I. — COMMENCEMENTS DU RÈGNE ; FORTIFICATION DES FRONTIÈRES.Cousin et pupille de Trajan[1], Hadrien avait été élevé avec soin, selon les meilleures recettes de l’éducation du temps, peut-être à Athènes, où il prit un goût si vif pour la littérature de ce pays, qu’on l’appelait le petit Grec. On croit même qu’il eut Plutarque pour maître. Esprit curieux, il voulut tout connaître : la médecine et l’arithmétique, la géométrie et la musique, l’astrologie judiciaire et les mystères des initiations religieuses[2]. Il étudia toutes les philosophies, même celle d’Épictète, qu’il aima sans suivre ses conseils, et il fit des tableaux et des statues, des vers et de la prose ; mais il est probable que sa peinture valait sa poésie[3], dont il nous reste quelques échantillons. Ces études variées ne lui avaient pas donné, dans les lettres, un jugement sain ; il préférait Antimaque à Homère, Caton à Cicéron, Ennius à Virgile, quoiqu’il consultât, comme un oracle assuré, les sorts virgiliens ; et l’on pourrait craindre qu’ayant le goût faux en littérature, il n’eût pas l’esprit juste en politique, si l’on ne savait que les grands écrivains sont souvent de pauvres hommes d’État, et que Richelieu mettait Chapelain au-dessus de Corneille. Tout le monde lui reproche, sans en donner de preuves bien sérieuses, sa vanité et sa jalousie à l’égard des hommes supérieurs : défauts avec lesquels un prince ne fait rien de bon, et l’on verra qu’Hadrien fit de grandes choses. Ce qui est plus sûr, c’est que ce lettré d’un goût douteux possédait toutes les qualités militaires qu’un prince peut utiliser dans la paix, car il n’eut point, comme empereur, à les montrer dans la guerre ; et il gouverna bien, puisque l’empire lui dut vingt et un ans de prospérité. De sa personne, il était grand et bien fait, avec l’air intelligent et doux. Comme François Ier, il commença la mode de laisser pousser sa barbe pour cacher des cicatrices qu’il avait au visage. Aussi, lorsque dans la galerie des bustes d’empereurs on a étudié cette physionomie originale qui ne paraît pas appartenir à la race des Césars, on s’attend bien à trouver dans son règne une histoire nouvelle. Sa tête penchée comme pour mieux entendre, ses yeux de marbre dont le regard est encore si pénétrant, ses lèvres à demi ouvertes qui semblent aspirer la vie, annoncent l’homme qui voulait que rien n’échappât à sa vigilance ou à sa curiosité. Les contemporains furent frappés comme nous de cette figure étrange ; et, pour exposer ses doctrines gnostiques, qui pénétraient alors dans beaucoup d’esprits et dans tous les cultes, l’auteur inconnu d’un livre longtemps fameux en Orient[4] imagina un entretien du prince qui désirait tout savoir avec le philosophe qui prétendait tout révéler. Il monta un à un les degrés de la hiérarchie, fut vigintivir, tribun légionnaire, questeur (101), charge qui lui ouvrait le sénat, tribun du peuple, préteur, légat légionnaire, enfin consul quelques mois avant l’âge légal[5]. Il suivit Trajan dans toutes ses expéditions et s’y montra dur à la fatigue, brave au danger, mais, de plus, intrépide à table : ce qui était une autre manière de faire sa cour au prince[6]. Chargé du commandement des légions de Pannonie, il imposa aux Sarmates le respect de son nom, aux soldats celui de la discipline, aux agents du fisc la modération. Trajan lui avait fait épouser Sabine, fille de Matidie et
petite-fille de sa sœur Marciane : mariage qui rapprochait encore du pouvoir
son pupille, devenu son neveu. Après quelques combats heureux dans la seconde
guerre Dacique, il lui avait envoyé l’anneau orné de diamants que lui-même
avait reçu de Nerva au moment de son adoption, et il le mettait en état de
faire honneur aux charges dont il l’investissait : ses libéralités, par
exemple, permirent à Hadrien de donner au peuple, durant sa préture, des jeux
magnifiques. Enfin, se fiant à son talent d’écrivain autant qu’à son habileté
politique, il le chargea de rédiger les discours impériaux prononcés devant
le sénat et que Licinius Sura avait jusqu’alors composés. Ces faveurs étaient
plus que des promesses. Un second consulat et le gouvernement de Les pauvres esprits auxquels nous avons affaire maintenant pour nous renseigner sur l’histoire de, ce temps se plaisent à chercher en de petites choses la cause des grands événements, qui d’ordinaire ne se trouve pas là. Aussi ce gouverneur, qui en savait si long sur une intrigue nécessairement très secrète, me semble avoir ramassé, un demi-siècle après l’événement, dans les on-dit d’une province écartée, un conte fait pour les amis toujours nombreux des aventures merveilleuses. Mais ce récit, comme tant d’autres qu’on fit courir par un système de médisance dont nous apprécierons les motifs, ne peut prévaloir contre la vraisemblance. Trajan a dû léguer l’empire à celui que, dans ses entretiens intimes, il désignait pour son successeur. Il s’en était ouvert au confident de toutes ses pensées, à Licinius Sura, qui répéta la confidence, et, pour faciliter à son neveu l’accès du principat, il avait d’avance disgracié ceux qui auraient pu lui faire obstacle, entre autres deux sénateurs, Palma et Celsus, qu’on va bientôt voir conspirer contre le nouvel empereur. Depuis la mort de Sura, Hadrien était l’homme de l’empire qui tenait de plus près à Trajan par le sang, par les honneurs dont il avait été revêtu, par les pouvoirs qui venaient encore de lui être conférés, avec le commandement de l’armée la plus nombreuse et de la province la plus importante. Choisir un autre successeur après avoir éveillé tant d’espérances et remis tant de forces aux mains de l’intéressé, c’eût été décider la guerre civile, et l’on n’a pas le droit d’imputer cette faute à Trajan. Si l’acte d’adoption écrit à Sélinonte n’avait pas été fait à Antioche, c’est qu’il répugnait à Trajan, tant qu’il n’avait pas désespéré de ses forces, de paraître avoir besoin, comme Nerva, d’un collègue plus jeune pour apaiser les séditions ; d’ailleurs, désireux jusqu’au dernier moment de ménager le sénat, il avait voulu ne proclamer son héritier qu’au sein de cette assemblée, où il se rendait lorsque la mort l’arrêta. Quant à l’idée que, en négligeant de désigner son héritier, Trajan s’était promis d’imiter Alexandre, sans avoir comme lui pour excuse la jeunesse qui permettait au héros macédonien les longs espoirs, c’est une autre puérilité qu’on ne saurait prêter à un aussi ferme esprit[7]. Le retard à régler la succession impériale n’en fut pas moins un malheur, car la redoutable conjuration qui menaça Hadrien dès l’année 119 eut pour cause la façon dont il parut s’être glissé au pouvoir, dans l’ombre et par la main d’une femme, au lieu d’y entrer la tête haute, présenté par le glorieux empereur au sénat, au peuple, à l’armée. Hadrien apprit à Antioche la mort de son oncle par une
dépêche qui précéda de deux jours l’arrivée du courrier officiel : chose qui
se comprend sans qu’il y ait besoin de supposer un mystère (9 et Hadrien avait longtemps vécu dans les camps. Allait-il continuer le règne belliqueux de son prédécesseur ? Il n’en fut rien : Auguste succéda encore une fois à César, le génie de l’administration à celui des conquêtes. Tandis, en effet, que l’urne d’or qui contenait les restes du héros était solennellement portée à Rome et que le sénat votait au prince mort l’apothéose, un temple et des jeux Parthiques, Hadrien abandonnait les pays que Trajan avait cru conquérir en les traversant. Des quatre provinces récemment formées en Orient : Arménie, Mésopotamie ; Assyrie, Arabie, il n’en garda qu’une, la dernière, parce qu’elle était hors de l’atteinte des Parthes. C’était sagesse de ramener les aigles romaines en arrière de l’Euphrate et de reprendre, de ce côté, l’ancienne frontière ; mais ce fut une faute de renoncer à faire de l’Arménie l’inexpugnable rempart que ce pays, aux mains de Rome, aurait été pour les provinces orientales[9]. L’Arménie rentra dans la dépendance incertaine où elle avait toujours été à l’égard des deux empires qui l’enveloppaient. On a accusé Hadrien d’avoir cherché, par cette conduite, à ternir la gloire de son prédécesseur : cependant on était si bien convaincu de l’inanité des dernières expéditions, que pas un murmure ne s’éleva contre la nouvelle politique ; et lorsqu’il rentra dans Rome, au milieu de l’année 148, il y fut reçu avec les acclamations accoutumées. Le sénat voulait même qu’il célébrât en son nom le triomphe voté pour son prédécesseur. Il se refusa à cette double injustice, et l’on porta triomphalement la statue de Trajan au temple de Jupiter ; c’était déjà trop, puisqu’il n’y avait point eu dans la guerre Parthique de succès durables. Quant à l’insurrection juive, en Chypre, aux bords du Nil et à Cyrène, Hadrien en avait étouffé les derniers restes ; mais ce succès n’était qu’une grande mesure de police : la répression d’émeutes qui, sur les lieux, paraissaient formidables et dont, à Rome, on ne parlait même pas. Les soldats avaient reçu leur donativum, le peuple eut le sien d’abord trois pièces d’or (75 fr.), et après la conjuration de Nigrinus un double congiaire. L’Italie fut dispensée de fournir l’or coronaire ; les provinces n’en donnèrent qu’une partie, et le Trésor fit remise des arrérages qui lui étaient dus depuis seize années[10]. A l’égard des sénateurs, Hadrien tint la même conduite que
Nerva et Trajan ; il assistait régulièrement à leurs séances, et, à la curie,
au palais, s en toute circonstance, il leur prodiguait les marques
extérieures de considération. Il avait renouvelé le serment de ne point en
condamner un seul à mort ; il compléta le cens sénatorial à tous ceux qui
l’avaient perdu sans qu’il y eût de leur faute, et défendit qu’un membre de
la haute assemblée comparût devant des juges qui ne seraient point de son ordre.
