HISTOIRE DES ROMAINS

 

ONZIÈME PÉRIODE — LES PRINCES AFRICAINS ET SYRIENS (180-235).

CHAPITRE XC — L’ÉGLISE AU COMMENCEMENT DU TROISIÈME SIÈCLE.

 

 

I. — ÉTAT GÉNÉRAL DES ESPRITS ; TENDANCE AU MYSTICISME ; LES ALEXANDRINS.

Le troisième siècle est l’âge héroïque de la société chrétienne que nous avons vue se former dans l’ombre et grandir silencieusement. A cette époque, elle a tous ses moyens d’action, et la lutte mortelle s’engage entre elle et l’empire. Le moment est donc venu de mesurer les forces des deux combattants. Nous connaissons celles de l’un, l’État ; voyons celles de l’autre, l’Église.

Dans le précédent volume[1] nous avons montré que, selon les époques, l’esprit humain prend des directions différentes, et qu’il se forme comme de grands courants d’idées, où se porte le meilleur de la vie nationale[2]. Les jurisconsultes et les administrateurs, les architectes et les généraux, les artistes et les philosophes moralistes, avaient été la force ou la gloire de Rome au deuxième siècle. Au troisième, le droit a encore d’éminents interprètes ; mais le dernier représentant de la science antique, Galien, venait de mourir et n’eut pas de successeur. L’art, les lettres proprement dites, disparaissent. Pendant douze siècles[3], l’humanité n’entendra plus cet hymne de la beauté que la Grèce avait chanté si longtemps et dont les échos avaient retenti dans la Rome de Lucrèce, d’Horace et de Virgile. L’esprit nouveau proscrit ces magnificences de la terre la bellezza del Mondo[4], dont l’homme pourtant est appelé à jouir. Pourquoi sont-ils tombés ? s’écriaient douloureusement des écrivains sacrés, à propos de certains hérétiques. Aristote et Théophraste sont les objets de leur admiration ; Euclide est perpétuellement dans leurs mains. Ils négligent la science de l’Église pour l’étude de la géométrie, et, occupés à mesurer la terre, ils perdent le ciel de vue[5]. Un autre, se riant de l’homme qu’on estimait le plus savant de son siècle, Ptolémée, écrivait à propos des sciences exactes : Ô le frivole labeur qui ne fait que gonfler l’âme d’orgueil ![6] Le grand éloge, alors, c’est d’être appliqué aux choses divines[7].

Cela se dit parmi les philosophes comme au milieu des chrétiens. Tandis que l’auteur de la lettre à Diognète condamnait toute doctrine qui n’avait pas pour objet l’invisible, Plotin écrivait : Pourquoi l’homme n’arrive-t-il pas à la vérité ? Parce que l’âme est sans cesse arrachée au sentiment des choses divines par les impressions extérieures. Et il voulait que, se faisant sourde à tous les bruits du dehors, elle n’écoutât que la voix d’en haut (Ennéades, V, 12). Alors se produit ce phénomène, étrange dans le monde occidental, qu’on y oublie la terre si longtemps aimée pour relever la tète vers ces palais aériens que, selon les temps, la dialectique et le sentiment construisent dans les nues avec tant de magnificence ou de religieuse terreur, et dont l’imagination est l’unique souveraine.

Les fils de la vieille Italie, race pesante, n’auraient pas eu ces élans vers l’inconnu, qui sont l’honneur de l’esprit humain ; mais l’Italie, à son tour, subissait une invasion plus terrible que celle d’Annibal et des Gaulois :

Tous les monstres d’Égypte ont leur temple dans Rome.

Les hommes et les croyances de l’Asie avaient pris possession de la terre où régnait autrefois la simplicité des idées et des mœurs ; l’esprit de l’Orient dominait celui de Rome, et l’âme ardente de ces rêveurs des bords de l’Oronte et du Nil, n’ayant pas le lest de la science, errait à l’aventure au travers des mille systèmes de la gnose et de la philosophie. Ou voulait des dieux nouveaux, et les foules couraient aux cultes bizarres de la déesse syrienne et de Sabazios, ou aux religions monothéistes de Mithra et de Sérapis : celui-ci auquel se rattachait un enseignement moral si pur ; celui-là qui offrait dans ses dogmes et dans ses cérémonies plus d’un rapport avec le christianisme[8].

Ainsi, et par toutes les voies, le courant du siècle portait la pensée humaine vers les questions religieuses : séduisants, mais insolubles problèmes dont quelques-uns cependant doivent être tenus pour démontrés, alors même que la démonstration en est impossible[9]. Comme autrefois, drues Athènes, il chaque coin de rue on philosophait ; à présent, dans chaque bourgade de l’empire, on dogmatise. Il est de bort goût de paraître dévot, de se dire pontife de quelque divinité, et les curies municipales s’encombrent de prêtres qu’auparavant on n’y connaissait pas[10]. Au siècle de Périclès, le jour où les Éphèbes recevaient de  l’État leurs armes, ils prêtaient ce serment : Je jure de ne jamais déshonorer ces armes sacrées, de combattre pour mes dieux et mon foyer, ou seul ou avec tous, et de laisser après moi la patrie, non pas diminuée, mais plus forte. Ce serment héroïque, les Éphèbes l’avaient tenu à Salamine et à Marathon, quand ils y sauvaient, avec leur liberté, la civilisation du monde. Au troisième siècle de notre ère, ils le prêtaient encore, mais comme on répète une prière dans une langue inconnue. L’Éphébie athénienne n’était plus qu’un collège religieux, et cette transformation s’était certainement opérée dans les nombreuses villes qui avaient eu l’institution éphébique[11]. La pythie de Delphes et les chênes prophétiques de Dodone, muets au temps de Strabon, avaient retrouvé la voix[12]. Alexandre même, la personnification de la guerre, avait pris un caractère religieux ; il est à présent invoqué comme le génie bienfaisant qui sauve des maléfices[13].

Cette tournure d’esprit se voit dans la société romaine, en haut comme en bas. Les provinciaux, qui avaient remplacé, au sénat et dans les charges, la sceptique aristocratie du dernier siècle de la république et des premiers temps de l’empire, voulaient croire à quelque chose. Les princes syriens avaient l’esprit obsédé de visions religieuses. Au troisième siècle les empereurs ajoutaient à leurs titres celui de Pieux, Pius[14] ; les impératrices étaient appelées les très saintes, sanctissimæ, et, à la cour comme à la ville, on lisait les histoires pleines de miracles de Philostrate et d’Élien, les Vies merveilleuses d’Apollonius et de Pythagore transformés en incarnations divines[15]. On ne se contentait plus de la porte d’ébène, d’où le vieil Homère, demi souriant, faisait sortir les songes, le sommeil et la mort : on cherchait cette issue redoutable pour déchirer le voile qui s’étend derrière elle, et y trouver autre chose que les monotones plaisirs promis par le polythéisme gréco-romain. On prétendait pénétrer les secrets de la vie intime de Dieu, en déterminant sa nature, ses attributs, sa volonté. Tous les esprits éminents allaient à la recherche du divin : les uns par le christianisme, les autres par l’école néo-platonicienne où aboutissait l’effort philosophique du monde païen. Ainsi, sous le vent qui passe, les épis de la moisson prochaine se courbent dans la même direction.

On s’explique cet état des esprits. Après deux siècles de combats qui lui avaient livré la terre et ses richesses, la société romaine s’était, durant deux siècles encore, repue de plaisirs et rassasiée de bien-être. Sénèque, Épictète et les moralistes de l’époque antonine nous l’ont montrée fatiguée du long enfantement de ses grandeurs et arrivant à la satiété, au dédain de l’utile et du réel. Tous les grands mobiles lui manquaient. Dans cet empire, trop vaste pour être aine patrie, le sentiment qui avait porté si haut le cœur des citoyens d’autrefois n’avait plus pour aliment que des intérêts d’ordre inférieur : donc, point de patriotisme d’empire. Point non plus de vie politique : comme on ne pouvait rien aux affaires d’État, on n’y prenait nul souci. Le grand fleuve de poésie que la Grèce avait versé au monde s’était appauvri en traversant la lande romaine ; maintenant, il tarissait : les artistes étaient des industriels, les poètes des arrangeurs de mots ; le Virgile du temps, Oppien de Syrie, chantait la chasse[16]. Rien de ce qui faisait encore un siècle auparavant la plénitude de la vie né comblait le vide des âmes. Des riants sommets qu’avaient éclairés lé génie grec et une fortune constante, on descendait vers les bas-fonds sombres et froids, où l’on se laissait saisir d’une insupportable tristesse. Ce peuple d’action violente s’était assis et rêvait.

D’ailleurs, autour de lui, le monde semblait vieillir[17] ; de tous les côtés l’horizon sera bientôt menaçant : au dehors, les Barbares devenus redoutables ; au dedans, de continuelles révolutions dont Rome ne sera plus seule le théâtre et la victime ; partout, la vie économique profondément troublée, et l’État paraissant près de s’effondrer. En face de tels maux, qui semblaient la rançon de son bonheur passé, cette société si longtemps tranquille et joyeuse prenait des penseurs plus sérieux ; elle avait les préoccupations de la mort qui assiègent le vieillard. Au temps de Septime Sévère, les jurisconsultes mis à part, païens et chrétiens n’ont plus que des philosophes et des écrivains religieux ou des théurgistes : pour les premiers, Ammonius Saccas, Plotin, Porphyre, avec les subtiles doctrines trouvées par eux dans ce monde supérieur de l’esprit que Platon avait ouvert ; pour les seconds, Tertullien, Minucius Félix et Cyprien chez les Latins ; Irénée, Clément d’Alexandrie et Origène chez les Grecs, six hommes qui, en d’autres temps, auraient été l’honneur d’une littérature profane et qui sont restés la gloire de l’Église.

Le sentiment religieux échappera toujours aux étreintes de la science, parce qu’il est indestructible ; elle et lui d’ailleurs n’habitent pas le même monde et ne procèdent pas de la même manière flans la formation des idées. Mais la science peut faire aux religions constituées d’incurables blessures ; la société romaine n’en ayant pas, le surnaturel avait gardé sa puissance, et une réaction religieuse avait emporté le scepticisme superficiel des philosophes, comme l’eût été celui de notre dix-huitième siècle, s’il n’avait trouvé pour auxiliaire les sciences sataniques. De Lucrèce à Lucien, beaucoup avaient douté ; d’Athènes à Alexandrie, de Rome à Jérusalem, tous croient à présent : ici, à l’Homme-Dieu de la foi chrétienne ou aux hypostases dés alexandrins ; là, aux vieilles déités demeurées debout clans leurs sanctuaires ou aux dieux nouveaux que l’Orient donnait incessamment aux Romains.

En parlant ainsi, nous laissons de côté, bien entendu, la foule qui suit et ne pense point, celle que Lucien, dans son Jupiter tragique, appelait déjà la vile multitude, pour aller à ceux qui pensent et qui conduisent, même sous la tunique de l’esclave, comme Épictète et Blandine. Ce sont ces âmes d’élite qui entraînent les autres et par qui les révolutions morales s’accomplissent ; ce sont elles, par conséquent, qu’il faut connaître.

Ceux qu’on appelle les alexandrins tentaient un compromis impossible entre la religion et la science ; entre l’esprit de l’ancienne Grèce et l’esprit oriental, ils auraient voulu croire et savoir : commençant avec la dialectique qui ne peut donner que des abstractions incompréhensibles au vulgaire, ils finissaient par le mysticisme, c’est-à-dire au milieu des nuages où la foule ne pouvait les suivre. Pour la grande question, par exemple, de l’unité divine, ils arrivaient à une conception abstraite et stérile, à un être à jamais séparé du monde. Tandis que le Dieu des chrétiens se voit, se touche et entre en communion quotidienne avec l’homme, leur dieu est sans forme, sans attributs, sans nom ; il est l’innommable, même il est sans intelligence, car l’intelligence, qui suppose une division entre le sujet comprenant et l’objet compris, empêcherait d’admettre l’unité absolue de l’être en soi. Les dieux sont impassibles, dit Porphyre, et on ne saurait les fléchir par des invocations, des expiations ou des prières..., puisque ce qui est impassible ne peut être ni ému ni contraint. C’était le dieu d’Épicure, sans haine, sans amour, sans puissance, et il faut le dire aussi, celui de Platon dans le Philèbe, à plus forte raison celui d’Aristote, étranger au monde qu’il ignore.

Comme le chrétien a la Trinité, trois personnes en un seul Dieu, ils ont leurs trois hypostases où l’on peut voir rassemblés le principe absolu des Éléates, le démiourgos de Platon, le dieu d’Aristote, moteur inamovible du monde ; et ils essayent d’en faire une unité divine[18]. Mais ce qui est profond est obscur et le peuple n’y regarde pas. Cette Unité qui se pense elle-même sans produire, cette Intelligence qui comprend le monde et ne le fait pas, ce mouvement qui donne la vie et ne peut la connaître, qu’est-ce, pour l’action sur les foules, à côté du Jéhovah que Moïse a vu face à face ; de l’Esprit-Saint qui descend en langues de feu sur la tête des apôtres et donne l’inspiration prophétique ; qu’est-ce surtout auprès de ce Christ qui va par les rudes sentiers de la terre, supportant toutes les misères, toutes les douleurs de l’humanité ; qui, au Golgotha, la rachète de son sang ; qui, au jardin de Joseph d’Arimathie, brise la pierre de son sépulcre pour apprendre aux hommes que, compte lui, ils sont immortels clans leur chair et dans leur esprit ?

Ainsi, afin d’échapper à l’anthropomorphisme qui avait perdu les religions païennes, les alexandrins s’étaient laissé conduire par la dialectique à un Dieu impersonnel, sans relation avec la terre. Niais il avait bien fallu que de ce séjour de l’absolu, de l’immobilité et par conséquent de la mort, ils redescendissent au monde de la vie ; et ils y revinrent avec des allégories et des symboles dont ils se servirent pour donner un regain de popularité à la vieille mythologie qui avait perdu jusqu’à la poésie des ruines.

Leur morale est élevée, leur vie était pure, ils avaient remis en honneur l’abstinence pythagoricienne et ils eurent des instituts où furent suivies les règles les plus austères des observances monastiques. Quand l’âme sortit des mains de Dieu, disaient-ils, ce fut une chute qui doit être rachetée par des pratiques saintes. L’œuvre pie par excellence consiste à vaincre le corps, principe de toutes les passions, tunique grossière où l’âme est captive. Qu’au moins dans cette prison elle mène une vie angélique, βίος άγγελιxός έν τώ σώματι. — Que m’importe le corps ? disait un autre ; quand je mourrai, c’est mon âme que j’emmènerai avec moi. Saint Paul n’avait pas été plus dur pour le corps ; et Origène, qui accomplit sur lui-même un demi-suicide, répétait : Qui me délivrera de ce misérable ? L’esprit de lutte contre l’a chair est le même des deux côtés. Que Socrate était bien plus que ces violents, dans la vérité de notre nature lorsque, faisant descendre l’idéal sur la terre, il se bornait à cette noble prière : Ô Dieu ! Donne-moi la beauté de l’âme et fais que ma vie en soit la fidèle image !

Et quelle récompense les alexandrins promettaient-ils pour ces austérités ? L’anéantissement dans l’Être infini. Mourir, c’est vivre, disaient-ils avec Platon. Non, cette vie d’une parcelle inconsciente perdue dans le grand Tout, c’était la mort ; tandis que la foi donnait au chrétien la certitude de l’immortalité personnelle. En outre, ils ne possédaient ni credo ayant l’autorité d’une parole divine, ni organisation pour le conserver et le répandre, ni discipline pour en maintenir l’autorité. Ils avaient une philosophie et cherchaient la science supérieure des choses ; ils n’avaient pas une religion, une foi, une règle absolue de conduite et une promesse de rédemption. Or, pour remuer et prendre les multitudes, les plus subtils raisonnements sont inutiles ; il faut le sentiment et la passion. Ces puissants moyens d’agir sur les âmes, on les trouvait sur cette route du Calvaire arrosée de la sueur de sang ; on ne les trouvait pas dans les tranquilles jardins de l’Académie. Voilà pourquoi l’humanité déserta alors l’un de ces deux chemins pour l’autre, où, par les mêmes raisons, une partie d’elle marchera bien longtemps encore.

