I. — ÉTAT GÉNÉRAL DES ESPRITS ; TENDANCE AU MYSTICISME ; LES ALEXANDRINS.Le troisième siècle est l’âge héroïque de la société chrétienne que nous avons vue se former dans l’ombre et grandir silencieusement. A cette époque, elle a tous ses moyens d’action, et la lutte mortelle s’engage entre elle et l’empire. Le moment est donc venu de mesurer les forces des deux combattants. Nous connaissons celles de l’un, l’État ; voyons celles de l’autre, l’Église. Dans le précédent volume[1] nous avons montré
que, selon les époques, l’esprit humain prend des directions différentes, et
qu’il se forme comme de grands courants d’idées, où se porte le meilleur de
la vie nationale[2].
Les jurisconsultes et les administrateurs, les architectes et les généraux,
les artistes et les philosophes moralistes, avaient été la force ou la gloire
de Rome au deuxième siècle. Au troisième, le droit a encore d’éminents
interprètes ; mais le dernier représentant de la science antique, Galien,
venait de mourir et n’eut pas de successeur. L’art, les lettres proprement
dites, disparaissent. Pendant douze siècles[3], l’humanité
n’entendra plus cet hymne de la beauté que Cela se dit parmi les philosophes comme au milieu des chrétiens. Tandis que l’auteur de la lettre à Diognète condamnait toute doctrine qui n’avait pas pour objet l’invisible, Plotin écrivait : Pourquoi l’homme n’arrive-t-il pas à la vérité ? Parce que l’âme est sans cesse arrachée au sentiment des choses divines par les impressions extérieures. Et il voulait que, se faisant sourde à tous les bruits du dehors, elle n’écoutât que la voix d’en haut (Ennéades, V, 12). Alors se produit ce phénomène, étrange dans le monde occidental, qu’on y oublie la terre si longtemps aimée pour relever la tète vers ces palais aériens que, selon les temps, la dialectique et le sentiment construisent dans les nues avec tant de magnificence ou de religieuse terreur, et dont l’imagination est l’unique souveraine. Les fils de la vieille Italie, race pesante, n’auraient pas eu ces élans vers l’inconnu, qui sont l’honneur de l’esprit humain ; mais l’Italie, à son tour, subissait une invasion plus terrible que celle d’Annibal et des Gaulois : Tous les monstres d’Égypte ont leur temple dans Rome. Les hommes et les croyances de l’Asie avaient pris possession de la terre où régnait autrefois la simplicité des idées et des mœurs ; l’esprit de l’Orient dominait celui de Rome, et l’âme ardente de ces rêveurs des bords de l’Oronte et du Nil, n’ayant pas le lest de la science, errait à l’aventure au travers des mille systèmes de la gnose et de la philosophie. Ou voulait des dieux nouveaux, et les foules couraient aux cultes bizarres de la déesse syrienne et de Sabazios, ou aux religions monothéistes de Mithra et de Sérapis : celui-ci auquel se rattachait un enseignement moral si pur ; celui-là qui offrait dans ses dogmes et dans ses cérémonies plus d’un rapport avec le christianisme[8]. Ainsi, et par toutes les voies, le courant du siècle portait la pensée humaine vers les questions religieuses : séduisants, mais insolubles problèmes dont quelques-uns cependant doivent être tenus pour démontrés, alors même que la démonstration en est impossible[9]. Comme autrefois, drues Athènes, il chaque coin de rue on philosophait ; à présent, dans chaque bourgade de l’empire, on dogmatise. Il est de bort goût de paraître dévot, de se dire pontife de quelque divinité, et les curies municipales s’encombrent de prêtres qu’auparavant on n’y connaissait pas[10]. Au siècle de Périclès, le jour où les Éphèbes recevaient de l’État leurs armes, ils prêtaient ce serment : Je jure de ne jamais déshonorer ces armes sacrées, de combattre pour mes dieux et mon foyer, ou seul ou avec tous, et de laisser après moi la patrie, non pas diminuée, mais plus forte. Ce serment héroïque, les Éphèbes l’avaient tenu à Salamine et à Marathon, quand ils y sauvaient, avec leur liberté, la civilisation du monde. Au troisième siècle de notre ère, ils le prêtaient encore, mais comme on répète une prière dans une langue inconnue. L’Éphébie athénienne n’était plus qu’un collège religieux, et cette transformation s’était certainement opérée dans les nombreuses villes qui avaient eu l’institution éphébique[11]. La pythie de Delphes et les chênes prophétiques de Dodone, muets au temps de Strabon, avaient retrouvé la voix[12]. Alexandre même, la personnification de la guerre, avait pris un caractère religieux ; il est à présent invoqué comme le génie bienfaisant qui sauve des maléfices[13]. Cette tournure d’esprit se voit dans la société romaine, en haut comme en bas. Les provinciaux, qui avaient remplacé, au sénat et dans les charges, la sceptique aristocratie du dernier siècle de la république et des premiers temps de l’empire, voulaient croire à quelque chose. Les princes syriens avaient l’esprit obsédé de visions religieuses. Au troisième siècle les empereurs ajoutaient à leurs titres celui de Pieux, Pius[14] ; les impératrices étaient appelées les très saintes, sanctissimæ, et, à la cour comme à la ville, on lisait les histoires pleines de miracles de Philostrate et d’Élien, les Vies merveilleuses d’Apollonius et de Pythagore transformés en incarnations divines[15]. On ne se contentait plus de la porte d’ébène, d’où le vieil Homère, demi souriant, faisait sortir les songes, le sommeil et la mort : on cherchait cette issue redoutable pour déchirer le voile qui s’étend derrière elle, et y trouver autre chose que les monotones plaisirs promis par le polythéisme gréco-romain. On prétendait pénétrer les secrets de la vie intime de Dieu, en déterminant sa nature, ses attributs, sa volonté. Tous les esprits éminents allaient à la recherche du divin : les uns par le christianisme, les autres par l’école néo-platonicienne où aboutissait l’effort philosophique du monde païen. Ainsi, sous le vent qui passe, les épis de la moisson prochaine se courbent dans la même direction. On s’explique cet état des esprits. Après deux siècles de
combats qui lui avaient livré la terre et ses richesses, la société romaine
s’était, durant deux siècles encore, repue de plaisirs et rassasiée de bien-être.
Sénèque, Épictète et les moralistes de l’époque antonine nous l’ont montrée
fatiguée du long enfantement de ses grandeurs et arrivant à la satiété, au
dédain de l’utile et du réel. Tous les grands mobiles lui manquaient. Dans
cet empire, trop vaste pour être aine patrie, le sentiment qui avait porté si
haut le cœur des citoyens d’autrefois n’avait plus pour aliment que des
intérêts d’ordre inférieur : donc, point de patriotisme d’empire. Point non
plus de vie politique : comme on ne pouvait rien aux affaires d’État, on n’y
prenait nul souci. Le grand fleuve de poésie que D’ailleurs, autour de lui, le monde semblait vieillir[17] ; de tous les côtés l’horizon sera bientôt menaçant : au dehors, les Barbares devenus redoutables ; au dedans, de continuelles révolutions dont Rome ne sera plus seule le théâtre et la victime ; partout, la vie économique profondément troublée, et l’État paraissant près de s’effondrer. En face de tels maux, qui semblaient la rançon de son bonheur passé, cette société si longtemps tranquille et joyeuse prenait des penseurs plus sérieux ; elle avait les préoccupations de la mort qui assiègent le vieillard. Au temps de Septime Sévère, les jurisconsultes mis à part, païens et chrétiens n’ont plus que des philosophes et des écrivains religieux ou des théurgistes : pour les premiers, Ammonius Saccas, Plotin, Porphyre, avec les subtiles doctrines trouvées par eux dans ce monde supérieur de l’esprit que Platon avait ouvert ; pour les seconds, Tertullien, Minucius Félix et Cyprien chez les Latins ; Irénée, Clément d’Alexandrie et Origène chez les Grecs, six hommes qui, en d’autres temps, auraient été l’honneur d’une littérature profane et qui sont restés la gloire de l’Église. Le sentiment religieux échappera toujours aux étreintes de la science, parce qu’il est indestructible ; elle et lui d’ailleurs n’habitent pas le même monde et ne procèdent pas de la même manière flans la formation des idées. Mais la science peut faire aux religions constituées d’incurables blessures ; la société romaine n’en ayant pas, le surnaturel avait gardé sa puissance, et une réaction religieuse avait emporté le scepticisme superficiel des philosophes, comme l’eût été celui de notre dix-huitième siècle, s’il n’avait trouvé pour auxiliaire les sciences sataniques. De Lucrèce à Lucien, beaucoup avaient douté ; d’Athènes à Alexandrie, de Rome à Jérusalem, tous croient à présent : ici, à l’Homme-Dieu de la foi chrétienne ou aux hypostases dés alexandrins ; là, aux vieilles déités demeurées debout clans leurs sanctuaires ou aux dieux nouveaux que l’Orient donnait incessamment aux Romains. En parlant ainsi, nous laissons de côté, bien entendu, la foule qui suit et ne pense point, celle que Lucien, dans son Jupiter tragique, appelait déjà la vile multitude, pour aller à ceux qui pensent et qui conduisent, même sous la tunique de l’esclave, comme Épictète et Blandine. Ce sont ces âmes d’élite qui entraînent les autres et par qui les révolutions morales s’accomplissent ; ce sont elles, par conséquent, qu’il faut connaître. Ceux qu’on appelle les alexandrins tentaient un compromis impossible entre la religion et la science ; entre l’esprit de l’ancienne Grèce et l’esprit oriental, ils auraient voulu croire et savoir : commençant avec la dialectique qui ne peut donner que des abstractions incompréhensibles au vulgaire, ils finissaient par le mysticisme, c’est-à-dire au milieu des nuages où la foule ne pouvait les suivre. Pour la grande question, par exemple, de l’unité divine, ils arrivaient à une conception abstraite et stérile, à un être à jamais séparé du monde. Tandis que le Dieu des chrétiens se voit, se touche et entre en communion quotidienne avec l’homme, leur dieu est sans forme, sans attributs, sans nom ; il est l’innommable, même il est sans intelligence, car l’intelligence, qui suppose une division entre le sujet comprenant et l’objet compris, empêcherait d’admettre l’unité absolue de l’être en soi. Les dieux sont impassibles, dit Porphyre, et on ne saurait les fléchir par des invocations, des expiations ou des prières..., puisque ce qui est impassible ne peut être ni ému ni contraint. C’était le dieu d’Épicure, sans haine, sans amour, sans puissance, et il faut le dire aussi, celui de Platon dans le Philèbe, à plus forte raison celui d’Aristote, étranger au monde qu’il ignore. Comme le chrétien a Ainsi, afin d’échapper à l’anthropomorphisme qui avait perdu les religions païennes, les alexandrins s’étaient laissé conduire par la dialectique à un Dieu impersonnel, sans relation avec la terre. Niais il avait bien fallu que de ce séjour de l’absolu, de l’immobilité et par conséquent de la mort, ils redescendissent