Un jour qu’il aperçut un de ses esclaves se promenant entre deux sénateurs,
il envoya quelqu’un lui donner un soufflet pour lui apprendre à marquer la
distance qu’il y avait de lui à ceux qui pouvaient devenir ses maîtres.
Lorsqu’il recevait les sénateurs, il se tenait debout, se souvenant que César
avait donné des complices à ses assassins en ne daignant pas se lever devant
le sénat. Il admit les plus distingués d’entre eux parmi ceux qu’on appelait
alors les amis ou les compagnons du prince, et que l’on
désignera plus tard par le titre de comtes
; il en honora plusieurs de deux, même de trois consulats ; il renvoya à la
curie, au lieu de les traiter dans son conseil privé, les plus importantes
affaires, et défendit d’en appeler à l’empereur d’un jugement du sénat[11] : décision très
flatteuse pour les Pères et sans danger pour le prince, qui n’avait pas à
craindre que la curie rendit jamais une sentence contraire à son avis. En
signe de cette parfaite union entre les deux pouvoirs, Hadrien faisait
frapper des médailles où l’on voyait Rome contemplant le Génie du sénat et,
le prince qui se donnaient la main[12] ; d’autres
avaient la légende : Libertas publica,
avec l’image de Il aimait à rendre la justice, et, pour les cas ordinaires, il remplissait en tous lieux et en tout temps, comme nos anciens rais, sa fonction de justicier, assis sur son tribunal, le public admis alentour. Une femme l’arrête un jour dans la rue et veut lui soumettre une affaire. Il refuse de l’entendre et la renvoie : Pourquoi es-tu empereur ? lui demande-t-elle ; aussitôt il l’écoute. Pour l’instruction et le jugement des causes graves, il s’entourait des magistrats les plus élevés en dignité, de sénateurs du premier rang et des plus célèbres jurisconsultes, qu’il demandait au sénat l’autorisation d’adjoindre à sa cour de justice[14] : demande qui était encore un hommage rendu à l’ordre amplissime. Aussi, à la première conspiration qui se forma, les Pères montrèrent leur zèle à défendre l’ami du sénat. Le complot était dangereux, car il avait pour chefs quatre
consulaires, personnages considérables dans l’armée ou à Rome. Pourquoi ce
complot s’était-il si vite formé ? Au lendemain de son avènement, Trajan
avait un panégyriste, comme s’il eût accompli déjà beaucoup de choses
mémorables ; à peine arrivé à Rome, son héritier y trouva des assassins.
C’est qu’Hadrien, tenu par son oncle dans une demi obscurité qui s’augmentait
de tout l’éclat jeté par la grande figure du conquérant de Lusius et Palma, vieillis dans les commandements, n’avaient pas, quoique consulaires, leurs habitudes à Rome. Ils avaient donc besoin, pour agir dans la ville, de s’adjoindre des hommes qui y fussent influents : deux autres consulaires, Publilius Celsus et Avidius Nigrinus, s’associèrent à leurs desseins. Nous ne savons rien du premier, si ce n’est qu’il avait obtenu pour la seconde fois le consulat en 113, avant le second consulat d’Hadrien. Quant à Nigrinus, il devait être fort en vue, quoique jeune encore, car Trajan lui avait donné en Achaïe une de ces missions extraordinaires[17] qui n’étaient confiées qu’à d’importants personnages, et Spartien, qui écrivait la biographie d’Hadrien avec les Mémoires de cet empereur sous les yeux, assure que le nouveau prince, dont le mariage était resté stérile, avait songé à ce personnage pour la succession à l’empire[18]. Mais Hadrien n’avait que quarante-trois ans ; sa santé était bonne ; l’attente eût donc été longue. Nigrinus, que Spartien appelle un dangereux intrigant, insidiator, aura pensé qu’il ferait plus vite ses affaires par une conjuration. A ces quatre consulaires se joignirent beaucoup d’individus[19] incapables de résister à la tentation de machiner dans l’ombre quelque belle entreprise de meurtre et de révolution. Leurs pères n’avaient cessé d’agir ainsi sous les Flaviens, surtout sous les Jules, et quelques-uns d’entre eux étaient encore, au temps de Nerva et de Trajan, restés fidèles à cette tradition de l’assassinat. Chaque époque a sa maladie morale qui provient des institutions ou de l’état social : à nos chevaliers du moyen âge, il fallait des guerres privées ; aux nobles de Henri IV et de Louis XIII, des duels, comme il faut aux agitateurs modernes des émeutes. Pour les oisifs du sénat romain, la grande distraction et la plus sérieuse affaire était un complot. On convint de tuer Hadrien, soit pendant un des sacrifices que sa dignité lui imposait, soit à une de ses chasses qu’il aimait à prolonger jusque dans les endroits dangereux. L’empereur venait d’être appelé sûr le Danube par un mouvement des Barbares. Les conjurés furent donc obligés d’attendre son retour, mais des paroles imprudentes mirent sur la trace de la conjuration. Le sénat instruisit rapidement le procès, et, sachant bien que dans un État despotique tout compétiteur est un condamné à mort, il rendit à l’empereur le service de faire exécuter les coupables, sans lui demander des ordres. Après son retour précipité, le prince se plaignit d’une justice si prompte, en déclarant qu’il aurait fait grâce, au moins de la vie. On peut soupçonner la sincérité de ces paroles dites après l’exécution ; cependant lorsqu’on voit Hadrien changer, peu de temps après, les deux préfets du prétoire qui avaient poussé le sénat aux résolutions extrêmes, et plus tard choisir pour fils adoptif le gendre d’une des victimes, on est porté à croire, avec Marc Aurèle, que les Pères mirent trop de hâte à témoigner de leur fidélité. Hadrien oublia, raconte son biographe, ceux qu’il avait eus pour ennemis avant de devenir le maître. — Te voilà sauvé ! avait-il dit à l’un d’eux le jour de son avènement ; et pressé par son ancien tuteur, Cœlius Attianus, de se débarrasser de gens très justement suspects, notamment du préfet de la ville, le plus important personnage de Rome, il s’y était refusé[20]. Toute son histoire montrera qu’il n’avait pas le goût du sang. Ainsi, dès les premiers mois de son règne, Hadrien avait renouvelé et affermi l’alliance de Nerva et de Trajan avec l’aristocratie sénatoriale. Cependant il conserva contre elle certaines défiances, que la récente conjuration n’était point faite pour diminuer, et il garda toujours présent à l’esprit le souvenir de Domitien et de la misérable existence passée par ce prince, à Rome, au milieu des terreurs et des périls[21]. Au lieu de rester enfermé dans la capitale, avec ses affranchis, dont la principale étude était de corrompre leur maître pour profiter de ses vices[22], et en face du sénat, auquel il n’était pas prudent de montrer de trop près et trop longtemps le souverain, quand le prince entendait l’être, Hadrien vécut partout, excepté à Rome. Ce n’est point qu’il comptât borner ses soins à garantir sa sécurité personnelle. Au contraire, nous trouvons en lui le prince qui a compris mieux qu’aucun des empereurs romains tous les devoirs de sa charge. S’il m’arrive malheur, je te recommande les provinces, avait dit Trajan au jurisconsulte Priscus qu’il jugeait digne de l’empire. Hadrien n’oublia jamais ce mot, et puisque, en tout, sa volonté était souveraine, il pensa qu’il devait tout voir, avant de tout décider. Son règne n’est, à vrai dire, qu’un long voyage à travers les provinces, dont il voulut connaître les besoins en les étudiant sur place, et les fonctionnaires, en les voyant au milieu de leurs fonctions, afin d’éviter les erreurs, les oublis, les injustices que causait le voile épais de la cour et du monde officiel s’interposant, à Rome, entre l’empereur et l’empire. Avec cette manière de vivre, il déjouait les intrigues qui rte pouvaient le suivre partout, et, en même temps, il s’assurait de la fidélité des légions, qu’il visita tour à tour ; de sorte qu’il trouvait doublement son compte