat par des ennemis personnels, se défendaient de manière à se placer sous le coup de la loi. Mais la vocation du martyre n’est jamais que le partage du petit nombre, et la délation, dans les cas de cette nature, avait ses dangers, parce que le delator n’était pas assuré que l’accusé ne ferait point tomber l’accusation avec le seul mot qu’on lui demandât : Non, je ne suis pas chrétien ! Or le délateur qui ne prouvait pas son dire encourait de graves responsabilités[62]. L’édit de Sévère ne prescrivant aucune recherche, chaque gouverneur l’appliqua suivant son caractère. Celui de Cappadoce, irrité contre les chrétiens qui avaient converti sa femme, en força plusieurs, par la violence des tortures, à sacrifier aux dieux[63]. Lyon avait pour l’idolâtrie l’ardeur qu’il montra plus tard pour la foi nouvelle. Si la tradition de l’Église suffisait à dispenser de tout témoignage historique, saint Irénée y aurait péri, mais ses contemporains, Tertullien, Clément d’Alexandrie et saint Cyprien, ne savent rien de son martyre. Les deux grandes cités africaines, Carthage et Alexandrie, qui rivalisaient de magnificence[64], étaient deux foyers ardents de vie religieuse[65]. Sitôt que l’édit de Sévère y fut connu, elles lâchèrent la bride à leur passion païenne, et les magistrats, mis en demeure de remplir leur devoir légal, cédèrent à la pression populaire. On parle pour l’Égypte de beaucoup de victimes[66], parmi lesquelles se trouva le père d’Origène. Cependant, à Alexandrie, l’évêque Démétrius, le maître des catéchumènes Clément et Origène, malgré l’ardeur de son zèle, échappèrent ; de même dans toutes les grandes villes, à Carthage, à Antioche, à Smyrne, à Rome. Le clergé de cette dernière ville était déjà nombreux, et il se produisait, à ce moment même, dans son sein des divisions bruyantes ; aucun de ses membres ne paraît avoir été inquiété : le pape Zéphyrin et Calliste, qui était alors très en vue, ne le furent certainement pas. Dans la province d’Afrique, une des dernières évangélisées, ce sont des fidèles, presque tous obscurs, qui périssent. La persécution commença, dans Cartilage, à la suite d’une émeute la populace voulait forcer le gouverneur à fermer les cimetières chrétiens[67]. Avant d’en venir là, il y avait eu certainement des violences dans la rue, et plus les chrétiens prenaient d’assurance en leur nombre croissant[68], plus ils mettaient de fierté et de hauteur dans leur langage à l’égard des païens, plus leurs adversaires trouvaient haïssables ces hommes qui semblaient vouloir se placer au-dessus des autres citoyens en méprisant leurs dieux, leurs fêtes et leurs plaisirs[69]. Ainsi, lorsque Rome déployait, en 204, toutes ses magnificences pour célébrer les jeux séculaires[70], Tertullien venait d’écrire avec sa fougue ordinaire un livre contre les spectacles. Les premiers martyrs de Carthage avaient été, en 180, les douze Scillitains[71], parmi lesquels s’étaient trouvées plusieurs femmes. Dans le second combat, qui eut lieu la dixième année du règne de Sévère (202)[72], périrent encore, avec d’autres confesseurs, l’esclave Félicité et la matrone Perpétue. Leur sacrifice est longuement raconté, au Martyrologe, en des récits pleins de visions miraculeuses et de morts héroïques. Ces soldats du Christ étaient de généreux combattants, mais tels qu’on n’en avait pas encore connu. Dans l’antiquité grecque et latine, on mourait pour la patrie, c’est-à-dire pour ses concitoyens ; au premier siècle de l’empire, Thrasea et tant d’autres étaient morts pour la justice humaine ; maintenant, on mourait pour le ciel. On peut mesurer par trois mots l’immense révolution qui, en trois siècles, s’était produite dans les idées : le civis Romanus sum des grands jours était un cri de patriotique orgueil ; quand le stoïcien se disait citoyen du monde, il ne reniait pas encore l’empire ; mais le chrétien qui, à cette question du magistrat : Qui es-tu ? répondait : Servus Christi, n’était plus même de la terre. Ce changement annonce que, dans l’État qui va se former, les liens de la famille et de la cité seront, pour beaucoup, comme s’ils n’existaient pas. Hôte passager de la terre, Jésus n’avait tenu à rien de ce monde : il n’avait été ni fils, ni époux, ni père[73], et encore bien moins citoyen. Son père, il ne semble pas le connaître ; sa mère, il lui répond : Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? Ses disciples, il leur interdit le travail et la prévoyance : Considérez les oiseaux du ciel, ils ne sèment ni ne moissonnent ; ... mais votre Père céleste les nourrit.... Voyez les lis des champs : ils ne travaillent ni ne filent, et, cependant Salomon dans sa magnificence n’était pas vêtu comme le plus petit d’entre eux[74]. A côté des plus belles paroles sur les devoirs de charité, de justice, d’amour du prochain, il est des commandements évangéliques qui ont fait verser bien des larmes, en provoquant bien des ruptures. Je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, la bru de sa belle-mère ; l’homme aura pour ennemis les gens de sa propre maison[75]. Et un jour que ses disciples lui demandaient quelle serait leur récompense pour l’avoir suivi, il répondit : Quiconque aura quitté pour moi ses frères ou ses sœurs, son père ou sa mère, sa femme, ses enfants ou ses biens, possédera la vie éternelle[76]. Il faut voir ce côté du christianisme, car ces paroles exercent encore leur influence, et la société humaine en a été profondément modifiée. Avant de donner naissance aux ordres monastiques, il toutes les macérations de la chair, et à d’héroïques dévouements qui se produisent encore[77], elles ont fait l’inspiration des martyrs. Lisez les actes de sainte Perpétue. On a dit que certaines pages semblent en avoir été écrites avec une plume tirée de l’aile d’un ange, tant on y trouve de poésie touchante. Je le veux bien ; et si cette mort n’a pas été cherchée[78] ; si, traînée malgré elle devant le juge, Perpétue a refusé de cacher sa foi, c’est le sentiment du devoir et de l’honneur qui l’anime, et son courage est sublime. Mais, historien des faits humains, je dois, dans la sainte, voir aussi la femme qui brave publiquement les lois de son pays et montrer la mère abandonnant l’enfant qu’elle nourrissait de son lait, la fille exposant son vieux père à tous les affronts. Aie pitié de mes cheveux blancs, lui disait-il, aie pitié de ton père. Vois ta mère, tes frères, ton fils, qui sans toi ne pourra vivre. Laisse fléchir ton orgueil, animos ; ne nous condamne pas tous à de mortelles douleurs[79]. Et il lui baisait les mains, il se jetait à ses pieds. Mais elle : Éloignez-vous de moi, ouvriers d’iniquité ; je ne vous connais pas. Le procurateur aussi lui criait : Épargne donc ton père, épargne ton fils ! Pour dernière épreuve, il fit frapper de verges le vieillard devant elle. Elle persista, et c’est sa gloire, celle aussi de l’Église qui savait inspirer de tels sacrifices et qui en recueillait le fruit. Mais, il