au monde de la vie ; et ils y revinrent avec des allégories et des symboles dont ils se servirent pour donner un regain de popularité à la vieille mythologie qui avait perdu jusqu’à la poésie des ruines. Leur morale est élevée, leur vie était pure, ils avaient remis en honneur l’abstinence pythagoricienne et ils eurent des instituts où furent suivies les règles les plus austères des observances monastiques. Quand l’âme sortit des mains de Dieu, disaient-ils, ce fut une chute qui doit être rachetée par des pratiques saintes. L’œuvre pie par excellence consiste à vaincre le corps, principe de toutes les passions, tunique grossière où l’âme est captive. Qu’au moins dans cette prison elle mène une vie angélique, βίος άγγελιxός έν τώ σώματι. — Que m’importe le corps ? disait un autre ; quand je mourrai, c’est mon âme que j’emmènerai avec moi. Saint Paul n’avait pas été plus dur pour le corps ; et Origène, qui accomplit sur lui-même un demi-suicide, répétait : Qui me délivrera de ce misérable ? L’esprit de lutte contre l’a chair est le même des deux côtés. Que Socrate était bien plus que ces violents, dans la vérité de notre nature lorsque, faisant descendre l’idéal sur la terre, il se bornait à cette noble prière : Ô Dieu ! Donne-moi la beauté de l’âme et fais que ma vie en soit la fidèle image ! Et quelle récompense les alexandrins promettaient-ils pour ces austérités ? L’anéantissement dans l’Être infini. Mourir, c’est vivre, disaient-ils avec Platon. Non, cette vie d’une parcelle inconsciente perdue dans le grand Tout, c’était la mort ; tandis que la foi donnait au chrétien la certitude de l’immortalité personnelle. En outre, ils ne possédaient ni credo ayant l’autorité d’une parole divine, ni organisation pour le conserver et le répandre, ni discipline pour en maintenir l’autorité. Ils avaient une philosophie et cherchaient la science supérieure des choses ; ils n’avaient pas une religion, une foi, une règle absolue de conduite et une promesse de rédemption. Or, pour remuer et prendre les multitudes, les plus subtils raisonnements sont inutiles ; il faut le sentiment et la passion. Ces puissants moyens d’agir sur les âmes, on les trouvait sur cette route du Calvaire arrosée de la sueur de sang ; on ne les trouvait pas dans les tranquilles jardins de l’Académie. Voilà pourquoi l’humanité déserta alors l’un de ces deux chemins pour l’autre, où, par les mêmes raisons, une partie d’elle marchera bien longtemps encore. C’est l’année même de l’avènement de Sévère qu’Ammonius Saccas, ou le portefaix, ouvrit l’école d’Alexandrie qui, durant deux siècles, disputa au christianisme la domination des intelligences. Quand Plotin l’eut entendu : Voilà l’homme que je cherchais, dit-il. Il lui était bien supérieur et fut le véritable fondateur de cette école, à la fois raisonneuse et mystique, qui, réunissant, les contraires, ne put exercer l’action victorieuse d’une foi simple et ardente. Éclectiques, les alexandrins acceptaient tout, à la condition de tout interpréter. Les prêtres, les philosophes, les poètes leur semblaient murmurer la même pensée en des langues différentes, et cette large compréhension les faisait à la fois superstitieux et incrédules. Logiciens, ils mettaient au-dessus de la raison la faculté dangereuse des illuminés, l’extase, où l’homme croit participer à l’intelligence divine et voir ce que la raison ne peut montrer. Idéalistes avec leur Dieu inaccessible et solitaire au sommet de la pensée humaine, ils devenaient panthéistes par leur système d’émanations qui faisait de tous les êtres, corps ou esprits, un écoulement de la substance divine, comme la lumière est une irradiation du soleil. Et cet être absolu, incompréhensible, ineffable, de qui tout sort, en qui tout revient, c’est par la prière, par l’amour qu’ils s’élèvent à lui. La foi, selon ces dialecticiens étranges, est bien supérieure à toute sagesse humaine. Elle conduit à la théurgie ; celle-ci à l’inspiration surnaturelle, à l’extase, qui est l’idéal de ces dévots païens, parce que dans l’extase, disait Plotin, l’homme a tous les biens et rien ne lui manque ; il ne sent ni la douleur ni la mort. Nous allons retrouver les mêmes paroles dans la bouche de Tertullien et le même sentiment chez les martyrs. Les alexandrins touchaient donc aux chrétiens par beaucoup de points. Saint Augustin l’a reconnu ; mais, au sortir de l’extase et de leurs raisonnements subtils, les premiers retombaient dans leurs froides allégories, les autres dans leur réalité vivante. Porphyre, le successeur de Plotin, précisant la doctrine
platonicienne des démons, admettra des âmes intermédiaires entre Cette école qu’on appelle d’Alexandrie était éparse sur toute la surface du monde romain, puisque Plotin enseigna dans Rome, Porphyre en Sicile, Amelius en Syrie, d’autres à Éphèse, à Pergame, à Athènes, où leurs disciples luttèrent jusqu’au dernier moment contre le christianisme. Elle fut un noble effort de philosophie religieuse, et ses adeptes méritent le respect pour leur pureté morale. Ils nous montrent, à certains égards, ce que nous allons retrouver chez les chrétiens : le mépris du corps et de la terre, l’amour divin, l’union à Dieu par l’extase et toutes les mystiques ardeurs. Singulier état des âmes qui est la caractéristique morale de cet âge du monde et qui ne pouvait finir que par une révolution religieuse ! Mais ce n’est pas au profit des alexandrins que cette révolution s’accomplira. Vous n’apportez rien de nouveau, disaient-ils aux chrétiens, si ce n’est votre mépris des dieux et de la philosophie. Ils disaient vrai. Mais ce mépris même était ce qui devait assurer la victoire aux membres de la nouvelle alliance, aux rachetés du Christ. Allons donc à ceux-ci, puisque l’avenir est à eux[20]. II. — TRANSFORMATION DE L’IDÉE MESSIANIQUE.Les Olympiens, en mourant, avaient laissé derrière eux un vide immense, et les inspirés, les charlatans, s’étaient disputé le ciel resté désert. On vient de voir comment les philosophes avaient essayé de le conquérir, sans pouvoir faire sortir du sein de l’Être absolu le Dieu que le sentiment réclame, celui qui aime et qui pardonne. Au milieu de la confusion des systèmes et des rites, le christianisme s’était déjà fait, au temps de Sévère, une large place. Né dans un pays qui avait été condamné depuis des siècles à toutes les misères, il procédait à la fois du désespoir et de l’espérance. Depuis la captivité, les Juifs avaient toujours attendu la main puissante qui relèverait la maison de David. Mais, en face de cet empire romain qui était pour eux inexpugnable, l’idée messianique avait dû se transformer. Maudissant le présent, ils avaient regardé dans l’avenir du seul côté par oit, leur semblait-il maintenant, cet avenir pouvait arriver, vers le ciel qui susciterait un Messie sauveur. Le conquérant de la terre vainement attendu avait fait place au conquérant des âmes ; la nouvelle Jérusalem devenait une Jérusalem céleste. Jusqu’alors l’humanité avait honoré ses dieux d’un culte intéressé, pour obtenir leurs faveurs terrestres ou conjurer leur colère ; or voici que lui était présenté un idéal de justice, de bonté, de tendresse, et dans son cœur s’éveilla un amour nouveau, l’amour divin. Ce Dieu, si différent des autres, la foi des humbles l’avait trouvé en remplaçant une promesse d’orgueil charnel par une espérance de spiritualité, et elle allait gagner même les superbes, en leur montrant le médiateur désiré dans l’Homme-Dieu qui n’était pas monté de la terre au ciel, comme les Olympiens, avec toutes les souillures terrestres, mais qui était descendu du ciel sur la terre avec la pureté divine et une puissance infinie d’amour. Les païens avaient aussi cherché un médiateur entre le créateur et la créature ; ils l’avaient même entrevu, mais jamais sous cette figure de Jésus, qui est si divine parce qu’elle est si humaine : un Dieu mort sur la croix pour le rachat du monde, le médiateur qui est en même temps le rédempteur. Au point de vue doctrinal, tout le christianisme se trouve dans cette conception ; le reste n’est que moyens d’action pour appliquer le principe et en dégager les conséquences. Les maîtres de l’univers romain ne gagnèrent rien à la transformation des idées juives en idées chrétiennes, par cette nouvelle conception du Messie attendu. Les prophètes avaient annoncé à tous les puissants qu’ils tomberaient sous l’épée d’Israël ; la sibylle et saint Jean les condamnèrent à périr, avec leurs dieux de bois et leurs magnificences de luxure, dans les flammes allumées par la colère divine, tandis que les vainqueurs des démons recevaient la promesse de l’immortalité[21]. Cependant, au point de vue politique, cette promesse dégagea le christianisme, dans la première phase de son existence, de toute ambition terrestre. Il semble qu’en se propageant, avec ses principes d’égalité humaine et de communauté des biens au sein des classes déshéritées, il aurait dû y porter l’esprit de révolte. Mais par une exagération funeste des doctrines de détachement, enseignées depuis quatre siècles par toutes les philosophies[22], l’Église primitive ajoutait, à son dogme fondamental de la rédemption, le mépris de la vie présente, qui pourtant était comprise dans le rachat de toute la destinée humaine. Si ce n’avait pas été le sentiment de la première heure, on verra que ce fut, pour une partie des fidèles, celui de la seconde. Préoccupé du ciel et des récompenses réservées à sa foi, le chrétien n’envia pas, aux heureux du siècle, leurs richesses et leurs jouissances. Il laissait les choses de la terre telles qu’il les avait trouvées, parce que l’existence, ici-bas, n’était pour lui qu’une vie d’épreuve dont le terme le plus rapproché serait le meilleur, au lieu que l’autre, celle d’outre-tombe, était la vie véritable et ardemment désirée. Qu’il craigne de mourir celui que l’enfer attend, disait saint Cyprien[23] ; mais le chrétien, habitant d’une maison dont les murs chancellent et le toit tremble, passager à bord d’un navire que la tempête va engloutir, pourquoi ne bénirait-il pas la main qui, hâtant le départ, le rend au ciel sa patrie ? Par ce renversement des anciennes idées, le plus misérable compta, non pas sur ce jour de royauté qu’il trouve parfois dans l’émeute ou l’orgie, mais sur le royaume du ciel où l’attendait un bonheur sans fin. Le christianisme ne changeait donc pas les conditions de la vie ; mais il changeait les conditions de la mort, et cette solution nouvelle du terrible problème était, à elle seule, la plus grande des révolutions. Malgré la tentation toujours vive de demander à la mort
son secret, les anciens s’étaient contentés d’admettre, sans beaucoup de
métaphysique, une vague existence d’outre-tombe[24]. En ces vieux âges,
la vie était rude ; la perdre était souvent gagner le repos, la paix, requiem æternam, et l’Église le répète encore.
