HISTOIRE DES ROMAINS

 

ONZIÈME PÉRIODE — LES PRINCES AFRICAINS ET SYRIENS (180-235).

CHAPITRE LXXXVIII — COMMODE, PERTINAX, DIDIUS JULIANUS ET LES GUERRES DE SÉVÈRE (180-211).

 

 

I. — COMMODE (180-192).

Le 31 août fut un jour deux fois néfaste pour l’empire, car ce jour-là naquirent Caligula et Commode. Depuis deux cent dix ans que Rome avait des empereurs, celui-ci était le premier qui eût vu le jour dans la pourpre, porphyrogénète[1] ; mais son règne ne sera point fait pour recommander aux Romains le système de l’hérédité. Il n’avait pas dix-neuf ans quand Marc-Aurèle mourut[2]. Son père lui avait donné les meilleurs maîtres ; une nature ingrate rendit leurs soins inutiles : a l’âge de douze ans, il trouva un jour que son bain n’était pas assez chaud et commanda de jeter le baigneur au four. Le pouvoir absolu dont il hérita si jeune acheva de le perdre, car ceux qu’un ancien appelle les instituteurs de cour[3] prirent bien vite dé l’empire sur ce faible esprit. Ses bustes et ses médailles le représentent avec le regard hébété d’un homme dont jamais l’intelligence n’a été traversée par une pensée virile. Tout à la fois méchant et craintif, il sera cruel quand un mot, un signe, suffiront pour le délivrer de ceux qui lui feront peur.

L’empire n’était pas héréditaire, mais les empereurs voulaient toujours qu’il le fût, et, en l’absence de grandes institutions de gouvernement, c’était inévitable. Les fils de princes trouvaient donc dans leur berceau les titres et les honneurs dont quelques-uns eussent été, pour un citoyen, la récompense d’une longue vie de services publics. A cinq ans, Commode avait été fait césar ; à quatorze, membre de tous les collèges sacerdotaux et prince de la Jeunesse, quoiqu’il n’eût pas encore la toge virile ; à seize, il était consul, imperator, et revêtu de la puissance tribunitienne[4]. C’est dire qu’il avait tous les titres impériaux, moins celui d’auguste, signe du rang suprême, moins encore celui de souverain pontife, qui alors ne se partageait pas. Marc-Aurèle l’associa à son triomphe sur les Germains, et l’emmena, en 178, dans son expédition contre les Marcomans. Le bruit courut qu’on avait aidé le Sage à rendre à la nature les éléments qu’elle, lui avait prêtés. Dion Cassius accuse les médecins de Marc-Aurèle de l’avoir empoisonné, à l’instigation de Commode ; mais Dion était un contemporain, et les : contemporains ont l’oreille ouverte à toutes les calomnies. Deux hivers passés sous un ciel inclément étaient dangereux pour cet homme du Midi qu’une constitution délabrée faisait, à cinquante-neuf ans, un vieillard à bout de force et de vie. Ajoutez les soucis d’une guerre difficile, puis la peste, et vous n’aurez pas besoin de charger Commode d’un parricide : son compte est suffisamment lourd. Je mentionne pour, mémoire qu’il dédia un temple à son père, avec des prêtres, des flamines antoniniens et tout ce que l’antiquité avait établi pour a les consécrations[5]. Plus tard, le dieu nouveau ne lui parut pas d’assez bonne condition : il voulut être appelé fils de Jupiter et non plus fils de Marcus[6].

Commode prit le pouvoir sans opposition. On lui conseillait de profiter de l’épuisement des Barbares pour les accabler. Mais de jeunes nobles, ennuyés de ces combats sans gloire dans les marécages de la Pannonie, de cette vie sans plaisirs en des campements sauvages, sous des huttes de boue et de roseaux, lui rappelaient les villas de marbre de Tibur, les fêtes de l’amphithéâtre, les séductions de la voie Sacrée ; et il eut hâte d’aller jouir à Rome de ses palais, de son or et de sa volonté souveraine. Il attendit cependant que les vieux généraux de son père eussent renouvelé le traité que Marc-Aurèle avait, une fois déjà, imposé aux Barbares. Les Marcomans et les Quades promirent de ne pas approcher à plus de quarante stades du Danube ; de livrer des armes, des auxiliaires[7], leurs captifs, les transfuges et une certaine quantité de blé, dont Commode leur accorda plus tard la remise. Défense leur fut faite d’attaquer les Jazyges, les Bures et les Vandales. Ils avaient des marchés que fréquentaient les négociants romains, mais qui étaient aussi l’occasion, pour eux, d’assemblées où l’on concertait les projets d’invasion, où s’échangeaient les serments. On leur interdit de les tenir plus d’une fois par mois ; on en détermina l’emplacement ; des centurions les surveillèrent, et des fortins construits tout le long du fleuve empêchèrent la contrebande[8]. Un traité analogue fut conclu avec les Bures.

L’empire put croire alors que sa domination, ou son influencé incontestée, régnait sur les deux versants de la vallée du Danube, depuis la mer Noire jusqu’à la Bohême, et que les Carpates, avec les monts de Moravie, lui seraient une sûre barrière. Mais Commode avait renoncé à l’ancien droit de faire des levées annuelles chez ces tribus batailleuses, c’est-à-dire de prendre leurs meilleurs guerriers. En outre, il leur rendait toutes les forteresses conquises sur eux[9]. Du haut de ces murs, les légions eussent tenu les Barbares en bride et garanti la sécurité des colons qui, à l’abri des épées romaines, auraient fait de ces pays une Dacie nouvelle. Mais Commode n’était point Trajan[10].

Ce fut la dernière fois qu’il parut à la tête des troupes. Heureusement les grandes traditions de guerre n’étaient pas encore perdues, et il restait à Rome des généraux tels que Marcellus, Niger, Pertinax, Albinus et Septime Sévère, qui firent bonne garde contre les Barbares[11].

Il rentra dans Rome le 22 octobre 180, entouré de toute la pompe triomphale pour des victoires qu’il n’avait point gagnées, et, au lieu de placer sur son char l’image de Marc-Aurèle, le vainqueur véritable, il y fit asseoir un bel esclave, son mignon. C’était le vice, en effet, qui rentrait au palais impérial, où, avec Marc-Aurèle, avait habité la vertu.

Laissant le soin des affaires à Pérennis, préfet des gardes[12], Commode ne songea qu’à ses plaisirs, et une partie de la haute société romaine fit comme lui. Les derniers empereurs avaient imposé à la cour des mœurs sévères. On se dédommagea de cette retenue prolongée en se jetant dans le désordre, comme nos jeunes seigneurs après la trompeuse austérité des dernières années de Louis XIV. Un prince, dans l’âge des passions ardentes, propageait au milieu de son entourage les vices qui étaient en lui : naguère il était de mode de philosopher, à présent il paraissait du meilleur ton de courir à toutes les folies. On dit que les deux impératrices en donnèrent l’exemple : l’une, Crispina, femme de Commode, sera, sous l’inculpation, d’adultère, reléguée dans l’île de Caprée, puis mise à mort. L’autre, Lucilla, fille de Marc-Aurèle, avait conservé de son premier mariage avec l’empereur Verus les honneurs impériaux ; au théâtre, elle était assise sur un siège royal, et, dans les rues, on portait le feu sacré devant elle[13]. Son père l’avait contrainte d’épouser, en secondes noces, le vieil et respectable Pompeianus, qu’elle trompait, dit-on ; un contemporain l’accuse d’avoir mis au nombre de ses amants jusqu’à son propre gendre. Mais Lucilla est peut-être encore, une victime de ces médisances qu’on aimait tant à colporter dans Rome, au témoignage de Tertullien qui les entendit[14]. Elle devait avoir alors bien près de quarante ans, l’âge qui, pour les femmes du Midi, n’est plus le temps de la beauté ni des folles amours.

Les écrivains qui nous ont conservé l’histoire de ce principat la remplissent de monotones récits d’exécutions sanglantes. On n’y trouve, pour ce règne de douze années, ni bonne mesure de gouvernement ni rescrit qui améliore la législation ; rien qui montre le souci de l’intérêt public ; Commode n’acheva même pas les constructions commencées par son père. Cependant l’empire tient debout par son propre poids, mole sua stat. Les marchands trafiquent, les marins naviguent, les ouvriers travaillent, et les gouverneurs veillent sur les provinces, comme si un prince sage présidait aux destinées de l’empire. Le fisc accorde encore des subventions pour relever Nicomédie ruinée par un tremblement de terre[15], pour construire un gymnase à Antioche, divers monuments à Alexandrie et constituer à Carthage une flotte africaine, classis Africana, afin de parer avec les blés d’Afrique à l’insuffisance des récoltes que la flotte d’Égypte devait apporter à Ostie[16]. Enfin les soldats continuent de prêter leurs bras pour les travaux publics. Ceux de Dalmatie relèvent un pont écroulé sur la Cettina ; le long du Danube, ils construisent des postes fortifiés pour arrêter les maraudeurs germains[17]. Si ces renseignements étaient plus nombreux, on constaterait partout le même labeur. Ce que Fénelon disait de la monarchie de Louis XIV, que la vieille machine allait encore du branle qu’on lui avait donné, pourra être dit longtemps de l’empire.

Mais on voit aussi apparaître les symptômes inquiétants. Sous la main faible et violente qui tient les rênes, la discipline romaine se relâche dans tous les ordres[18]. Au milieu de la ville, des émeutes éclatent ; le règne des soldats s’annonce par des séditions ; la guerre religieuse, par des désordres nés auprès des temples, et l’anarchie qui menacera bientôt, de dissoudre l’empire se montre par les insolents succès d’un bandit pillant impunément plusieurs provinces. Enfin l’esprit militaire s’affaiblit : les sénateurs désertent les emplois où il faut prendre l’épée. Un d’eux obtient de Commode d’être dispensé du service militaire[19].

Aux frontières, point de guerre sérieuse durant ces douze années. Une garnison romaine établie à demeure sur le Kour, dans une forteresse que Vespasien avait bâtie en ces pays lointains, tenait en respect les peuples du Caucase et couvrait contre eux l’Arménie[20]. Niger et Albinus, qui, tous deux, devaient goûter au pouvoir[21] et en mourir, semblent avoir eu à défendre la Dacie contre les Sarmates, et la Gaule contre les Frisons. En Bretagne, les Calédoniens ayant franchi la ligne des défenses romaines, Marcellus, un soldat des anciens jours, les rejeta dans leurs montagnes ; quelques mouvements dans la Maurétanie furent aussi rapidement réprimés.

Commode n’entendit même pas l’écho de ces bruits d’armes lointains. Laisser le souci des affaires publiques à son préfet du prétoire, sauf à lui envoyer, au premier soupçon, un ordre de mort ; afin de n’avoir rien à craindre des provinces, retenir en otages les enfants des gouverneurs[22], et assurer sa sécurité à Rome en accordant toute licence aux prétoriens : c’est à cela qu’il réduisit la science du gouvernement. Quant aux finances, il avait repris le système de battre monnaie avec des condamnations, une sentence capitale entraînant toujours, d’après les plus vieilles lois romaines, la confiscation des biens du condamné ; ou, comme en 188, il annonçait son prochain départ pour un voyage lointain, et, sous ce prétexte, il puisait à pleines mains dans l’ærarium. Ces précautions prises, il s’abandonnait en toute quiétude à sa passion pour les courses du cirque, les chasses et les luttes de l’amphithéâtre.

Chacun des tyrans de Rome eut sa folie particulière ou son vice dominant. Caligula se croyait un dieu ; Néron, un incomparable chanteur. Dans la bande infâme, Vitellius fut le Silène ; Commode sera le gladiateur. Il combattit sept cent trente-cinq fois dans l’arène : combats ruineux pour le trésor, qui payait chacune de ces représentations princières 250.000 drachmes[23] ; combats aussi sans péril, car tout était disposé pour que la Majesté impériale n’eût rien à craindre de l’épée des malheureux destinés à être des victimes, ni de la dent des fauves qu’on amenait souvent en cage. Sans cesse entouré d’habiles archers parthes et maures, il excella à lancer une flèche ou un javelot : un jour, cent ours tombèrent sous ses coups. A chacune de ces faciles et honteuses victoires, le sénat poussait en chœur de joyeuses acclamations : Tu es le maître, tu es le premier, tu es le plus heureux des hommes. Tu es vainqueur ; tu le seras à jamais, Amazonius le Victorieux ! Mais nous savons à quelle triste condition étaient réduits, sous de tels princes, les héritiers des maîtres du monde, leurs continuelles terreurs et leurs déshonorantes adulations[24]. Un seul, Pompeianus, le gendre et l’ami de Marc-Aurèle, osa protester contre cette dégradation en refusant de paraître à l’amphithéâtre, même au sénat. Dion déclare ne l’y avoir jamais vu, si ce n’est au temps de Pertinax. Ce chevalier d’Antioche était, le Caton du temps. La vieille Rome mettait encore son empreinte sur quelques-uns de ses nouveaux enfants.

Mais comme il était facile que la tête tournât à un jeune prince étourdi par cette épaisse fumée d’encens ! Le sénat n’est pas seul à épuiser tout le vocabulaire de la servilité ; le peuple, les soldats, font comme lui, et Commode peut entendre les acclamations des provinces répondant à celles de Rome. Les jeunes gens de Népète se cotisent pour consacrer un monument à Commode le Victorieux. Une monnaie d’Éphèse lui donne, comme autrefois à Hadrien, le surnom d’Olympios[25], et une inscription l’appelle le plus noble, le plus heureux des princes. Dans une autre, l’offrande est faite à l’Hercule romain. Aussi le dieu[26], ne respecte rien sur la terre : il ôte aux mois de l’année leurs noms, pour leur imposer les siens ; il change même ceux de Rome et de Jérusalem, qui deviennent des Colonies Commodiennes. Son règne est l’âge d’or ; du moins l’on date ainsi ses lettres impériales, ex sæculo aureo, et son jour de naissance doit être fêté par tout l’empire. Mais la fête est pour lui seul, car ce jour-là, raconte Dion, il nous faut, nous, les sénateurs, nos femmes et nos enfants, lui donner chacun deux aurei, et les décurions de toutes les villes lui doivent cinq deniers. (LXXII, 16)

Sa plus haute ambition était de ressembler au fils d’Alcmène, qui, pour lui, n’était que le dieu de la force brutale. On portait devant lui, parles rues, la massue et la peau de lion du vainqueur de l’hydre ; à l’amphithéâtre, on les posait sur une estrade dorée, et parfois il s’en servait. Dion raconte que, ayant réuni bon nombre d’estropiés et d’infirmes pris au hasard dans Rome, il les fit affubler en monstres de la Fable, avec d’immenses queues de serpent, et qu’il leur donna des éponges en guise de pierres pour se défendre contre lui, quand il se jetterait sur eux avec sa massue. Il s’imaginait renouveler ainsi les exploits d’Hercule le bruit courut même que les spectateurs lui semblaient pouvoir fort bien remplir le rôle des oiseaux de Stymphale et qu’il s’était proposé de lancer ses traits dans la foule qui garnissait l’amphithéâtre. Pour rendre cette menace toujours présente aux yeux des sénateurs, il fit placer, devant la curie, une statue qui le représentait en Hercule[27], l’arc en main et tendu. Un jour, rencontrant un homme d’une grande corpulence, il lui ouvrit le ventre pour voir tomber ses intestins. Jamais, dit l’historien qui fut témoin de ce qu’il raconte, jamais il ne se montra en public sans être taché de sang ; et Lampride ajoute : Comme il venait de frapper mortellement un gladiateur, il plongea sa main au fond de la blessure, puis l’essuya à ses cheveux[28]. C’était un boucher.

Nous voilà donc encore une fois en présence d’un fou à qui l’ivresse de la jeunesse et du pouvoir a donné l’ivresse du sang. Néron valait mieux, car, dans cet artiste grotesque, il y avait du moins une étincelle d’art, et ses fêtes babyloniennes arrivaient, dans l’infamie, à une certaine grandeur. Commode n’avait que de bas instincts et ne cherchait que de vulgaires ou hideux plaisirs. C’est pourquoi il n’y a point à s’étonner de la légende qui lui donnait pour père un héros de l’arène.

La populace est peu difficile sur le choix de ses favoris : là où elle vote, ce sont les déclamations violentes qui lui plaisent ; lorsqu’elle n’a que le droit d’applaudir, ce qu’elle aime, c’est l’adresse et la force physique. Aussi les exploits de carrefour de son empereur, qui scandalisaient les sages, la charmaient. Elle chérissait cet homme, qui lui jetait de l’or et ne quittait pas l’amphithéâtre ; qui lui donnait un autre spectacle, la terreur des grands ; et, comme intermède, de temps à autre, un cadavre à traîner par les rues. Mais la noblesse s’indignait de trembler sous un prince qui lui paraissait singulièrement petit à côté des grands empereurs de l’âge précédent. Il n’y avait plus dans le sénat, ainsi qu’au premier siècle, des rancunes de républicains ou des ambitions patriciennes. On savait à présent combien un empereur véritable était nécessaire à l’empire ; combien il fallait, dans le rang suprême, de vigilance, d’habileté, de ferme résolution pour maintenir, avec la grandeur de l’État, la sécurité de chacun et la vraie liberté de tous. Ces sentiments se montreront quand, pour remplacer le dernier des Antonins, tout le monde s’accordera dans la curie à mettre la pourpre des Césars sur les épaules du fils d’une affranchie. Dès la troisième année du règne, une conspiration se forma dans le palais même ; Lucilla en fut l’âme. Commode, sans doute, tenait à l’écart cette femme ambitieuse et jalouse de l’impératrice, qui lui ôtait le premier rang. Elle pensa qu’en remplaçant son frère par son gendre ou par Quadratus, jeune et riche sénateur qui s’était associé à ses projets, elle aurait une meilleure part du pouvoir. Pour être bien sûre de l’exécution, ce fut son gendre, un familier du prince, qu’elle chargea du coup. Comme l’empereur passait par un couloir sombre qui menait à l’amphithéâtre, le meurtrier se jeta sur lui avec un poignard, en s’écriant : Voilà ce que le sénat t’envoie. Il fut désarmé avant d’avoir frappé (183). Son imprudente parole était une sentence de mort pour nombre de sénateurs. De ce jour, les anciens amis de Marc-Aurèle ne parurent plus à son fils des censeurs silencieux, mais des ennemis dont il fallait prévenir les coups. Les beaux jours des délateurs reparurent, et les meurtres commencèrent pour ne plus s’arrêter. Lucilla, son gendre, le père de celui-ci, Quadratus et bien d’autres périrent. Un des préfets du prétoire, Tarrutenius Paternus, savant légiste qui a mérité de prendre place parmi les jurisconsultes des Pandectes, ne put être convaincu d’avoir participé au complot. Mais Pérennis, son collègue, voulait être seul chef des gardes. Il le fit nommer sénateur pour lui ôter la préfecture du prétoire, puis il l’accusa de trahison ; Paternus fut condamné avec le petit-fils du grand jurisconsulte d’Hadrien. Ce Salvius Julianus était, à l’avènement de Commode, à la tête d’une puissante armée et fort aimé de ses troupes ; il n’avait pas voulu disputer l’empire au fils de Marc-Aurèle, mais il l’aurait pu : c’était assez pour qu’il fût coupable, puisqu’il passait pour dangereux. La liste des victimes du tyran est longue ; Dion assure que, de tous ceux qui avaient joui de quelque crédit dans l’État au, temps de Marc-Aurèle, trois seulement, sous Commode, échappèrent à la mort. Comme Caligula, il ne prit souvent les têtes que pour prendre les biens et apurer ses comptes ; plusieurs femmes périrent à cause de leurs richesses.

Le sort des Quintilius frappa l’imagination des contemporains, quelque habitués et endurcis qu’ils fussent à ces scènes de meurtre : c’étaient deux frères, Troyens d’origine, renommés pour leurs richesses, leur savoir, leurs talents militaires, et qui ne s’étaient jamais séparés. Les princes, se plaisant à honorer cette amitié fraternelle, leur avaient fait courir ensemble la carrière des charges publiques : ils avaient été en même temps consuls, chefs d’armée et gouverneurs d’Achaïe, l’un servant de lieutenant è l’autre ; ils signaient tous deux les dépêches, et Marc-Aurèle sanctionnait cette illégalité touchante, en adressant à tous deux un rescrit qui se lit encore au Digeste. Commode les réunit aussi, mais dans la mort[29]. On voit encore, dans la campagne de Rome, les grandes ruines de leur palais qu’au moyen âge on appelait la Roma Vecchia. Dion raconte que, pour échapper, le fils de l’un d’eux, Condianus, avait répandu le bruit de sa mort. Simulant une chute de cheval, il s’était fait rapporter chez lui tout sanglant, et, tandis qu’un bélier brûlait à sa place sur le bûcher, il s’était enfui et caché. Plusieurs payèrent de la vie leur ressemblance avec le jeune Quintilius. Après la mort, de Commode, un faux Condianus réclama le riche héritage. Il était fort au courant de l’histoire de sa prétendue famille et répondit pertinemment à toutes les questions. Mais Pertinax, vieux professeur de grammaire, s’étant avisé de lui parler grec, il se troubla, et l’on décida qu’un homme qui faisait des fautes dans la langue d’Homère ne pouvait être un Quintilius.

