HISTOIRE DES ROMAINS

 

L’EMPIRE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES DE NOTRE ÈRE.

CHAPITRE LXXXV — LE GOUVERNEMENT ET L’ADMINISTRATION.

 

 

I. — L’EMPEREUR ET LA NOUVELLE NOBLESSE.

En racontant l’histoire de l’empire depuis Auguste, nous avons mis ce gouvernement en action et montré les rouages fort simples qui composaient l’immense machine. Il suffira donc de quelques mots pour résumer les détails épars dans le récit[1].

Les Romains n’étaient point des théoriciens, et ils n’auraient rien compris à nos dissertations sur le contrat social. La cité, l’État, ou, comme les anciens l’appelaient, la république, avait été organisée à l’origine dans un but de défense mutuelle contre l’ennemi du dehors, et non avec le désir d’assurer à chacun la vie la plus indépendante. Il en avait été de même, dans la famille et dans la tribu, où le père et le chef de clan disposaient de tout. Le premier besoin est de vivre, et aux temps anciens on ne pouvait vivre sans une forte discipline de famille et de cité. Plus qu’aucun autre peuple, les Romains furent forcés, par les circonstances historiques de leur existence nationale, d’établir cette énergique discipline et de la conserver. Le citoyen avait donc fait abandon de tout droit à l’État en échange de la sécurité, ou plutôt il s’était trouvé naturellement subordonné, sous la république, au pouvoir absolu des magistrats, même pour sa vie privée où le censeur pénétrait, comme il le fut sous l’empire au pouvoir absolu du prince. Il semble que, dans le premier cas, la liberté existât parce qu’elle pouvait passer et se mouvoir entre ces divers magistrats annuels qui, étant toujours deux au moins dans la même charge, avec le droit d’intercession l’un contre l’autre, se faisaient équilibre. Ce fut, en effet, ce qui eut lieu aux beaux jours de la république romaine. Mais ces magistrats, égaux en autorité, pouvaient aussi s’entendre au lieu de se contenir ; il en arriva ainsi depuis les Gracques, lorsqu’une aristocratie étroite confisqua toutes les fonctions publiques, même le veto tribunitien. Cette déviation du principe constitutionnel devint la loi de l’empire. Les prérogatives, autrefois divisées et données pour un temps fort court, furent, après César, réunies et abandonnées au prince pendant sa vie entière, de sorte qu’il ne fut permis à personne d’arrêter un acte de celui qui n’avait pas de collègue, et que ses sentences comme juge furent irréformables, puisque la provocatio ad populum était impossible contre le tribun perpétuel qui, représentant du peuple entier, agissait en soir lieu et place. La suppression du double droit de veto et d’intercessio constitua le pouvoir absolu, et ce fut la seule différence entre le régime républicain et le régime impérial. Au fond, l’idée de la toute-puissance de la cité ou de l’État se retrouve, dans l’un comme dans l’autre, représentée à l’époque des Catons par plusieurs, au temps des Césars par un seul. Aussi l’empire ne sembla-t-il d’abord qu’une forme de la république, comme nos pères purent le croire un instant, quand ils lurent sur les monnaies la double légende : République française, Napoléon empereur.

Une fois, en effet, que cette réunion de tous les pouvoirs dans la même main, c’est-à-dire la permanence de la dictature temporaire de l’époque républicaine, eut été admise par les uns comme la fin des discordes civiles, imposée aux autres par les quarante-cinq légions d’Octave, il n’y eut pas, à l’établissement du principat, un grand étonnement dans le monde romain, ni un changement considérable dans ses lois. Cependant, si petite que la différence parût aux contemporains, elle était profonde. Un écrivain du second siècle, Appien, le dit en sa préface : César garda le nom et les formes de la république, mais s’empara de tout le pouvoir, et ses successeurs ont conservé ce qu’il avait pris. Ils s’appellent empereurs : en vérité ils ont l’autorité d’un roi. Les jurisconsultes parlent de même, avec leur habituelle rigueur. Comme les circonstances avaient donné le pouvoir à un petit nombre, dit Pomponius, il arriva, grâce aux factions, qu’il fut nécessaire de confier à un seul le gouvernement de la république, quand le sénat se trouva incapable d’administrer honnêtement les provinces. Ce pouvoir fut celui du roi le plus absolu, puisqu’il ne se trouvait dans ce gouvernement ni corps héréditaires ayant les mêmes intérêts que le prince, et cependant capables de le contenir, ni les fortes croyances qui, tout en enveloppant la personne royale d’un religieux respect, lui imposent certaines réserves. Les jurisconsultes avaient même eu l’attention d’épargner au prince toute hésitation sur son omnipotence, en lui fournissant des formules de droit très logiquement déduites du principe de la souveraineté nationale[2], et qui faisaient de la raison individuelle d’un homme la raison collective de la nation entière, de la volonté du prince la loi du peuple. Le prince, disaient-ils, n’est pas tenu d’observer la loi[3] ; et la loi est son bon plaisir, tout comme la justice, car il casse les arrêts et il les réforme[4].

Autrefois, quand le peuple réuni en centuries voulait faire acte de législateur, il fallait le forum ou le Champ de Mars, la consécration des pontifes, la convocation indiquée trente jours à l’avance, dies justi, le drapeau sur le Janicule[5], la proposition d’un magistrat qui ne laissait à la nation souveraine que le choix entre un oui ou un non, et la loi faite était encore soumise au veto des dieux exprimé par les augures. Pour rendre un arrêt irrévocable, comme juge suprême, pour établir une prescription qui commande l’obéissance absolue, le prince n’est gêné par aucune de ces formalités qui donnaient à la réflexion le temps de se produire, à la sagesse le moyen de revenir sur un acte précipité. Le ciel même ne peut contrarier ses desseins, car il est grand pontife et il fait au besoin parler les dieux suivant sa volonté[6]. Un décret, un édit, une lettre, une parole, suffisent, et il n’est pas seulement le maître absolu de la loi, dominus legum[7], il l’est encore des biens et de la personne de ses sujets[8]. Enfin chaque année, à l’anniversaire de l’avènement du prince, les gouverneurs font renouveler par les soldats et par les peuples le serment d’obéir à cette volonté sans limite et à ce pouvoir sans contrôle[9]. Caligula avait déjà dit l’équivalent du mot fameux : L’État, c’est moi ![10]

Les parents de l’empereur n’avaient aucun privilège, excepté le César ou héritier présomptif dont nous allons parler. L’impératrice était seulement la première des matrones, et, pour confondre en elle la majesté du rang avec la pureté de la vie, au théâtre, c’était au milieu des vestales que l’Augusta allait s’asseoir[11].

L’empereur qu’on appelle Votre Éternité[12], ou Votre Sainteté, veut être obéi, même après sa mort. S’il a un fils, ce fils lui succède. S’il n’en a pas, l’adoption lui en donne un qu’il nomme César et prince de la jeunesse, c’est-à-dire chef des chevaliers ; qu’il investit de la puissance tribunitienne et consulaire, et à qui passent, sans difficulté, le jour où l’Éternité meurt, le reste des titres et des pouvoirs. C’est un sénatus-consulte qui les lui donne, et ce décret des Pères, on l’appelle la loi royale. En fait, tant qu’il a des enfants, c’est-à-dire des héritiers naturels ou d’adoption, l’hérédité existe, sous la garantie du donativum aux soldats et avec la formalité de l’assentiment sénatorial[13]. En droit, l’élection est le principe constitutionnel, et ce principe est appliqué par le sénat, plus souvent par les légions qui, uniquement composées de citoyens, semblaient représenter le vrai peuple romain ; une fois même, pour Gordien III, il le fut par la populace de Rome. Mais cette élection, résultat d’une surprise, d’une violence ou de la corruption, est toujours l’œuvre de quelques hommes entreprenants, jamais celle de la nation qui n’a aucun moyen d’intervenir dans le choix de son maître, ni par elle-même, puisqu’elle est dispersée sur toute la surface de l’empire, ni par ses représentants, puisqu’elle n’en nomme pas, et qui d’ailleurs aime l’autorité impériale, sans même se soucier de savoir qui la détient.

Tacite disait, à propos des retards de la flotte frumentaire, que la vie de Rome était à la merci des vents et des flots. C’est de l’empire tout entier qu’il faut dire que son repos et sa sécurité dépendaient du double hasard des circonstances et des hommes. Ce peuple, si prévoyant sous la république, n’avait rien su prévoir sous l’empire, et cent millions d’hommes confiaient leur sort à la divinité aveugle. On a élevé mille temples à la Fortune, dit Fronton à Marc-Aurèle, et, pas un à la Raison[14].

Cette raison, d’ailleurs, qu’aurait-elle conseillé ? Beaucoup de closes sans doute que l’histoire aperçoit, mais que les contemporains ne voyaient pas. Si quelques hommes, sous les premiers Césars, avaient regretté la république, c’est-à-dire la toute-puissance de deux cents familles sénatoriales, leur opposition n’avait pas été populaire. Tacite lui-même ne demandait pas une organisation nouvelle du pouvoir, et il était bien près de blâmer Thraséa de son sacrifice inutile[15]. La philosophie reprenait la thèse de Platon : elle estimait que le meilleur des gouvernements était celui d’un homme, représentant des dieux sur la terre et réglant toute chose avec sagesse[16]. Dans l’empire, ce qui charme Aristide, comme tous les écrivains provinciaux, c’est le rôle que l’empereur remplit de grand justicier, διxαστής μέγας, protégeant la fortune, l’honneur de chacun et de tous[17]. Philon avait dit dès le temps de Caligula : Il n’est pas bon que le pouvoir appartienne à plusieurs. Bossuet ne parlera pas autrement sous Louis XIV. C’est que, à certains égards, les deux pouvoirs se ressemblent. Comme nos rois ont pris la place des seigneurs féodaux, les empereurs avaient pris celle des proconsuls républicains : révolution qui, aux deux époques, fut bénie des populations. Les provinciaux savaient bien que la monarchie absolue a aussi ses dangers, et au troisième siècle ils voudront se détacher de l’empire qui ne saura plus les défendre ; mais jusqu’à présent ils l’ont considéré comme la meilleure garantie de leurs intérêts[18].

Aussi ce gouvernement n’avait besoin, pour se faire obéir, ni de soldats dans les cités, ni d’innombrables agents dans les provinces. Ses armées étaient à la frontière, en face de l’ennemi, et l’on verra tout à l’heure combien ses fonctionnaires étaient peu nombreux.

En réalité, jamais gouvernement n’a rencontré moins d’adversaires, quoiqu’il ait été l’objet d’innombrables compétitions. Personne, depuis Chéréa, n’a songé à changer l’empire ; mais beaucoup ont réussi à changer l’empereur. Qu’un homme, en effet, se fasse dieu sur la terre, sans être protégé, dans cette usurpation, par l’absolue confiance des sujets en sa nature particulière, et il donnera la tentation aux audacieux de le renverser pour prendre une si belle place. L’empire aura donc la vie qu’il mérite : une suite de révolutions, non de doctrines politiques, mais de personnes. L’heureux intermède des Antonins a été une accalmie qui ne se reproduira plus, parce qu’on ne pouvait compter deux fois sur ce miracle d’une succession d’hommes supérieurs qui, par sagesse, s’imposeraient la modération que les institutions ne leur commandaient pas. Aussi les convulsions qui avaient précédé les règnes de Vespasien et de Trajan reparaîtront après Marc Aurèle avec une plus désastreuse énergie : à l’avènement de Dioclétien, sur quarante-neuf empereurs, sans parler des trente tyrans, on n’en pouvait compter que onze ou douze qui eussent atteint naturellement le terme de leur existence.

Qui aurait conjuré ces désordres ? Était-ce le sénat ? Cette assemblée avait été renouvelée par les Flaviens et les Antonins. Les vieilles familles romaines, décimées par mille causes, disparaissaient rapidement. Le second triumvirat à lui seul avait coûté la vie à trois cents sénateurs et à deux mille chevaliers : voilà pour la guerre civile. Sous Claude, trente-cinq sénateurs et trois cents chevaliers périrent. Mais comment compter les victimes de Caligula, de Néron, de Domitien, et de la meurtrière anarchie des années 68 et 69 ? Dès le temps d’Auguste et de Tibère, on manquait de patriciens pour les fonctions religieuses, et presque à chaque règne les empereurs étaient obligés d’en faire. Afin de combler les vides dans la curie dépeuplée, Claude l’ouvrit aux Gaulois, Vespasien aux nobles de tout l’empire. Ce n’était point caprice, mais nécessité, car les deux ordres équestre et sénatorial, d’où sortaient tous les agents de l’administration publique, ne comptaient plus alors que deux cents gentes. Pour reconstituer le corps aristocratique épuisé, le premier des Flaviens appela dans Rome, du fond des provinces, mille familles municipales.

Ce que Vespasien faisait pour la haute administration, il fallut le faire pour la judicature. A Rome, les cinq décuries de juges, composées de chevaliers et de ducénaires, se dépeuplaient comme le sénat ; on les compléta avec des chevaliers provinciaux. Pline, vieil Italien qui ne comprend ni cette politique nécessaire ni cette loi de l’histoire que les aristocraties fermées ne se conservent pas, s’écrie avec douleur (XXIX, 8) : Aujourd’hui on appelle un homme de Cadix ou des colonnes d’Hercule pour juger une affaire d’un écu.

Ainsi, cent vingt-huit ans après Actium, les provinciaux avaient tout envahi, même le pouvoir suprême, et pas un Romain d’origine ne rentrera plus en maître dans le palais des Jules et des Claudes. Cicéron avait dit en plein sénat (Philipp., III, 6) : Combien s’en trouve-t-il parmi nous qui ne soient pas sortis des municipes italiens ? C’est de tous ceux qui étaient quelque chose à Rome et dans l’empire qu’on pouvait dire à présent : Combien sont-ils qui ne viennent pas des cités provinciales ? Sic vos non vobis : Virgile n’avait pas prévu que les Romulides auraient si vite leurs sujets pour héritiers.

Ces Espagnols[19], ces Gaulois, siégeant au Palatin, continuèrent la politique du prince qui avait fait leur fortune. Trajan donna la toge consulaire à un chef maurétanien, Lusius Quietus ; Hadrien, au descendant d’un tétrarque de Galatie[20] ; Marc Aurèle, à plusieurs Africains[21]. Deux Numides, Fronton et Proculus, reçurent la province que l’on considérait comme le premier gouvernement de l’empire, celle d’Asie[22]. Le proconsulat d’Afrique était le second : vers l’an 146, il fut donné à un Paphlagonien, qui lui-même prit pour assesseur ou membre de son conseil un décurion d’Amastris, sa ville natale[23]. De cette même province d’Afrique allaient sortir coup sur coup trois empereurs et un grand jurisconsulte.

On se défiait des Égyptiens et des Grecs, qui avaient, à Rome, mauvais renom, et arrivèrent tard à la curie[24] : les premiers sous Caracalla ; les seconds sous les Antonins, princes à demi grecs qui s’entouraient volontiers de gens dont ils parlaient la langue. Arrien, Hérode Atticus, les Quintilii[25], Quadratus de Pergame, bien d’autres encore, obtinrent alors le consulat. Le père de Dion Cassius, un Bithynien, gouverna la Cilicie et la Dalmatie ; celui d’Avidius Cassius, un Syrien, eut la préfecture d’Égypte qu’un Juif, Tibère Alexandre, et un descendant des rois de la Commagène, Balbillus, avaient tenue[26] ; enfin Marc Aurèle donna une de ses filles à un chevalier d’Antioche. Ainsi s’opérait le mélange des nations.

Martial et Juvénal, oublieux de leur naissance obscure, se plaignaient amèrement de l’invasion de ces chevaliers accourus à Rome du fond de la Syrie, de la Cappadoce et de la Bithynie : fils d’esclaves qui ne laissaient ni place ni fortune à la vraie descendance de Numa[27]. Qu’auraient-ils dit, s’ils avaient vu la région illyrienne fournir plus tard son contingent de généraux, de pères conscrits et d’empereurs ? Ainsi, par une loi fatale que produisait le rayonnement de la civilisation romaine autour de l’Italie et par l’effet de la prospérité générale, il arrivait, pour chaque province, un moment où les hommes que le maniement des affaires municipales avait formés, ou que le commerce avait enrichis, étaient naturellement revendiqués par l’État pour ses divers services. Au second siècle, cette nouvelle noblesse remplissait, à Rome, le sénat ; à l’armée, le prétoire ; partout, la haute administration. Ses mœurs étaient meilleures, ses idées plus justes : elle ne regardait pas l’empire comme une usurpation sur ses droits, et les vœux de son grand interprète, Tacite, n’allaient qu’à demander aux dieux de donner au monde des princes tels que Trajan.

Rome, au temps des Antonins, n’avait donc plus, comme sous les Césars et les Flaviens, ces continuelles intrigues contre l’empereur, ces égorgements de conspirateurs maladroits ou de victimes innocentes. La nouvelle aristocratie ne conspirait plus, si ce n’est à de longs intervalles et par un reste d’habitude pris dans les traditions de ceux à qui elle succédait. Tout au plus laissait-elle courir de petites médisances au sujet des soupers de Trajan, des amitiés d’Hadrien ou de l’orgueil des deux Faustine. Sénèque dit que l’Égypte mettait son esprit à commettre une foule d’impertinences contre ceux qui la gouvernaient[28]. Rome, à cet égard, n’était pas en reste avec Alexandrie. Ces méchants propos, que l’esprit frondeur des grandes capitales colporte chaque jour de maison en maison, sont la rançon du pouvoir, de la beauté, de la vertu, quelquefois le châtiment du vice, et cette rançon, les princes intelligents la payent sans en être troublés. Sortis des rangs de la nouvelle noblesse, les Antonins la connaissaient bien, et, sachant qu’ils n’avaient rien à craindre d’elle, ils lui montraient une confiance et des égards qui maintenaient une paix cordiale entre le palais et la curie.

Ainsi, dans les provinces, des institutions locales qui, par le double jeu d’une liberté suffisamment large et d’une responsabilité très étroite, formaient des magistrats, dont l’État pouvait ensuite utiliser l’expérience, et un courant constamment alimenté qui portait les plus habiles et les plus forts aux charges publiques, aux honneurs de Rome, au sénat, même au pouvoir suprême. Telle est la situation qui s’était produite par la force des choses et qui avait, pour la prospérité de l’empire, les conséquences heureuses qu’avait eues, pour la grandeur de la république, l’invasion des nobles du Latium et de l’Italie dans la cité romaine. Ce grand mouvement de rénovation aboutit aux Antonins. C’est parce que ces princes représentaient l’avènement des provinciaux à l’empire et l’alliance entre l’aristocratie nouvelle et les nouveaux empereurs, que leur domination fut à la fois paisible et forte. On n’attribue d’ordinaire cette prospérité qu’à leurs qualités personnelles. Il faut en tenir compte assurément, niais aussi reconnaître que ces qualités, ayant été la condition de leur fortune, avaient dû la précéder pour la rendre possible. Trajan fut choisi comme le plus méritant, et l’on a vu les longues perplexités d’Hadrien, avant de désigner ceux qu’il chargea de continuer son œuvre.

Mais au sein de cette noblesse se trouvait un germe corrupteur les affranchis s’y étaient glissés en grand nombre. Curtius Rufus, consul sous Tibère, était né d’un gladiateur ; Vitellius passait pour le petit-fils d’un esclave, et, dès le temps de Néron, on disait que beaucoup de sénateurs, la plupart des chevaliers, n’avaient pas d’autre origine[29]. Lorsque de vieux Romains, dans leur orgueil blessé, objectaient la basse extraction d’un de ces parvenus, l’empereur répondait : Il est le fils de ses œuvres[30]. C’était le mot de la politique nouvelle. Malheureusement, si, parmi ces anciens esclaves arrivés à force d’intelligence, quelquefois aussi par d’indignes moyens, à la liberté et à la richesse, il s’en trouvait qui pussent l’aire d’excellents administrateurs, très peu étaient capables de fonder une de ces maisons où des traditions de vertu et de respect de soi-même préparent à l’État de bons citoyens. Ils comprenaient les affaires et les conduisaient bien, mais les sentiments s’étaient rarement élevés avec la fortune : à la souplesse de l’esprit répondait celle de la conscience, et le sens moral, le souci de la dignité personnelle, manquaient bien souvent à des hommes qui, ayant trouvé dans l’héritage paternel le souvenir des humiliations de la servitude, étaient, comme le Rufus de Tacite, lâches adulateurs envers les puissants, hautains pour les inférieurs, difficiles avec les égaux. Voilà comme le sénat des Antonins, plus honnête politiquement que celui des derniers temps de la république et du premier siècle de l’empire, mais mélangé d’éléments impurs, avait à la fois tant d’expérience pour les affaires et tant de bassesse pour le prince.