C’est l’année même de l’avènement de Sévère qu’Ammonius Saccas, ou le portefaix, ouvrit l’école d’Alexandrie qui, durant deux siècles, disputa au christianisme la domination des intelligences. Quand Plotin l’eut entendu : Voilà l’homme que je cherchais, dit-il. Il lui était bien supérieur et fut le véritable fondateur de cette école, à la fois raisonneuse et mystique, qui, réunissant, les contraires, ne put exercer l’action victorieuse d’une foi simple et ardente. Éclectiques, les alexandrins acceptaient tout, à la condition de tout interpréter. Les prêtres, les philosophes, les poètes leur semblaient murmurer la même pensée en des langues différentes, et cette large compréhension les faisait à la fois superstitieux et incrédules. Logiciens, ils mettaient au-dessus de la raison la faculté dangereuse des illuminés, l’extase, où l’homme croit participer à l’intelligence divine et voir ce que la raison ne peut montrer. Idéalistes avec leur Dieu inaccessible et solitaire au sommet de la pensée humaine, ils devenaient panthéistes par leur système d’émanations qui faisait de tous les êtres, corps ou esprits, un écoulement de la substance divine, comme la lumière est une irradiation du soleil. Et cet être absolu, incompréhensible, ineffable, de qui tout sort, en qui tout revient, c’est par la prière, par l’amour qu’ils s’élèvent à lui. La foi, selon ces dialecticiens étranges, est bien supérieure à toute sagesse humaine. Elle conduit à la théurgie ; celle-ci à l’inspiration surnaturelle, à l’extase, qui est l’idéal de ces dévots païens, parce que dans l’extase, disait Plotin, l’homme a tous les biens et rien ne lui manque ; il ne sent ni la douleur ni la mort. Nous allons retrouver les mêmes paroles dans la bouche de Tertullien et le même sentiment chez les martyrs. Les alexandrins touchaient donc aux chrétiens par beaucoup de points. Saint Augustin l’a reconnu ; mais, au sortir de l’extase et de leurs raisonnements subtils, les premiers retombaient dans leurs froides allégories, les autres dans leur réalité vivante.

Porphyre, le successeur de Plotin, précisant la doctrine platonicienne des démons, admettra des âmes intermédiaires entre la Trinité et l’homme, des archontes représentant les forces dé la nature, des anges, messagers divins portant au ciel nos prières et en rapportant les dons de la grâce, même des génies funestes qui nous poussent au mal. Plus tard, l’école prétendra devenir une Église : Jamblique, Proclus, qui se dira le prêtre de la nature, seront des visionnaires ou des thaumaturges opérant des miracles, et une rivalité s’établira entre ces hommes qui se disputent le monde. Un grand ouvrage de Porphyre contre le christianisme fut le signal de la guerre à mort que Dioclétien lui déclara ; mais Constantin fit brûler les livres du philosophe[19], et Proclus dut fuir, par un exil volontaire, la persécution des empereurs chrétiens.

Cette école qu’on appelle d’Alexandrie était éparse sur toute la surface du monde romain, puisque Plotin enseigna dans Rome, Porphyre en Sicile, Amelius en Syrie, d’autres à Éphèse, à Pergame, à Athènes, où leurs disciples luttèrent jusqu’au dernier moment contre le christianisme. Elle fut un noble effort de philosophie religieuse, et ses adeptes méritent le respect pour leur pureté morale. Ils nous montrent, à certains égards, ce que nous allons retrouver chez les chrétiens : le mépris du corps et de la terre, l’amour divin, l’union à Dieu par l’extase et toutes les mystiques ardeurs. Singulier état des âmes qui est la caractéristique morale de cet âge du monde et qui ne pouvait finir que par une révolution religieuse ! Mais ce n’est pas au profit des alexandrins que cette révolution s’accomplira. Vous n’apportez rien de nouveau, disaient-ils aux chrétiens, si ce n’est votre mépris des dieux et de la philosophie. Ils disaient vrai. Mais ce mépris même était ce qui devait assurer la victoire aux membres de la nouvelle alliance, aux rachetés du Christ. Allons donc à ceux-ci, puisque l’avenir est à eux[20].

 

II. — TRANSFORMATION DE L’IDÉE MESSIANIQUE.

Les Olympiens, en mourant, avaient laissé derrière eux un vide immense, et les inspirés, les charlatans, s’étaient disputé le ciel resté désert. On vient de voir comment les philosophes avaient essayé de le conquérir, sans pouvoir faire sortir du sein de l’Être absolu le Dieu que le sentiment réclame, celui qui aime et qui pardonne. Au milieu de la confusion des systèmes et des rites, le christianisme s’était déjà fait, au temps de Sévère, une large place. Né dans un pays qui avait été condamné depuis des siècles à toutes les misères, il procédait à la fois du désespoir et de l’espérance. Depuis la captivité, les Juifs avaient toujours attendu la main puissante qui relèverait la maison de David. Mais, en face de cet empire romain qui était pour eux inexpugnable, l’idée messianique avait dû se transformer. Maudissant le présent, ils avaient regardé dans l’avenir du seul côté par oit, leur semblait-il maintenant, cet avenir pouvait arriver, vers le ciel qui susciterait un Messie sauveur. Le conquérant de la terre vainement attendu avait fait place au conquérant des âmes ; la nouvelle Jérusalem devenait une Jérusalem céleste.

Jusqu’alors l’humanité avait honoré ses dieux d’un culte intéressé, pour obtenir leurs faveurs terrestres ou conjurer leur colère ; or voici que lui était présenté un idéal de justice, de bonté, de tendresse, et dans son cœur s’éveilla un amour nouveau, l’amour divin. Ce Dieu, si différent des autres, la foi des humbles l’avait trouvé en remplaçant une promesse d’orgueil charnel par une espérance de spiritualité, et elle allait gagner même les superbes, en leur montrant le médiateur désiré dans l’Homme-Dieu qui n’était pas monté de la terre au ciel, comme les Olympiens, avec toutes les souillures terrestres, mais qui était descendu du ciel sur la terre avec la pureté divine et une puissance infinie d’amour. Les païens avaient aussi cherché un médiateur entre le créateur et la créature ; ils l’avaient même entrevu, mais jamais sous cette figure de Jésus, qui est si divine parce qu’elle est si humaine : un Dieu mort sur la croix pour le rachat du monde, le médiateur qui est en même temps le rédempteur. Au point de vue doctrinal, tout le christianisme se trouve dans cette conception ; le reste n’est que moyens d’action pour appliquer le principe et en dégager les conséquences.

Les maîtres de l’univers romain ne gagnèrent rien à la transformation des idées juives en idées chrétiennes, par cette nouvelle conception du Messie attendu. Les prophètes avaient annoncé à tous les puissants qu’ils tomberaient sous l’épée d’Israël ; la sibylle et saint Jean les condamnèrent à périr, avec leurs dieux de bois et leurs magnificences de luxure, dans les flammes allumées par la colère divine, tandis que les vainqueurs des démons recevaient la promesse de l’immortalité[21]. Cependant, au point de vue politique, cette promesse dégagea le christianisme, dans la première phase de son existence, de toute ambition terrestre. Il semble qu’en se propageant, avec ses principes d’égalité humaine et de communauté des biens au sein des classes déshéritées, il aurait dû y porter l’esprit de révolte. Mais par une exagération funeste des doctrines de détachement, enseignées depuis quatre siècles par toutes les philosophies[22], l’Église primitive ajoutait, à son dogme fondamental de la rédemption, le mépris de la vie présente, qui pourtant était comprise dans le rachat de toute la destinée humaine. Si ce n’avait pas été le sentiment de la première heure, on verra que ce fut, pour une partie des fidèles, celui de la seconde.

Préoccupé du ciel et des récompenses réservées à sa foi, le chrétien n’envia pas, aux heureux du siècle, leurs richesses et leurs jouissances. Il laissait les choses de la terre telles qu’il les avait trouvées, parce que l’existence, ici-bas, n’était pour lui qu’une vie d’épreuve dont le terme le plus rapproché serait le meilleur, au lieu que l’autre, celle d’outre-tombe, était la vie véritable et ardemment désirée. Qu’il craigne de mourir celui que l’enfer attend, disait saint Cyprien[23] ; mais le chrétien, habitant d’une maison dont les murs chancellent et le toit tremble, passager à bord d’un navire que la tempête va engloutir, pourquoi ne bénirait-il pas la main qui, hâtant le départ, le rend au ciel sa patrie ? Par ce renversement des anciennes idées, le plus misérable compta, non pas sur ce jour de royauté qu’il trouve parfois dans l’émeute ou l’orgie, mais sur le royaume du ciel où l’attendait un bonheur sans fin. Le christianisme ne changeait donc pas les conditions de la vie ; mais il changeait les conditions de la mort, et cette solution nouvelle du terrible problème était, à elle seule, la plus grande des révolutions.

Malgré la tentation toujours vive de demander à la mort son secret, les anciens s’étaient contentés d’admettre, sans beaucoup de métaphysique, une vague existence d’outre-tombe[24]. En ces vieux âges, la vie était rude ; la perdre était souvent gagner le repos, la paix, requiem æternam, et l’Église le répète encore. C’est le temps où la Grèce représentait la mort sous la forme d’un bel enfant endormi, dont la main tombante tenait un flambeau renversé. Mais l’esprit se développe ; la conscience s’éclaire et projette des lueurs dans les ténèbres du tombeau. On y fait descendre la justice, que la société, en se poliçant, cherche à établir sur la terre ; on y met des récompenses pour les bons, des châtiments pour les méchants, comme il en est au Forum, devant le préteur ; et ce jugement des morts, qu’Homère réservait aux héros, s’étend à tous les hommes. La cité des ombres se peuple, s’élargit et se civilise, comme la cité des hommes ; la vie élyséenne est soumise aux lois morales de la rémunération, et ses plaisirs, retracés sur les monuments funèbres, continuent ceux de la vie terrestre. C’est à ce point d’égalité entre les deux existences que la philosophie gréco-romaine avait amené les croyances eschatologiques des païens.

Mais le mouvement commencé ne s’arrête pas ; le développement de la pensée religieuse suit son cours, et l’équilibre entre les deux existences se renverse : le ciel prévaut sur la terre, la vie future sur la vie présente ; celle-ci, condamnée et maudite ; celle-là, glorifiée et attendue avec impatience.

Après avoir cherché Dieu comme à tâtons, dans les religions de la Grèce, de la Phrygie, de l’Égypte et de la Phénicie, les Romains avaient vu venir à eux un Dieu nouveau qui allait au cœur des délicats et des affligés. Il y avait beaucoup d’âmes que blessait le naturalisme grossier de la religion officielle ; et, malgré les adoucissements de la servitude, l’esclavage était toujours pour cette société une plaie qui saignait à son flanc. Or, à ces désespérés, comme Pline les appelle[25], voici qu’on apporte l’espérance.... Celle de la terre ? Oh ! non ! L’ancien séjour que le soleil et la vie faisaient autrefois si beau, est devenu la vallée de larmes que la vengeance divine va remplir de gémissements ; et la demeure des morts, jadis si froide et si sombre, est la Jérusalem céleste, rayonnante de jeunesse, d’éclat et d’amour, où les âmes pieuses habiteront éternellement. Le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière et les étoiles tomberont du ciel.... Alors le Fils de l’homme viendra sur la nuée, avec une grande puissance et une grande majesté, et il enverra ses anges rassembler ses élus des quatre coins du monde.... En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera point que tout ceci n’arrive.

La génération passa, et la terre ne fut pas brisée. Mais la sibylle et les inspirés de l’Apocalypse rajeunissaient sans cesse la menace redoutable qui était une promesse de tortures sans fin pour les maîtres orgueilleux de la terre, de volupté éternelle pour leurs victimes[26]. Ces malheureux, dit un écrivain du temps en parlant des chrétiens, se figurant qu’ils seront immortels, méprisent les supplices et se livrent volontairement à la mort[27]. L’amour du ciel les conduisait à la haine de la terre ; ils n’avaient plus devant les yeux que Dieu et l’Éternité, avec leur majesté redoutable. (Kant.)

Le caractère véritable de la révolution qui s’opérait dans les profondeurs obscures de la société romaine est dans cette vue nouvelle de nos destinées bien plus que dans la réforme morale, puisque déjà l’humanité, nous l’avons montré[28], avait été mise en possession de tous les préceptes qui servent à régler l’existence terrestre. La vie s’épura, mais s’assombrit dans le tombeau vivant où l’enfermèrent ceux qui poussaient cette révolution à ses conséquences logiques, et les magistrats romains, ne pouvant en voir que les dehors, y trouvèrent les deux choses dont se forma le grand drame des persécutions le mépris de la société et de ses lois, qui suscita les bourreaux ; et l’amour de la mort, qui fit les victimes.

Cette haine de la chair que les anciens Juifs n’avaient pas connue, mais que la philosophie enseignait, cette aspiration à la mort, si contraire à la conception que le paganisme s’était faite de la vie, n’auraient pu se produire que dans un petit nombre d’âmes blessées et souffrantes. Mais le ciel resplendissant de lumière que le christianisme ouvrait aux regards, ses enseignements qui s’adressaient aux plus nobles instincts de la conscience, la pénétrante douceur des paraboles et le grand poème de la Passion, gagnaient tous ceux en qui se trouvaient les deux plus puissantes facultés de notre être, le sentiment et l’imagination. Et, après les séductions, de quelles terreurs ne disposaient pas ces hommes dont la parole pouvait s’empreindre de l’incomparable et terrible beauté des chants prophétiques de l’ancienne loi, ou des menaces apocalyptiques de la loi nouvelle ; lorsqu’ils annonçaient la venue prochaine des derniers jours ; lorsqu’ils montraient les empires détruits, les mondes réduits en poudre, la trompette du jugement retentissant dans la vallée de Josaphat, et l’homme associé, pour le bonheur ou pour les tortures, à l’éternité.

Jamais la terre n’avait connu de pareils moyens d’action morale[29], et ils se produisaient à une époque où l’ordre invariable de la nature passait pour être le jouet d’anges et de démons qui rôdaient autour de l’homme, en semant sa route de tentations que sa faiblesse faisait naître et de prodiges qu’il voyait des yeux de l’esprit ébloui par la foi ou par la terreur.

Sous Dioclétien, on donna un mime intitulé le Testament de défunt Jupiter ; nous n’en connaissons que le titre, mais un poète de nos jours a représenté le dieu, qui avait si longtemps ébranlé le ciel et la terre des éclats de sa foudre, cassé par l’âge, décrépit, avec un reste pourtant de majesté et relégué loin des hommes dans une île déserte où il essaye de réchauffer ses mains amaigries devant un pauvre feu de ronces et d’épines. Le poète et le philosophe, qui savent mesurer la grandeur des chutes, ont au moins une parole de compassion pour les bannis du ciel ; les religions, moins généreuses, poursuivent d’une haine vivace ceux qu’elles ont vaincus ; elles leur citent la puissance du bien et leur donnent celle du rial. Les chrétiens croyaient encore à l’existence des dieux du paganisme et aux prodiges accomplis dans leurs temples ; mais ils transformaient ces maîtres de l’ancien monde en dénions acharnés à la perte du nouveau. Pour mener cette guerre contre l’humanité, ils donnaient à ces divinités déchues un chef que personne encore n’avait connu, si ce n’est chez les Chaldéens, dans la Perse et, quelque peu, dans la Judée[30]. Satan, qui allait jouer au moyen âge un si grand rôle, commençait son règne ; il tournait à mal les plaisirs les plus légitimes, cachait un piège dans toutes les magnificences de la nature et répandait l’effroi sur la terre, devenue son royaume. Ce qui est au dedans de nous, ces faiblesses, ces vices qu’une volonté énergique comprime, qu’une volonté chancelante laisse se développer, on le mettait au dehors et l’on remplissait l’univers d’êtres malfaisants qui n’étaient qu’une partie de nous-mêmes. L’humanité se dédoublait et tremblait devant sa propre image ; et le chrétien qui se croyait entouré de tentations mortelles pour son salut, disait avec saint Jean : Celui qui hait la vie de ce monde aura la vie éternelle[31].

Cette doctrine du désespoir est aussi vivace que celle de l’espérance, parce que l’humanité aura toujours des misères et des esprits malades qui, de l’existence, ne voudront voir que l’infelicità et ne comprendront pas une Providence permettant que le mal tombe sur des innocents. Depuis bien des siècles, les sectateurs de Çâkyamouni enseignaient en Orient à d’innombrables multitudes que le mal c’était la vie, et les Alexandrins venaient de répéter qu’il faut aspirer à la mort comme à la délivrance[32]. Les livres Sapientiaux des Juifs avaient aussi jeté ce cri mélancolique qui correspond à une des fibres de l’âme humaine : Tout est vanité ; et ce cri a trouvé des échos dans tous les temps : au moyen âge, en plein siècle de Louis XIV, même au milieu de notre vie bruyante et affairée. Nous avons les poètes et les philosophes de la malédiction, Leopardi et Hartmann[33], en même temps que les chartreux et les trappistes nous représentent, sous la forme religieuse, la fatigue ou l’ignorance du monde, l’esprit de haine contre la chair et cette poésie, de la solitude à la fois amère et douce. Pour eux, philosophes ou reclus, la sombre fiancée est toujours belle, et, par des raisons contraires, ils trouvent de la douceur dans la mort : la gentillezza del morir.