C’est le temps où Mais le mouvement commencé ne s’arrête pas ; le développement de la pensée religieuse suit son cours, et l’équilibre entre les deux existences se renverse : le ciel prévaut sur la terre, la vie future sur la vie présente ; celle-ci, condamnée et maudite ; celle-là, glorifiée et attendue avec impatience. Après avoir cherché Dieu comme à tâtons, dans les
religions de La génération passa, et la terre ne fut pas brisée. Mais la sibylle et les inspirés de l’Apocalypse rajeunissaient sans cesse la menace redoutable qui était une promesse de tortures sans fin pour les maîtres orgueilleux de la terre, de volupté éternelle pour leurs victimes[26]. Ces malheureux, dit un écrivain du temps en parlant des chrétiens, se figurant qu’ils seront immortels, méprisent les supplices et se livrent volontairement à la mort[27]. L’amour du ciel les conduisait à la haine de la terre ; ils n’avaient plus devant les yeux que Dieu et l’Éternité, avec leur majesté redoutable. (Kant.) Le caractère véritable de la révolution qui s’opérait dans les profondeurs obscures de la société romaine est dans cette vue nouvelle de nos destinées bien plus que dans la réforme morale, puisque déjà l’humanité, nous l’avons montré[28], avait été mise en possession de tous les préceptes qui servent à régler l’existence terrestre. La vie s’épura, mais s’assombrit dans le tombeau vivant où l’enfermèrent ceux qui poussaient cette révolution à ses conséquences logiques, et les magistrats romains, ne pouvant en voir que les dehors, y trouvèrent les deux choses dont se forma le grand drame des persécutions le mépris de la société et de ses lois, qui suscita les bourreaux ; et l’amour de la mort, qui fit les victimes. Cette haine de la chair que les anciens Juifs n’avaient
pas connue, mais que la philosophie enseignait, cette aspiration à la mort,
si contraire à la conception que le paganisme s’était faite de la vie,
n’auraient pu se produire que dans un petit nombre d’âmes blessées et
souffrantes. Mais le ciel resplendissant de lumière que le christianisme
ouvrait aux regards, ses enseignements qui s’adressaient aux plus nobles
instincts de la conscience, la pénétrante douceur des paraboles et le grand poème
de Jamais la terre n’avait connu de pareils moyens d’action morale[29], et ils se produisaient à une époque où l’ordre invariable de la nature passait pour être le jouet d’anges et de démons qui rôdaient autour de l’homme, en semant sa route de tentations que sa faiblesse faisait naître et de prodiges qu’il voyait des yeux de l’esprit ébloui par la foi ou par la terreur. Sous Dioclétien, on donna un mime intitulé le Testament
de défunt Jupiter ; nous n’en connaissons que le titre, mais un poète de
nos jours a représenté le dieu, qui avait si longtemps ébranlé le ciel et la
terre des éclats de sa foudre, cassé par l’âge, décrépit, avec un reste
pourtant de majesté et relégué loin des hommes dans une île déserte où il
essaye de réchauffer ses mains amaigries devant un pauvre feu de ronces et
d’épines. Le poète et le philosophe, qui savent mesurer la grandeur des
chutes, ont au moins une parole de compassion pour les bannis du ciel ; les
religions, moins généreuses, poursuivent d’une haine vivace ceux qu’elles ont
vaincus ; elles leur citent la puissance du bien et leur donnent celle du
rial. Les chrétiens croyaient encore à l’existence des dieux du paganisme et
aux prodiges accomplis dans leurs temples ; mais ils transformaient ces maîtres
de l’ancien monde en dénions acharnés à la perte du nouveau. Pour mener cette
guerre contre l’humanité, ils donnaient à ces divinités déchues un chef que
personne encore n’avait connu, si ce n’est chez les Chaldéens, dans Cette doctrine du désespoir est aussi vivace que celle de l’espérance, parce que l’humanité aura toujours des misères et des esprits malades qui, de l’existence, ne voudront voir que l’infelicità et ne comprendront pas une Providence permettant que le mal tombe sur des innocents. Depuis bien des siècles, les sectateurs de Çâkyamouni enseignaient en Orient à d’innombrables multitudes que le mal c’était la vie, et les Alexandrins venaient de répéter qu’il faut aspirer à la mort comme à la délivrance[32]. Les livres Sapientiaux des Juifs avaient aussi jeté ce cri mélancolique qui correspond à une des fibres de l’âme humaine : Tout est vanité ; et ce cri a trouvé des échos dans tous les temps : au moyen âge, en plein siècle de Louis XIV, même au milieu de notre vie bruyante et affairée. Nous avons les poètes et les philosophes de la malédiction, Leopardi et Hartmann[33], en même temps que les chartreux et les trappistes nous représentent, sous la forme religieuse, la fatigue ou l’ignorance du monde, l’esprit de haine contre la chair et cette poésie, de la solitude à la fois amère et douce. Pour eux, philosophes ou reclus, la sombre fiancée est toujours belle, et, par des raisons contraires, ils trouvent de la douceur dans la mort : la gentillezza del morir. III. — LES DOGMES CHRÉTIENS.Cependant de telles pensées font violence à la rature humaine, et, quoique l’empire romain touchât à ces pays où l’effort et la lutte pour la vie deviennent aisément une souffrance, la doctrine du repos en Dieu n’aurait eu, au milieu des populations plus viriles de l’Occident, qu’une durée passagère, si les croyances qui l’avaient produite ne s’étaient, pour ainsi dire, incarnées dans le corps sacerdotal le plus fortement constitué qui fut jamais. Avec un merveilleux instinct du gouvernement des âmes et par un travail d’organisation qui ne s’est jamais arrêté, l’Église contint et fixa cette foi qui, sans elle, se serait dispersée et perdue, comme le parfum précieux qui s’évapore en un vase mal clos. Avec la théorie platonicienne du Logos, ou de l’Esprit-Saint envolé par Jésus à ses disciples, la révélation pouvait continuer après la disparition du révélateur. A mesure donc que la vie devint plus active dans l’Église, elle fit apparaître, suivant les temps, des organes nouveaux pour des fonctions nouvelles, afin de conjurer un péril ou de répondre à un besoin. C’est la condition de toute grande et forte existence. La primitive Église, celle de l’âge apostolique, s’était transformée. Tout ce qu’elle avait eu de libre et de spontané, ou de vague et de flottant, doctrine, hiérarchie, discipline, se précisait et s’ordonnait pour une action puissante[34]. Les catholiques refusent de reconnaître cette évolution progressive, et les protestants la condamnent ; c’est par là cependant que l’Église a duré. Que sont les plus longues dynasties de rois et d’empereurs à côté de la succession de ses pontifes, et quelle institution a vécu dix-huit siècles ? On ne voit pas que, de tous les miracles, celui-là est le plus grand : la sagesse humaine élevant un temple où si longtemps ont vécu les plus nobles esprits et qui en abrite tant d’autres encore. Au premier et au second siècle, la liberté évangélique avait été très grande, et elle ne se perdit que lentement[35]. La plupart des apologistes de l’époque antonine n’appartenaient même pas au clergé, et Eusèbe[36] montre que longtemps il y eut des volontaires de la foi qui répandaient la bonne nouvelle suivant leur propre inspiration. Il en résulta des diversités qui produisirent de très bonne heure ce que l’Église constituée appela des hérésies. Les apôtres et les Pères apostoliques avaient enseigné,
avec des différences qui se perdirent dans l’éloignement, le dogme fondamental
de la divinité du Christ ; par conséquent, une loi révélée. Cette loi fut
consignée en de nombreux récits de la vie de Jésus, qui n’eurent d’abord
qu’une valeur traditionnelle[37]. Pour les
premiers Pères, l’Écriture sainte était avant tout le Pentateuque et
les Prophètes ; même au milieu du deuxième siècle, Papias, évêque d’Hiérapolis
en Phrygie, disait encore qu’il fallait consulter bien moins les livres que
la tradition vivante[38]. Mais, avant la
fin de ce siècle, le choix entre tous ces récits était fait, et l’autorité
apostolique avait été reconnue aux trois synoptiques, dans lesquels de plus
anciens écrits avaient été fondus[39], et à l’Évangile
de saint Jean, quoique celui-ci eût été composé assez tard et qu’il différât
des trois autres sur un point essentiel, la doctrine du Verbe. Cette doctrine, que le Juif
alexandrin Philon avait exposée avec éclat, tenait tout à la fois à de
vieilles croyances égyptiennes et à certaines idées de Platon. En suscitant
dans les esprits philosophiques les spéculations les plus hardies, elle
allait servir de fondement à la théologie chrétienne qui fit du Messie le Verbe incarné, tandis que les synoptiques
fournissaient à la prédication ordinaire, pour entraîner la foule, la partie
douce et charmante dés paraboles, ou sombre et sublime de Enfin Théophile d’Antioche[41] venait de trouver un mot qui n’est pas aux Évangiles, celui de Trinité[42], expression brève et nette du dogme que le concile de Nicée précisera, en déterminant les rapports des trois personnes divines ; et saint Irénée écrivait, entre les années 177 et 192, la profession de foi catholique presque dans les termes que nous lisons au formulaire doctrinal de 325[43]. Mais tous les fidèles n’attachaient pas la même importance à ces dogmes obscurs. Au quatrième siècle, Lactance, un des plus vaillants défenseurs de l’Église, les entendait assez mal pour que le pape Gélase ait placé ses ouvrages parmi les apocryphes ; plus tard encore, Grégoire de Nazianze montrera quelles incertitudes existaient à l’égard du Saint-Esprit[44]. Ainsi, à l’époque où nous prenons l’histoire de l’Église, fin du second siècle, la théologie chrétienne avait commencé avec éclat ; c’était le génie grec qui l’avait faite par la bouche d’Ignace et d’Irénée, de Justin et d’Athénagore, de Tatien et de Théophile, de Méliton de Sardes et d’Apollinaire d’Hiérapolis ; et ce sont d’autres Grecs, Clément et Origène, qui la développeront au troisième, dans la grande école d’Alexandrie[45]. Les agapes fraternelles n’avaient d’abord été qu’un souvenir