 

II. — LE SÉNAT ET LES CHEVALIERS.

A se contenter des apparences, le sénat occupait sur la scène politique une large place, et ses membres semblaient si indispensables pour la bonne conduite des affaires, ou plutôt leur résidence dans les provinces paraissait si dangereuse, qu’ils ne pouvaient sortir d’Italie sans la permission du prince. Il nommait aux charges et rendait des jugements[31] ; il administrait et légiférait ; il veillait sur la religion et sur le trésor public, ærarium ; il faisait de la police la plus minutieuse et de la politique la plus grave par ses conséquences : aujourd’hui recevant des ambassadeurs étrangers, ou déclarant le Décébale ennemi public et commençant une grande guerre ; demain autorisant un particulier à établir une foire sur ses terres[32], ou interdisant aux avocats de rien prendre de leurs parties[33]. Les sénateurs se disaient tout bas qu’ils étaient les héritiers de la souveraineté nationale, qu’ils avaient plus de prérogatives que le sénat républicain, qu’enfin ils étaient la source de toute autorité, même pour l’empereur, lex regia. Ils voyaient le prince réclamer d’eux la confirmation de son titre, siéger à leurs côtés comme un collègue et prendre un nom qui ne signifiait que le premier du sénat : princeps. Ils partageaient avec lui le droit régalien de battre monnaie. Si le prince s’était réservé le privilège d’émettre la monnaie d’or et d’argent, les pièces de bronze étaient frappées par le sénat et portaient sa signature, S. C.[34] Enfin, à la mort de l’empereur, les Pères décrétaient pour lui le ciel ou les gémonies ; ils le proclamaient dieu ou tyran et cassaient ses actes ou les confirmaient. La curie était en outre la grande école des fonctionnaires de l’empire : pour être mis à la tête d’une légion ou d’une province, il fallait appartenir au sénat. Certains commandements avaient même été réservés aux consulaires, et c’était une des raisons qui obligeaient maintenant de faire chaque année huit, même douze consuls, désignés par l’empereur et nommés par le sénat qui leur donnait la chaise curule et le bâton d’ivoire[35]. Les termes de l’ancienne politesse devenaient des titres officiels, et l’Ordre Magnifique n’était plus composé que de très illustres personnages, les Clarissimes. Leurs enfants, même les filles, étaient ainsi salués[36].

Quelle pompe dans les formules ! Quelle splendeur dans les apparences ! Et qu’il devait se croire un puissant personnage le sénateur de Rome qui se prenait assez au sérieux pour ne pas rire, comme l’augure, à la rencontre d’un collègue ! Mais le sénat n’est qu’une machine commode, et Pline, qui appelle la plus respectée des anciennes magistratures une ombre vaine, inanem umbram et sine honore nomen[37], nous a montré, dans son libéral empereur, un maître absolu, même des biens de ses sujets[38].

Cependant entrons un instant à la curie et voyons agir ces hommes qui portent un si grand titre ; le Journal officiel de ce temps-là nous permet d’assister à une séance. Nous sommes en l’année 222. Élagabal vient d’être égorgé, traîné au croc par la ville, jeté au Tibre, et les soldats ont proclamé Alexandre

Extrait des actes de Rome, veille des nones de mars. L’assemblée est nombreuse ; elle invite le prince à se rendre à la curie, et, à son entrée, le salue de ces acclamations :

Vertueux Auguste, que les dieux vous protègent !

Empereur Alexandre, que les dieux vous protégent !

Les dieux vous ont donné à nous ; que les dieux vous conservent !

Les dieux vous ont arraché des mains d’un impudique ; que les dieux veillent sur vos jours !

Vous avez souffert comme nous sous un impur tyran, les dieux l’ont exterminé ; que les dieux vous protègent !

Nous serons heureux sous votre empire ; la république sera heureuse ; que les dieux donnent longue vie à Alexandre !

L’empereur ayant remercié l’assemblée, elle s’écrie de nouveau :

Antonin Alexandre, que les dieux vous protègent !

Antonin Aurèle, que les dieux vous protègent !

Antonin le Pieux, que les dieux vous protègent ! Nous vous supplions de prendre le nom d’Antonin.

En vous est notre salut, en vous notre vie, en vous notre félicité !

De longs jours à Antonin Alexandre ! Pour notre félicité, qu’il porte le nom d’Antonin !

Qu’un Antonin consacre les temples des Antonins !

Qu’un Antonin triomphe des Parthes et des Perses !

En vous, Antonin, nous avons tout ; par vous, nous avons tout !

Le prince résiste ; sept ou huit fois, les sénateurs, sans se lasser, répètent en chœur les mêmes acclamations, et, ne pouvant triompher de l’honnête opiniâtreté d’Alexandre à refuser un nom qui lui semble trop difficile à porter, ils imaginent soudain une autre manœuvre qui s’effectue avec le même ensemble, pour forcer ce jeune homme qui n’a encore rien fait, mais qui s’appelle Alexandre, à prendre le titre de Grand, donné au héros macédonien après la conquête de l’Asie. Les clameurs recommencent ; je ne les répète pas, car le lecteur moderne ne pourrait supporter ces litanies de plates adulations. Le prince persistant à ne point céder, elles reprennent une dernière fois pour vanter sa modération et, sur ce thème, continuent encore longtemps, selon l’usage, dit l’historien, ex more[39].

On dira que le sénat d’Alexandre Sévère avait passé par de si terribles mains qu’il devait en avoir perdu toute dignité de caractère ; mais voici le sénat que Marc Aurèle avait légué à son fils, le sénat des Antonins. C’est un témoin, un consulaire qui parle[40] : Les jeux durèrent quatorze jours ; l’empereur y figura comme acteur. Nous tous, sénateurs, nous ne manquâmes pas d’y assister avec les chevaliers. Le vieux Claudius Pompeianus seul s’en dispensa. Il y envoya bien ses deux fils, mais il ne vint jamais lui-même : il aima mieux être puni de son absence par une mort violente que de voir le chef de l’empire, le fils de Marc Aurèle, se livrant à de pareils exercices. Ainsi que nous en avions reçu l’ordre, nous faisions entendre diverses acclamations et nous répétions sans cesse celles-ci : Vous êtes notre maître, à vous le premier rang ! Vous êtes le plus heureux des hommes ! Vous êtes vainqueur ! Vous le serez ! De mémoire d’homme, seul vous êtes vainqueur, ô Amazonius ! Et un peu plus loin : L’empereur fit encore une chose qui semblait présager aux sénateurs une mort certaine. Après avoir tué une autruche, il lui coupa la tête, et s’avança vers les places où nous étions assis. Il tenait de la main gauche cette tête, de la droite l’épée encore sanglante et dont il tournait la pointe vers nous. Il ne proférait pas une parole, mais, secouant sa tête et ouvrant une large bouche, il faisait entendre qu’il nous traiterait comme l’autruche. Il y avait de quoi trembler. Cependant quelques sénateurs, moins frappés du danger qu’ils couraient que de l’aspect grotesque de ce vainqueur d’un pacifique oiseau dont il portait triomphalement la tête, s’oublièrent jusqu’à sourire. L’empereur les aurait tués à l’instant avec son épée, si je n’avais engagé ceux qui étaient près de moi à détacher de leur couronne des feuilles de laurier et à les mâcher, comme je mâchais les feuilles de la mienne, afin que le mouvement continuel de notre bouche l’empêchât d’avoir la preuve que nous avions ri.

Il n’est pas besoin d’autres témoignages pour attester l’humilité servile du sénat. Par contre, on pourrait citer, de la part de plusieurs princes, nombre de paroles respectueuses et d’actes de déférence extérieure à l’égard de la haute assemblée. Simple affaire de politesse ! Les plus courtois des empereurs n’abandonnaient aucun de leurs droits utiles. En réalité, sous l’empire, le sénat n’eut point de rôle politique ; du moins il n’eut jamais que celui qu’il plaisait au prince de lui donner.

Des savants, qui joignent beaucoup d’imagination à beaucoup de science, ont voulu voir dans l’histoire de l’empire une lutte de trois siècles entre le césarisme et le sénat, jusqu’à la réforme de Dioclétien. C’est donner aux formules plus d’importance qu’elles n’en méritent. Les sénateurs ont conspiré contre les empereurs ; entre eux et le prince, il n’y a jamais eu de lutte politique.

Nous connaissons les attributions judiciaires et administratives des magistrats annuels qui siégeaient dans cette assemblée : les huit[41] consuls, les dix-huit préteurs[42], les dix tribuns, les six édiles[43] et les vingt questeurs. Leurs prérogatives, encore considérables, étaient sans indépendance ; de sorte que ces titulaires des magistratures qui avaient été le pouvoir exécutif de la république, tout en occupant une place fort importante dans l’administration, n’en avaient qu’une très petite dans le gouvernement. Il serait inutile de s’arrêter plus longtemps devant ces ombres pour en dessiner lès contours fuyants. L’histoire générale a le culte des morts, mais des morts qui ont vécu.

Si l’insignifiance politique du sénat et de ses dignitaires n’est que trop démontrée, si la bassesse du caractère était un héritage que beaucoup de pères conscrits d’origine servile avaient trouvé dans la succession paternelle, il faut cependant considérer cette assemblée comme la plus grande école d’administration qui ait jamais existé. A dix-huit ans, quand la vie active le saisit, le jeune noble qui veut courir la carrière des hautes fonctions se rend à l’armée, où il passe les années orageuses de la jeunesse, dans les milices équestres qui font son instruction militaire[44] ; puis il entre au vigintivirat[45] et achève dans les tribunaux son éducation juridique commencée auprès de quelque jurisconsulte en renom. Après ce double enseignement pris au Forum et dans les camps, il est nommé à une des vingt places de la questure et entre au sénat. Il n’a que vingt-cinq ans et cependant il sait déjà beaucoup de la vie pratique : il connaît la loi civile et les règlements militaires ; il a obéi et il a commandé. Questeur de l’empereur, il porte ses messages à la curie et entend les discussions qui s’y élèvent ;  questeur d’un des consuls, il devient comme son fils, reçoit ses conseils et écoute ses récits de guerre ou d’administration ; questeur d’un proconsul, le voilà agent financier, au besoin judiciaire, et il prend large part au gouvernement de la province. Plus tard, il est fait édile avec la surveillance des rues, des marchés et des bains publics de Rome, ou tribun du peuple avec le droit de faire des propositions dans le sénat et d’opposer son veto aux décrets de la curie[46]. Quelle maturité précoce devait développer cette continuelle application des facultés d’un homme aux services les plus divers ! A trente ans, il arrive à la préture ; à trente-trois, il peut obtenir le consulat : ce sont les grandes magistratures, les suprêmes honneurs. Mais l’État ne le tient pas quitte encore des devoirs publics. Entre ces deux charges, on lui a donné une légion à conduire[47] ou une province à administrer, et, après son consulat, on lui confie un autre gouvernement ou une armée, sans parler des fonctions sacerdotales et des grandes préfectures ou curatelles auxquelles il peut être appelé[48]. Sa vie se passe ainsi, moitié dans les conseils où les affaires se discutent, moitié dans les fonctions où elles s’accomplissent. Jurisconsulte et juge ; administrateur et général, ingénieur construisant des routes ou jetant des ponts sur les fleuves, il est tout cela, tantôt successivement, tantôt à la même heure, et sur un théâtre changeant dont la scène s’agrandit chaque fois qu’il s’élève dans la hiérarchie[49]. Enfin il connaît un des secrets du bon administrateur : Ne jamais se mettre en colère, parler peu, écouter beaucoup[50], et quelques-uns profitent du conseil.

Cette carrière est celle que presque tous les sénateurs parcourent, et que leurs enfants suivront. Les dignités sont en effet comme héréditaires dans les familles sénatoriales, d’abord parce que les pères conscrits sont à peine assez nombreux pour fournir des titulaires aux charges d’État, ensuite parce que le prince ne peut donner de hautes fonctions, les deux préfectures de l’Égypte et du prétoire exceptées, qu’à ceux qui portent le laticlave. Aussi est-il souvent obligé d’appeler, parmi les questeurs et les préteurs sortis de charge, des citoyens qui n’ont géré ni la questure ni la préture[51] et qui, à leur tour, feront souche de fonctionnaires publics. Mais, avec cette prérogative, l’empereur avait le moyen de réserver des places au mérite : c’était notre nomination au choix, qui, bien faite, remédie aux inconvénients de l’avancement à l’ancienneté.

On remarquera encore que l’arbitraire du prince était singulièrement gêné par ce système qui faisait arriver chaque sénateur, à son rang, aux grandes dignités de l’État et au gouvernement des provinces sénatoriales. L’empereur, du moins, ne pouvait troubler l’ordre régulier du cursus honorum, si ce n’est en des circonstances graves qu’un prince intelligent évite avec soin de provoquer.

La société moderne part d’un autre principe : la division du travail et la spécialité des fonctions. C’est excellent pour produire beaucoup dans l’ordre de chaque fonction : le système romain valait mieux pour former des administrateurs éminents, et il en forma. Mais les institutions politiques de l’empire n’étaient propres ni à faire des citoyens ni à préparer des caractères ; c’est pourquoi ce sénat si riche d’expérience était si pauvre de courage et de vraie dignité.

Dans l’ordre équestre on voyait le chevalier de race et le chevalier de rencontre, les vieux domaines héréditaires et les récentes fortunes industrielles des banquiers, négociants, usuriers, entrepreneurs de travaux publics ou fermiers d’impôts indirects, de tous ceux enfin qui avaient su faire travailler avec profit leur intelligence et leurs capitaux. Les premiers remplissaient, surtout depuis Hadrien, l’administration[52] ; les seconds voulaient les y suivre et monter aux honneurs après être arrivés à la richesse. Tibère avait bien exigé des citoyens qui prétendaient à l’anneau d’or la preuve que leur père et leur aïeul, tous deux de condition libre, avaient possédé le cens nécessaire. Mais déjà Pline l’Ancien disait : A présent, on ne fait qu’un saut de l’esclavage à l’ordre équestre[53].

Pour avoir l’anneau d’or, l’angusticlave, une place réservée au théâtre ou dans les solennités, et se donner, si on y avait goût, le droit de toutes les insolences, il suffisait donc d’avoir gagné, frît-ce dans le métier le plus vil, de quoi acheter la cité romaine. On ne manquait pas de protecteurs complaisants qui en procuraient la concession et faisaient fermer les yeux sur la question d’origine ; alors, par la vertu des 400.000 sesterces, le nouveau citoyen s’élevait au rang des chevaliers[54]. Cependant un acte déshonorant, une condamnation judiciaire, un revers de fortune, en faisaient descendre. A force de donner des anneaux d’or aux jeunes filles, dit Martial à un débauché, tu as perdu le tien. Claude, durant sa censure, l’ôta à quatre cents individus qui le portaient illégalement et fit vendre comme esclaves les affranchis qui l’avaient usurpé[55]. De vieux soldats arrivés par leur mérite au premier centurionat de la légion ou au tribunat militaire[56] obtenaient aussi parfois, après l’honesta missio, l’anneau d’or avec une gratification qui leur donnait le cens équestre.

Mais ces parvenus de la fortune ou de l’armée, si dédaigneux de la plèbe, étaient l’objet d’un même dédain de la part des chevaliers de grande maison, de ceux qui, ayant reçu du prince le cheval d’honneur, equum publicum[57], formaient dans l’ordre une classe à part, celle des illustres. Ce n’est ni l’or ni la milice, dit Ovide[58], qui m’a fait chevalier. Dans cette splendide milice se trouvaient les candidats aux dignités de la curie, aux charges du palais, aux procuratures provinciales et à diverses préfectures dont les plus importantes étaient celle de l’annone, à laquelle était attribuée la juridiction civile pour toutes les affaires frumentaires, la vice-royauté d’Égypte, et surtout la préfecture du prétoire, qui allait devenir le premier emploi de l’État. L’ordre sénatorial appartenait exclusivement à Rome et à l’Italie, où les sénateurs devaient fixer leur demeure et avoir le tiers ou le quart de leurs biens-fonds ; l’ordre équestre, au contraire, formait la noblesse des provinces. Chaque grande ville avait des chevaliers, et ce caractère est bien marqué par une inscription de Narbonne qui, parlant de trois riches colons de cette ville, les appelle equites romani a plebe. Ces chevaliers de province pouvaient être appelés à Rome pour siéger dans les décuries de juges[59].

Mais, par l’invasion des affranchis et des gens d’affaires, l’ordre perdait chaque jour, même à Rome, de sa considération. On le voit déjà par un rescrit d’Hadrien qui parle de libertin ayant reçu l’anneau d’or[60] ; Septime Sévère le donnera bientôt à tous les soldats, et sous Constantin il ne sera plus question de chevaliers.

 

III. — LE PEUPLE. — DISTRIBUTIONS ET JEUX.

Comme en parlant de l’État on disait encore la RÉPUBLIQUE, comme il y avait des semblants de comices, des apparences d’élections et l’ombre des vieilles magistratures républicaines, comme enfin on lisait partout l’antique formule : Senatus Populusque Romanus, rien n’empêchait les Romains de se croire toujours le peuple-roi, maître de la terre et de lui-même. Mais il ne se faisait point d’illusion sur sa royauté ; il savait bien où était la force, et il s’y soumettait sans murmure. Cependant son nombre s’était singulièrement accru, car il comprenait l’ensemble des habitants de Rome et de l’empire jouissant du droit de cité. Chacun d’eux était inscrit dans une des trente-cinq tribus, simple formalité, car, si les citoyens habitant. Rome n’avaient plus de droits politiques, ceux qui vivaient au delà des monts et des mers n’avaient pas même l’avantage d’utiliser leur titre, en se faisant amuser et nourrir par l’empereur et les riches. Ils gardaient cependant un privilège important, celui d’assurer à leur propriété le caractère d’un domaine italique, c’est-à-dire l’exemption de certains impôts[61]. De jour en jour, l’idée de la cité romaine allait s’affaiblissant, étouffée qu’elle était sous les riches développements de la vie municipale. Le Gaulois, l’Asiatique, qui avaient le jus civitatis, appartenaient de nom à une tribu romaine ; de fait ils étaient citoyens d’un municipe provincial.

Seules, les tribus urbaines restèrent organisées et vivantes, non pour les droits politiques, on a vu ce qu’Auguste et Tibère en avaient fait, mais pour les avantages assurés aux pauvres de Rome. Les empereurs avaient changé en institution permanente l’usage, souvent interrompu sous la république, de faire délivrer, tous les mois, aux citoyens, par les magasins de l’État, du blé à un prix dérisoire. On donna même aux plus pauvres des cartes gratuites qui représentaient les bons de pain de nos bureaux de bienfaisance, et tout le monde finit par en avoir. En l’an 58 av. J.-C., Clodius avait établi la gratuité absolue des distributions[62]. Comme il se trouvait dans la ville des citoyens appartenant aux trente-cinq tribus, les pauvres qui avaient obtenu la tessera de gratuité, inscrits sans doute, pour plus de régularité, selon l’ordre des tribus, formèrent trente-cinq corporations nouvelles. Ces divisions gardèrent l’ancien et glorieux nom qui désignait autrefois le peuple romain tout entier, et qui, par une étrange fortune, ne s’appliqua désormais qu’aux plus misérables. Pour Martial et Stace[63], les mots de tribulis et de pauper sont déjà synonymes, et, dans cette société qui a tant d’estime pour l’or, ceux qui portent l’un ou l’autre de ces deux noms sont l’objet du même mépris.

La plèbe avait pourtant ses millionnaires que Martial nous montre, les entrepreneurs de constructions, de transports et de funérailles, les crieurs publics, les fermiers de certains impôts et les industriels de toute sorte qui avaient spéculé sur les vices ou vécu des plaisirs du riche. La loi déclarait infâmes quelques-unes de ces professions, et sur ces fortunes-là il restait une tache, même aux yeux de certains pauvres. Mais ces parvenus se souciaient peu de l’estime ou du mépris, étant presque tous d’origine servile[64] ; depuis des siècles, la population se recrutait d’étrangers, de sorte qu’il n’y avait pas plus de Romains à Rome qu’il n’y a de Parisiens à Paris.

Nous assistions tout à l’heure à une séance du sénat : veut-on connaître le peuple ? Voici une lettre qu’Aurélien lui adressa après avoir renversé en Égypte l’usurpateur Firmus : Aurélien Auguste au peuple romain qui l’adore, salut ! Après avoir pacifié l’univers, nous avons encore vaincu, pris et mis à mort le voleur égyptien, Firmus. Vous, dignes enfants de Romulus, vous n’avez donc plus rien à craindre. Le blé d’Égypte, que ce brigand arrêtait, vous arrivera sans qu’il y manque un grain, si vous vivez en paix et en bonne amitié avec le sénat, les chevaliers et les prétoriens. Je saurai préserver Rome de toute inquiétude ; allez donc aux spectacles, allez au cirque : les nécessités publiques sont nos affaires ; les vôtres sont le plaisir[65]. On voit que nous n’avons pas dépassé la mesure légitime du mépris pour cette populace qui traînait dans la boue le plus grand nom du monde et qui avait remplacé les nobles sentiments par les appétits, le cœur par le ventre. Grâce à ceux qui ne regardent qu’à la surface des choses, on a fait à cette populace l’honneur de croire qu’elle avait joué un rôle quelconque dans la fondation et le maintien de l’empire. Le peuple accomplit son dernier acte de souveraineté lorsque, en pleine république, mais sous la pression des premiers triumvirs, il donna à César le proconsulat des Gaules ; à partir de ce jour, trente ans avant Actium, les soldats firent tout, et ils firent ce que voulut leur chef victorieux. Quelle part prit le peuple à l’avènement de Tibère et de Claude, à la mort de Caïus et de Néron, même à la lutte des Vitelliens et des Flaviens ? Celle de curieux qui assistaient au duel du prince et de l’aristocratie, ou aux rivalités meurtrières des empereurs, avec autant de plaisir et de tranquillité qu’aux luttes des gladiateurs dans l’arène.