Durant la guerre de Bretagne, Pérennis avait remplacé par des chevaliers les sénateurs qui commandaient les légions en ce pays. Les soldats, dit-on, s’irritèrent de ce qu’on diminuât ainsi l’éclat des grades militaires. Cette sollicitude, dans les camps de Bretagne, pour les privilèges des pères conscrits, m’est fort suspecte. Il doit y avoir eu d’autres motifs de mécontentement. On parle vaguement d’une grande sédition que Pertinax apaisa[30], après y avoir couru risque de la vie ; d’un empereur, Priscus ou Pertinax lui-même, que ces légions voulurent nommer et qui refusa. Les soldats envoyèrent quinze cents d’entre eux porter leurs plaintes à l’empereur. Inquiet à l’approche de députés si nombreux qui semblaient apporter des ordres bien plus que des prières, Commode sortit de Rome à leur rencontre : Qu’est-ce cela, camarades, leur demanda-t-il, et quel dessein vous amène ?Nous sommes venus, répondirent-ils, parce que Pérennis conspire contre toi ; il veut faire son fils empereur. Sans plus d’informations, le lâche prince livra son fidèle serviteur[31]. On le battit de verges longtemps, puis on lui coupa la tête, et sa femme, sa sœur, ses deux fils, furent égorgés (185). Les soldats venaient de défaire un ministre ; bientôt ils feront et déferont des empereurs.

On ne sait où placer la singulière histoire de Maternus[32] ; Hérodien la raconte après la chute de Pérennis. Ce soldat, ayant déserté avec quelques hardis compagnons, courut la campagne en pillant les villages. Sa troupe, organisée militairement et grossie des bandits, des condamnés auxquels il ouvrait les portes des prisons, se trouva assez forte pour s’attaquer aux villes, dont plusieurs furent mises à sac et incendiées. Il parcourut ainsi l’Espagne et la Gaule, pillant et brûlant, sans avoir rien à craindre des milices municipales qu’une longue paix et le bon ordre des provinces avaient fait tomber en désuétude. Le gouvernement dut se résoudre à envoyer contre lui des troupes régulières. Maternus n’était pas un bandit vulgaire : il résolut de tenter un grand coup. Au bruit des préparatifs faits contre lui, il divisa ses bandes, commanda à ses hommes de gagner en toute diligence l’Italie par des chemins détournés, et leur donna rendez-vous à Rome pour la fête de la Mère des dieux. Ce jour-là, les travestissements étaient autorisés. Maternus comptait revêtir, avec ses gens, le costume des gardes, s’approcher ainsi de l’empereur, le tuer et prendre sa place. Dénoncé par un complice, il fut mis à mort avec ceux des siens qu’on put découvrir.

Rien n’autorise à dire que l’audacieux bandit ne pouvait pas réussir. Dans un État où il ne se trouve entre les ambitieux et le souverain pouvoir aucune institution vivace et forte qui mette le prince à l’abri d’une surprise, un coup de poignard suffit à changer une dynastie. Nous avons déjà vu de ces catastrophes et nous en verrons bien d’autres. A cet égard, la divinité impériale n’était pas sans analogie avec le sacerdoce du temple de Diane Aricine dont le grand prêtre devait avoir tué son prédécesseur.

Un ancien portefaix devenu chambellan de Commode, l’affranchi Cléander, remplaça Pérennis dans la faveur du prince. Il avait gardé tous les vices dé la servitude, en y ajoutant l’âpreté au gain. Il vendit les charges, les provinces, les jugements : on vit plusieurs préfets des gardes en une semaine et jusqu’à vingt-cinq consuls en un an[33]. Avec une partie de cet argent, il achetait les maîtresses de Commode et Commode lui-même. Les prétoriens suivront bientôt cet exemple, mais c’est l’empire qu’ils mettront à l’encan. Les gouvernements récoltent ce qu’ils sèment.

Burrus, beau-frère de Commode, voulut l’éclairer sur ces indignités, Cléander l’accusa d’aspirer au principat et obtint contre lui un ordre de mort qui s’étendit à beaucoup de sénateurs. Il prit alors la préfecture du prétoire, qu’il consentit à partager avec deux collègues.

Cet affranchi, qu’on appelait le ministre du poignard, aurait pu continuer impunément à décimer la noblesse ; mais il laissa la populace avoir faim : elle le précipita. Depuis quelques années il y avait disette ; le prix du blé montait et les distributions étaient suspendues. Commode voulut contraindre les marchands à vendre les vivres à meilleur compte ; les denrées se cachèrent et le mal, augmenta. Un immense incendie qui rappela celui de Néron, une épidémie, qui, dans Rome seulement, enlevait deux mille personnes par jour[34], portèrent au comble l’exaspération populaire. Ces fléaux ne paraissaient pas naturels ; le peuple réclama une victime. On prétendait que Cléander amassait des blés. Nous connaissons le sort de ceux qu’en temps de disette la populace accuse d’être accapareurs. Comme on célébrait les jeux du cirque, une bande d’enfants s’élancèrent dans l’arène, avec de grands cris, ayant à leur tête une virago de taille élevée et d’aspect farouche, qui, sans doute, disparut dans la bagarre, ce qui permit aux niais et aux ennemis de Cléander de prétendre ensuite qu’une divinité avait tout conduit. Aux clameurs des enfants se joignent celles des spectateurs ; l’émotion gagne tout le monde ; on quitte les jeux et on court hors de la ville au palais Quintilien, oit Commode se trouvait. Cléander, pour arrêter cette multitude, la fait charger par des cavaliers de la garde germaine ou prétorienne ; plusieurs personnes sont tuées, d’autres blessées, et l’immense cohue est refoulée sur la ville. Afin d’en achever la dispersion, les cavaliers s’engagent dans les rues. Assaillis par une grêle de tuiles et de pierres qui tombent du haut des toits, attaqués par les soldats des cohortes urbaines qui font cause commune avec le peuple, ils reculent en désordre, et la foule revient vers la demeure impériale, mêlant à ses cris de mort contre Cléander des vœux de prospérité pour le prince. Une concubine de Commode lui montre l’émeute qui approche, le péril qu’il peut courir, le moyen de le conjurer. Commode fait tuer son favori et livre le corps à la populace. Longtemps celle-ci promena dans la ville, au haut d’une pique, la tête du tout-puissant ministre et traîna par les rues son cadavre. Son fils, un enfant en bas âge qu’on élevait à la cour, fut broyé sur le pavé. Ceux qui avaient partagé la fortune du favori partagèrent l’ignominie de sa mort ; après avoir servi de jouet à la tourbe abjecte, ils finirent aux gémonies (189)[35].

Au dernier jour des jeux, Commode, avant de descendre dans l’arène, avait remis sa massue a Pertinax. On s’en souvint plus tard et l’on y vit un signe. L’expiation, en effet, approchait. Le fils de Marc-Aurèle, que son biographe appelle plus cruel que Domitien, plus impur que Néron, était une bête fauve qui ne pouvait manquer d’être un jour ou l’autre abattue. Dans l’héritage d’une de ses victimes, Commode avait trouvé une femme à laquelle il s’attacha passionnément et dont il fit sa concubine. Cette union, sorte de mariage morganatique que la société romaine reconnaissait[36], permit à Marcia de recevoir presque tous les honneurs réservés aux impératrices[37]. Cette femme, qui paraît n’avoir manqué ni d’étendue d’esprit ni de résolution, avait pris un grand ascendant sur l’âme amollie de cet histrion imbécile : ses médailles, qui sont peut-être des portraits, annoncent un caractère viril, et l’on a vu sa décision dans l’affaire de Cléander. Elle était chrétienne[38], autant que le pouvait être une maîtresse de Commode ; du moins elle favorisa les chrétiens qui lui durent la paix dont ils jouirent sous ce règne. Mais, à faire le vide autour de leur trône, ces tyrans insensés finissent par tourner contre eux-mêmes les instruments de leur tyrannie et de leurs plaisirs. Marcia, le chambellan Eclectus, Lætus, le préfet des gardes, se sentirent menacés. Commode surprit-il quelques paroles imprudentes ? On ne sait ; mais il crut à un complot, qu’il provoqua, s’il n’existait pas encore. Hérodien raconte d’une manière trop dramatique peut-être le dernier incident qui ne fit sans doute que décider le jour de l’exécution.

La veille des Saturnales, Commode se mit en tête d’aller passer la nuit dans une école de gladiateurs, d’où il sortirait le lendemain, pour la fête du jour, armé de pied en cap et précédé de tous ses compagnons de l’arène. En vain sa femme et ses confidents firent les plus vives instances pour qu’il renonçât à cet indigne dessein ; il les congédia avec colère, et, pour en finir avec cette opposition à ses volontés, il écrivit sur des tablettes les noms des nouvelles victimes qui devaient périr la nuit prochaine : en tête étaient ceux de Marcia, de Lætus et d’Eclectus. Lorsqu’il sortit de sa chambre pour se rendre au bain, il mit ses tablettes sous le chevet de son lit. Un enfant dont les jeux amusaient l’empereur et qui errait librement partout le palais, entra dans cette chambre, aperçut les tablettes et les prit pour un jouet. Marcia le rencontra et lut la liste funèbre ; elle prévint, en toute hâte, ceux que Commode lui donnait nécessairement pour complices. Ils convinrent qu’après le bain elle présenterait au prince un breuvage empoisonné ; et, comme le poison ne produisit qu’un vomissement, ils le firent étrangler par un jeune et vigoureux athlète (31 décembre 192). Son corps, secrètement emporté du palais, fut enterré précipitamment, et l’on répandit le bruit que Commode avait été frappé d’un coup de sang. Le sénat, qui l’encensait hier, poursuivit sa mémoire de toutes les malédictions[39] ; il voulait le déclarer ennemi public et faire jeter son cadavre au Tibre : Pertinax s’y opposa ; mais on brisa ses statues et l’on traira par les rues les images que partout on relèvera, surtout en Afrique, quand Sévère l’aura fait dieu. Il avait trente et un ans, l’âge où Néron périt ; Caracalla sera tué à vingt-neuf ; Caligula l’avait été à vingt-huit ; Élagabal le sera plus tôt encore, à vingt et un. Les vrais tyrans ne vieillissent pas.

Commode a contre lui trop de choses détestables pour que nous ne lui tenions pas compte d’une bonne : il donna la paix aux chrétiens et ouvrit les prisons où son père les avait jetés[40].

A un point de vue plus général, son principat commence, pour l’histoire de l’empire, une période nouvelle. C’est la fin des temps heureux et le commencement des jours de malheur. Un seul règne avait suffi pour développer le germe funeste qui se trouvait au sein de la monarchie impériale, la prépotence des soldats. Ce mal avait déjà fait explosion à la mort de Néron, et l’empire avait failli en être brisé ; la main ferme de Vespasien, de Trajan et d’Hadrien l’avait une première fois étouffé. Il éclata de nouveau lorsque les hasards de la naissance ou de l’émeute firent arriver à la tête des légions, au lieu de princes glorieux et respectés, un gladiateur tel que Commode et un Syrien affolé de luxure comme Élagabal. Du jour où le soldat vit de près la honte de ses princes et les lâches adulations du sénat, l’autorité du commandement et de la loi civile tomba.

Dans les camps, le voisinage de l’ennemi maintenait quelque reste de l’ancienne discipline ; mais, à Rome, au milieu des séductions de la grande ville, les prétoriens avaient pris beaucoup de besoins qui exigeaient beaucoup de licence. Pertinax se les aliéna en leur défendant d’injurier et de maltraiter les citoyens. Commode, au contraire, dont ils étaient la seule défense contre la noblesse, qu’il décimait, avait pour eux des complaisances funestes, et ses défiances a l’égard des grands l’obligeaient a donner l’épée du prétoire à des parvenus, même à un affranchi. Ces généraux d’aventure prenaient à leur tour des précautions contre l’empereur. Ils cherchaient à s’assurer de leurs cohortes, et, pour cela, les composaient de gens auxquels ils pouvaient tout demander, parce que eux-mêmes ne leur refusaient rien. Ils appelaient dans les rangs, autrefois ouverts aux seuls Italiens, puis aux plus braves des provinciaux, jusqu’à des Barbares : le chef de la bande qu’on verra se ruer sur le palais de Pertinax sera un Tongrien. De tels soldats devaient s’inquiéter bien moins de l’honneur du nom romain que des avantages à tirer de la crainte qu’ils inspiraient. Ainsi l’empire n’est pas encore ébranlé ; mais, en face d’un sénat que le prince avilit et de magistrats devenus impuissants, une soldatesque turbulente et avide fera, dans l’intérêt de sa cupidité, des révolutions qui ruineront les provinces et ouvriront les frontières aux Barbares. L’ordre militaire l’emportera bientôt sur l’ordre civil. Les Antonins avaient pris leur point d’appui dans le sénat, leurs successeurs vont le prendre dans les légions, et, durant un siècle, tous, si l’on en excepte trois, seront les serviteurs plutôt que les maîtres des soldats. Les officiers, à leur tour, plieront devant les hommes qui feront les empereurs : de sorte que le pouvoir politique des armées aura pour conséquence nécessaire la perte de la discipline et, par suite, la ruine de la grande institution militaire d’Auguste et d’Hadrien[41].

 

II. — PERTINAX ET DIDIUS JULIANUS (193).

Les meurtriers de Commode se hâtèrent de choisir un empereur, Publius Helvius Pertinax, vieux général qui, dans sa verte vieillesse[42], paraissait conserver assez de vigueur pour qu’on n’eût pas à craindre de voir succéder aux excès de la jeunesse l’impuissance de la sénilité. Lætus le conduisit au camp des prétoriens.

Renommé pour sa sévérité, Pertinax ne pouvait plaire à des soldats qui regrettaient Commode, mais ils n’avaient sous la main personne à qui mettre la pourpre sur les épaules, de sorte qu’entre le prince qui ne pouvait plus rien pour eux et celui qui promettait un donativum, ils se résignèrent au fait accompli. Quant au peuple, il avait applaudi Commode ; il acclama Pertinax : c’était un spectacle et un congiaire de plus.

Avec Commode, nous avons vu qu’un fils de prince était tout arrivé ; Pertinax nous montre comment de petites gens arrivaient. Fils d’un affranchi, marchand de charbon à Alba Pompeia, en Ligurie, Pertinax avait cherché d’abord à gagner sa vie en enseignant la grammaire ; le métier n’allant pas, il demanda et obtint, par le crédit d’un patron, le grade de centurion. Son mérite l’éleva rapidement aux premiers rangs dans l’armée, par suite dans l’État. Il devint préfet d’une cohorte en Syrie, commandant, d’un escadron en Bretagne et, dans la Mœsie, commissaire de la voie Émilienne pour surveiller la distribution des pensions alimentaires[43], chef de la flottille du Rhin, receveur du fisc en Dacie avec un traitement de 200.000 sesterces, tribun légionnaire, sénateur, préteur, légat d’une légion qui se distingua sous lui dans la Rhætie et le Norique, enfin, consul. Les services qu’il rendit à l’époque de la rébellion de Cassius contre Marc-Aurèle lui valurent le commandement de l’armée du Danube, puis le gouvernement des deux Mœsies, de la Dacie et de la Syrie. Ainsi, à cinquante-quatre ans, il avait rempli des fonctions très différentes et administré quatre provinces consulaires. Ses talents ne paraissent cependant point avoir dépassé la commune mesure, et ce rapide avancement prouve que la route des honneurs était ouverte à tous ceux qui savaient y marcher.

Il n’avait pas vu Rome depuis sa nomination au sénat. Lorsqu’il y rentra, on lui reprocha d’avoir gagné de grands biens dans ses divers emplois. Il n’avait pas cru qu’il exit le devoir de s’y ruiner, et une économie sévère suffit sans doute à mettre la fortune dans sa maison[44]. Relevons deux traits à sort honneur : il garda sa mère près de lui dans ses divers commandements, et, lorsqu’il éleva de beaux édifices dans sa ville natale, il y encadra la boutique de son père, le charbonnier.

Pérennis le fit exiler ; mais Commode, à la mort de ce préfet, le rappela et le mit à la tête de la turbulente armée de Bretagne. Plus tard, il le chargea de surveiller les approvisionnements de Rome, præfectus frumenti dandi, lui donna le proconsulat d’Afrique[45] et, ce qui était le suprême honneur, la préfecture de la ville. Ces grandes charges avaient mût son expérience. Par nature, il était honnête, sans ambition et quelque peu avale, comme ceux qui ont fait difficilement leur fortune ; mais, dévoué au bien public, il aurait pris rang parmi les meilleurs princes, si on l’avait laissé vivre ou s’il avait su se défendre.

Le pouvoir l’effrayait ; il n’y avait nul goût[46]. Dans le sénat, il offrit l’empire à Pompeianus, qui avait protégé ses débuts[47], à Glabrion, qu’on disait descendant d’Énée : c’étaient des sages ; ils préférèrent lui laisser le fardeau et les périls. Quelques jours après, un autre sénateur s’étant aventuré au milieu des prétoriens, ceux-ci voulurent le faire empereur. Échappé à grande peine de leurs mains, la toge en lambeaux, il vint se réfugier au palais de Pertinax, et, pour fuir plus sûrement l’empire, s’éloigna de Rome. Ces désintéressements révèlent une situation pleine d’anxiété.

Pertinax refusa pour sa femme le titre d’augusta, pour son fils celui de césar. Il sera temps de le lui donner, dit-il, quand il l’aura mérité[48]. Tous les siens, parents et serviteurs, furent retenus dans la modestie de leur condition : il leur abandonna ses biens personnels, et lui-même resta simple dans sa vie privée. A la nouvelle de son avènement, ses compatriotes des montagnes de la Ligurie, gens âpres au gain, étaient accourus en foule pour exploiter cette fortune ; il les renvoya comme ils étaient venus. Il avait à remplir la même tâche que Vespasien, c’est-à-dire à remettre l’ordre dans l’État, dans les magistratures troublées par tant de nominations arbitraires[49], dans les finances ruinées par des prodigalités insensées : au trésor, il n’avait trouvé que 1 million de sesterces. Pour se procurer l’argent que les soldats et le peuple réclamaient, il vendit aux enchères les mignons de son prédécesseur, les complices ou les victimes de ses débauches, tout un harem, ses armes, ses vêtements de soie et d’or, ses meubles précieux et mille curiosités parmi lesquelles je note des voitures à siège mobile qu’un train articulé permettait de faire tourner aisément et qui marquaient à ‘la fois l’heure et le chemin parcouru. Il dépouilla de leurs biens les bouffons, fit rendre gorge aux affranchis et chassa du palais toutes les bouches inutiles. Les goinfres qui, sous Commode, vivaient de la table impériale ne lui pardonnèrent pas ce qu’ils appelèrent sa ladrerie, et l’on se mit bien vite à jouer de la langue contre lui. Telle était l’immensité des ressources de cet empire, que moins de trois mois d’une administration économe et sévère permirent à Pertinax de tenir la moitié de ses promesses aux prétoriens[50], de payer plusieurs dettes de l’État et de recommencer les travaux d’utilité publique. Il supprima quelques-unes des entraves qui gênaient le commerce ; il exempta d’impôts pendant, dix ans ceux qui mettraient en culture les terres désertes d’Italie, et il ramena la sécurité par la réhabilitation des victimes de Commode, le rappel des exilés, la condamnation des délateurs et la protection accordée aux citoyens contre les insolences de la soldatesque.

Mais cet ordre, cette économie, ne faisaient le compte ni des prétoriens ni du peuple. Aux premiers, il avait eu l’imprudence de défendre le port d’armes dans les rues[51], les brutalités aux passants, et de leur dire : Dans notre siècle, il s’est introduit beaucoup de désordres, qu’avec votre concours nous corrigerons, et son premier mot d’ordre avait été : militemus, combattons. Dans ces paroles, ils avaient vu l’intention de les ramener à l’ancienne discipline et au service de guerre. Au peuple, il supprima les distributions de blé que, depuis Trajan, les enfants recevaient à partir de neuf ans. Enfin il se montra peu disposé à se laisser conduire par Lætus, qui regarda cette défiance comme un présage de disgrâce et travailla dès lors en secret les cohortes prétoriennes. Une conspiration se forma, ou du moins un consulaire, Falco, fut accusé d’aspirer à l’empire ; le sénat allait le condamner, quand Pertinax jura que jamais un sénateur ne serait mis à mort sous son règne. Un esclave ayant accusé plusieurs prétoriens de complicité avec Falco, Lætus les fit tuer et rejeta sur le prince l’odieux de l’exécution. Mal payés et se sentant suspects, ils résolurent de se débarrasser de tout souci et d’un empereur avare. Trois cents d’entre eux se rendirent en armes au palais ; il s’y trouvait assez de soldats pour repousser cette poignée de factieux ; mais toute la domesticité, ceux que Dion appelle les césariens et qu’un prince économe ruinait ouvrirent les portes aux assassins. Pertinax crut les arrêter en allant sans armes au-devant d’eux. La vue du prince les contint un instant, et déjà quelques épées rentraient au fourreau, quand un Tongrien s’élança sur lui et le blessa. Aussitôt l’hésitation cesse ; tous frappent, et sa tête, mise au bout d’une pique, est portée au camp des prétoriens. Electus seul avait essayé de le défendre et était mort avec lui. Il avait régné quatre-vingt-sept jours (28 mars 193).

Il se trouvait en ce moment à Rome un sénateur, Julianus[52], fort riche et de noble extraction, car il descendait du grand jurisconsulte d’Hadrien et avait été élevé dans la maison de Domitia Lucilla, mère de Marc-Aurèle. C’était un petit esprit, d’une vanité puérile, à qui la vie n’enseigna rien. Il remplit toutefois sans déshonneur les plus hautes charges de l’État, gouverna plusieurs provinces, battit quelques tribus germaines, et, à un âge qui aurait dû être pour lui l’âge de la sagesse, soixante ans, il se laissa entraîner il l’abîme par l’ambition de sa femme, l’altière Manlia Scantilla, qui voulait changer le laticlave de son époux en un manteau de pourpre.