à bien faire son métier d’empereur. La chronologie de ces voyages est difficile à établir[23], et nous avons sur chacun d’eux très peu de renseignements, bien que Hadrien y ait employé les deux tiers de son règne, treize ou quatorze ans sur vingt et un. Avant d’exposer son administration intérieure, en le suivant, dans les provinces, pour y recueillir le maigre butin de faits particuliers il chaque pays que nous fourniront les médailles, les inscriptions ou les histoires[24], allons, comme lui, d’abord sur la frontière et voyons de quelle façon il entendait pratiquer la politique de paix, dont il avait fait, dès les premiers jours de son règne, la règle de son gouvernement. Cette politique usa de deux moyens : au delà de la frontière, le régime des subsides, auquel fut donnée une large extension, afin de retenir les Barbares chez eux ; sur la frontière même, une puissante défensive, constituée par d’immenses travaux de fortification et par l’établissement dans les armées de la plus sévère discipline. L’usage des subsides inauguré par Auguste, continué par ses successeurs, mais au hasard des circonstances, devint pour Hadrien un principe de gouvernement, dont malheureusement l’application se laisse deviner plutôt qu’elle ne se révèle par des faits nombreux. On a vu qu’au lieu d’aventurer ses forces au cœur de l’Asie, il les avait repliées sur la frontière que la nature elle-même avait marquée en arrière du grand désert de Syrie ; il fera de même en Bretagne, afin, dit son biographe, de ne rien garder d’inutile. Puis, sa frontière nettement tracée et les enchevêtrements de limites, qui auraient produit des contacts dangereux, soigneusement évités, il agit au delà par la persuasion, les conseils, lés présents, pour établir de bons rapports entre les Barbares et l’empire. Il pensionna un roi des Roxolans et bien d’autres, car on lit dans Spartien qu’il s’attacha tous les rois par ses libéralités[25] : parole que Dion et Aurelius Victor répètent et qu’Arrien confirme[26]. Au prince des Ibériens, raconte le premier, il envoya un éléphant, une cohorte de cinq cents hommes armés et de riches cadeaux. Quand il passait au voisinage des Barbares, il invitait leurs chefs à se rendre près de lui, et il échangeait avec eux des présents, en ayant soin que les siens lussent digues de la main qui les offrait. Aussi, lorsque Spartien nous dit qu’il donna un roi à des Germains, nous pouvons être assurés que ce chef revint au milieu des siens ; suivi de conseillers qui devaient le maintenir dans la fidélité à l’empire, et avec les moyens d’apaiser la turbulence guerrière de son peuple. Du côté de la mer Noire, Arrien nomme six rois qui tenaient d’Hadrien leur pouvoir[27]. Si nous connaissions mieux la diplomatie de ce prince, nous le verrions certainement exercer sur les peuples établis le long de ses frontières une action multiple et continue, avec de l’or, du commerce, peut-être des intrigues, c’est-à-dire en essayant de lier à l’empire, par les intérêts, cette première barbarie, qui aurait, servi de rempart contre la barbarie plus dangereuse échelonnée derrière elle. Cette politique, qui prévenait les difficultés extérieures, est, celle dont les Arnéricains, lés Anglais et les Russes ont, de nos jours, tiré tant d’avantages sans y voir de la honte, comme on a voulu en mettre dans la conduite des empereurs romains[28]. Plus tard, ce moyen de défense deviendra fatal en irritant les appétits des Barbares, que l’empire ne sera plus en état de contenir ; mais, au temps d’Hadrien, il était habile et sage, parce que derrière cette modération se trouvait la force. Dion Cassius n’est pas un grand esprit, mais, mêlé, comme consul, aux grandes affaires, il a compris ce système : Il combla, dit-il, les rois de ses largesses ; les étrangers ne tentèrent aucun mouvement contre lui, parce qu’il ne les inquiéta jamais, et aussi parce qu’ils connaissaient bien la puissance de ses préparatifs. Beaucoup même se laissèrent gagner au point de le prendre pour arbitre dans leurs différends. Toute l’histoire extérieure de l’empire pendant ce règne est dans ces mots : Rome eut alors la paix : non la paix lâche et sans prévoyance qui accepte la honte ou prépare les désastres, mais la paix active : et résolue qui ne craint pas la guerre, parce qu’elle a organisé de grandes forces toujours prêtes. Sous Hadrien l’empire eut l’aspect d’un soldat au repos sous les armes, mais les tenant d’une main virile. On sait. que l’armée romaine n’avait point de garnisons à l’intérieur. Le plus grand général de l’époque impériale, Trajan, avait formulé le principe d’une bonne administration de la guerre : N’éloignez pas le soldat des enseignes ; les petites garnisons détruisent l’esprit militaire. Toute l’armée était donc retenue à demeure au voisinage de la frontière. Elle couvrait l’intérieur de l’empire et n’y résidait pas. En arrière, elle défendait la civilisation qui, à l’abri de cette protection, poursuivait paisiblement son œuvre ; en avant, elle contenait la barbarie et les flots agités de cette mer toujours menaçante. La vie était pour elle rude et austère, car ses campements s’élevaient dans des solitudes brûlantes ou glacées, au milieu de marais qu’elle desséchait, de forêts on elle ouvrait des routes, de plaines incultes qu’elle rendait fécondes ; et comma le Barbare était à deux pas, guettant toute occasion de meurtre et de pillage, il fallait avoir la main au glaive en même temps qu’à la cognée, et l’œil partout. Cependant, avec le temps et la sécurité croissante, la mollesse s’était glissée dans les camps. Une foule d’industriels étaient venus s’établir à l’ombre du rempart pour exploiter les besoins et les vices du soldat, l’élégance et le luxe des chefs. Auguste avait réservé aux fils des sénateurs et des chevaliers les grades de tribun et de préfet. Ces jeunes élégants, condamnés à passer cinq années au camp, avant d’arriver aux charges civiles et aux honneurs, y avaient porté leurs habitudes, et les castra stativa étaient peu à peu devenus des villes où se trouvaient tous les agréments des cités. Hadrien fut sans pitié pour cette mollesse. Il fit détruire, dit son biographe, les grottes artificielles et les portiques construits pour abriter contre la pluie ou la chaleur du jour, les salles de festin et les maisons de plaisance où l’on oubliait les rudes devoirs du service. Il chassa les mimes, les baladins, tous les artisans de la vie facile qui énervent le corps et l’âme du soldat[29], et pour consacrer le souvenir de ce retour à l’austérité des mœurs militaires, il fit frapper des médailles qui le montrent marchant à la tète des soldats avec ces mots à l’exergue : DISCIPLINA AVG., comme si une nouvelle divinité était descendue du ciel pour le salut de l’empire. Le camp rendu à sa première sévérité, il y garda tout le monde, refusant les congés qui n’étaient pas rendus nécessaires par d’impérieux motifs, afin que les légions fussent toujours au complet, et les officiers, les soldats toujours en haleine. D’ailleurs il croyait que l’homme de guerre se fait au camp, comme l’ouvrier à l’atelier, le laboureur dans la plaine : chacun dans le milieu qui lui convient. Il modifia l’armement des soldats et fit de nouveaux règlements pour les bagages. Sur ce double point, nous sommes réduits aux conjectures. Mais le prince qui faisait exécuter chaque mois trois grandes marches à ses soldats[30], et suivait lui-même leurs colonnes, n’a dû s’occuper des impedimenta que pour en diminuer le nombre et doubler la force de l’armée, en augmentant la rapidité de ses mouvements. Si les logis fastueux lui paraissaient mauvais au camp, les embarras de bagages devaient lui sembler dangereux en campagne ; et, puisqu’il avait supprimé les uns, il est certain