En témoignage de la souveraineté populaire subsistante, on a dit que le Forum désert et la tribune silencieuse avaient été remplacés par le cirque et le théâtre, où parfois des clameurs s’élevaient. Certains empereurs, à façons populacières ou par complaisance banale, ont, en effet, quelquefois cédé aux vœux, fort peu politiques, de la foule rassemblée au théâtre ; mais d’autres y répondaient par un mépris hautain, et, si les clameurs persistaient, faisaient apparaître les soldats, les piques, et aussitôt tout se taisait[66].

Il faut être juste, même envers la plèbe de Rome. Les distributions de blé qu’elle recevait nous scandalisent, et les économistes y voient justement une mesure détestable. Mais l’historien est forcé d’y reconnaître, au lieu d’un moyen de corruption habilement employé par les empereurs, une des plus vieilles coutumes de Rome, et, d’après les idées des anciens, une institution très naturelle. Le roi Ancus donnait déjà des congiaires, et, dès le premier siècle de la république, le sénat, en temps de disette, achetait du blé qu’il distribuait gratuitement ou vendait a bas prix. Quand le peuple romain eut acquis par les armes la propriété du sol provincial, il en assigna une partie à certains de ses membres par la fondation de colonies ; sur le reste, il établit des impôts en argent pour payer les services publics, et des impôts en nature pour nourrir le peuple, les armées et les gouverneurs de province avec leur suite. Puisque les anciens croyaient que tout appartient au vainqueur, on comprend que les distributions de blé à Rome aient eu pour principaux auteurs les Gracques, chefs du peuple, puis Caton, un des chefs de l’aristocratie républicaine.

Si, en Algérie, nous avions mis sur les Arabes un impôt en nature, au lieu d’un tribut en argent, le blé qu’ils auraient donné eût servi u nourrir notre armée d’Afrique, comme le bétail pris dans les razzias sert à améliorer l’ordinaire des troupes. Or, à Rome, quand la république constitua la permanence des distributions de blé, l’armée était encore le peuple ; aussi l’on n’admettait au partage, même après Auguste, que les citoyens pleno jure : les vigiles, par exemple, qui avaient à Rome un très important service, mais qui se recrutaient parmi les affranchis, n’obtenaient qu’après trois ans la tessera frumentaire. Il ne faut donc voir dans ces libéralités que les bénéfices de la victoire conservés par les héritiers des conquérants. Sous une forme ou sous une autre, cela s’est fait dans tous les temps et se fera tant qu’il y aura des vainqueurs et des vaincus.

On a vu qu’Auguste avait déterminé la quantité de blé nécessaire à la consommation du palais, des soldats et de deux cent mille citoyens[67], et que la dépense annuelle, pour les distributions gratuites et pour la vente à bas prix, pouvait aller à 11 ou 12 millions de francs[68]. Encore faut-il défalquer de ce chiffre un cinquième pour le blé fourni, depuis Néron, aux soldats présents à Rome et dans ses environs, que l’État avait le devoir de nourrir, de sorte que la dépense pour les pauvres était de moins de 10 millions. Quelque incertitude qu’il reste sur ce chiffre, on est forcé d’admettre que ces largesses n’étaient ni coupables pour celui qui donnait, ni honteuses pour ceux qui recevaient[69].

Au moyen âge et jusqu’en 1830, le peuple, à certaines fêtes, avait aussi ses distributions de vivres : les fontaines de vin coulant dans les rues, les pains, les cervelas, les jambons jetés à tour de bras au plus épais de la foule, qui, avec de grands cris, se ruait dans la boue pour attraper un morceau. Ces libéralités grossières provenaient d’un autre principe et se renouvelaient moins souvent. Je ne puis cependant m’empêcher de leur préférer la sévère et silencieuse ordonnance de l’annone romaine[70].

Aux distributions de vivres s’ajoutaient, de temps à autre, celles d’argent. Antonin donna en moyenne 155 sesterces par tête et par an. Sous les Césars, depuis le dictateur jusqu’à Claude, cette moyenne n’avait été que de 43. En vérité, cela ne valait pas la peine qu’on tendit la main ; mais nous savons que, dans cette société, personne ne refusait, si petit que fût le cadeau, si haute que fût la condition de celui qui recevait[71].

En somme, les distributions de blé et d’argent à la plèbe romaine coûtaient peut-être annuellement 15 à 16 millions de francs.

Les jeux publics étaient encore moins onéreux à l’État. D’après un document de l’année 51 après J.-C., il sortait à peine chaque année du trésor, pour les plus importants, une somme totale de 500.000 francs[72]. Nous en donnons 800 000 au seul théâtre de l’Opéra, qui ne s’ouvre point aux pauvres, tandis qu’au Grand Cirque trois cent quatre-vingt-cinq mille spectateurs assistaient gratuitement à la fête. On doit, il est vrai, ajouter à cette dépense celles que s’imposaient les magistrats ordonnateurs du spectacle, les préteurs[73] et les consuls, contraints, de par leur charge, à célébrer certaines solennités nationales ; celles enfin des particuliers qui voulaient faire honneur à leur nom ou à leur fortune[74]. Comme la vanité s’en mêlait et qu’il y avait émulation entre les donneurs de spectacles, quelques-uns s’y ruinaient. C’était une grande fortune qui se divisait en passant à d’autres mains ; l’État y perdait seulement le bien que ces millionnaires auraient pu faire en employant mieux leur argent. Mais les anciens croyaient que le dépenser ainsi, c’était le très bien dépenser. Il leur semblait que les riches avaient la richesse dans l’intérêt des services publics, et ceux qui la possédaient partageaient cette pensée. Les liturgies à Athènes, les murera dans les villes romaines, étaient des obligations onéreuses mises par la loi et la coutume il la charge de ceux qui briguaient les honneurs ou la considération publique. Comme nous avons changé ces mœurs, nous ne comprenons pas des fonctions qui coûtent au lieu de rapporter. Il faut pourtant bien admettre une vérité de fait dont toute l’antiquité dépose, et accepter cette règle de critique historique et de stricte équité qui veut que. pour juger les choses anciennes, on tienne compte des anciennes idées.

En outre, dans l’origine, les spectacles, les jeux scéniques, même les combats de gladiateurs, étaient, comme nos anciens mystères, des actes religieux, auto da fe, et, dans l’empire païen, ils gardèrent officiellement ce caractère : à quelques-uns, on portait toujours les statues des dieux. Sous Domitien encore, la loi de Genetiva Julia imposait aux duumvirs le soin des jeux du cirque et des banquets religieux, au même titre que la surveillance des édifices sacrés[75]. Aussi le patriotisme, qui se confondait alors avec la religion, n’hésitait devant aucun sacrifice, pour que ces fêtes fussent célébrées d’une manière cligne des dieux et de la cité.

A l’anniversaire de sa naissance, Hadrien donna des jeux gratuits[76] : il y en avait donc qui ne l’étaient pas. C’était une industrie fort répandue, qui ne coûtait rien à l’État. Nous le savions par Tacite, Pétrone et Dion ; des inscriptions nous le confirment[77].

Il résultait de ces habitudes que, les citoyens faisant tout, l’État n’avait à peu prés rien à faire. On voit ce qu’il faut entendre par le panem et circenses, et dans quelle proportion il convient de réduire les sacrifices demandés à la communauté par cette foule qui voulait, dit-on, être amusée et nourrie aux dépens de l’empire.

Cependant, si la somme inscrite, pour les plaisirs populaires, au budget officiel n’imposait au trésor, ærarium, qu’une bien faible charge, le trésor du prince, fiscus, ou ce qu’on pourrait appeler sa liste civile, en supportait une beaucoup plus lourde. Soumis par la coutume aux mêmes obligations que les magistrats et les citoyens riches, l’empereur donnait des fêtes que le calendrier des pontifes n’avait point prévues, et souvent aidait ses amis, ses proches[78], à bien faire les choses, quand ils avaient à offrir au peuple un spectacle. Les mauvais princes s’y ruinaient, les bons savaient n’y dépenser que leur superflu. Auguste leur avait donné l’exemple de ces libéralités que les mœurs rendaient nécessaires, mais qu’une sage fermeté pouvait contenir en de justes limites[79].

Au commencement de l’empire, les jeux publics prenaient soixante-six jours par an, dont seize pour les courses de l’hippodrome, quarante-huit pour les représentations scéniques, où venait peu de monde[80], et deux pour les festins qui suivaient les sacrifices. Nous avons par an cinquante-deux dimanches ; en y ajoutant les fêtes, nous arriverons à peu prés au même chiffre pour les jours de repos public, sans compter tous ceux que nos ouvriers s’accordent : la statistique officielle ne donne, pour la France entière, qu’une moyenne de deux cent vingt-six journées de travail[81]. En outre nos villes ont fête chaque soir : Paris seul possède trente-huit théâtres ou cirques et quantité d’autres lieux de plaisir. Nous sommes certainement plus amusés, ou croyons l’être, que le peuple romain ne l’était habituellement ; du moins, avons-nous le droit de le vouloir, car, en somme, nous travaillons davantage.

Avec le temps, les Romains de Rome et les Grecs de Constantinople multiplièrent les jeux jusqu’à compter cent soixante-quinze jours de fête par an. C’est le chiffre que donne un document de l’année 354 ; mais, à cette date, nous sommes en plein empire byzantin, et, malgré l’horreur de l’Église pour les spectacles, on les aime plus qu’au temps de Trajan. On y dépense même davantage : 2.000 livres[82] d’or pour les seuls jeux consulaires.

Dans la Rome impériale, les plaisirs du peuple furent aussi des factions, sans danger, il est vrai, mais honteuses. La passion, n’ayant plus de grands objets, s’attachait aux petits. Au cirque, les Bleus et les Verts partageaient la foule, et les disputes soulevées à leur occasion agitaient la ville entière. Un homme, victime volontaire d’une admiration de bas étage, se jeta dans un bûcher qui consumait le corps d’un cocher fameux[83], et Juvénal osa écrire : Si les Verts étaient battus, Rome serait dans la même consternation qu’après la défaite de Cannes[84]. De Rome cette passion gagna Constantinople, où elle devint plus vive et survécut à l’invasion des Barbares[85]. L’empire chrétien fut encore moins sage pour les circenses que ne l’avait été l’empire païen ; et les modernes, à certains égards, ont renchéri sur les anciens, ce qui devrait nous imposer au moins pour ceux-ci quelque indulgence. Ne pouvaient-ils dire, comme les gens graves mêlés aux cent mille spectateurs de nos courses, que les vainqueurs du cirque donnaient à l’armée des chevaux rapides et amélioraient le sang des races industrielles ?

Que de choses à changer dans cette vieille histoire qui de nos jours seulement commence à être étudiée, non plus avec les procédés de la rhétorique ancienne ou de la passion politique, mais avec la méthode sévère de la science qui replace les faits dans le milieu où ils se sont produits, et qui cherche la vérité sans souci des résultats auxquels cette vérité pourra conduire.

 

IV. — LES FONCTIONNAIRES ET LES BUREAUX.

La république n’aimait pas à multiplier les fonctions d’État et elle n’avait eu qu’un très petit nombre d’administrateurs temporaires. Comme elle donnait à ferme la levée des impôts et l’exécution des travaux publics, tout se réduisait pour le sénat à décider quelle somme il voulait recevoir des provinces, quelle il entendait dépenser pour les œuvres d’utilité générale. Les publicains versaient la première au trésor, déduction faite de leurs frais de perception ; l’autre était mise par les censeurs ou par les pères conscrits à la disposition des entrepreneurs. En un mot, Rome républicaine gouvernait, elle n’administrait pas, si ce n’est ses propres affaires. Ainsi, pour la comptabilité de l’ærarium, pour les distributions au peuple de la ville (annona), pour la fabrication de ses monnaies (IIIviri monetales) et le bon entretien de ses rues (IViri viarum curandarum), elle avait certainement des bureaux permanents.

L’empire agit d’abord de même. Longtemps les fonctionnaires d’État furent peu nombreux ; dans les provinces, quarante-cinq gouverneurs[86], les légats de trente légions, quelques procurateurs administrant des districts avec le jus gladii[87], d’autres pour la perception des revenus du fisc impérial ; à Rome, les préfectures du prétoire, de la ville, de l’annone et des vigiles, les charges du vigintivirat et celles dont les titulaires siégeaient à la curie[88]. Toutes ces fonctions étaient temporaires. ou à courte échéance[89], excepté les préfectures urbaines. Souvent le préfet de la ville resta en place jusqu’à sa mort, et l’on gardait le commandement des prétoriens et des vigiles aussi longtemps que l’on conservait la confiance du prince[90]. Ainsi, même au premier siècle de l’empire, Rome répugnait à la pensée de constituer un grand corps administratif.

Mais peu à peu les serviteurs du prince devinrent des fonctionnaires publics ; les bureaux (officia) se multiplièrent, et la centralisation administrative commença. Ce fut comme un empire nouveau qui reçut de Dioclétien son vrai caractère, mais qui avait son principe dans le principe même de l’empire.

La première administration publique, au sens moderne du mot, date d’Auguste, qui organisa la poste, avec ses nombreux courriers, les tabellarii ; ce service, bien que fait par les villes, dut avoir, prés du prince, un bureau central et déjà peut-être, dans les provinces, des inspecteurs (curiosi) pour en assurer la régularité. La seconde fut le service des eaux de Rome, institué par Agrippa ; il y employa d’abord sa fortune personnelle et constitua toute une familia de deux cent quarante aquarii, esclaves qui, à sa mort, passèrent au service de l’État[91]. Pour la perception de l’impôt du vingtième sur les legs, les héritages et les affranchissements ; pour celle du quarantième sur les entrées[92] ; pour le recrutement des légions et l’institution alimentaire de Trajan, l’administration des domaines du prince, celle des biens des condamnés, etc., il existait des agents spéciaux et permanents dont le ressort comprenait souvent plusieurs provinces[93].

Ces fonctionnaires recevaient un traitement de 60, 100, 200, 500.000 sesterces[94] ; les proconsuls, une indemnité d’un million[95] et des frais de route, des allocations de diverses sortes pour faire face aux charges nombreuses qui leur incombaient. Le principe républicain avait été la gratuité des fonctions publiques, sauf indemnité pour le cas de dépenses à faire par le magistrat dans l’intérêt de l’État. Le principe du gouvernement impérial fut au contraire la rémunération, au moyen d’un traitement annuel, des services rendus par le fonctionnaire. Les deux systèmes furent concurremment suivis : la gratuité pour ceux qu’on appelait encore les magistrats du peuple romain, le traitement fixe pour les agents du prince. Mais ceux-ci se multiplièrent à l’infini, sans que le nombre des anciennes magistratures républicaines augmentât ; et bientôt il n’y aura plus, le consulat, la préture et la questure exceptés, d’autres charges gratuites dans l’empire que celles des officiers municipaux[96].

Il est, à ce sujet, une autre remarque à faire. L’exemple de Cicéron, honnête homme pourtant, qui, durant son gouvernement de Cilicie, put économiser 2.200.000 sesterces, montre les effets de la gratuité républicaine. On pouvait donc, sous la république, faire fortune, dans les fonctions publiques, par des exactions sur lesquelles le sénat fermait les yeux ; on ne le pouvait plus sous l’empire, à cause du prince, juge d’autant plus inexorable des concussionnaires, qu’il était intéressé à ce qu’on ne pressurât pas les sujets.

Le centre où aboutissaient toutes les affaires était le palais du prince ; aussi avait-il été de bonne heure encombré d’une multitude d’esclaves et d’affranchis : les uns chargés des soins domestiques[97], les autres constituant des bureaux d’administration où les comptes étaient réglés en recettes et en dépenses, les dépêches reçues et examinées, les réponses faites et certaines affaires instruites pour être rapportées au sénat, au conseil de gouvernement qu’Auguste avait fondé et au tribunal où l’empereur jugeait les appels et les causes réservées.

A la tête de tous ces bureaux se trouvaient des affranchis qui prirent rapidement une grande influence, car, lorsque le prince est tout, quand l’empire entier tient dans sa demeure, il est parfois quelque chose de plus puissant que lui-même, son entourage qui domine ou dirige sa volonté. Sous Auguste et Tibère, ces affranchis avaient été retenus dans la modération et l’obscurité ; mais, de Caligula à Vespasien, ils gouvernèrent le palais et l’empire. Hélios, en l’absence de Néron, condamnait même des sénateurs à la confiscation, au bannissement, à la mort[98]. Ramenés dans l’ombre par les deux premiers Flaviens, ces affranchis retrouvèrent, avec le troisième, leur puissance, et Pline le Jeune put dire : La plupart de nos princes, ces maîtres des citoyens, étaient les esclaves de leurs affranchis. Ils n’entendaient, ils ne parlaient que par eux ; et par eux étaient donnés les prétures, les sacerdoces, les consulats[99]. Cependant le singulier respect dont il use lui-même envers des affranchis de Trajan, qu’il déclare en plein sénat dignes de tous les égards des sénateurs[100], montre le crédit que ces gens gardaient sous les meilleurs princes. Ils formaient une sorte de corps permanent où se conservait la tradition de toutes les habiletés avec lesquelles on captivait un maître. L’empereur mourait : les affranchis, eux, ne mouraient pas, ou du moins leur influence se perpétuait. Ils passaient avec les meubles du palais au service du successeur : Claudius Etruscus avait servi dix Césars[101].

La tache de leur naissance se cachait sous des honneurs : beaucoup obtenaient l’anneau d’or ou des distinctions militaires ; Narcisse eut les ornements de la questure, un autre ceux de la préture, et Claude les amenait avec lui au sénat. Quelques-uns firent d’illustres mariages ou achetèrent de glorieuses généalogies. Pallas devint ainsi le plus noble personnage de Rome, quand on eut démontré qu’il descendait des anciens rois d’Arcadie, fondateurs, par Évandre, de la Ville éternelle. Aussi son insolence égalait ses richesses : pour ne pas souiller sa bouche en parlant à des esclaves, cet affranchi leur commandait par signe ou par écrit.

C’est un poète, Stace, qui, dans l’éloge d’Etruscus, donne les renseignements les plus exacts sur quelques-unes des charges remplies par les affranchis du palais. A toi seul sont confiés les trésors sacrés du prince, les richesses éparses chez les nations et les tributs que nous paye l’univers. Ce que l’Espagne tire de ses mines d’or et ce qui brille dans les monts de Dalmatie, les moissons de l’Afrique, le blé que l’Égyptien broie sur son aire, les perles que le plongeur va chercher au fond des mers orientales, les toisons apportées des pâturages qu’arrose le Galèse et la glace transparente du cristal, le titre de la Maurétanie, l’ivoire de l’Inde, enfin ce que nous amènent les vents du midi, de l’orient et du septentrion, tout cela est commis à ta vigilance. Tu juges ce qu’il faut chaque jour aux légions, au peuple ; tu sais les dépenses à faire pour les temples, pour les digues qui arrêtent les grandes eaux, pour les voies militaires. Tu as le compte de l’or qui brille sur les lambris de César, de celui qui forme les statues des dieux ou la monnaie marquée de l’image du prince[102]. Etruscus, le comptable (a rationibus), avait donc ce que nous appellerions quatre ministères : ceux du commerce, des travaux publics, des finances et de la maison du prince.

Le même poète fait connaître un autre affranchi, Abascantus, qui avait la charge des dépêches (ab epistulis). Envoyer par toute la terre les ordres du maître de Rome ; tenir en sa main les forces de l’empire et en diriger l’emploi ; savoir quels lauriers nous arrivent du Nord, quels étendards flottent aux bords de l’Euphrate, du Danube et du Rhin, de combien les confins du monde ont reculé devant nous, vers Thulé à la ceinture de flots rugissants, voilà quelques-uns de ses devoirs. Faut-il réunir des épées fidèles : il désigne le plus capable de commander à cent cavaliers ou à une cohorte, celui qui mérite le titre glorieux de tribun, ou qui conduira le mieux les escadrons rapides. Que ne fait-il pas encore ? Il doit savoir si le Nil a inondé les campagnes, si l’Auster a, de ses pluies fécondes, arrosé la Libye aride. Moins active est la messagère de Junon ; moins prompte est la Renommée sur son char rapide[103]. On pourrait dire que le secrétaire des dépêches jouait le rôle d’un ministre de la guerre, de l’intérieur et des affaires étrangères.