Quoique l’empire eût été souvent acheté, il n’avait pas encore été vendu à la criée : Rome allait voir cette honte. Pour calmer les prétoriens, Pertinax avait envoyé à leur camp son beau-père, Sulpicianus, le préfet de Rome. Ce sénateur était encore une de ces médiocrités vulgaires qui, ignorant les obligations du pouvoir, ne voient de lui que ce qui brille. Quand on lui montra la tête de Pertinax, il proposa sur l’heure aux meurtriers de leur acheter la pourpre trempée dans le sang de son gendre. Le bruit s’en répandit bien vite, et Julianus courut lui faire concurrence. Alors commença une scène sans nom et heureusement sans exemple. Julianus était sur le haut du mur, Sulpicianus dans l’intérieur, et chacun d’eux enchérissait sur l’autre. Du mur d’enceinte au prétoire allaient des messagers disant à celui-ci : Il donne tant ; qu’y ajoutes-tu ? Et à celui-là : L’autre offre plus d’argent ; promets-tu davantage ? On arriva à 5.000 drachmes ou 20.000 sesterces, et, les offres se balançant, le soldat attendait, bien sûr de tirer meilleur parti de sa marchandise ; à la fin, Julianus déconcerta son adversaire par une surenchère hardie de 1.250 drachmes. Il criait la somme du haut du mur ; il la comptait sur ses doigts pour que ceux qui ne l’entendaient pas pussent le comprendre, et il leur jetait ses tablettes où il avait écrit qu’il rétablirait la mémoire de Commode, tandis que Pertinax serait certainement vengé par Sulpicianus. Celui-ci n’osa pousser plus loin. Chaque prétorien allait donc recevoir environ 6.000 francs. Jadis, le sénat avait proclamé la vente d’un morceau du territoire de la république : c’était celle du champ où campait Annibal[53]. Nous avons raison de trouver cette scène indigne ; il faut pourtant bien avouer que ce donativum, dont on a vu l’origine, était un usage auquel un empereur n’aurait pu se soustraire. Ce qui est odieux, ce n’est pas la somme, mais l’enchère. Marc-Aurèle avait donné presque autant[54], et chez des nations très libres, même très fières, on achète encore une portion de pouvoir, sinon aux prétoriens, qui fort heureusement n’existent plus, du moins aux électeurs.

L’adjudication faite, les soldats apportèrent une échelle pour que l’acquéreur pût descendre au camp et prendre livraison des serments de ses nouveaux gardes et des ornements impériaux. Ils lui firent nommer deux préfets du prétoire, qu’ils avaient eux-mêmes choisis, puis ils ouvrirent les portes et, en ordre de bataille, les enseignes déployées, conduisirent au sénat leur nouveau chef, qu’ils saluaient du nom menaçant de Commode. Pourtant ils eurent l’attention de lui faire jurer qu’il ne garderait pas rancune à son compétiteur. Il ne fallait pas décourager ceux qui pourraient être tentés de recommencer cet honnête commerce.

Beaucoup de sénateurs tremblaient, à commencer par notre historien, Dion, qui, dans ses plaidoiries, avait eu plusieurs fois occasion de prendre Julianus à partie. Ils aimaient Pertinax, ils trouvaient son successeur ridicule et avaient horreur du marché qui venait de se conclure. Mais les alentours de la curie, la curie elle-même, étaient remplis de soldats. On se hâta de sourire au prince, de trouver fort éloquentes les niaiseries qu’il débita, et de faire les acclamations accoutumées. Julianus monta ensuite au palais ; y trouvant le souper préparé pour Pertinax, il se moqua de la simplicité des mets, en envoya chercher d’autres, et joua aux dés à quelques pas du cadavre de son prédécesseur[55] ; mais, dés le lendemain, allaient lui venir les terribles soucis d’un pouvoir contesté et, au bout de quelques jours, les angoisses d’une mort inévitable et prochaine.

Il n’avait rien promis au peuple, qui se trouva blessé dans sa dignité par cet oubli offensant. Lorsqu’il se présenta le lendemain à la curie, la foule l’accueillit avec de grands cris, l’appelant usurpateur et parricide. Il prit d’abord la chose doucement et leur assura qu’il donnerait de l’argent. Nous n’en voulons pas, s’écrièrent-ils, saisis d’un désintéressement inaccoutumé, nous ne l’acceptons pas ! Alors il les fit charger par les soldats, qui en tuèrent plusieurs ; les autres se sauvèrent par la ville et se réfugièrent au Cirque. Dion prétend qu’ils y restèrent une nuit entière et le jour suivant, invoquant les dieux et, ce qui eût été lus sûr, les chefs militaires, surtout Pescennius Niger ou le Noir, qui était alors bien loin au fond de la Syrie. On les y laissa, et l’impuissante émeute tomba d’elle-même.

Cependant la Monnaie impériale frappait des médailles représentant le nouveau prince la tête couronnée de lauriers, avec cette légende menteuse : Rector orbis ; sur d’autres on gravait la légende : Concordia militaris ; mais, du monde, Julianus ne possédait que l’espace occupé par le palais où il venait d’entrer, et la concorde militaire n’existait que contre lui. Les légions des frontières venaient d’apprendre ce que rapportait une élection d’empereur, et elles n’entendaient pas laisser aux seuls prétoriens les avantages de ce trafic profitable. De puissantes armées, composées chacune de trois légions, occupaient la Bretagne, la Pannonie Supérieure[56] et la Syrie sous des généraux renommés, Albinus, Sévère et Pescennius Niger. Lorsqu’on y apprit qu’en trois mois deux empereurs avaient été assassinés et qu’un troisième avait brocanté l’empire, il y eut un soulèvement de dégoût contre le sénat qui avait tout accepté. Ce sentiment se montrait surtout dans les camps du Danube, où Pertinax avait commandé et laissé d’honorables souvenirs.

On revit alors ce qui s’était passé d la mort de Néron. Deux de ces armées, celle de Pannonie et de Syrie, proclamèrent leurs chefs (avril 193), et la troisième en eût fait autant sans d’habiles négociations de Sévère avec Albinus. En même temps que Sévère s’assurait la neutralité de l’armée de Bretagne, il gagnait l’assistance des légions voisines de son commandement, de sorte qu’en peu de jours il se trouva avoir dans les mains près de la moitié des forces militaires de l’empire[57]. II avait donc déjà cause gagnée quand il prit la route de Rome, précédé de la déclaration qu’il y portait la vengeance de Pertinax[58]. De secrets émissaires avaient fait sortir ses enfants de la ville avant que la nouvelle de son élévation à l’empire y parvînt.

Julianus le fit déclarer ennemi publie par le sénat et commença des préparatifs. On se mit à remuer de la terre pour creuser un fossé en avant de Rome ; on fit venir les gladiateurs de Capoue, gens de sac et de corde, sur lesquels il ne fallait pas compter ; on appela les soldats de la flotte de Misène, qui prêtèrent à rire par leur maladresse à manier le javelot, et on arma en guerre les éléphants du Cirque, qui jetaient à terre les tours dont on voulait les charger. Julianus fit môme barricader le palais impérial, en signe de la résistance désespérée qu’il opposerait à l’ennemi jusque dans Rome forcée. Les prétoriens auraient dû donner l’exemple ; mais ils étaient riches, habitués à vivre mollement et payaient pour qu’on fit leur besogne, tout en insultant le peuple dont ils étaient la terreur[59]. En gage du maintien de son alliance avec eux, Julianus fit tuer Lætus et Marcia, les meurtriers de Commode. En même temps il consultait les magiciens, immolait des enfants pour lire l’avenir dans leurs entrailles et dépêchait des assassins à Sévère[60], des sénateurs à son armée pour la débaucher, et le préfet du prétoire à Ravenne, afin de mettre en état de défense cet avant-poste de Rome où stationnait la flotte de l’Adriatique. Mais Sévère se gardait bien et avançait vite. Proclamé à Carnuntum, près de Vienne, le 13 avril, il avait dû employer dix ou douze jours à négocier avec les légions de la haute Germanie et à mettre son armée en mouvement. Cependant il arriva aux environs de la capitale avant le 1er juin, de sorte que ses troupes eurent à faire, de Vienne à Rome, en moins de sept semaines, 266 lieues, ou 6 lieues et demie par étape, sans s’arrêter un seul jour. Cette marche rapide d’une armée nombreuse entrant à l’improviste en campagne prouve l’abondance des provisions que l’agriculture et le commerce pouvaient instantanément réunir, le bon état des chemins et la soumission des provinces, c’est-à-dire la prospérité et le calme de l’empire durant les orages de Rome. Elle prouve aussi la discipline maintenue par Sévère dans ces légions auxquelles il pouvait imposer de telles fatigues sans qu’elles fissent entendre un murmure.

Cette rapidité déjouait toute résistance. Sévère franchit, sans trouver d’obstacles, les Alpes, l’Adige et le Pô, entra dans Ravenne avant le préfet envoyé de Rome, et fit passer les députés du sénat de son côté. Ainsi Julianus voyait se resserrer chaque jour l’étroit espace où il lui était encore permis de régner et de vivre.

Les dernières nouvelles le firent tomber dans l’accablement. Inquiet, irrésolu, il demandait des conseils, que le sénat se gardait de lui donner ; il offrit l’empire à Pompeianus, qui répondit : Je suis trop vieux, et ma vue est trop faible. Réduit au misérable espoir de se concilier son terrible adversaire en lui mendiant la vie et une part de pouvoir, il voulait, comme autrefois Vitellius, qu’on envoyât les vestales au-devant de Sévère, puis qu’on le nommât son collègue[61].

Les Pères se hâtèrent cette fois de déférer à son désir, et il fit porter le sénatus-consulte au nouvel Auguste par un des préfets du prétoire qu’on soupçonna de méditer, sous ces apparences de paix, un assassinat. Le décret qu’il apportait fut dédaigneusement rejeté et lui-même mis à mort.

Cependant, afin d’éviter d’ensanglanter Rome par un grand combat comme au temps de Vespasien, Sévère y préparait un mouvement en sa faveur. Il écrivait aux magistrats ; il envoyait des édits, qu’on affichait ; il nommait un préfet du prétoire, que Julianus tremblant reconnaissait, et il faisait annoncer aux prétoriens qu’il leur promettait le pardon s’ils livraient les meurtriers de Pertinax. Aussi lâches que leur prince, les gardes se saisirent des trois cents, puis vinrent dire au consul Messalla que leurs camarades étaient enchaînés : c’était la fin. Aussitôt, dit Cassius, Messalla nous réunit et nous exposa ce que les soldats avaient fait. Alors nous décrétâmes la mort de Julianus ; nous donnâmes les droits impériaux à Sévère et les honneurs divins à Pertinax. Julianus fut tué dans son lit. Il ne dit que ces mots : Quel mal ai-je fait ? (2 juin 193.) Il avait tenu l’empire soixante-six jours[62] et ne méritait pas de le tenir davantage. C’était trop déjà qu’il eût inscrit son nom sur la liste des empereurs. L’histoire doit, à son tour, faire justice de ces aventuriers qui ne veulent le pouvoir que pour en jouir : l’ambition dont on n’a pas les talents est un crime[63].

 

III. — SÉVÈRE ; GUERRES CONTRE NIGER, ALBINUS ET LES PARTHES.

Enfin nous retrouvons un homme ! Mais cet homme, dur aux autres et à lui-même, justifiera son nom par d’inexorables sévérités : ce sera un justicier à la façon de Tibère et de Louis XI.

Depuis l’extinction de la maison des Césars, on a vu des empereurs italiens, espagnols et gaulois ; le tour des Africains est venu. Lucius Septimius Severus était né à Leptis, le 11 avril 146, dans une famille décorée depuis longtemps de l’angusticlave, sans que cet honneur lui eût fait abandonner la province où étaient ses biens, son influence, et où avait commencé son illustration. Cependant un de ses membres avait acquis à Rome assez de notoriété, dès le temps de Domitien, pour que Stace le célébrât dans ses chants[64]. Mais ce Sévère, bien différent du nôtre, est appelé par le poète le doux Septimius. Le futur empereur resta jusqu’à sa dix-huitième année dans la Tripolitaine, s’y instruisant dans les lettres grecques et latines, sans oublier l’idiome paternel, dont il garda toujours l’accent, de sorte que Rome allait avoir un empereur parlant la langue d’Annibal[65]. Il n’en rougissait pas ; le grand Carthaginois était son héros : il lui fit élever une statue de marbre. Fort crédule, comme tous ses contemporains, aux présages, il était aussi très résolu à se mettre en état de répondre un jour aux avances de la fortune[66], ce qui est le meilleur moyen de réaliser les songes.

A Rome, il étudia le droit sous un jurisconsulte éminent, Q. Scævola. La gravité de son caractère se montra par l’affection qu’il conçut dans cette école fameuse pour un autre élève de Scævola, qui devait éclipser le maître. Cette liaison dura toute la vie des deux condisciples, et l’amitié de Papinien protège près de nous la mémoire de Sévère. Trois de ses oncles avaient été consuls ; l’un d’eux lui fit obtenir la questure, par conséquent l’entrée au sénat (172). C’était la carrière des honneurs qui s’ouvrait pour lui à vingt-sept ans ; nous ne l’y suivrons pas : ce cursus honorum est connu, et le prince seul nous intéresse. Disons seulement qu’il fut consul suffectus sous Commode en 189.

Pendant que Julianus mourait à Rome, Sévère approchait de cette ville. Le sénat envoya au-devant de lui jusqu’à Interamna, à 20 lieues de Rome, cent de ses membres pour lui renouveler son serment de fidélité.

Il les reçut entouré de six cents de ses plus dévoués soldats qui avaient charge de veiller sur les suspects. Introduits au milieu de ce cortége menaçant, les députés durent se laisser fouiller, afin qu’on s’assurât qu’ils ne cachaient pas d’armes. Après cet affront, chacun d’eux fut, il est vrai, gratifié de 80 pièces d’or (plus de 2.000 francs), mais cette première rencontre du sénat et du prince n’inaugurait pas un règne de mutuelle confiance ; on verra que les rivaux de Sévère trouveront toujours des partisans parmi les pères conscrits.

Les meurtriers de Pertinax étaient déjà décapités ; aux autres prétoriens, Sévère ordonna de venir à sa rencontre jusqu’à un lieu indiqué où les légions d’Illyrie les entourèrent en silence, pendant qu’une autre troupe allait, par des chemins détournés, occuper la vraie citadelle de la Rome impériale, leur camp fortifié, entre les portes Viminale et Colline. Sûr alors de les tenir à sa merci, il monte à son tribunal ; il leur reproche, avec des paroles irritées, leur perfidie envers le dernier prince, puis leur commande de jeter leurs armes[67], leurs baudriers et jusqu’à leurs ceintures militaires. Ces inutiles soldats, naguère si vains dans leur splendide accoutrement de guerre, qui tant de fois avaient fait trembler le prince, le sénat et Rome, se trouvaient vaincus sans combat. Dégradés sous les rires moqueurs des légionnaires, bafoués du peuple, qui voyait réduits à la simple tunique ces pourfendeurs redoutés, ils s’éloignèrent en se cachant ; peine de mort fut prononcée contre ceux qui, après quelques jours, seraient rencontrés en deçà de la centième borne milliaire. De honte, quelques-uns se tuèrent.

Les cohortes prétoriennes étaient licenciées. Mais Sévère se hâtera de les reconstituer en les composant autrement. Avant lui, elles se recrutaient surtout en Italie[68] ; il décidera qu’on y appellerait, à titre d’avancement et de service d’honneur, les soldats d’élite de toutes les légions. Cela était bon ; les gardes des souverains modernes sont ainsi formées. Puisque, depuis un siècle, les provinciaux donnaient à Rome des empereurs, il était naturel qu’ils lui donnassent aussi des prétoriens. Sévère emploiera les nouvelles cohortes dans toutes ses guerres, mais il leur laissera le caractère de garnison permanente de Rome ; le danger restera donc le même. Nous verrons s’il l’augmenta en portant, comme on l’a dit, le nombre des prétoriens à quarante mille.

Aux portes de la ville, écrit Dion Cassius, Sévère descendit de cheval et quitta l’habit de guerre pour entrer dans Rome ; mais toute son armée le suivait. Ce fut le plus magnifique spectacle que j’aie jamais contemplé. Dans la ville entière, on ne voyait que couronnes de fleurs et de laurier ; les maisons, ornées de tapis de diverses couleurs, resplendissaient du feu des sacrifices et de l’éclat des flambeaux. Les citoyens, vêtus de blanc, poussaient de joyeuses acclamations, et les soldats s’avançaient dans un ordre martial, comme s’ils accompagnaient un triomphe. Pour nous, nous marchions en tête du cortége, avec les ornements de notre dignité[69].

En même temps, des agents du prince, répandus dans, les groupes populaires, racontaient tous les signes qu’il avait eus de sa grandeur future. Les soldats sont fatalistes et ont besoin de l’être ; Sévère croyait fermement aux présages, mais il voulait surtout qu’on crût à ceux qui lui étaient favorables. Dans les Mémoires de sa vie, que nous avons perdus, il avait rapporté avec complaisance les signes célestes, les songes, les oracles, qui lui avaient prédit la fortune, et il les fit représenter en des tableaux qu’il exposa dans Rome, afin de montrer au monde que les dieux eux-mêmes avaient annoncé, et par conséquent voulu, l’avènement de la nouvelle dynastie impériale.

Dion a raison de nous donner l’entrée de Sévère à Rome comme un triomphe. C’était, en effet, la victoire définitive, et, cette fois, sans voiles, du pouvoir militaire ; mais, à l’honneur de Sévère, c’était aussi une victoire sans larmes : un petit nombre de coupables avaient seuls péri[70].

Le caractère du nouveau règne se révéla bientôt. Sévère eut beau se montrer au sénat fort civil[71], déclarer qu’il prendrait Marc-Aurèle et Pertinax pour modèles, faire solennellement la promesse de ne jamais mettre à mort un membre de la haute assemblée, la licence des soldats prouva ce que valaient ces paroles. Sentant qu’ils étaient les vainqueurs du jour, ils traitaient Rome en ville conquise. Ils s’établissaient dans les temples, sous les portiques, dans les palais, comme en des hôtelleries, prenaient chez les marchands ce qui était à leur convenance et, à toute demande de payement, montraient l’épée. Pendant que Sévère, entouré de ses amis en armes, haranguait les Pères à la curie, ils vinrent avec cris et menaces réclamer du sénat 10.000 sesterces pour chacun d’eux. C’était ce qu’avaient eu les soldats d’Octave, et ils croyaient avoir gagné une nouvelle bataille d’Actium qui leur méritait pareille récompense. Quoique Sévère leur eût déjà donné beaucoup[72], il eut peine à obtenir qu’ils se contentassent de 1.000 sesterces.

Quelques jours après, on célébra les funérailles de Pertinax. Sévère avait ordonné qu’il lui serait élevé un sanctuaire, qu’il aurait, au Cirque, une statue d’or, et qu’on invoquerait son nom dans toutes les prières, dans tous les serments. Sur le Forum, on construisit un édifice avec péristyle orné d’ivoire et d’or, au milieu duquel on plaça sur un lit couvert de tapis d’or et de pourpre l’image de Pertinax en costume triomphal. Comme s’il n’eût été qu’endormi, un jeune et bel esclave écartait les mouches de son visage de cire avec des plumes de paon. Le prince et nous, les sénateurs, avec nos femmes, tous en habits de deuil, nous vînmes prendre place, les femmes assises sous les portiques, nous à découvert, et le défilé commença. D’abord passèrent les statues des Romains qu’on vénère depuis les plus vieux temps ; des chœurs d’enfants et d’hommes qui chantaient un hymne funèbre ; des bustes d’airain représentant tous les peuples soumis avec leurs costumes nationaux. Parurent ensuite les bustes de ceux qui s’étaient distingués par leurs découvertes, et les bannières des corporations[73], l’infanterie, la cavalerie, les chevaux du Cirque, enfin un autel doré, garni d’ivoire et de pierres précieuses.

Après ce défilé pompeux, Sévère monta sur la tribune aux harangues et lut un éloge de Pertinax, que nous interrompîmes souvent par nos acclamations. Nous redoublâmes, quand il eut fini, en laissant éclater nos gémissements et nos sanglots. Les magistrats en charge enlevèrent alors le lit funéraire et le remirent aux chevaliers, pour qu’il fût porté au Champ de Mars, où s’élevait le bûcher. Une partie d’entre nous marchaient en avant ; quelques-uns se frappaient la poitrine ; d’autres chantaient au son des flûtes un chant funèbre l’empereur venait le dernier.

Le bûcher, en forme de tour à trois étages, orné d’or, d’ivoire et de statues, portait au sommet un char doré que Pertinax conduisait. Le lit y ayant été placé avec tout ce qu’il est d’usage de déposer auprès du mort, Sévère et les parents de Pertinax embrassèrent son image. Alors les magistrats avec leurs insignes, l’ordre équestre, la cavalerie et l’infanterie, défilèrent autour du bûcher (decursio) ; puis les consuls y mirent le feu, et un aigle s’en échappa, prenant son essor vers les cieux. C’est ainsi que Pertinax fut mis au rang des immortels[74].

Dion est un mauvais écrivain. Nous lui avons pris cependant cette page, comme tableau des coutumes romaines. On voit que, dans ces funérailles impériales, les sénateurs jouaient le rôle des pleureuses à gages dans les cérémonies ordinaires. Ce peuple grave aimait les cris, les gestes, l’expression forcée de la douleur et de la joie, même lorsque ni l’une ni l’autre n’était sincère ; et ses descendants les aiment encore.