de la cène et une transformation de la grande fête des Juifs, Le sacrifice, c’est-à-dire le don fait aux dieux en vue de gagner leur faveur, avait été le fond de tous les cultes ; et plus l’offrande était précieuse, plus le sacrifice devait être efficace. De là les immolations des victimes humaines. Le temps adoucit cette piété cruelle ; les philosophes la condamnèrent ; les empereurs l’interdirent ; mais la croyance aux mérites du sacrifice ne se perdit pas : elle se transforma en s’épurant. Le dieu païen recevait l’offrande et la partageait avec ses adorateurs[47] ; le Dieu nouveau se donna lui-même à ses prêtres et à ses fidèles. Plus de sang répandu ; plus de flamine consumant la victime ; plus de fumée voilant la face divine. Les dons du Père céleste qui entretiennent la vie sur la terre, le pain, l’eau et le vin, devenaient les symboles de la communion des hommes avec lui. Son esprit s’était incarné dans Jésus ; Jésus, remonté au ciel, s’incarna dans le pain et le vin consacrés sur la terre : hoc est corpus meum, hic est sanguis meus. Ce ne fut d’abord qu’une figure[48]. Comme on participait à l’idolâtrie en mangeant la chair des victimes païennes, on participa au nouveau culte en rompant le pain et en buvant la coupe. Mais, étant donné l’état des esprits, la figure devait bien vite devenir pour les fidèles une réalité : Au milieu du second siècle, l’eucharistie était déjà a le sacrement de l’autel[49]. Si l’on était loin de croire à la transsubstantiation, on admettait déjà la consubstantiation, et la sainteté mystérieuse que la cène avait gagnée communiquait au prêtre qui offrait le sacrifice une dignité plus haute, avec le caractère de médiateur nécessaire entre le ciel et la terre. Ce caractère allait lui venir d’une autre manière. Jésus n’avait laissé que deux ordres aux apôtres : Instruisez et baptisez les nations. Ce baptême qu’il avait voulu lui-même recevoir était un symbole de purification et la condition du salut (Jean, III, 5). Dans les premiers temps, il supposait de la part de celui qui s’y présentait une adhésion personnelle donnée après l’instruction reçue et marquée par la profession de foi chrétienne. Aussi n’était-il administré qu’aux adultes : les catéchumènes d’Alexandrie l’attendaient trois ans[50]. Mais l’idée sacramentelle y attacha des grâces particulières ; par lui, le baptisé renaissait à la vie de l’esprit. Plongé dans les ténèbres d’une nuit épaisse et flottant au hasard sur la mer orageuse du siècle, j’errais çà et là, dit saint Cyprien, sans savoir où diriger ma vie. La bonté divine m’a fait renaître dans l’eau salutaire du baptême.... Aussitôt une lumière sereine et pure se répandit d’en haut sur mon âme, et je devins un homme nouveau[51]. Cette vertu du baptême dispensant de l’adhésion personnelle, les enfants furent admis à la régénération. C’était une nouveauté considérable. Le Maître avait dit : Sinite venire ad me parvulos, l’Église les appelait et les prenait. Son action va s’étendre sur les commencements de la vie, comme elle veillera sur les approches de la mort, et elle pourra retenir ou reprendre, aux heures orageuses de la jeunesse, ceux qu’elle aura, dès leur naissance, enrôlés dans l’armée du Christ, census Dei[52]. Au sortir des fonts baptismaux, le néophyte était revêtu d’une robe blanche ; symbole d’innocence, et il trempait ses lèvres dans un vase de lait et de miel, douce et pute nourriture du corps qui était l’image de la nourriture spirituelle que l’Église distribuait à tous les siens[53]. Jésus avait dit : Les péchés seront remis à ceux auxquels vous les remettrez. C’était un puissant moyen d’action pour le gouvernement des âmes promis au nouveau corps sacerdotal. D’abord le pénitent faisait au Seigneur[54] l’aveu de sa faute en présence des fidèles, et les prêtres déterminaient les satisfactions nécessaires. Mais il était inévitable qu’à la confession publique se substituât la confession auriculaire. Le pénitent et le prêtre avaient un égal intérêt à ce changement, car la première n’étant possible que pour les grandes fautes, les petites échappaient à l’action de l’Église. Avec la seconde, le pécheur, les femmes surtout[55], évitaient la honte de s’humilier devant tout le peuple, et le prêtre pénétrait dans la vie intime du pénitent, ce qui lui permettait de la diriger mieux pour le salut. Si le pénitent, à l’article de la mort, voulait se réconcilier avec l’Église, il fallait bien que le prêtre remplaçât à son chevet l’assemblée des frères, et l’exception finira par devenir la règle. Toutefois la confession publique ne sera interdite qu’au milieu du cinquième siècle[56] ; mais, à ce moment, la confession auriculaire qu’on voit poindre à l’époque où nous sommes[57], aura, depuis longtemps, acquis la puissance d’un sacrement. Par les conseils qui suivent la confession, le prêtre prendra la conduite de la vie des pénitents ; il leur enseignera la pratique de la justice selon l’Église, et, par le pouvoir de lier et dé délier, il fera des saints destinés à s’asseoir à là droite de Dieu et des damnés qu’attendront Satan et ses tortures. Les mystères païens, eux aussi, donnaient le salut, mais par une initiation qui ne se répétait pas. Au sein de l’Église, l’initiation se renouvelle incessamment par la communion eucharistique qui met dans l’état de pureté, par l’enseignement religieux qui y prépare, par le sacrement de la pénitence qui y ramène le pécheur ou qui en éloigne à jamais l’excommunié, banni tout à la fois de l’Église et du ciel. Quelle puissance morale dans ces croyances ! Quelle force pour ces proscrits de la terre qui disposent du ciel ! Jamais pareille autorité n’avait été reconnue à des hommes, pareille discipline acceptée par des fidèles ; et comme l’on comprend que les peuples aient longtemps courbé devant eux leurs genoux et leur esprit ! Un autre sacrement naissait, ou plutôt un vieil usage continuait en se transformant : l’extrême-onction[58]. Ce n’est encore que la prière des prêtres sur le malade, l’usage juif de l’onction par l’huile au nom du Seigneur, et l’acte de foi du moribond[59]. La loi civile n’aime point le célibat, parce qu’il affranchit des devoirs de la famille et que la famille est la base de la société. Mais en Orient, même en Grèce, certaines églises ou sectes philosophiques le recommandaient. Au temps de l’ancienne ferveur, des déesses, Diane, Minerve, Vesta, les Muses, avaient répudié les chastes amours, et, à Athènes, à Rome, chez les Gaulois, les plus saintes prières étaient celles de vierges. Les apôtres et les premiers Pères n’avaient pas imposé le célibat ; toutefois on y tendait : il était la suite naturelle d’une doctrine qui prescrivait les macérations de la chair et le renoncement[60]. Déjà on refusait d’admettre à l’épiscopat celui qui avait contracté de secondes noces, et cette règle s’est conservée dans l’Église grecque. Pour tenir l’homme à tous les moments de sa vie, du berceau à la tombe, elle fera du mariage un sacrement, sans pouvoir lui ôter son caractère fondamental de contrat civil[61]. Le dogme de la communion et de l’intercession des saints ne se formulera aussi qu’au quatrième siècle. A l’autel, dira saint Augustin, nous ne faisons pas mémoire des martyrs de la même manière que des fidèles qui reposent en paix. Nous ne prions pas pour eux ; nous leur demandons de prier pour nous[62]. Mais il y en a trace au troisième[63], et c’était encore une conséquence nécessaire. Ainsi se formait le grand poème de la religion chrétienne, comme un chant de klephte antique était devenu, par le travail des générations successives, l’Iliade d’Homère, et il allait être, pour une longue suite de siècles, la consolation et la volupté des âmes. Mais le poète nouveau qui développait la donnée primitive était l’Église ou plutôt ces communautés ardentes, ces assemblées nocturnes dont les besoins religieux croissaient avec la contagion de la foi. Les ignorants entraînaient les docteurs, et ceux-ci, puisant à pleines mains dans le triple trésor de la poésie biblique, de la philosophie grecque et de l’Évangile, multipliaient les dogmes, enrichissaient le culte et changeaient tout, en croyant ne rien changer. Les cérémonies devenaient plus variées, la liturgie, ou le règlement du culte, n’avait pas l’unité qu’elle n’a trouvée que de nos jours ; mais chaque église précisait la sienne[64]. Saint Clément, au siècle précédent, en avait parlé dans son Épître aux Corinthiens. Cet évêque de la cité maîtresse du monde, ce Romanus, comme on l’appelle, avait aussi invoqué déjà la discipline en comparant l’Église aux légions de César où le chef commande[65]. Ses successeurs finiront par y mettre les mêmes règles d’obéissance absolue, et la liberté féconde de la vie religieuse aux premiers âges, sans laquelle rien ne se serait fondé, disparaîtra, mais au profit de la discipline sans laquelle rien ne dure. A la fin du deuxième siècle, l’œuvre dogmatique de l’Église était assez avancée pour que Clément d’Alexandrie, qui écrivait sous le règne de Sévère, cherchât à en coordonner les parties dans un système scientifique construit avec les procédés ordinaires de la pensée humaine. La foi, disait-il, est la science des choses divines donnée par la révélation ; mais il faut que la science fournisse la démonstration des choses de la foi. Et il composait les Stromates, qui, sans être écrites avec la méthode rigoureuse de saint Thomas, sont pourtant un premier essai de philosophie chrétienne. Or c’est un signe de force et souvent de victoire prochaine pour les idées, lorsque la philosophie s’en empare et en donne la formule générale. IV. —
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[1] Voyez le commencement du chapitre LXXXVII : les Idées.