Ses bureaux, où travaillaient les esclaves intelligents que la liberté attendait comme récompense de leurs services, étaient partagés en deux divisions : l’une pour les pays de langue grecque, l’autre pour les provinces de langue latine[104]. On y attachait de savants hommes et des gens de lettres capables de faire honneur, par leur science et par leur style, à la chancellerie impériale. Nous avons les ouvrages d’un d’entre eux, et ils ont dû à la précision de la forme, à la propriété de l’expression, de prendre rang parmi les meilleurs de la littérature romaine, je veux parler des biographies de Suétone[105]. On soignait le style, latin ou grec, mais aussi l’écriture : les dépêches étaient des œuvres de calligraphie[106].

Le secrétaire des placets (a libellis) et des informations (a cognitionibus) avait à entendre la foule des solliciteurs et des plaignants, à lire les requêtes de ceux qui, de tous les points de l’empire, demandaient une place, un titre, une faveur, et qui en appelaient à la justice ou à la clémence du prince. Il était supposé rendre compte de tout à l’empereur, qui décidait. Le secrétaire des informations, probablement institué par Claude, faisait l’instruction préalable des affaires que l’empereur devait juger lui-même ou renvoyer soit au sénat, soit aux magistrats ordinaires[107].

Ces quatre secrétaires, des comptes, de la correspondance, des requêtes et des informations, font penser à l’organisation ministérielle que la France a eue longtemps, sous l’ancienne monarchie, avec ses quatre secrétaires d’État dont les attributions étaient aussi enchevêtrées que celles des secrétaires romains, et qu’il était de principe, à Versailles comme à Rome, de choisir parmi les hommes sans naissance, ce qui n’empêchait pas ces petites gens de devenir parfois de grands hommes. Les deux gouvernements avaient été amenés par l’analogie de situation à agir de même, et ils ont sans doute tiré de cette conduite semblable des avantages pareils. Malgré le mauvais renom des affranchis impériaux, je crois qu’avec de meilleurs renseignements nous trouverions que tous n’ont pas été funestes à leur prince et inutiles à l’empire.

Je remarque qu’ils ne s’étaient pas abandonnés à l’esprit de camaraderie, si dangereux dans les fonctions publiques. L’administration provinciale n’était pas remplie de leurs compagnons de servitude ou de liberté : sur quatre-vingts procurateurs de finance que les inscriptions nous font connaître, on trouve seulement huit affranchis, encore sont-ils tous des premiers temps de l’empire[108]. Cependant mieux valaient, pour les hautes fonctions de l’État, des hommes plus respectés de l’opinion et ne sortant pas de la domesticité impériale. On a vu Hadrien opérer ce changement en confiant les secrétariats à des membres de l’ordre équestre. Plusieurs empereurs l’avaient précédé dans cette voie, sans faire, comme lui, de cette réforme une règle de gouvernement[109]. Ses successeurs la suivirent, et l’administration en devint meilleure ; mais ce fut le commencement de cette hiérarchie qui, poursuivie jusqu’au classement le plus minutieux, enlaça la société de tant de liens, qu’elle resta sans mouvement et sans vie ; de sorte qu’il faut placer au siècle le plus brillant de l’empire le germe des institutions qui en minèrent la force et en préparèrent la chute.

Les esclaves et les affranchis dont il vient d’être parlé vivaient dans le palais, où des hommes de naissance libre venaient chaque jour leur disputer l’influence. Sous la république, les grands ouvraient leurs maisons à quantité d’individus se disant leurs amis, et qui, dans tous les cas, étaient leurs clients pour la sportule, leurs partisans pour un coup de main. Le général à l’armée, le gouverneur dans la province, avait aussi sa cohorte de jeunes gens attachés à sa fortune et d’amis qui formaient son conseil, portaient ses ordres ou veillaient à leur exécution. Caïus Gracchus et Livius Drusus avaient introduit l’usage de mettre un certain ordre dans cette foule. Ils avaient les amis du premier, du second et du troisième degré, qu’ils traitaient en conséquence : ceux-ci attendant dans la rue un salut dédaigneusement donné ; ceux-là admis à toucher la main du patron ; les autres à vivre dans son intimité : preuve singulière de la facilité des Romains à accepter la subordination et la discipline. Les empereurs gardèrent ces usages comme tant d’autres de la république ; ils eurent aussi leurs amis de différentes catégories, depuis les amis du cœur vivant prés d’eux, sans titre ni charges[110], jusqu’à ceux qui, simplement agréables, se distinguaient à peine de la domesticité, à moins qu’ils ne fussent des savants, des artistes et d’éloquents ou spirituels personnages avec qui Trajan, Hadrien et Marc Aurèle aimaient à converser.

Sous un gouvernement personnel, quelques-uns de ces amis du prince, compagnons de ses voyages ou de ses festins[111] et habitués du palais, prenaient une grande influence[112]. Auguste avait choisi parmi eux les membres de son conseil privé[113], véritable conseil de gouvernement qui examinait les affaires rapportées, sur l’ordre de César, par les secrétaires d’État. Pour ses fonctions judiciaires, l’empereur se faisait assister des personnages qu’il jugeait bon d’appeler ; on a vu sous Trajan[114] un exemple de ces assises impériales qui dispense de tout commentaire.

Amis du prince, affranchis du palais, esclaves même, ces habitués de l’antichambre impériale n’étaient pas toujours de discrètes personnes ; quelques-uns vendaient au dehors leur crédit réel ou faux, les nouvelles vraies ou supposées, ce qu’ils avaient entendu derrière la porte ou feignaient d’avoir porté jusqu’à l’oreille du prince. On vend l’empereur, disait Dioclétien avec colère ; et Alexandre Sévère fera mourir asphyxié un de ses familiers qui avait exploité la crédulité des solliciteurs. Pendant l’exécution, un héraut criait : Ainsi périsse, par la fumée, celui qui a vendu de la fumée !

 

V. — L’ARMÉE.

Il est inutile de parler encore de l’activité déployée par tout l’empire pour les travaux publics : les monuments municipaux, temples, cirques, amphithéâtres, égalant parfois ceux de Rome en beauté, même en grandeur[115], les ponts sur les fleuves, les canaux dans les plaines[116], les aqueducs au-dessus des vallées[117], les routes au travers des montagnes, les phares sur les promontoires, enfin l’immense réseau des voies militaires dont les principales se développaient sur une longueur de 77 000 kilomètres[118]. Les chapitres précédents ont montré cette grande œuvre de civilisation que les modernes n’ont surpassée que de nos jours.

Cet éclat de la vie civile se fût bien vite dissipé sans l’armée qui, établie à demeure entre l’empire et les Barbares, protégeait l’immense travail accompli derrière elle. Sous les Antonins, elle fut formidable, et nous devons en parler avec quelques détails, car, des deux grandes originalités de Rome, son droit et son organisation militaire, celle-ci est bien longtemps restée incomparable.

Sous la république, la guerre finie, les soldats étaient licenciés ; mais, depuis la rivalité de Marius et de Sylla, il y eut toujours quelque chef qui trouva le moyen d’avoir une armée a lui. Octave hérita de toutes ces forces ; au lendemain d’Actium, il se trouva à la tête de soixante-seize légions : il en garda vingt-cinq et congédia le reste ; Vespasien en eut trente, chiffre auquel on s’arrêta longtemps.

Auguste déclara ces vingt-cinq légions permanentes, et il les établit dans les provinces frontières sous les ordres de légats nommés par lui et révocables à volonté. Pour les solder, il créa de nouveaux impôts et constitua, à côté du trésor public, une caisse militaire qui fit toutes les recettes et toutes les dépenses nécessaires à l’armée.

D’après le tableau des forces de l’empire présenté au sénat par Tibère, les vingt-cinq légions étaient réparties de la manière suivante : huit le long du Rhin, trois en Espagne, deux en Afrique, deux en Égypte, quatre sur l’Euphrate et six sur les bords du Danube ou de l’Adriatique[119].

Ainsi toutes les forces militaires, moins la garnison de Rome, étaient établies à demeure entre l’empire et les Barbares, loin des villes où la discipline se relâche. Les camps, les postes fortifiés que reliaient entre eux d’immenses lignes de défense, servaient de base d’opérations ; et comme on ne distinguait pas le pied de paix et le pied de guerre, comme les légions étaient à portée de leurs magasins ou arsenaux et que derrière elles s’étendait leur territoire principal de recrutement[120], elles étaient toujours prêtes à entrer en action.

La conception était nouvelle et grande, et c’est un merveilleux spectacle que celui de cet empire armé d’une manière formidable sur ses frontières et régi à l’intérieur sans un soldat.

Cependant beaucoup de provinciaux étaient des vaincus de la veille qui gardaient encore le souvenir de la liberté perdue. Mais les Romains n’avaient pas une préoccupation qui chez nous est fort grande, celle de l’ordre public. Ils distinguaient ce qui était d’intérêt général de ce qui n’avait qu’un intérêt de localité ou de personne. Il se pouvait donc que toutes les routes ne fussent pas sûres, toutes les cités paisibles ; il arriva même dans les commencements que, par rivalité municipale, des guerres privées éclatèrent parfois entre deux villes ; le gouvernement s’en inquiétait peu : c’était aux intéressés à se tirer d’affaire. Mais malheur à l’aventurier et à la cité qui compromettaient l’ordre général ou qui s’armaient contre l’empire ! Quelques cohortes se détachaient de la plus prochaine frontière, et la répression était aussi prompte que terrible.

Nous qui sommes depuis si longtemps habitués à demander à l’État de veiller et d’agir à notre place, nous avons multiplié à l’infini les petites garnisons qui détruisent l’esprit militaire, mais sont fort avantageuses aux villes qui les reçoivent. Aussi nous mettons des soldats partout, au risque que l’armée s’émiette et que sa discipline se relâche. Les Romains n’en mettaient nulle part, si ce n’est en face de l’ennemi. Leurs légionnaires n’avaient qu’une fonction, la guerre, qu’un genre de vie, celle des camps, et c’est ainsi qu’ils étaient devenus les premiers soldats du monde.

Aussi n’était-ce que par exception qu’ils en plaçaient dans certaines villes. Quand on se fut aperçu qu’à Antioche, au milieu de cette population vaniteuse et insolente, également incapable de rester sans maître et d’en harder un, on ne pouvait tenir un soldat trois mois sans faire de lui un efféminé ou un séditieux, on Supprima la garnison d’Antioche, quoique cette ville fût un point important pour la défense de la Syrie.

La légion comptait six mille fantassins et sept cent trente cavaliers, tous citoyens romains ; à diverses époques, son effectif varia, mais sans s’écarter beaucoup, en plus ou en moins, de ces nombres qu’on peut considérer comme réglementaires[121]. Elle était partagée en dix cohortes, la cohorte en six centuries, excepté la première qui en avait dix comprenant l’élite de la légion. Les sept cent trente cavaliers se divisaient en vingt-deux compagnies (turmæ) de trente-trois hommes. Chaque centurie avait son étendard, qui, dans la mêlée, servait de point de ralliement. Des speculatores et des exploratores faisaient le service d’éclaireurs.

Les Italiens étaient exemptés du service militaire[122] ; il y en avait cependant qui voulaient suivre la carrière des armes. Pour eux et pour les citoyens qui n’avaient pu se faire admettre dans le service légionnaire, on forma des corps particuliers, cohortes civium Romanorum. Le service y était moins dur que dans les légions, les armes moins lourdes, les récompenses moins tardives. Les provinciaux, non citoyens, et les rois ou peuples alliés fournissaient les auxiliaires, dont le nombre, variant selon les besoins, tuait à peu prés égal à celui des légionnaires. Ces escadrons (alæ) et ces cohortes auxiliaires portaient habituellement le nom de la province ou du peuple qui les avait fournis.

Chaque légion, comptant avec ses auxiliaires de douze à treize mille hommes, avait son infanterie de ligne et son infanterie légère, qui répond à nos tirailleurs ; sa cavalerie et ses machines pour lancer des traits ou démolir des remparts, c’est-à-dire une artillerie de campagne et une artillerie de siège : c’était une armée complète, et nos divisions sont encore organisées, avec des moyens différents, de la même manière. Mais il importe de remarquer que l’armée romaine était toujours endivisionnée, puisque la seule formation qu’elle connût était la légion, qui représente une division française.

L’aigle d’or qui lui servait d’étendard était le symbole de la patrie, du devoir, de l’honneur, et les soldats lui rendaient un culte véritable. Les aigles, dit Tacite, sont les dieux des légions[123].

Les ouvriers, fabri, que nous appelons le génie militaire, ne faisaient partie d’aucune légion. Ils étaient répartis par provinces militaires, sous l’autorité supérieure du général qui nommait lui-même leur chef, præfectus fabrum, de sorte que si la légion n’avait pas d’ouvriers pour construire ses machines et faire ses travaux de défense ou d’attaque, il s’en trouvait un corps dans chaque gouvernement militaire, et ces gouvernements comprenaient toutes les provinces frontières où les armées résidaient.

Cette organisation mérite attention. Comme, chaque soir, en pays ennemi ou au voisinage de l’ennemi, les légionnaires faisaient eux-mêmes leur camp, avec fossé et parapet palissadé, ne fût-ce que pour y passer une nuit, ils n’avaient pas besoin d’hommes spéciaux pour ouvrir une tranchée ou creuser une mine : c’est un caractère qui distingue le soldat romain du nôtre.

Le premier était propre à tout, parce qu’il avait été exercé à tout faire, même des ouvrages d’utilité civile, quand la guerre chômait. Ainsi Marius avait, il y a deux mille ans, par la fossa Mariana, corrigé les bouches incorrigibles du Rhône, et nous venons à peine de renouveler cette entreprise en créant le canal Saint-Louis qui, jusqu’à présent, rend moins de services. Pour tourner la Germanie par le Nord, les soldats de Drusus jetaient une partie du Rhin dans le lac Flevo, et la fossa Drusiana est devenue l’Yssel ; ceux de Corbulon creusaient un canal entre la Meuse et le Rhin, pour rendre moins dangereuses les inondations de l’Océan ; Rufus ouvrait des mines ; un lieutenant de Néron voulait couper le plateau de Langres pour unir la Moselle et la Saône par un canal qui ne sera achevé que dix-huit siècles après qu’un Romain en a eu l’idée. Et je ne parle ni des routés et des ponts construits par tout l’empire, ni des ports creusés sur toutes les mers, ni des marais desséchés et des collines plantées de vignes par leurs mains, ni de ces immenses fortifications dont ils avaient couvert 2000 lieues de frontières.

Ces travaux continuels, dont les histoires et les inscriptions fournissent mille preuves, étaient le grand moyen disciplinaire des Romains ; les généraux redoutaient à tel point l’oisiveté du soldat, qu’ils lui commandaient des travaux inutiles. Ainsi l’auteur des Stratagèmes, Frontinus, loue le consul Nasica d’avoir, durant un hiver, occupé ses légions à construire une flotte dont il n’avait pas besoin[124].

L’armée romaine s’appelait exercitus, c’est-à-dire les hommes qui travaillent, et elle a conquis le monde autant avec la pioche qu’avec l’épée.

En résumé, le peuple le plus militaire de l’antiquité avait été conduit par l’expérience des siècles à établir les principes suivants :

1° Point de petites garnisons ;

2° Réunion des soldats de toutes les armes en vingt-cinq ou trente corps d’armée dont chacun était composé d’une légion et de ses auxiliaires ;

3° Établissement des légions sur la frontière, en face et à proximité de l’ennemi, dans des camps retranchés dont la place avait été si bien choisie, que beaucoup de ces camps sont devenus des villes importantes[125], et que cette armée de trois cent soixante mille hommes put, durant trois siècles, rendre infranchissable une frontière immense, bordée de Barbares avides, même de royaumes puissants.

4° Travaux continuels d’utilité civile ou militaire imposés aux soldats pour entretenir leur force et chasser du camp l’oisiveté, l’ennui, avec l’indiscipline, qui en est la conséquence.

5° Enfin, importance chaque jour croissante de ce que nous sommes forcés d’appeler l’artillerie de siège et de campagne. On a dit : Chez les Romains, l’usage des machines devint plus commun à mesure que la valeur personnelle et les talents militaires disparurent dans l’empire ; lorsqu’il ne fut plus possible de trouver des hommes, il fallut bien y suppléer par des instruments de différente espèce. Du temps de Gibbon, cette observation paraissait juste : elle ne l’est plus aujourd’hui. L’héroïsme à la guerre change de forme sans changer de nature, selon que la lutte se fait corps à corps ou à distance, comme il arrive avec les machines. Avec celles-ci, il faut au soldat des qualités souvent plus difficiles que l’audace et l’élan. Les progrès de l’artillerie chez les Romains n’accusaient donc pas l’affaiblissement de l’esprit militaire, mais les progrès de la science appliquée aux choses de la guerre : la Poliorcétique d’Apollodore en est la preuve[126].

A Rome, dans les beaux siècles qui ont fait la grandeur de l’État, le service militaire était obligatoire. On n’aurait pas compris que la chose de tous, res publica, ne fut pas défendue par tous. Le citoyen ayant la pleine jouissance des droits de cité était tenu de s’armer et de combattre toutes les fois que la patrie l’appelait, et cette obligation commençait pour lui dès qu’il avait atteint sa dix-septième année[127]. Le refus de servir entraînait la perte des biens et de la liberté, quelquefois la mort. Sous Auguste, un chevalier romain qui avait mutilé ses deux fils pour les soustraire au service fut vendu comme esclave, et des réfractaires furent frappés de la hache.

La république avait établi une autre sanction : on ne pouvait briguer une fonction publique qu’après avoir passé dix ans au moins sous les drapeaux. L’empire garda pendant deux siècles et demi ce principe, mais en réduisant beaucoup la durée du service[128].

Aux yeux des Romains, l’armée était si bien la patrie, qu’ils avaient organisé celle-là à l’image de celle-ci. L’esclave ne comptait pas dans la société civile ; il resta aussi en dehors de la société militaire, et celui qu’on découvrait dans les rangs de la légion était puni de mort. Une classe de citoyens était même anciennement exclue du service : les prolétaires, qui, ne payant pas d’impôt, n’avaient que des droits politiques illusoires. Cela était très juste, dit Denys d’Halicarnasse, car on ne doit pas confier des armes aux citoyens dont l’indigence n’offre aucune garantie à l’État. Cette condition tomba au commencement des guerres civiles qui tuèrent la république, et Auguste ne rétablit pas la dispense ou plutôt l’exclusion dont les prolétaires avaient été frappés.

Il conserva la distinction entre les légionnaires, qui devaient être citoyens, et les corps auxiliaires composés de pérégrins. En droit, tous ceux qui avaient le jus civitatis, excepté les Italiens, étaient soumis au service militaire, et les nombreuses cohortes[129] qu’ils ont formées prouvent que les volontaires étaient assez nombreux pour que, en temps ordinaire, les vides annuels des légions fussent aisément comblés[130]. Quant aux provinciaux, le gouvernement déterminait, suivant les besoins, combien de soldats telle province devait fournir[131], et, comme il fallait une base pour la répartition, on prit celle qui était le grand moyen administratif des Romains, le cens. Le recrutement devint un impôt que les propriétaires durent payer : tant de soldats pour tant de fortune. Un riche pouvait être taxé à plusieurs recrues ; plusieurs pauvres pouvaient être réunis pour en fournir une ; les femmes mêmes contribuaient.

Ce système provenait de coutumes anciennes. Avant que la domination romaine se frit étendue hors d’Italie, les Italiens étaient tenus d’armer un nombre déterminé d’auxiliaires, et Polybe nous a conservé le chiffre des contingents qui étaient prêts, en 225 avant J.-C., à rejoindre l’armée romaine pour arrêter l’invasion gauloise. Dans les mauvais jours de la seconde guerre Punique, les citoyens avaient été imposés, chacun suivant sa fortune, à un ou plusieurs soldats, et Auguste recourut deux fois à ce moyen. Il obligea les riches, hommes et femmes, à donner la liberté à quelques-uns de leurs esclaves, afin de pouvoir enrôler aussitôt ces affranchis dans les cohortes[132]. La république avait donc légué à l’empire l’usage de lever des soldats parmi les sujets et le moyen de rendre ces levées moins onéreuses en trouvant pour elles un ordre régulier, ex tenu. Auguste rédigea, sans doute à cet effet, un règlement général. L’État vérifiait l’âge, la taille, la force physique du conscrit : on ne prenait que les plus vigoureux ; Dion ajoute : et les plus pauvres[133].

Chaque légion était commandée par un légat de rang prétorien. Après lui venaient les tribuns, chefs des dix cohortes ; le préfet du camp, faisant fonction de commandant de place dans les castra et de major dans les expéditions ; soixante-quatre centurions ou officiers d’infanterie ; vingt-deux décurions ou officiers de cavalerie ; enfin huit ou neuf grades inférieurs dont les titulaires portaient des noms différents sous la désignation commune de principales[134] : ce sont nos sous-officiers. Le service religieux était représenté par les victimaires et les aruspices ; le service de santé, par des médecins et des vétérinaires ; chaque camp avait une ambulance (valetudinarium)[135].