Des deux compétiteurs du nouveau prince, Albinus et Niger, l’un avait été retenti dans l’inaction par de trompeuses promesses ; l’autre, à la tête de neuf légions et de nombreux auxiliaires, s’était fait reconnaître par toute l’Asie romaine, et, dans les villes grecques, il faisait frapper des monnaies avec des légendes latines qui lui promettaient la victoire et l’éternité, Æternitas Augusta et Invicto Imperatori[75]. Il avait même pris pied en Europe par l’occupation de Byzance, et ses troupes marchaient sur Périnthe.

Le respect des adversaires n’était pas une vertu antique ; les empereurs rivaux s’insultaient, comme les héros d’Homère, avant le combat. Ce n’est qu’un bouffon d’Antioche, avait dit Sévère de son rival. Au fond, il l’estimait fort[76] et le tenait pour un adversaire redoutable. Niger, en effet, soldat de fortune, avait passé par les grades en méritant les éloges de Marc-Aurèle, de Commode et de Sévère lui-même. C’était un gardien vigilant de la discipline. Un jour il lit lapider deux tribuns qui s’étaient ménagé des profits sur la nourriture des troupes[77], et, sans les prières de l’armée, il eût fait décapiter des soldats qui avaient volé une poule. Une autre fois, ses légionnaires demandaient du vin. Vous avez de l’eau, leur dit-il, n’est-ce pas assez ? Jamais, sous lui, le soldat n’exigea des provinciaux du bois, de l’huile ou des corvées. Dans Rome, où l’on se souvenait qu’il était Italien, il comptait des partisans[78], et ses manières affables l’avaient fait aimer partout où il avait commandé. Dion prête sans doute à la foule ses sentiments et ceux d’une partie du sénat, lorsqu’il montre le peuple, à la suite d’une rixe avec les soldats de Julianus, appelant Niger au secours de la république. Dans tous les cas, les vœux du peuple-roi ne valaient pas une bonne épée, et, s’ils ont été exprimés, ils ont irrité Sévère sans servir Pescennius. On a reproché son indolence au gouverneur d’Antioche et des molles provinces de Syrie ; mais, avant même que son rival eût quitté Rome, de promptes et habiles mesures lui avaient assuré l’Asie et l’Égypte, ouvert l’Europe, garanti la neutralité des Arméniens, le secours des princes et des chefs arabes de la Mésopotamie, même des alliances au delà du Tigre[79]. Il n’avait donc pas oublié dans les délices de Daphné, la terrible partie qu’il s’était résolu à jouer.

Sévère avait chargé ses lieutenants d’organiser la résistance dans la Thrace, la Macédoine et la Grèce, et une légion envoyée en Afrique gardait pour lui ce grenier de Rome. Cependant il n’avait pas un moment à perdre. Aussi, trente jours après être entré dans Rome, il en sortit pour aller mettre l’ordre dans les provinces orientales. Il laissait derrière lui le sénat en défiance, mais le peuple repu de fêtes et dans la joie d’une moisson abondante[80]. Depuis plus d’un mois ; ses troupes s’acheminaient vers la Propontide. Elles arrivèrent à temps pour sauver Périnthe et refouler l’ennemi sur Byzance, dont Marius Maximus forma aussitôt le blocus[81]. Des négociations ouvertes par Niger ayant échoué[82], le reste de l’armée franchit l’Hellespont sur les flottes de Ravenne et de Misène, sans que Niger paraisse lui en avoir disputé le passage, et remporta, près de Cyzique, une première victoire, puis une seconde aux environs de Nicée, où Niger combattit en personne.

Cinq siècles auparavant, Alexandre avait conquis, non loin de ces lieux, l’Asie Mineure. La double défaite de Niger le rejeta, comme Darius l’avait été après la bataille du Granique, jusqu’au delà du Taurus. Il éleva dans les gorges de la montagne, aux portes Ciliciennes, des retranchements qu’il crut inexpugnables ; un torrent grossi par un violent orage y fit une brèche par où les Illyriens passèrent. Dans la troisième action, engagée prés d’Issus, les légions asiatiques, malgré l’avantage du nombre et d’une position dominante, ne purent soutenir le choc et perdirent vingt mille hommes. Niger s’enfuit à Antioche, et il allait demander aux Parthes un asile, lorsqu’il fut pris et décapité. Sa tête, portée au camp devant Byzance, fut exposée aux regards des assiégés, et cette vue ne les intimida pas (194). Comme dans presque toutes les batailles entre les légions d’Europe et d’Asie, celles-ci avaient été vaincues.

Sévère semble n’avoir été présent à aucun de ces combats, non par crainte, mais par confiance en ses généraux, et sans doute afin de rester à portée des courriers d’Italie et de Gaule qui pouvaient lui apporter la nouvelle de quelque orage se formant à l’Occident[83].

Plusieurs villes d’Orient s’étaient mêlées à cette guerre civile pour satisfaire les passions locales et ces jalousies invétérées dont toute l’histoire dépose. Ainsi Nicée, Laodicée, Tyr et Samarie avaient pris le parti de Sévère, parce que Nicomédie, Antioche, Béryte et Jérusalem s’étaient déclarées pour son rival. Dans la Palestine, les Juifs et les Samaritains s’étaient battus avec acharnement. En Occident, Albinus va trouver cent cinquante mille Bretons, Espagnols et Gaulois pour suivre sa fortune, tandis que d’autres suivront celle de Sévère.

Ainsi en arrivait-il chaque fois que l’autorité impériale se divisait. Sans Rome et l’unité de commandement, le monde serait retombé dans le chaos : vérité qu’il ne faut jamais perdre de vue dans l’histoire de l’empire romain et qui est sa justification devant l’histoire.

Niger vaincu, ses partisans furent punis, ses adversaires récompensés ; c’était dans l’ordre habituel et c’est dans l’esprit de tous les temps. Antioche, qui avait frappé des médailles en l’honneur de l’imperator asiatique, perdit ses privilèges et son titre de métropole, dont Laodicée hérita pour toute la durée du règne de Sévère[84]. Cette ville, Tyr, Héliopolis ou Baalbek, d’autres encore, obtinrent le titre de colonies avec le jus Italicum[85]. Cependant Sévère pardonna aux Juifs qui s’étaient prononcés pour Niger[86] ; mais Naplouse perdit son droit de cité, tandis que Samarie obtenait le rang et les privilèges d’une colonie romaine.

Le siège de Byzance, qui dura près de trois ans[87], est resté aussi fameux que ceux de Tyr et de Carthage, de Rhodes et de Jérusalem. Dion décrit la puissante enceinte de la ville, ses tours garnies d’engins redoutables, son port fermé par une chaîne et dont le courant du Bosphore rendait l’attaque difficile, ses navires enfin à double gouvernail qui, changeant de route sans évoluer, tombaient soudainement sur les galères romaines qu’ils avaient paru fuir, et les brisaient de leur éperon. La supériorité de la défense sur l’attaque était alors si grande, que cette ville, entourée d’une armée nombreuse et menacée par toutes les flottes de l’empire, ne put être forcée. Il fallut attendre que, la famine fit tomber les armes de ces braves gens. Un grand nombre d’entre eux périrent en essayant, au dernier jour, de s’échapper ; le reste, après s’être nourri d’objets immondes, même de chair humaine, ouvrit les portes. Les chefs, les soldats, furent égorgés, les murailles abattues, et Byzance, déchue de son rang de cité libre, devint un simple bourg du territoire de Périnthe. Un compatriote de Dion, l’ingénieur Priscus, avait dirigé cette belle défense. Il fut, comme les autres, condamné à mort ; mais Sévère le gracia pour l’attacher à son service.

Les amis du prétendant partageaient donc son malheur comme ils auraient partagé sa bonne fortune. Niger n’aurait pas été plus clément ; car, après la bataille de Cyzique, il avait fait mettre à sac, par ses cavaliers maures[88], des villes qui s’étaient prononcées pour le vainqueur. Du moins Sévère, fidèle encore à son serment, ne fît mourir aucun de ceux qui étaient de rang sénatorial[89] : ils furent dépouillés de leurs biens et relégués dans les îles. D’autres, qui avaient fourni de l’argent, payèrent une amende du quadruple. Dion accuse Sévère d’avoir suscité des délateurs et condamné des innocents. Son texte, très mutilé en cet endroit, ne permet pas de discuter ce fait, qui d’ailleurs n’aurait pas étonné un peuple habitué, par un long usage, aux vengeances politiques. Mais il y a une autre conclusion à tirer du trait suivant. Un sénateur, Cassius Clemens, cité au tribunal du prince, dit pour sa défense : Je ne te connaissais pas plus que Niger ; me trouvant pris dans son parti, j’ai obéi à la nécessité, non pour te combattre, mais pour renverser Julianus. Je poursuivais donc le même but que toi. Si, plus tard, je n’ai pas abandonné le chef que les dieux m’avaient donné, toi, non plus, tu n’aurais pas voulu qu’aucun de ceux que voilà près de toi, pour me juger, te trahit en passant à ton rival. Examine donc bien la chose en elle-même. Tout ce que tu décideras contre moi sera décidé contre toi et tes amis, car la postérité dira que tu nous as fait un crime d’une conduite semblable à la tienne. Sévère, charmé de cette hardiesse, lui ôta seulement le quart de ses biens : demi justice qui parut une grande indulgence. Durant la lutte, on lui avait entendu dire qu’il pardonnerait à Niger si celui-ci prévenait sa défaite par une abdication ; et il n’est pas certain qu’il n’eût pas tenu cet engagement, car, après la victoire, il se contenta d’exiler la femme et les enfants du malheureux prince ; à Rome, il respecta ses statues et leurs fastueuses inscriptions. Si ces éloges sont véridiques, dit-il à ceux qui lui conseillaient de les effacer, et ils le sont, on saura quel ennemi nous avons vaincu. Enfin, il accorda une amnistie aux soldats et en ramena ainsi un grand nombre qui s’étaient réfugiés chez les Parthes. Sévère n’était donc pas toujours l’homme sans entrailles que l’histoire habituelle nous montre. Il finit même par accorder des faveurs à cette ville de Byzance qui avait si longtemps tenu sa fortune en échec. La position en, était trop belle pour qu’un prince intelligent n’y laissât que des ruines[90]. Il aida à la relever, y bâtit des thermes, un temple du Soleil, un autre d’Artémis, un amphithéâtre, un hippodrome, etc., en avant soin, dit un ancien, d’acheter aux propriétaires les maisons et les jardins dont il avait besoin pour ses constructions[91]. Il lui accorda des subventions sur son trésor militaire et lui permit de prendre le nom de son fils. Jusqu’à la mort de Caracalla, Byzance fut la cité Antonine[92].

Le justicier impitoyable des alliés de Niger se faisait le bienfaiteur de sujets redevenus fidèles.

Philostrate[93] donne une autre preuve de son esprit de justice, et ce fut un Byzantin qui en profita. Le siège de la ville durait encore, quand un de ses habitants, acteur renommé, mérita aux jeux Amphictyoniques le prix de déclamation tragique. Les juges n’osèrent le lui donner ; on réclama auprès de Sévère, qui le lui adjugea. La chose est petite, mais, pour des anciens, la sentence ne l’était pas.

Pendant le siège de Byzance, Sévère avait réglé les affaires de Syrie et puni les gens de l’Osrhoène, quoiqu’ils se vantassent d’avoir égorgé les fugitifs d’Issus, réfugiés chez eux. L’empire entretenait quelques garnisons au delà de l’Euphrate.

Pour raffermir en ces pays l’autorité impériale ébranlée par la guerre civile et punir les alliés que Niger y avait trouvés, il mena ses légions dans la haute Mésopotamie, où, depuis la grande expédition de Cassius en 165, aucune armée romaine n’avait paru. Il lança encore en avant ses généraux, qui eurent aisément raison, sur les deux rives du Tigre, des Arabes et des Adiabéniens. Il lui convenait d’étouffer le bruit des batailles civiles par le retentissement de victoires remportées sur l’étranger. Mais il était trop prudent pour s’engager à fond clans ces lointaines régions avant d’avoir réglé les affaires des provinces occidentales. De sa personne il s’arrêta dans Nisibe, place de sûreté donnée par les Parthes aux Juifs, nombreux dans ces contrées et que ceux-ci avaient fortifiée avec soin[94]. Située sur les dernières pentes du mont Masius, à mi-chemin de l’Euphrate et du Tigre, Nisibe allait être le centre de la défense de cette région et le boulevard à la fois de la Syrie et de l’Arménie méridionale, contre les Parthes et les Perses.

Cette guerre n’avait pas pris de trop grandes proportions[95], et, quoi que pense Dion de l’occupation de Nisibe qui coûte plus qu’elle ne rapporte, cette politique était sage. Finir ainsi une guerre civile à la veille d’une autre qu’on pouvait aisément prévoir, c’était agir en prince préoccupé avant tout des intérêts de l’État.

Sévère était encore en Mésopotamie au printemps de 196, quand l’annonce de la reddition de Byzance lui arriva. Cette nouvelle décida son retour en Europe, où le rappelaient d’ailleurs les soucis qu’Albinos commençait à lui causer. Il l’avait adopté comme fils[96], lui avait reconnu le titre de césar[97], c’est-à-dire d’héritier présomptif, et l’avait désigné pour prendre, avec lui-même, possession du consulat l’année suivante. On frappait en son honneur des monnaies avec ce titre ; on lui dressait des statues, et les sacrifices étaient offerts au nom des deux empereurs[98]. Avant de partir pour l’Orient, il lui avait écrit : L’État a besoin d’un homme tel que toi, d’une naissance illustre et dans la force de l’âge. Moi, je suis vieux, attaqué de la goutte, et mes fils sont encore des enfants[99]. Mais, depuis trois ans, Albinus était laissé en dehors de toutes les affaires sérieuses. Sévère avait gardé pour lui seul la plénitude du pouvoir, même dans les plus petites choses. Il se peut qu’une inscription relatant des travaux ordonnés par lui, du fond de l’Asie, dans une obscure cité du Latium, soit fausse[100] ; mais nous avons le texte d’un rescrit qu’il envoya des bords de l’Euphrate au sénat de Rome touchant la tutelle des biens des pupilles[101]. Ainsi un autre conquérant se plaisait à dater ses décrets de Varsovie ou de Moscou, à 600 lieues de sa capitale et de son gouvernement. Albinus, réduit à d’inutiles honneurs, voyait grandir les fils de Sévère, et il ne lui fallait pas beaucoup de prévoyante pour s’assurer que ces enfants devenus hommes lui seraient de redoutables compétiteurs. Ses trois légions de Bretagne lui étaient dévouées ; celles des Gaules et de l’Espagne[102], qui seules n’avaient point fait d’empereur, devaient être désireuses de s’associer à la fortune d’un nouveau prince. A Rome, les anciens amis de Pescennius, tous ceux que Sévère inquiétait, avaient reporté sur Albinus leurs espérances. On vantait sa naissance illustre, on opposait la douceur du César à la dureté de l’Auguste, on croyait qu’avec lui le sénat reprendrait son autorité[103], et quelques-uns des sénateurs les plus considérables l’engageaient à profiter des embarras de Sévère en Orient pour mettre la main sur Rome et sur l’Italie. Les lettres trouvées plus tard dans les papiers d’Albinus révélèrent ces secrètes intrigues. Des médailles donnent même à penser qu’un certain nombre de pères conscrits allèrent rejoindre Albinus, et qu’il en composa un contre sénat, comme autrefois Pompée avait fait en Grèce, Scipion en Afrique, et comme Postumus fera plus tard en Gaule[104].

Sévère ne pouvait ignorer ces dispositions de la noblesse romaine, et il devait être depuis longtemps en défiance, bien qu’Albinus lui eût encore envoyé en 195 de grandes sommes pour l’aider à secourir les villes d’Asie ruinées par Niger. Comme il regagnait l’Italie par la vallée du Danube, il lui arriva, près de Viminacium, des nouvelles de Bretagne et de Rome qui le décidèrent à brusquer l’inévitable rupture[105] : sans doute l’annonce qu’Albinus avait pris le titre d’auguste et se préparait à descendre en Gaule. Sévère venait de sortir victorieux de deux guerres et de traverser deux fois les plus riches provinces de l’empire ; il avait donc donné à ses soldats de la gloire, et il pouvait leur donner de l’or. Aussi eut-il peu de peine à leur faire déclarer Albinos ennemi public et proclamer son fils aisé césar et prince de la jeunesse sous le nom d’Aurèle Antonin[106]. Lui-même avait déjà pris le titre de fils de Marc-Aurèle[107]. Enfin il a trouvé un père, disaient ceux que blessait cette fortune d’un parvenu[108]. Mais ce n’était pas une simple usurpation de nom. Il avait dû être procédé à une véritable adoption, accomplie suivant les formes légales, car Sévère tenait à ce qu’elle eût tous ses effets civils. Il manquait naturellement à la cérémonie son principal acteur, le père adoptif, mort depuis quinze ans. Mais, d’une manière ou d’une autre, l’omnipotence impériale leva cette difficulté, comme Galba l’avait fait pour Pison, qu’il adrogea[109] sans assemblée curiate, en vertu de sa charge de souverain pontife, comme Nerva l’avait fait pour Trajan absent, quoique la présence et le consentement de l’adopté fussent nécessaires. Sévère était aussi grand pontife, et ce qui avait été légal au sujet d’un absent le fut à l’égard d’un mort. Dès lors, dans les inscriptions de Sévère, on plaça au-dessus de tous ses titres sa descendance des Antonins[110], et son urne sépulcrale sera déposée dans leur tombeau.

Cette étrange conduite avait un double motif. Sévère se proposait de faire rejaillir sur sa maison l’éclat de la plus illustre des dynasties impériales, ces glorieux Antonins que les poètes élevaient maintenant au-dessus des dieux[111] ; mais il voulait du même coup mettre la main sur les innombrables domaines que cinq générations d’empereurs, tous héritiers les uns des autres, avaient légués à Commode. A la mort de ce prince, une immense fortune était passée à ses trois sœurs encore vivantes ; Sévère, que tant de richesses aux mains de particuliers effrayaient, s’en attribuait une partie sur l’heure, comme héritier politique ; le reste, à courte échéance, comme héritier civil, en se disant fils adoptif de Marc-Aurèle. Du jour au lendemain le plus pauvre des empereurs en devenait le plus riche[112].

Cet acte eut de graves conséquences. Tant que Sévère ne porta que le nom de Pertinax, qui était cher au sénat, cette assemblée, tout en ayant quelque défiance à l’égard du rude, soldat, laissa les événements se dérouler sans chercher, même par ses vœux, à en modifier le cours. Mais se dire le frère du prince que les Pères avaient en exécration et réhabiliter sa mémoire maudite, c’était justifier ses actes et prendre aussi comme héritage sa haine contre les grands. De ce jour, la peur et la colère agitèrent sourdement la curie, et l’on conspira en pensée pour Albinus.

La rupture fut-elle précédée, comme on l’a dit, d’une tentative d’assassinat[113] ? Tout le monde pensait alors qu’un coup de poignard était un bon moyen de simplifier une question difficile, et, à cet égard, Sévère pensait certainement comme tout le monde. Mais ceux qui étaient exposés à de telles surprises avaient l’habitude de se bien garder, et le procédé attribué à l’empereur était si facile à découvrir, qu’on peut douter qu’il l’ait employé. Spartien et Dion Cassius ne parlent pas de ces émissaires, envoyés avec de fausses lettres et du poison, qui, d’après les aveux que la torture arrache toujours, devaient attirer Albinus à une conférence secrète et l’y poignarder, ou gagner son cuisinier, afin qu’il mêlât du poison à ses mets. Le César breton était trop intéressé à faire courir de tels bruits pour qu’ils ne soient pas suspects.

Sévère ordonna tout pour la prochaine campagne avec sa promptitude ordinaire. Des troupes allèrent garder les défilés des Alpes, tandis que le gros de ses forces, continuant à remonter la vallée du Danube, tournait les montagnes au nord et entrait en Gaule par la province de la haute Germanie. Lui-même gagna Rome d’une course rapide[114], y fit confirmer par le sénat la déclaration de son armée contre Albinus et l’élévation de son fils au rang de césar ; puis il revint se mettre à la tête de ses soldats, qui s’avancèrent divisés en deux corps. Une députation envoyée quelque temps après par les sénateurs trouva Caracalla dans la Pannonie Supérieure, où son père l’avait laissé, et Sévère dans la haute Germanie[115].

Dion rapporte un fait curieux. Un petit grammairien de Rome, pris tout à coup d’ardeur guerrière, ferma son école et se rendit en Gaule. Il se donna pour un membre du sénat chargé par l’empereur de lever une armée, rassembla des troupes et battit plusieurs corps de cavalerie albinienne. Sévère, le croyant réellement sénateur, lui écrivit pour le féliciter. Numerianus, c’était son nom, courut tout le pays, rançonna les villes ennemies et ramassa jusqu’à 17.750.000 drachmes, qu’il envoya au prince. La guerre finie, il vint le trouver et lui avoua sa ruse. Il pouvait tout obtenir ; il refusa même d’entrer au sénat et n’accepta qu’une petite pension dont il alla vivre aux champs. Voilà un maître d’école à la fois homme d’action et philosophe ; mais son histoire montre l’immense désordre causé par ces guerres civiles.