[2] Hegel a dit, dans sa Philosophie de l’histoire, p. 6 : Jede Zeit hat zo eigenthümliche Umstünde, ist ein so individueller Zustand, dass in ihm aus ihm selbst entschieden Werden must, und allein entschieden Weyden kann. C’est une loi de l’histoire, et bien connaître le caractère spécial, on ce qu’on peut appeler la dominante d’une époque, est la première condition de la critique historique. L’influence du milieu est bien autrement grande pour la vie intellectuelle qu’elle ne l’est en botanique et en zoologie où elle est déjà si forte ; et il n’y a de juste jugement sur les hommes et les choses qu’en les replaçant dans leur milieu.
[3] Sur la pauvreté littéraire du troisième siècle, voyez Teuffel, Geschichte der römischen Literatur, p. 855-875. De science, il n’en est plus question ; quant aux arts, voyez le chap. XCV, § 5.
[4] Le mot est de Vinci.
[5] Eusèbe, Hist. ecclés., V, 28.
[6] Philosoph., IV, 72.
[7] Eusèbe, Hist. ecclés., V, 10.
[8] Mithra était lui médiateur entre le Dieu suprême et l’homme, un représentant de l’amour du créateur pour la créature. C’était aussi un rédempteur qui purifiait les aines et remettait les péchés. Aussi Tertullien (de Corona, 15) attribuait-il à une ruse du démon les rapports qu’il ne pouvait s’empêcher de reconnaître entre cette vieille religion assyrienne et la nouvelle religion du Christ.
[9] Par exemple, les postulats de Kant. Aristote dit quelque part : Il est des questions qui resteront toujours des questions ; pour l’esprit, certainement, mais non pour la conduite de la vie ; et j’ajoute : Il est des croyances que la raison repousse, mais dont on garde l’esprit.
[10] Cela se voit jusque dans les inscriptions. Parmi les cent soixante-quatre décurions de Canusium, en 223, on ne trouve pas un prêtre, tandis que sur les soixante et onze noms de l’Album de Thamugas, au siècle suivant (de 364 à 367), on compte deux sacerdotales, trente-six flamines perpétuels, quatre pontifes, quatre augures, c’est-à-dire les deux tiers des membres de la curie qui sont ou qui ont été investis de fonctions religieuses. Quelle que soit l’hypothèse qu’on adopte pour expliquer la présence de tant de prêtres dans la curie de Thamugas (voyez Ephem. epigr., III, p. 82), il restera toujours que la plus grande partie des membres de ce conseil municipal avaient un caractère sacerdotal ou devaient au sacerdoce qu’ils avaient rempli l’honneur d’être inscrits sur l’Album après les duumvirs en charge, mais avant les autres magistrats. M. Dumont a constaté le même fait pour Athènes (Éphébie attique, t. I, p. 137) ; il était général. Voyez le Philopatris, mis dans les œuvres de Lucien, dont les personnages ridicules sont la caricature de personnages réels.
[11] Alb. Dumont, Éphébie attique, t. I, p. 9, 36 et 39 et Collignon, de Colleg. epheborum.
[12] Strabon, VII, p. 327, et Pausanias, I, XVII, 6.
[13] Voyez, au règne de Caracalla, l’espèce de culte dont Alexandre était l’objet, et à celui d’Élagabal une apparition de ce Génie.
[14] Pour Sévère et pour les princes de sa maison, c’était un nom propre emprunté à Antonin le Pieux, ou mieux encore à Commode, dont Sévère se disait le frère par adoption. A partir de Macrin, c’est un qualificatif que prennent tous les empereurs du troisième siècle. Une inscription de Gallien (Orelli, n° 1007) dit de lui : cujus invicta virtus solo pietate superata est. Une autre (1014) l’appelle sanctissimus. Julia Mæsa (Orelli-Herzen, n° 5515, et Eckhel, VII, 249) et les femmes de Gordien III (Orelli, n° 977), de Philippe (C. I. L., III, 8718), de Gallien (Orelli, n° 1010) sont sanctissimæ. Victorina, mère de l’usurpateur Victorinus, est dite piissima (ibid., n° 1017). Je sais bien que sanctus, dans le latin classique, signifie pur, chaste, inviolable ; mais je crois qu’au troisième siècle il s’y ajouta l’idée de sainteté. La maison impériale, domus divina (dans une inscription de 202, Wilmanns, 985), affirmait davantage sa foi païenne, à mesure que celle-ci était plus attaquée par les chrétiens. Le mot sacer deviendra synonyme d’impérial et s’appliquera bientôt à toutes les fonctions qui relèvent du prince. Les villes, les individus, l’ont comme les princes : les curies de Lyon (Boissieu, p. 24, 80, 160), de Volcei (Mommsen, Inscr. Neap., n° 218), etc., s’appellent l’ordo sanctissimus ; celui de Brixia (C. I. L., V, 4192) est piissimus. Les mêmes qualificatifs se trouvent au troisième siècle, dans beaucoup d’inscriptions de très petites gens, par exemple sur les pierres tombales de Carthage.
[15] Les Vies de Pythagore, par Porphyre et Jamblique, sont aussi merveilleuses que celle d’Apollonius, par Philostrate. Elles n’étaient pas encore écrites, mais ces légendes couraient déjà partout.
[16] C’est un écrivain
sans goût et sans originalité, qu’il ne faut pas confondre avec un autre
écrivain dû même nom, Oppien de Cilicie, auteur des Halieutiques ou de
[17] C’est le mot de saint Cyprien à Démétrius, senuisse jam mundum.
[18] L’idée de la trinité est une des plus vieilles croyances de l’humanité. On la retrouve en Égypte, en Chaldée, étiez les Étrusques, les Scandinaves, les Germains, et d’étranges monuments nous la montrent dans les triades gauloises. Ce mythe consistait en la conception d’un dieu unique en son essence, sans être unique en sa personne. Ce dieu, dit Maspero (Histoire ancienne des peuples de l’Orient, p. 28) en parlant de la triade égyptienne, est père, par cela seul qu’il est, et la puissance de sa nature est telle, qu’il engendre éternellement sans jamais s’affaiblir et s’épuiser.... Il est à la fois le père, la mère, le fils. Engendrées de Dieu, enfantées de Dieu sans sortir de Dieu, ces trois personnes sont Dieu en Dieu et, loin de diviser l’unité de la nature divine, concourent toutes trois à son infinie perfection.
[19] Voyez, au Cod. Just., I, 1, 3, 3, une constitution de 449, qui condamne à être brûlés tous les livres contraires à la doctrine de Nicée et d’Éphèse et décrète la peine de mort contre ceux qui les conservent ou les lisent. Justinien (Nov., XLII, 1, § 2) renouvela ces pénalités, et cette abominable législation a duré quatorze siècles. Le triomphe des théologiens musulmans au treizième siècle a eu aussi pour conséquence la persécution des philosophes. L’essor de la civilisation arabe fut arrêté, et la nuit s’étendit sur cet Orient où, durant trois siècles, avait brillé une vive lumière qui ramena la vie en Occident. (Voyez G. Dugat, Hist. des philosophes et des théologiens musulmans, 1878.)
[20] Sur l’école d’Alexandrie, voyez les deux savants livres de MM. Simon et Facherot et celui, plus récent, de Zeller, die Philosophie der Griechen in ihrer geschichtlichen Entwicklung.
[21] Lactance (Div. Instit., III, 92) termine sa recherche du souverain bien par ces mots : Id vero nihil aliud potest esse quam immortalitas.
[22] L’indifférence pour les devoirs civiques et le dédain des biens de ce monde étaient les leçons données par la nouvelle académie et Zénon, par Pyrrhon et Épicure. Le christianisme recueillera tous ces dégoûts, se montrera plus dédaigneux encore de l’action politique, prêchera l’indifférence avec plus d’ardeur, mettra le comble à tous ces mépris en méprisant la philosophie même, qui avait enseigné déjà à mépriser tout le reste, et pour mieux enlever les âmes à la terre, ne leur offrira que des biens qui ne sont pas de ce monde. (Martha, Lucrèce, p. 200.)
[23] De Mortalitate, 25.
[24] Jusqu’à présent, l’homme n’a su trouver que trois solutions au problème de la mort. L’âme, l’étincelle de vie, retourne et se perd au foyer de la vie universelle : c’est le nirvana indien et l’indifférence pour l’existence personnelle ; ou bien elle va jouir doucement des mêmes plaisirs dont elle a usé sur la terre : c’est l’amour de la vie physique, la solution gréco-romaine et musulmane ; ou bien, dans un ravissement éternel, elle contemplera Dieu face à face : c’est l’amour divin, mais aussi une autre sorte d’anéantissement en Dieu. La science fait un rêve différent : puisque rien ne se perd, la pensée doit subsister comme la force ; séparée du corps, son organe imparfait, elle durera, et l’intelligence arrivera à la connaissance de toute chose. Ce sera pour l’humanité ce qui a lieu pour l’individu : le besoin de savoir succédant au besoin d’aimer. Mais la science parfaite est la parfaite connaissance du vrai, du bien et du beau, c’est-à-dire, de Dieu même, et celui-là y atteindra, dans la vie supérieure, qui aura fait le plus d’effort pour s’en approcher, dans la vie présente.
[25] .... Coli rura ab ergastulis pessimum est et quidquid agitur a desperantibus. On a vu quelle était la condition des humiliores, et pour la classe immense des affranchis, la constitution de Commode. Au milieu du troisième siècle, Origène tenait à honneur pour le christianisme le reproche que lui faisaient Celse et le païen de d’Octavius, de se recruter parmi les petites gens. Oui, disait-il, nous allons à tous les dédaignés de la philosophie, à la femme, à l’esclave, même au brigand. En le faisant, les chrétiens étaient fidèles à la pure doctrine du maître, qui n’est devenu si grand que parce qu’il a aimé les petits. Au quatrième siècle, saint Jérôme disait encore : Ecclesia Christi de vili plebicula congregata est (Opera, IV, 289, édit. de 1695). Les peintures des catacombes prouvent la condition infime des artistes qui les exécutaient et des morts qui les avaient commandées.