qu’il réduisit les autres[31]. Pour les armes, nous ignorons aussi les changements qu’il opéra ; mais il nous reste l’ordre de service donné par son lieutenant Arrien, gouverneur de la province de Cappadoce, que les Alains menaçaient d’envahir[32]. Ce sont des instructions aussi minutieuses et précises que pourraient l’être celles du meilleur général moderne ; elles règlent la composition de l’armée, sa marche, les dispositions à prendre sur le champ de bataille, pendant l’action et après la victoire. Comme Arrien y parle de corps de toute espèce, il est évident que les Romains avaient pris aux Barbares leurs armes, afin de réunir aux moyens d’action propres aux légions tous ceux dont l’ennemi disposait. Je trouve d’ailleurs dans un autre passage d’Arrien l’ordre de l’empereur à tous les généraux d’étudier les armes et la tactique des Parthes, Arméniens, Sarmates et Celtes[33]. Cette attention à améliorer sans cesse l’armement des soldats et les évolutions des troupes était du reste une vieille et heureuse tradition de la politique des Romains. Les guerres contre les Gaulois d’Italie leur avaient enseigné l’avantage des casques d’airain et des boucliers bordés d’une lame de fer ; pour combattre les Cimbres ils avaient changé la hampe du javelot, l’arme de jet des légionnaires ; aux Espagnols, ils avaient pris leur courte et forte épée ; aux Grecs, peut-être la disposition de leurs camps, certainement leur artillerie de siège et leur poliorcétique. Un vaisseau carthaginois échoué au rivage avait été le premier modèle de leurs galères de combat. Ainsi, ce peuple qui se croyait le premier peuple du monde, et qui l’était, apprenait toujours et perfectionna sans relâche la science qui lui avait soumis l’univers. Aucun service n’échappait à la surveillance d’Hadrien et à ses réformes, ni celui des ambulances, qu’il visitait chaque jour, lorsqu’il était au camp, ni celui des vivres, qui ne manqua jamais, ni les arsenaux, les magasins d’armes et d’habillement, qu’il tint toujours remplis. Un ordre sévère dans les dépenses[34] permettait de faire face à tous les besoins. Il contrôlait par lui-même, dit l’historien Dion Cassius, tout ce qui se rapporte à l’armée, comme les machines, les armes, les fossés, les retranchements, les palissades, et aussi tout ce qui tient à chacun, c’est-à-dire la manière de vivre, les habitations et les mœurs. Il corrigea plusieurs abus introduits par la mollesse et exerça tout le monde, chefs et soldats, à divers genres de combat, récompensant les uns, réprimandant les autres, enseignant à chacun son devoir. Enfin, par ses actes et par ses ordonnances, il mit en si bon état la discipline et les exercices, qu’aujourd’hui encore ses règlements font loi dans l’armée[35]. Ces réformes pouvaient exciter des plaintes ; il les
prévint en se soumettant lui-même aux plus sévères exigences de la vie
militaire. Lorsqu’il venait au camp, l’armée ne comptait qu’un soldat de
plus. Son costume était sévère, sans or ni pierreries dans l’armure,
seulement une poignée d’ivoire à sa lourde épée ; son repas, frugal, fait
avec les provisions des légionnaires : lard, fromage, piquette, et toujours
pris en public[36]
; sa façon de vivre, celle du meilleur officier. Si l’armée était en marche,
une traite de 20 milles ( Voilà d’irrécusables témoignages qui changent quelque peu la physionomie de l’ami d’Antinoüs, mais l’histoire sérieuse a encore bien des corrections à faire dans l’histoire traditionnelle. Quand on demande leur vie à des soldats pour des querelles qui leur sont étrangères, il faut au moins leur donner l’exemple des qualités et des vertus qu’on exige d’eux. Hadrien comprit cette vérité de bon sens et de justice. Il en résulta qu’en voyant le prince attacher une telle importance aux exercices virils et veiller avec une telle attention à tous les services, il n’y eut pas de centurion, de tribun, de légat, qui crût pouvoir rien négliger. Alors l’empire posséda une armée qui fut comme un corps robuste, aux membres souples et vigoureux, capable de supporter toutes les fatigues, de braver tous les dangers, et prête, du jour au lendemain, à sortir de ses campements pour une expédition ou pour la bataille. Mais elle fut aussi une armée docile. Il n’y avait pas de soldat qui pensât à marchander l’obéissance à un chef qui ne commandait aux autres que ce qu’il s’imposait à lui-même, et qui à toutes les qualités militaires joignait l’esprit de justice. Hadrien ne donnait le cep de vigne, insigne du grade de centurion, qu’aux plus braves des légionnaires ; il renvoyait du camp les officiers imberbes à qui Auguste l’avait ouvert, les soldats qu’on y recevait trop jeunes, et ceux qu’on y gardait trop vieux, afin de n’avoir pas à leur payer la vétérance. Pour nommer un tribun, il n’exigeait plus de la naissance, mais de l’âge et du mérite. C’était l’accès des hautes charges facilité aux bons soldats ; et comme ils le voyaient encore visiter leurs malades dans les quartiers, veiller, sans dédaigner aucun détail, à leur bien-être et à leur sécurité, s’occuper de leurs intérêts et de leur avenir jusqu’à connaître tous les vétérans par leur nom, ils montraient pour cette sollicitude une reconnaissance qui,empêcha toute mutinerie durant ce règne de vingt et un ans, où l’armée n’eut cependant ni un jour de butin ni un jour de victoire[38]. Lorsque l’on se rend de Constantine à l’oasis de Biskra,
on trouve à Lambessa, au pied de l’Aurès, un camp romain qui garde encore son
rempart de pierre, celui de la légion IIIe Augusta, le prætorium ou résidence du légat qui la
commandait, et à Cette inscription, toute mutilée qu’elle est, en dit assez pour montrer qu’Hadrien n’avait pas oublié même une poignée d’hommes perdus au bord du grand désert, et nous en concluons que sa vigilance se portait sur chacun des points de l’immense circonférence tracée autour de l’empire par les postes militaires des légions. Il nous reste un autre document contemporain, un fragment
de Mais à quoi servirent tant de préparatifs et de dépenses ? Pourquoi tant de soin à mettre en état un instrument qu’on n’employa point ? Hadrien prépara la guerre pour avoir la paix. Avec une armée si parfaitement exercée et si docile, toujours prête par conséquent pour une action foudroyante, il put, sans péril, inaugurer une politique pacifique. Personne, au dedans ou au dehors, ne considéra cette résolution comme un aveu de faiblesse, et il ne se trouva pas plus d’ambitieux pour exciter une sédition, que de roi, ou de peuple assez hardi pour attaquer une frontière si bien gardée. Mais regardons à la frontière même ; le spectacle y est aussi curieux que dans les camps. La première dont Hadrien s’occupa fut celle du Danube. A
peine arrivé d’Orient à Rome, il avait été, rappelé dans Celle qu’Hadrien avait alors devant lui ne paraît pas avoir été très redoutable. Cependant il accourut au milieu des légions de Mœsie, et il faisait déjà de grands préparatifs, quand lui parvint la nouvelle de la conspiration de Palma et de Quietus. En de telles conjonctures sa présence était nécessaire à Rome ; au lieu de combattre, il rétablit l’ancien subside, se fit un ami du roi des Roxolans, qui semble avoir pris son nom[43], et le renvoya au plus vite, avec son peuple, à leurs campements, sur les rives du Boug et du Dnieper. Pour n’avoir pas à revenir sur cette frontière, nous en montrerons dès maintenant l’organisation défensive, à laquelle Hadrien travailla sans doute durant tout son règne. Le territoire situé au nord des bouches du Danube, entre
le Sereth et le Dniester (Bessarabie), par lequel les Roxolans venaient de passer et
par où passeront toutes les invasions ultérieures, faisait partie, sous
l’autorité d’un procurateur, du gouvernement de la illeesie inférieure.