 

III. — LES DOGMES CHRÉTIENS.

Cependant de telles pensées font violence à la rature humaine, et, quoique l’empire romain touchât à ces pays où l’effort et la lutte pour la vie deviennent aisément une souffrance, la doctrine du repos en Dieu n’aurait eu, au milieu des populations plus viriles de l’Occident, qu’une durée passagère, si les croyances qui l’avaient produite ne s’étaient, pour ainsi dire, incarnées dans le corps sacerdotal le plus fortement constitué qui fut jamais. Avec un merveilleux instinct du gouvernement des âmes et par un travail d’organisation qui ne s’est jamais arrêté, l’Église contint et fixa cette foi qui, sans elle, se serait dispersée et perdue, comme le parfum précieux qui s’évapore en un vase mal clos.

Avec la théorie platonicienne du Logos, ou de l’Esprit-Saint envolé par Jésus à ses disciples, la révélation pouvait continuer après la disparition du révélateur. A mesure donc que la vie devint plus active dans l’Église, elle fit apparaître, suivant les temps, des organes nouveaux pour des fonctions nouvelles, afin de conjurer un péril ou de répondre à un besoin. C’est la condition de toute grande et forte existence. La primitive Église, celle de l’âge apostolique, s’était transformée. Tout ce qu’elle avait eu de libre et de spontané, ou de vague et de flottant, doctrine, hiérarchie, discipline, se précisait et s’ordonnait pour une action puissante[34]. Les catholiques refusent de reconnaître cette évolution progressive, et les protestants la condamnent ; c’est par là cependant que l’Église a duré. Que sont les plus longues dynasties de rois et d’empereurs à côté de la succession de ses pontifes, et quelle institution a vécu dix-huit siècles ? On ne voit pas que, de tous les miracles, celui-là est le plus grand : la sagesse humaine élevant un temple où si longtemps ont vécu les plus nobles esprits et qui en abrite tant d’autres encore.

Au premier et au second siècle, la liberté évangélique avait été très grande, et elle ne se perdit que lentement[35]. La plupart des apologistes de l’époque antonine n’appartenaient même pas au clergé, et Eusèbe[36] montre que longtemps il y eut des volontaires de la foi qui répandaient la bonne nouvelle suivant leur propre inspiration. Il en résulta des diversités qui produisirent de très bonne heure ce que l’Église constituée appela des hérésies.

Les apôtres et les Pères apostoliques avaient enseigné, avec des différences qui se perdirent dans l’éloignement, le dogme fondamental de la divinité du Christ ; par conséquent, une loi révélée. Cette loi fut consignée en de nombreux récits de la vie de Jésus, qui n’eurent d’abord qu’une valeur traditionnelle[37]. Pour les premiers Pères, l’Écriture sainte était avant tout le Pentateuque et les Prophètes ; même au milieu du deuxième siècle, Papias, évêque d’Hiérapolis en Phrygie, disait encore qu’il fallait consulter bien moins les livres que la tradition vivante[38]. Mais, avant la fin de ce siècle, le choix entre tous ces récits était fait, et l’autorité apostolique avait été reconnue aux trois synoptiques, dans lesquels de plus anciens écrits avaient été fondus[39], et à l’Évangile de saint Jean, quoique celui-ci eût été composé assez tard et qu’il différât des trois autres sur un point essentiel, la doctrine du Verbe. Cette doctrine, que le Juif alexandrin Philon avait exposée avec éclat, tenait tout à la fois à de vieilles croyances égyptiennes et à certaines idées de Platon. En suscitant dans les esprits philosophiques les spéculations les plus hardies, elle allait servir de fondement à la théologie chrétienne qui fit du Messie le Verbe incarné, tandis que les synoptiques fournissaient à la prédication ordinaire, pour entraîner la foule, la partie douce et charmante dés paraboles, ou sombre et sublime de la Passion. On avait également admis les Actes, les Épîtres, de sorte que le canon des Écritures était à peu près arrêté, quoique aucune autorité ne l’eût encore ni clos ni promulgué[40]. L’Église avait donc son livre saint, le Nouveau Testament, moins poétique que l’Ancien, mais bien meilleur conquérant des âmes.

Enfin Théophile d’Antioche[41] venait de trouver un mot qui n’est pas aux Évangiles, celui de Trinité[42], expression brève et nette du dogme que le concile de Nicée précisera, en déterminant les rapports des trois personnes divines ; et saint Irénée écrivait, entre les années 177 et 192, la profession de foi catholique presque dans les termes que nous lisons au formulaire doctrinal de 325[43]. Mais tous les fidèles n’attachaient pas la même importance à ces dogmes obscurs. Au quatrième siècle, Lactance, un des plus vaillants défenseurs de l’Église, les entendait assez mal pour que le pape Gélase ait placé ses ouvrages parmi les apocryphes ; plus tard encore, Grégoire de Nazianze montrera quelles incertitudes existaient à l’égard du Saint-Esprit[44].

Ainsi, à l’époque où nous prenons l’histoire de l’Église, fin du second siècle, la théologie chrétienne avait commencé avec éclat ; c’était le génie grec qui l’avait faite par la bouche d’Ignace et d’Irénée, de Justin et d’Athénagore, de Tatien et de Théophile, de Méliton de Sardes et d’Apollinaire d’Hiérapolis ; et ce sont d’autres Grecs, Clément et Origène, qui la développeront au troisième, dans la grande école d’Alexandrie[45].

Les agapes fraternelles n’avaient d’abord été qu’un souvenir de la cène et une transformation de la grande fête des Juifs, la Pâque, où l’agneau pascal était mangé en commémoration de l’exode miraculeuse des Hébreux, lorsqu’ils échappèrent à la servitude d’Égypte. Le nombre croissant des fidèles en changea le caractère ; elles devinrent le repas mystique qui tira son nom, εύχαριστία, des actions de grâces prononcées pour la bénédiction de la coupe et la rupture du pain[46]. Au sacrifice sanglant du vieux culte, le christianisme en substituait un de nature toute spirituelle, comme lui-même, et qui célébrait aussi une délivrance, celle des âmes.

Le sacrifice, c’est-à-dire le don fait aux dieux en vue de gagner leur faveur, avait été le fond de tous les cultes ; et plus l’offrande était précieuse, plus le sacrifice devait être efficace. De là les immolations des victimes humaines. Le temps adoucit cette piété cruelle ; les philosophes la condamnèrent ; les empereurs l’interdirent ; mais la croyance aux mérites du sacrifice ne se perdit pas : elle se transforma en s’épurant. Le dieu païen recevait l’offrande et la partageait avec ses adorateurs[47] ; le Dieu nouveau se donna lui-même à ses prêtres et à ses fidèles. Plus de sang répandu ; plus de flamine consumant la victime ; plus de fumée voilant la face divine. Les dons du Père céleste qui entretiennent la vie sur la terre, le pain, l’eau et le vin, devenaient les symboles de la communion des hommes avec lui. Son esprit s’était incarné dans Jésus ; Jésus, remonté au ciel, s’incarna dans le pain et le vin consacrés sur la terre : hoc est corpus meum, hic est sanguis meus. Ce ne fut d’abord qu’une figure[48]. Comme on participait à l’idolâtrie en mangeant la chair des victimes païennes, on participa au nouveau culte en rompant le pain et en buvant la coupe. Mais, étant donné l’état des esprits, la figure devait bien vite devenir pour les fidèles une réalité : Au milieu du second siècle, l’eucharistie était déjà a le sacrement de l’autel[49]. Si l’on était loin de croire à la transsubstantiation, on admettait déjà la consubstantiation, et la sainteté mystérieuse que la cène avait gagnée communiquait au prêtre qui offrait le sacrifice une dignité plus haute, avec le caractère de médiateur nécessaire entre le ciel et la terre.

Ce caractère allait lui venir d’une autre manière.

Jésus n’avait laissé que deux ordres aux apôtres : Instruisez et baptisez les nations. Ce baptême qu’il avait voulu lui-même recevoir était un symbole de purification et la condition du salut (Jean, III, 5). Dans les premiers temps, il supposait de la part de celui qui s’y présentait une adhésion personnelle donnée après l’instruction reçue et marquée par la profession de foi chrétienne. Aussi n’était-il administré qu’aux adultes : les catéchumènes d’Alexandrie l’attendaient trois ans[50]. Mais l’idée sacramentelle y attacha des grâces particulières ; par lui, le baptisé renaissait à la vie de l’esprit. Plongé dans les ténèbres d’une nuit épaisse et flottant au hasard sur la mer orageuse du siècle, j’errais çà et là, dit saint Cyprien, sans savoir où diriger ma vie. La bonté divine m’a fait renaître dans l’eau salutaire du baptême.... Aussitôt une lumière sereine et pure se répandit d’en haut sur mon âme, et je devins un homme nouveau[51]. Cette vertu du baptême dispensant de l’adhésion personnelle, les enfants furent admis à la régénération. C’était une nouveauté considérable. Le Maître avait dit : Sinite venire ad me parvulos, l’Église les appelait et les prenait. Son action va s’étendre sur les commencements de la vie, comme elle veillera sur les approches de la mort, et elle pourra retenir ou reprendre, aux heures orageuses de la jeunesse, ceux qu’elle aura, dès leur naissance, enrôlés dans l’armée du Christ, census Dei[52].

Au sortir des fonts baptismaux, le néophyte était revêtu d’une robe blanche ; symbole d’innocence, et il trempait ses lèvres dans un vase de lait et de miel, douce et pute nourriture du corps qui était l’image de la nourriture spirituelle que l’Église distribuait à tous les siens[53].

Jésus avait dit : Les péchés seront remis à ceux auxquels vous les remettrez. C’était un puissant moyen d’action pour le gouvernement des âmes promis au nouveau corps sacerdotal. D’abord le pénitent faisait au Seigneur[54] l’aveu de sa faute en présence des fidèles, et les prêtres déterminaient les satisfactions nécessaires. Mais il était inévitable qu’à la confession publique se substituât la confession auriculaire. Le pénitent et le prêtre avaient un égal intérêt à ce changement, car la première n’étant possible que pour les grandes fautes, les petites échappaient à l’action de l’Église. Avec la seconde, le pécheur, les femmes surtout[55], évitaient la honte de s’humilier devant tout le peuple, et le prêtre pénétrait dans la vie intime du pénitent, ce qui lui permettait de la diriger mieux pour le salut. Si le pénitent, à l’article de la mort, voulait se réconcilier avec l’Église, il fallait bien que le prêtre remplaçât à son chevet l’assemblée des frères, et l’exception finira par devenir la règle. Toutefois la confession publique ne sera interdite qu’au milieu du cinquième siècle[56] ; mais, à ce moment, la confession auriculaire qu’on voit poindre à l’époque où nous sommes[57], aura, depuis longtemps, acquis la puissance d’un sacrement. Par les conseils qui suivent la confession, le prêtre prendra la conduite de la vie des pénitents ; il leur enseignera la pratique de la justice selon l’Église, et, par le pouvoir de lier et dé délier, il fera des saints destinés à s’asseoir à là droite de Dieu et des damnés qu’attendront Satan et ses tortures. Les mystères païens, eux aussi, donnaient le salut, mais par une initiation qui ne se répétait pas. Au sein de l’Église, l’initiation se renouvelle incessamment par la communion eucharistique qui met dans l’état de pureté, par l’enseignement religieux qui y prépare, par le sacrement de la pénitence qui y ramène le pécheur ou qui en éloigne à jamais l’excommunié, banni tout à la fois de l’Église et du ciel. Quelle puissance morale dans ces croyances ! Quelle force pour ces proscrits de la terre qui disposent du ciel ! Jamais pareille autorité n’avait été reconnue à des hommes, pareille discipline acceptée par des fidèles ; et comme l’on comprend que les peuples aient longtemps courbé devant eux leurs genoux et leur esprit !

Un autre sacrement naissait, ou plutôt un vieil usage continuait en se transformant : l’extrême-onction[58]. Ce n’est encore que la prière des prêtres sur le malade, l’usage juif de l’onction par l’huile au nom du Seigneur, et l’acte de foi du moribond[59].

La loi civile n’aime point le célibat, parce qu’il affranchit des devoirs de la famille et que la famille est la base de la société. Mais en Orient, même en Grèce, certaines églises ou sectes philosophiques le recommandaient. Au temps de l’ancienne ferveur, des déesses, Diane, Minerve, Vesta, les Muses, avaient répudié les chastes amours, et, à Athènes, à Rome, chez les Gaulois, les plus saintes prières étaient celles de vierges. Les apôtres et les premiers Pères n’avaient pas imposé le célibat ; toutefois on y tendait : il était la suite naturelle d’une doctrine qui prescrivait les macérations de la chair et le renoncement[60]. Déjà on refusait d’admettre à l’épiscopat celui qui avait contracté de secondes noces, et cette règle s’est conservée dans l’Église grecque. Pour tenir l’homme à tous les moments de sa vie, du berceau à la tombe, elle fera du mariage un sacrement, sans pouvoir lui ôter son caractère fondamental de contrat civil[61].

La Vierge qui occupe une si grande place dans le catholicisme des temps modernes en eut bien peu dans celui des premiers âges. Il est parlé d’elle avec respect, niais aucun culte ne lui est rendu. Avec le temps, le personnage historique deviendra un type sacré. Ce ne sera pourtant que le second concile œcuménique, celui de 381, qui placera son nom dans le symbole où les Pères de Nicée ne l’avaient point mis.

Le dogme de la communion et de l’intercession des saints ne se formulera aussi qu’au quatrième siècle. A l’autel, dira saint Augustin, nous ne faisons pas mémoire des martyrs de la même manière que des fidèles qui reposent en paix. Nous ne prions pas pour eux ; nous leur demandons de prier pour nous[62]. Mais il y en a trace au troisième[63], et c’était encore une conséquence nécessaire.

Ainsi se formait le grand poème de la religion chrétienne, comme un chant de klephte antique était devenu, par le travail des générations successives, l’Iliade d’Homère, et il allait être, pour une longue suite de siècles, la consolation et la volupté des âmes. Mais le poète nouveau qui développait la donnée primitive était l’Église ou plutôt ces communautés ardentes, ces assemblées nocturnes dont les besoins religieux croissaient avec la contagion de la foi. Les ignorants entraînaient les docteurs, et ceux-ci, puisant à pleines mains dans le triple trésor de la poésie biblique, de la philosophie grecque et de l’Évangile, multipliaient les dogmes, enrichissaient le culte et changeaient tout, en croyant ne rien changer.

Les cérémonies devenaient plus variées, la liturgie, ou le règlement du culte, n’avait pas l’unité qu’elle n’a trouvée que de nos jours ; mais chaque église précisait la sienne[64]. Saint Clément, au siècle précédent, en avait parlé dans son Épître aux Corinthiens. Cet évêque de la cité maîtresse du monde, ce Romanus, comme on l’appelle, avait aussi invoqué déjà la discipline en comparant l’Église aux légions de César où le chef commande[65]. Ses successeurs finiront par y mettre les mêmes règles d’obéissance absolue, et la liberté féconde de la vie religieuse aux premiers âges, sans laquelle rien ne se serait fondé, disparaîtra, mais au profit de la discipline sans laquelle rien ne dure.

A la fin du deuxième siècle, l’œuvre dogmatique de l’Église était assez avancée pour que Clément d’Alexandrie, qui écrivait sous le règne de Sévère, cherchât à en coordonner les parties dans un système scientifique construit avec les procédés ordinaires de la pensée humaine. La foi, disait-il, est la science des choses divines donnée par la révélation ; mais il faut que la science fournisse la démonstration des choses de la foi. Et il composait les Stromates, qui, sans être écrites avec la méthode rigoureuse de saint Thomas, sont pourtant un premier essai de philosophie chrétienne. Or c’est un signe de force et souvent de victoire prochaine pour les idées, lorsque la philosophie s’en empare et en donne la formule générale.

 

IV. — LA HIÉRARCHIE ET LA DISCIPLINE.

Tandis que l’Église régularisait sa vie interne, elle avait été, pour sa vie extérieure, conduite, par la nature même de sa propagande, à se donner une organisation dont les plus fortes conceptions politiques n’ont jamais approché.