[26] S. Matthieu, XXIV, 29-34 ; Origène, Contra Celsum, VII, 9.
[27] Lucien, Peregrinus, 15. Voyez ce que Marc-Aurèle disait des chrétiens. Épictète, Galien et l’avocat du paganisme dans l’Octavius en parlent de même.
[28] Au chapitre des Idées. M. Reuss, dans son Histoire de la théologie chrétienne au siècle apostolique, dit très justement (p. 650) : Le point capital, c’est que l’originalité de l’Évangile ne consiste pas autant dans la nouveauté de certains dogmes ou de certains préceptes moraux que dans la nouveauté de la base qu’il donne à la vie religieuse.
[29] L’Apocalypse a créé un genre oratoire nouveau, en mettant à la disposition du prêtre chrétien les terreurs de l’enfer et les béatitudes du paradis. Le paganisme n’eut jamais rien de pareil.
[30] Satan est
mentionné trois fois à peine dans l’Ancien Testament. Le livre de
[31] XII, 25. Ces paroles sont encore selon l’esprit de l’Église et se répètent toujours. Je les ai entendues naguère dans un sermon.
[32] On a plusieurs fois montré les singulières analogies qui existent entre la doctrine de Plotin et le nirvâna bouddhique, analogies fortuites qui ne résultent pas d’une imitation, mais d’un même état des âmes.
[33] Sans parler de René, de Werther et de Manfred, qui ont mis à la mode une tristesse morbide que leurs pères, Chateaubriand, Gœthe et Byron, ne partageaient pas. Je n’ose mentionner la secte étrange des skopsis russes qui procède de cet esprit.
[34] S. Jean, XIV, 16, 26, et XVI, 13. Voyez,
à
[35] La lettre 72 de saint Cyprien à saint Étienne, évêque de Rome, se termine par ces mots : Qua in re nec nos vim cuiquam facimus aut legem damus, quando habeat in Ecclesia ; administratione voluntatis suæ arbitrium liberum unusquisque præposiltus, rationem actus sui Domino redditurus.
[36] Hist. ecclés., III, 37. Ce qu’on appelle le concile de Jérusalem (Actes des Apôtres, chap. XV) avait lui-même respecté, sur des points importants, la liberté des fidèles.
[37] Donaldson, the Apost., etc., p. 68, 107, 155, 234, etc. Origène atteste (in Matth., XII, 6) que des chrétiens ne trouvaient pas la divinité du Christ clairement exprimée dans l’Évangile de saint Matthieu, et Photius, dans sa Bibliotheca, Cod. 126, adresse le même reproche à saint Clément Romain, pour son épître aux Corinthiens, où Jésus n’est nulle part appelé Dieu, mais l’enfant aimé de Dieu, le grand prêtre, le chef des âmes. Le pseudo-Hermas parle de même. Voyez aussi les paroles de saint Pierre (I, 2, 25), que ne contredisent pas les Actes des Apôtres (II, 36). Cf. Clément Romain, Epist., édit. Hilgenfeld, 1876, d’après le manuscrit trouvé l’année précédente à Constantinople. Eusèbe (Hist. ecclés., III, 34) fait mourir Clément Romain en 101. L’idée d’un Messie était très juive, celle d’un Dieu fait homme ne l’était pas, et il est tout naturel que dans les premiers temps elle soit entrée très difficilement dans l’esprit des Juifs convertis à l’Évangile ; ce fut le cas par exemple de Cérinthe, le fameux hérésiarque que certains récits mettent en rapport avec saint Jean. Saint Ignace, mort sous Trajan, avait combattu les ébionites, qui niaient la divinité de Jésus (Ep. ad Magn., 7-8 ; ad Philad., 6-9), et les docètes, qui rejetaient son humanité (Ep. ad Smyrn., 1-5 ; ad Trall., 6-10).
[38] Eusèbe, Hist. ecclés., III, 39. Irénée (III, 2) disait aussi non per litteras traditam veritatem, sed per vivam vocem. D’après Eusèbe (ibid.), Papias n’aurait connu et employé que les Évangiles de Marc et de Matthieu, dont il parle avec beaucoup de liberté, l’Apocalypse, la première épître de Pierre, et la première de Jean. Un ouvrage très important pour la connaissance du canon des Écritures vers la fin du deuxième siècle, est le Fragment dit de Muratori, découvert en 1840 à Milan ; cf. Hilgenfeld, Einleit. in das N. T., 1875.
[39] S. Luc, in prœm., dit πολλοί έπεχείρηοαν.
[40] Je n’ai pas à
étudier quand et comment furent rédigés les livres canoniques ; une foule de
savants travaux peuvent renseigner à ce sujet. Mais j’ai le devoir de montrer
quels étaient l’esprit et l’organisation de l’Église à l’époque où sa force fut
assez grande pour qu’elle exerçât une influence sur la société romaine et sur
les destinées de l’empire. Or cette époque répond au règne de Sévère. Sous
Marc-Aurèle, Celse (Origène, Contra
Celsum, II, 27) représentait encore les chrétiens comme perpétuellement
occupés à corriger et à altérer leurs Évangiles. .... mutant pervertunique, et Eusèbe (Hist. ecclés.,
IV, 23, et V, 28) confirme ce témoignage. Origène, mort en 253, dit en effet (Hom.
[41] Théophile était évêque d’Antioche et mourut sous Commode.
[42] Τρίας (ad Autolyc., II, 15) que Tertullien traduisit par le mot latin Trinitas (de Pudicitia, 21).
[43] Adv. hær., I, 10 ; de même Tertullien, dans le de Præscr., 13, et, moins complètement, dans le de Velandis Virg.
[44] Grégoire de Nazianze, Discours XXXI. Spiritus sancti negat substantiam, dit saint Jérôme (Epist. 49) à propos de Lactance, et il ajoute qu’il montre plus de force à combattre l’erreur qu’il établir la vérité. (Epist. 15, ad Paulin.)
[45] Eusèbe, Hist. ecclés., V. 10.
[46] Sur l’eucharistia au milieu du deuxième siècle, voyez S. Irénée, Adv. hæres, IV, 18, et S. Justin, Apologie, I, 65-67.
[47] Dans la vieille Italie, le repas était toujours précédé de libations aux Pénates.
[48] Les Actes des Apôtres (II, 42, et XX, 7) expliquent les paroles de Paul, I Cor., X, 16.
[49] Ignace, ad Rom., 7 ; ad Smyrn., 7 ; Justin, Apologie, I, 66, et Irénée, op. cit., IV, 18, et V, 2.
[50] II, 45, ap. Bunsen, t. IV, p. 451 et suiv.
[51] S. Cyprien, Ep. ad Donat. Saint Justin (Apologie, I, 61) avait parlé de cette renaissance par le baptême, et Origène l’appelait le principe et la source des dons de la grâce (in Joann., 17).
[52] Tertullien, de Baptismo, 17. Le baptême se faisait habituellement par immersion pour les valides, par aspersion pour les malades. Ce rite était aussi le fond du culte de Mithra, alors très répandu, et il régénérait pour l’éternité celui qui le recevait ; mais c’était un baptême sanglant, donnant lieu à une cérémonie hideuse, qui devait éloigner de ce culte la femme, l’enfant et tous les délicats. Un autre baptême sanglant, celui des Juifs, resta quelque temps aussi pratiqué par des Juifs chrétiens. Les quinze évêques de Jérusalem jusqu’à la destruction du temple étaient circoncis. (Eusèbe, Hist. ecclés., IV, 5.)
[53] .... mellis et lactis societatlem (Tertullien, Adv. Marcion., I, 14).
[54] .... Exomologesis est qua delictum domino nostro confitemur (Tertullien, de Pœnit., 9). C’est la confession publique dont parlent Matthieu (III, 6), Marc (I, 5) et les Actes (XIX, 18).
[55] Saint Irénée (Adv. hær., I, 3) parle de femmes qui confessèrent publiquement leurs fautes.
[56] Décrétale du pape
saint Léon,
[57] Origène, dans la 2e
homélie sur le psaume 37, verset 19, dans Homilia
[58] Origène, Homilia
[59] Jacques, V, 14-15. Chez les Juifs, l’huile d’olive parfumée servait à divers usages religieux (Genèse, XXVIII, 18, et Exode, XXX, 24-29) et à l’onction des grands prêtres et des rois ; à la purification des lépreux (Lévitique, XIV, 17) ; au traitement des maladies et blessures (Isaïe, I, 6).
[60] On trouve, dans les premiers siècles, nombre d’évêques mariés, mais vivant dans le célibat. Cæcilius, qui convertit saint Cyprien, lui recommanda en mourant sa femme et ses enfants (Fleury, Hist. ecclés., II, p. 173), et durant la persécution de Dèce, l’évêque de Nicopolis, en Égypte, s’enfuit au désert avec sa femme. (Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 42.) Des actes de martyrs se rapportant à la persécution de Dioclétien parlent d’évêques mariés, et une loi de 357 (Cod. Théod., XVI, 2, 14), confirmant les avantages faits par Constantin aux clercs, les étendit à leurs femmes et à leurs enfants, mares et feminæ. L’Église recommandait la continence aux clercs mariés. (Concile d’Elvire, 33e canon ; concile de Nicée, 3e canon.) Voyez dans Socrate, Hist. ecclés., I, 11, le discours en sens contraire prononcé par S. Paphnuce au concile de Nicée. Le même écrivain montre (V, 22), à la fin du quatrième siècle, des évêques mariés, ayant eu après leur ordination des enfants légitimes.
[61] Jésus avait dit (Matth., XXII, 30) Au ciel, il n’y a point d’époux, et saint Paul acceptait les unions mixtes (I Cor., VII, 12-26) : doctrine qu’un concile consacra encore en 314. Saint Paul (ad Eph., V, 32) appelle le mariage μυστήριον, mot que l’on a traduit trop librement par celui de sacrement. Chez les Romains, le mariage était un contrat civil, indispensable pour la constitution de la famille, les droits réciproques des époux, ceux des enfants, et dont l’Église ne pouvait seule changer les conditions ; mais elle y joignit ses prières et sa bénédiction. Le concile de Trente (sess. XXIV) reconnut que, dans le mariage, le sacrement avait pour effet de sanctifier le contrat préexistant : gratiam que naturalem illum amorem perficeret.... conjugesque sanctificaret.