La solde était de 10 as par jour, ou de 225 deniers par an, 500 depuis Domitien, sur quoi il fallait se procurer et entretenir les vêtements, les armes et la tente ; l’État ne fournissait que les vivres ; plus tard, il donna aussi le vêtement et les armes[136]. Chaque cohorte avait une caisse d’épargne administrée par les librarii ou comptables sous la surveillance du tribun. Le soldat y mettait les économies qu’il faisait sur sa solde, sa part de butin et le donativum ou gratification accordée par l’empereur à son avènement. Les biens du soldat mort sans héritier étaient dévolus à la légion, comme ceux du décurion l’étaient à la curie. Il a été question précédemment des collèges militaires et de leur caisse de secours.

Au temps de Polybe, le centurion ne recevait que le double du légionnaire, et le tribun le quadruple ; au second siècle, la solde de celui-ci est de 25.000 sesterces, et nous verrons Aurélien toucher, à ce titre, bien davantage.

Sous la république, le serment militaire était prêté en ces termes. : A l’armée et à 10 milles à la ronde, seul ou avec plusieurs, je ne prendrai rien dont la valeur excède un sesterce. Quand je trouverai hors du camp un objet valant, plus d’un sesterce, je le remettrai dans les trois jours aux chefs. Jamais la peur ne me fera quitter le drapeau, et je ne sortirai du rang que pour ramasser un javelot, frapper un ennemi ou sauver un citoyen[137].

Sous l’empire on jura d’exécuter sans hésitation ni crainte tous les ordres de l’imperator, de ne point déserter, de mourir, s’il le fallait, pour le peuple romain, et de ne rien faire de contraire aux lois[138]. Ce serment était renouvelé tous les ans au 1er janvier et fidèlement tenu ; car, si l’on excepte les deux années d’anarchie (68-69) où les légions firent trois empereurs, on ne trouve, dans l’espace de plus de deux siècles, que trois insurrections militaires, dont aucune ne réussit[139]. Il faut, bien entendu, mettre les prétoriens à part.

Arrivé au camp, le jeune soldat recevait un signaculum, ou médaille ordinairement de plomb, que chaque soldat portait au cou et qui servait à le faire reconnaître ; puis il était remis aux instructeurs et aux maîtres d’armes (doctores armorum et lanistæ). Son armure était pesante ; durant les exercices, On lui donnait des armes plus lourdes que celles de combat, et on l’habituait à frapper d’estoc, jamais de taille. Il faut pointer, dit Végèce, et ne pas sabrer. Il était encore exercé au saut, à la nage, même à une certaine danse guerrière que l’on croyait propre, par ses évolutions rapides, à étonner et à intimider l’adversaire. Il devait s’habituer à franchir les fossés et les haies, à gravir les pentes rapides et à pousser le cri de guerre, ce terrible barritus, capable à lui seul, dit César, d’animer une armée et d’effrayer l’ennemi. Le pas ordinaire était de 6 kilomètres à l’heure, le pas accéléré de 36 kilomètres en cinq heures ; trois fois par mois avaient lieu de grandes promenades militaires.

On pratiquait, comme chez nous, l’école de soldat, de peloton et de cohorte, la cohorte étant pour eux l’unité tactique, comme le bataillon l’est pour nous ; ils faisaient même ce que nous appelons la petite guerre, et toutes les évolutions étaient réglées par les ordres des chefs, les mouvements des enseignes, les sons de la trompette. Les manœuvres avaient lieu deux fois par jour pour les recrues, une fois pour les anciens soldats, et nul n’avait le droit de s’en dispenser, excepté les vétérans. Jamais, dit Josèphe, ils ne suspendent leurs exercices ; on croirait qu’ils sont nés avec leurs armes. Le nom même de l’armée, exercitus, le disait aux soldats.

Cette gymnastique, la plus complète éducation de l’homme physique, donnait au soldat toute sa valeur individuelle, en même temps que la cohorte y gagnait, par la précision des mouvements, une cohésion incomparable[140].

Mais la grande force des légions était leur discipliné, que Valère Maxime appelle la très sainte discipline des camps[141]. L’obéissance du soldat était absolue, et ce respect de la loi militaire remontait du dernier des légionnaires au chef de l’armée. Un jour, Trajan appelle dans sa tente un centurion, qui devint plus tard l’homme le plus considérable de l’empire après l’empereur. Des tribuns étaient réunis aux abords de la demeure impériale pour y être introduits. Au lieu de se prévaloir de cette faveur, le centurion dit au prince : C’est une honte, César, que tu t’entretiennes avec un centurion quand des tribuns sont debout à ta porte et attendent. Le détail est petit, mais l’esprit qu’il montre est grand.

Les peines disciplinaires étaient la réprimande, une retenue de solde, la corvée, la relégation dans un service ou dans un grade inférieur, l’expulsion de l’armée. Ainsi César chassa un tribun qui, pour l’expédition d’Afrique, avait encombré un navire de ses bagages, au lieu d’y mettre des soldats.

La discipline romaine admettait les peines corporelles, et bien souvent le cep du centurion tombait sur les épaules du légionnaire. Les cas de peine capitale étaient nombreux, les sentences prononcées sans faiblesse et exécutées sans retard. Les Romains savaient que la victoire dépend de la discipline, la discipline de la rigoureuse observation des règlements, et que, pour ne pas avoir des soldats hésitants, c’est-à-dire la certitude de la défaite, il faut placer, derrière ceux qui reculent, la loi avec toutes ses sévérités. On décimait la troupe qui avait fui, et le lâche était passé par les verges ou frappé de la hache ; le transfuge, jeté aux bêtes ou renvoyé les mains coupées.

La désobéissance et la trahison recevaient le même châtiment. Un jour, sous Antonin, à une époque cependant où la décadence commençait, quelques cohortes surprennent un corps de Barbares et le détruisent. Elles avaient combattu sans ordre, le chef de l’armée fait mettre les centurions en croix. On s’irrite de celle sévérité : une sédition éclate et l’armée entoure, menaçante, le prétoire du général. Il en sort sans armes : Frappez-moi, dit-il, et ajoutez ce crime à celui du renversement de la discipline. Tout rentra dans l’ordre ; l’écrivain de qui nous tenons ces détails ajoute : Il mérita d’être craint, parce qu’il ne craignait pas.

Par une étrange inconséquence, les Romains ne faisaient pas un crime au général de son impéritie ; ils croyaient trop à la Fortune, au Destin, au Hasard, divinités complaisantes à la faiblesse humaine, pour ne pas mettre sur le compte des dieux ce qui provenait de l’incapacité des hommes.

Ainsi le citoyen romain, si libre et si fier sous la république, dont le foyer était inviolable et la vie sacrée, qui ne pouvait être battu de verges ni mis à mort, même par une sentence du peuple tout entier, s’était imposé, dans l’intérêt de la patrie, la plus sévère des législations militaires.

Je passe sur le système des récompenses ; elles étaient de deux sortes : on donnait aux soldats de l’argent, donativum, ou des armes, des colliers d’honneur, des médaillons qui rappellent nos décorations, usage fort ancien, puisqu’il aurait fallu plusieurs hommes pour porter celles qui avaient été accordées à Sicinius Dentatus, une des victimes des décemvirs[142].

Sous la république, les légionnaires pouvaient se marier, parce qu’on était citoyen avant tout et soldat par circonstance ; mais l’entrée du camp était interdite aux femmes. Sous l’empire, cette défense subsista, et, comme les soldats restaient alors toute leur vie, ou peu s’en faut, sous les armes, elle entraîna l’interdiction même du mariage, du moins de ce que les Romains appelaient les justes noces, qui seules avaient des effets civils et permettaient au fils d’hériter des droits du père. En dédommagement, Claude accorda aux soldats les privilèges établis par Auguste en faveur des pères de famille qui avaient trois enfants. Mais la nature réclamait ; beaucoup d’unions illégales se formèrent et furent tolérées. Ce n’était, toutefois, qu’après avoir obtenu son congé que le vétéran pouvait transformer le concubinatus en justum matrimonium ; sa femme devenait une matrone, ses enfants des citoyens.

La vétérance n’était obtenue dans les légions qu’après vingt, plus tard vingt-cinq[143] années de service. Alors le vétéran recevait une somme de 12.000 sesterces, environ 3.000 francs : c’était notre pension de retraite qui charge plus lourdement le budget. Il avait le droit de porter le cep de vigne des centurions, l’exemption de certains impôts et de toutes les charges personnelles, qui étaient fort nombreuses dans les cités. S’il était accusé, on lui accordait dans la prison une place à part et meilleure ; il ne pouvait être mis à la question, condamné aux verges ou jeté aux bêtes de l’amphithéâtre[144].

Au lieu d’argent, souvent on lui donnait, sur la frontière, une terre, une maison, avec les esclaves, les animaux nécessaires à l’exploitation : nous avons fait même chose en Algérie et nous devrions le faire davantage. Plusieurs écrivains ont vu, à tort, dans ces concessions, l’origine des fiefs. Parfois les cités honoraient ces défenseurs de l’empire par une libéralité municipale. Une inscription de Mines rappelle que les décurions ont gratifié un vétéran d’un champ près des murailles, de 50 modii de blé pour l’ensemencer et de l’entrée gratuite aux bains de la ville[145].

Les légions avec leurs auxiliaires représentaient l’armée de ligne ; les dix cohortes prétoriennes, ou garde impériale, sous les ordres d’un ou de deux préfets, et les cohortes urbaines[146], commandées par le préfet de la ville, en étaient comme la réserve. Les cohortes prétoriennes étaient formées, au commencement de l’empire, de volontaires venus de l’Étrurie, de l’Ombrie, du Latium et des plus anciennes colonies romaines ; plus tard, on les prit dans toute l’Italie, dans les colonies d’Espagne et dans celles des belliqueuses provinces de Macédoine et dut Norique[147]. A partir de Septime Sévère, elles furent composées de l’élite des légions qui, on l’a vu, se recrutaient dans toutes les provinces. Aussi ces soldats, choisis au sein des populations rattachées les premières à la fortune de Rome ou sorties de son sein, étaient, dans l’armée impériale, l’élément le plus romain ; et comme dans leurs rangs se trouvait l’élite des légionnaires, les légions elles-mêmes les acceptaient pour les représentants de l’armée, bien qu’ils n’en partageassent ni les rudes travaux ni les dangers. Après la mort de Néron, les légions de Germanie avaient envoyé aux prétoriens de secrets ambassadeurs avec ce message : Choisissez un empereur que nous puissions prendre. Ce droit d’élection à l’empire exercé par la garde impériale comme une délégation de l’armée ne blessait pas alors, parce que, les légions n’admettant que des citoyens, il semblait que la meilleure partie du peuple était celle qui se trouvait sous les enseignes.

Les prétoriens avaient une solde trois fois plus forte que celle des légionnaires : 2 deniers par jour, ou 32 as au lieu de 10[148], et une durée de service moins longue : seize années au lieu de vingt ; mais ils n’eurent pas d’abord de rations gratuites. Néron leur en donna, et Domitien augmenta pour tous la solde d’un tiers[149]. La paye, des gardes urbaines était inférieure de moitié a celle des prétoriens. Ces troupes gardaient le prince, Rome et l’Italie, où l’on tonnait plusieurs stations de prétoriens. Aussi l’opinion les plaçait au-dessus des légions ; mais les sept cohortes des vigiles[150], chacune de mille hommes, peut-être de quinze cents, étaient mises au-dessous, parce qu’elles n’étaient composées que d’affranchis[151]. En joignant à ces troupes des vétérans, evocati, restés au service ; des cavaliers germains et bataves, garde personnelle du prince ; des singulares ou l’élite de la cavalerie auxiliaire ; des soldats de marine ; des frumentarii empruntés à toutes les légions et mis en subsistance à Rome pour y remplir divers offices, on verra que la capitale de l’empire avait une garnison considérable et toute une armée prête à courir aux Alpes, si quelque danger s’y montrait.

Les deux flottes prétoriennes de Misène et de Ravenne surveillaient la mer de Toscane et l’Adriatique, et combinaient, au besoin, leur action avec deux divisions de la flotte impériale dont Fréjus et Aquilée étaient les ports d’armement. L’Euxin était gardé par quarante vaisseaux que montaient trois mille hommes ; la mer des Cyclades, les côtes de Syrie et d’Égypte, le détroit de Gaule, par les flottes de Carpathos, de Séleucie, d’Alexandrie et de Bretagne. Le Rhin et le Danube avaient de puissantes flottilles, et quelques navires légers stationnaient sur le Rhône, la Saône, la Seine, même sur les lacs de Côme, de Neufchâtel, etc. Les navires de la flotte étaient des galères dites à trois, quatre et cinq rames, trirèmes, quadrirèmes et quinquérèmes, selon le nombre des rangées de rames superposées ou celui des hommes employés sur chaque rame. Elles étaient mises en mouvement par une chiourme d’affranchis et de peregrini, recrutés dans les contrées voisines de la mer et des fleuves, qui n’obtenaient leur congé, avec le droit de cité, qu’après vingt-six années de service. Ces galères avaient pour gouvernail deux grandes rames agissant des deux côtés de l’arrière[152], et à l’avant un éperon. Lorsqu’elles devaient combattre, des légionnaires montaient à bord ; toute la manœuvre était celle à laquelle revient la marine moderne, l’abordage par l’éperon pour couler l’ennemi[153].

On verra plus tard cette armée si longtemps victorieuse devenir incapable de résister aux Barbares. Dès maintenant nous pouvons constater que la séparation établie par Auguste entre la société civile et la société militaire avait eu ses conséquences inévitables. D’abord il avait fallu accorder aux soldats des privilèges en matière de pécule, de testament, de mariage, sans parler des gratifications que leur valaient les changements de règne, les adoptions, tous les grands événements de la vie du prince. Au second siècle, ils étaient déjà pour le rhéteur Aristide une classe particulière qu’il comparait à celle des guerriers sous les Pharaons. Juvénal a énuméré ces avantages de la vie militaire, et il n’exagère pas lorsqu’il montre l’homme en toge demandant en vain justice aux centurions contre le soldat qui lui a brisé les dents ou arraché un œil. En Thessalie, un légionnaire rencontre un jardinier monté sur un âne et lui adresse, en latin, une question que ce Grec ne comprend pas. L’autre se fâche, le frappe et le jette à terre, puis veut s’emparer de la monture. Pour le coup, le paysan reprend courage ; il saute à la gorge du soldat, le renverse et le bâtonne si bien, qu’il pense l’avoir tué. Il court se cacher chez un ami dans la ville prochaine. Mais le soldat, revenu à lui, ameute ses camarades ; ils accusent le jardinier d’avoir volé un vase d’argent ; on le prend, on le juge et il est exécuté[154]. Ce récit, où Apulée a voulu peindre l’insolence de la soldatesque, doit être véridique comme le tableau de Juvénal. La même chose s’est produite partout où l’armée a eu dans l’État une situation prépondérante.

 

VI. — LES FINANCES.

Avec quelles ressources élevait-on les monuments dont l’empire se couvrait ? Comment faisait-on face aux dépenses de la cour, de l’administration et de l’armée ? Nous savons où les villes prenaient leurs revenus et l’emploi habituel de cet argent ; mais nous ne saurions donner aucun chiffre des recettes et des dépenses. Le budget de l’État est aussi impossible à établir, pour l’époque des Antonins, qu’il l’était pour celle d’Auguste. On peut affirmer seulement que, quand le trésor[155] n’était point vidé par les prodigalités insensées ou honteuses de Néron et de Vitellius, il se remplissait rapidement et permettait au prince, après la dotation de tous les services, de satisfaire largement aux dépenses nécessaires à la splendeur de l’empire.

Nous avons déjà montré cette organisation financière ; nous n’aurons besoin d’y revenir qu’à l’époque où l’impôt, si légèrement porté durant trois siècles, sera devenu intolérable. Pour le haut empire, elle n’a pas d’intérêt politique, et, au point de vue administratif, une brève énumération suffira.

Le service religieux coûtait peu. Les temples et les prêtres étaient entretenus par des fondations dont le revenu couvrait les dépenses ordinaires du culte : achat des victimes et festins sacrés. L’État n’avait que des subventions à fournir pour faire célébrer plus dignement les fêtes solennelles, surtout les jeux publics qui, à l’origine, étaient des actes religieux, et l’on a vu combien cette subvention était légère.

Il n’avait ni corps judiciaire ni corps diplomatique à payer, et sa participation aux frais de l’instruction publique, service essentiellement municipal[156], se bornait à la dotation de quelques chaires, à l’entretien des bibliothèques de Rome et d’Alexandrie. Les particuliers faisaient le reste. L’État dépensait davantage pour l’assistance donnée, par l’annone et les congiaires, à la plèbe de la capitale[157], par l’institution alimentaire, aux enfants pauvres de l’Italie. S’il n’avait point, comme nous, d’énormes intérêts à payer pour la dette publique, il était contraint, alors comme aujourd’hui, de consacrer aux travaux d’utilité générale ou d’embellissement, surtout à l’administration et à l’armée,presque toutes les ressources du trésor.

Chaque prince, se faisait un point d’honneur Temple de Rome, sur une de décorer Rome d’un monument où la postérité lirait son nom, d’exécuter en Italie des travaux utiles, de secourir les villes provinciales ravagées par quelque fléau ou de les aider, par une allocation, à l’achèvement d’une entreprise[158]. Les inscriptions en fournissent mille preuves. Une d’elles nous donne même, à propos d’une subvention d’Hadrien pour la réfection d’une route, le coin de ce travail, 100.000 sesterces par mille[159]. De loin en loin les empereurs faisaient des libéralités d’une autre sotte : Hadrien, en une fois, renonça à un arriéré d’impôt de 900 millions de sesterces.

Bien que nous connaissions le chiffre de la solde et à peu prés le nombre des soldats, trop d’éléments nous manquent pour qu’il nous soit possible de dire ce que coûtait l’armée. Dans nos budgets, on inscrit environ 1 million de francs pour mille hommes sous les drapeaux ; il est probable que le rapport entre ces deux chiffres était à peu près le même dans l’empire romain[160].

Les traitements ou indemnités aux fonctionnaires publics de tout ordre devaient prendre des sommes importantes[161]. Que dépensait la cour ? Moins sous les bons princes, davantage sous les mauvais ; mais toujours beaucoup, car le palais nourrissait un peuple entier de serviteurs et de familiers, et nous savons que le médecin de Claude recevait 500.000 sesterces en honoraires ; le précepteur des petits-fils d’Auguste, 100.000.

Les Romains disaient, comme nous, que, pour subvenir aux dépenses d’intérêt commun, l’État avait le droit de mettre un impôt sur tout ce qui procurait un bénéfice ou un plaisir, et, de plus, que les sujets devaient le tribulum soli, pour la rançon des terres que la victoire avait livrées à leurs vainqueurs[162]. C’était la théorie des contributions directes et indirectes. Mais, tandis que les modernes tirent leur plus gros revenu de celles-ci, les Romains le demandèrent à celles-là : ils imposaient surtout la propriété foncière, qui eut à fournir, outre le tribut en argent et les corvées, d’énormes prestations en nature pour nourrir le palais, l’administration et l’armée. Aussi forent-ils conduits à concéder aux possessores des privilèges en échange des charges dont ils les accablaient ; de sorte que l’organisation financière de cette société devint une,cause nouvelle de séparation entre les classes de citoyens.

L’impôt foncier. — Les terres étaient réparties, suivant leur produit, en diverses catégories[163] : terres de première et de seconde classe, prés, forêts à glands, forêts ordinaires, pâturages, étangs, salines, etc. Au rôle, renouvelé tous les dix ans, étaient consignés le nom du domaine, ceux du canton et de la cité où il se trouvait ; la quantité d’arpents labourables ; le nombre des arbres, des plants de vignes, d’oliviers qu’il contenait ; l’étendue des prairies et des pâturages, la nation, l’âge, le service des esclaves établis sur la propriété[164].

L’impôt foncier était payable en trois termes ; au 1er septembre, commencement de l’année financière, au 1er janvier et au 1er mai[165].

Le blé demandé pour l’annone civique qui nourrissait Rome et pour l’annone militaire fournie à l’armée et aux fonctionnaires de l’État n’était en réalité qu’une partie de l’impôt foncier. Il en était de même pour les cellaria ou livraisons de vin, viande, huile, vinaigre, bois, fourrage et vêtements.

Les Romains fixés dans les provinces devaient le tributum soli, qui était établi sur la terre, non sur la personne[166], mais l’Italie ne le devait pas.

La capitation. — Elle frappait, d’une part, les marchands, les industriels, les banquiers et tous ceux qui, sans être propriétaires fonciers, avaient des capitaux ou des biens mobiliers ; d’autre part, ceux qui les aidaient à conserver ces biens ou à les accroître, la femme, l’enfant majeur, le colon, l’esclave. Pour les premiers, la capitation était proportionnelle à l’avoir ; pour les autres, elle n’était qu’une contribution personnelle. En Syrie, d’après un texte d’Ulpien, les filles au-dessous de douze ans, les garçons au-dessous de quatorze, les vieillards au delà de soixante-cinq, étaient exemptés de la capitation[167] ; mais, s’il fallait en croire Dion (LXVI, 8), les mendiants devaient prélever quelque chose sur leur industrie pour le fisc ; sans doute il s’agissait de ces mendiants dont parle Lucien, dans la besace desquels on trouvait des pièces d’or, des miroirs, des parfums et des dés[168].