Les communautés chrétiennes des premiers jours n’avaient pas plus d’institutions disciplinaires que de sacrements ; chacune s’organisait à son gré. Du temps de saint Paul on laissait quantité de frères prendre une fonction, un titre, afin d’en retenir un plus grand nombre par la satisfaction d’un sentiment très humain : le  besoin de se classer à part. On sait combien les confréries, les villes et toute la société romaine aimaient cette ordonnance hiérarchique[66]. Dieu, dit saint Paul, a établi dans son Église, premièrement des apôtres, secondement des prophètes, troisièmement des docteurs, ensuite ceux qui font des miracles, puis ceux qui ont le don de guérir les maladies, ceux qui ont le don d’assister les affligés, ceux qui ont le don de gouverner, ceux qui ont le don de parler diverses langues, ceux qui ont le don de les interpréter (I Cor., XII, 28). Cette étrange confusion ne pouvait durer. Les villes grecques avaient des έπίσxοποι ou surveillants, sortes d’édiles dont le Digeste (L, 4, 18, § 7) définit les attributions : Ceux qui président au pain et aux denrées. Les premières communautés chrétiennes semblent avoir pris cette fonction municipale et son nom[67]. A leur tête, pour présider leurs réunions, elles avaient mis le plus vénérable par l’âge et la sainteté, l’ancien, le πρεσβύτερος. Peu à peu le surveillant, qui avait l’action principale, s’éleva au-dessus de l’ancien, qui n’avait que la dignité, ou plutôt, les deux fonctions se confondirent, ici dès l’origine, ailleurs plus tard. Saint Paul avait fait élire dans toutes les églises qu’il instituait des surveillants ou anciens et des diacres ; à la fin du premier siècle, saint Clément[68], au milieu du second, saint Polycarpe (Ad Cor., 42) et saint Justin[69], ne connaissent encore que ces deux ordres ; mais le nombre des fidèles croissant, celui des ministres du culte augmenta, et les différences se marquèrent. D’autre part, aux hérésies qui se multipliaient il fallut opposer la discipline, c’est-à-dire une concentration de l’autorité. Au temps de Sévère, les chrétientés importantes avaient un évêque représentant l’unité du gouvernement spirituel ; des prêtres pour les fonctions religieuses, des diacres pour le service du temple ; tous réunis formaient le clergé ou la part du Seigneur.

Ces charges étaient à l’élection. Les anciens choisissaient l’episcopos, qu’ils présentaient aux fidèles et que ceux-ci confirmaient en sa charge par leurs acclamations. Ils validaient aussi à mains levées la désignation des prêtres et des diacres que l’évêque avait faite. Par où l’on voit que si le consentement de la communauté était nécessaire, l’élection véritable dépendait des chefs. Ainsi l’ordre, indispensable à la vie régulière, remplaçait le désordre des premiers jours. Les mêmes nécessités qui avaient fait sortir de la multitude des écrits évangéliques le canon des Écritures, c’est-à-dire la règle de foi, avaient insensiblement conduit à établir au sein de chaque communauté chrétienne la hiérarchie, c’est-à-dire l’administration, comme elles conduiront plus tard à constituer le gouvernement général de l’Église. C’était dans la logique des faits, et l’on ne comprendrait pas qu’il eût pu en être autrement. Sans cette discipline, il n’y aurait pas eu de catholicité.

La tradition jouant un grand rôle dans l’Église, les évêques anciens furent supposés la transmettre à l’évêque nouveau ; de là la consécration de l’élu par un évêque du voisinage et la formation insensible des provinces ecclésiastiques. L’évêque, dit le 4e canon du concile de Nicée, doit être ordonné par trois évêques.

Un des plus vieux droits de home, et l’on peut dire un des plus chers à la population romaine, la liberté de former des confréries et des collèges, favorisa la première organisation des églises[70]. En prenant la forme des collèges funéraires, les chrétiens avaient pu se constituer à l’abri de la loi, en communautés ayant le caractère d’une personne civile, c’est-à-dire avec le droit de recevoir des legs ou donations et les contributions mensuelles de leurs membres. La loi mosaïque avait assuré aux lévites la dîme de tous les produits de la terre ; l’usage romain donna une nouvelle force à l’usage hébraïque ; et, comme chaque année les synagogues de tout l’empire envoyaient autrefois leurs dons au temple de Jérusalem, les fidèles firent chaque un mois leur offrande à l’église. Beaucoup, saint Cyprien, par exemple, vendaient leurs biens et en remettaient le prix à l’évêque. Celui de Rome reçut d’une seule personne 200.000 sesterces, et celui de Carthage put employer moitié de pareille somme au rachat de captifs chrétiens enlevés par les Maures[71].

Chaque église avait donc un budget qui lui permettait de secourir ses pauvres et ses affligés ; de faire face aux dépenses du culte et des repas communs, les agapes, où les prêtres, comme les officiers des collèges païens, recevaient pour leur entretien double part[72] ; même d’acquérir dés biens-fonds pour y établir le cimetière commun et y tenir les assemblées nocturnes[73].

Le cimetière de Calliste, où tant de papes furent enterrés, existait déjà, à Rome ; le long de là voie Appienne, et Alexandre Sévère adjugera aux chrétiens un domaine que les païens leur disputaient. La propriété ecclésiastique commençait donc à se constituer, comme s’était formée celle des temples païens, par des donations. Pour le moment, elle est bien petite, mais un jour elle sera bien grande.

Plus tard, l’Église se servira encore du moule commode de l’administration impériale et pourra le remplir. La cité avec son vaste territoire formera le diocèse, et la métropole civile deviendra la métropole religieuse : l’archevêque succédera au flamine qui apportait à l’autel de Rome et d’Auguste les prières et les vœux de la province entière, enfin la basilique servira d’église, et nous conservons encore en mille lieux l’usage romain d’y tenir les femmes séparées des hommes[74].

Les collèges si nombreux dans les provinces avaient gardé l’idée gréco-romaine du pouvoir populaire, que l’empire avait abandonnée en fait, sinon en droit ; tout s’y faisait à l’élection. L’Église suivit cet usage, qui était dans la tradition apostolique[75], et cette élection populaire s’appelait la voix de Dieu, vox Dei[76]. Alexandre Sévère sera si frappé des avantages de ce système, qu’il songera un moment à l’établir pour l’administration impériale[77]. Dans l’ordre civil, l’élection finissait tout, à moins que la loi n’eût reconnu au prince le droit d’approuver ou de rejeter ; dans l’Église intervenait un autre acte : l’imposition des mains, qui transmettait à l’élu les pouvoirs spirituels[78]. Ce rite, indispensable pour que l’élection eût ses effets religieux, a dû réduire dés l’origine le vote des fidèles à n’être qu’une simple adhésion donnée par eux au choix que les anciens avaient préparé et qu’ils recommandaient.

Autre différence essentielle : les élections, dans la société civile, étaient annuelles ; celles d’Église conféraient, par la consécration épiscopale, un caractère indélébile et un droit viager. Ainsi cette société démocratique se donnait une aristocratie qui ne se renouvelait que très lentement : l’élément conservateur était placé au-dessus de l’élément mobile, et l’Église avait le principal avantage des régimes héréditaires, la durée, sans en avoir les inconvénients : un grand évêque pouvait être remplacé par un plus grand que lui. Mais cette aristocratie n’avait pas un pouvoir sans contrôle. Comme le duumvir était, en une certaine mesure, dans la dépendance de la curie, l’évêque administrait avec le conseil des prêtres[79], et ceux-ci l’assistaient dans le jugement des contestations que les fidèles verraient lui soumettre[80].

Toutes les associations qui se forment en dehors des pouvoirs publics et contre eux sont forcées de se constituer juges de leurs membres. Le peuple des fidèles qui désignait les chefs des églises et recevait l’aveu des pénitents, faisait aussi les saints, sans toutes les formalités nécessaires, dans les siècles suivants, pour la canonisation. La vénération dont il avait entouré la tombe où reposaient les restes de ses héros suffit plus tard pour donner entrée an martyrologe[81].

Entre les premières églises il y avait un échange de conseils et parfois a une mutuelle et salutaire admonition[82]. Si l’on n’était pas allé plus loin, on aurait eu une quantité de communautés chrétiennes qui n’auraient point fait une Église, de même qu’une foule de républiques ne font point un État. Mais, avec le dogme de la loi révélée et de l’inspiration de l’Esprit-Saint, transmise a par l’imposition des mains n, il était de conséquence nécessaire que les apôtres fussent considérés comme ayant communiqué à leurs successeurs a la grâce certaine de la vérité n. Ceux-ci étaient donc pris pour les dépositaires de la tradition orale qui permettait d’interpréter et d’étendre la tradition écrite, c’est-à-dire de conserver au sein de l’Église un principe de perfectionnement, comme celles de nos constitutions qui se déclarent révisables, ou ceux de nos gouvernements où l’action législative modifie incessamment l’ordre ancien, selon les besoins nouveaux. Ce que nos politiques nomment la raison, l’Église l’appelle le Saint-Esprit ; c’est la même chose ; avec celte différence que l’une conseille et que l’autre commande.

Tous les évêques avaient alors un droit égal[83], et ils étaient très nombreux, parce que chaque communauté voulait avoir le sien. Ce pouvoir n’eut été qu’une cause de division, si la nécessité de se concerter et de s’entendre n’avait fait emprunter encore une institution à la société romaine. Comme les représentants des cités se réunissaient dans la capitale de la province, les représentants des communautés chrétiennes se réunirent au siége le plus important de la région ; et ces assemblées provinciales dont l’empire n’avait pas su tirer parti firent la fortune de l’Église. Survenait-il une difficulté, les évêques se rassemblaient et, après discussion, décidaient, à la majorité des voix, ce que l’on devait, croire et ce que l’on devait faire. N’était-il pas écrit aux Évangiles : Quand vous vous réunirez trois en mon nom, je serai au milieu de vous ? Ce qui voulait dire que les décisions des conciles étaient inspirées par l’Esprit-Saint[84]. Les prêtres et les diacres, admis à côté des évêques[85], donnaient à ces assemblées le caractère démocratique, qui est une grande force pour ceux qui délibèrent sur les intérêts d’une société naissante.

Cette institution, destinée à un rôle immense, apparaît vers la fin du second siècle. On n’a conservé mémoire que de deux assemblées de cette sorte avant Sévère et de deux autres durant son règne, si l’on ne compte pas celles de l’année 196 qui se tinrent à Rome, en Palestine, dans le Pont, à Corinthe, en Mésopotamie, etc.[86], pour fixer le jour de Pâques, dont la date déterminait l’époque de plusieurs fêtes chrétiennes et de certaines obligations religieuses. A la génération suivante, saint Cyprien convoqua soixante évêques africains pour arrêter les mesures à prendre envers les lapsi, et quatre-vingt-sept pour trancher la question du baptême des hérétiques[87]. Cette juridiction nouvelle et supérieure diminua la liberté des églises particulières, mais c’était le seul moyen de faire une église générale. Au quatrième siècle, l’Église ira plus loin dans cette voie qui menait à l’unité de la foi et de la discipline ; elle instituera les conciles œcuméniques, qui supprimeront les différences entre les conciles provinciaux, comme ceux-ci avaient supprimé les différences entre les chrétientés particulières[88].

Ainsi l’Église était naturellement arrivée par les conditions de son développement historique à se donner une constitution supérieure à celle de la société païenne, et elle en avait trouvé les principaux éléments dans ce que l’empire avait laissé de libertés au sein des villes et des provinces. Elle était une démocratie représentative ayant, par la participation du peuple aux affaires communes, beaucoup de vitalité, et, par les conciles, une grande force de cohésion. L’autorité de l’épiscopat, qui croissait malgré les résistances locales[89], augmentera bientôt cette union.

Certains sièges, ceux d’Alexandrie, d’Antioche et de home., jouissaient d’une considération spéciale due à l’importance des cités où ils étaient établis et à la croyance que, fondés par les Apôtres, la tradition s’y conservait plus pure. Eusèbe, dans son Histoire ecclésiastique, leur donne encore, au quatrième siècle, une dignité particulière que le concile de Nicée consacrera. Quoiqu’il ne fût encore sorti de l’Église romaine ni un illustre docteur ni quelques-unes de ces paroles qui élèvent ou terminent les polémiques ardentes[90], on devait être naturellement amené à reconnaître une primauté d’honneur à l’évêque de la capitale du monde, au siége, le seul dans tout l’Occident qui passât pour être d’origine apostolique, que l’on disait consacré par le sang de Pierre et de Paul, et où l’on montrait leurs tombeaux. Saint Ignace d’Antioche, sous Trajan, ne fait, dans sa lettre aux chrétiens de Rome, aucune allusion au pouvoir particulier de leur évêque, et si, du fond de leur prison, les confesseurs lyonnais lui écrivent pour lui recommander l’union des églises, ils adressent la même recommandation à leurs frères d’Asie : parole de paix qu’avant le supplice les martyrs envoyaient souvent aux autres chrétientés. Vers la fin du deuxième siècle, l’inévitable évolution commença. Les églises transalpines furent les premières à se serrer autour du siége apostolique. Saint Irénée lui reconnut une certaine supériorité morale[91], tout en combattant l’opinion de l’évêque de Rome dans la querelle qu’il soutint contre les églises d’Orient. Cependant l’histoire ecclésiastique de la première moitié du troisième siècle, notamment les lettres de Firmilianus à saint Cyprien contre le pape Étienne[92], de l’évêque de Carthage aux prélats de Numidie et celles des évêques qui blâmèrent énergiquement le pape Victor dans l’affaire de la Pâque[93], prouve qu’aucune prééminence doctrinale ne lui était encore accordée. Entre les grands siéges il y a des rangs, il n’y a point de subordination. Le besoin de s’unir pour se défendre établira plus tard une hiérarchie disciplinaire : la primauté d’honneur se changera en primauté de juridiction, et le pape[94] aura un empire plus vaste que celui des empereurs. Le centre de la catholicité ne pouvait être qu’au tombeau du Christ ou dans la capitale du monde. La ruine de Jérusalem par Titus et Hadrien fit la fortune pontificale de Rome.

En attendant cet achèvement suprême de la hiérarchie, l’unité s’établissait grâce aux continuels rapports des chrétientés entre elles. On échangeait les lettres des évêques, les canons des conciles, et les églises qui les acceptaient se reconnaissaient par cela seul en communion avec celles qui les avaient envoyées. L’union apparaissant comme une nécessité de salut, on cédait sur des points secondaires pour éviter des divisions qui auraient exposé à des périls plus grands que la persécution ; de sorte que les changements qui s’opéraient, imposés par les circonstances, étaient, en outre, le développement logique de la doctrine et de la discipline primitives. Ainsi l’Église catholique se formait d’elle-même peu à peu par la réunion des églises particulières. Vers le milieu du troisième siècle, un homme d’autorité et de gouvernement, saint Cyprien, donnera la formule de cette union dans un traité sur l’Unité de l’Église, où il établira que les chrétientés doivent rester en communion entre elles et avec la chaire qui est le centre de la catholicité.

La primauté, dit-il, a été donnée à Pierre pour montrer qu’il n’y a qu’une Église, mais les apôtres étaient ce qu’était Pierre. L’épiscopat est un, et tous les évêques sont pasteurs : ils n’ont qu’un troupeau. L’Église de même est une, et elle se répand par sa fécondité en plusieurs personnes. La chaire de Rome est donc, à ses veux, le signe et non la règle de l’unité qui résultait pour lui du commun concours de tous les membres. Les besoins et les idées que ces besoins faisaient naître ne réclamaient pas alors une plus grande concentration de l’autorité spirituelle.

De toutes ces nouveautés, la plus importante, par ses conséquences historiques, fut la formation d’une classe d’hommes qui n’avait pas encore existé, si ce n’est au fond de la presqu’île hindoustanique. Par le célibat qui lui sera imposé, le prêtre chrétien deviendra un être nouveau dans la création, comme par la consécration spirituelle, que ni l’autorité civile ni l’élection populaire ne pouvaient donner, il sera un homme à part dans la société. Mais le renoncement aux conditions de la nature humaine lui vaudra une force particulière qui s’ajoutera à la force religieuse que lui assurera le droit de remettre les péchés et de faire descendre Dieu sur la terre, dans le sacrifice de l’autel. Le plus souvent ces prêtres seront des sages d’une pureté angélique et d’un dévouement au niveau de tous les sacrifices, mais, parfois aussi, des hommes d’un orgueil à mettre le pied sur la tète des rois. Aussi deviendront-ils redoutables à la société civile, parce que, placés en dehors d’elle, ils constitueront un grand corps sacerdotal qui voudra, et qui, en vertu de ses doctrines, devra cherche, tous les moyens de la dominer.