faut bien le dire, cette jeune femme qui allait d la mort en marchant sur le cœur de tous les siens est un héros d’une nature particulière. Elle mourait pour elle-même, afin de vivre éternellement : les vrais héros meurent pour les autres ; ainsi fait la sœur de charité. Les théologiens modernes disent encore : La question du salut est une affaire personnelle, et peu importe que la famille ou la cité en soit brisée[80] ; comme si la cité et la famille n’étaient pas d’institution divine, puisqu’elles sont une nécessité de notre nature. Le christianisme aime la mort ; il la pare comme la fiancée impatiemment attendue ; il l’appelle la vie : Vivit, écrit-il sur le tombeau des siens, il vit pour l’immortalité. Ainsi pensait-on dans l’Église primitive. Plus il y avait de larmes et de cœurs déchirés autour de ces victimes volontaires, plus le sacrifice paraissait méritoire et plus haut le martyr semblait monter dans la gloire de Dieu, d’où il protégerait ceux qu’il laissait derrière lui. Le ciel et la terre n’étaient plus qu’une même cité, ayant, dans les saints, ses patrons, et, dans leur clientèle divine, la troupe des fidèles[81] : belle et poétique croyance qui faisait retrouver cette échelle de Jacob que les anges du Seigneur montaient et descendaient. Aussi chaque communauté était heureuse et fière de ces immolations. Parfois les amis, les proches, dans leur piété farouche, exaltaient l’ardeur des martyrs. Ils leur répétaient cette parole de saint Paul[82] : C’est Jésus-Christ qui souffre en vous ; ils leur montraient toute l’armée céleste présente à leur triomphe et prête à les recevoir dans sa gloire. Origène pousse son père au supplice[83] ; Numidicus regarde avec une sainte joie sa femme brûlant sur un bûcher ; la mère de saint Symphorien, son fils allant à la mort ; une autre son mari au milieu des tortures : Lève les yeux en haut, lui crie-t-elle, et tu verras celui pour lequel tu combats. L’amour de Dieu remplace en eux toutes les affections que Dieu cependant nous a imposées en nous les donnant. Le ciel est ouvert à leurs regards ; de la terre, ils ne voient, ils ne sentent rien, pas même les ongles de fer ou la dent des fauves qui déchirent leur chair[84]. Traînées dans l’arène par un taureau furieux, Blandine et Perpétue conversent avec le Seigneur, et, relevées sanglantes, demandent quand commencera le combat. L’ivresse du divin les avait saisies. Il faut à l’homme un idéal ; c’est l’honneur du christianisme d’avoir placé le sien si haut, alors que personne autour de lui n’en avait plus. C’était aussi un périt de le mettre si loin de la terre, non des jouissances que l’on peut y trouver, mais des devoirs que nous sommes tenus d’y remplir. Mysticisme, extase, hallucination, trois degrés successifs de l’échelle par où l’âme monte à Dieu et se perd en lui, tout en restant attachée au corps. Durant cette concentration énergique de la pensée sur un seul objet, la sensibilité physique est abolie par une sorte de paralysie temporaire du système nerveux, qui fait disparaître jusqu’au sentiment de la douleur, comme nous la supprimons naturellement par les anesthésiques. Cet état aujourd’hui bien connu, c’est, dans la langue de l’Église, le ravissement ; dans la langue du monde, l’enthousiasme qui fait la force des héros : celle de Mucius Scævola brûlant sa main au feu de l’autel, et celle des martyrs se riant des plu ; cruels supplices. Regarde-nous bien au visage, disait un martyr à un païen qui assistait dans la prison à son dernier repas ; regarde-moi bien pour me reconnaître au jugement dernier. Cette foi ardente, ces tragiques spectacles, n’étaient pas bons pour le paganisme. A voir de telles morts, la conscience se révoltait, et des hommes, venus à ces jeux comme à un plaisir, s’en retournaient le trouble dans l’âme et se demandant : Quelle est donc cette foi qui donne tant de courage et tant d’espérance ? Le sang des martyrs était une semence de chrétiens[85], et l’Église, comme une vigne dont on retranche les rameaux, en devenait plus féconde[86]. Souvent même le magistrat aurait voulu éconduire des dévoués, qui venaient lui demander la mort avec la ferveur d’un Hindou se jetant sous le char du dieu de Yaggrenath[87]. Il exigeait seulement un mot, une apparence de soumission à la loi. Puisque tu ne crois qu’à un Dieu, sacrifie à Jupiter seul, disait l’un. Jure par le Dieu unique, disait l’autre[88]. Ils ‘refusent, et l’Église les encourage dans leur généreuse obstination. Tertullien, Cyprien, Origène, rédigent même des manuels pour la préparation au martyre[89]. Les passiones, lues à l’église, après l’évangile, étaient une autre préparation. Que d’ardeurs contagieuses s’éveillaient dans ces assemblées, quand on y enseignait que le martyr devenait le collègue du Christ dans sa passion[90], ou lorsque le diacre lisait la lettre de saint Ignace aux Romains, qui auraient voulu le sauver du supplice : Je vous écris vivant, mais amoureux de la mort (Ep. ad Rom.). J’ai peur de votre affection ! Qu’est-ce que la mort pour le Christ ? Un beau coucher de soleil précédant le lever radieux d’un jour divin. Je suis le froment de Dieu ; la dent des bêtes me broiera, et je deviendrai le pain purifié du Seigneur. Ah ! Laissez-moi jouir de mes lions[91]. Au récit des tortures, ils mêlaient celui des visions que les martyrs avaient eues dans l’exaltation de la fui et dans la fièvre du dernier jour, ou de celles que les hagiographes leur prêtaient pour montrer la récompense promise. Nous avions souffert, disait Satur, un des compagnons de Perpétue, et nous sortîmes de nos corps. Quatre anges nous emportaient du côté de l’orient, vers une lumière immense. Arrivés à un jardin où des rosiers hauts comme des cyprès jonchaient incessamment la terre de leurs fleurs, nous approchâmes d’un lieu dont les murailles semblaient faites de lumière. A la porte, quatre anges étaient debout ; ils nous revêtirent de robes d’une blancheur éclatante, et, quand nous fûmes entrés, nous entendîmes des voix qui répétaient : Saint, saint, saint ! Au milieu, nous vîmes comme un homme assis ; il avait les cheveux blancs et le visage d’un jeune homme. Les anges nous ayant soulevés, il nous donna le baiser de paix, et les vingt-quatre vieillards assis à ses côtés nous dirent : Allez vous réjouir. Et, en effet, nous éprouvions plus de joie que jamais nous n’en avions eu dans notre chair. Ainsi, la joie du ciel sortait de la prison lugubre et la couronne de fleurs s’épanouissait sur les épines sanglantes[92]. Dans cette littérature du martyre qu’aucun peuple n’avait encore connue, on retrouve la même impuissance où l’imagination a toujours été pour peindre le séjour des bienheureux’ ; mais ce n’était pas moins une poésie nouvelle, et des âmes exaltées n’en demandaient pas davantage. Les païens disaient des martyrs : Ce sont des fous. Bossuet, reprenant le mot pour le glorifier, célèbre l’extravagance du christianisme, et nous glorifions