C’était une possession importante, quoique l’empire n’y eut point aventuré de
colonies, parce que les troupes cantonnées dans Ainsi, la vallée inférieure du Danube, couverte au nord par les Carpates, l’était à l’est par des postes avancés, d’où les Romains contenaient la barbarie qui ondulait, comme une mer sans rivages, dans l’immense étendue des plaines sarmatiques. A qui revenait l’honneur de cette organisation défensive ?
Sans doute à cet habile gouverneur de Est-ce lui qui éleva le long du Danube inférieur et sur la branche méridionale de son delta tant de postés qui furent longtemps le boulevard de l’empire turc, après avoir été celui de l’empire romain[50] ? On rte saurait le dire. Mais quand on aura vu tout à l’heure ce qu’il fit sur le Danube moyen et en Bretagne, on sera autorisé à croire qu’il ne négligea rien pour établir la sécurité d’une de ses frontières les plus vulnérables. Ces détails, étrangers en apparence à l’histoire générale,
font comprendre par quelles habiles précautions l’empire se mit en état de
résister à la pression du monde barbare durant deux siècles, c’est-à-dire
aussi longtemps qu’il eut pour chefs, à part ces deux fous : Caligula et
Néron, des princes, souvent cruels à Rome, mais toujours prévoyants sur les
frontières. Ils montrent aussi quel cas il convient de faire de la tradition
qui attribue à Hadrien la destruction du pont de Trajan par jalousie de la gloire de son prédécesseur,
et jusqu’à l’intention d’abandonner Quant au pont de Trajan, il était maintenant si loin des
Barbares et si facile à défendre, qu’il doit n’avoir été mis hors d’état de
servir qu’à l’époque où les troupes romaines ne pouvaient plus tenir dans La frontière la plus exposée, et en même temps la plus
rapprochée de I’Italie, était celle du Danube moyen, le long de La ligne du Danube moyen allait donc être bien gardée. Plus haut, trois légions avaient été échelonnées, le long du fleuve, à Brigetio (O-Szony, près de Komorn)[62], à Carnuntum (Petronell), qui prit le nom de municipe Élien[63], et à Vindobona (Vienne), où stationnait la flottille du Danube. Couverts à droite et à gauche par les grandes armées de
On a vu, à propos des terres Décumates, quel était le
système de défense des Romains pour arrêter de ce côté les incursions des
Barbares : Hadrien le continua en l’améliorant. Lorsque Spartien parle du
voyage de ce prince dans les provinces germaines, il se contente d’écrire : En beaucoup d’endroits où ne se trouvait point de fleuve
pour servir de barrière contre les Barbares, il formait une espèce de
muraille avec de grands pieux enfoncés en terre et fortement liés entre eux.
Ces paroles en disent beaucoup sur la volonté de l’empereur de fortifier son
empire, mais fort peu sur les moyens qu’il employait. Nous pouvons
heureusement les préciser par l’étude d’une ligne de fortifications très
reconnaissable encore aujourd’hui, par les levées de terre et les débris de
murailles qui subsistent, ou par les fouilles qui ont montré l’assiette des
constructions disparues. Le mur des Pictes,
en Bretagne, nous apprendra ce qu’était le mur du
Diable, en Germanie[66] ; et en voyant
le prétendu fossé de Trajan dans Ce fut sous les yeux mènes du prince que les travaux du
Vallum Hadriani commencèrent. Il en avait choisi l’emplacement sur l’isthme
large de D’abord, comme premier obstacle opposé à l’assaillant, un
fossé large en moyenne de En arrière de ce premier obstacle s’élevait un mur en
maçonnerie dont on voit encore partout les substructions ou les restes, large
de 6 à Par surcroît de précaution, et afin d’arrêter des ennemis venus de l’intérieur, ou des bandes qui auraient franchi, après un coup de main heureux, les premières défenses, un autre fossé, entre deux levées de terre de hauteur inégale, protégeait par le sud l’ensemble de la fortification, de sorte que les garnisons des tours et des réduits, assaillies de front et en arrière, pouvaient faire face des deux côtés. Entre le mur du nord et l’épaulement du sud courait une
voie militaire près de laquelle étaient établis, dans les sites les plus
favorables et toujours à proximité de l’eau, dix-sept camps retranchés, castra stativa, qui pouvaient se soutenir
mutuellement, puisqu’ils n’étaient éloignés en moyenne les uns des autres que
de Ces deux fossés attenant à trois remparts, cette muraille
défendue par trois cents tours et quatre-vingts réduits, ces dix-sept castra statua mis en facile communication par
une route empierrée qui, large de Trois légions[69], aidées d’un certain nombre de cohortes auxiliaires, et sans doute aussi par beaucoup d’indigènes, semblent avoir exécuté rapidement cet ouvrage, qui, d’après les calculs d’un Anglais, exigea près de trois millions de journées de travail (2.865.671) ; de sorte qu’en comptant 25.000 travailleurs ou 250 hommes par kilomètre, il aurait pu être achevé en quatre mois[70]. On avait partagé tout l’espace d’une mer à l’autre entre les cohortes, et chacune avait dû creuser les fossés, élever les parapets et le mur, sur la portion de terrain qui lui était assignée[71], si bien qu’il y eut autant d’émulation entre les travailleurs qu’on en voyait un jour de bataille entre les combattants. Parmi ces travailleurs se trouvaient jusqu’à des Daces qui, sous le nom de cohorte Ælienne qu’Hadrien leur avait donné, étaient venus, de leur lointaine patrie, aider les Romains à consolider une domination qu’eux-mêmes venaient de subir[72]. Un château fort, Pons Ælius (Newcastle), fut bâti à l’extrémité orientale du rempart, et une flottille, avec une cohorte de soldats de marine, y stationna. Mais cette œuvre appartient-elle tout entière au successeur de Trajan ? Agricola avant lui, plus tard Septime Sévère, Théodose, même Stilicon, n’ont-ils pas élevé le mur et le vallum du sud ? D’abord ces défenses, dont toutes les parties se protégent mutuellement, révèlent un seul auteur, puisqu’elles se rattachent à un seul plan[73] ; ensuite aucune inscription trouvée sur les lieux n’est antérieure à Hadrien, tandis que plusieurs, découvertes dans les réduits qui faisaient corps avec le mur[74] et dans les castra stativa[75], portent son nom. Les monnaies conduisent à une pareille conclusion. Dans un vase d’airain mis à jour en 1837, on a recueilli trois pièces d’or et soixante deniers, dont plusieurs à l’effigie d’Hadrien et pas un qui lui soit postérieur. Enfin, une inscription, malheureusement très altérée, semble un fragment de lettre adressée par lui à des troupes établies entre les deux mers, pour les féliciter d’avoir cédé sans murmure à la nécessité qui les empêchait de porter jusqu’aux limites du monde les bornes de l’empire, et d’avoir conservé les frontières que la république s’était données[76]. On comprend que nous ne puissions donner une date aux restes d’antiquités, chaînes d’or, bagues, pierres gravées, boulets de pierre, et débris de toute sorte trouvés dans le Vallum. Les légions portaient avec elles, dans les contrées les plus sauvages, la vie romaine avec ses élégances et ses besoins. Un des plus impérieux était de posséder des thermes où l’on trouvât, à volonté, de l’eau à toutes les températures : chaude dans le caldarium, tiède dans le tepidarium, froide dans le frigidarium, et de l’air chaud dans les chambres voûtées de l’hypocauste. Il n’y eut de grandes fortifications que dans les
provinces d’Europe, où étaient les plus dangereux ennemis, et, durant un
demi-siècle, les Calédoniens, les Germains, les Sarmates, frappés, pour parler comme Dion, d’une crainte respectueuse, n’osèrent les
franchir. En Afrique, l’Atlas et le Sahara couvraient les villes romaines
dont, alors comme aujourd’hui, les nomades avaient besoin pour leur
subsistance, sans vouloir s’y établir, et que, par conséquent, ils ne
menaçaient point. Pourtant, comme les peuples de ces provinces et les
montagnards de En Syrie, un autre désert rendait les forteresses inutiles
; et dans l’Asie Mineure, une bonne armée sous des chefs habiles, des peuples
sédentaires et pacifiques, enfin l’amitié des rois habilement entretenue,
donnaient toute sécurité à l’empire. Mais l’Euxin bordé de nations barbares
pouvait leur livrer l’accès des provinces romaines. Pour prévenir les
attaques des pirates, une flotte taisait la police de cette ruer, et des
forteresses échelonnées sur les côtes méridionales, depuis Trapézonte jusqu’à