A en croire Dion, trois cent mille hommes, cent cinquante raille de chaque côté, allaient se heurter en Gaule. Rome, suivait d’un regard mélancolique ces événements lointains. Tandis que l’univers était ébranlé par ce grand choc, dit l’historien, nous autres sénateurs, nous restions tristement inactifs. Le peuple, même dans les fêtes accoutumées, montrait sa douleur. Aux jeux du Cirque, je vis une immense multitude ; mais son attention n’était point aux courses : pas un cri, pas un encouragement aux cochers. Tout à coup, après un grand silence, une seule clameur s’éleva : La paix pour le salut du peuple ! Le sénat et Rome, sans force contre ces ambitieux, ne demandaient que le repos avec n’importe quel maître. C’était, sous une autre forme, le mot d’Asinius Pollion avant Actium : Je serai le butin du vainqueur.

Un engagement où les troupes d’Albinus eurent l’avantage sur le lieutenant de Sévère précéda l’action principale, qui se liera sur les bords de la Saône, entre Lyon et Trévoux. Les sévériens, venus du nord-est, regardaient le midi ; les albiniens faisaient face au nord, couvrant Lyon, leur place d’armes. Depuis son avènement, Sévère avait dirigé de loin toutes les opérations militaires. Cette fois, il conduisit lui-même ses troupes à l’attaque, car toute sa fortune était engagée dans ce conflit suprême, et la trahison qu’il sentait derrière lui l’obligeait à vaincre ou à périr. Il y courut en effet risque de la vie ; mais une charge de sa cavalerie de réserve, conduite par Lætus, décida la victoire. Les vainqueurs pénétrèrent dans Lyon à la suite des fuyards ; Albinus, sur le point de tomber en leurs mains, voulut se tuer en se frappant d’un coup de poignard ; il fut porté respirant encore devant son rival, qui lui fit trancher la tête ; Sévère restait enfin maître incontesté de l’univers romain (19 février 197). Hérodien a raison de dire : Qu’un seul homme soit parvenu à détruire trois compétiteurs déjà en possession du pouvoir ; qu’il soit allé renverser l’un jusque dans son palais de Rome, l’autre au rond de l’Orient, le troisième au fond de l’Occident : c’est une gloire dont il n’est pas facile de trouver dans l’histoire un second exemple[116].

Mais le moment où Sévère gagnait cette gloire est aussi celui où il mit sur son nom une tache de sang.

A l’annonce des premiers succès remportés par Albinus, le sénat, croyant l’empereur perdit, s’était empressé de faire frapper une monnaie d’argent au nom du nouvel auguste, et d’accorder des honneurs à son frère et à ses proches[117]. De la part de gens si avisés, c’était une bien grande imprudence, qui ne s’explique que par l’arrivée de quelque bulletin menteur d’Albinus. Sévère leur avait aussitôt écrit : Rien ne peut m’être plus pénible, pères conscrits, que de voir vos préférences pour Albinus. Après avoir largement pourvu aux approvisionnements de Rome, j’ai soutenu pour la république plusieurs guerres, et par la mort de Niger je vous ai délivrés de la tyrannie. Ah ! vous avez bien reconnu et dignement récompensé mes services ! Vous êtes allés prendre un aventurier d’Hadrumète, qui se prétend de la famille des Ceionius, et, moi vivant, vous en avez fait un empereur ! Vous manquait-il, ô noble sénat, quelqu’un que vous deviez aimer ? Mais vous attendiez de cet homme des consulats, des prétures, des commandements. Un fourbe, habile à soutenir toutes les impostures, voilà celui que vous m’avez préféré. Il ne vous restait qu’à décerner le triomphe à cet illustre capitaine, comme à mon vainqueur. J’en rougis vraiment ; vous l’avez pris pour un lettré, lui qui n’a jamais occupé son esprit que de contes absurdes et qui a vieilli entre les Milésiennes d’Apulée, son digne ami, et toutes les niaiseries littéraires[118]. Avant de l’avoir vaincu, Sévère voulait rendre Albinus ridicule, en lui ôtant les aïeux qu’il s’était donnés et les talents qu’on lui prêtait, deux vanités dont lui-même était possédé.

Après la bataille de Lyon, arriva un message plus terrible : la tête d’Albinus, plantée au bout d’une pique, en face de la curie, et ces mots qui terminaient une lettre menaçante : Voilà comment je traite qui m’offense. Bientôt Sévère lui-même parut au milieu du sénat (juin 197). Il loua la sévérité de Sylla, de Marius et d’Auguste, qui les avait sauvés, et blâma la douceur de Pompée et de César, qui les avait perdus. Puis il fit l’apologie de Commode, reprochant aux sénateurs de l’avoir noté d’infamie[119], eux qui, pour la plupart, vivaient d’une manière plus infâme. Si l’on trouve étrange, nous dit-il, qu’il ait tué des bêtes de sa main : hier et avant-hier, l’un de vous, vieillard consulaire, ne jouait-il pas en public avec une courtisane qui imitait la panthère ? Par Jupiter ! Vous dites qu’il s’est battu en gladiateur. Aucun de vous ne fait donc ce métier ? Mais alors pourquoi ses boucliers et ses casques d’or ont-ils trouvé des acheteurs ? A la suite de ce discours qui fit grande peur au sénat[120], un procès capital fut intenté à soixante-quatre sénateurs accusés d’avoir soutenu le parti d’Albinus : trente-cinq, trouvés innocents reprirent leur siège, et Dion, qui n’aime point Sévère, constate que, dans la suite, il se conduisit avec eux comme s’ils ne lui avaient jamais donné de doute sur leur fidélité ; vingt-neuf, condamnés à mort, furent exécutés[121]. Parmi eux se trouva ce Sulpicianus qu’on avait vu, après le meurtre de Pertinax, marchander l’empire et baiser les mains couvertes du sang de son gendre. Des partisans de Niger jusqu’alors épargnés, sa femme, ses enfants et six de ses proches périrent : Sévère réglait en une fois tous ses comptes.

Ces sévérités trouvent non pas leur excuse, mais leur explication dans les dangers que l’empereur venait de courir : en face, un redoutable adversaire soutenu par les forces des provinces occidentales ; derrière, en Italie, des trahisons ; en Orient, une invasion des Parthes et une révolte militaire, celle de la légion IIIa Cyrenaïca qui, de ses cantonnements d’Arabie, pouvait mettre encore la Syrie en feu et renouveler l’alliance de Niger avec l’éternel ennemi de l’empire. Cette légion avait reconnu Albinus[122], et, à défaut de ce général, elle aurait sans doute proclamé un des fils de Niger : ce fut la condamnation du reste de ce parti. Sans doute il faut plaindre les victimes des discordes intestines, surtout celles qu’une fatalité de naissance y entraîne. Mais, si nous avions un peu moins de compassion pour les fauteurs de guerres civiles que frappe le vainqueur, et un peu plus pour ceux qui périssent dans ces troubles en accomplissant leur devoir de soldats, nous mettrions, à côté des vingt-neuf sénateurs exécutés à Rome pour s’être amusés au jeu terrible des révolutions, Ies trente ou quarante mille cadavres de légionnaires romains qui couvraient les plaines lyonnaises[123].

Les Gaules, l’Espagne, eurent leurs proscrits. Tous ceux qui avaient aidé Albinus payèrent de leur tête ou de leur fortune la faute de n’avoir pas su prévoir quel serait le vainqueur. Un de ces proscrits suppliait l’empereur de l’épargner. Si le sort des armes, ô César, t’avait été contraire, que ferais-tu dans l’état où je suis ?Je me résignerais à souffrir ce que tu vas souffrir. Et il le fit tuer. Qui veut détruire les factions, disait-il, doit être cruel un jour, afin d’être clément le reste de sa vie[124]. Il y eut des résistances isolées[125], surtout dans la péninsule ibérique, où Sévère envoya un de ses meilleurs généraux, Tib. Claudius Candidus, le vainqueur de Nicée, pour combattre sur terre et sur mer les rebelles de la Citérieure[126]. Une autre inscription parle d’un tribun qui servit dans la campagne entreprise pour écraser la faction gauloise[127].

Lyon avait souffert de cette grande lutte livrée à ses portes ; mais elle en effaça bien vite les traces et se hâta de se montrer fidèle au vainqueur. Deux mois et demi après la bataille, un taurobole y fut offert pour le salut de l’empereur, du césar son fils, premier empereur désigné, de l’impératrice Julia Domna, la mère des camps, et de toute la maison divine. Durant quatre jours la religion déploya ses pompes les plus imposantes pour cette solennité qui scellait la réconciliation de la dynastie africaine avec les populations gauloises[128].

A Rome, tandis que vingt-neuf familles sénatoriales pleuraient leurs morts, la populace et les soldats étaient en liesse. Ceux-ci avaient eu de larges gratifications, celle-là un congiaire, des fêtes et des combats de gladiateurs[129], pour la dédommager de n’avoir pas joui du spectacle de tant de milliers de Romains tombés dans les batailles de la guerre civile.

Sévère pouvait se reposer. Le monde romain, deux fois parcouru et pacifié ; l’Euphrate et le Tigre franchis ; le Rhin et le Danube roulant leurs flots paisibles sous les enseignes romaines : tout invitait le prince à tourner son infatigable activité vers les travaux pacifiques. Mais, durant la guerre des Gaules, le roi des Parthes, Vologèse IV, avait envahi la Mésopotamie et assiégé Nisibe, qu’un général du nom de Lætus avait vaillamment défendue, et la révolte de la légion d’Arabie prouvait qu’en Orient les feux de la guerre civile étaient niai éteints. Sévère reprit le harnais et acheva avec une extrême diligence tous ses préparatifs. Avant d’engager si loin les principales forces de l’empire[130], il recommanda à ses lieutenants la vigilance sur les frontières du nord, en les autorisant à faire, pour prévenir les hostilités, de prudentes concessions. Nous savons, par exemple, qu’un de ses bons généraux, Lupus, arrêta par des présents distribués aux chefs une invasion des montagnards de la Calédonie. Ces précautions prises, Sévère s’embarqua sur la flotte de Brindes, qui le porta aux côtes de Syrie, et il franchit assez tôt l’Euphrate pour gagner par quelque succès sa dixième salutation impériale avant que l’année 197 fût écoulée[131]. Un traité avec le roi d’Arménie, qui donna de l’argent et des otages, lui permit d’avancer sans avoir besoin de regarder en arrière.

Pour les Romains de ce temps-là ; l’ennemi c’était surtout le Parthe. Successeur de Cyrus et d’Alexandre, l’héritier des Akhéménides pouvait seul, dans l’univers connu, jeter une ombre sur la majesté impériale. Les déserts qui protégeaient ce peuple, la mort de Crassus, les vains efforts d’Antoine et jusqu’aux succès éphémères de Trajan, tout faisait de lui un voisin incommode et odieux. Le vaincre était la grande ambition des chefs militaires de Rome. Nous avons dit plusieurs rois pourquoi cette victoire définitive était impossible. Sévère résolut d’infliger au moins une honte au grand empire oriental, et de lui fermer les approches de la Syrie, en rendant le passage du Tigre difficile pour les armées parthiques. Vologèse n’attendit pas l’empereur, mais ses généraux livrèrent plusieurs combats, dont un paraît avoir été pour les légions une décisive victoire[132]. La route de Ctésiphon était ouverte ; Sévère y marcha.

Avec les bois que lui fournit une forêt voisine de l’Euphrate, il construisit une flotte pour porter son gros bagage, tandis que les soldats suivaient sur la rive. Il arriva ainsi à Babylone et à Séleucie, qui n’avaient plus de grand que leur nom, et s’empara de la cité royale des Parthes, d’où il emmena cent mille captifs. C’était la troisième fois en ce siècle que les Romains entraient dans Ctésiphon.

Le retour par la vallée du Tigre fut difficile à cause de la pénurie des vivres et des pâturages. Comme Trajan, Sévère assiégea la forte ville d’Atra[133] (El-Hadhr), dont le roi s’était allié à Niger, et il échoua comme son glorieux prédécesseur, malgré les machines de l’ingénieur Priscus. Au milieu de ce désert sans eau, on ne pouvait recourir à un blocus, le grand moyen des anciens pour réduire une place. Après vingt jours de vives attaques, il leva le siège et rentra, par la haute Mésopotamie, dans les provinces syriennes, à la fin de 198 ou au commencement de l’année suivante.

Durant ce siège, où l’armée endura de grandes souffrances, il y avait eu un moment d’indiscipline, et il fallut faire un exemple. Un tribun du prétoire avait cité et sans doute commenté dans des conciliabules les paroles que Virgile met dans la bouche du lâche Drancès, le partisan de la paix à tout prix : On ne tient nul compte de nous, et nous périssons par l’ambition d’un homme. Sévère l’avait fait mettre à mort, châtiment extrême, mais peut-être mérité. Ces gens d’épée qui désespèrent, quand ils ont le devoir d’espérer même contre toute espérance, perdent les causes qu’ils sont chargés de défendre, en jetant le découragement dans le cœur des soldats. Ainsi, devant Atra, l’empereur, craignant de n’être pas obéi de l’armée[134], avait renoncé à une dernière attaque qui semblait devoir réussir.

Est-ce à ce moment que périt Lætus[135] ? A la bataille de Lyon, Lætus, qui commandait la cavalerie, n’avait chargé qu’après avoir appris que l’empereur paraissait mortellement blessé, et cette charge avait décidé la victoire. Sévère mort, Albinus vaincu, Lætus aurait pris leur place[136] ; mais l’empereur vivait : ce qui peut-être avait été une trahison devint l’habile manœuvre d’un grand capitaine. Sévère le crut, ou le laissa dire : Dion prétend que, né pouvant frapper sur l’heure celui qui paraissait l’avoir sauvé, il attendit, et que, en Mésopotamie, il fit tuer Lætus dans un tumulte de soldats[137]. Il n’y eut probablement ni trahison de l’un, ni émeute militaire suscitée par l’autre. Dion était bien loin des lieux où cette tragédie s’accomplissait. Il n’a donc pu recueillir que les bruits qui arrivèrent à Rome. Or deux choses sont absolument contraires au caractère connu du prince : cette longue hésitation à frapper l’homme dont il avait, dit-on, résolu la mort, et le dangereux moyen qu’il aurait employé, une émeute militaire, qu’on n’est jamais sûr d’arrêter au point voulu. Il est certain que Lætus fut tué par les soldats, et nous savons qu’à ce moment des désordres se produisaient dans l’armée : il aura laissé sa vie en voulant les apaiser.

A Ctésiphon, l’empereur avait abandonné tout le butin à ses soldats. Pour remercier leur chef en flattant sa faiblesse paternelle, ceux-ci avaient salué Bassianus du nom d’auguste et proclamé Geta césar. Au titre du premier, Sévère attacha la puissance tribunitienne (198). Caracalla, bien qu’il ne fût encore que dans sa onzième année, était donc associé à l’empire : honneurs prématurés et funestes à celui qui en était l’objet. Dans cet empire électif la tendance à l’hérédité était irrésistible. Le père cédait toujours à ce sentiment naturel, et toujours aussi on acceptait sa volonté. Cependant, Titus excepté, l’hérédité n’avait donné que de mauvais princes, Caligula, Domitien et Commode. L’empereur désigné ajoutera bientôt à cette liste un des noms les plus odieux de l’histoire[138].

Malgré la vaine tentative sur Atra, Sévère venait de frapper un grand coup en Orient. La chute de Ctésiphon avait retenti jusqu’au fond des provinces les plus lointaines, et l’on célébrait partout le grand vainqueur des Parthes, Parthicum Maximum. L’empire n’avait pas été considérablement agrandi, chose inutile ; mais une crainte salutaire était inspirée à ceux qui avaient violé sa frontière, et elle les fit tenir en repos pendant dix-huit années. Sévère méritait donc le titre qu’il reçut de propagator imperii. On lui en donna bien d’autres[139], pacator orbis, fundator pacis, etc., car la force qu’attestait une fortune si constamment heureuse avait excité un enthousiasme à la fois servile et reconnaissant. D’innombrables a inscriptions, surtout dans les provinces helléniques et africaines, en portent témoignage. Athènes, qui avait à se faire pardonner de n’avoir pas su prévoir la fortune du futur empereur, se signala par la ferveur de son zèle[140], et mille cités offrirent le sacrifice triomphal du taureau.

Par sa femme, Julia Domna, Sévère était à moitié Syrien. Avant son avènement à l’empire, il avait commandé en Syrie la quatrième légion scythique (182-184) ; après la mort de Niger, il y resta plus de deux ans, quatre encore après celle d’Albinus. Il connaissait donc bien ces pays et tous leurs besoins. Mais à quoi servirent ces longs séjours, surtout depuis la fin de la guerre Parthique ? Ce ne fut certainement pas le plaisir qui le retint dans les provinces orientales. La mollesse était sans prise sur un tel homme, qui avait l’ambition des grandes choses, et par conséquent le mépris des petites. Son biographe dit, à propos d’une de ses provinces, que Sévère y fit beaucoup de règlements, dont l’inepte écrivain se garde de rapporter un seul. Soyons assurés qu’il employa ses loisirs à mettre la discipline dans les légions, tous les moyens de résistance dans les places avancées, l’ordre dans le pays, la sécurité sur les routes, et qu’il développa au sein de ces populations la vie romaine, afin de pouvoir mieux compter sur leur fidélité. Un petit nombre de faits révélés par des témoins irrécusables, les médailles et les inscriptions, nous permettront de soupçonner tous ceux que l’histoire officielle nous cache.

D’abord, entre l’Euphrate et le Tigre, il organisa la Mésopotamie en province. Il lui donna pour garnison permanente deux légions qu’il avait créées durant la guerre, la première et la troisième Parthique[141], et il augmenta la puissance de ces forces militaires en multipliant dans la nouvelle province l’élément civil romain. Des colons furent établis à Nisibe, la forteresse centrale du pays, qui prit son nom, Septimia ; à Rhesiena, où la troisième Parthique eut ses quartiers, entre Nisibe et Thapsaque, le grand passage de l’Euphrate ; à Zaitha, la ville des oliviers[142], située sur le même fleuve au-dessous de Circesium et au débouché de la route de Palmyre. Le désert de Syrie devenait terre quiritaire.

Au nord-ouest de la province, le roi de l’Osrhoène lui avait livré ses enfants en otage et donné d’habiles archers pour la campagne contre les Parthes[143] ; au nord, le roi d’Arménie avait été maintenu dans sa fidélité à l’empire ; au sud, la garnison de Zaitha imposait aux chefs arabes l’obéissance, et, à l’est, le passage du Tigre était assuré par l’occupation de Ninive, où Trajan avait établi des vétérans et où Sévère doit en avoir laissé, pour bien défendre cet extrême avant-poste de l’empire[144]. Il avait donc solidement établi sa domination entre les deux fleuves, eu l’adossant aux montagnes arméniennes et en l’appuyant sur tout un ensemble de forteresses et de colonies. Aussi cette province sera-t-elle, pendant des siècles, le boulevard de l’empire.

Après la mort de Niger, il avait réuni la Lycaonie et l’Isaurie à la Cilicie, afin de constituer, au voisinage de la Syrie, un grand gouvernement qui gardât cette vraie porte de l’Orient[145] ; par des raisons contraires, il avait divisé la province de Syrie, qui donnait à ses chefs de trop ambitieuses espérances : au nord, la Commagène et la Syrie Creuse, c’est-à-dire la vallée par où l’Oronte gagne Antioche et la mer, en s’ouvrant passage entre l’Amanus et le Liban ; au sud et à l’est, la Syrie phénicienne comprenant tout le littoral, et, sur le revers oriental du Liban, jusqu’au milieu du désert, Héliopolis, Émèse, Damas et Palmyre. Les deux routes qui menaient clans la Mésopotamie en franchissant l’Euphrate, à Thapsaque et à Circesium, étaient ainsi gardées par deux armées[146], et elles le furent bien. L’empereur donna le gouvernement de la Cœlé-Syrie à un de ses meilleurs lieutenants, Marius Maximus, que Spartien appelle un très sévère général, et il est permis de supposer que la Syrie phénicienne fut confiée à quelque autre capitaine expérimenté. Après la bataille d’Issus, Sévère avait châtié rudement Antioche, parce que la sévérité était dans sa nature ; toutefois cette ville n’en demeurait pas moins la plus considérable cité de l’Orient romain, et il était trop grand prince pour que la justice, ou ce qu’il regardait comme tel, une fois satisfaite, il consultât ses rancunes plutôt que l’intérêt de l’État. Antioche, comme Byzance, fut donc d’abord punie, puis favorisée. Quand il revint de la Mésopotamie, il s’arrêta dans l’ancienne métropole de la Syrie, non pour jouir des délices de Daphné, sous les voluptueux ombrages du sanctuaire d’Apollon, mais pour effacer le souvenir de ses récentes rigueurs. Il y donna à son fils aîné (204) la toge virile et, pour l’année suivante, le consulat, qu’il voulut partager avec lui. C’était traiter Antioche en capitale. Ces solennités et les fêtes qui les suivirent rapprochaient déjà la frivole cité de la nouvelle dynastie. Sévère acheva la réconciliation en y faisant construire des thermes magnifiques[147].

Dans la Syrie phénicienne, de grands travaux s’exécutaient. Quatre bornes milliaires, qu’on a trouvées sur la route de Sour à Sayda, et qui portent toutes la même inscription, datée de l’an 198, montrent le lieutenant du prince remettant en état les chemins de cette province ; le nom de Sévère gravé sur une autre borne des environs de Laodicée prouve que les mêmes ordres avaient été donnés dans la Grande-Syrie[148].