encore la folie de la croix. A l’ostentation de piété et de courage des confesseurs, a cette soif de la mort, qui irritaient les païens et les poussaient à de nouvelles violences, Clément préféré la prudence qui, sans lâches concessions, évite le péril[93] ; saint Cyprien appelle le martyre, mais ne veut pas qu’on y coure[94] ; saint Pierre d’Alexandrie consent même à ce qu’on rachète sa vie à prix d’argent[95], et les lettres de rachat étaient nombreuses[96]. D’ailleurs Jésus s’était lui-même retiré à l’approche de ses ennemis, parce que son heure n’était pas encore venue, et il avait dit à ses disciples : Fuyez de ville en ville pour éviter la persécution. Ces paroles ont fait la doctrine de l’Église. Nous admirons le saint enthousiasme des soldats du Christ, ces sacrifices qui sont l’honneur suprême de la nature humaine, et nous savons que les martyrs font les causes triomphantes. L’histoire doit tenir grand compte de cet état singulier des âmes, parce qu’il lui explique les révolutions qui approchent ; mais il lui appartient aussi de signaler, comme un des faits les plus considérables des annales humaines, la naissance, dans le monde occidental, d’un esprit nouveau dont l’influence dure encore et qui a poussé tant de saints à rompre avec les devoirs de la vie sociale. Quand les persécutions auront cessé, cet amour exclusif du ciel continuera à fomenter le dégoût de la terre et fera sortir du siècle des multitudes infinies d’hommes qui, en y restant, auraient aidé à y rendre la vie plus pure. Avant Constantin, cet esprit fait des martyrs ; après lui il fera des moines, d’abord occupés de leur salut, plus tard de celui des autres, et qui seront alors organisés en communautés puissantes, au sein de la société civile, pour la conduire et la dominer. Sans l’institut monastique, qui dérive de l’idée à laquelle obéissaient les martyrs, le catholicisme : ne serait pas devenu persécuteur à son tour ; du moins ne l’aurait-il pas été avec la suite que les moines ont mise dans la persécution. Aux survivants de l’exil, de la prison, des tortures, on accordait une sainteté qui en poussa quelques-uns à usurper sur les fonctions épiscopales, en donnant des lettres de communion à des lapsi, c’est-à-dire à des frères qui avaient renié leur foi. Il y eut à ce sujet, à Carthage et à Rome, de grands débats dont témoignent les lettres de saint Cyprien. C’était le commencement d’une poétique et dangereuse doctrine, celle des indulgences, fondée sur les mérites des saints. Quant aux confesseurs que le magistrat n’avait pas épargnés, leur mort étant pour les fidèles un sujet d’édification et de juste orgueil, les hagiographes des âges postérieurs en ont singulièrement multiplié le nombre. Le meurtre, par exemple, des neuf mille Lyonnais égorgés avec leur évêque, saint Irénée, par les légions de Sévère, et les fleuves de sang qui coulent à travers la ville[97], sont une légende que n’osent accepter ceux mêmes qui seraient le plus disposés à grossir le chiffre des martyrs. Le sage Tillemont n’en parle pas ; il ne semble pas non plus très assuré que le pape Victor ait été martyrisé à Rome[98], que Sévère ait fait tuer saint Andéol en ordonnant de lui fendre la tête en quatre avec une épée de bois, et la façon dont il cite les Actes de sainte Félicité et de ses sept fils, légende renouvelée de celle des sept frères Macchabées, laisse voir sous sa prudente réserve des doutes que justifient les détails étranges donnés par l’hagiographe[99]. L’amitié qui unit les interlocuteurs du dialogue de Minucius montre que chrétiens et païens pouvaient vivre en fort bonne intelligence, et beaucoup de gouverneurs, voyant, comme le frère de Sénèque et comme Festus, avec une parfaite indifférence des pratiques qui ne mettaient pas l’ordre public en danger, favorisaient le commerce des lettres de rachat. Tertullien en cite qui, débonnaires par nature, sceptiques en religion, répugnaient à l’obligation de faire égorger des innocents et tenaient à rentrer dans Rome sans une tache de sang sur leurs faisceaux[100]. Asper disait tout haut qu’il n’aimait pas ces sortes de procès. Quand il avait à juger un chrétien, il paraissait le faire mettre à la question, se contentait de la moindre parole et le délivrait sans l’obliger à sacrifier. Severus leur fournissait la réponse qui lui permettait de les absoudre. A Pudens on amène un chrétien avec une lettre qui dénonçait sa foi ; il déchire la lettre, met le captif en liberté et déclare qu’il ne recevra d’accusation que quand l’accusateur se présentera lui-même à son tribunal, conformément à la loi. Candidus les traitait de brouillons et les renvoyait à leur ville, avec ces mots : Allez vous accommoder avec vos concitoyens. — Malheureux, leur dit un autre, si vous voulez périr, n’avez-vous pas assez de cordes ou de précipices ? et il les chasse de son tribunal. Le gouverneur de Syrie ouvre à Peregrinus les portes de la prison, le sachant assez fou pour aller par gloriole à la mort[101]. Un jour, en Afrique, où Sévère était légat du proconsul, la populace lui demanda la mort de plusieurs chrétiens, membres du sénat de Carthage ; il résista aux clameurs de la foule furieuse[102], et, empereur, il révoqua un gouverneur de Bithynie, Antipater, qui lui parut trop prompt à se servir du glaive[103], très probablement contre les chrétiens. La révocation d’un gouverneur était une mesure extrême et rare ; celle-ci fut d’autant plus significative que cet Antipater avait été un des ministres du prince. Malheureusement Sévère ne pouvait tout voir ni tout entendre, et la loi, bravée par des chrétiens avides du martyre, ou trop fidèlement obéie par des magistrats sans entrailles, envoyait au supplice des hommes dont le seul crime était de prier Dieu autrement que leurs persécuteurs. Des Juifs ont répondu aux malédictions des chrétiens : Vous nous haïssez pour avoir condamné Jésus. Que seriez-vous si nous ne l’avions pas condamné ? On pourrait répéter aussi le mot de Tertullien et dire : Le sol chrétien aurait-il eu sa fécondité si le sang des martyrs ne l’avait pas arrosé ? Deux vérités qui n’effacent point la tache imprimée par la mort des justes, ou plutôt qui montrent les tristes nécessités qu’imposent à l’homme des institutions mauvaises. En Judée, les pouvoirs publics et la puissance religieuse étaient dans les mêmes mains[104]. Rome païenne a aussi souffert de leur union, le moyen âge de leur rivalité : dans un cas, des persécutions cruelles ; dans l’autre, des guerres sanglantes, et partout et toujours la mort semée au nom de Celui qui a fait la vie. A aucune de ces époques, on n’avait connu la liberté de conscience qui sépare le sacerdoce et l’empire sans les armer l’un contre i’autre. Bénis soient ceux qui nous l’ont donnée ! |
[1] Ulpien, un des conseillers de Sévère, avait réuni dans le septième chapitre de son traité de Off. proc. tous les édits relatifs aux chrétiens. (Lactance, Inst. div., V, II, 19.)