Dioscurias ou Sébastopol, dans L’homme de confiance d’Hadrien dans cette région était un de ses plus dignes lieutenants, Arrien de Nicomédie, qui nous a laissé d’importants ouvrages, entre autre une circumnavigation de l’Euxin. Hadrien lui avait demandé cette reconnaissance du littoral pontique ; le général l’effectua lui-même, quelque pénible qu’elle fût, et le Périple n’est autre chose que son rapport, dont on ne peut toutefois déterminer la date. Il y étudie les accidents de la côte, les ports, les fleuves navigables et ceux qui ne le sont pas, jusqu’à la salure des eaux et à la direction des vents. Il énumère les villes, les peuples limitrophes, les tribus de pillards qu’il promet d’exterminer, les rois qui tiennent d’Hadrien leur couronne, et qu’il affermit dans leur fidélité. A l’embouchure d’un fleuve, on lui fait voir, sans le convaincre, l’ancre du navire Argo, et il ne semble pas plus crédule au mythe de Prométhée lorsqu’on lui montre de loin la cime du Caucase où le Titan avait été enchaîné. Mais si le passé l’intéresse peu, le présent l’occupe beaucoup. Quand il rencontre un fort, il fait manœuvrer devant lui la garnison[78], examine tout attentivement, et sur tout envoie un mémoire que ce Grec écrit en latin parce qu’il s’agit d’une correspondance officielle. A Apsaron, dit-il, où sont cantonnées cinq cohortes, je fis la visite des armes, du rempart, des fossés, des malades et des magasins de vivres. Aux bouches du Phase se trouvait une autre place gardée par des soldats d’élite, protégée par un double fossé et par un mur garni de toutes les machines propres à lancer des traits ou des pierres ; il en augmenta les défenses. Une troupe romaine tenait garnison à Sébastopol[79], point extrême du monde gréco-romain, au pied du Caucase, et qui, malgré l’éloignement, avait reçu les bienfaits d’Hadrien, puisque le sénat et le peuple l’appelaient leur bienfaiteur. Arrien y continua son inspection militaire, regardant à tout, sans oublier les malades. Il y apprit que le roi du Bosphore Cimmérien venait de mourir, et songeant que son prince pouvait avoir quelque action à exercer de ce côté, il se rendit à Panticapée, capitale de l’État, y montra sa flotte et confirma ce peuple dans l’alliance romaine. Quand il rentra dans sa province, il avait fait le tour de cette mer, mesuré les distances, marqué les stations et fait voir à tous, amis et ennemis, que l’empire était sur ses gardes[80]. Voilà ce qu’Hadrien avait voulu savoir ; et comme nous avons vu, par le Vallum de Bretagne, de quelle manière il fortifiait ses frontières, nous apprenons par le Périple ce qu’il demandait à ses généraux de vigilance et d’activité. Cette démonstration faite, trous n’avons plus à chercher pourquoi le monde resta un demi-siècle en paix. Un de ces peuples du Caucase qui devint plus tard très
redoutable causa pourtant un moment d’inquiétude. Les Alains, après de grands
ravages dans Grâce à cette politique prévoyante et à ces armées
formidables, la vie romaine gagnait chaque jour sur la barbarie. Le désert
s’animait, depuis Damas jusqu’à Pétra, et le nomade voyait avec surprise
s’élever des monuments splendides aux lieux où il avait coutume de chasser
l’antilope et le chacal. Dans la haute Égypte, des centurions veillaient à
l’exploitation des carrières de porphyre pour les temples de Rome et
d’Athènes ; dans les Carpates, les affranchis de l’empereur dirigeaient les
travaux des mines, et, en Afrique, les gorges de l’Atlas étaient garnies de
postes militaires, afin qu’on pût, dans le Tell, labourer avec sécurité. Une
grande partie de la vallée du Danube se faisait romaine, celle du Rhin le
devenait, et, derrière les retranchements des terres Décumates, les maîtres
du Walhalla germanique cherchaient à trouver place dans le Panthéon de Rome.
Sur des monuments de cette région, on a lu le nom d’un compagnon d’Odin,
l’Hercule Saxanus (Sachsnôt), à côté
de ceux de Tarants, le dieu celtique, et de Mithra, la divinité orientale :
témoignage de ce mélange des idées qui s’opéra jusqu’à la circonférence du
monde romain, sous le rayonnement de la civilisation latine, tant que ce
grand corps de l’empire conserva sa virilité. Cette force pouvait-elle agir
plus loin ? Le génie classique, armé de toutes les élégances de II. — VOYAGES.Suivons maintenant Hadrien dans ses voyages à travers les
provinces. En 118 ou 119, il avait été rappelé des bords du Danube dans sa
capitale par la conspiration des consulaires ; après un séjour de quelques
mois à Rome et en Italie, il commença, par Ces soins militaires ne lui faisaient pas négliger les intérêts civils ; même dans les provinces frontières, il voulait qu’on lui rendit compte des travaux à exécuter par les villes, des ressources qui devaient y pourvoir ; et, lorsqu’il en était besoin, il ajoutait le nécessaire[85]. Les médailles frappées en commémoration de son séjour dans les provinces le représentent souvent avec un livre, symbole de sa vigilance administrative[86]. Si le Forum Hadriani
marqué, sur la carte de Peutinger, près de Lugdunum
Batavorum est une fondation d’Hadrien, on pourrait en conclure
qu’après l’inspection des deux Germanies il aura pris par le pays des Bataves
pour gagner la mer et Après avoir corrigé dans Spartien raconte un péril qu’Hadrien courut à Tarragone et dont il se tira non sans gloire. Un jour qu’il se promenait seul dans un parc voisin de la ville, un esclave de son hôte se jeta sur lui, comme un furieux, l’épée à la main. Très vigoureux et leste, il esquiva le coup et saisit le malheureux que les gardes accourus voulaient mettre en pièces : c’était un fou. Le prince chargea les médecins de le guérir et ne se plaignit même pas au maître qui avait de si dangereux serviteurs. Ce récit, qui montre avec une certaine complaisance la modération d’Hadrien, est sans doute emprunté à ses Mémoires. Les choses ont donc pu se passer autrement ; du moins apprenons-nous par là qu’il tenait à ce qu’on lui reconnût cette possession de soi-même qui est la force du sage, et l’esprit de justice qui l’empêchait de prendre un l’ou pour un coupable. Il est singulier que, durant ce séjour en Espagne, Hadrien n’ait visité ni son lieu d’origine, Italica, ni Gadès, la patrie de sa mère[92]. Pour qu’il ait résisté au désir si naturel de montrer le maître du monde à ceux qui l’avaient vu naître dans une maison à peine consulaire, quelque nécessité urgente a dû précipiter son départ. Est-ce que les Maures remuaient encore ? Spartien le dit, sans qu’on puisse conclure de ses paroles que l’empereur se soit directement rendu d’Espagne en Afrique, où d’ailleurs il semble être allé deux fois au moins, car son allocution aux troupes de Lambèse est de l’année 128. Nous ne savons rien du premier voyage ; mais il nous reste
au sujet du second quelques détails que nous placerons ici pour n’avoir pas à
revenir en Afrique. Depuis cinq ans, il n’était pas tombé une goutte d’eau
dans les oasis. Ce fait, qui n’a rien d’extraordinaire, est toujours une
calamité[93]
; et comme à son arrivée une pluie abondante survint, on y vit un miracle et
on lui attribua ce bienfait, qui le rendit cher
aux Africains. Il les gagna par de plus réels services : il mit
fin aux désordres de Les villes suivirent l’exemple qui leur était donné, et il se produisit partout de grands efforts pour embellir les cités ou faciliter entre elles les communications. Ainsi une inscription nous apprend qu’à cette époque Cirta construisit à ses frais tous les ponts sur la voie qui menait de ses murs à Rusicade (Philippeville), c’est-à-dire de Constantine à la mer. Qu’on ne s’étonne pas de nous voir recueillir des faits qui semblent n’avoir aucune importance ; alors qu’on est réduit à tirer l’histoire d’un règne considérable de monuments aussi rares, on se trouve dans la condition du naturaliste qui n’a pas le droit de négliger le moindre débris d’un animal disparu, parce que ce débris lui révélera peut-être ce qu’était l’animal en son entier, sa forme, ses organes, sa vie même. A défaut de renseignements plus nombreux, relevons encore le mot de Spartien : Il combla de bienfaits les provinces africaines, et cette légende de plusieurs monnaies : Au Restaurateur de l’Afrique. On verra plus loin ce qu’il faut entendre par ces mots. L’empereur revint d’Afrique dans sa capitale, et, l’on conjecture, d’après une monnaie, qu’il s’y trouva en 120 pour l’anniversaire de la fondation de Rome. Vers la fin de cette année, il était déjà en route vers l’Orient, que les Parthes menaçaient. Hadrien invita Chosroës à une entrevue, et tout s’apaisa (122 ou 123). Il lui renvoya sa fille, faite prisonnière par un des généraux de Trajan, mais refusa de lui rendre le trône d’or massif des Arsacides, trophée qui était pour les Romains ce que les drapeaux de Crassus avaient été pour les Parthes. En pareille circonstance, Trajan avait rejeté avec hauteur les avances et les explications, forcé les Parthes à une guerre dont ils ne voulaient pas, et, après beaucoup de sang répandu et de villes détruites, il avait reculé, vaincu par une nature plus forte que son génie. Hadrien pacifiait Monnaie commémorative l’Orient sans l’ébranler par le choc des armes et sans y faire de ruines. De quel côté est la bonne politique ? Il paraît avoir séjourné trois ou quatre ans (122-125) dans les provinces orientales, où il retourna en 129. Dans l’impossibilité de distinguer ce qu’il fit en ces contrées durant chacun de ces voyages, nous reporterons au second[96] le petit nombre de faits dont nous aurons à parler. Vers la fin de l’année 125, il reprit le chemin de Il rentra en Italie après l’hiver, par Ces éternels voyages, ces courses de l’Euphrate à Quel motif le décida à partir encore ? Fut-ce cette
froideur ou la crainte des complots dont sa capitale était le foyer habituel,
ou le parti bien arrêté par cet empereur provincial de vivre pour les
provinces et de contenter ses goûts en même temps qu’il remplissait ses
devoirs ? On ne saurait le deviner à l’aide des rares monuments qui nous restent
; mais, après un séjour à Rome dont on ne peut fixer la durée, il quitta
cette ville pour visiter ou revoir l’Afrique (128) ; puis il retourna en Orient[105] et s’arrêta de
nouveau en Grèce (129).