Il allait donc se produire dans le monde occidental une chose qui était le contraire de ce que Rome avait connu et pratiqué durant dix siècles : la séparation du clerc et du laïque, de l’Église et de l’État. Dans le monde gréco-romain, l’union du fidèle avec la divinité se réalisait directement : le père de famille était le prêtre de ses dieux. Il faudra au chrétien un intermédiaire pour entrer en communion avec le sien. Ce sera une diminution de la dignité individuelle du croyant, tandis que l’autorité du corps exclusivement voué au service religieux en sera singulièrement accrue. Attachés au sacerdoce pour leur existence entière, par leur foi et par leurs intérêts, puisqu’ils vivront de l’autel[95], ces hommes consacrèrent leur activité, leur génie, leur sainteté, quelquefois leur sang, à l’agrandissement de l’Église. Et comme il est clans la nature de toute corporation de travailler sans relâche à étendre son influence et ses privilèges, l’établissement du clergé, tel que celui qui vient d’être montré, assura à l’Église une armée formidable qui d’abord l’empêcha de périr et plus tard la rendit victorieuse. Jamais garde prétorienne, au meilleur sens du mot, n’a rendu à son prince autant de services que l’Église n’en a reçu du corps sacerdotal. Dépositaire de la doctrine religieuse et de la vérité morale, il a défendu l’une, suivant les temps et les lieux, avec l’esprit de mansuétude, de sacrifice ou de dureté impitoyable ; mais il a conservé l’autre aux jours les plus sombres de l’histoire, et il l’enseigne encore.

Ainsi l’Église développait harmonieusement sa double vie doctrinale et disciplinaire. Une seule chose diminuait en elle : la vertu du miracle. A mesure qu’elle s’était étendue à un plus grand nombre, elle avait perdu cette puissance qui, pour être admise, a besoin de l’éloignement clans le temps ou dans l’espace. La foi des simples avait rempli de faits merveilleux l’histoire des premiers jours. Saint Irénée croyait encore « que les véritables disciples du Christ pouvaient délivrer les possédés, prédire l’avenir, guérir les malades et ressusciter des morts[96]. Les docteurs de l’âge présent ne voyaient plus de ces prodiges, tout en croyant qu’ils en pouvaient voir, et Origène atteste l’affaiblissement du don divin, en n’osant parler que des vestiges qui en subsistent parmi les chrétiens. Laissons passer un demi-siècle, et nous entendrons l’évêque de Césarée reconnaître avec mélancolie que ces vestiges mêmes ont disparu[97].

En regard de la forte organisation de l’Église, il faut mettre la faiblesse du clergé impérial. Chefs des communautés chrétiennes, les évêques sont juges pour le ciel, juges aussi pour la terre, car les frères prennent l’habitude de leur soumettre les différends qui s’élèvent entre eux. Les prêtres païens, simples maîtres des cérémonies dans les solennités religieuses, n’avaient ni vastes domaines et revenus propres, comme l’Église en possédera lorsqu’il lui faudra combattre à son tour des novateurs, ni juridiction qui leur donnât des sujets, ni enseignement public qui leur assurât des fidèles, et l’autorité paternelle, en leur fermant l’intérieur des familles, tenait hors de leur influence la femme et l’enfant. L’ancien clergé était donc incapable de lutter contre le clergé nouveau. L’attaque fut admirablement conduite ; la défense le fut très mal. Des cris de populace et des arrêts de mort, c’est-à-dire des violences, tir, suffisaient pas pour empêcher l’expansion d’une religion qui, née de l’esprit, n’aurait pu être arrêtée ou contenue que par l’esprit.

 

V. — LES HÉRÉSIES.

Armée de ses livres canoniques et de sa foi ardente, soutenue par sa hiérarchie, fortifiée par sa discipline, l’Église marchait lentement, irais sûrement, à la conquête du inonde. A l’anarchie des doctrines elle opposait la simplicité de son dogme ; à la liberté philosophique, l’unité de son esprit, et elle rejetait de son sein ceux qui, dans le Credo commun, cherchaient à faire leur part[98].

Les récits évangéliques et les exhortations doctrinales des Épîtres avaient suffi aux hommes simples que l’Église recrutait au premier siècle. Mais quand, au deuxième, la foi gagna les esprits cultivés, ceux-ci voulurent coordonner leurs croyances et résoudre par les procédés de l’école les questions qu’elles impliquaient. :dors se produisit, pour les solutions religieuses, la mime diversité qu’autrefois on avait vue pour les solutions philosophiques. Beaucoup disaient, comme le Clément du roman chrétien des Reconnaissances : J’ai mal à l’âme, et cherchaient, par les voies les plus diverses, le remède à ces souffrances de l’esprit, qui sont les plus douloureuses.

Les sectes chrétiennes s’inspiraient bien d’un même livre, mais ce livre prêtait à mille interprétations différentes, et la prophétie de Siméon s’accomplissait : Il sera pour le monde un signe de contradiction[99]. Même après le concile de Nicée, saint Jean Chrysostome dira : Les mystères de l’Écriture sont comme les perles que les pécheurs vont chercher dans les profondeurs ténébreuses de la mer. Il est difficile d’en pénétrer le sens, plus difficile encore que tous le comprennent de la même manière[100]. Infini était donc le nombre des solutions proposées, et chacun trouvait, pour les accepter, quelques-uns de ces hommes que Tertullien montre flottant à tout vent de doctrine[101]. Il avait peu de grandes communautés chrétiennes dont l’évêque ne fût pas obligé de refuser le baiser de paix à des hommes qui prétendaient discuter leur foi.

L’auteur des Philosophumena énumère trente-deux hérésies[102]. Sous le feu de la persécution, elles pullulaient, dit Tertullien, comme les scorpions des bords du Nil, sous les rayons brûlants du soleil d’été. Nous devons laisser aux écrivains de l’histoire religieuse l’étude de ces discussions subtiles et de ces audaces téméraires qui ont fait dépenser à l’humanité tant d’intelligence et de temps à sonder inutilement l’insondable. Il nous suffira de dire qu’on a fait de ces indisciplinés deux catégories principales, où l’on passe, par nuances insensibles, de l’orthodoxie presque complète à la contradiction absolue d’un dogme fondamental : les hérétiques d’interprétation, qui changeaient le sens ou le texte des Écritures, et les hérétiques d’inspiration, qui prêchaient une autre loi. Au temps même des apôtres, Cérinthe avait regardé Jésus comme un homme ; un peu plus tard, Ébion, ou du moins les ébionites, l’avaient fait naître de Joseph et de Marie, en accordant qu’il avait mérité par sa vertu que l’Esprit-Saint descendit en lui. Ces doctrines tenaces qu’on trouve au deuxième siècle dans le singulier livre des Recoginitiones et dans le Pasteur d’Hermas venaient d’être renouvelées par Artémon et Théodote de Byzance. Un évêque d’Antioche, Paul de Samosate, les reprendra bientôt, et elles aboutiront à la grande hérésie d’Arius. Or, nier la divinité du Christ, ou, comme les docètes, rejeter son humanité, c’était saper à la base le nouvel édifice religieux. On l’ébranlait encore si, avec Praxéas et Sabellius, on confondait le Fils et le Père ; mais prendre, comme Montanus, le rôle de prophète, c’était en changer l’ordonnance et l’ouvrir à toutes les tempêtes soulevées par les mystiques ardeurs. Avec les uns, plus de religion, puisque le grand mystère du Dieu fait homme disparaissait ; avec les autres, plus d’organisation, c’est-à-dire plus de force agissant toujours dans le même sens, puisque l’esprit souffle où il lui plait : par conséquent plus d’unité doctrinale, plus d’Église universelle.

Ce dernier genre d’hérésie était surtout redoutable, parce que, chez les chrétiens, il passait pour constant que le don de prophétie, tout en s’affaiblissant, n’avait pas cessé dans l’Église.

Il avait été dit aux apôtres : Je prierai mon Père, et il vous enverra un consolateur.... Le Paraclet vous enseignera des vérités que vous n’êtes pas en état de comprendre. Les illuminés s’autorisaient de ces paroles, et beaucoup croyaient, avec Tertullien, que Montanus recevait les inspirations promises par Jésus. Mais cette croyance à des révélations particulières, qui détruisaient la révélation évangélique en prétendant la continuer, a donné et donne encore naissance aux sectes les plus dangereuses. Marcion, en opposant l’un à l’autre l’Ancien et le Nouveau Testament, avait déjà jeté les bases du manichéisme.

Au milieu de tant de doctrines, l’Église avait fait son choix avec le merveilleux esprit d’ordre et de gouvernement qu’elle semble avoir hérité de ceux qui la persécutaient. Bien qu’elle n’eût encore arrêté que les grandes lignes du temple qu’elle devait élever, elle avait déjà, au troisième siècle, son rocher immobile du Capitole, Captitolii immobile saxum, que les flots sans cesse mouvants de l’hérésie battaient en vain. Irénée venait d’écrire contre les gnostiques ; Tertullien était aux prises avec les valentiniens et les marcionites, avec Hermogène, qui soutenait l’éternité de la matière, avec Praxéas, qui ruinait le dogme de la Trinité. L’évêque d’Antioche avait condamné Montanus ; celui de Rome, Théodote de Byzance, et Minucius discutait contre les païens[103]. L’Église savait donc ce qu’elle voulait, et ses fils, en l’écoutant, croyaient surgir de la nuit profonde de l’erreur au grand jour de la sagesse et de la vérité[104], tandis que les autres, les philosophes, ou ceux qui faisaient leur part, allaient à l’aventure[105]. Enfin elle possédait déjà ce que le paganisme n’avait jamais eu, une grande force de discipline. Par toutes ces choses s’explique sa victoire.

A côté de ses grandeurs, cette Église avait ses misères : chez quelques-uns de ses docteurs, l’esprit d’orgueil et d’indiscipline, qui provoquait des chutes douloureuses[106] ; parmi les fidèles, des vices qui sont trop dans notre nature pour que la foi puisse toujours les étouffer[107], ou l’hypocrisie de la sainteté, afin de profiter des aumônes fraternelles ; dans les jours d’épreuves qui vont venir, de nombreuses apostasies[108], expliquées par un recrutement qui s’opérait surtout dans les classes intimes[109], où se trouvaient tant d’hommes lions dans la paix, cerfs timides au moment du combat[110] ; enfin, au sein même du clergé, des compétitions et des querelles qui conduisaient au schisme où à l’hérésie[111]. Nées le même jour, la foi et l’hérésie étaient deux sœurs ennemies et inséparables ; l’une suivait l’autre et la suivra éternellement.

Il y en avait une troisième, celle-là impure, la théurgie, qui se glissait chez les chrétiens de toutes les sectes, comme chez les païens de tous les cultes, et jusque chez les philosophes. Partout on demandait des miracles, et il ne manquait pas de gens qui prétendaient en faire. Dans l’état où se trouvaient les esprits, les maladies nerveuses devaient être fréquentes, les possédés nombreux et les guérisseurs faciles à trouver : charlatans convaincus ou trompeurs, dont les incantations faisaient toujours des dupes, et qui se renvoyaient, d’une secte à l’autre, l’accusation d’opérer avec l’aide des démons. On a vu, au précédent volume, les miracles des païens ; les Philosophumena montrent qu’ils paraissaient continuer, niais que ceux des gnostiques leur faisaient concurrence ; en terminant le récit des pratiques de ces thaumaturges, l’auteur ajoute : Voilà la manière de séduire les faibles d’esprit[112]. A ce compte-là, tout le monde, païens et chrétiens, eût mérité la dure épithète, car la foi au surnaturel était partout et dans l’Église plus qu’ailleurs. Aussi, sans le chercher, sans le vouloir, elle nourrissait dans son sein des faiseurs d’œuvres merveilleuses[113], et, parmi ces inspirés, les femmes n’étaient pas les moins nombreuses.

Le christianisme a toujours eu une tendresse particulière pour les femmes : c’est justice, car elles ont été et sont encore ses plus puissants auxiliaires. Leur vive imagination, leur délicate nature, si virginale encore dans l’épouse et la mitre, étaient séduites par cette croyance qui commandait la charité et l’amour ; qui même, par la légende de Marie-Madeleine, la pécheresse repentie, allait jusqu’à l’indulgence et au pardon pour celles qui avaient beaucoup aimé.

C’était à elles que s’adressaient ces hommes qui se glissaient dans les maisons, a silencieux devant l’époux, intarissables avec la matrone[114]. Celse et le païen de l’Octavius montrent quelle part elles prenaient ensuite à la propagande chrétienne. La mère, gagnée, entraînait l’enfant, puis le père et la famille entière. L’histoire de sainte Monique convertissant son époux et son fils est bien vieille et toujours nouvelle. Aussi l’Église leur assurait-elle une place honorée. Les Épîtres parlent de saintes femmes remplissant une fonction dans les communautés, témoignage que Pline confirme[115] ; et Lucien les montre portant dans les prisons des aliments aux captifs chrétiens. Si l’enseignement et l’accomplissement des rites leur étaient interdits, Jésus leur avait donné la bonne part. Quand Marthe s’indigne d’être exclue du sacerdoce, Marie lui répond par un sourire : Ne nous a-t-il pas dit que notre faiblesse serait sauvée par sa force ?[116] Cette force divine qui les relève si haut, c’est l’amour.

Mais l’amour est chose de sentiment bien plus que de raison. Lorsqu’il entre dans un cœur maître de lui-même, il provoque un dévouement réfléchi aux œuvres méritoires ; autrement, c’est le désordre. Par leur constitution nerveuse, les femmes sont prédisposées il l’exaltation ; quelques-unes y cédaient, et celles-là avaient des visions ou prophétisaient.

Dans l’extase où elles tombaient à la suite de longs jeûnes et de macérations, elles voyaient le ciel s’ouvrir et conversaient avec les anges. Tertullien nous a conservé un de ces cas de pathologie psychologique : Une de nos sœurs, dit-il, dans l’extase que l’Esprit lui envoie au milieu même de nos assemblées, a la grâce des révélations ; elle voit et entend les choses saintes, lit dans les cœurs et indique les remèdes aux malades. Qu’on lise les Écritures, un psaume, une homélie, et aussitôt elle a une vision. Un jour que j’avais discouru sur l’âme, elle nous dit entre autres choses : J’ai vu a une âme corporelle, ayant une certaine forme et une consistance telle, qu’on aurait pu la saisir ; elle était brillante, de couleur aérienne, avec un visage humain[117]. Tertullien dut être bien charmé d’une vision qui confirmait sa doctrine de la matérialité de l’âme. Il venait de l’exposer, et l’écho des paroles du prêtre, au lieu d’être une autre parole, devenait une image : la visionnaire voyait ce qu’elle venait d’entendre, et, il n’est pas de jour où ce miracle ne se produise dans certains de nos hospices[118].

Plus la vie religieuse prenait d’intensité, plus les sectes se multipliaient. De temps à autre, la confusion pénétrait au sein même des plus grandes églises, parce que l’effort pour mettre en tout la discipline, au profit de l’autorité épiscopale, se heurtait contre des âmes à la fois religieuses et indépendantes. On sait par les lettres de saint Cyprien quels désordres existaient dans la chrétienté de Carthage. Tous ces révoltés sont naturellement représentés comme des misérables : c’est le sort des vaincus. Mais, si nous connaissions autre chose que les accusations contre les prêtres conjurés, si ceux auxquels l’évêque impute tant de faits honteux nous avaient dit les motifs de leur conduite, peut-être verrions-nous dans les excommuniés, au lieu de brouillons et de coupables, des hommes défendant la liberté de leur église.

Cette lutte entre cieux principes, dont l’un devait bientôt étouffer l’autre, existait à Rome, à l’insu même de ceux qui la soutenaient. Le livre récemment retrouvé, les Philosophumena[119], écrit par un évêque, montre dans cette église d’irritants débats.