Le vingtième sur les héritages et les legs. — Cette contribution était pour l’Italie et les citoyens romains le rachat de l’impôt foncier et de la capitation. Aussi, lorsque la succession d’un citoyen comprenait un domaine provincial, il est probable que ses héritiers n’étaient pas soumis, pour cette partie de l’héritage, au droit du vingtième, puisque ce bien avait déjà payé le tributum soli.

Les revenus du domaine. — L’ancien ager publicus avait été très réduit par les ventes et les fondations de colonies ; cependant les domaines du fisc, qui faisaient comme la dotation de la couronne, étaient encore considérables, et leurs revenus s’ajoutaient à ceux que donnait au prince sa fortune particulière accrue de celle qu’avaient laissée ses prédécesseurs[169]. Ainsi Auguste avait pris en Égypte, pour sa part de conquête, le domaine royal des Ptolémées. Presque toutes les mines, carrières et salines appartenaient au prince, et ses procurateurs en affermaient l’exploitation à raison de 10 pour 100 du produit[170]. Le fisc trouvait une ressource d’une certaine importance dans la vente de ce qui restait en magasin de blé du tribut, après les distributions réglementaires, et dans le monnayage des pièces d’argent et d’or devenu un droit utile. Les empereurs ne l’avaient laissé qu’à un petit nombre de cités helléniques[171]. Dans la législation du haut empire, il n’y eut jamais prescription pour les choses sacrées, ni pour le domaine public du peuple romain ou des cités[172], et la créance du fisc primait toutes les autres ; mais on a vu à plusieurs reprises que ces biens n’étaient pas inaliénables, comme prétendit l’être notre domaine royal.

Les impôts indirects. — Ils frappaient la circulation des denrées ou marchandises, la mutation de certaines propriétés et quelques actes de droit civil. Les principaux étaient : la douane, qui prélevait habituellement, aux frontières de l’État et de certains groupes de provinces, à l’entrée et à la sortie, 2 ½ pour 100 ad valorem sur les marchandises[173], même sur les eunuques et sur les bêtes fauves destinées aux combats de l’amphithéâtre ; 1 pour 100 de toute chose vendue, excepté pour les denrées de consommation achetées aux marchés de Rome ; 2 pour 100 du prix des esclaves ; 5 pour 100 du prix des affranchis ; les droits perçus sur les marchés ouverts par autorisation du prince ou du sénat[174] et sur les ponts et les routes[175] ; quantités d’autres impôts de peu d’importance qui varièrent souvent ; enfin les biens caducaires ou tombés en déshérence, les legs testamentaires, le produit des amendes, des confiscations, des mines, carrières et salines, possédés par l’État ou par des particuliers[176].

L’or coronaire offert par les villes à l’empereur en don de joyeux avènement ou à l’occasion d’une victoire, comme, sous la république, elles l’offraient aux proconsuls. Souvent les bons princes le refusaient ; les mauvais, au contraire, imaginaient, comme Caracalla, des triomphes sur les Barbares, pour l’exiger plusieurs fois[177].

Les prestations en nature ou le blé pour l’annonce, et les cellaria, que nous avons comptés dans le tributum soli, les chevaux et voitures pour la poste publique, l’hébergement des soldats et fonctionnaires voyageant par ordre du prince, l’entretien des routes, la réparation des aqueducs[178], le curage des canaux, le transport par terre des vivres à destination de l’armée, etc.

Personne ne saurait dire ce que produisaient tous ces impôts. Mais il importe peu de connaître le chiffre exact du revenu public, parce que ce chiffre, qui n’a jamais qu’une valeur relative, est très faible chez les peuples misérables et peut être très élevé dans un État riche. Il suffit de constater que, dans les deux siècles que nous étudions, on ne voit aucune réclamation sérieuse se produire[179], ce qui signifie que les impôts n’étaient pas disproportionnés aux ressources des contribuables, et que la richesse publique se développait sous les mille formes qu’elle peut prendre clans un grand État civilisé. Enfin nous savons qu’un prince économe pouvait faire en quelques années des réserves considérables. A plus d’un siècle de distance, Tibère et Antonin laissèrent dans le trésor à peu près la même somme, 745 millions de francs[180].

Le système financier qui vient d’être exposé diffère beaucoup du nôtre, quoiqu’il nous ait légué bien des usages. On voit d’abord qu’il ne faut point songer à des impôts consentis par les contribuables, et sévèrement, contrôlés pour la répartition, la levée et l’emploi, par des pouvoirs distincts et indépendants. Les impôts restèrent, sous le haut empire, ce qu’ils avaient été sous la république, une conséquence de la victoire, un droit de la conquête. Aussi le sénat, puis l’empereur, en eurent-ils la libre et absolue disposition dans l’intérêt du peuple conquérant, qui constitua longtemps, au milieu des nations soumises, une nation privilégiée. Ceci explique que la république ait transmis à l’empire son double système d’impôts en argent et en nature, établi sur la propriété foncière des provinciaux, qu’il finira par écraser.

Autre différence : l’État moderne ne demande aux contribuables que de l’argent, et, avec cet argent, il fait tous les services publics ; deux seulement restent personnels : celui du jury et celui de l’armée. L’État romain prenait bien l’argent des sujets, niais il était dans les mœurs municipales de la vieille Italie et de l’antiquité tout entière de laisser à la charge personnelle des citoyens une foule d’obligations d’intérêt commun, depuis certaines fonctions publiques auxquelles bientôt on ne sera plus libre de se soustraire jusqu’aux prestations, aux corvées, qui se multiplieront au point de changer l’empire en un immense atelier d’ouvriers indolents et héréditaires. Ce système paraîtra simplifier tout, en forçant chacun à faire le travail et à fournir les denrées nécessaires aux besoins publics, et on le croira très économique : il produira, au contraire, une extrême confusion, un immense gaspillage de forces et de matières, une répartition très inégale des charges et, pour beaucoup, la confiscation de la liberté individuelle.

A l’époque dans laquelle nous nous enfermons, le système financier de l’empire n’avait pas encore eu de funestes résultats. On trouvait moyen de satisfaire à tous les besoins par des impôts qui ne détruisaient pas la matière imposable à force de la charger, et les prestations étaient tolérables, la liberté de chacun respectée. Dans les provinces étaient des cités prospères ; sur les frontières, une armée formidable ; les peuples prêtaient volontairement obéissance, et leur culte de Rome et des Augustes était plus sincère que ne l’a été, dans notre ancienne monarchie, la religion de la royauté. Formés de la même manière, par la substitution du pouvoir d’un seul à celui de plusieurs, les deux gouvernements furent terribles aux grands, doux aux petits, avec des alternatives, dans l’un comme dans l’autre, de bons et de mauvais princes. Pour l’empire, les bons viennent d’y régner durant près d’un siècle ; mais les fous ou les incapables reviendront bientôt et prendront ce pouvoir absolu si dangereux aux mains des violents. Dans quelques générations, les libres institutions des cités auront été détruites ; l’admirable machine de guerre des Antonins sera détériorée jusqu’à devenir impuissante ; le fisc tarira les sources de la richesse publique ; et quand se lèveront les jours de malheur, il ne se trouvera, dans cette cohue affolée de peur, ni un homme ni un soldat. Alors, en voyant le colosse brisé couvrir le monde de ses ruines, il faudra bien reconnaître que les peuples, comme les individus, sont les artisans de leurs destinées ; que, pour les uns comme pour les autres, la fortune est faite de sagesse, et le malheur d’imprévoyance.

 

 

 

 



[1] Dion Cassius, qui fut consul en 229 ap. J.-C., nous a laissé le tableau du gouvernement romain au commencement du troisième siècle. C’est le discours par lequel Mécène conseille à Auguste tout ce qui fut fait après lui, même l’institution alimentaire de Trajan (LII, 14-40). Dion n’a su rien imaginer de mieux que ce qu’il avait sous les yeux, et le peu qu’il y ajoute, comme son sous-censeur, un projet peut-être d’Alexandre Sévère, ne dérange pas cette représentation de la constitution impériale au temps de ce prince.

[2] Nec unquam dubitatum est quin id (constitutio principes) legis vicem obtineat, cum ipse imperator per legem imperium accipiat (Gaius, I, 5). En vertu du jus majoris imperii (Cicéron, Catilina, III, 6 ; Plutarque, Cicéron, 79 ; Tite-Live, III, 29 : V, 9 ; Denys d’Hal., X, 25), il avait le droit de déposer tous les magistrats, même dans les provinces sénatoriales.

[3] Digeste, I, 3, 51 : Princeps legibus solutus est. Il avait même légalement le droit de changer un testament, ceux du moins qui étaient en faveur des villes (Digeste, L, 8, 4) ; et c’était un vieux droit républicain, car il fallait anciennement, pour qu’un testament fût valable, qu’il eût été accepté par le peuple dans les comitia calata.

[4] Tribun perpétuel et investi de la puissance proconsulaire, l’empereur recevait les appels de tout l’empire (Suétone, Octave, 33 ; Digeste, XLII, 1, 27 et 33 ; XLIX, 1). L’ancien appel aux tribuns ou à un collègue paris majorisse potestatis n’avait qu’un effet négatif. Le juge de l’appel pouvait casser l’arrêt, mais il ne le réformait pas. L’empereur, on le juge qu’il instituait, cassait et réformait. Ce droit augmenta considérablement le nombre des affaires dans les bureaux de l’empereur, et le mouvement de centralisation s’en accrut.

[5] La formalité du drapeau sur le Janicule était observée du temps de Dion (XXXVII, 28).

[6] Toutes les difficultés religieuses qui s’élevaient dans l’empire étaient décidées par les deux collèges des pontifes et des quindécemvirs sacris faciundis, dont l’empereur était le chef. Quand il ne pouvait les présider, il se faisait remplacer par un pro magistro. Dès le jour de son avènement, l’empereur était membre des collèges sacerdotaux.

[7] Digeste, I, 1, 2, § 11 ; Institutes, I, 2, 6, et Gaius, Comm., I, 5 : Constitutio principis est quod imperator decreto vel edicto, vel epistola constituit.

[8] Voyez Théophile sur le § 6 de jur. nat., aux Institutes : Cœsar omnia habet Cf. Sénèque, de Ben., VII, 6 ; cf. Orelli, 1114 : Legum domino, justiltixæ æquitatisque rectori.

[9] Digeste, I, 1, 4 ; Pline, Lettres, X, 60. Le 3 janvier on faisait des vœux solennels dans les Temples pour la conservation de l’empereur (Pline, Lettres, X, 101).

[10] Philon, Ambassade à Caïus. Sous la république, les édits des préteurs et des consuls ne valaient que pour la durée de leurs fonctions ; l’empereur étant consul perpétuel, ses rescrits valaient pour tout son règne et gardaient force de loi après sa mort si, en le proclamant divus, le sénat avait consacré ses actes qui ne pouvaient être réformés que par un acte contraire d’un successeur.

[11] Tacite, Hist., IV, 16. Faustine porta le titre de mater castrorum (Dion, LXXI, 10). Les mots de trône impérial dont on use si souvent sont toujours déplacés, les empereurs des deux premiers siècles n’ayant jamais eu que la chaise curule des consuls. Ils le sont particulièrement pour les Antonins qui affectaient de ne pas vouloir blesser l’égalité républicaine. En parlant de son avènement à l’empire, Antonin dit : Le jour où il a plu aux dieux de me confier ce poste. Quo me sumere hanc stationem placuit (Lettre à Fronton, 6).

[12] Trajan laissait Pline jurer par son éternité. Le modeste Antonin se nommait lui-même mundi dominus (Rescrit à Eudème Nicom., Digeste, XIV, 29), et Fronton parlant de ce prince écrit : περί τοΰ μεγάλον Βασιλίως άρχοντος γής xαί θαλάσσης (Ép. ad. Marc., II, 7). Ailleurs (Ép., 8), il appelle Antonin sanctissime imperator. On offrait du vin et de l’encens aux statues des empereurs ; quant au mot dominus, Pline, sous Trajan, ne le donne encore qu’au prince ; mais, sous Marc Aurèle, Fronton l’accorde à tout le monde. Quelle que fût sa naissance, le nouvel empereur était à son avènement agrégé à l’ordre des patriciens.

[13] Maximin ayant régné sine decreto senatus, cela parut extraordinaire.

[14] Il appelle la Fortune : deorum præcipuam (lettre 5). Voyez le passage de Pline l’Ancien (II, 5) sur la Fortune, qu’en tout lieu, à toute heure, on invoque ou l’on accuse.... qui, dans le compte des humains, règle seule l’actif et le passif, et que l’on a faite Dieu, elle qui est la négation même de bien.... ut sors ipsa pro Deo sit qua Deus probatur incertus.

[15] Sibi causam periculi fecit, ceteris libertatis initium non præbuit (Ann., XIV, 12).

[16] Optimus civitatis status sub rege justo est (Sénèque, de Ben., II, 20) .... electus qui in terris deorum vice fungeretur (de Clem., I, 1).

[17] Il l’appelle encore άρχοντι xαί xοσμητή, celui qui commande et qui coordonne la vie d’ensemble de toutes les parties. (De Roma, p. 213.)

[18] Dion, LIII, 19. Cf. id., XLIV, 2, et Tertullien, de Pallio, I, 2.

[19] Le second personnage de l’empire sous Trajan était, comme lui, un Espagnol, Licinius Sura, natif de Tarragone ou de Barcelone (Martial, Épigrammes, I, 50, et C. I. L., n° 4282 et 4536-48).

[20] Waddington, Fastes des prov. asiat., p. 218.

[21] Alii quoque plurimi sunt in senatu Cirtenses clarissimi viri (Fronton, ad Amic., II, 10).

[22] La santé de Fronton l’empêcha de prendre possession de son gouvernement. Proculus était de Sicca.

[23] L. Renier, Comptes rendus de l’Acad. des inscr., 1874, p. 200.

[24] Appien, qui était d’Alexandrie, fut investi en Égypte d’une charge importante que le mot έπιτροπεύειν ne désigne pas suffisamment, mais il n’arriva pas au sénat de Rome.

[25] Les Quintilii étaient d’Alexandria Troas et furent consuls sous Antonin (Waddington, Fastes des prov. asiat., p. 229). Pour Quadratus, voyez ibid., p. 219.

[26] Sur ce Juif, cf. L. Renier, Conseil de guerre de Titus, et, sur Balbillus, Letronne, Inscriptions d’Égypte, II, 550. Le grand architecte Apollodore était de Damas, Galien de Pergame, Ulpien de Tyr, Papinien de Phénicie.

[27] Martial, Épigrammes, X, 76 ; Juvénal, Satires, III, 81 ; VII, 14.

[28] Ingeniosa in contumetias præfectorum provincia (ad Helviam, 17).

[29] Tacite, Ann., XIII, 27 : .... plurimis equitum, plerisque senatoribus non aliunde originem trahi. Du temps de Pline, le préteur Largius Macedo était fils d’affranchi, ce qui ne l’empêchait pas de traiter si durement ses esclaves, qu’ils le tuèrent (Lettres, III, 14). L’empereur Pertinax était de même condition (Dion, LXXI, 22). Sous Caracalla, un ancien esclave fut fait sénateur (id., LXXVIII, 15).

[30] Tacite, Annales, XI, 21.

[31] Tout était si peu fixe dans cette constitution, que le sénat croyait pouvoir, au cours même d’un procès, changer la loi qu’il s’agissait d’appliquer : ainsi dans le procès de Bassus (Pline, Lettres, IV, 9) : Senatui licet et mitigare leges et intendere.

[32] Pline, Lettres, V, 4. Autre exemple, dans l’Ephemeris epigr., t. II, fasc. IV, p. 271, d’un sénatus-consulte pareil, de l’an 138, trouvé en 1875 dans la Tunisie.

[33] Pline, Lettres, V, 14 et 21.

[34] On a vu cependant que nombre de villes dans les provinces orientales avaient conservé le droit de frapper de la monnaie d’argent (cistophores) et de cuivre. Ce droit du sénat et des cités était important, car il empêchait l’empereur d’émettre de la monnaie d’une valeur fictive. (Mommsen, Hist. de la monnaie rom., t. III, p. 12.)

[35] L. Renier, Comptes rendus de l’Acad. des inscr., 1873, p. 105, et Hist. Auguste, Aurélien, 13.

[36] Orelli, n° 922, pour le temps de Sévère ; ibid., n° 3717 : clarissimi pueri, et n° 4911 : clarissimus juvenis.

[37] Lettres, I, 23.

[38] Les sénatus-consultes avaient-ils force de loi ? On n’en saurait douter, dit Ulpien (Digeste, I, 3, 9) ; c’est une question, répond GaIus (Institutes, I, 4) : pure question théorique, car en fait l’empereur était le maître.

[39] Lampride, Alex. Sévère, 6-12. Cependant l’historien a raison de dire ex more, car ces acclamations étaient un usage fort ancien, qu’on suivait dans les fêtes, les assemblées, au théâtre, aux lectures publiques. Ce qui nous parait ridicule et bas était donc une coutume nationale et semblait très sérieux. On y mettait de la cadence, par une sorte de modulation musicale. Suétone dit d’Auguste : Revertentem ex provincia modulatis carminibus prosequebantur. Néron réglementa ces acclamations dont le nombre était d’avance donné par un maître des cérémonies : έπεβώμεν τά τε άλλα όσα έxελευόμεθα (Dion, LXVII, 20), et elles étaient si bien dans l’usage, qu’on les retrouve dans l’Église (lettre 213 de S. Augustin), dans les conciles, à celui d’Éphèse, en 431, par exemple, et qu’elles existaient encore à Constantinople au dixième siècle et qu’au sacre des Capétiens le peuple approuvait, en criant trois fois : a Nous le voulons.

[40] Dion Cassius, LXXII, 20. Voyez une autre scène, LXXVI, 8.

[41] Quatre, sous Néron ; six, sous Vespasien, savoir : deux consuls ordinaires, ceux dont les noms sont aux fastes et qu’on appelait cons. ex kal. januariis, exerçant six mois, les quatre autres étant trimestriels ; huit et quelquefois douze, de Trajan à Constantin. Commode eu nomma jusqu’à vingt-cinq dans une seule année. Les actes publics furent, d’Auguste à Caracalla, datés des consuls en charge, qu’ils fussent suffecti ou non. (L. Renier, Comptes rendus de l’Acad. des inscr., 1813, p. 105.)

[42] Ces seize ou dix-huit prétures étaient tirées au sort par les candidats que l’empereur avait désignés (Tacite, Agricola, 7).

[43] Le tribunat et l’édilité ne formaient qu’un même degré de la hiérarchie ; aussi on gérait l’une nu l’autre de ces deux chargés, jamais les deux successivement.

[44] On les appelait tribuni militum honores petituri, ou tribuni laticlavii. Ceux qui étaient sans ambition militaire se contentaient d’un tribunat semestriel : ainsi Pline le Jeune eut pour service à l’armée de Syrie de tenir la comptabilité, ce qui lui laissa tout le temps de suivre les leçons des philosophes, tandis que Trajan, entraîné par ses goûts militaires, avait fait très sérieusement le métier de soldat (Panégyrique, 15). M. L. Renier (Mél. d’épigr., p. 239) a, le premier, démêlé le vrai caractère des milices équestres, ou grades de préfet de cohorte auxiliaire, de tribun légionnaire et de préfet d’une ala de cavalerie, par lesquels passaient les jeunes nobles. Ces grades et celui de primipilaire conféraient l’anneau d’or à ceux qui les obtenaient sans appartenir à l’ordre équestre. Depuis Hadrien, les jeunes nobles durent débuter par le vigintivirat ; quinze inscriptions rapportées par Wilmanns le prouvent.

[45] Les vigintivirs ne formaient qu’un seul collège ; ils étaient donc tous de même rang, an premier degré de la hiérarchie, ce qui leur permettait d’aspirer tous, leur stage militaire accompli, à la magistrature immédiatement supérieure, la questure. (Cf. Dion, LIV, 26.)

[46] Tacite (Ann., XIII, 28) montre qu’au temps de Néron les tribuns avaient encore des prérogatives judiciaires importantes.

[47] Le commandement des légions n’était donné qu’à des prætorii. (Cf. Borghesi, Œuvres, t III, p. 152.)

[48] Outre les grandes charges, honores, il y avait beaucoup de curatelles : curatores viarum, aquarum, alvei Tiberis, riparum et cloacarum urbis, operum locorumque publicorum, etc., præfecti frumenti dandi, alimentorum, ærarii Saturni, etc. Ces charges, formées du démembrement de la censure, étaient confiées à des fonctionnaires permanents. Les provinces d’Asie et d’Afrique étaient tirées au sort entre les anciens consuls. Mais le tour de chacun n’arrivait, au temps de Trajan, que douze ans après la sortie de charge. (Waddington, Fastes des provinces asiatiques, p. 716.)