Comme nous avons le livre d’un autre grand voyageur, presque contemporain,
qui parcourut ce pays quand le souvenir d’Hadrien y était encore vivant, nous
allons savoir par lui, ce qu’il faut mettre sous ces paroles que Spartien
répète à propos de chaque province où l’empereur s’arrêtait : Il la combla de ses
libéralités. En nous disant ce que le prince fit dans A Corinthe, il construisit des bains dans plusieurs
quartiers de la ville et un aqueduc qui amena l’eau du lac Stymphale[107] ; à Némée, un
hippodrome. Il rendit à Mantinée son glorieux nom, lui bâtit un temple de
Neptune, et grava sur le tombeau d’Épaminondas une inscription qu’il composa
lui-même. Dans Mais il y avait en Grèce un lieu qu’il préférait à Athènes redevenait ce qu’elle avait été autrefois, la
grande école de Il fut aidé dans ce travail par le célèbre rhéteur Hérode
Atticus, maître d’Aulu-Gelle et de Pausanias que, fort heureusement pour
nous, sa rhétorique n’a point séduit, mais que son érudition a gagnés. Hérode
bâtit ou acheva, dans la nouvelle ville, un pont sur l’Ilissus, le Stade,
qu’il couvrit de marbre pentélique[115], et, sur une
des collines qui le dominent, un temple de Durant quelque temps ce Panhellénion parut être le
sanctuaire politique de Toutes ces constructions et Hadrianopolis elle-même ont disparu ; cependant, lorsque, en descendant des Propylées, on laisse derrière soi le temple de Thésée et que l’on contourne par le sud le roc gigantesque si noblement couronné de ruines majestueuses, on voit d’abord sur la pente de l’Acropole le théâtre de Bacchus qui garde les sièges de marbre blanc où s’asseyait Périclès et d’où Hadrien a entendu quelque comédie de Ménandre ; plus loin, dans la plaine de l’Ilissus, quinze colonnes, les unes isolées, les autres encore réunies par leur architrave et dont les proportions colossales, la riche ordonnance, les teintes chaudes et dorées, qui s’enlèvent sur l’azur du ciel, frappent l’esprit d’étonnement et d’admiration, même à deux pas du Parthénon. Ces colonnes sont tout ce qui reste du temple le plus vaste de l’univers gréco-romain, l’Olympiéion, commencé par Pisistrate, continué par Auguste et achevé, au bout de sept siècles, par Hadrien[121]. Pourquoi tous ces temples relevés ou construits ? Est-ce par zèle religieux ? Hadrien était de cet âge où les religions, lentement mais de continu, baissent comme la mer, aux heures des marées descendantes ; il voyait venir Le vieux prêtre courbé, offrant Sur le dernier autel la dernière hécatombe[122] ; et il avait entendu retentir le cri funèbre : Πάν ό μέγας
τέθνηxε. Mais il s’inquiétait peu
des grands Olympiens qui allaient mourir ; il était artiste, et l’art n’ayant
pas de plus belle expression que des temples, il en bâtissait ; et il
appelait les sculpteurs et les peintres à les décorer, les rhéteurs à discourir,
les philosophes à rêver sous leurs portiques. Si la divinité n’y était plus,
la pensée humaine les remplissait ; et cette civilisation de D’Athènes il gagna l’Asie proconsulaire, qui paraissait, au milieu de l’immense jardin de l’empire, la région la plus favorisée. C’était la patrie des artistes qui élevaient tous ces monuments, et des sophistes dont l’habile faconde contenait en Orient l’invasion de l’idiome des conquérants, et allait bientôt éteindre, jusqu’en Italie, le clair et simple génie du Latium. Au retour du voyage d’Athènes, ces hommes ouvraient école dans quelqu’une des cinq cents villes d’Asie, et arrivaient bien vite à la fortune, même à la puissance. Favorinus, à Éphèse, Aristoclès, à Pergame, étaient d’importants personnages, et Polémon régnait véritablement à Smyrne : le sénat écoutait ses avis avec déférence ; la foule applaudissait ses discours ; quand il voyageait, ses chevaux avaient des rênes d’argent, et derrière son char marchait une armée d’esclaves. Il obligeait les gouverneurs à compter avec lui ; nous verrons au règne suivant de quelle façon il traita celui qui allait devenir l’empereur Antonin. Mais comment un proconsul de ce temps aurait-il résisté au favori de tout l’Orient grec et du prince, à l’homme dont un autre rhéteur fameux, Hérode Atticus, disait : J’ai eu Polémon pour maître, quand j’étais moi-même un maître d’éloquence ? Et il raconte que, arrivé à Smyrne, sa première visite fut pour Polémon : Quand, mon père, t’entendrons-nous ? Connu pour être un auditeur redoutable, Hérode fut étonné de la réponse du maître : Aujourd’hui même ; allons et écoute[124]. Après tant de siècles de guerre, le monde, fatigué d’agir, ne voulait plus connaître que l’ivresse de la parole sonore, harmonieuse et vide ; tous les Grecs d’Égypte se réunirent, sous Antonin, pour dresser dans Alexandrie une statue au rhéteur Aristide, en témoignage de leur admiration[125]. De Rome à Athènes, d’Athènes à Smyrne, de Smyrne à Alexandrie, à Carthage, régnait ainsi l’improvisation[126], don charmant qui étonne les foules et gagne les causes d’un moment, mais souvent funeste à l’art véritable et à la pensée. Ces habiles arrangeurs de mots, qu’auront-ils fait avant un siècle de la civilisation ancienne ? Qu’en font-ils déjà dans Athènes et Alexandrie ? Dans ces provinces d’Asie, on trouve en mille lieux les traces du passage d’Hadrien ou son souvenir : villes détruites par des tremblements de terre qu’il aida à sortir de leurs ruines[127] ; cités secourues et embellies qui, en reconnaissance, prirent son nom, instituèrent des jeux ou frappèrent des médailles pour le dieu sauveur et le restaurateur des provinces ; temples et statues élevés en sou honneur ; ports et chemins construits à ses frais. Il n’est pas une région de la grande presqu’île où il semble que n’ait passé le voyageur impérial qui, par ses dons, ses conseils, son exemple, suscitait une noble activité, une émulation généreuse pour tous les travaux de la vie civilisée. Ainsi le grand gymnase de Smyrne fut construit à l’aide d’une souscription publique qu’Hadrien provoqua ou soutint en donnant lui-même une très grosse somme[128], et nous avons encore la liste des souscripteurs[129]. C’était déjà notre système d’encouragement aux œuvres d’utilité publique par une subvention de l’État. Il en fut de même partout et dans toute la période Antonine ; par là s’explique que l’empire apparaisse alors comme un immense atelier de constructions. Citons quelques faits au hasard, puisqu’il n’est possible d’arriver à l’exactitude ni pour les dates ni pour l’itinéraire. Hadrien prit terre sans doute à Smyrne, la perle de l’orient et la vraie capitale de la
riante Ionie. Assise au fond d’un golfe qui rivalise avec les plus beaux du
monde, sur les pentes d’une montagne que couronnent aujourd’hui les ruines
d’une immense forteresse génoise, mais où les Grecs avaient certainement mis
un temple, entourée de fertiles campagnes que traverse le fleuve d’Homère,
Smyrne était un magnifique vestibule pour pénétrer en Asie, et les
gouverneurs romains entraient toujours par là dans leur province. Hadrien y