[2] Voyez (II Cor., XI, 43-50) le résumé que donne saint Paul de ses voyages.
[3] Toute l’histoire ecclésiastique dépose de l’activité de cos communications. Les églises se consultent, se font part des décisions qu’elles ont prises, de leurs souffrances et de leurs triomphes. Les écrits mêmes circulaient rapidement. Saint Irénée, à Lyon, emprunte plusieurs passages à Théophile d’Antioche, et l’auteur des Philosophumena, à Rome, Tertullien, à Carthage, copient l’évêque lyonnais.
[4] Serment de Louis VIII à son sacre : .... Outre je tascheroy à mon pouvoir, en bonne foy, de chasser de ma juridiction et terres de ma sujétion tous hérétiques dénoncés par l’Église (le Cérémonial françois, par Théod. Godefroy, 1649).
[5] Dion, LII, 36.
[6] Quoties in Christianos desævitis.... legibus obsequentes ? Quoties suo jure nos inimicum vulgus invadit lapidibus et incendiis ? (Tertullien, Apologétique, 37.) Cependant Origène dit peu de temps avant la persécution de Decius : Pauci per intervalla temporum et facile numerabiles pro Christiana religione mortem obierunt (Contra Celsum, III, 8). Lactance (de Morte persecut., 3 et 4) croit que l’Église a vécu en paix de Domitien à Decius, et Prudence (Adv. Symm., II, 669) fait remonter cette ère de paix jusqu’à Néron.
[7] Origène, Contra Celsum, III, 55.
[8] Après avoir énuméré
ceux que les communautés chrétiennes secouraient, les pauvres, les orphelins,
les vieux serviteurs et les naufragés, Tertullien, qui pourtant a l’habitude de
l’extrême exagération, ajoute : et si qui in
metallis, et si qui in insulis vel in cusiodiis, ex causa Dei sectæ
(Apologétique, 39). On a vu que Marcia avait fait élargir ceux qui se
trouvaient dans les mines de
[9] Digeste, L., 2, 3, § 3. Cette interprétation peut s’autoriser du traité de Idololatria, où Tertullien expose à quoi doit se refuser e magistrat chrétien. On voit aussi, par les Acta martyrum, que des juges cherchaient à substituer une accusation politique à une accusation religieuse, demandant aux chrétiens traduits devant eux, non pas : Êtes-vous chrétiens ? mais : Êtes-vous allés aux réunions illicites ? Quant aux Juifs, leur enseignement était public : Judæi palam lectitant, vectigalis libertas vulgo aditur sabbatis omnibus (Tertullien, Apologétique, 18), et le gouvernement veillait à ce que personne ne troublât leur service religieux (Philosophumena, IX, 12). Ils tenaient ce droit d’Auguste. (Josèphe, Ant. Jud., XVI, 6, 2.)
[10] Tertullien, ad Scapulam, 4.
[11] Lacte Christiano educatus (Tertullien, Apologétique).
[12] Spartien, Caracalla, 1.
[13] .... qui illicitum collegium coïsre dicuntur (Digeste, I, 12, 1, § 1-1).
[14] .... permittitur tenuioribus stipem menstruam.... non tantum in Urbe, sed et in Italia et in provinciis.... divus Severus rescripsit (Digeste, XLVII, 22, 1). Il les interdit dans les armées (ibid.), où néanmoins il s’en forma. Cf. L. Renier, Inscr. d’Alg., 70.
[15] Tertullien atteste (Apologétique, 59) que, cette habitude de fournir la menstruam stipem existait chez les chrétiens ; ils avaient donc bénéficié de la loi de Sévère. Cependant il dit que le prétexte de la persécution fut les réunions illicites (de Jejun., 15). Sévère, qui ne se proposait que d’arrêter la propagande, n’aura peut-être frappé que les réunions qui n’avaient pas pris le caractère légal des collèges funéraires.
[16] .... ut deus non sil, nisi cui esse permiserit senatus (ad Nationes, I, 10).
[17] Il leur refuse le droit de discussion et les lient pour condamnés sans appel. Dans le de Præscr. adv. hæret., il ne leur oppose que la forme juridique de la prescription : Vous n’avez pour vous, leur dit-il, ni le temps ni la possession ; et cet argument lui suffit.
[18] Ière Clémentine, chap. XXXVII.
[19] Adversus hæc nobis negotium est, adverses institutiones majorum, auctoritates receptorum leges dominantium, argumentationes prudentium (ad Nation., 20).
[20] Voyez aussi les violences du de Corona, 11. Il faut remarquer ce vieil esprit de l’Église, car il a reparu du jour où la société laïque a commencé de s’éloigner d’elle.
[21] De Cultu fem., I, 1.
[22] S. Jérôme, de Vir. illustr.
[23] C’est le fameux ήμών si longtemps contesté et qui ne peut plus l’être.