L’esclave Calliste avait été chargé par son maître de fonder une banque ; il fut malheureux, l’auteur dit malhonnête, et envoyé au moulin, c’est-à-dire aux travaux les plus durs. Les frères intervinrent ; il recouvra sa liberté et, un jour, outragea les Juifs en pleine synagogue, ce qui le fit condamner par le préfet de Rome aux verges et aux mines de Sardaigne, comme perturbateur de l’ordre public. Quand Marcia, la concubine de Commode, se fit donner par l’évêque de Rome les noms des chrétiens exilés dans l’île, pour les en tirer, l’évêque Victor ne mit pas Calliste sur sa liste ; mais l’habile homme gagna le messager de l’impératrice, qui prit sur lui de l’emmener avec les autres. A Rome, Calliste réussit à se mettre dans les bonnes grâces du pape Zéphyrin, homme simple d’esprit, dit l’auteur, fort avare et quelque peu vénal, qui le préposa à la garde du cimetière commun des chrétiens[120], puis à la distribution des aumônes et à l’administration de l’Église. Dans ces charges qui le mettaient en rapports journaliers avec tous les fidèles, il gagna leur confiance. La communauté était très divisée ; il persuada à chaque faction qu’il était de cœur avec elle, et, à la mort de Zéphyrin, il fut élu à sa place, malgré ses fâcheux antécédents (213 ou 219). Aussitôt s’accrurent les désordres dans la discipline et la confusion dans la croyance. Calliste accusa d’hérésie plusieurs évêques orthodoxes, tandis que lui-même enseignait que le Père et le Fils n’étaient qu’une même personne. Pour multiplier le nombre de ses adhérents, il admit au sacerdoce des gens mariés ; à l’église, des pécheurs non réconciliés ; à la communion, des hommes de mœurs faciles, des femmes vivant cri concubinage, des mères ayant exposé leurs enfants. Laissez l’ivraie croître avec le froment, disait-il, l’Église a pour symbole l’arche de Noé, qui renfermait des animaux purs et impurs[121]. Qu’y a-t-il de vrai dans ces accusations ? Nous ne le savons pas. L’auteur des Philosophumena penche évidemment vers les montanistes, et un évoque indulgent déplait à son austérité. Mais si le tableau est chargé, si même, comme on l’a prétendu pour se débarrasser d’une fâcheuse révélation, le Calliste des Philosophumena n’est pas celui de l’Église, il n’en reste pas moins que Rome eut, à cette époque, ses révoltés contre le chef ecclésiastique ; bientôt ils feront un antipape, Novatien. Le pape Étienne et le grand évêque de Carthage échangeront des lettres irritées[122], et l’évêque de Césarée dira de celui de Rome : Son âme est mobile, incertaine et fuyante[123]. A Alexandrie, Démétrius, jaloux d’Origène, le forcera de quitter cette ville et plus tard sa communion ; plus tard encore, Paul de Samosate sera forcé de descendre du siège épiscopal d’Antioche sous l’inculpation d’avarice, de mauvaises mœurs et d’hérésie. Les chrétientés n’étaient donc pas toujours l’Église séraphique de la tradition ; c’étaient des communautés composées d’hommes ayant, les uns de grandes vertus, les autres nos passions, nos vices et tous les emportements dont s’accommode fort bien l’esprit religieux dans certaines natures.

Dès le temps de Marc Aurèle, Celse avait pu prétendre que les divisions étaient déjà telles parmi les chrétiens, qu’ils n’avaient plus rien de commun que le nom, et Ammien Marcellin, un païen sans passion religieuse, qui rend hommage à la pureté de la foi chrétienne, dira au siècle suivant : Les bêtes sauvages ne sont pas plus cruelles pour l’homme que la plupart des chrétiens ne sont enragés les uns contre les autres[124]. Les âmes pieuses ont, au contraire, tiré de ces désordres persistants la preuve que la nouvelle religion était d’institution divine, parce qu’une œuvre humaine, n’aurait pu survivre à de pareils déchirements. Disons seulement qu’ils étaient inévitables. L’homme se retrouve avec ses passions aussi bien dans le théologien que dans le philosophe[125], car ce ne sont ni les croyances ni les idées qui font les violents ou les pacifiques, mais le caractère, les habitudes que l’éducation a fait prendre et les institutions auxquelles on a plié sa vie.

 

 

 

 



[1] Voyez le commencement du chapitre LXXXVII : les Idées.

[2] Hegel a dit, dans sa Philosophie de l’histoire, p. 6 : Jede Zeit hat zo eigenthümliche Umstünde, ist ein so individueller Zustand, dass in ihm aus ihm selbst entschieden Werden must, und allein entschieden Weyden kann. C’est une loi de l’histoire, et bien connaître le caractère spécial, on ce qu’on peut appeler la dominante d’une époque, est la première condition de la critique historique. L’influence du milieu est bien autrement grande pour la vie intellectuelle qu’elle ne l’est en botanique et en zoologie où elle est déjà si forte ; et il n’y a de juste jugement sur les hommes et les choses qu’en les replaçant dans leur milieu.

[3] Sur la pauvreté littéraire du troisième siècle, voyez Teuffel, Geschichte der römischen Literatur, p. 855-875. De science, il n’en est plus question ; quant aux arts, voyez le chap. XCV, § 5.

[4] Le mot est de Vinci.

[5] Eusèbe, Hist. ecclés., V, 28.

[6] Philosoph., IV, 72.

[7] Eusèbe, Hist. ecclés., V, 10.

[8] Mithra était lui médiateur entre le Dieu suprême et l’homme, un représentant de l’amour du créateur pour la créature. C’était aussi un rédempteur qui purifiait les aines et remettait les péchés. Aussi Tertullien (de Corona, 15) attribuait-il à une ruse du démon les rapports qu’il ne pouvait s’empêcher de reconnaître entre cette vieille religion assyrienne et la nouvelle religion du Christ.

[9] Par exemple, les postulats de Kant. Aristote dit quelque part : Il est des questions qui resteront toujours des questions ; pour l’esprit, certainement, mais non pour la conduite de la vie ; et j’ajoute : Il est des croyances que la raison repousse, mais dont on garde l’esprit.

[10] Cela se voit jusque dans les inscriptions. Parmi les cent soixante-quatre décurions de Canusium, en 223, on ne trouve pas un prêtre, tandis que sur les soixante et onze noms de l’Album de Thamugas, au siècle suivant (de 364 à 367), on compte deux sacerdotales, trente-six flamines perpétuels, quatre pontifes, quatre augures, c’est-à-dire les deux tiers des membres de la curie qui sont ou qui ont été investis de fonctions religieuses. Quelle que soit l’hypothèse qu’on adopte pour expliquer la présence de tant de prêtres dans la curie de Thamugas (voyez Ephem. epigr., III, p. 82), il restera toujours que la plus grande partie des membres de ce conseil municipal avaient un caractère sacerdotal ou devaient au sacerdoce qu’ils avaient rempli l’honneur d’être inscrits sur l’Album après les duumvirs en charge, mais avant les autres magistrats. M. Dumont a constaté le même fait pour Athènes (Éphébie attique, t. I, p. 137) ; il était général. Voyez le Philopatris, mis dans les œuvres de Lucien, dont les personnages ridicules sont la caricature de personnages réels.

[11] Alb. Dumont, Éphébie attique, t. I, p. 9, 36 et 39 et Collignon, de Colleg. epheborum.

[12] Strabon, VII, p. 327, et Pausanias, I, XVII, 6.

[13] Voyez, au règne de Caracalla, l’espèce de culte dont Alexandre était l’objet, et à celui d’Élagabal une apparition de ce Génie.

[14] Pour Sévère et pour les princes de sa maison, c’était un nom propre emprunté à Antonin le Pieux, ou mieux encore à Commode, dont Sévère se disait le frère par adoption. A partir de Macrin, c’est un qualificatif que prennent tous les empereurs du troisième siècle. Une inscription de Gallien (Orelli, n° 1007) dit de lui : cujus invicta virtus solo pietate superata est. Une autre (1014) l’appelle sanctissimus. Julia Mæsa (Orelli-Herzen, n° 5515, et Eckhel, VII, 249) et les femmes de Gordien III (Orelli, n° 977), de Philippe (C. I. L., III, 8718), de Gallien (Orelli, n° 1010) sont sanctissimæ. Victorina, mère de l’usurpateur Victorinus, est dite piissima (ibid., n° 1017). Je sais bien que sanctus, dans le latin classique, signifie pur, chaste, inviolable ; mais je crois qu’au troisième siècle il s’y ajouta l’idée de sainteté. La maison impériale, domus divina (dans une inscription de 202, Wilmanns, 985), affirmait davantage sa foi païenne, à mesure que celle-ci était plus attaquée par les chrétiens. Le mot sacer deviendra synonyme d’impérial et s’appliquera bientôt à toutes les fonctions qui relèvent du prince. Les villes, les individus, l’ont comme les princes : les curies de Lyon (Boissieu, p. 24, 80, 160), de Volcei (Mommsen, Inscr. Neap., n° 218), etc., s’appellent l’ordo sanctissimus ; celui de Brixia (C. I. L., V, 4192) est piissimus. Les mêmes qualificatifs se trouvent au troisième siècle, dans beaucoup d’inscriptions de très petites gens, par exemple sur les pierres tombales de Carthage.

[15] Les Vies de Pythagore, par Porphyre et Jamblique, sont aussi merveilleuses que celle d’Apollonius, par Philostrate. Elles n’étaient pas encore écrites, mais ces légendes couraient déjà partout.

[16] C’est un écrivain sans goût et sans originalité, qu’il ne faut pas confondre avec un autre écrivain dû même nom, Oppien de Cilicie, auteur des Halieutiques ou de la Pêche marine, qui vivait sous Marc-Aurèle et dont l’ouvrage, en 3506 vers grecs, est un de nos meilleurs poèmes didactiques. Voyez Bourquin, la Chasse et la pèche dans l’antiquité, 1878.

[17] C’est le mot de saint Cyprien à Démétrius, senuisse jam mundum.

[18] L’idée de la trinité est une des plus vieilles croyances de l’humanité. On la retrouve en Égypte, en Chaldée, étiez les Étrusques, les Scandinaves, les Germains, et d’étranges monuments nous la montrent dans les triades gauloises. Ce mythe consistait en la conception d’un dieu unique en son essence, sans être unique en sa personne. Ce dieu, dit Maspero (Histoire ancienne des peuples de l’Orient, p. 28) en parlant de la triade égyptienne, est père, par cela seul qu’il est, et la puissance de sa nature est telle, qu’il engendre éternellement sans jamais s’affaiblir et s’épuiser.... Il est à la fois le père, la mère, le fils. Engendrées de Dieu, enfantées de Dieu sans sortir de Dieu, ces trois personnes sont Dieu en Dieu et, loin de diviser l’unité de la nature divine, concourent toutes trois à son infinie perfection.

[19] Voyez, au Cod. Just., I, 1, 3, 3, une constitution de 449, qui condamne à être brûlés tous les livres contraires à la doctrine de Nicée et d’Éphèse et décrète la peine de mort contre ceux qui les conservent ou les lisent. Justinien (Nov., XLII, 1, § 2) renouvela ces pénalités, et cette abominable législation a duré quatorze siècles. Le triomphe des théologiens musulmans au treizième siècle a eu aussi pour conséquence la persécution des philosophes. L’essor de la civilisation arabe fut arrêté, et la nuit s’étendit sur cet Orient où, durant trois siècles, avait brillé une vive lumière qui ramena la vie en Occident. (Voyez G. Dugat, Hist. des philosophes et des théologiens musulmans, 1878.)

[20] Sur l’école d’Alexandrie, voyez les deux savants livres de MM. Simon et Facherot et celui, plus récent, de Zeller, die Philosophie der Griechen in ihrer geschichtlichen Entwicklung.

[21] Lactance (Div. Instit., III, 92) termine sa recherche du souverain bien par ces mots : Id vero nihil aliud potest esse quam immortalitas.

[22] L’indifférence pour les devoirs civiques et le dédain des biens de ce monde étaient les leçons données par la nouvelle académie et Zénon, par Pyrrhon et Épicure. Le christianisme recueillera tous ces dégoûts, se montrera plus dédaigneux encore de l’action politique, prêchera l’indifférence avec plus d’ardeur, mettra le comble à tous ces mépris en méprisant la philosophie même, qui avait enseigné déjà à mépriser tout le reste, et pour mieux enlever les âmes à la terre, ne leur offrira que des biens qui ne sont pas de ce monde. (Martha, Lucrèce, p. 200.)

[23] De Mortalitate, 25.

[24] Jusqu’à présent, l’homme n’a su trouver que trois solutions au problème de la mort. L’âme, l’étincelle de vie, retourne et se perd au foyer de la vie universelle : c’est le nirvana indien et l’indifférence pour l’existence personnelle ; ou bien elle va jouir doucement des mêmes plaisirs dont elle a usé sur la terre : c’est l’amour de la vie physique, la solution gréco-romaine et musulmane ; ou bien, dans un ravissement éternel, elle contemplera Dieu face à face : c’est l’amour divin, mais aussi une autre sorte d’anéantissement en Dieu. La science fait un rêve différent : puisque rien ne se perd, la pensée doit subsister comme la force ; séparée du corps, son organe imparfait, elle durera, et l’intelligence arrivera à la connaissance de toute chose. Ce sera pour l’humanité ce qui a lieu pour l’individu : le besoin de savoir succédant au besoin d’aimer. Mais la science parfaite est la parfaite connaissance du vrai, du bien et du beau, c’est-à-dire, de Dieu même, et celui-là y atteindra, dans la vie supérieure, qui aura fait le plus d’effort pour s’en approcher, dans la vie présente.

[25] .... Coli rura ab ergastulis pessimum est et quidquid agitur a desperantibus. On a vu quelle était la condition des humiliores, et pour la classe immense des affranchis, la constitution de Commode. Au milieu du troisième siècle, Origène tenait à honneur pour le christianisme le reproche que lui faisaient Celse et le païen de d’Octavius, de se recruter parmi les petites gens. Oui, disait-il, nous allons à tous les dédaignés de la philosophie, à la femme, à l’esclave, même au brigand. En le faisant, les chrétiens étaient fidèles à la pure doctrine du maître, qui n’est devenu si grand que parce qu’il a aimé les petits. Au quatrième siècle, saint Jérôme disait encore : Ecclesia Christi de vili plebicula congregata est (Opera, IV, 289, édit. de 1695). Les peintures des catacombes prouvent la condition infime des artistes qui les exécutaient et des morts qui les avaient commandées.

[26] S. Matthieu, XXIV, 29-34 ; Origène, Contra Celsum, VII, 9.

[27] Lucien, Peregrinus, 15. Voyez ce que Marc-Aurèle disait des chrétiens. Épictète, Galien et l’avocat du paganisme dans l’Octavius en parlent de même.

[28] Au chapitre des Idées. M. Reuss, dans son Histoire de la théologie chrétienne au siècle apostolique, dit très justement (p. 650) : Le point capital, c’est que l’originalité de l’Évangile ne consiste pas autant dans la nouveauté de certains dogmes ou de certains préceptes moraux que dans la nouveauté de la base qu’il donne à la vie religieuse.

[29] L’Apocalypse a créé un genre oratoire nouveau, en mettant à la disposition du prêtre chrétien les terreurs de l’enfer et les béatitudes du paradis. Le paganisme n’eut jamais rien de pareil.

[30] Satan est mentionné trois fois à peine dans l’Ancien Testament. Le livre de la Sagesse, où il se montre avec son vrai caractère, a été écrit peu de temps avant l’ère chrétienne, à Alexandrie.

[31] XII, 25. Ces paroles sont encore selon l’esprit de l’Église et se répètent toujours. Je les ai entendues naguère dans un sermon.

[32] On a plusieurs fois montré les singulières analogies qui existent entre la doctrine de Plotin et le nirvâna bouddhique, analogies fortuites qui ne résultent pas d’une imitation, mais d’un même état des âmes.

[33] Sans parler de René, de Werther et de Manfred, qui ont mis à la mode une tristesse morbide que leurs pères, Chateaubriand, Gœthe et Byron, ne partageaient pas. Je n’ose mentionner la secte étrange des skopsis russes qui procède de cet esprit.

[34] S. Jean, XIV, 16, 26, et XVI, 13. Voyez, à la Ire Épître aux Corinthiens, XIV, 26, quelle liberté saint Paul laisse à ceux qui ont reçu le don d’instruire ou de révéler les secrets de Dieu. Les constitutions de l’Église d’Alexandrie (Bunsen, Christianity and Mankind, t. VI) disent encore (II, 41) : έχωμεν πάντες τό πνεΰμα τώ θεοΰ. La propagande se faisait par la parole vivante. J. Donaldson (the Aposiolical Fathers, t. I, p. 60, 1874), reprenant les paroles d’Irénée, dit très bien : In fact, there was a spoken Christianity as well as a written Christianity. The former existed before the latter. Et il essaye de montrer quelles étaient la foi et la libre constitution de l’Église en ce temps où la libre parole n’était pas encore enchaînée par la formule écrite, et où chaque chrétienté était indépendante sous ses anciens et surveillants.

[35] La lettre 72 de saint Cyprien à saint Étienne, évêque de Rome, se termine par ces mots : Qua in re nec nos vim cuiquam facimus aut legem damus, quando habeat in Ecclesia ; administratione voluntatis suæ arbitrium liberum unusquisque præposiltus, rationem actus sui Domino redditurus.

[36] Hist. ecclés., III, 37. Ce qu’on appelle le concile de Jérusalem (Actes des Apôtres, chap. XV) avait lui-même respecté, sur des points importants, la liberté des fidèles.