[62] Commemoramus.... ut etiam pro eis oremus, sed magis ut et
ipsi pro nobis. (Tract.
[63] S. Cyprien, Ep. 57, ad finem. La doctrine du purgatoire, que les évangélistes ne connaissaient pas (S. Luc, XXVI, 26), fut aussi proposée par saint Augustin.
[64] Voyez, au IIIe volume des Analecta Ante-Nicæana de Bunsen, les fragments des plus anciennes liturgies. La première qu’il cite (p. 21) était usitée à Alexandrie du temps d’Origène ; et Bunsen ne pense pas qu’on puisse la faire remonter plus haut que le milieu du deuxième siècle.
[65] S. Clément, ad Corinth., 57.
[66] Chapitre LVII,
[67] C’est l’opinion de plusieurs théologiens, et c’est la vraisemblance. Cf. Waddington, Inscr. de Syrie, p. 474. On trouve même des έπίσxοποι dans les confréries grecques (voyez Wescher, Revue archéol., avril 1866). La crosse épiscopale est semblable au lituus de l’augure romain ; lui a-t-elle été empruntée, ou vient-elle de la houlette du pasteur ? de tous deux sans doute, mais plutôt du dernier.
[68] Actes, XI, 17 et 28 ; Ep. ad Tit., I, 5 et 7 ; I ad Timoth., III, 2 et 8 ; S. Clément, ad Cor., 42 ; Polycarpe, ad Philipp., 5 ; S. Jérôme, Comment. in Titum : idem est presbyter qui et episcopus....
[69] Ep. ad Philipp., 5 et 6. Dans le Pasteur d’Hermas, il n’y a aussi aucune trace d’épiscopat. On trouve bien, dans les lettres de saint Ignace, mention d’évêques, de prêtres et de diacres ; mais les différents textes de ces documents donnent lieu à trop de discussions pour qu’on puisse les apporter en témoignage irrécusable.
[70] Le droit d’association était, au témoignage de Gaius (Digeste, XLVIII, 22, 4), formellement reconnu par les Douze Tables : Collegiis, dit-il, potestatem facit lex (XII Tab.) pactionem quam velint sibi ferre dum ne quid es publica lege corrompant. La société romaine avait tant de goût pour ces associations, qu’il s’en formait jusque dans les camps, malgré une défense expresse de Sévère.
[71] Tertullien, de Præscr., 30 ; S. Cyprien, Ep. 60. Si lettre 65 et celle du pape Corneille, ad Fab., montrent que l’arca des églises commençait à avoir des ressources considérables. Déjà même quelques évêques en abusaient. Cf. S. Cyprien, de Lapsis.
[72] Saint Paul avait recommandé cet usage (I Tim., V, 17-18), et Tertullien (de Jejun., 47) le rappelle : duplex honor binis partibus præsidentibus deputabatur. Les confesseurs étaient souvent honorés d’une sportule sacerdotale. (S. Cyprien, Ep. 54.) Les agapes et la cène, d’abord réunies, xυριαxόν δεϊπιον (I Cor., XI, 20), furent de bonne heure séparées. A la fin du quatrième siècle, sainte Monique apportait encore à l’Église, suivant l’usage africain, du pain et du vin. Saint Ambroise le lui défendit.
[73] Tertullien, Apologétique, 39-40. Des esclaves prétendaient même que, sur ces fonds, on achetât leur liberté. (S. Ignace, ad Polyc., 2). Sur les cimetières chrétiens de Rome, voyez les beaux travaux de M. de Rossi, Roma sotterranea.
[74] Dans les galeries supérieures des basiliques, les hommes étaient d’un côté, les femmes de l’autre. (Pline, Epist., VI, 33.)
[75] Quand les apôtres fondèrent la première charge ecclésiastique, le diaconat, saint Pierre dit à l’assistance (Actes, VI, 3) : Pour le service des tables, choisissez sept hommes d’entre vous. Voyez, au tome VIII de l’Histoire ecclésiastique de Fleury, le Discours sur l’histoire des six premiers siècles de l’Église, §§ V et VI.
[76] S. Clément, ad Cor., 44. S. Grégoire de Nazianze, Orat. 24. Voyez l’élection de Fabianus à Rome, sous Gordien (Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 29), et celle de Cyprien à Carthage. Cyprien avait toujours accoutumé de consulter le peuple avant les ordinations et d’examiner en commun les mœurs et le mérite des ordinants (Fleury, Hist. ecclés., II, p. 231). Dans sa lettre au peuple de Carthage (Ep. 40), saint Cyprien écrit à tous les fidèles : Quand je serai de retour, nous pourrons, de concert avec mes collègues et en prenant votre avis, examiner et régler toutes choses dans une assemblée générale ; et parmi ces choses s’en trouvaient de fort graves pour la discipline et la doctrine de l’Église. Saint Augustin fera comme lui. A Rome, en 366, ce fut le peuple qui fit l’élection des deux compétiteurs au Saint-Siège, Damase et Ursin ; saint Ambroise fut nommé de même à Milan et saint Augustin à Hippone. Cependant, à la fin du second siècle, l’élection s’altérait et les pouvoirs de l’évêque s’étendaient. Quand le prêtre Novat nomma un diacre, saint Cyprien, son évêque, l’accusa d’usurpation (Ep. 52). Comme dans le clergé païen, certains défauts corporels excluaient du sacerdoce. Voyez dans Socrate (Hist. ecclés., IV, 23) l’histoire du moine Ammon qui se coupe une oreille pour échapper à l’épiscopat.
[77] Lampride, Alexandre Sévère, 49.
[78] Actes, XIV, 22 et VI, 6 ; VIII, 17 ; IX, 17. L’imposition des mains était un vieil usage juif.
[79] .... et antequam diaboli instinctu studia in religione fierent.... communi presbyterorum consilio ecclesiæ gubernabantur. Postquam vero unusquisque eos quos baptisaverat suos putabat esse, non Christi, in toto orbe decretum est ut unus de presbyteris electus superponeretur celeris, ad quem omnis ecclesiæ cura pertineret et schismatum semina tollerentur (S. Jérôme, ad Tit., c. 1, p. 604, édit. de 1737, et Ep. 85, ou 101 dans l’édition des bénédictins, t. IV, p. 803). Il y décrit l’ancien état de l’Église d’Alexandrie : .... Alexandriæ, a Marco evangelista usque ad Heraclam et Dionysium episcopos, presbyteri semper unum ex se electum in excelsiori gradu collocatum episcopum nominabant, quomodo si exercitus imperatorem faciat. Ces paroles sont confirmées par le patriarche Eutychius, Ann., t. I, p. 330.
[80] Constitut. Apost., II, 46.
[81] L’absence de cette canonisation populaire est un des arguments dont se servit le pape Benoît XIV (Œuvres, VI, p. 119-125), pour refuser à Clément d’Alexandrie le titre de saint.
[82] Ce sont les mots de saint Clément (ad Cor., 56). Ces lettres portaient sur tout sujet et étaient souvent écrites au nom de la communauté entière, sans l’intervention d’un ancien ou d’un évêque : ainsi la belle lettre des chrétiens de Lyon à leurs frères d’Asie Mineure.
[83] Saint Cyprien
écrivant au pape Étienne, au sujet des évêques de
[84] Saint Cyprien écrit au pape Corneille (Ep. 54) au sujet du concile de 252 .... placuit nobis, sancto Spiritu suggerente. Constantin appellera les décisions synodales d’Arles : cæleste judicium, et ajoutera : sacerdotum judicium ita debet haberi ac si ipse Dominos residens judicet (Hardouin, Collect. concil., t. I, p. 268). Grégoire le Grand égalait l’autorité des quatre premiers conciles œcuméniques à celle des quatre Évangiles.
[85] Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 50.
[86] Voyez l’Art de vérifier les dates, et Hefele, Conciliengeschichte, t. I, p. 69 sqq. C’est à ces synodes, sans doute, que Tertullien fait allusion (de Jejuniis, 13). Je ne parle pas, bien entendu, de ce qu’on appelle le concile de Jérusalem entre les années 50 et 52. Le concile de la province d’Asie, qui compta un grand nombre d’évêques, se sépara, sur ce point, de l’opinion de Rome, et cette division dura des siècles. (Fleury, Hist. ecclés., t. I, p. 598.)
[87] Ces
quatre-vingt-sept évêques appartenaient à l’Afrique proconsulaire, à
[88] Le mot concile œcuménique signifie assemblée des évêques de toute la terre, habitable, mais, pendant bien longtemps, les limites de l’Église organisée furent les frontières de l’empire.
[89] Cette résistance à l’absorption de l’Église par l’évêque était sans doute au fond des luttes de Felicissimus contre Cyprien, et d’Hippolyte contre Calliste.
[90] L’épître de saint Clément aux Corinthiens et le Pasteur, dit d’Hermas, n’ont rien de dogmatique.
[91] .... propter potiorem principalitatem (Adv. hœr., III, 5). S. Cyprien (Epist. 55) appelle aussi le siége de Rome Ecclesia principalis. Malgré le passage fameux : έπί ταύτη τή πέτρα οίxοδομήσω μου τήν έxxλησίαν, saint Pierre n’avait joui parmi les apôtres d’aucun privilège spécial. (Matt., XVI, 18 ; Jean, XXI, 15-17.)
[92] Cyprien, Epist. 27, 55, 71. Firmilianus était évêque de Césarée en Cappadoce ; sa lettre véhémente contre Étienne, touchant la nullité du baptême administré par les hérétiques ou les relaps, se trouve ap. Cypr. Epist., au numéro 75. C’était un personnage considérable dans l’Église d’Orient : Origène se réfugia près de lui, quand l’évêque Démétrius le força de quitter Alexandrie.
[93] Eusèbe, Hist. ecclés., V, 24, 11. Si dans l’affaire des novatiens (251) le pape dépose deux évêques italiens, c’est comme métropolitain et après qu’ils eurent été condamnés par un synode (ibid., VI, 45).