[24] Octavius, 25.
[25] Octavius, 38 : Scura Atticus.
[26] Miserum Aristotelem (Tertullien, de Præscr., 7). Clément d’Alexandrie, au contraire, rendait, à la même époque, un solennel hommage à Aristote, en le copiant dans ses Hypotyposes.
[27] Octavius, 10. L’Octavius doit avoir été écrit aux environs de l’année 180, et le traité de Celse, est probablement du même temps.
[28] Contra Celsum, VIII, 68. En parlant ainsi je ne veux que constater un fait, c’est que les chrétiens, après avoir été un élément de dissolution pour l’empire païen, n’ont pas su sauver l’empire chrétien, lorsqu’ils en furent devenus les maîtres. Quant aux causes de cette grande chute de l’empire, elles étaient nombreuses, comme on le verra dans la suite de ce travail, et tout ce que nous disons dans le présent chapitre prouve que le christianisme fut une de ces causes.
[29] Strom., I, 1, § 17.
[30] Epist. ad Gregor., I, 50.
[31] Ad Demetrianum, 8. Dans cette lettre très vive contre la société païenne, Cyprien annonçait aussi la prochaine destruction du monde.
[32] Voyez le mot d’Épictète.
[33] .... declamavit (Spartien).
[34] Ad Coloss., 13.
[35] IIe Clémentine, ad Cor., 59-72. Éd. Hilgenfeld.
[36] Origène, Contra Celsum, VIII, 73-74. Et les faits sont d’accord avec les paroles. Le recruteur présente au proconsul d’Afrique un jeune homme livré pour être soldat ; mais le jeune homme répond qu’étant chrétien, il ne lui est pas permis de porter les armes. Pour ce refus du serment militaire, il fut exécuté. (Ruinart, Acta sincera, p. 299, ad ann. 295 ou 296.)
[37] Origène. Contra Celsum, V, 37.
[38] Tertullien, de Cor., II. Saint Polycrate avait déjà écrit.... πειθαρχεϊν δεϊ θεώ μάλλον ή άνθρώπεις, dans sa lettre au pape Victor, dont il refuse d’accepter la décision. (Eusèbe, Hist. ecclés., V, 24.) Les paroles de Polycrate sont celles mêmes des apôtres (Actes, V, 29), et elles sont restées dans la pensée, sinon dans les actes de l’Église.
[39] Voyez le serment des Éphèbes d’Athènes.
[40] Origène, Contra
Celsum, VIII, 75. Aujourd’hui encore, en tout
pays, on poursuivrait une association qui propagerait certaines idées émises
par Tertullien au chapitre LXXXI du de
Corona, 22. (De
[41] Ce fut un des premiers ouvrages de Tertullien, et saint Jérôme en recommandait encore la lecture à Eustochia (ad Jovinian., I, et Epist. 18 ad Eustoch.). Tertullien cependant n’en profita pas pour lui-même, car il se maria, et dans la seconde de ses lettres à sa femme (ad Uxorem, II, 9) il fait une fort belle peinture du mariage chrétien. Mais, dans la première, il lui représente que le mariage ne convient pas aux fidèles et il se voue lui-même à la continence. Les marcionites s’interdisaient l’union conjugale ; Tatien l’avait condamnée ; les valentiniens, basiliens, encratites ou continents, faisaient de même ; Origène se la rendit impossible, et ses imitateurs étaient encore assez nombreux au quatrième siècle pour que le premier canon du concile de Nicée ait interdit cette mutilation. D’autres sectes gnostiques détruisaient le mariage par la communauté des femmes. Clément d’Alexandrie, contemporain de Tertullien, mais génie plus doux, combat, au livre III des Stromates, tous ces excès et relève la sainteté de l’état de mariage. Si doctrine est restée celle de l’Église ; mais l’esprit montaniste, qui n’est pas mort, a couvert le monde de couvents.
[42] On trouve trace de ces singulières opinions dans Justin, Grégoire de Nysse et saint Augustin ; Macarius Magnès soutenait qu’Adam n’avait usé du mariage qu’après son péché. Tertullien, de Pallio, 5.
[43] Tertullien, Apologétique, 41. Ailleurs, il est vrai, Tertullien prétend que les chrétiens honorent le prince (ibid., 30 et 33), comme saint Paul et saint Pierre l’avaient prescrit, et qu’ils ne sont pas des membres inutiles à la communauté, infructuosi in negotiis dicimur (ibid., 42). Mais ce reproche même qu’il combat montre ce que les païens pensaient d’eux. D’ailleurs, ce n’est pas dans ses livres destinés à la publicité et envoyés par lui-même aux magistrats qu’il faut chercher sa vraie pensée ; mais dans ses traités dogmatiques et dans ceux qu’il adresse aux fidèles. Montanus avait été dans le même sentiment lorsqu’il avait fondé son église pneumatique qui rompait si brusquement avec le monde. Le traité de Tertullien contre l’Idolâtrie réduit à bien peu de chose l’activité sociale permise par lui aux chrétiens qui voulaient rester fidèles à leur foi.
[44] S. Épiphane, Adv. hær., 18.
[45] Ils y étaient, mais en très petit nombre. Les mots fameux de Tertullien : Nous remplissons les villes, les camps, le sénat (Apologétique, 37), sont contredits par tous les faits et tous les témoignages. Il ne faut pas que la quantité d’évêques qu’on voit dans certaines contrées fasse illusion sur le nombre des fidèles. Là où trois chrétiens sont réunis, dit Tertullien (Exhort. castit., 7), là est une église, et les Constitutions de l’Église d’Alex., I, 73 (ap. Bunsen, op. cit.), exigent, quand les fidèles sont peu nombreux que l’on requière l’assistance de trois hommes sages envoyés par les églises voisines.
[46] Actes des Apôtres, V, 5.
[47] Le prêt à intérêt était considéré comme usure et condamné, à ce titre.
[48] Octavius, 12 : jam non adorandæ, sed subeundæ cruces.
[49] Ad Scapulam, 2 : Non religionis est cogere religionem.
[50] .... Sacrilegii et majestatis rei convenimur (Tertullien, Apologétique, 10). Il reconnaît plus loin que les empereurs ne pouvaient être à la fois et christiani et Cæsares (ibid., 21).
[51] Confessio nominis non examinatio criminis (Tertullien, Apologétique, 2).
[52] .... Deus christianorum Onochoëtes (Tertullien, Apologétique, 14).
[53] .... publici postes (Tertullien, Apologétique, 55).