[37] Donaldson, the Apost., etc., p. 68, 107, 155, 234, etc. Origène atteste (in Matth., XII, 6) que des chrétiens ne trouvaient pas la divinité du Christ clairement exprimée dans l’Évangile de saint Matthieu, et Photius, dans sa Bibliotheca, Cod. 126, adresse le même reproche à saint Clément Romain, pour son épître aux Corinthiens, où Jésus n’est nulle part appelé Dieu, mais l’enfant aimé de Dieu, le grand prêtre, le chef des âmes. Le pseudo-Hermas parle de même. Voyez aussi les paroles de saint Pierre (I, 2, 25), que ne contredisent pas les Actes des Apôtres (II, 36). Cf. Clément Romain, Epist., édit. Hilgenfeld, 1876, d’après le manuscrit trouvé l’année précédente à Constantinople. Eusèbe (Hist. ecclés., III, 34) fait mourir Clément Romain en 101. L’idée d’un Messie était très juive, celle d’un Dieu fait homme ne l’était pas, et il est tout naturel que dans les premiers temps elle soit entrée très difficilement dans l’esprit des Juifs convertis à l’Évangile ; ce fut le cas par exemple de Cérinthe, le fameux hérésiarque que certains récits mettent en rapport avec saint Jean. Saint Ignace, mort sous Trajan, avait combattu les ébionites, qui niaient la divinité de Jésus (Ep. ad Magn., 7-8 ; ad Philad., 6-9), et les docètes, qui rejetaient son humanité (Ep. ad Smyrn., 1-5 ; ad Trall., 6-10).

[38] Eusèbe, Hist. ecclés., III, 39. Irénée (III, 2) disait aussi non per litteras traditam veritatem, sed per vivam vocem. D’après Eusèbe (ibid.), Papias n’aurait connu et employé que les Évangiles de Marc et de Matthieu, dont il parle avec beaucoup de liberté, l’Apocalypse, la première épître de Pierre, et la première de Jean. Un ouvrage très important pour la connaissance du canon des Écritures vers la fin du deuxième siècle, est le Fragment dit de Muratori, découvert en 1840 à Milan ; cf. Hilgenfeld, Einleit. in das N. T., 1875.

[39] S. Luc, in prœm., dit πολλοί έπεχείρηοαν.

[40] Je n’ai pas à étudier quand et comment furent rédigés les livres canoniques ; une foule de savants travaux peuvent renseigner à ce sujet. Mais j’ai le devoir de montrer quels étaient l’esprit et l’organisation de l’Église à l’époque où sa force fut assez grande pour qu’elle exerçât une influence sur la société romaine et sur les destinées de l’empire. Or cette époque répond au règne de Sévère. Sous Marc-Aurèle, Celse (Origène, Contra Celsum, II, 27) représentait encore les chrétiens comme perpétuellement occupés à corriger et à altérer leurs Évangiles. .... mutant pervertunique, et Eusèbe (Hist. ecclés., IV, 23, et V, 28) confirme ce témoignage. Origène, mort en 253, dit en effet (Hom. 1, in Luc.) : Multi conati sunt scribere Evangelica, mais il ajoute, sed non omnes recepti. Il y eut donc, au premier et au deuxième siècle, un grand travail de rédaction, de coordination et d’élimination, qui aboutit au canon évangélique. Au temps de Tertullien (commencement du troisième siècle), le canon était arrêté, car il parle (ad Marcionem, IV, 2) des quatre Évangiles des apôtres Matthieu et Jean et des hommes apostoliques Luc et Marc, comme formant l’instrument évangélique admis de son temps. De même saint Irénée, qu’on a fait mourir sous Sévère (Adv. hær., III, 11), et Clément d’Alexandrie, mort sous Caracalla ou Élagabal (Strom., III, 13) ; mais tous deux citent des apocryphes sans répugnance ; Origène pense que l’on peut s’en servir avec discernement (Hom. 26 in Malth., 23). L’auteur des Lettres de saint Ignace tient l’Évangile des Hébreux pour un texte authentique (ad Smyrn., 3) ; saint Irénée nomme aussi les Actes, les Épîtres et l’Apocalypse. Saint Justin, un demi-siècle plus tôt, ne cite jamais les Épîtres et très rarement le quatrième Évangile dont l’authenticité était encore discutée. Au milieu même du troisième siècle, Denys, évêque d’Alexandrie, ne sait pas quel est l’auteur de l’Apocalypse et n’est pas sans éprouver quelque défiance sur la valeur de ce livre. (Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 25.) Pierre, dit Origène (ap. Eusèbe, ibid., VI, 25), n’a laissé qu’une épître qui soit généralement reçue.... Jean a aussi écrit une épître fort courte.... Quant à l’épître de Paul aux Hébreux, je crois qu’il n’y a que Dieu qui en connaisse l’auteur. L’authenticité des épîtres pauliniennes à Tite et à Timothée est aussi très contestée.

[41] Théophile était évêque d’Antioche et mourut sous Commode.

[42] Τρίας (ad Autolyc., II, 15) que Tertullien traduisit par le mot latin Trinitas (de Pudicitia, 21).

[43] Adv. hær., I, 10 ; de même Tertullien, dans le de Præscr., 13, et, moins complètement, dans le de Velandis Virg.

[44] Grégoire de Nazianze, Discours XXXI. Spiritus sancti negat substantiam, dit saint Jérôme (Epist. 49) à propos de Lactance, et il ajoute qu’il montre plus de force à combattre l’erreur qu’il établir la vérité. (Epist. 15, ad Paulin.)

[45] Eusèbe, Hist. ecclés., V. 10.

[46] Sur l’eucharistia au milieu du deuxième siècle, voyez S. Irénée, Adv. hæres, IV, 18, et S. Justin, Apologie, I, 65-67.

[47] Dans la vieille Italie, le repas était toujours précédé de libations aux Pénates.

[48] Les Actes des Apôtres (II, 42, et XX, 7) expliquent les paroles de Paul, I Cor., X, 16.

[49] Ignace, ad Rom., 7 ; ad Smyrn., 7 ; Justin, Apologie, I, 66, et Irénée, op. cit., IV, 18, et V, 2.

[50] II, 45, ap. Bunsen, t. IV, p. 451 et suiv.

[51] S. Cyprien, Ep. ad Donat. Saint Justin (Apologie, I, 61) avait parlé de cette renaissance par le baptême, et Origène l’appelait le principe et la source des dons de la grâce (in Joann., 17).

[52] Tertullien, de Baptismo, 17. Le baptême se faisait habituellement par immersion pour les valides, par aspersion pour les malades. Ce rite était aussi le fond du culte de Mithra, alors très répandu, et il régénérait pour l’éternité celui qui le recevait ; mais c’était un baptême sanglant, donnant lieu à une cérémonie hideuse, qui devait éloigner de ce culte la femme, l’enfant et tous les délicats. Un autre baptême sanglant, celui des Juifs, resta quelque temps aussi pratiqué par des Juifs chrétiens. Les quinze évêques de Jérusalem jusqu’à la destruction du temple étaient circoncis. (Eusèbe, Hist. ecclés., IV, 5.)

[53] .... mellis et lactis societatlem (Tertullien, Adv. Marcion., I, 14).

[54] .... Exomologesis est qua delictum domino nostro confitemur (Tertullien, de Pœnit., 9). C’est la confession publique dont parlent Matthieu (III, 6), Marc (I, 5) et les Actes (XIX, 18).

[55] Saint Irénée (Adv. hær., I, 3) parle de femmes qui confessèrent publiquement leurs fautes.

[56] Décrétale du pape saint Léon, 6 mars 459. Les deux actes, d’abord séparés, plus tard réunis, et qui formèrent alors le sacrement de la pénitence, à savoir l’exomologèse ou aveu public, telle que Tertullien l’a décrite aux §§ 9 et 10 de son de Pœnitentia et dont saint Basile parle encore ; puis la déclaration par le prêtre ou l’évêque que, satisfaction ayant été donnée, le pénitent, réconcilié par l’imposition des mains, rentrait dans la communion des fidèles, sont bien indiqués par les textes suivants : Ad exomologesim veniant et per manus impositionem episcopi et cleri jus communicationis accipiant (S. Cyprien, Ep. 9) ; exomologesis fiat nec ad communicationem venire quis possit, nisi prius, illi ab episcopo et clero manus fuerit imposita (id., Ep., 11). Mais déjà dans les lettres 25, 26, perce le pouvoir judiciaire du prêtre que Tertullien avait énergiquement combattu : Le serviteur usurpe le droit du maître, le prêtre prend la place de Dieu, Domini non famuli est jus et arbitrium, Dei ipsius non sacerdotis (de Pudicitia, 21). Il aurait voulu que les pécheurs fussent abandonnés à la justice divine ; mais, en adoptant cette doctrine, l’Église n’aurait pas pris le gouvernement des consciences et du inonde. Voyez dans Socrate, Hist. ecclés., V, 19, la suppression momentanée, en 391, des pénitenciers, qu’il dit avoir été établis après la persécution de Dèce.

[57] Origène, dans la 2e homélie sur le psaume 37, verset 19, dans Homilia 2 in Levit., 4, et dans son de Orat., 28, est déjà plus affirmatif. A ce moment, milieu du troisième siècle, les deux modes de confession coexistent ; mais la confession au prêtre est déjà plus habituelle que la confession à l’assemblée. Cf. l’Octavius, 9, 10, 11, 12, 25, 26 et 29, et le de Lapsis. Quant à l’imposition, des mains, c’était une coutume juive.

[58] Origène, Homilia 2 in Levit., 2.

[59] Jacques, V, 14-15. Chez les Juifs, l’huile d’olive parfumée servait à divers usages religieux (Genèse, XXVIII, 18, et Exode, XXX, 24-29) et à l’onction des grands prêtres et des rois ; à la purification des lépreux (Lévitique, XIV, 17) ; au traitement des maladies et blessures (Isaïe, I, 6).

[60] On trouve, dans les premiers siècles, nombre d’évêques mariés, mais vivant dans le célibat. Cæcilius, qui convertit saint Cyprien, lui recommanda en mourant sa femme et ses enfants (Fleury, Hist. ecclés., II, p. 173), et durant la persécution de Dèce, l’évêque de Nicopolis, en Égypte, s’enfuit au désert avec sa femme. (Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 42.) Des actes de martyrs se rapportant à la persécution de Dioclétien parlent d’évêques mariés, et une loi de 357 (Cod. Théod., XVI, 2, 14), confirmant les avantages faits par Constantin aux clercs, les étendit à leurs femmes et à leurs enfants, mares et feminæ. L’Église recommandait la continence aux clercs mariés. (Concile d’Elvire, 33e canon ; concile de Nicée, 3e canon.) Voyez dans Socrate, Hist. ecclés., I, 11, le discours en sens contraire prononcé par S. Paphnuce au concile de Nicée. Le même écrivain montre (V, 22), à la fin du quatrième siècle, des évêques mariés, ayant eu après leur ordination des enfants légitimes.

[61] Jésus avait dit (Matth., XXII, 30) Au ciel, il n’y a point d’époux, et saint Paul acceptait les unions mixtes (I Cor., VII, 12-26) : doctrine qu’un concile consacra encore en 314. Saint Paul (ad Eph., V, 32) appelle le mariage μυστήριον, mot que l’on a traduit trop librement par celui de sacrement. Chez les Romains, le mariage était un contrat civil, indispensable pour la constitution de la famille, les droits réciproques des époux, ceux des enfants, et dont l’Église ne pouvait seule changer les conditions ; mais elle y joignit ses prières et sa bénédiction. Le concile de Trente (sess. XXIV) reconnut que, dans le mariage, le sacrement avait pour effet de sanctifier le contrat préexistant : gratiam que naturalem illum amorem perficeret.... conjugesque sanctificaret.

[62] Commemoramus.... ut etiam pro eis oremus, sed magis ut et ipsi pro nobis. (Tract. 84 in Evang. S. Joann.)

[63] S. Cyprien, Ep. 57, ad finem. La doctrine du purgatoire, que les évangélistes ne connaissaient pas (S. Luc, XXVI, 26), fut aussi proposée par saint Augustin.

[64] Voyez, au IIIe volume des Analecta Ante-Nicæana de Bunsen, les fragments des plus anciennes liturgies. La première qu’il cite (p. 21) était usitée à Alexandrie du temps d’Origène ; et Bunsen ne pense pas qu’on puisse la faire remonter plus haut que le milieu du deuxième siècle.

[65] S. Clément, ad Corinth., 57.

[66] Chapitre LVII, la Cité.

[67] C’est l’opinion de plusieurs théologiens, et c’est la vraisemblance. Cf. Waddington, Inscr. de Syrie, p. 474. On trouve même des έπίσxοποι dans les confréries grecques (voyez Wescher, Revue archéol., avril 1866). La crosse épiscopale est semblable au lituus de l’augure romain ; lui a-t-elle été empruntée, ou vient-elle de la houlette du pasteur ? de tous deux sans doute, mais plutôt du dernier.

[68] Actes, XI, 17 et 28 ; Ep. ad Tit., I, 5 et 7 ; I ad Timoth., III, 2 et 8 ; S. Clément, ad Cor., 42 ; Polycarpe, ad Philipp., 5 ; S. Jérôme, Comment. in Titum : idem est presbyter qui et episcopus....

[69] Ep. ad Philipp., 5 et 6. Dans le Pasteur d’Hermas, il n’y a aussi aucune trace d’épiscopat. On trouve bien, dans les lettres de saint Ignace, mention d’évêques, de prêtres et de diacres ; mais les différents textes de ces documents donnent lieu à trop de discussions pour qu’on puisse les apporter en témoignage irrécusable.

[70] Le droit d’association était, au témoignage de Gaius (Digeste, XLVIII, 22, 4), formellement reconnu par les Douze Tables : Collegiis, dit-il, potestatem facit lex (XII Tab.) pactionem quam velint sibi ferre dum ne quid es publica lege corrompant. La société romaine avait tant de goût pour ces associations, qu’il s’en formait jusque dans les camps, malgré une défense expresse de Sévère.

[71] Tertullien, de Præscr., 30 ; S. Cyprien, Ep. 60. Si lettre 65 et celle du pape Corneille, ad Fab., montrent que l’arca des églises commençait à avoir des ressources considérables. Déjà même quelques évêques en abusaient. Cf. S. Cyprien, de Lapsis.

[72] Saint Paul avait recommandé cet usage (I Tim., V, 17-18), et Tertullien (de Jejun., 47) le rappelle : duplex honor binis partibus præsidentibus deputabatur. Les confesseurs étaient souvent honorés d’une sportule sacerdotale. (S. Cyprien, Ep. 54.) Les agapes et la cène, d’abord réunies, xυριαxόν δεϊπιον (I Cor., XI, 20), furent de bonne heure séparées. A la fin du quatrième siècle, sainte Monique apportait encore à l’Église, suivant l’usage africain, du pain et du vin. Saint Ambroise le lui défendit.

[73] Tertullien, Apologétique, 39-40. Des esclaves prétendaient même que, sur ces fonds, on achetât leur liberté. (S. Ignace, ad Polyc., 2). Sur les cimetières chrétiens de Rome, voyez les beaux travaux de M. de Rossi, Roma sotterranea.

[74] Dans les galeries supérieures des basiliques, les hommes étaient d’un côté, les femmes de l’autre. (Pline, Epist., VI, 33.)

[75] Quand les apôtres fondèrent la première charge ecclésiastique, le diaconat, saint Pierre dit à l’assistance (Actes, VI, 3) : Pour le service des tables, choisissez sept hommes d’entre vous. Voyez, au tome VIII de l’Histoire ecclésiastique de Fleury, le Discours sur l’histoire des six premiers siècles de l’Église, §§ V et VI.

[76] S. Clément, ad Cor., 44. S. Grégoire de Nazianze, Orat. 24. Voyez l’élection de Fabianus à Rome, sous Gordien (Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 29), et celle de Cyprien à Carthage. Cyprien avait toujours accoutumé de consulter le peuple avant les ordinations et d’examiner en commun les mœurs et le mérite des ordinants (Fleury, Hist. ecclés., II, p. 231). Dans sa lettre au peuple de Carthage (Ep. 40), saint Cyprien écrit à tous les fidèles : Quand je serai de retour, nous pourrons, de concert avec mes collègues et en prenant votre avis, examiner et régler toutes choses dans une assemblée générale ; et parmi ces choses s’en trouvaient de fort graves pour la discipline et la doctrine de l’Église. Saint Augustin fera comme lui. A Rome, en 366, ce fut le peuple qui fit l’élection des deux compétiteurs au Saint-Siège, Damase et Ursin ; saint Ambroise fut nommé de même à Milan et saint Augustin à Hippone. Cependant, à la fin du second siècle, l’élection s’altérait et les pouvoirs de l’évêque s’étendaient. Quand le prêtre Novat nomma un diacre, saint Cyprien, son évêque, l’accusa d’usurpation (Ep. 52). Comme dans le clergé païen, certains défauts corporels excluaient du sacerdoce. Voyez dans Socrate (Hist. ecclés., IV, 23) l’histoire du moine Ammon qui se coupe une oreille pour échapper à l’épiscopat.