La région syrienne qui descend à la Méditerranée était depuis longtemps en possession de tous les avantages que la civilisation ancienne pouvait donner. Alexandre et ses successeurs avaient hellénisé ces populations d’origine punique ou araméenne, et les colonies que Rome y avait établies, les garnisons qu’elle y tenait, avaient introduit sa langue dont les soldats étaient obligés de se servir[149]. Tyr, que les Maures de Niger avaient incendié[150], fut repeuplé par des vétérans de la légion IIIa Gallica, et obtint le droit italique. Béryte, où vivaient les descendants des légionnaires d’Auguste, l’avait depuis longtemps   et renfermait la plus grande école de jurisprudence romaine ; Papinien, Ulpien et tous ces jurisconsultes dont on a noté, dans les Pandectes, les judaïsmes, en étaient sortis. Béryte s’était d’abord déclarée contre Sévère. Nous ignorons si elle en fut punie ou si Papinien apaisa la colère du prince ; du moins, ses sentiments changèrent vite : une inscription de l’année 196, trouvée dans les environs, contient l’expression de ses vœux pour le salut de Sévère et de Julia Domna, la mère des camps[151].

Sur le revers oriental du Liban et au delà du Jourdain, Rome avait eu beaucoup à faire. Avant Trajan, le Haouran (Batanée) et le Ledja (Trachonitide) étaient ce qu’ils sont aujourd’hui, des solitudes parcourues par des nomades farouches. Vous vivez, leur disait le roi juif Agrippa, comme les bêtes fauves dans leurs tanières[152]. Trajan et Hadrien avaient porté l’ordre et la vie dans ces pays où s’étaient élevées de grandes et magnifiques cités : Sévère y continua leur ouvrage. Il se rendit sans doute aussi dans la province d’Arabie dont la légion s’était naguère révoltée. Le nom de Septimiani porté par des décurions de la Batanée rattache à son règne, par un lien que nous ne pouvons malheureusement saisir, l’organisation municipale de cette région ; il s’y trouve des ruines de cités dont les habitants avaient la langue, les mesures, le calendrier et divers usages de Rome[153]. Un légat impérial écrivait à ces Arabes, au milieu desquels les voyageurs modernes ne pénètrent qu’au risque de leur vie, comme il l’aurait fait aux magistrats de l’Espagne ou de la Gaule, pour les garantir contre l’abus des logements militaires : preuve que l’administration romaine avait, sur cette extrême frontière, la sollicitude qu’elle montrait dans les plus vieilles provinces[154]. A Bostra, capitale de la province d’Arabie, les légendes des médailles étaient grecques sous Trajan ; quelques années après Sévère, elles étaient latines[155].

Les quarante-deux blockhaus dont on croit avoir compté les restes entre Damas et Palmyre ont-ils été construits par Sévère ou par Hadrien, même beaucoup plus tôt[156] ? On ne le sait. Du moins Sévère les a tenus bien garnis d’hommes et de vivres, car, si on ne trouve pas sa trace d’une manière certaine le long de la route qui mène à Palmyre, on la rencontre à Palmyre même. Ce grand marché du désert, avant-poste de la Syrie sur le moyen Euphrate, lui avait été d’un très utile secours dans soit expédition contre Babylone. Comme toutes les villes de commerce, Palmyre était une cité cosmopolite. Il s’y trouvait des Parthes, des Arméniens, des Romains, des Grecs, et une colonie juive très importante, dont quelques membres rivalisaient de richesse avec les plus considérables des indigènes[157]. Aussi avait-elle, comme Alexandrie, un juridicus pour terminer les contestations qui s’élevaient entre ces étrangers[158]. Les Odainath y tenaient déjà le premier rang. Un d’eux, Hairan, sans doute stratège de Palmyre au temps de la guerre Parthique, seconda si bien Sévère par sa connaissance des lieux et par les approvisionnements qu’il fit arriver aux légions, que l’empereur lui permit de prendre son nom de Septimius, qui fut, dès lors, le gentilitium de la grande famille palmyréenne. Ainsi Hérode le Grand avait été autorisé par Auguste à se rattacher à la famille des Césars, en joignant à son nom celui des Jules. Lorsque, soixante ans plus tard, un de ces Odainath, devenu le roi des rois, se fit le protecteur de l’empire romain en Orient, son prénom de Septimius rappelait encore le temps où les siens n’étaient que des clients de Sévère.

Les villes du désert changèrent leurs coutumes comme les scheiks arabes changeaient leurs noms : la Tadmor de Salomon fut une colonie romaine, investie des privilèges du droit italique ; avec des duumvirs (στρατηγοί), des édiles (άγορανόμοι)[159], des assemblées du sénat et du peuple. Par ses monuments, on dirait une fille d’Athènes, par ses institutions une fille de Rome. Elle eut jusqu’aux distributions gratuites on y a trouvé des tessères frumentaires, des bons de pain et d’huile[160], et parmi ses citoyens, elle compta des chevaliers et des sénateurs romains. Sévère lui avait probablement déjà donné pour garnison l’aile de cavalerie qu’on y voit plus tard[161].

Alors comme aujourd’hui, les nomades étaient obligés de conduire, durant l’été, leurs troupeaux aux sources de Palmyre ou aux pâturages du Djebel Haouran[162]. En occupant fortement ces points, les Romains se rendaient maîtres du désert, et ils en ont fait la police mieux que personne n’a jamais su la faire.

A l’extrémité orientale du Haouran, au milieu d’une région qui semble maudite, s’élève une montagne volcanique dont le pied porte un camp romain avec des murailles épaisses de plus de 2 mètres, flanquées de tours et précédées d’un fossé : une troupe résolue devait braver là tous les Arabes du désert. Au sommet du cratère, un poste surveillait cette plaine immense, où se voient des ruines de thermes et de maisons. Avant nous, dit M. de Vogüé, aucun Européen n’avait troublé cette solitude[163]. Mais les Romains y étaient venus, et avec eux la culture et la sécurité.

Ainsi la vie régulière s’introduisait dans ces régions désolées. A l’abri des postes fortifiés qui bordaient le pays de la soif, des villes s’élevèrent dans les vallées, des canaux y amenèrent l’eau des montagnes[164] ; le régime municipal s’y développa, et les inscriptions nous parlent de stratèges et de décurions eu des lieux où rte retentit plus que le cri du chacal. Souvent, du haut d’un amas de ruines, le voyageur aperçoit au loin de larges dalles de basalte régulièrement disposées et encadrées d’un double cordon de pierres plus fortes qui font saillie. C’est une voie romaine qui, après quinze siècles, annonce qu’un grand peuple a passé par là[165].

Sur mille points, de ces terres bibliques, on retrouve son empreinte. Le plateau de Baalbek a porté, depuis une haute antiquité, un sanctuaire de Baal, le grand dieu des Sémites : mais les ruines magnifiques qu’on y voit aujourd’hui sont du temps des Antonins et de Sévère[166]. Il faut donc retourner le vers de Juvénal : ce n’est plus l’Oronte qui coule dans le Tibre ; au second siècle de notre ère et au commencement du troisième, c’est le Tibre qui coule au désert et qui porte l’esprit et les arts de l’empire jusque dans l’inaccessible cité de Pétra. Sévère venait de suivre jusqu’à Ctésiphon les traces de Trajan ; il suivit celles d’Hadrien en Palestine et en Égypte.

La Palestine était comme toujours en proie au désordre. Dion parle d’un brigand qui dévastait la Judée et savait déjouer toute poursuite. Un jour il osa se rendre au camp de l’empereur avec une troupe de cavaliers et l’entretenir comme s’il eût été un de ses tribuns. Personne ne soupçonna la bravade, et le bandit, qui n’était sans doute qu’un chef voulant vivre indépendant, retourna tranquillement dans ses montagnes. Ce fait, l’histoire de Bullas, une des curieuses légendes du banditisme italien, celles de Maternus, qui, sous Commode, pilla la Gaule entière, et de Numerianus, le faux sénateur dont on vient de lire les exploits, montrent comme la désorganisation faisait de rapides progrès dans ce grand corps de l’empire, dès qu’aux Trajan et aux Hadrien succédaient les Commode et les Julianus. Pour maintenir l’ordre en tant de pays et au milieu de populations si différentes, il fallait évidemment que tous les factieux, brouillons du sénat, chefs ambitieux ou coupeurs de routes, sentissent sur leur tête la main d’un prince énergique dont la conscience ne s’inquiéterait pas d’une sévérité excessive. Un de ces Odainath dont nous parlions tout à l’heure médite une révolte et intrigue avec les Perses ; Rufinus, le commandant des forces romaines, le fait tuer, et, cité pour ce meurtre par le fils du mort devant l’empereur, il répond au prince : Plût aux dieux que l’empereur me permît de le débarrasser aussi du fils ![167] Cette justice était trop expéditive, mais elle prévenait une invasion persane. Est-il bien sûr que nous-mêmes en Algérie, les Anglais dans l’Inde, nous n’ayons jamais agi de même ? Les empereurs romains se trouvèrent souvent en face de ces situations redoutables, où ce que l’on croit le salut de l’État apparaît comme la loi suprême.

Sévère était de ces hommes prêts à tout sacrifier au repos public[168]. Par malheur, il comprit les chrétiens parmi les perturbateurs des provinces. Les Juifs et les Samaritains venaient de recommencer en Palestine, les armes à la main, leur querelle séculaire. Des chrétiens s’y mêlèrent-ils : on ne sait. Mais ce bruit de combats, à propos de croyantes religieuses, irrita le prince. Les légions frappèrent quelques coups, et des exécutions rétablirent la tranquillité. Le sénat voulut donner plus tard à ces mesures de police l’importance d’une victoire. Quand l’empereur refusa de faire dans Rome une entrée triomphale pour la prise de Ctésiphon, les sénateurs, afin de ne pas priver son fils d’une flatterie et Rome d’une fête, décernèrent un triomphe juif à Caracalla. En vue d’empêcher le retour de ces désordres, Sévère, dit son biographe, fit, durant ce voyage de Palestine, beaucoup de règlements. Nous n’en connaissons qu’un renouvelé de l’ancien rescrit impérial qui défendait aux rabbins de pratiquer la circoncision sur des hommes étrangers à leur race[169] et aux chrétiens de continuer leur propagande. La même mesure était appliquée aux deux religions, non en vue de les détruire, mais afin de les empêcher de s’étendre. On verra ailleurs que cet édit eut, pour elles, des conséquences très différentes.

Sévère ne voulut pourtant pas que ces Juifs enfermés par son rescrit dans leur religion et flans leur race fussent comme des parias au milieu de leurs concitoyens ; il leur permit d’aspirer aux honneurs municipaux en les dispensant des obligations contraires à leur culte[170]. Mais les mœurs seront plus fortes que la loi ; les Juifs resteront à l’écart jusqu’au temps où Constantin, préoccupé du souci de recruter la classe épuisée des curiales, ordonnera d’y comprendre tous ceux qui auront en biens-fonds la fortune nécessaire pour y entrer[171]. Recrues peu nombreuses, car les Juifs, se considérant, hors de la Palestine, comme des étrangers de passage dans les cités, n’achetaient ni terres ni maisons ; ils n’aimaient déjà que les biens qu’ils pouvaient emporter partout avec eux.

De la Palestine, Sévère gagna l’Égypte, terre féconde où les hommes poussaient comme les moissons[172] ; ils y étaient alors plus de huit millions, avec peu d’esclaves, car le travail agricole se faisait comme aujourd’hui par des fellahs de condition libre, et le travail industriel par une multitude de Grecs et de Juifs. On y vivait aussi sans beaucoup de peine, excepté dans les carrières, dont l’exploitation fut rendue par le prince encore plus active, mais où ne travaillaient que des condamnés[173].

Au mont Casius, Sévère fit, comme Hadrien, un sacrifice funèbre sur le tombeau de Pompée et remonta le Nil par la bouche Pélusiaque[174]. Il visita curieusement les pyramides de Gizeh, plus belles ou du moins plus régulières en ce temps-là qu’aujourd’hui, parce qu’elles avaient encore leur revêtement ; le grand Sphinx, couché à leur pied, symbole solaire déjà dégradé par les vingt siècles qui avaient passé sur lui et que Sévère fit réparer ; le Serapeum de Memphis, qui conduisait aux tombeaux des Apis, qu’un des nôtres, Mariette, a retrouvés ; le Labyrinthe, les merveilles de Thèbes et de Philæ, etc. Il se fit expliquer les hiéroglyphes que l’on continuait à graver aux parois des temples[175], et Champollion a lu son nom à côté des sculptures que l’empereur commanda pour le pronaos du grand temple d’Esneh[176]. Memnon lui parla encore : ce fut pour la dernière fois. Par excès de zèle pieux, Sévère reconstitua, tel qu’on peut le voir à présent, le colosse brisé au temps d’Auguste ; mais du jour où la statue ne présenta plus au soleil levant sa large cassure à surface inégale, imprégnée de l’humidité de la nuit, le dieu cessa de faire entendre sa voix divine[177].

Curieux de toutes choses, même des plus secrètes, humaines ou divines, Sévère s’informa certainement des sources du Nil, dont les Romains s’étaient fort approchés[178]. Dion Cassius en parle à propos de ce voyage de l’empereur, qu’il lui avait peut-être entendu raconter, et, s’il se trompe en mettant l’origine du fleuve à l’extrémité de l’Atlas maurétanien, il dit presque vrai en le faisant sortir d’immenses marécages qui s’étendaient au pied d’une haute montagne couverte de neige[179]. Sévère s’était proposé de pénétrer dans la vallée supérieure du Nil ; une peste l’arrêta, et le fleuve le ramena dans Alexandrie. Il y visita le tombeau d’Alexandre, le Musée, toujours occupé de ses travaux stériles[180], et la bibliothèque fameuse du Serapeum dont la colonne dite de Pompée, encore debout, ornait une des cours. Il se plut dans cette ville ou crut politique de lui témoigner sa faveur. Les Alexandrins avaient pris parti pour Pescennius et mis sur leurs portes : Cette ville appartient à Niger notre maître. Quand Sévère arriva, ils lui dirent : Oui, nous l’avons écrit, mais en croyant bien que toi tu étais le maître de Niger[181]. L’empereur n’en demandait pas davantage pour pardonner. Il leur rendit le sénat et les magistrats municipaux qu’Auguste leur avait ôtés, révisa leurs lois[182], restreignit à la juridiction volontaire les fonctions du juridicus romain, qui depuis plus de deux siècles était le juge suprême dans Alexandrie, et, pour marquer sa confiance à cette province, il leva la règle établie par le premier empereur que l’Égypte n’aurait pour gouverneur qu’un préfet d’ordre équestre[183] ; enfin il dota la ville d’un gymnase et d’un grand temple qu’il appela, comme celui d’Agrippa à Rome, le Panthéon[184]. Sévère était, à l’exemple de Trajan et d’Hadrien, un grand bâtisseur, et l’Égypte n’était point faite pour lui ôter le goût des constructions monumentales.

L’étrange pays avait fait sur l’impérial voyageur l’impression accoutumée. Dans la suite, Sévère revenait volontiers à ses souvenirs d’Égypte et se plaisait à rappeler les merveilles de la terre des Pharaons. Le culte de Sérapis, dont il avait partout rencontré les sanctuaires[185], l’attira particulièrement. Il fut frappé de cette puissante synthèse de doctrines différentes par laquelle les païens essayaient de donner satisfaction aux idées alors dominantes d’unité divine et de salut par le dieu maître de la lumière et de la nuit ; de la vie et de la mort. Macrobe a conservé cette réponse d’un oracle de Sérapis : Qui je suis : je suis le dieu que je vais dire : la voûte du ciel est ma tête ; la mer, mon ventre ; la terre, mes pieds ; la région éthérée, mes oreilles, et, pour œil, j’ai le brillant flambeau du soleil qui porte partout ses regards[186]. D Sérapis représentait donc le dieu en qui tous les autres se confondaient ; uni à Isis, la déesse aux mille noms, il était la force qui féconde et la nature qui conçoit ; mais il était aussi le dieu qui assurait le salut sur la terre et au ciel. Les pèlerins encombraient ses temples, dont les parois disparaissaient sous les ex-voto, et l’on ne parlait que de ses cures miraculeuses, tandis que les vieilles déités restaient mornes et silencieuses auprès de leurs autels désertés. Sévère et les siens paraissent avoir été gagnés à ce culte[187]. Caracalla, du moins, lui consacra plusieurs temples jusque dans Rome, notamment prés du Colisée, un sanctuaire d’Isis et de Sérapis qui donna son nom à cette région de la ville[188] ; et lorsqu’on voit Sévère élever un Panthéon dans Alexandrie, on est disposé à croire qu’il fut conduit par une idée de syncrétisme religieux à donner le nom de tous les dieux au temple que, dans sa pensée, il dédiait au seul principe divin. Ainsi se précisait ce paganisme nouveau que nous avons montré en voie de formation au siècle précédent et qui préparait les voies au Jéhovah mosaïque[189].

Malgré ses préoccupations religieuses, Sévère ne fut pas en Égypte plus favorable qu’il ne l’avait été en Palestine aux disputes théologiques. Il enleva de tous les sanctuaires les livres contenant les doctrines secrètes, celles dont se nourrissent les associations qui vivent dans l’ombre et d’où sortent parfois les menées séditieuses. Ces livres, il ne les détruisit pas, mais il les enferma dans le tombeau d’Alexandre, afin que personne ne pût les lire. C’était un vrai Romain, un de ces hommes d’épée et de gouvernement qui n’aiment pas les choses que l’épée ne tranche jamais et dont les gouvernements s’inquiètent toujours. Mais c’était aussi un esprit élevé. Parmi ces livres, il en est un qu’au lieu de proscrire il admira certainement, le Livre des Morts, que nous retrouvons avec les momies dont il était comme la voix par delà le tombeau. On y lit des paroles telles que celles-ci : Quand l’intelligence, principe divin, entre dans une âme humaine, elle essaie de l’arracher à la tyrannie du corps et de l’élever jusqu’à soi.... Souvent elle triomphe ; alors les passions dominées deviennent des vertus, l’âme dégagée de ses liens aspire au bien et devine les splendeurs éternelles, à travers le voile de la matière qui obscurcit sa vue.

Quand l’homme est mort à la terre, son âme comparaît devant Osiris, et ses actions sont pesées dans la balance infaillible. Si elle est reconnue coupable, elle est livrée aux tempêtes et aux tourbillons des éléments conjurés, jusqu’à ce qu’elle puisse rentrer dans un corps qu’à son tour elle torture, qu’elle accable de maux et précipite au meurtre et à la folie. Le méchant est un damné qui expie les fautes d’une première existence.

Mais le ciel s’ouvre pour l’âme qui a pu dire à son juge : J’ai suivi la justice et dit la vérité ; jamais une plainte ne s’est élevée contre moi ; j’ai chéri mon père et ma mère ; j’ai été la joie de mes frères et l’amour de mes serviteurs. Je n’ai commis aucune fraude, aucune abomination. L’ouvrier n’a pas, chaque jour, exécuté pour moi plus de travaux qu’il n’en devait faire. Je n’ai ni desservi l’esclave auprès de son maître, ni chassé le troupeau du pâturage, ni commis l’adultère ou la fornication. Je suis pur ! Je suis pur !

Et encore :

Je n’ai ni menti ni fait le mal, et j’ai semé la joie, donnant le pain à l’affamé, l’eau à l’altéré, le vêtement à qui était nu.

Alors cette âme pure s’élance à travers les espaces inconnus. Sa science s’accroît, sa puissance augmente, elle parcourt les demeures célestes et accomplit dans les champs d’Aalu le labourage mystique. Enfin le jour de la bienheureuse éternité se lève pour elle ; elle se mêle à la troupe des dieux dans l’adoration de l’Être parfait ; elle voit Dieu face à face et elle s’abîme en lui[190].

Ce que la vieille Égypte avait si longtemps gardé pour elle seule se répandait sur le monde. Ce pays, dont Bossuet, jugeant sur les apparences, a dit que tout y était dieu, excepté Dieu même, enseignait l’unité divine, le jugement des morts et les béatitudes éternelles gagnées par les mérites de la vie terrestre. De Memphis, de Jérusalem et de Palmyre, de plus loin encore, partait un courant d’idées, à certains égards analogues, qui en rencontrait un autre sorti d’Athènes et de Rome et se mêlait avec lui. Sur leurs eaux confondues allait voguer, d’abord discrètement et sans bruit, puis à pleines voiles, la barque de saint Pierre portant la croix triomphante.

 

 

 

 



[1] C’est-à-dire né durant le règne de son père. Commode, Pertinax et Julianus ne sont ni Africains ni Syriens. Mais le premier ne mérite pas d’être mis parmi les Antonins et Septime Sévère en fit son frère ; quant aux deux autres qui ont régné si peu, leur histoire se rattaché à celle du premier Africain.

[2] Marcus Lucius Alias Aurelius Commodus Antoninus, né le 31 août 161, succéda à Marc-Aurèle le 17 mars 180. Sur son règne, nous avons l’abrégé informe de Dion, par Xiphilin (liv. LXXII), le premier livre d’Hérodien, qui est l’œuvre d’un rhéteur, et la confuse biographie de Lampride.

[3] .... qui in aula institutores habentur (Lampride, Commode, 1). Dion, qui le connut bien, dit cependant de lui (LXXII, 1) qu’il était sans malice, mais très timide et d’une simplicité d’esprit qui le rendit l’esclave de ceux qui l’approchaient.

[4] D’après son inscription tumulaire, il avait, à la fin de 192, sa dix-huitième puissance tribunitienne. (Orelli, n° 887.) Il avait eu la première le 25 décembre 176. Sa quatrième salutation impériale est antérieure au mois d’août 179. (Cohen, Méd. impér.) Lampride (Commode, 8) dit qu’il prit en 183 le titre de Pieux, senatu ridente, et celui de Félix après la mort de Pérennis en 185.

[5] Capitolin, Antonin le philosophe, 18.

[6] Hérodien, I, 14.