[54] Par une
déclaration du 1er juillet 1686, Louis XIV prononça la peine de mort contre ceux qui
seraient trouvés faisant des exercices de religion autre que la religion
catholique. (Isambert, Coll. des anc. lois franç., t. XX, p. 5.) Jusqu’à
Louis XVI, les
protestants furent privés d’état civil, et, dans notre siècle, il y a eu encore
des autodafés en Espagne. Quant aux sorciers, malheureux fous que l’Église
considéra comme des suppôts de Satan, on les brûla par milliers. Dans un coin
de
[55] Cette dureté des lois pénales a subsisté bien longtemps. Au dix-huitième siècle, on se contentait de briller les livres, mais au moyen âge on brillait ceux qui les écrivaient. Richelieu fit encore pendre un pauvre poète qui avait commis quelques mauvais vers contre le gouvernement.
[56] Tertullien (Apologétique, 2) marque très bien le caractère de ce rescrit : .... inquirendos quidem non esse, oblatos vero puniri oportet, et un fait, mis par Eusèbe (Hist. ecclés., V. 21) sous le règne de Commode, montre cette jurisprudence en action. Apollonius, qui était au nombre des fidèles, fut accusé par un ministre du démon, dans un temps où cela n’était pas permis. Pérennis condamna le délateur à être rompu ; mais, à son tour, il déféra Apollonius au sénat, et celui-ci, ayant refusé de renoncer à sa foi, eut la tête tranchée, parce qu’il était défendu par la loi d’absoudre les chrétiens qui avaient été accusés, à moins qu’ils ne changeassent de sentiment. Ainsi le préfet du prétoire punit de mort un accusateur des chrétiens, ce qui devait intimider ceux qui auraient été tentés de suivre cet exemple. Mais Apollonius ayant sans doute, à cette occasion, manifesté publiquement sa foi, il lui appliqua le rescrit de Trajan.
[57] Digeste, XLVIII, 19, 30.
[58] S. Matthieu, XIII, 19.
[59] Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 3.
[60] Dans la seule province d’Afrique, Cyprien réunit en concile quatre-vingt-sept évêques (de Hæreticis baptizandis, in Cypr. oper., p. 328), et lorsqu’il fut martyrisé en 258, il était le premier évêque africain qui scellât sa foi de son sang. Le fougueux Tertullien vécut sans être inquiété jusqu’à l’extrême vieillesse, usque ad decrepitam Matent (S. Jérôme, de Vir. illustr., 53). Le caractère de la persécution dite de Sévère fut de ne frapper aucun chef, quoiqu’ils fussent bien faciles à trouver. Cependant on cite deux évêques qui auraient alors péri, Zotique, évêque de Comane en Cappadoce, et Irénée, évêque de Lyon. Du premier, Tillemont ne parle pas, et les Bollandistes disent de lui (21 juillet) : ubi et quo tempore martyrium fecerit fateor mihi hactenus incompertum esse. Quant au second, saint Cyprien et Clément d’Alexandrie ne le mentionnent pas, quoiqu’il fût un de leurs contemporains le plus en vue ; et Tertullien, qui le copie souvent, ne lui donne pas le titre de martyr. Dans un de ses livres écrit après la persécution de Sévère, quum futur Severi restinctus fuerat, et postérieurement à l’an 208 (cf. Nœsselt, de Vera ætate script. Tertull., dans le Tertullien d’Œhler, t. III, p. 540 et 605), le prêtre de Carthage parle dans une même phrase de saint Justin, qu’il appelle martyr, et d’Irénée, dont il dit seulement qu’il était omnium doctrinarum curiosissimus explorator (Adv. Valent., 5). Si l’évêque de Lyon avait été martyrisé, Tertullien lui aurait donné le même titre qu’à Justin. Les Bollandistes sont réduits à dire (28 juin) : nihil invenimus de S. Irenæo quod esset antiquitate aliqua.... spectabile. Il n’existe pas, en effet, d’actes de son martyre, et Grégoire de Tours est le premier qui le raconte (Gloria Mart., 50). Saint Jérôme, dans le de Vir. illust., termine le chapitre qu’il consacre à Irénée, le 35e, par ces mots qui appelaient nécessairement la mention du martyre, si le martyre avait eu lieu : floruit maxime sub Commodo principe. Il est vrai que dans son commentaire in Isaïam, 64, il dit de lui : Diligentissime vir apostolicus scribit Irenæus episcopus Lugd. et martyr, multarum origines explicans hæreseon. Mais, d’une part, ce livre de saint Jérôme ayant été terminé après 411, c’est-à-dire deux siècles après la mort d’Irénée, il a pu s’y trouver un écho de la légende invraisemblable rapportée par Grégoire de Tours et qui, à cette époque, était déjà formée ; d’autre part, ces simples mots : et martyr, peuvent être une glose passée dans le texte. On sait de quelle étrange liberté usaient les copistes de manuscrit ou ceux qui les faisaient travailler. La découverte récente de trois lettres de saint Ignace en serait une preuve nouvelle, s’il faut en croire le révérend Cureton, dans son Corpus Ignatianum (Berlin, 1849).
[61] L’usage des cimetières ne fut interdit aux chrétiens que par un édit de Valérien. (Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 11, et S. Cyprien, Epist., 83.)
[62] Un individu ayant accusé de magie Sévère, avant son élévation à l’empire, fut mis en croix. Macrin fera mettre à mort les delatores, si non probarent (Capitolin, Macrin, 12), et Gratien renouvela cette loi : le delator qui ne prouve pas le bien fondé de son accusation subira la peine qui aurait frappé le coupable. (Cod. Théodosien, IX, 1, 14.) Si l’accusation était admise, l’accusateur recevait le quart des biens des condamnés ; c’était donc un métier à la fois lucratif et dangereux. Cette responsabilité légale explique que les juges aient refusé de recevoir les simples dénonciations par lettre et exigé la présence du delator. La lettre de Marc-Aurèle qui courait dans les écoles chrétiennes du temps de Tertullien est absolument fausse, mais la punition du calomniateur qu’elle édicte : adjecta etiam accusatoribus damnatione et quidem tetriore (Apologétique, 5), est un trait de mœurs véridique. Les chrétiens condamnés, l’étant comme criminels de majesté, leurs biens étaient confisqués (Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 2), et on vient de voir qu’il en revenait une part au délateur. Mais leur pauvreté rendait ce gain misérable. Aussi l’accusateur le plus habituel était la populace, qui, par ses clameurs, quelquefois par ses violences, provoquait une exécution.
[63] Alexandre, évêque de cette province, fut emprisonné.
[64] Hérodien, VII, 6.