[94] Les évêques, même des clercs, portaient ce titre. Le nom de pape qui est synonyme de père n’a été attribué exclusivement à l’évêque de Rome que dans les siècles suivants. Quant à la juridiction universelle, ou, comme disaient naguère les écrivains ecclésiastiques, la primauté de vigilance et d’inspection, l’histoire de l’Église au troisième siècle ne permet pas de la reconnaître à l’évêque de Rome, et il faudra longtemps encore avant de la trouver. Les empereurs Gratien, Valentinien et Théodose, ayant voulu fixer par la constitution de 580 (Cod. Théod., XVI, 1, 2) la religion de leurs peuples : cunctos populos.... in tali volumus religione versari, leur donnent, pour règle de foi, celle des évêques de Rome, et d’Alexandrie qui sont ainsi mis au même rang. La constitution de 421 (ibid., XVI, 2, 45) porte que si, dans l’Illyricum, quelque doute s’élève touchant les anciens canons, il en sera référé à l’évêque de la ville de Constantinople, quæ veteris Romæ prærogatira lætatur.
[95] Une communauté chrétienne de Rome qui, du temps du pape Zéphyrin et de l’empereur Sévère, voulut avoir son évêque particulier, lui assurait par mois 150 deniers. (Eusèbe, Hist. ecclés., V, 29.)
[96] Tertullien (de Spect., 20) reconnaît aussi aux chrétiens le pouvoir de chasser les démons, d’opérer des guérisons miraculeuses et de recevoir des révélations divines. Mais, quand l’interlocuteur de saint Théophile d’Antioche demande, pour se convertir, que l’évêque lui montre un mort ressuscité, Théophile lui répond (ad Antolycum, I, 8) : Fais comme le laboureur qui sème avant de moissonner, comme le voyageur et le malade qui croient, l’un au pilote avant d’arriver au port, l’autre au médecin avant de retrouver la santé ; et il a bien raison : la croyance aux miracles exige une disposition particulière de l’esprit ; on y croit, non parce qu’on en voit, mais parce que l’on pense en voir. C’est le mot même de l’évêque : Il faut croire pour voir.
[97] Origène, Contra Celsum, I, 2 ; Eusèbe, Hist. ecclés., V, 7.
[98] Hérétique signifie, en grec, celui qui choisit.
[99] S. Luc, II, 54 : Ecce positus est.... in signum cui coniradicetur.
[100] Hom. XIV,
sur le chapitre II
de
[101] .... in ventum (Scorpiace, 1).
[102] Au quatrième siècle, saint Épiphane en comptera soixante, et Themistius dira que les Grecs ont trois cents opinions différentes sur la divinité.
[103] Minucius Félix était un avocat de Rome. Dans son Octavius, il essaye d’imiter Cicéron et Platon ; mais, sauf un agréable préambule, son prétendu dialogue n’est qu’une succession de deux discours : dans l’un, il dit les accusations contre les chrétiens ; dans l’autre, il les réfute, et nulle part il n’expose le dogme. C’est une plaidoirie quelquefois violente, toujours sans profondeur, mais écrite avec une certaine recherche de style et faite pour des lettrés.
[104] Minucius, Octavius, 1.
[105] Voyez, au § 41 du
traité de
[106] Celles de Tertullien, Origène, Tatien, etc. Saint Justin et saint Irénée avaient adopté la doctrine des millénaires, et Clément d’Alexandrie côtoie parfois l’hérésie.
[107] Origène va
jusqu’à dire : Certaines églises sont changées en
cavernes de voleurs. (In Matt., XVI, 8, 22 ; XI, 3, 15.)
Saint Cyprien accuse le prêtre Novat d’avoir laissé mourir son père de faim,
fait avorter sa femme par ses brutalités et commis, après son élévation au
sacerdoce, quantité de fraudes et de rapines (Ep. 40), accusations
peut-être fausses, mais qui montrent que l’Église de Carthage était aussi
troublée que celle de Rome. Cf. Tertullien, ad Nat., I, 5. Dans le de
Jejun., 17, il admet aussi qu’il y avait bien des dangers dans les agapes,
dont saint Paul avait déjà signalé les abus (I Cor., XI, 21-2) et que
rappellent encore saint Jean Chrysostome (Hom.
[108] Sur les apostasies, voyez Le Blant, Mémoire sur la préparation au martyre, dans les Mém. de l’Acad. des inscr., t. XXVIII, p. 51-5, le de Lapsis de saint Cyprien et sa lettre 30.
[109] .... de ultima fæce collectis imperitioribus. C’est le païen de l’Octavius qui parle ainsi (§ 8), et Celse (I, 27, et III, 44) avait déjà dit : Ils ne savent gagner que les niais, les êtres viles et sans intelligence, des esclaves, de pauvres femmes et des enfants. Plus loin, au § 12, Cæcilius répète : Ecce pars vestrum, et major et melior, ut dicitis, egetis, algetis, ope, re, fume laboratis, et, dans sa réponse (§ 31), Octavius se contente de dire : Nous ne sommes pas la lie du peuple, parce que nous refusons vos honneurs et votre pourpre. Puis il ajoute au § 36 : quod plerique pauperes dicimur, non est infamia nostra, sed gloria. L’Église, en effet, se faisait gloire, et très justement, d’aller aux petits : parmi les martyrs qu’elle honorait le plus se trouvaient Blandine et deux femmes suppliciées sous Sévère, Félicité et Potamienne, toutes trois esclaves. Le premier martyr d’Afrique, Namphonius, ou mieux Namphamo (voyez L. Renier, Mél. d’épigr., p. 277 et suiv.), et Evelpistus, qui fut martyrisé avec saint Justin, étaient de même condition. Le pape Calliste (218-222) avait été esclave d’un affranchi (Philosoph., IX, 12) ; et pendant longtemps il avait dû en être ainsi ; car, dans les hautes classes, l’éducation toute païenne éloignait du christianisme, et la profession de foi chrétienne obligeait de rompre avec la société et ses honneurs. Enfin, il ne fallait pas seulement dépouiller le vieil homme de ses croyances ; il fallait aussi lui ôter ses plaisirs, ses richesses, et beaucoup, comme le riche de l’Évangile, s’éloignaient tristement, lorsqu’on leur rappelait le précepte de Jésus sur l’abandon des biens aux pauvres. Mais on a vu que, depuis le milieu du deuxième siècle, l’Église attirait aussi à elle de grands esprits : Aristide, Justin, Irénée, Clément d’Alexandrie, Tertullien, Origène, etc., et la paix relative dont elle jouit pendant la première moitié du troisième siècle lui valut des conversions en de grandes maisons. (Cyprien, Epist. 80.)
[110] Tertullien, de Cor., I.
[111] Voyez l’Épître
de saint Clément aux Corinthiens, sur la sédition a impie et détestable
n qui avait éclaté parmi eux ; les lettres de saint Cyprien au sujet de Novat
et de Félicissime ; ce que les anges, dans la vision de Satur, disent à
l’évêque Optat (Actes de sainte Perpétue), et les circonstances qui
amenèrent la plupart des schismes et des hérésies. Ainsi, saint Jérôme (de
Vir. illustr., 55) affirme que ce furent la jalousie et les mauvais
procédés, invidia et coutumeliæ, du
clergé de Rome qui causèrent la chute de Tertullien. Il montre Rome assemblant son sénat contre Origine, parce que les
chiens furieux qui aboyaient contre lui ne pouvaient supporter l’éclat de sa
parole et de sa science. (Rufin, Apol. adv. Hieron., II, 20.
Cf. Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 8.) Par ces chiens
furieux saint Jérôme entendait les évêques d’Égypte qui avaient
retranché le grand docteur de leur communion. Origène leur appliquait lui-même
les sévères paroles de Jérémie (IV, 2) sur les
guides du peuple si habiles à faire le mal. (Fragment d’une lettre
citée par saint Jérôme, adv. Ruf.) Ce mal datait de loin. Saint Paul
avait dû réprimander les chrétiens de Corinthe et de
[112] Philos., IV, 4, 75.
[113] C’est le sens du mot thaumaturge.
[114] Origène, Contra Celsum, III, 55.
[115] Dans le Pasteur d’Hermas, il est aussi question de diaconesses chargées des rapports de la communauté chrétienne avec les veuves et les orphelins.
[116] Const., 1,
21, ap. Bunsen, op. cit., t. VI. Cf. de Pressensé,
[117] De Anima, 9.
[118] Ce ne sont pas les seuls philosophes qui doivent aujourd’hui étudier les sciences de la vie ; les historiens en ont plus besoin encore, car la physiologie a joué un grand rôle dans le monde, avant qu’il y eût des physiologistes, et elle explique bien des faits sans elle inexplicables. Il est triste de le dire, mais un hospice d’aliénés est, lui aussi, un livre d’histoire.
[119] Ce manuscrit, découvert en 1830 et publié pour la première fois en 1851, par M. Miller, a été attribué à Origène, à Caïus, prêtre romain, à Tertullien, enfin à Hippolyte, évêque du Port-du-Tibre. Celte dernière opinion tend à prévaloir. L’auteur est un adversaire du pape Calliste, ce qui oblige, sans rejeter son récit, à faire la part de la passion qu’il y met.
[120] Cœmeterium Callisti découvert par M. de Rossi et si bien étudié par lui.
[121] Philosoph., IX, 12. Les reproches de l’auteur sont évidemment exagérés ; mais sur la question des troubles de Rome son témoignage est confirmé par le Pasteur d’Hermas : vos infirmati a secularibus negotiis tradidistis vos in socordiam (Visio III, 2), et par ce que dit saint Jérôme de la conduite du clergé romain à l’égard de Tertullien. Ammien Marcellin raconte (XXVII, 3), à une époque où la discipline était bien mieux établie, que, deux évêques se disputant le siège de Rome, il éclata une terrible émeute, après laquelle on trouva cent trente-sept cadavres dans la basilique Sicinienne.
[122] Cyprien, Epist., 75, 25 et 26 : .... Non pudet Stephanum, Cypriamun pseudochristum et pseudoapostolum dicere. Les novations, secte rigide qui n’admettait pas la réconciliation avec les lapsi, étaient encore nombreux au cinquième siècle. (Socrate, Hist. ecclés., IV, 28.)
[123] Cyprien, Epist., 78, 25 : .... anima lubrica, mobilis et incerta. Les évêques de Tarse et d’Alexandrie prirent aussi parti, dans cette circonstance, pour Cyprien contre Étienne.
[124] Origène, Contra Celsum, III, 40 et 12, et Ammien Marcellin, XXII, 5.
[125] C’est à peu près ce que dit saint Paul aux Corinthiens (I Cor., 1, 4), quand il oppose dans le chrétien l’homme spirituel à l’homme charnel.