[77] Lampride, Alexandre Sévère, 49.

[78] Actes, XIV, 22 et VI, 6 ; VIII, 17 ; IX, 17. L’imposition des mains était un vieil usage juif.

[79] .... et antequam diaboli instinctu studia in religione fierent.... communi presbyterorum consilio ecclesiæ gubernabantur. Postquam vero unusquisque eos quos baptisaverat suos putabat esse, non Christi, in toto orbe decretum est ut unus de presbyteris electus superponeretur celeris, ad quem omnis ecclesiæ cura pertineret et schismatum semina tollerentur (S. Jérôme, ad Tit., c. 1, p. 604, édit. de 1737, et Ep. 85, ou 101 dans l’édition des bénédictins, t. IV, p. 803). Il y décrit l’ancien état de l’Église d’Alexandrie : .... Alexandriæ, a Marco evangelista usque ad Heraclam et Dionysium episcopos, presbyteri semper unum ex se electum in excelsiori gradu collocatum episcopum nominabant, quomodo si exercitus imperatorem faciat. Ces paroles sont confirmées par le patriarche Eutychius, Ann., t. I, p. 330.

[80] Constitut. Apost., II, 46.

[81] L’absence de cette canonisation populaire est un des arguments dont se servit le pape Benoît XIV (Œuvres, VI, p. 119-125), pour refuser à Clément d’Alexandrie le titre de saint.

[82] Ce sont les mots de saint Clément (ad Cor., 56). Ces lettres portaient sur tout sujet et étaient souvent écrites au nom de la communauté entière, sans l’intervention d’un ancien ou d’un évêque : ainsi la belle lettre des chrétiens de Lyon à leurs frères d’Asie Mineure.

[83] Saint Cyprien écrivant au pape Étienne, au sujet des évêques de la Narbonnaise, lui dit : coepiscopi nostri (Ep. 67) ; et dans sa lettre 72, on lit : .... non legem damus, quando habeat in Ecclesiæ administratione voluntatis sux arbitrium liberum unusquisque præpositus rationem actus sui Domino redditurus. Voyez aussi les paroles dont se sert saint Cyprien, en invitant les Pères du troisième concile de Carthage à voter avec une absolue liberté, car aucun d’eux ne pense être un episcopus episcoporum et n’est disposé à imposer sa volonté à ses collègues, paroles qui étaient certainement une allusion aux prétentions d’Étienne.

[84] Saint Cyprien écrit au pape Corneille (Ep. 54) au sujet du concile de 252 .... placuit nobis, sancto Spiritu suggerente. Constantin appellera les décisions synodales d’Arles : cæleste judicium, et ajoutera : sacerdotum judicium ita debet haberi ac si ipse Dominos residens judicet (Hardouin, Collect. concil., t. I, p. 268). Grégoire le Grand égalait l’autorité des quatre premiers conciles œcuméniques à celle des quatre Évangiles.

[85] Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 50.

[86] Voyez l’Art de vérifier les dates, et Hefele, Conciliengeschichte, t. I, p. 69 sqq. C’est à ces synodes, sans doute, que Tertullien fait allusion (de Jejuniis, 13). Je ne parle pas, bien entendu, de ce qu’on appelle le concile de Jérusalem entre les années 50 et 52. Le concile de la province d’Asie, qui compta un grand nombre d’évêques, se sépara, sur ce point, de l’opinion de Rome, et cette division dura des siècles. (Fleury, Hist. ecclés., t. I, p. 598.)

[87] Ces quatre-vingt-sept évêques appartenaient à l’Afrique proconsulaire, à la Numidie et à la Maurétanie. Ce concile paraît être de l’année 256.

[88] Le mot concile œcuménique signifie assemblée des évêques de toute la terre, habitable, mais, pendant bien longtemps, les limites de l’Église organisée furent les frontières de l’empire.

[89] Cette résistance à l’absorption de l’Église par l’évêque était sans doute au fond des luttes de Felicissimus contre Cyprien, et d’Hippolyte contre Calliste.

[90] L’épître de saint Clément aux Corinthiens et le Pasteur, dit d’Hermas, n’ont rien de dogmatique.

[91] .... propter potiorem principalitatem (Adv. hœr., III, 5). S. Cyprien (Epist. 55) appelle aussi le siége de Rome Ecclesia principalis. Malgré le passage fameux : έπί ταύτη τή πέτρα οίxοδομήσω μου τήν έxxλησίαν, saint Pierre n’avait joui parmi les apôtres d’aucun privilège spécial. (Matt., XVI, 18 ; Jean, XXI, 15-17.)

[92] Cyprien, Epist. 27, 55, 71. Firmilianus était évêque de Césarée en Cappadoce ; sa lettre véhémente contre Étienne, touchant la nullité du baptême administré par les hérétiques ou les relaps, se trouve ap. Cypr. Epist., au numéro 75. C’était un personnage considérable dans l’Église d’Orient : Origène se réfugia près de lui, quand l’évêque Démétrius le força de quitter Alexandrie.

[93] Eusèbe, Hist. ecclés., V, 24, 11. Si dans l’affaire des novatiens (251) le pape dépose deux évêques italiens, c’est comme métropolitain et après qu’ils eurent été condamnés par un synode (ibid., VI, 45).

[94] Les évêques, même des clercs, portaient ce titre. Le nom de pape qui est synonyme de père n’a été attribué exclusivement à l’évêque de Rome que dans les siècles suivants. Quant à la juridiction universelle, ou, comme disaient naguère les écrivains ecclésiastiques, la primauté de vigilance et d’inspection, l’histoire de l’Église au troisième siècle ne permet pas de la reconnaître à l’évêque de Rome, et il faudra longtemps encore avant de la trouver. Les empereurs Gratien, Valentinien et Théodose, ayant voulu fixer par la constitution de 580 (Cod. Théod., XVI, 1, 2) la religion de leurs peuples : cunctos populos.... in tali volumus religione versari, leur donnent, pour règle de foi, celle des évêques de Rome, et d’Alexandrie qui sont ainsi mis au même rang. La constitution de 421 (ibid., XVI, 2, 45) porte que si, dans l’Illyricum, quelque doute s’élève touchant les anciens canons, il en sera référé à l’évêque de la ville de Constantinople, quæ veteris Romæ prærogatira lætatur.

[95] Une communauté chrétienne de Rome qui, du temps du pape Zéphyrin et de l’empereur Sévère, voulut avoir son évêque particulier, lui assurait par mois 150 deniers. (Eusèbe, Hist. ecclés., V, 29.)

[96] Tertullien (de Spect., 20) reconnaît aussi aux chrétiens le pouvoir de chasser les démons, d’opérer des guérisons miraculeuses et de recevoir des révélations divines. Mais, quand l’interlocuteur de saint Théophile d’Antioche demande, pour se convertir, que l’évêque lui montre un mort ressuscité, Théophile lui répond (ad Antolycum, I, 8) : Fais comme le laboureur qui sème avant de moissonner, comme le voyageur et le malade qui croient, l’un au pilote avant d’arriver au port, l’autre au médecin avant de retrouver la santé ; et il a bien raison : la croyance aux miracles exige une disposition particulière de l’esprit ; on y croit, non parce qu’on en voit, mais parce que l’on pense en voir. C’est le mot même de l’évêque : Il faut croire pour voir.

[97] Origène, Contra Celsum, I, 2 ; Eusèbe, Hist. ecclés., V, 7.

[98] Hérétique signifie, en grec, celui qui choisit.

[99] S. Luc, II, 54 : Ecce positus est.... in signum cui coniradicetur.

[100] Hom. XIV, sur le chapitre II de la Genèse.

[101] .... in ventum (Scorpiace, 1).

[102] Au quatrième siècle, saint Épiphane en comptera soixante, et Themistius dira que les Grecs ont trois cents opinions différentes sur la divinité.

[103] Minucius Félix était un avocat de Rome. Dans son Octavius, il essaye d’imiter Cicéron et Platon ; mais, sauf un agréable préambule, son prétendu dialogue n’est qu’une succession de deux discours : dans l’un, il dit les accusations contre les chrétiens ; dans l’autre, il les réfute, et nulle part il n’expose le dogme. C’est une plaidoirie quelquefois violente, toujours sans profondeur, mais écrite avec une certaine recherche de style et faite pour des lettrés.

[104] Minucius, Octavius, 1.

[105] Voyez, au § 41 du traité de la Prescription, le tableau que fait Tertullien de l’indiscipline qui règne parmi les hérétiques, jusque dans le sein des mêmes communautés.

[106] Celles de Tertullien, Origène, Tatien, etc. Saint Justin et saint Irénée avaient adopté la doctrine des millénaires, et Clément d’Alexandrie côtoie parfois l’hérésie.

[107] Origène va jusqu’à dire : Certaines églises sont changées en cavernes de voleurs. (In Matt., XVI, 8, 22 ; XI, 3, 15.) Saint Cyprien accuse le prêtre Novat d’avoir laissé mourir son père de faim, fait avorter sa femme par ses brutalités et commis, après son élévation au sacerdoce, quantité de fraudes et de rapines (Ep. 40), accusations peut-être fausses, mais qui montrent que l’Église de Carthage était aussi troublée que celle de Rome. Cf. Tertullien, ad Nat., I, 5. Dans le de Jejun., 17, il admet aussi qu’il y avait bien des dangers dans les agapes, dont saint Paul avait déjà signalé les abus (I Cor., XI, 21-2) et que rappellent encore saint Jean Chrysostome (Hom. 27 in I Cor., XI) et saint Augustin (Ep. 64). Voyez au 35e canon du concile d’Elvire (vers 300) les mesures prises contre les désordres des veillées chrétiennes.

[108] Sur les apostasies, voyez Le Blant, Mémoire sur la préparation au martyre, dans les Mém. de l’Acad. des inscr., t. XXVIII, p. 51-5, le de Lapsis de saint Cyprien et sa lettre 30.

[109] .... de ultima fæce collectis imperitioribus. C’est le païen de l’Octavius qui parle ainsi (§ 8), et Celse (I, 27, et III, 44) avait déjà dit : Ils ne savent gagner que les niais, les êtres viles et sans intelligence, des esclaves, de pauvres femmes et des enfants. Plus loin, au § 12, Cæcilius répète : Ecce pars vestrum, et major et melior, ut dicitis, egetis, algetis, ope, re, fume laboratis, et, dans sa réponse (§ 31), Octavius se contente de dire : Nous ne sommes pas la lie du peuple, parce que nous refusons vos honneurs et votre pourpre. Puis il ajoute au § 36 : quod plerique pauperes dicimur, non est infamia nostra, sed gloria. L’Église, en effet, se faisait gloire, et très justement, d’aller aux petits : parmi les martyrs qu’elle honorait le plus se trouvaient Blandine et deux femmes suppliciées sous Sévère, Félicité et Potamienne, toutes trois esclaves. Le premier martyr d’Afrique, Namphonius, ou mieux Namphamo (voyez L. Renier, Mél. d’épigr., p. 277 et suiv.), et Evelpistus, qui fut martyrisé avec saint Justin, étaient de même condition. Le pape Calliste (218-222) avait été esclave d’un affranchi (Philosoph., IX, 12) ; et pendant longtemps il avait dû en être ainsi ; car, dans les hautes classes, l’éducation toute païenne éloignait du christianisme, et la profession de foi chrétienne obligeait de rompre avec la société et ses honneurs. Enfin, il ne fallait pas seulement dépouiller le vieil homme de ses croyances ; il fallait aussi lui ôter ses plaisirs, ses richesses, et beaucoup, comme le riche de l’Évangile, s’éloignaient tristement, lorsqu’on leur rappelait le précepte de Jésus sur l’abandon des biens aux pauvres. Mais on a vu que, depuis le milieu du deuxième siècle, l’Église attirait aussi à elle de grands esprits : Aristide, Justin, Irénée, Clément d’Alexandrie, Tertullien, Origène, etc., et la paix relative dont elle jouit pendant la première moitié du troisième siècle lui valut des conversions en de grandes maisons. (Cyprien, Epist. 80.)

[110] Tertullien, de Cor., I.

[111] Voyez l’Épître de saint Clément aux Corinthiens, sur la sédition a impie et détestable n qui avait éclaté parmi eux ; les lettres de saint Cyprien au sujet de Novat et de Félicissime ; ce que les anges, dans la vision de Satur, disent à l’évêque Optat (Actes de sainte Perpétue), et les circonstances qui amenèrent la plupart des schismes et des hérésies. Ainsi, saint Jérôme (de Vir. illustr., 55) affirme que ce furent la jalousie et les mauvais procédés, invidia et coutumeliæ, du clergé de Rome qui causèrent la chute de Tertullien. Il montre Rome assemblant son sénat contre Origine, parce que les chiens furieux qui aboyaient contre lui ne pouvaient supporter l’éclat de sa parole et de sa science. (Rufin, Apol. adv. Hieron., II, 20. Cf. Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 8.) Par ces chiens furieux saint Jérôme entendait les évêques d’Égypte qui avaient retranché le grand docteur de leur communion. Origène leur appliquait lui-même les sévères paroles de Jérémie (IV, 2) sur les guides du peuple si habiles à faire le mal. (Fragment d’une lettre citée par saint Jérôme, adv. Ruf.) Ce mal datait de loin. Saint Paul avait dû réprimander les chrétiens de Corinthe et de la Crète ; saint Jacques, ceux qui exagéraient la doctrine paulinienne ; saint Jean, les nicolaïtes ; on verra les sévérités de langage de Grégoire de Nazianze contre les conciles, etc.

[112] Philos., IV, 4, 75.

[113] C’est le sens du mot thaumaturge.

[114] Origène, Contra Celsum, III, 55.

[115] Dans le Pasteur d’Hermas, il est aussi question de diaconesses chargées des rapports de la communauté chrétienne avec les veuves et les orphelins.

[116] Const., 1, 21, ap. Bunsen, op. cit., t. VI. Cf. de Pressensé, la Vie des chrétiens, p. 77.

[117] De Anima, 9.

[118] Ce ne sont pas les seuls philosophes qui doivent aujourd’hui étudier les sciences de la vie ; les historiens en ont plus besoin encore, car la physiologie a joué un grand rôle dans le monde, avant qu’il y eût des physiologistes, et elle explique bien des faits sans elle inexplicables. Il est triste de le dire, mais un hospice d’aliénés est, lui aussi, un livre d’histoire.

[119] Ce manuscrit, découvert en 1830 et publié pour la première fois en 1851, par M. Miller, a été attribué à Origène, à Caïus, prêtre romain, à Tertullien, enfin à Hippolyte, évêque du Port-du-Tibre. Celte dernière opinion tend à prévaloir. L’auteur est un adversaire du pape Calliste, ce qui oblige, sans rejeter son récit, à faire la part de la passion qu’il y met.

[120] Cœmeterium Callisti découvert par M. de Rossi et si bien étudié par lui.

[121] Philosoph., IX, 12. Les reproches de l’auteur sont évidemment exagérés ; mais sur la question des troubles de Rome son témoignage est confirmé par le Pasteur d’Hermas : vos infirmati a secularibus negotiis tradidistis vos in socordiam (Visio III, 2), et par ce que dit saint Jérôme de la conduite du clergé romain à l’égard de Tertullien. Ammien Marcellin raconte (XXVII, 3), à une époque où la discipline était bien mieux établie, que, deux évêques se disputant le siège de Rome, il éclata une terrible émeute, après laquelle on trouva cent trente-sept cadavres dans la basilique Sicinienne.

[122] Cyprien, Epist., 75, 25 et 26 : .... Non pudet Stephanum, Cypriamun pseudochristum et pseudoapostolum dicere. Les novations, secte rigide qui n’admettait pas la réconciliation avec les lapsi, étaient encore nombreux au cinquième siècle. (Socrate, Hist. ecclés., IV, 28.)

[123] Cyprien, Epist., 78, 25 : .... anima lubrica, mobilis et incerta. Les évêques de Tarse et d’Alexandrie prirent aussi parti, dans cette circonstance, pour Cyprien contre Étienne.

[124] Origène, Contra Celsum, III, 40 et 12, et Ammien Marcellin, XXII, 5.

[125] C’est à peu près ce que dit saint Paul aux Corinthiens (I Cor., 1, 4), quand il oppose dans le chrétien l’homme spirituel à l’homme charnel.