[7] Les Quades en donnèrent treize mille ; les Marcomans, moins.

[8] Desjardins, Monument épigraphique du musée hongrois, n° 112.

[9] Dion, LXXII, 2 et 3.

[10] Hérodien (I, 15) parle de grosses sommes données aux Barbares pour acheter la paix.

[11] Dion et Lampride mentionnent quelques succès remportés sur les Barbares du Danube, par Albinus et Niger, en 182 et 184. Il y eut des combats plus sérieux en Bretagne (184) et en Afrique (187-190). Cf. Eckhel, VII, 120 et 123.

[12] Dion, LXXII, 9. Selon Hérodien, Commode aurait régné sagement jusqu’à la conspiration de Lucilla, qu’on place en 185. Mais c’est probablement une réminiscence littéraire du quinquennium Neronis.

[13] Ammien Marcellin et Quinte-Curce disent que les rois de Perse croyaient posséder un feu tombé du ciel, qu’ils l’entretenaient avec soin et le faisaient porter devant eux dans les expéditions, sur de petits autels d’argent, au milieu des mages qui chantaient des cantiques. Cet usage était bien ancien, car Hérodote en parle. Les empereurs auront pris cette coutume orientale, comme ils en ont pris tant d’autres, et ce feu devint un symbole de leur majesté. On voit, par la citation de Dion Cassius, que cet usage était déjà établi à la fin du deuxième siècle.

[14] Apologétique, 35.

[15] .... πολλά έχαρίοατο (Malalas, Chronogr., XII, p. 283, édit. de Bonn). Antioche avait acheté, en 44, des habitants d’Élis, pour un terme de 90 olympiades, le droit de célébrer des jeux olympiques, et elle y dépensait chaque année près d’un million de francs ; mais ces jeux ne se célébrèrent régulièrement à Antioche qu’à partir du règne de Commode. (Gibbon, chap. XXII.)

[16] Lampride, Commode, 37. La plus ancienne inscription mentionnant la classis nova Libeca est du temps de Commode. (Recueil de la Soc. arch. de Constantine, 1873, p. 460. Voyez Erm. Ferrero, Inscr. d’Afrique relatives à la Flotte, in Bull. épigr. de la Gaule, août 1882.)

[17] Orelli-Henzen, n° 5272 et 5487 : .... clandestinos latrunculorum transitus.

[18] Spartien, Pescennius Niger, 10 : Commodi temporum dissolutio.

[19] Orelli, n° 5003 ; L. Renier, Mélanges d’épigraphie, p. 12 et 20.

[20] Inscription de 185. (Journal asiatique, 1809, p. 103.)

[21] Tacite, Annales, VI, 20 : .... degustabis imperium.

[22] Hérodien, III, 4.

[23] A prendre sur le fonds des jeux, qu’une telle dépense épuisait vite, ce qui obligeait de recourir au trésor public. (Dion, LXXII, 19.)

[24] Voyez, au chapitre LXXXV, § II, sous quel régime de terreur les sénateurs vivaient.

[25] Pour Népète, voyez Orelli, n° 879 ; pour Éphèse, Eckhel, VII, p. 156.

[26] Zonare, XII, 5. Renier, Inscr. de l’Algérie, n° 4408. Orelli, n° 886.

[27] Le Vatican a une statue de Commode en Hercule dont notre musée du Louvre possède une belle copie en bronze.

[28] Lampride, Commode, 10 et 16.

[29] Digeste, XXXVIII, 2, 16, § 4. Domus Quintiliorum omnis exetincta (Lampride, Commode, 4). Cet écrivain donne une longue liste des victimes de Commode.

[30] Dion, LXXIII, 4, et Capitolin, Pertinax, 5.

[31] C’est le témoignage que Dion lui rend (LXXII, 12). Hérodien (I, 24) lui est contraire. Il remplace les soldats de Bretagne par des légionnaires d’Illyrie et raconte qu’un philosophe à besace vint au milieu d’une fête dénoncer les intrigues du préfet, qui le fit brûler vif.

[32] Dion Cassius n’en parle pas, mais Lampride (Commode, 16) mentionne le bellum desertorum, et Spartien (Niger, 5) dit de Niger qu’il avait été envoyé ad comprehendendos desertores qui innumeri Gallias tunc vexibant.

[33] Du moins Lampride le dit, mais nous n’en avons d’autre preuve que sa parole, et ce n’est pas assez.

[34] Une autre avait eu lieu en 182. Cf. Orelli-Henzen, n° 5489. Il semble que la grande peste qui avait fait tant de ravages sous Marc-Aurèle avait laissé derrière elle des foyers d’infection, d’où elle sortit pour reparaître sous Commode par accès intermittents.

[35] Effrayé par cette émeute, Commode donna quelque soin à l’approvisionnement de Rome, comme l’attestent plusieurs médailles le représentant en Hercule, le pied droit sur la proue d’un vaisseau et donnant la main à l’Afrique, qui tient des épis, avec cette légende : Providentiæ Augustæ. Cf. Cohen, Commode, aux n° 212, 213, 719, etc. On verra Septime Sévère veiller de très près sur ce service.

[36] Le concubinat n’avait pas tous les effets civils des justæ nuptiæ, mais il n’encourait pas le stuprum attaché aux unions illégitimes ....nec adulterium per concubinatum.... committitur, nam, quia concubinatus per leges nomen assumpsit, extra legis pœnam est (Digeste, XXV, 7, 5, § 1). C’était un mariage d’une nature particulière, qui n’a été supprimé que par Léon VI le Philosophe. (Cf. Accarias, Précis de droit romain, t. I, p. 193-5.) Peut-être les enfants suivaient-ils, comme dans les mariages morganatiques de nos jours, la condition de la mère, et n’étaient-ils pas soumis à la patria potestas du père. Le nom de concubine n’avait rien de déshonorant. Une veuve écrit sur la tombe de son mari concubina et hæres. (Fabretti, Inscr., p. 337.) Un Jumentarius donne un lieu de sépulture pour ses confrères, leurs enfants et uxoribus concubinisque. (Wilmanns, 330) Vespasien, Antonin et Marc-Aurèle avaient eu des concubines, Constance Chlore et Constantin en auront.

[37] Elle les avait tous, dit Hérodien (I. 50), excepté qu’on ne portait pas le feu devant elle. Capitolin (Maximin jun., 1) donne le détail du costume officiel des impératrices.

[38] .... πολλά τε ύπέρ Χριστιανών σπουδάσαι. Ce témoignage de Dion (LXXII, 4) est confirmé par les Philosophumena (IX, 12), qui l’appellent φιλόθεος et qui racontent qu’elle chargea un prêtre, l’eunuque Hyacinthe, qui l’avait élevée, d’aller délivrer les exilés chrétiens de Sardaigne. La mesure dut être générale. Sous Commode, dit Eusèbe (Hist. ecclés., V, 21), nous jouîmes d’un calme assez profond. (Voyez ci-dessous chap. XC, ad fin.)

[39] On peut en lire, dans Lampride (48), la longue énumération.

[40] Voyez le chapitre XCI, § 7. On lit dans Eusèbe (Hist. ecclés., V, 21) : Apollonius fut accusé par un ministre du démon, dans un temps où cela n’était pas permis. Pérennis envoya le délateur au supplice ; mais. à son tour, il déféra Apollonius au sénat pour rendre raison de sa foi, et celui-ci, ayant refusé d’abjurer, eut la tête tranchée, parce qu’il était défendu par la loi d’absoudre les chrétiens qui avaient été accusés, à moins qu’ils ne changeassent de sentiment. Ainsi le préfet du prétoire punit de mort un accusateur des chrétiens, ce qui devait intimider ceux qui auraient été tentés de suivre cet exemple. Mais Apollonius ayant manifesté publiquement sa foi, il lui appliqua le rescrit de Trajan. Voilà la jurisprudence bien marquée.

[41] À cette époque, dit Hérodien (II, 24), commença la corruption des soldats. Depuis ce temps, ils montrèrent une insatiable et honteuse cupidité et le plus grand mépris pour le prince.

[42] Il avait soixante-six ans. (Zonare, XII, 7.)

[43] Cette fonction de proc. ad alim. gérée par Pertinax, et qu’on retrouve indiquée dans plusieurs inscriptions (par exemple chez Orelli-Henzen, n° 3190, 3814, 6524, et au n° 1456 du C. I. L., t. III, p. 235, proc. ad alim. per Apul. Calabr., Luc. et Bruttios, pour un contemporain d’Alexandre Sévère et de Gordien III), prouve que l’institution alimentaire de Trajan était encore en pleine vigueur vers te milieu du troisième siècle ; mais elle fut interrompue sous Commode (Lampride, Commode, 16), et Pertinax trouva un arriéré de neuf ans qu’il ne put payer (Capitolin, Pertinax, 9).

[44] Hérodien (II, 5) prétend qu’il était pauvre. Sa mère mourut près de lui dans la Germanie Inférieure, où l’on montra longtemps son tombeau. (Léon Renier, Mélanges d’épigraphie, p. 272.)

[45] Dans cette province, il eut, suivant Capitolin (4), à réprimer multas seditiones causées vaticinationibus earum quæ de templo Cælestis emergunt.

[46] Horruisse illum imperium epistola docet. Capitolin, qui parle de cette lettre (15), a eu le tort de ne pas nous la donner, d’autant plus que Julien, dans les Césars, accuse Pertinax de s’être fait complice, au moins par la pensée, des embûches où périt le fils de Marcus.

[47] Sur Pompeianus, cf. L. Renier, Inscr. de Trœsmis, p. 5.

[48] On a trouvé à Metz une inscription qui donne le titre d’augusta à sa mère et celui de césar à son fils. (L. Renier, Mél. d’épigr.) Ces provinciaux avaient cru que les choses s’étaient passées à Rome comme à l’ordinaire, où ils s’étaient permis une flatterie dont ils étaient sûrs que le prince ne s’offenserait pas. Les inscriptions au nom même de Pertinax sont très rares. On vient d’en trouver une en Afrique : Divo Helvio Pertinaci ; elle est du temps où Sévère l’appelait son père : Divu Pertinaci Augusti patri.

[49] Sous Commode, quantité de gens avaient été adlecti inter prætorios. Il les obligea de prendre rang après ceux qui avaient réellement géré la préture. (Capitolin, Pertinax, 6.) Il fit sans doute le même règlement pour les autres magistratures. C’était l’ordre remis dans le sénat.

[50] Promisit duodena millia nummum, sed dedit Sena (Capitolin, Pertinax, 15).

[51] Hérodien, II, 4.

[52] Marcus Didius Severus Julianus. (C. I. L., t. VI, n° 1401.)

[53] Chateaubriand, Études historiques.

[54] 20.000 sesterces. Or les 1.250 drachmes de Julianus ne faisaient que 5.000 sesterces de plus.

[55] Spartien le montre frugal et préoccupé ; mais, à la fin de son récit, il dit le contraire. Hérodien confirme Dion, que souvent il copie.

[56] Spartien (Sévère, 4), Hérodien (II, 33) et Borghesi (Œuvres compl., V, p. 368) font Sévère gouverneur des deux Pannonies ; mais Dion, qui commanda dans la Pannonie Supérieure, ne lui donne que ce gouvernement et ne montre sous ses ordres que les trois légions stationnées dans cette province. Sévère en aurait eu quatre, s’il avait eu les deux Pannonies.

[57] Les quatorze légions qui acclamèrent Septime Sévère et auxquelles le nouvel Auguste fit distribuer une monnaie de joyeux avènement, donativum, étaient les dix légions qui défendaient les provinces du Danube et les quatre qui gardaient la frontière du Rhin. (Robert, les Légions du Rhin, p. 46.) M. de Celeuneer, Essai sur la vie de Sévère, compte seize légions. Spartien dit (Sévère, 5) qu’il fallut faire violence à Sévère, repugnans. Il a pris ce mot sans doute dans l’autobiographie du prince.

[58] .... excipiebatur ab omnibus quasi ultor Pertinacis (Spartien, Sévère, 5 ; cf. Hérodien, II, 9, 10). Il prit même le nom de Pertinax qu’on trouve dans un grand nombre d’inscriptions. Cf. L. Renier, Mélanges d’épigraphie, p. 180 et suiv.

[59] Dion, LXXIII, 16 ; Spartien, Didius Julianus, 5.

[60] .... Aquilium centurionem notum cædibus ducum miserat (Spartien, Pescennius Niger, 2).

[61] Il éleva aussi à tous les honneurs le grand-père maternel de Sévère. (Dion, LXXIII, 17.)

[62] Dion, LXXII, 17. Zonare (XII, 7) dit soixante. Aurelius Victor, Eutrope et la Chronique d’Eusèbe le font mourir dans une bataille au pont Milvius : preuve d’un bien grand défaut de critique de la part de ces écrivains.

[63] Le mot est de Chateaubriand à propos d’un personnage de ses Mémoires.

[64] Silves, IV, 5.

[65] Tzetzes, Chil., I, 27. Si sœur parlait à peine latin, vix latine loquens (Spartien, Sévère, 15), et son fils Caracalla fit faire beaucoup de portraits d’Annibal (Hérodien, IV, 8).

[66] Omnibus sortibus nactus (Spartien, Sévère, 2), il fut accusé sous Commode d’avoir consulté les Chaldéens pour savoir s’il parviendrait à l’empire. (Ibid., 4.)

[67] C’est-à-dire la courte épée qu’ils portaient au côté droit ; pour leurs armes de combat, ils les avaient laissées au camp, dans l’armamentarium.

[68] On en prenait aussi en Espagne, dans la Macédoine et le Norique. (Dion, LXXIV, 2.)

[69] Dion, LXXIV, 1. Cet écrivain, moins inutile pour ce règne que pour les précédents, sera notre source principale. Gibbon a trop cédé au plaisir d’utiliser la rhétorique d’Hérodien pour en orner son récit.

[70] Spartien dit (Sévère, 8) que les amis de Julianus, accusés par l’empereur lui-même dans le sénat, furent dépouillés de leurs biens et mis à mort. Dion écrit seulement τούς μέν χοιρουργήσαντας τό xατά τόν Περτίναxα έργον θανάτω έξημίωσε (LXXIV, 1), et ne parle point d’autres exécutions avant celles de la guerre civile. Ce fut probablement dans celles-là que périt le sénateur Jules Solon. (Ibid., 2.)

[71] Il le fut presque toujours, au moins en paroles. A propos d’une relatio qu’il fit plus tard au sénat, sur une question de droit civil, il disait : cui rei obviam ibitur, patres conscripti, si censucritis (Fragm. Vatic. jur. Rom., du cardinal Mai, n° 158). Hubner (de Senatus populique Romani actis, p. 73 et suiv.) donne la liste chronologique des communications faites par les empereurs au sénat.

[72] Spartien, Sévère, 5.

[73] Dion, LXXIV, 4. On remarquera ce singulier passage et la présence, dans le cortège, des corporations ou gens des petits métiers ; ces deux phrases confirment ce que nous avons dit ailleurs touchant l’importance des petites industries à Rome. Aux triomphes de Gallien et d’Aurélien, dans Rome, à l’entrée de Constantin dans Autun, les collegia, précédés de leurs bannières (vexilla), eurent leur place dans le cortège. (Hist. Auguste, Gall., 8, et Aurel., 54 ; Panegyrici veteres, VIII, 8 : .... omnium signa collegiorum.)

[74] Dion, LXXIV, 4 et 5. Cf. le récit que fait Hérodien (IV, 3) des funérailles de Sévère.

[75] Eckhel, VII, p. 154, et Cohen, III, p. 213 et 217, n° 1 et 26.

[76] Spartien (Niger, 4 et 5) prétend que Sévère, durant une maladie, au début de la guerre, aurait souhaité, s’il mourait, d’avoir Niger pour successeur, et qu’après ses premiers succès il lui offrit encore tutum exilium si ab armis recederet.

[77] Voyez, plus loin, la lettre de Sévère à Celsus. Spartien nous a conservé une lettre de Marc-Aurèle fort honorable pour Niger.

[78] Spartien, Niger, 3 ; ibid., 2 : .... Romæ fautum est a senatoribus. Son père avait été curator d’Aquinum. Lui-même avait commencé par être centurion.

[79] Le roi des Parthes lui avait promis des secours ; celui d’Atra lui envoya des archers ; les Adiabéniens et quelques tribus indépendantes se déclarèrent pour lui. (Spartien, Sévère, 9 ; Hérodien, III, 1.)

[80] On a, pour la même année 193, des monnaies d’Albinus et de Niger avec la légende Sæculo frugifero, Cereri frugiferæ.

[81] Sur la question de savoir s’il faut confondre ce Marius Maximus avec l’historien de ce nom tant de fois cité dans l’Histoire Auguste, voyez Borghesi, t. V, p. 475 ; Henzen, 5502 ; L. Renier, édit. de Spon, p. 597, et, en sens contraire, Budinger, Untersuchungen zur Rœm. Kaiserg., t. III, p. 50-55. Le lieutenant de Sévère commandait avec le titre de dux un corps emprunté aux légions des deux Mœsies. Ce titre, qu’on rencontre pour la première fois sous Hadrien, et qui, au temps des Gordiens, est entré dans la hiérarchie officielle, désigne, non pas un légat impérial à la tête des légions de son gouvernement, mais un général chargé d’un commandement pour une expédition déterminée, sans autre imperium que celui qu’il exerce sur ses soldats. Cf. Borghesi, t. V, p. 401. Sous Marc-Aurèle, Candidus, autre lieutenant de Sévère, avait été præpositus copiarum. (Orelli, n° 798, et t. III, p. 78.) Deux autres inscriptions de Gruter (p. 589, 2) et de Marini (Incriz. Alb., p. 50) donnent le titre de dux à Tib. Cl. Candidus et à L. Fabius Cilo, du temps de Septime Sévère. On ne connaît pas de plus ancienne mention de ce titre. (L. Renier, ap. Spon, édit. de 1853, p. 299. Cf. Henzen, Annali, t. XXII, p. 40.) Le principal lieutenant de Niger était le proconsul d’Asie, Asellius Æmilianus, qui fut tué à Cyzique. (Dion, LXXIV, 6. Cf. Waddington, Fastes des prov. asiat., p. 245.)

[82] Il demandait le partage de l’empire, Sévère ne lui offrit qu’un tutum exilium (Spartien, Niger, 5).

[83] Il a dû séjourner quelque temps à Périnthe, ville bien choisie dans ces circonstances, et d’où l’on veillait à la fois sur l’Europe et sur l’Asie. Cf. Eckhel, II, 41 ; IV, 440.

[84] Eckhel, III, 200. Suivant Malalas (Chronogr., XII, p. 294), il autorisa les habitants de Laodicée à prendre son nom, Septimius ; il leur fit de très grandes largesses, institua des distributions gratuites, construisit dans leur ville un hippodrome, un cynégion, des thermes, un hexastoon, et donna le laticlave sénatorial, à ce qui restait de leurs plus notables citoyens.

[85] Digeste, L, 15, 1.

[86] Palæstinis penam remisit (Spartien, Sévère, 14). On a des monnaies de Césarée et de Jérusalem, frappées au nom de Niger. Cf. de Saulcy, Numism. de la terre sainte.

[87] Du milieu de 193 au printemps de 196.

[88] Nous avons encore l’épitaphe d’un Sidonien tué dans cette guerre des Maures. Cf. de Saulcy, Deux inscr. de Saïda.

[89] Dion, LXXIV, 8. Spartien (Sévère, 9) dit qu’un seul périt ; mais comme il copie sans critique les renseignements que lui fournissent ses lectures, il se contredit trois fois dans le même passage.

[90] .... silumque loci amœnum contemplatus, Byzantium instauravit (Chron. Alex., ad ann. 195, et Malalas, XII, p. 291, édit. de Bonn).

[91] Chron. Alex., ad ann. 195, et Malalas, XII, p. 291, édit. de Bonn. Malalas et la Chronique d’Alexandrie vont peut-être trop loin dans un sens ; Dion fait comme eux en sens contraire lorsqu’il affirme (LXXIV, 14) que Sévère avait confisqué les terres des habitants, ce qui ne se peut pas, puisque Byzance continua à subsister et qu’il n’y envoya pas une colonie.

[92] Hesychius Milesius, ap. Frag. Hist. Græc., t. IV, p. 153, éd. Didot.

[93] Vie des Sophistes, II, 27.

[94] Sainte-Croix, Mém. sur le gouv. des Parthes, p. 17.

[95] Cependant elle valut à Sévère les quatre salutations impériales que les monnaies et les inscriptions marquent pour l’année 195.

[96] C’est du moins ce que je conclus, avec Tillemont, du nom de Septimius que prit Albinus et de la coutume des empereurs lorsqu’ils donnaient le titre de césar. De là les monnaies frappées en l’honneur d’Albinus à Hippo Libera, Side et Smyrne. (Cohen, t. III, ad fin. Alb.) Eckhel pense (VII, 165) que s’il avait obtenu ce nom de Sévère, il y aurait renoncé après leur rupture. Cette raison ne parait pas suffisante.

[97] Suivant Capitolin (Albinus, 2 et 6), Commode, inquiet des menées de Sévère, avait déjà offert ce titre à Albinus, qui l’avait refusé prévoyant la chute prochaine de l’empereur et disant que ce prince cherchait des gens qui périssent avec lui. Le silence de Dion et des autres écrivains ne permet pas d’accepter l’authenticité de cette lettre, d’ailleurs si étrange.

[98] Par exemple le taurobole de Lyon en 194. (Orelli-Henzen, n° 6052.)

[99] Hérodien, II, 48. Caracalla était né en 188 ; Geta l’année suivante.

[100] Spon, Miscell., p. 270.