[49] Voici le cursus honorum d’Hadrien jusqu’à l’année 112, cinq ans avant qu’il n’arrivait à l’empire : décemvir stilitibus judicandis, préfet pour les féries latines, sévir des chevaliers romains, tribun, successivement dans les légions IIa Adjutrix, Va Macedonia, XXIIa Primigenia, secrétaire pour les actes du sénat, questeur de l’empereur et tomes du prince dans l’expédition dacique, tribun du peuple, préteur, légat de la légion Ia Minerva, légat propréteur de l’empereur dans la Pannonie Inférieure, sodalis augustal, VIIvir des Épulons, enfin consul. (C. I. L., t. III, n° 550. Voyez aussi Tacite, Vie d’Agricola.) A dix-neuf ans, Agricola sert en Bretagne comme tribun militaire : à vingt-cinq, il est questeur de la province d’Asie ; à vingt-sept, tribun, et, par conséquent, il siège au sénat où la questure lui avait donné entrée ; à vingt-neuf, il est préteur ; à trente et un, il commande la XXe légion en Bretagne où il reste trois ans ; à trente-cinq, il administre durant trois années l’Aquitaine comme gouverneur ; à trente-huit, il arrive au consulat ; à trente-neuf, il retourne en Bretagne comme légat consulaire et y reste sept ans ; à quarante-six, il refuse le gouvernement de la province d’Asie. Mommsen (Étude sur Pline) avance d’un an les magistratures d’Agricola.

[50] Un proconsul à qui l’empereur venait de confier le commandement de plusieurs légions et le gouvernement d’une grande province demandait à Démonax le meilleur moyen d’administrer. Le philosophe lui rit cette réponse (Lucien, Démonax, 51).

[51] Adlectus inter quæstorios, prætorios, etc. Une inscription (Orelli-Henzen, n° 6929 et 7000) montre Antonin récompensant un père non sénateur dans son fils, en donnant à un enfant de quatre ans les insignes des pères conscrits qui lui assuraient l’entrée au sénat quand il aurait l’âge requis.

[52] Nous avons montré, chapitre LXXXIV, § III, l’importance de cette réforme.

[53] Vidimus Arellium Fuscum motum equestri ordine ob insignem calumniam (Hist. nat., XXXIII, 8).

[54] Quadringenarii (Henzen, n° 6469).

[55] Épigrammes, VIII, 5. Senatoriam dignitatem recusantibus, equestrem ademit (Suétone, Claude, 24 et 25).

[56] C’était la militia dite caligata (Digeste, XXXII, 1, 10, proœm., et Orelli, n° 5465) par opposition à la militia equestris.

[57] On peut les appeler chevaliers d’État, par opposition à ceux que l’inscription de Narbonne appelle chevaliers de la plèbe.

[58] Amor., III, 15, 6, et Trites, IV, 10, 7. Il est inutile d’ajouter que le prince ne tenait pas toujours compte de cette distinction pour la nomination aux emplois lucratifs (procur. centenarii, ducenarii, etc.). Voyez, dans L. Renier, Mél. d’épigr., p. 88, le curieux cursus honorum de L. Valerius Proculus.

[59] Pline, Hist. nat., XXIX, 8. Sur l’ordre équestre sous l’empire. Voyez l’Histoire des chevaliers romains, par M. Belot.

[60] Digeste, LX, 10, 6.

[61] Les fonds italiques avaient une immunité au moins partielle des impôts et le caractère de propriété quiritaire, de sorte que les détenteurs de ces biens avaient sur eux le dominium et non pas seulement, comme les provinciaux, la jouissance, possessio.

[62] Cicéron, pro Sestio, 25, 55 : cf. Appien, Bell. civ., I, 21, et Acad. des inscr., nouv. série, XIII, p. 23.

[63] Martial, Épigrammes, VIII, 15, et Stace, Silves, III, 10.

[64] .... Minore in dies plebe ingenua (Tacite, Ann., IV, 27 et suiv.).

[65] Vocale ludis, vacale circensibus. Nos publicæ necessitates teneant, vos occupent voluptates (Vopiscus, Vita Firmus, 5). Juvénal avait déjà dit (Satires, X, 78-81)

.... qui dabat olim

Imperium, fasces, legiones, omnia, nunc se

Continet atque duos tantum res anxius optat,

Panem et circenses ;

et Fronton (Princ. hist.) : On mène le peuple romain par deux choses : annona et spectaculis.

[66] Cf. Suétone, Domitien, 10 et 15 ; Dion Cassius, LXIX, 6 ; Josèphe, Ant. Jud., XIX, 14 ; Plutarque, Galba, 17. Il y avait des soldats aux portes, jusque dams l’intérieur (Suétone, Néron, 21, et le Digeste, I, 12, 1, § 12).

[67] Chapitre LXVI, § II. Cf. Digeste, XXXII, I, 36, pr., et Hirschfeld, die Getreideverwaltung in der Röm. Kaiserz., p. 6. On comptait encore 200.000 parties prenantes sous Septime Sévère ; mais les civils avaient été réduits à 160.000 à cause des 40.000 parts réservées aux soldats de toute espèce qui étaient à Rome et aux environs, en garnison ou en subsistance. Dans le Monument d’Ancyre, il n’est question que de la plebs urbana et Fronton (Princ. de l’hist.) distingue la plèbe frumentaire qu’on tient par des congiaires, du peuple entier qu’on amuse par des spectacles, auxquels tous les ordres assistent .... congiariis frumentariam modo plebem singillatim placari ac nominatim, spectaculis universam. Appien dit (Bell. civ., II, 120) : τό τε σιτηρέσιον τοϊς πένησι χορηγούμενον έν μόνη ‘Ρώμη, et Dion Cassius, XLIII, 21 : σιτοδοτούμενος őχλος. Cf. Pline, Panégyrique, 25. Ces inscrits de l’annone étaient donc les pauvres de la ville, et, à Rome comme à Paris, ces pauvres étaient secourus sans qu’on prit en considération leur moralité. (Sénèque, de Ben., IV, 28, 2.) Nais il faut noter qu’ils recevaient moins que nos soldats, dont la ration est par jour de 950 grammes de pain, 300 grammes de viande et un peu de légumes ; que par conséquent une famille ne pouvait vivre sans rien faire avec une tessera frumentaire.

[68] A la mort de Septime Sévère (Spartien, Sévère, 7 et 23), les magasins de l’État avaient du blé pour sept ans, à raison de 75.000 modii par jour. Le blé amassé par Sévère aurait donc suffi pour des distributions faites à quatre cent cinquante-six mille citoyens et non à deux cent mille. Ce qui restait dans les magasins, après la livraison aux ayants droit des 60 modii réglementaires, était vendu à bas prix. En supposant que, sur ces deux cent cinquante-six mille autres parts, l’État ait perdu moitié du prix, la dépense totale aurait encore à peine atteint les chiffres que donne Hirschfeld (op. cit., p. 68), 4 millions à 4 millions et demi de thalers ; mais il est probable que le chiffre des 60 modii annuels avait été augmenté. A Constantinople, Constantin porta la distribution à 80.000 modii par jour. (Socrates, Hist. ecclés., II, 15.) Spartien parle (Sévère, 18) aussi d’un approvisionnement d’huile pour cinq ans fait par Septime Sévère et livré gratuitement. Une inscription d’Orelli fait connaître un procurator ad oleum. Touchant la vente du blé à bas prix, voyez Suétone, Octave, 41 ; Mon. d’Ancyre, IV ; Tacite, Ann., XV. 39 ; Dion, LV, 26 ; et, sur la gratuité des frumentationes ordinaires, Tacite, Ann., IV, 72 ; Suétone, Néron, 10 ; Hirschfeld, p. 12-15. Il y eut aussi quelquefois des distributions de vin (Pline, Hist. nat., XIV, 14), de sel (ibid., XXXI, 7), de viande (Lampride, Alex. Sévère, 22, 26), etc.

[69] J’ai dit ce que Paris a dépensé pour ses pauvres en 1875. Pour 1881, cent vingt-cinq mille individus sont inscrits aux bureaux de bienfaisance ; et si l’on compte les malades reçus dans nos hôpitaux, les infirmes entretenus dans les hospices, les soixante mille malades ou femmes en couches traités à domicile et les nécessiteux momentanément secourus, on trouvera que la protection de l’assistance publique s’étend à près de quatre cent mille personnes. Il faut ajouter à ces charités que la Ville ne prélève rien sur les faibles quantités de denrées qui passent en franchise à l’octroi, et qu’elle donne 10 millions pour la gratuité de l’enseignement primaire. Les bureaux de bienfaisance des vingt arrondissements trouvent, en outre, annuellement, dans les libéralités privées, une ressource qui, pour certains arrondissements, dépasse 200.000 francs. C’est encore quelques millions ajoutés à notre budget de la bienfaisance.

[70] Naguère un souvenir des frumentationes subsistait à Rome même. Le cardinal gouverneur de la ville devait, le soir du mardi gras, offrir un souper à tout le public de l’Opéra ; il lui en contait de 20 à 50.000 écus, selon qu’il faisait les choses avec lésine ou magnificence.

[71] Voyez au chapitre LXXXIII, § III. En comptant tous les congiaires que nous connaissons, de César à Claude, on trouve qu’en un siècle il a été distribué aux deux cent mille frumentarii 216.950.000 deniers, soit 2.169.500 par an, et près de 11 deniers par tête. (Cf. Marquardt, II, I, 2e part., p. 110.)

[72] Savoir : pour les jeux Romains qui duraient seize jours, 760.000 sesterces ; pour les jeux Plébéiens (quatorze jours), 600.000 ; pour les jeux Apollinaires (huit jours), 380.000 ; pour les jeux Augustaux, 10.000. (Cf. Mommsen, C. I. L., d’après les Fasti Antiatini, p. 377 b, et Friedlænder, t. II, p. 164.) A ces jeux publics, pour lesquels l’État donnait une allocation, il faut joindre ceux de Cérès, de la Grande Déesse ou Mégalésiens (Martial, Ép., X, 41), de Flore, qui en coûtaient 20.000 (id., ibid.), et du triomphe de Sylla. Le nombre des jeux varia avec le temps : beaucoup, sous l’empire, furent successivement créés et abolis ; les six jeux anciens subsistèrent jusqu’au quatrième siècle. (Cf. Tertullien, de Spectaculis, 6.)

[73] Les jeux Mégalésiens que le préteur devait donner lui coûtaient 100.000 sesterces, lorsqu’il était très modeste, mais bien davantage quand il voulait donner un peu d’éclat à la cérémonie. Aussi en vint-on à fuir celte charge, et Constantin sera obligé (Zosime, II, 38) de prendre des mesures contre les réfractaires. On verra que l’héritier d’un préteur élu était obligé de donner les jeux que le mort aurait célébrés.

[74] Quand on faisait bien les choses, on dépensait, pour des jeux de trois jours, 400.000 sesterces. (Pétrone, Satiricon, 45.) Les combats de gladiateurs donnés tous les cinq ans à Pisaurum, en vertu d’un legs, ne coûtaient que 150 ou 180 sesterces, selon que l’on compte l’intérêt à 5 ou 6 pour 100. Orelli (n° 81), qui le compte à 12, comme en province, double le dernier chiffre. Mais il y avait des gladiateurs à tout prix.... Dedit gladiatores sestertiarios, jam decrepitos, quos si sufflasses, cecidissent (Pétrone, ibid.).

[75] Chap. CXXVIII.

[76] Dion, LXIX, 8.

[77] Une statue fut élevée à Caracalla avec le produit des places louées à l’amphithéâtre de Cirta.

[78] Ainsi Hadrien reçut de Trajan 2 millions de sesterces pour les jeux qu’il devait donner durant sa préture ; Valérien en donna 5 millions à Aurélien pour les fêtes de son consulat. (Spartien, Hadrien, 5 ; Vopiscus, Aurélien, 1-2.)

[79] Voyez, au Monument d’Ancyre, t. IV, p. 153, l’énumération des fêtes données par Auguste.

[80] Les médailles rappellent les constructions et les jeux du cirque et de l’amphithéâtre ; jamais elles ne parlent ni de théâtres ni de représentations scéniques.

[81] Par suite d’un règlement de Marc-Aurèle (Capitolin, 10), les tribunaux durent être ouverts deux cent trente jours par an. — En dehors des jeux annuels, Rome avait des fêtes extraordinaires que ses princes ou des particuliers lui donnaient : en l’an 80, fête de cent jours pour l’inauguration du Colisée ; en 106, pour la conquête de la Dacie, cent vingt-trois jours de spectacles, etc.

[82] C’est le chiffre donné par Procope (Hist. secr., 26) sous Justinien.

[83] Pline, Hist. nat., VII, 54.

[84] Satires, II, 197. Lucien (Nigrinus, 29) n’aime pas cette manie des chevaux. Toutefois il reconnaît qu’elle est partagée par un grand nombre de fort honnêtes gens.

[85] Le dernier roi des Goths d’Italie, Totila, fit encore, en 549, courir des chars dans le cirque de Rome. (Gregorovius, Hist. de Rome au moyen âge, I, 456.)

[86] L’empereur était investi de la puissance proconsulaire dans les provinces impériales, ses lieutenants n’y portaient que le titre de légats propréteurs, même lorsqu’ils avaient été consuls. Dans les provinces sénatoriales, le gouverneur s’appelait proconsul et n’arrivait è cette charge qu’après avoir géré le consulat pour les deux provinces consulaires d’Asie et d’Afrique, la préture pour les autres. Le légat impérial avait cinq faisceaux, le proconsul six. Les provinces étaient tirées au sort entre les candidats désignés par l’empereur. A l’époque des Antonins, on n’était admis à prendre part au tirage des deux provinces consulaires que douze ans après avoir géré le consulat. Sur les préparatifs qu’un consul avait à faire avant de partir, voyez la curieuse lettre de Fronton, ad Anton. Pium, 8.

[87] Voyez le chapitre LXXXIV, § IV. Tacite dit (Hist., I, 11) : duæ Mauretaniæ, Rætia, Noricum, Thracia et quæ aliæ procuratoribus cohibentur.

[88] Voyez, ci-dessus, la fin du § III.

[89] Dans la règle, les proconsulats étaient annuels ; il en était de même pour toutes les anciennes charges républicaines qui avaient été conservées, excepté pour le consulat, devenu trimestriel ou bimensuel. Tous les offices qui relevaient directement du prince n’avaient d’autre terme légal que sa volonté. Cependant les légations impériales ne duraient en moyenne que trois ou cinq ans. (L. Renier, Mélanges d’épigraphie, p. 124.)

[90] Le préfet de la ville ne fut d’abord chargé que de réprimer les esclaves et les gens de désordre (Tacite, Ann., VI, 11). Sa juridiction civile et criminelle devint par la suite fort étendue (Digeste, I, 12). Le préfet du prétoire n’eut aussi à l’origine que le commandement des gardes (Tacite, Ann., IV, 1 et 2) et finit par être le second personnage de l’empire (Digeste, I, 11). Le préfet des vigiles, chargé de diriger les rondes nocturnes pour prévenir ou arrêter les incendies (Suétone, Octave, 50), gagna aussi la juridiction criminelle sur les incendiaires, les voleurs et les vagabonds (Digeste, I, 15, 3). Ainsi les prérogatives des agents du prince s’augmentaient à mesure que diminuaient celles des magisiratus populi Romani.

[91] Frontin, de Aquæd., et Dareste, des Contrats, p. 94, 110, etc.

[92] Procurator XX hereditatum, quadragesimæ, ad alimenta, ad bona damnatorum, etc. Cf. Orelli-Henzen, à l’Index.

[93] Ainsi Tibère Cl. Candidus était procurator XX hereditatum per Gallias Lugdunensem et Belgiam et utramque Germaniam (Orelli, n° 798 et beaucoup d’autres).

[94] Procurator sexagenarius, centenarius, ducenarius, trecenarius. Cf. Index d’Orelli-Henzen. L’inscription n° 946 donne au procurator rationis privatæ un traitement de 300.000 sesterces.

[95] .... Salarium proconsulari solitum (Tacite, Agricola, 42). Dion (LXXVIII, 22) donne le chiffre de la somme, 230.000 drachmes ou 1 million de sesterces, sans compter le blé dont le gouverneur avait besoin pour sa maison, frumentum in cellam. Ses lieutenants, le questeur, la cohorte prétorienne, les assesseurs compris, recevaient aussi des cibaria (Cicéron, Verrès, I, 14, 36) ou le congiarium et le salarium, c’est-à-dire, à l’origine, le vin et le sel (Fronton, ad Ant., 1, 2, et Pline, Hist. nat., XXXI, 41 ; Digeste, I, 22, 4).

[96] Les agents inférieurs de l’administration municipale et publique étaient payés ; ceux de l’État recevaient mercedem et cibaria ex ærario, c’est-à-dire un traitement et des vivres. (Frontin, de Aquæd., 100.)

[97] Leurs titres par conséquent variaient à l’infini. On en trouvera un grand nombre au chapitre IX d’Orelli, qui contient deux cent cinquante-quatre inscriptions relatives aux esclaves et aux affranchis du palais. Sous le n° 2974, Orelli a placé un résumé des titres qui accompagnent les noms propres dans le columbarium des esclaves et des affranchis d’Auguste et de Livie, où étaient plus de trois cents noms.

[98] Dion, LXIII, 12.

[99] Panégyrique, 88.

[100] Tanto magis digni quibus honor omnis prastetur a nobis (Panégyrique, 88).

[101] Stace, Silves, III, 5. Il mourut à quatre-vingts ans, sous Domitien. Le rhéteur alexandrin Dionysios (Suidas, s. v.) fut, de Néron à Trajan, préposé aux bibliothèques, à la correspondance, aux ambassades et aux rescrits. Sur les secrétaires des princes chez les anciens, voyez M. Egger, Mém. d’hist. anc., p. 220-259.

[102] Silves, III, 3, 86-105.

[103] Stace, Silves, V, 1, 85-105.

[104] Une inscription (Orelli, n° 835) mentionne même un librarius Arabicus (Mém. de l’Acad. des inscr., t. I, p. 396), établi sans doute dans le scrinium litterarum à l’époque de la formation de la province d’Arabie, ce qui permet de supposer qu’il y en avait pour d’autres langues.

[105] Suétone, fils d’un tribun légionnaire et l’ami de Pline le Jeune, fut secrétaire d’Hadrien, ainsi que le rhéteur Avidius qui fut préfet d’Égypte et père de l’usurpateur Avidius Cassius. Titinius Capito, que Pline considérait comme un des meilleurs écrivains de son temps, l’avait été de Trajan. C. Vestinus, précepteur, puis secrétaire d’Hadrien, devint directeur des bibliothèques de Rome, grand prêtre d’Égypte et administrateur du Musée d’Alexandrie. (C. I. G., 5900.)

[106] Plutarque, des Or. de la Pythie, 7. Cf. Egger, op. cit., p. 224.

[107] Narcisse, sous Claude, avait été ab epistolis (Suétone, Claude, 28) ; Épaphrodite, sous Néron, a libellis (id., Domitien, 14). Les fonctions a libellis et a cognitionibus furent souvent séparées ; cf. Cuq, le Magister sacrarum largitionum.

[108] A partir des Flaviens, les procuratores augusti sont de véritables fonctionnaires publics pris parmi les chevaliers (Tacite, Agricola, 4). Les procurateurs des premiers empereurs étaient des intendants comme ceux des particuliers que beaucoup d’inscriptions mentionnent. Cf. Henzen, Index, p. 167.

[109] Voyez au chapitre LXXX, § III.

[110] Sénèque, de Ben., VI, 54 ; de Clem., I, 10.

[111] Comites et convictores. Ils avaient au palais leurs serviteurs particuliers dont le chef portait le titre de procurator a cura amicorum. En voyage, ils formaient le cortège du prince et étaient défrayés par lui. Auguste donna un jour à ceux de Tibère, qui se contentait de les nourrir, 600.000 sesterces pour les amis de la première classe, 400.000 pour ceux de la seconde, 200.000 à la troisième (Suétone, Tibère, 46).

[112] Nullum majus boni imperii instrumentum quam bonos amicos esse, disait Helvidius, sous Domitien (Tacite, Hist., IV, 7). Homulus, sous Trajan, pensait de même. Ce titre d’ami du prince finit par s’attacher à certaines fonctions ; il devint même une sorte de titre d’honneur qu’on faisait placer sur son tombeau à la suite de la mention d’un consulat. Les préfets de la ville et du prétoire étaient de droit amis du prince, comme les maréchaux, les pairs, les cardinaux étaient, chez nous, cousins du roi. Sous les Mérovingiens, le convive ou compagnon du roi, dont le vergeld était double de celui des autres leudes, était sans doute le successeur de l’ami du prince. Cette coutume avait existé d’ailleurs dans toutes les cours orientales.

[113] Voyez chapitre LXV, § III, et Suétone, Tibère, 55. Les consuls et de hauts dignitaires de l’État en faisaient partie. Ces conseillers eurent aussi un traitement de 60, 100 et 200.000 sesterces. (Orelli, n° 2648.)

[114] Chapitre LXXIX, § III.

[115] L’amphithéâtre de Capoue était presque aussi vaste que le Colisée de Rome.

[116] Les anciens ne connaissaient pas les écluses, mais ils faisaient des barrages .... cataractis aquæ cursum temperare (Pline, Lettres, X, 69).