[65] Voyez les émeutes causées à Carthage par les prêtresses de la déesse Cœlestis. Quant à Alexandrie, c’était le grand laboratoire des idées et des croyances.
[66] Il est douteux cependant que le christianisme fût alors très répandu en Égypte, hors de la capitale, et que, par conséquent, la persécution y ait fait beaucoup de martyrs. Jusqu’à Démétrius, qui occupait alors la chaire épiscopale d’Alexandrie, l’Égypte entière n’avait eu qu’un seul évêque (cf. Eutychius, Ann., I, p. 554, trad. de Pocock), quand la province d’Afrique, si tardivement évangélisée (Tillemont, Mém. ecclés., I, p. 754), en comptait un très grand nombre. Mais, dans Alexandrie, la persécution fut violente. (Cf. Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 1.)
[67] En souvenir des dix plaies d’Égypte, les écrivains ecclésiastiques ont tenu à ce que l’Église ait subi dix persécutions. Ils en comptent quatre avant Sévère : sous Néron, Domitien, Trajan et Marc-Aurèle ; celle de Sévère, qu’aucun écrivain païen ne connaît et dont Lactance ne parle point, est comptée pour la cinquième et représentée comme très violente. Il est étrange que Dion Cassius, si prolixe, n’ait pas une seule fois nommé les chrétiens et que, dans toute l’Histoire Auguste, dont plusieurs rédacteurs vivaient sous Constantin, on trouve à peine quelques mots sur eux. Évidemment, ces persécutions qui, depuis quinze siècles, troublent la conscience humaine, se passaient dans les couches inférieures de la société, ou, du moins, n’en agitaient pas la surface, et, jusqu’à Dèce, ne furent que des mesures locales de police ou des excès populaires.
[68] On connaît les exagérations de saint Justin (Dial. cum Tryph.), de saint Irénée (Adv. hær., I, 5) et de Tertullien (ad Scap., 2, et Apol., 57) : elles sont célèbres. L’Octavius de Minucius Félix, écrit vers la fin du deuxième siècle, montre les chrétiens comme très peu nombreux et fort obscurs ; au milieu du siècle suivant, Origène, les comparant à la masse des païens, disait encore : ώς νΰν πάιυ όλίγει (Contra Celsum, VIII, 69). Dans la province la plus facilement ouverte au christianisme, en Syrie, aucune catacombe chrétienne antérieure au quatrième siècle, aucun monument chrétien bien authentique, élevé avant la paix de l’Église, n’a été jusqu’à présent découvert. (De Vogüé, Inscr. sémitiques, p. 55.) Cependant, il est certain que le nombre des chrétiens s’augmenta beaucoup durant la longue paix dont ils jouirent entre Sévère et Dèce.
[69] Les reproches faits par les païens aux chrétiens sont énumérés, dans l’Octavius de Minucius Félix, par Cæcilius, l’avocat du paganisme.
[70] Il y avait deux sortes de jeux séculaires : ceux qui avaient lieu tous les cent ans à l’anniversaire de la fondation de Rome et que l’on avait célébrés sous Claude, en l’an 800 de Rome ; sous Antonin, en l’an 900 ; que l’on célébrera encore, sous Philippe, en l’an 1001 ; et ceux qui, se rattachant à un grand événement que nous ne connaissons pas, avaient lieu tous les cent dix ans : ainsi sous Auguste en 737 ; sous Domitien, qui les avança de six ans, en 841 ; sous Septime Sévère, qui rétablit l’ordre régulier, en 957.
[71] J’ai mis leur
exécution à cette date, d’après M. L. Renier, qui a judicieusement reconnu les
consuls de 180, Præsente II et Condiano coss.,
dans les consuls mentionnés aux Actes et dont les noms ont été corrompus
par les copistes. Ce que dit Tertullien, de Corona (initio), de la
longue paix dont les chrétiens avaient joui en Afrique avant 202, justifie
notre opinion. Les martyrs Scillitains paraissent avoir été les premiers
martyrs africains (Ruinart, Acta sincera, p. 54), comme ceux de Lyon
avaient été les premiers de
[72] Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 2.
[73] Du moins dans les Évangiles reçus. Les apocryphes, au contraire, s’occupaient de sa vie intime, ainsi l’Évangile de l’enfance. Mais les apocryphes ont été rejetés, et il n’a été fait grâce qu’à ceux qui ne s’éloignaient pas de la tradition.
[74] S. Matthieu, IV, 26-29 ; le ciel est à peu prés fermé aux riches (id., XIX, 24), et les biens doivent être mis en commun.
[75] S. Matthieu, X, 55-57.
[76] S. Matthieu, XIX, 29.
[77] Missionnaires et sœurs de charité.
[78] Elle a dû l’être, puisque la loi interdisait la recherche des chrétiens, et ne frappait que ceux qui s’offraient d’eux-mêmes au martyre.
[79] Ne universos nos extermines (Ruinart, Acta sincera). Son père s’éloigne. Je rendis grâces à Dieu, dit-elle, de ce que je fus quelques jours sans revoir mon père ; son absence me laissa goûter un peu de repos. (Ibid.) Saint Irénée de Sirmium parlera de même. (Ruinart, Acta sincera, I. 430 et suiv.)
[80] L’abbé Freppel, Saint Cyprien, p. 53.
[81] Le mot est de saint Augustin .... tanquam patronis (de Cura pro mortuis, 13). Une inscription les appelle .... apud Deum adrocati (de Rossi, Roma sotterranea, II, 583).
[82] II Cor., I, 5.
[83] Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 2. Dans son traité ad Martyres, 27, Origène montre le ciel tout entier contemplant le combat et la victoire des confesseurs.
[84] Nihil crus sentit in nervo, cum animus in cælo est (Tertullien, ad Mart., 2).
[85] Tertullien, Apologétique, 50.
[86] S. Justin, Dial. cum Tryph., p. 337 (1636).
[87] Clément
d’Alexandrie, blâmant ce qu’il appelle une brutale impatience de la mort,
ajoute : Leur supplice n’est pas un martyre, mais
un suicide ; ils sont semblables aux gymnosophistes indiens qui allument leur
propre bûcher (Strom., IV, 4) ; et le 60e canon du
concile d’Elvire sanctionna cette doctrine. Cette exaltation de l’amour divin,
qui tend au détachement absolu du monde et à l’union avec Dieu, est un état
psychologique que l’on retrouve aussi chez les soufistes de
[88] Acta S. Tarachi en 304 ; S. Philæ en 302.