[101] Digeste, XXVII, 9, 1. Il fut lu au sénat le 15 juin 195 ; d’autres sont datés de Viminacium (Cod., IV, 19, 1), d’Eboracum (Cod., III, 52, 1) et d’Antioche (Cod., VI, 46, 2) ; mais, pour celui-ci, il y a en erreur, soit quant à hi date du 22 juillet 205, soit quant au lieu oit l’oit marque qu’il fut rédigé.

[102] Borghesi (Œuvres complètes, IV, 265) compte, pour le règne de Sévère, trente-trois légions, dont quatre dans les deux Germanies et une en Espagne. Nous ignorons de quel côté ces cinq légions se rangèrent, mais nous savons que les partisans d’Albinus étaient nombreux en Gaule et au sud des Pyrénées, puisque, après la bataille de Lyon, il y eut encore des troubles dans ces provinces, et, au dire de Spartien (Sévère, 12), Hispanorum et Gallorum proceres multi occisi sunt. Sévère a dû, dès l’origine, entraîner dans son parti les légions de la haute Germanie, voisines des siennes, et l’on verra son armée entrer en Gaule par cette province. Mais il est difficile de ne pas admettre qu’Albinus travailla de bonne heure l’armée de la Germanie Inférieure, si voisine de la Bretagne et qu’il avait probablement commandée. Cf. Roulez, les Légats des provin. de Belg. et de Germ. Infér., p. 44. Le passage de Capitolin (Albinus, 1) prouverait que les légions de la Gaule, celles au moins du bas Rhin, avaient fait cause commune avec l’armée de Bretagne. Deux faits sont certains : Sévère, à la tête de sa garde prétorienne et des contingents qu’il avait pu tirer des vingt-sept légions stationnées dans les pays de son obéissance, faillit succomber dans la lutte ; et, pour qu’Albinus, victorieux en plusieurs rencontres, ait pu, au dernier moment, mettre son rival en grand péril, il faut qu’il ait eu, non seulement les levées tumultuaires de la Gaule et de l’Espagne, mais des forces organisées considérables. Dion parle de cent cinquante mille hommes mis en ligne de chaque côté. Les chiffres donnés par les anciens auteurs ne peuvent jamais être acceptés qu’avec hésitation ; mais on a le droit de retenir de ceux de Dion que les forces des deux rivaux étaient égales et nombreuses.

[103] Voyez le discours tout républicain, ou plutôt tout sénatorial, attribué par Capitolin (15) à Albinus. Il est impossible que de telles paroles aient été dites devant une armée de ce temps ; mais on n’a pu les prêter à Albinus qu’à raison de ses sentiments connus sur l’importance du rôle des sénateurs.

[104] Cf. Eckhel, VII, 163-5, et Spartien, Sévère, 11.

[105] Spartien attribue la rupture à Albinus, Dion à Sévère ; elle était inévitable. Elle précéda le 30 juin 196, car nous avons un rescrit de cette date signé par Sévère et Caracalla (Cod., IV, 19, 1). Les compilateurs de Justinien y ont donné à Caracalla le titre d’auguste ; mais ils ont fait souvent, au sujet de ce prince, la même erreur. Il faut user avec prudence des dates fournies par les Pandectes. Eckhel (VII, 387) dit à propos de ces lois signées par les empereurs : .... harum testimonia quam sint infirma, satis compertum.

[106] Eckhel, VII, p. 173 et 909 ; Dion, LXXV, 7 ; Spartien, Sévère, 10. C’est alors qu’apparaît pour la première fois la formule imperator destinatus. Cf. L. Renier, Inscr. d’Algérie, n° 1826.

[107] Une monnaie de l’année 195, où Sévère porte le titre de fils de Marc-Aurèle, le représente tenant à la main une Victoire et couronné par Rome. (Cohen, III, p. 298.)

[108] Dion, LXXVI, 9.

[109] A partir de Dioclétien, l’adrogatio se fera par simple rescrit impérial. (Cod., VII, 48, 2.)

[110] M. Antonini Pii filius Commodi frater Antonini Pii nepos Hadriani pronepos, Trajani abnepos, Nervæ adnepos. (L. Renier, Inscr. d’Alg., n° 3277.) Une fille de Marc-Aurèle, Vibia Aurelia Sabina, est dite sœur de Sévère. (Ibid., n° 2718.) On vient de trouver à Lamoricière, province d’Oran, une inscription où Septime Sévère est dit fils de Marc-Aurèle. (Comptes rendus de l’Acad. des inscriptions, 1882, p. 96.)

[111] Lampride, Macrin, 7.

[112] Jusqu’à son consulat, il n’avait eu à Rome qu’une très petite maison et un seul fonds de terre, quum ædes brevissimas habuisset et unum fundum (Spartien, Sévère, 4). — Le successeur héritait des biens de l’empereur mort, même des legs qui, lui ayant été faits, n’avaient pas encore été payés. (Digeste, XXXVI, 56.) Ainsi les Flaviens avaient hérité de la Chersonèse, domaine des premiers Césars. (C. I. L., III, 726.) Pour gérer cette grande fortune, Sévère institua une procuratio rerum privatarum dont l’usage se conserva. (Ibid., 12.)

[113] Capitolin, Albinus, 7, et Hérodien, III.

[114] Eckhel, VII, 175 ; Cohen, III, 275.

[115] L. Renier, Inscr. d’Alg., n° 1826 ; Mél. d’épigr., p. 165 ; Henzen, Bull. de l’Inst. archéol., 1856, p. 88. La députation dont il est parlé dans cette inscription eut lieu en 196.

[116] Hérodien, III, 23. L’expédition contre Albinus avait pris les derniers mois de 196 et les deux premiers de 197. Dion nous donne une date précise pour le milieu des hostilités, l’incident dont il vient de parler ayant eu lieu la veille des Saturnales, c’est-à-dire le 16 décembre 196.

[117] Spartien, Sévère, 11 ; Capitolin, Albinus, 9 ; Cohen, III, p. 227. Le sénat ne pouvant frapper que de la monnaie de cuivre, émettre de la monnaie d’argent était de sa part une usurpation.

[118] Capitolin, Albinus, 12. Celte lettre est-elle authentique ? Dion (LXXV, 7) parle de lettres menaçantes, sans en rien citer ; mais ce qu’il rapporte des discours de Sévère au sénat permettrait d’accepter la dépêche citée par Capitolin.

[119] D’après Dion (LXXV, 7), on pourrait croire que ce ne fut qu’à ce moment qu’il déclara Commode divus ; une inscription de l’an 196 (Bull. de l’Inst. archéol., 1845, p. 60), où Sévère est qualifié de frère du divin Commode, prouve que l’apothéose de ce prince précéda la bataille de Lyon. En se faisant fils de Marc-Aurèle, au moins dès l’année 195, Sévère s’était mis dans l’obligation de réhabiliter la mémoire de son frère adoptif.

[120] Dion, LXXV, 7.

[121] Dion, LXXV, 8. Spartien (Sévère, 15) compte quarante et un personnages mis à mort. Sévère laissa vivre d’abord la femme et les deux (?) fils d’Albinus ; plus tard, il les fit tuer. (Capitolin, Albinus, 9.) Suivant l’usage et la loi, les biens des condamnés furent confisqués. Cependant on trouve un Ceionius Albinus préfet de Rome sous Valérien : toute la famille n’avait donc pas été enveloppée dans la ruine du vaincu de Lyon.

[122] Spartien, Sévère, 12.

[123] Dion, LXXV, 7.

[124] Aurelius Victor, de Cæsaribus, 20.

[125] Multi post Albinum fidem ei servantes bello a Severo superati sunt (Spartien, Sévère, 12).

[126] C. I. L., II, 4114.

[127] C. I. L., III, 4057. Mais je dois dire que rien ne permet de donner avec certitude à cette inscription la date de l’année 197.

[128] Du 4 au 7 mai 997. De Boissieu, Inscript. de Lyon, p. 56. Plus tard, après la guerre Parthique, un autre taurobole fut célébré par l’ordre et aux frais de l’assemblée générale de la Narbonnaise, pro. salute dominorum impp. (Gruter, XXIX, 92.)

[129] Cohen, III, 259, Munificentia Aug. Sévère renouvela la défense pour les femmes de combattre comme gladiateurs. (Dion, LXXV, 16.)

[130] Il emmena une partie des prétoriens (Dion, LXXV, 10) avec leur préfet, C. Fulvius Plautianus (Orelli, n° 934), et emprunta des détachements aux armées d’Europe (Dion, LXXV, 12. et C. I. L., III, 1195) et d’Afrique (L. Renier, Inscr. d’Alg., n° 1182).

[131] Eckhel, VII, 176 : Profectio Aug. ; Mommsen, Inscr. Neap., n° 1410. Pour cette guerre, Hérodien confond les faits, les noms, les dates, la géographie.

[132] Avril 198. Celte date peut se conclure d’une inscription publiée par M. L. Renier, Inscr. d’Alg., n° 1727.

[133] A quelques jours de marche, à l’ouest du Tigre. Ses ruines subsistent encore et ne se trouvent point, comme le dit Hérodien, sur une haute montagne. On n’y voit que des collines et quelques roches calcaires. Cf. Nineveh, de Layard, qui a visité el-Hadhr. Il est question dans Dion de deux sièges, ou plutôt de deux attaques d’Atra : l’une, peut-être, par un des lieutenants de Sévère, l’autre par lui-même.

[134] Dion, LXXV, 12.

[135] Différent du défenseur de Nisibe, qui était dans cette place quand l’autre Lætus était encore en Gaule.

[136] Dion, LXXV, 6. Spartien (Sévère, 11) dit que l’armée, ayant cru l’empereur mort, avait songé à faire aussitôt un autre empereur.

[137] Dion, LXXV, 10. Il se contredit : dans la même phrase, il présente Lætus comme aimé des soldats ; puis il nous apprend que Sévère rejeta le meurtre sur eux en disant qu’ils l’avaient commis.

[138] Spartien, dans sa biographie de Sévère (20), faisait remarquer à Dioclétien qu’il était très rare qu’un grand homme eût laissé un fils optimum et utilem.... aut sine liberis viri interierunt, aut tales habuerunt plerique, ut melius fuerit de rebus humanis sine posteritate discedere. Mais Dioclétien n’avait point de fils : c’était une consolation que l’historiographe officiel voulait lui donner.

[139] C. I. L., II, 1669, 1670, 1969, etc. Cf. Cohen, III, n° 118-122, 560-5, 610-612.

[140] Hertzberg (die Gesch. Griechenl. unter der Herrsch. der Rœm.), qui recueille les plus minutieux détails, n’a pu (t. II, p. 421 et suiv.) rien tirer d’important de ces inscriptions. Voyez aussi L. Renier, Inscr. d’Alg., n° 2159, 2322, 2374, 2466, etc.

[141] La légion IIa Parthica fut ramenée par Sévère en Italie ; elle eut son quartier général à Albano, où l’on a trouvé son cimetière et quantité d’inscriptions provenant d’elle. (Henzen, Annali, 1867, p. 57 et suiv.) Il est inutile de chercher à distinguer les mesures prises par Sévère durant le premier et le second séjour qu’il fit en Mésopotamie.

[142] Septimia col. Nisibis. (Dion, LXXV, 5 ; Eckhel, VII, 517.) Eckhel, VII, 518. Ammien Marcellin, XXIII, 5.

[143] Il vint plus tard, entre 205 et 208, renouveler à Rome ses promesses de fidélité. Sévère le reçut avec une grande magnificence. (Dion, LXXIX, 46.) Quant aux Arméniens, S. Martin, dans ses Mémoires sur l’Arménie (t. I, p. 301), parle d’une invasion des Khazars qui, ayant traversé les gorges de Derbend dans le Caucase et franchi le Kour, auraient battu les Arméniens et tué leur roi Vagharsch, en l’année 198. Ces événements expliqueraient mieux encore que la politique traditionnelle de ce peuple, pourquoi Sévère n’eut pas de précautions à prendre de ce côté, quand il descendit sur Ctésiphon. Entre les Parthes qui les menaçaient au sud-est et les Barbares qui les menaçaient au nord, l’alliance romaine était pour les Arméniens une nécessité.

[144] Sur les monnaies de Trajan, Ninive s’appelle Colonia Augusta. Dion, contemporain de Sévère, disait de Ninive : .... ήμετέρα έστί xαί άποιxος ήμών νομίζεται (XXXVI, 6).

[145] Lebas et Waddington, Voyage archéol., n° 1480. L’inscription du n° 616 montre ces deux provinces réunies à la Galatie.

[146] Sous Alexandre Sévère, il y avait cinq légions en Syrie et en Palestine.

[147] Chronique d’Eusèbe et de S. Jérôme, ad. ann. 202, et Malalas, p. 294, dans la Byzantine.

[148] C. I. L., III, n° 203. Waddington, Inscr. de Syrie, 1838.

[149] Sur le colosse de Memnon, tous les proskynèmes de militaires ou de fonctionnaires sont en latin ; voyez Letronne, Inscriptions d’Égypte, II, 324.

[150] Hérodien, III, 3.

[151] Waddington, Inscr. de Syrie, 1843. Sous Caracalla, la légion IIIa Gallica coupa des rochers, l’inscription dit des montagnes, qui faisaient obstacle au cours du Lycus. (Ibid., 1845.)

[152] Waddington, op. cit., 2329. Cf. Josèphe, Ant. Jud., XIV, 15, 5.

[153] Cf. Henzen, Bulletin de l’Inst. archéol., 1867, p. 204 et suiv. Waddington, Inscr. de Syrie, 2136 et suiv.

[154] Si quelque soldat ou voyageur veut entrer de force chez vous, écrivez-moi pour obtenir réparation. Vous ne devez rien aux étrangers, et, puisque vous avez un caravansérail (ξενώνα) pour les recevoir, vous ne pouvez être contraints à leur ouvrir vos maisons. Placez cette lettre à l’endroit de votre ville où elle sera le plus facile à lire, afin que nul ne puisse s’excuser en invoquant son ignorance. (Waddington, Inscr. de Syrie, 2, 424.) L’auteur de cette lettre est un légat d’Alexandre Sévère.

[155] Waddington, ibid., p. 460.

[156] D’après la carte de Peutinger, il y avait 212 milles de Damas à Palmyre. Porter (Handbook for Syria, p. 536) ne compte entre ces deux villes que quarante heures de marche ; MM. de Vogüé et Waddington ont aussi trouvé des postes de soldats romains le long d’une route se dirigeant de Bostra vers Palmyre, à travers une solitude désolée. Malheureusement les graffiti qu’ils y ont lus ne donnent aucune date. (Inscr. de Syrie, p. 522.) Dans le Sahara africain, les mêmes précautions avaient été prises ; cf. Arch. des Missions, 1877, p. 362 et suiv. En voyant le désert partout bordé de forts romains, on comprend que les provinces situées derrière eux aient joui d’une prospérité qu’elles ont perdue quand les malheurs de l’empire ont fait disparaître cette police vigilante. Une inscription trouvée à Palmyre en 1882 prouve que cette ville était déjà dans une certaine dépendance de l’empire au temps d’Auguste. (Bull. de corr. hellén., 1882, p. 459.)

[157] De Vogüé, Inscr. sémit., 7, 16, 65 et passim.

[158] Cf. Waddington, Inscr. de Syrie, 2606 a.

[159] En d’autres villes grecques et syriennes, les édiles portaient le nom d’évêques, έπίσxοποι ou surveillants.

[160] De Vogüé, Inscr. sémit., 16, 146-7, et Waddington, Inscr. de Syrie, 2606 a, 2607 et 2629.

[161] Waddington, Inscr. de Syrie, 2580.

[162] Les chefs de ces nomades étaient appelés ethnarques, stratèges, ou οί άπό έθνους νομάδων. Cf. Waddington, op. cit., p. 511. Quelques-unes de leurs tribus gardent encore le nom qu’elles portaient il y a dix-huit siècles. (Ibid., p. 525, n° 2287.)

[163] La Syrie centrale, par M. de Vogüé.

[164] Waddington, Inscr. de Syrie, 2296 et 2301, έx προνοίας de Corn. Palma. Le premier soin de Corn. Palma, le conquérant de l’Arabie, avait été de donner de l’eau aux nouveaux sujets de l’empire. En pratiquant cette excellente politique en Algérie, nous ne faisons que suivre l’exemple des Romains.

[165] La voie romaine de Bostra à Damas existe encore presque en entier, dit M. Waddington, et on trouve çà et là, dans ces régions, les restes de beaucoup d’autres. La numismatique septimienne est très riche pour toutes ces provinces, et les ruines d’Héliopolis sont de cette époque, le temple de Jupiter ayant été construit par Septime Sévère et celui du Soleil par Hadrien et Antonin. Théodose le détruisit. (Revue archéol., avril 1877.)

[166] Voyez la Syrie d’aujourd’hui du Dr Lortet.

[167] De Vogüé, la Syrie centrale, p. 30. Le fait se passa après Sévère, entre 241 et 251.

[168] Fuit delendarum factionum cupidus (Aurelius Victor, de Cæsaribus, 20).

[169] Il n’y eut jamais contre les Juifs d’édit de persécution : Judæorum sectam nulla lege prohibitam satis constat (Constitution de Théodose, anno 393. Code Théodosien, XVI, 8, 9).

[170] Honores adipisci permisit, sed et necessitates eis imposuit quæ superstitionem eorum non læderent (Digeste, L, 2, 3, § 5).

[171] Code Théodosien, XVI, 8, 5.

[172] Josèphe (Bell. Jud., II, 16, 4) lui donne sept millions huit cent mille habitants : nombre qui, cent ans plus tard, devait s’être augmenté. Cf. Letronne, Journal des Savants, 1844, p. 454.

[173] Une inscription de Septime Sévère en Égypte a consacré la découverte près de Philæ de nouvelles carrières de granit d’où l’on tira de nombreuses et grandes colonnes. Cf. Letronne, Journal des Savants, 1836, p. 684 ; C. I. G., III, 75. Les carrières du Djebel Fatereh continuèrent à être exploitées jusqu’au temps de Dioclétien.

[174] Letronne, Inscriptions de l’Égypte, t. II, p. 487-518.

[175] La dernière inscription hiéroglyphique qui soit connue est une offrande de l’empereur Decius, vers 250 ; mais Letronne pense que l’usage de cette écriture subsista jusqu’au sixième siècle. (Journal des Savants, 1843, p. 464.) On a des inscriptions où des Grecs se disent graveurs d’hiéroglyphes. (Letronne, Inscriptions d’Égypte, t. II, p. 475.)

[176] Lettres écrites d’Égypte, p. 86.

[177] Voyez le mémoire célèbre de Letronne sur la statue du pharaon Amén’otep, qui vivait vers l’an 1680 avant notre ère. Aucune des inscriptions gravées sur ce colosse n’est postérieure à Sévère.

[178] Les dernières découvertes de Mariette à Karnak prouvent que les Pharaons avaient légué à leurs successeurs une connaissance de la vallée supérieure du Nil bien plus complète qu’on ne l’a cru longtemps. Les armées de Thoutmès III ont certainement pénétré jusqu’au cap Ras-Hafoun, au sud du cap Guardafui, probablement même dans l’intérieur des terres au delà de Khartoum, et Ptolémée parle de trois grands lacs équatoriaux. Cependant Ammien Marcellin (XXII, 15) déclarait les sources du Nil introuvables : posteræ ignorabunt ætates. Des inscriptions nubiennes constatent que les Blemmyes et les Axumites s’étaient soumis à Sévère.

[179] Dion, LXXV, 13.

[180] Sur les nugæ difficiles du Musée, cf. Letronne, Inscr. d’Égypte, t. II, p. 399-400, l’inscription de ce pensionnaire du Musée qui s’intitule poète homérique, parce qu’il composait des centons d’Homère.

[181] Spartien, Sévère, 17.

[182] Dion, LI, 17. Aussi Malalas dit (XII, p. 293) : Ίνδουλγεντίας αύτοϊς παραοχών έδέξατο αύτούς.

[183] Chronique Alex., ad. ann. 202.

[184] Une inscription (Letronne, Inscriptions d’Égypte, p. 463) le montre aussi réparant le pavé d’un temple. Si tant de monuments épigraphiques n’avaient point péri, nous aurions certainement de plus nombreuses preuves des travaux commandés par Sévère en Égypte.

[185] Le rhéteur Aristide en compte quarante-trois en Égypte. Pour lui, Sérapis, est le dieu des dieux qui domine la terre et la mer, la lumière et la nuit, la vie et la mort.

[186] Saturnales, I, XX, 17.

[187] Jucundam sibi peregrinationem hanc propter religionem dei Serapidis.... Severus ipse postea semper ostendit (Spartien, Sévère, 17).

[188] La troisième. Le culte d’Isis s’était subrepticement introduit à Rome dés le temps de la seconde guerre Punique (Val. Maxime, I, II, 3), et, deux siècles avant notre ère, Delphes possédait un Serapeion que notre École d’Athènes vient de retrouver. (Bull. de corr. hellén., 1882, p. 306.) Commode avait été un fervent adorateur d’Isis. (Lampride, Commode, 9.)

[189] Sévère avait déjà élevé dans Byzance un temple et une statue au Soleil, Deo Zeuxippo. Malalas, Chronogr., XII, p. 291. Tertullien (Apologétique, 24) dit lui-même aux Romains : Nonne conceditis de estimatione communi aliquem esse sublimiorem et potentiorem velut principem mundi.... imperium summæ dominationis esse penes unum. On verra, aux temps d’Aurélien, de Constantin et de Julien, la popularité croissante du culte du Soleil.

[190] M. Maspero, Revue critique de 1872, p. 338.