[117] Rome seule eut jusqu’à quatorze aqueducs d’un développement de 400 kilomètres, dont 80 sur des arches. Trois seulement qui fonctionnent encore suffisent à faire de Rome la ville d’Europe la mieux pourvue d’eau.

[118] On a compté que l’itinéraire d’Antonin énumérait trois cent soixante-douze grandes voies, qui, réunies, auraient fourni une route longue de 77.000 kilomètres, plus de 16.000 lieues.

[119] Au temps de Dion Cassius, l’effort des Barbares se portant sur le Danube, il n’y eut plus que quatre légions sur le Rhin.

[120] Les légions se recrutaient en général dans les provinces voisines des pays où elles séjournaient ; mais, quand on levait une cohorte ou une aile auxiliaire, c’était une règle habituellement suivie d’envoyer cette cohorte ou cette aile loin des lieux où elle avait été prise. Il n’y avait point de loi générale pour le recrutement. Quand les engagés volontaires ne suffisaient pas, l’empereur ordonnait des levées dans telle ou telle province.

[121] D’après Végèce, II, 6, la première cohorte, qui portait l’aigle et les images des empereurs, divina et præsentia signa, avait onze cent cinq fantassins et cent trente-deux cavaliers ; les neuf autres ne comptaient chacune que cinq cent cinquante-cinq fantassins et soixante-six cavaliers. Total pour la légion entière : six mille cent hommes de pied et sept cent vingt-six cavaliers, ce qui donne, pour le temps de Végèce, une proportion de cavaliers beaucoup plus forte que dans les anciennes légions.

[122] Hérodien, II, II, et III, 7. On n’y fit de levées que dans les circonstances graves.

[123] .... propria legionum numina (Annales, II, 97).

[124] Ils bâtissaient même des temples, des portiques, des basiliques, et nous lisons au Digeste qu’il est permis au proconsul d’employer le soldat à la construction des édifices publics dans les cités provinciales (Digeste, I, 16, 7, § 1). Dans ce cas, les villes pourvoyaient à la dépense. Ainsi un torrent emporte la route aux environs d’Abila, prés de Damas, le légat de Syrie fait ouvrir par la XVIe légion une route nouvelle dans la montagne, impendiis Abilenorum (De Saulcy, Voyage en Syrie, t. II, p. 596). La legio IIIa Gallica coupe de même une montagne pour faire une route en Syrie au-dessus du Lycus (C. I. L., t. III, 206, et quantité d’autres exemples).

[125] Sur les castra donnant naissance à des villes, voyez L. Renier, Inscr. de Trœsmis, p. 22, et le mémoire de M. Robert sur l’Emplacement des armées romaines.

[126] Voyez au chapitre LXXX, § I.

[127] Aulu-Gelle, Noct. Att., X, 28. Dans la seconde guerre de Macédoine, on appela tout homme au-dessous de quarante-six ans (Tite-Live, XLIII, 14). On était donc, sous la république, astreint au service militaire durant une période de trente années (17-46) tant qu’on n’avait pas fait dix campagnes dans la cavalerie, vingt dans l’infanterie.

[128] Voyez au chapitre LXXXII, § I.

[129] Nous connaissons la XXXIIe. (Orelli-Henzen, n° 90, 512, 6756.)

[130] Ceci n’est pas en contradiction avec ce qui a été dit au chapitre LXXI, note 28. Ce dont Tibère se plaignait, ce n’était pas qu’on manquât de volontaires, mais de volontaires de bonne condition.

[131] .... inductis per provincias tirociniis (Ammien Marcellin, XXI, 6).

[132] Viri feminæque ex censu libertinum coactæ dace militem (Velleius Paterculus, II, 111). .... pecuniosioribus indicios et sine mura manumissos (Suétone, Octave, 25 ; Dion, LIII, 31). Vitellius fit de même (Tacite, Hist., III, 58).

[133] Dion, LII, 14. Dion formule bien ce système (LII, 27). Végèce (I, 7, et II, 4) dit aussi :.... poscessoribus indicti tirones, et le Digeste (L, 4, 18, § 3) compte la tironum productio au nombre des munera. Cf. Code Théodosien, VII, 13, 7, et Code de Justinien, XII, 29, 2.

[134] Les levées se faisaient par le dilectator qui opérait dans une circonscription plus ou moins étendue, l’inquisitor qui vérifiait si le soldat présenté était bon pour le service, et le legatus ad dilectus faciendos qui centralisait le travail pour toute une province, y rassemblait sans doute les recrues et les envoyait à leurs corps respectifs. (L. Renier, Mél. d’épigr., p. 86 ; Cuq, mémoire sur l’Examinator per Italiam, p. 11-23, et les Acta sincera, p. 299.) Des commissions spéciales étaient données à des légats (César, Bell. Gall., VI, 1 ; Bell. civ., I, 30), à des sénateurs (ibid., I, 12). Cf. C. I. L., III, n° 1457. Mimus ad juventutem per Italiam legendam. Certaines provinces complétaient certaines armées ; par exemple en 64, on ordonna des levées dans la Narbonnaise, l’Afrique et l’Asie proconsulaires pour combler les vides faits dans les légions d’Illyrie où l’on avait accordé beaucoup de congés. (Tacite, Ann., XVI, 13.) Quant au chiffre du recrutement annuel, il peut être déterminé de la manière suivante : les trente légions, avec leurs auxiliaires, donnaient environ trois cent soixante mille hommes. Si la vétérance avait toujours été accordée après vingt ans de service, un vingtième de cet effectif ou dix-huit mille soldats auraient été congédiés chaque année, nais, par la raison que j’ai donnée, on en renvoyait le moins possible. Supposons qu’on en gardait seulement un tiers, c’étaient douze mille congédiés qu’il fallait remplacer. Mais la perte annuelle par la mortalité, les congés de réforme, etc. était sans doute la même que dans notre armée, près de quatre pour cent, et plutôt au-dessous qu’au-dessus de ce chiffre, parce que les soldats ne quittaient guère ce que nous appellerions leur garnison. Or quatre pour cent sur un effectif de trois cent soixante mille, hommes donnent quatorze mille quatre cents morts, réformés, etc. ; mettons treize mille et nous arriverons au chiffre de vingt-cinq mille recrues annuelles, que nous avions trouvé par d’autres calculs.

[135] De nombreuses inscriptions mentionnent des médecins attachés aux légions, aux troupes auxiliaires, aux corps qui tenaient garnison dans la ville, enfin à la flotte. Ils avaient le rang, la solde et là ration des sous-officiers, principales, et l’on en comptait probablement un pour deux cent cinquante hommes. C’étaient habituellement des Grecs. Chaque camp renfermait un valetudinarium que Trajan et Alexandre Sévère se plaisaient a visiter, même un veterinariurn pour les chevaux, et les ambulances avaient leurs infirmiers, optiones valetudinarii (Brian, Du service de santé militaire chez les Romains). Une inscription de Lyon, n° 320, parle d’un sacerdos castrensis.

[136] Lampride, Alex. Sévère, 52 ; Dion, LXIX, 12. Du temps de Polybe (VI, 39), l’État donnait 4 modii de blé par mois ou 48 par an. Ce chiffre a dû s’élever et devenir le même que celui des distributions à Rome : 60 modii par an.

[137] Polybe, VI, 21 et 33.

[138] Dion, LVI, 3 ; Végèce, II, 5.

[139] Celles de Scribonianus en Dalmatie, contre Claude ; d’Antonius en Germanie, contre Domitien ; d’Avidius Cassius en Syrie, contre Marc Aurèle.

[140] On pourrait se demander si, avec les armes nouvelles, tout cela n’est pas aujourd’hui inutile. D’abord l’homme qui a la conscience d’être compté parmi les plus agiles et les plus adroits à manier son arme en a une plus virile assurance. Les exercices physiques, qui ont donné plus de souplesse et de force à son corps, ont mis en même temps plus de ressort et d’énergie dans son âme. A ce titre seul, il faudrait les conserver et les étendre encore. Mais, lorsque l’artillerie sera égale de part et d’autre et qu’une armée ne sera plus retenue à distance par un feu supérieur, l’infanterie pourra déployer ses anciens moyens d’action. Déjà, dans la dernière guerre, et c’est l’espérance de la patrie, chaque fois que nos soldats ont pu, dans une éclaircie de mitraille, s’élancer sur l’ennemi avec la vieille furie française, celui-ci a reculé, Il nous faut donc, pour celte formation du soldat, rester à l’école des Romains, ou du moins suivre leur exemple. On vient de voir les continuels travaux qu’on leur imposait et qu’aussitôt que la mollesse apparaissait dans une légion, les légats, soucieux de la discipline et de la puissance militaire de l’empire, reprenaient pour elle le procédé de Marius et de Corbulon : ainsi tirent Avidius Cassius, sous Marc Aurèle, pour les légions de Syrie, Aurélien et Probus, pour celles de tout l’empire. Avec les puissantes armes de jet dont les troupes actuelles disposent et qui rendent impossibles, si ce n’est vers la fin de l’action, les grands chocs corps à corps, il faut savoir se défiler derrière des obstacles naturels, ou se couvrir rapidement d’un rempart de terre. Nos soldats ont donc des leçons à prendre du légionnaire romain, qui, je le répète à dessein, a conquis le monde autant avec la pioche qu’avec l’épée.

[141] Des monnaies d’or représentent Hadrien suivi de soldats portant des enseignes avec la légende : Disciplina aug. (Cohen, passim). Voyez chapitre LXXX, § I.

[142] Sur les gratifications faites sous la république après chaque triomphe, voyez au chapitre XXVI, § II, et pour Dentatus, chapitre VII, § I. Une inscription acéphale conservée au Capitole porte que le personnage auquel elle est consacrée, probablement Suri, a servi, sous Trajan, comme légat propréteur dans la guerre Dacique, y a obtenu huit lances d’honneur (hastæ puræ ou sans pointe), huit étendards (vexilla), deux couronnes murales, deux couronnes obsidionales, deux couronnes navales, deux couronnes d’or, et que le sénat, à la demande de Trajan, lui a décerné les ornements du triomphe et une statue. D’ordinaire un tribun ne pouvait obtenir que deux lances et deux étendards ; les légats gouverneurs de province et chefs d’armée, quatre ; Sura avait sans doute assisté aux deux guerres Daciques pour avoir obtenu double récompense. A ces décorations, qu’on portait les jours de fête, s’ajoutaient les colliers, chaînes et bracelets d’or ou d’argent ; les médaillons (phaleræ), qui étaient souvent des objets d’art, les couronnes murale, civique, etc. Pour le général en chef, le plus grand honneur militaire était le triomphe. Orose (VII, 9) en compte trois cent vingt de Romulus à Vespasien ; il y en eut trente encore environ jusqu’au dernier qui ait été célébré à Rome, celui de Dioclétien. (Eutrope, IX, 87.)

[143] Quina et vicena stipendia est la formule ordinaire, mais des inscriptions montrent des soldats ayant servi quarante-cinq ans (C. I. L., III, 266).

[144] Ces avantages n’étaient accordés qu’à ceux qui avaient obtenu l’honesta missio. Nous possédons à cette heure soixante-treize de ces diplômes militaires ; l’honesta missio assurait aux vétérans des corps auxiliaires le jus civitatis et le jus connubii. — Pour compléter ce qui vient d’être dit sur l’armée romaine, voyez le chapitre LXXX, § I, les réformes militaires d’Hadrien et ses travaux de fortification sur les frontières.

[145] Herzog, p. 109-110.

[146] Tacite, Annales, IV, 5. Sous Vitellius, il y eut exceptionnellement seize cohortes prétoriennes et quatre urbaines, chacune de mille hommes (id., Hist., II, 93) ; on revint ensuite au chiffre de dix cohortes prétoriennes avec dix turmes de cavalerie. (Dion, LV, 24, et Diplômes militaires de M. L. Renier, n° 1, 2, 5 et 6, pour les années 161, 208, 245 et 248.) Les quatre cohortes urbaines, de quinze cents hommes chacune, prenaient rang après les prétoriennes, comme le montrent trois inscriptions de Lyon qui mentionnent une XIIIa coh. urb.

[147] Dion, LXXIV, 2.

[148] Tacite, Annales, I, 17.

[149] Outre la solde et les vivres, les soldats paraissent avoir obtenu, au troisième siècle, le vêtement. Cf. Lampride, in Alex., et Vopiscus, in Aurelianus.

[150] Une pour deux régions de la ville.

[151] Ils pouvaient, par trois années de service, acquérir la tessera frumentaire et par conséquent le droit complet de cité.

[152] Le gouvernail est une invention du moyen âge. On le trouve pour la première fois sur une médaille d’Édouard III. (Marquardt, t. III, 2e part., p. 396.)

[153] Sur l’organisation des forces navales, voyez Ermanno Ferrero, l’Ordinamente delle armata Romane, p. 23-65. Pour la question tant controversée de la disposition des rames et des rameurs, le plus récent travail est celui du contre-amiral L. Fincati, le Triremi, Roma, 1581. Je ne puis avoir la prétention de résoudre ce problème, mais l’amiral Fincati me parait prendre un point de départ excellent, lorsqu’il dit des poliremi antiche, le quali lentamente et successivamente modifecate per gradi figliarono le veneziane, le siciliane, le genovesi del medio evo, che non ne furouno, percio né poterono esserne se non una continuazione non interrotta ed una riproduzione fidele delle loro parti più importanti.

[154] Apulée, Métamorphoses, IX.

[155] Je dis le trésor, car l’empereur disposait librement des trois caisses : l’ærarium publicum, l’ærarium militare et le fucus, entre lesquelles Dion déclare (LIII, 16 et 22) qu’il n’y a pas de différence.

[156] Voyez le chapitre LXXXIII, § IV.

[157] Voyez le chapitre LXXIX, § III.

[158] Friedlænder a réuni (t. III, p. 122-127) bon nombre de chiffres qui montrent les sacrifices considérables faits par les empereurs pour cette double assistance. La république romaine avait à sa charge le transport des blés qu’elle affermait à des compagnies de publicains ; sous l’empire, surtout dans les bas siècles, elle remit ce soin à des corporations de naviculaires qu’elle paya avec des privilèges et des exemptions d’impôts : les blés d’Égypte et des provinces orientales furent ainsi transportés à Constantinople par des possessores qui, dans leurs provinces d’origine, n’eurent pas à fournir l’annonaria prœstatio. (Code Théodosien, XIII, 5, 14.) L’État y gagnait le prix du transport et n’y perdait rien sur l’annone, les concitoyens des exemptés payant pour eux.

[159] Mommsen, Inscr. Neap., n° 6287.

[160] Pour le prêt seul, on arrive à 1.800.000 deniers par légion. A cette dépense il faut ajouter la somme inconnue que représentaient la double paye d’un grand nombre de soldats, les appointements des officiers, qui s’élevaient rapidement (25.000 sesterces à un tribun légionnaire), les gratifications aux vétérans, les fournitures faites en nature par l’État et qui deviendront de jour en jour plus considérables (voyez Trébonius Pollion, Vie de Claude ; Capitolin, Gordien III, 28, et Vopiscus, Vie d’Aurélien), l’entretien des machines, le corps des ouvriers, le service médical, les donativa, dont un seul, celui d’Hadrien, après l’adoption de Verus, fut de 300 millions de sesterces, etc. J’ai déjà fait remarquer que le donativum était un souvenir de l’or triomphal.

[161] Voyez ci-dessus, le § II, Le sénat et les chevaliers.

[162] Dion, LII, 28.

[163] Voyez au début du chapitre LXVII, et plus loin le règne de Dioclétien.

[164] Ulpien au Digeste, L, 15, 4.

[165] C’étaient les dates auxquelles, depuis Auguste, on distribuait le blé à Rome et, depuis Domitien, on payait le prêt aux soldats, (Suétone, Octave, 40.)

[166] .... in vectigalibus ipsa præsidia, non personas conveniri (Rescrit d’Antonin et Verus au Digeste, XXXIX, 4, 7). Aussi l’héritier du fonds était passible des fraudes commises par son prédécesseur : Fraudati vectigalis crimen ad heredem.... transmittitur (ibid., 8).

[167] Digeste, L, 15, 3, proœm.

[168] Lucien, le Pêcheur, 45.

[169] Pline (Lettres, X, 75) transmet à Trajan un testament en faveur de Claude et parle des legs faits à ce prince comme appartenant à son neuvième successeur. Les sources où le fisc puisait pour accroître son revenu étaient nombreuses. Le Digeste (XLIX, 14, 1) en énumère quatorze, et il ne les énumère pas toutes.

[170] Suétone, Tibère, 49 ; Code Théodosien, X, 19, 10 et 11.

[171] On a compté vingt-cinq villes frappant de la monnaie d’argent, une seule, Césarée de Cappadoce, frappant de la monnaie d’or (Eckel, Doctr. num., III, p. 187). Le sénat de Rome faisait frapper la monnaie de bronze.

[172] Gaius au Digeste, XLI, 5, 9. En 491, Anastase admit, pour tout bien public ou privé, la prescription de quarante ans.

[173] .... præter instrumenta itineris omnes quadragesimam publicano debeant (Quintilien, Declamatio, CCCLIX). Les trois provinces d’Afrique auraient été soumises à des droits de douane beaucoup moins élevés, si le tarif de Zraïa était celui d’une douane impériale. Le Digeste (XXXIX, 4, 16, § 7) dorme une liste des produits d’Orient et d’Afrique .... pertinentes ad vectigal. Tous les impôts indirects, c’est-à-dire levés sur les choses ou à propos d’un fait, étaient compris dans les vectigalia. (Cagnat, des Impôts indirects chez les Romains, p. VI.)

[174] Wilmanns, Ephem. epigr., II, p. 271.

[175] .... Vectigal quod in itinere præstari solet (Digeste, XXIV, 1, 21).

[176] .... si salinas habeat pupillue (Digeste, XXVI, 9, 5). Voyez dans Hirschfeld, Röm. Verwallungsgesch., p. 72-91, et dans Flach, la Table de bronze d’Aljustrel, comme l’exploitation des mines de l’État fût sagement conduite, dans le haut empire. L’État, propriétaire des mines et carrières, les exploitait directement, comme les carrières d’Égypte et les mines de Carthagène, par des condamnés ou par des esclaves que surveillait et contenait un nombreux personnel de fonctionnaires et de soldats. Ou bien il en abandonnait l’exploitation à des concessionnaires qui appelaient autour des travaux, pour les besoins de leurs ouvriers, des marchands et des industriels de toute espèce. Mais ces mines et carrières étaient habituellement situées en des lieux déserts ou pauvrement habités. On ne pouvait y attirer des marchands libres qu’en leur accordant de sérieux avantages. Ainsi, d’après la curieuse inscription d’Aljustrel, découverte en 1876, dans une région montagneuse du district de Beja, en Portugal, les cordonniers, foulons, barbiers, baigneurs, maîtres d’école, etc., admis dans le ressort de la mine, avaient le monopole de leur industrie et étaient autorisés à prélever une amende sur tout concurrent étranger, m8me à saisir, à leur profit, ses instruments d’exploitation. Cette inscription est du premier siècle de notre ère ; l’organisation qu’elle nous montre, plus fructueuse pour l’État que l’exploitation directe, devait se retrouver sur les autres concessions. Or les mines et carrières possédées par l’État étaient en très grand nombre. Le monopole exista donc de bonne heure pour une multitude d’industries ; il ne faudra pas s’étonner quand on le verra, plus tard, envahir tout le monde du travail, avec son inséparable cortége de règlements minutieux qui mettront la gêne, puis la mort, là où la libre concurrence aurait conservé la vie.

[177] Dion, LXXVII, 9.

[178] On a cité, en preuve contraire, la réclamation des pêcheurs de Gyaros sollicitant d’Octave une réduction d’un tiers sur leur tribut de 150 drachmes. (Strabon, X, V, 5.) Mais Antoine venait d’écraser l’Asie et la Grèce d’impôts ; il n’est donc pas étonnant que Gyaros se trouvât trop chargé. Les peuples payaient moins que sous leurs rois nationaux : ainsi le tribut de la Cappadoce fut réduit de moitié à la mort de son dernier roi (Tacite, Ann., II, 42 et 56), de même en Macédoine. En outre, les Romains ayant observé longtemps les clauses des anciens traités, l’avilissement de l’or avait amené de lui-même une diminution du tribut.

[179] Dion, LXXIII, 8 ; Suétone, Caligula, 37.

[180] Un sénatus-consulte de l’an de Rome 741, rapporté par Frontin, montre que les riverains des aqueducs étaient obligés de céder, à dire d’arbitres, tout ce qui était nécessaire pour la réparation des aqueducs et de laisser, sauf indemnité, établir des routes sur leurs champs pour le transport des matériaux. L’entretien des routes était obligatoire pour les riverains (Code Théodosien, XV, 5, 1, ann. 519), et cette obligation est l’origine de nos corvées et prestations. Les magistrats étaient armés des pouvoirs nécessaires pour faire exécuter ces travaux (Ulpien au Digeste, XLVIII, 8, §§ 8, 17 et 25). Les attributions de nos maires en matière de voirie urbaine semblent calquées sur celles du magistrat romain.