[89] Le Blant, op. laud., p. 65. Le quatrième livre des Stromates de Clément d’Alexandrie en est un autre. On usait même, pour préparer les martyrs aux tortures, de jeûnes prolongés, qui augmentaient l’exaltation mystique, et l’on servait martyribus incertis un festin abondant terminé par des boissons narcotiques ou enivrantes, de manière à prévenir une défaillance, en ne livrant au bourreau qu’un corps inerte qui ne sentait plus la douleur.... Condito mero, tanquam antidoto præmedicatum ita enervastis ut paucis ungulis titillatus (hoc enim ebrietas sentiebat).... respondere non potuerit amplius, atque.... cum singultus et ructus solos haberet.... discessit (Tertullien, de Jejunio, 12). Saint Augustin (Traité XXVIIe sur S. Jean, § 12) fait allusion à cet usage.... quia bene manducaverat et bene biberat, tanquam illa esca saginatus et illo calice ebrius, tormenta non sensit.
[90] Quid gloriosius quam collegam passions cum Christo factum fuisse ? (Lettres des confesseurs de Rome à saint Cyprien : Cypr., Op., Ep. 31).
[91] Ep. ad Rom. On ne saurait douter que dans le récit du suicide théâtral de Peregrinus, Lucien n’ait songé aux martyrs qui, eux aussi, s’offraient volontairement à la mort.
[92] Voyez encore la belle péroraison du de Mortalitate de saint Cyprien.
[93] Stromates, IV, 4, 17. Lui-même s’éloigna d’Alexandrie au moment de la persécution.
[94] Voyez S. Cyprien, Ep. 83 : Lettre au clergé et au peuple de Carthage.
[95] Paciscares cum delatore, vel milite, vel furunculo aliquo præsida (Tertullien, de Fuga, 12). Des communautés obtinrent à prix d’argent de n’être point inquiétées ; en quoi, dit Pierre d’Alexandrie (Can. 12), elles ont montré plus d’attachement à Jésus-Christ qu’à leur argent, suivant ce précepte de l’Écriture : Que les richesses d’un homme lui servent à racheter son âme. (Prov., XIII, 8 ; cf. Tillemont, Hist. des Emp., t. III, p. 104.) Il dit encore : lis qui pecuniam dederunt.... crimen intendi non potest (ibid., apud Labbe, Concil., t. I, p. 955 ; cf. Fleury, Hist. ecclés., t. II, p. 51, et Le Blant, Polyeucte et le zèle téméraire, dans les Mém. de l’Acad. des inscr., t. XXVIII, 2e partie).
[96] Les évêques, dit Fleury (Hist. ecclés., t.
II, p. 86), approuvaient cette conduite.
Pas tous, mais l’usage était certainement commun, car Tertullien attaque avec
sa vigueur habituelle (de Fuga, 12) ceux qui
achètent par un tribut le droit d’être chrétien, et saint Cyprien
énumérant dans son épître à Antonianus, évêque de Numidie, les diverses
chutes, trouve que la moins coupable est celle du chrétien qui, ayant eu
occasion de se procurer une lettre de rachat, se rend auprès du magistrat ou
envoie un autre à sa place, et lui dit : Étant
chrétien, il ne m’est pas permis de sacrifier aux idoles, mais je donne de
l’argent pour ne pas le faire. (Cyprien, Ep. 53, ad Ant.
; édit. Baluze). Il parle souvent des libellatici
(voyez ibid., à l’index, ad hoc verbum). Par ces lettres, dont il
semble qu’il se fit commerce, les chrétiens reconnaissaient qu’ils avaient
sacrifié aux dieux, quoiqu’ils ne l’eussent pas fait, ou le juge déclarait que
ceux qui les avaient obtenues ne devaient plus être inquiétés (Lambert, Rem.
sur les œuvres de S. Cyprien, p. 553), ce qui fait penser à nos cartes de
civisme sous
[97] .... et per plateas flumina currerent de sanguine (Grégoire de Tours, I, 27).
[98] Fleury (Hist. ecclés., I, p. 522) le fait mourir naturellement, et c’est la conclusion qu’on doit tirer du chapitre XXIV de saint Jérôme, dans son de Vir. illustr., consacré à saint Victor.
[99] Comme Tillemont, M. de Rossi place le martyre de sainte Félicité et de ses sept fils sous Marc-Aurèle. M. Aubé (Hist. des persécutions, p. 438 et suiv.) combat cette opinion ; à toute rigueur, il consentirait à reporter le supplice de Félicité au règne de Sévère. Mais les raisons qu’il donne ne permettent pas d’accepter l’authenticité de ces Actes. Je rejette donc cette légende du règne de Sévère, comme M. Aubé l’a rejetée du règne de Marc Aurèle.
[100] Ad Scapulam, 4. Un magistrat chrétien, Studius, ayant le jus gladii, avait demandé à saint Ambroise s’il était contraire à la foi de faire exécuter des coupables ; le saint lui répondit : Scio plerosque gentilium gloriari solitos, quod incruentam de administratione provinciali securim revexerint (Epist. XXV, § 5).
[101] Tertullien, ad Scapulam, 5. Lucien, Peregrinus, 94. C’est le personnage qui se brûla lui-même à Olympie. Il avait été chrétien et considéré alors comme un confesseur. Le récit de Lucien prouve à la fois la confraternité des chrétiens et la tolérance des magistrats, qui laissaient les fidèles entourer jour et nuit leurs frères emprisonnés.
[102] Tertullien, ad Scapulam, 4, et Fleury, Hist. ecclés., VI, 52. Tertullien raconte (de Cor. Mil., I) qu’un jour, comme sur l’ordre de l’empereur on distribuait dans le camp des largesses aux soldats, qui, suivant l’usage, venaient les recevoir une couronne de laurier sur la tête, un d’eux se présenta tenant sa couronne à la main. D’abord on le montre au doigt, puis on le raille, enfin on s’indigne. La clameur arrive jusqu’au tribun. Pourquoi ne fais-tu pas comme les autres ? dit-il au soldat. — Je ne le puis, répondit-il, je suis chrétien. C’était un acte d’indiscipline et un refus d’obéissance. Le soldat fut envoyé à la prison. Il y attend, dit Tertullien, les largesses du Christ, donativum Christi. Si la persécution avait été violente, cette bravade héroïque eût été punie sur l’heure par une exécution militaire. Notons que les chrétiens de Carthage blâmèrent le soldat, mais que Tertullien l’approuve et le propose en modèle.
[103] Philostrate, Vie des Sophistes, II, 24.
[104] D’après le Lévitique (XXIV, 10), le blasphémateur est lapidé et tout le peuple prend part à l’exécution. C’est plus dur que le crimen majestatis des Romains.