avait un grand ami, Polémon, qui venait de prononcer à Athènes le discours
pour la dédicace de l’Olympiéion, et qui avait inspiré au prince une
bienveillance particulière pour la ville qu’on appelait, dans Aux environs de Smyrne se trouvaient deux curiosités archéologiques qu’Hadrien ne manqua certainement pas d’aller voir : le tombeau dit de Tantale, à mi-côte du Sipylus qui domine le golfe, et, à une journée de chemin de la ville, sur la route de Sardes à Éphèse, le Nymphæum, où se voyait un bas-relief dont parle Hérodote et que Sésostris y aurait fait sculpter quinze siècles avant notre ère[130]. Il visita Milet, qui vient de nous rendre quelques débris
d’une construction colossale trouvés au milieu des alluvions du Méandre, et
la riche cité d’Éphèse, alors si prospère qu’il faut quatre heures pour
traverser l’espace couvert par ses ruines ; cependant elle avait mis deux
cent vingt ans à rebâtir son sanctuaire de Diane. Hadrien y éleva un temple à
Il laissa aux habitants d’Ilion quelque chose dont leur
vanité fut, pour un moment, plus satisfaite que de l’aqueduc d’Aristide : six
vers grecs célébrant la gloire de leur cité et leur courage : Hector, fils de Mars, si tu m’entends sous terre, salut à
toi. Sois fier de ta patrie. Ilion, la fameuse cité, est toujours peuplée
d’hommes ; ils ne te valent pas, et pourtant, eux aussi, ils aiment les
combats. Les Myrmidons ne sont plus. Va et dis à Achille : A Nicomédie on lui donna le nom de fondateur avec moins de
flatterie qu’en d’autres lieux, et Cyzique lui bâtit un temple dont, au dire
du rhéteur Aristide[133], la masse
imposante était vue de si loin, que, dans En Cappadoce, il acheta beaucoup d’esclaves pour le service des camps, mesure qu’on s’explique mal, car les légions pouvaient s’approvisionner partout de la marchandise humaine. Mais les Cappadociens étaient déjà fameux, aux beaux jours d’Athènes, pour leur cervelle épaisse aussi bien que pour leurs larges épaules, et le pays n’était qu’un grand marché d’esclaves. Est-ce alors, ou dans son précédent voyage, qu’il visita le Pont et qu’il eut avec les rois des pays voisins les rapports dont nous avons parlé ? On n’en saurait rien dire. Contentons-nous de ce que raconte Arrien[136], qu’à Trapézonte (Trébizonde) l’empereur voulut contempler la mer du même lieu où les Dix-Mille avaient jeté leur cri de joie, en reconnaissant l’Euxin et le terme de leurs travaux. Sur ce site admirable et pour rappeler ce double souvenir, on éleva une statue du prince qui, le doigt étendu, montrait la mer, mais peut-être aussi le temple de Mercure qu’il avait donné à cette cité marchande, et le port qu’il avait construit pour ses navires, jusqu’alors sans abri dans la mauvaise saison. Nous ignorons ce qui lui arriva dans la capitale de D’Antioche il se rendit à Héliopolis ou à Damas, limite de
la langue et de la nationalité syriennes ; au delà c’était le désert, la race
arabe, la vie sous la tente et les longues troupes de chameliers allant
chercher, à Ctésiphon et sur le golfe Persique, les denrées de Dans le pays de la soif, les marchands n’avaient semé ni villes ni villages ; ils y passaient vite, ne s’arrêtant qu’aux puits qui jalonnaient le chemin ; mais ils avaient, de temps immémorial, établi leurs entrepôts autour des sources de Palmyre et dans l’enceinte inexpugnable des rochers de Pétra. C’est là que se signaient les sauf-conduits achetés aux Arabes et qu’on déposait les marchandises, là qu’étaient réunis les provisions, les montures et les guides. La conduite d’une caravane était une expédition difficile qui rapportait toujours de l’honneur, souvent du profit, et les premiers magistrats de ces villes en acceptaient la charge[139]. Des inscriptions célèbrent encore leur habileté ou leur courage, et des statues leur étaient élevées par ceux dont ils avaient sauvé la fortune ou la vie[140]. Au delà de ces deux oasis, du côté de l’Euphrate, rien que le vide ; mais, derrière elles, de grandes cités : Baalbek, Damas, Bostra, Gérasa, Philadelphie, dont les ruines comptent parmi les plus belles que nous connaissions. Comment se produisit ce phénomène de grandes cités florissant à l’extrême frontière de l’empire et au bord du désert ? Les malheurs de ses voisins avaient fait la fortuite de
cette région. Beaucoup de familles grecques qu’Alexandre et ses successeurs
avaient entraînées sur leurs pas, au fond de l’Asie, reculant devant la
réaction des races indigènes, s’étaient repliées sur En outre, ces hommes, qui plus tard se montrèrent dans
leurs colonies d’Espagne les plus habiles irrigateurs du monde, ont eu dans
tous les temps le génie du trafic. Arabes, Grecs, Syriens, Juifs s’adonnèrent
avec ardeur à un commerce que le goût croissant des denrées orientales
rendait chaque jour plus actif et qui se fit en toute sécurité au milieu de la paix romaine. La vitalité de l’empire se
montra énergiquement dans cette province, où affluaient les hommes et les
choses, les exilés de Cette prospérité datait de loin, puisque quelques-unes de
ces villes remontaient aux temps bibliques et que les architectes romains ont
élevé leurs monuments sur des substructions colossales. A Baalbek du moins,
l’enceinte des temples du Soleil, qu’Hadrien commença, et de Jupiter, que
Sévère construisit, a pour assises des pierres d’un calcaire fort dur, dont
trois sont longues chacune de Demeurée longtemps comme Damas dans une dépendance incertaine de l’empire, Palmyre avait enfin reconnu, après la soumission de Pétra (105), l’autorité directe de Rome[145]. Hadrien y arriva en l’année 130 [146] avec sa légion d’ouvriers. Nous ignorons ce qu’il y fit, mais il doit avoir laissé des preuves de sa libéralité dans une ville qui avait, pour sa politique générale, une extrême importance, puisqu’elle se trouvait au point de contact des deux empires, et que, en lui donnant les moyens de développer son commerce, il se donnait a lui-même de nouvelles garanties pour la paix. Sur la route qui va de Damas à Palmyre, et de cette ville à l’Euphrate, on a trouvé les traces d’environ quarante-deux postes ou châteaux forts, à trois heures de distance les uns des autres[147]. Les soldats romains ne peuvent avoir occupé tous ces postes ; mais on a la preuve qu’ils tenaient garnison dans quelques-uns de ceux qui jalonnaient la première partie de cette route ; et comme Trajan, venu, sur la fin de sa vie, en Orient pour une grande guerre, n’a pas eu le loisir de songer à ces précautions de la paix, c’est qu’Hadrien les a prises lorsqu’il parcourait lui-même ces étapes. Une part doit aussi lui revenir dans les magnifiques constructions que Palmyre commençait à élever[148]. Il lui donna les privilèges du jus Italicum, avec le titre le plus envié par les cités provinciales, celui de colonie[149] ; et de grandes largesses ont certainement accompagné ces faveurs, car la ville voulut s’appeler Hadrianopolis[150]. La province d’Arabie était de formation récente. Palma,
qui l’avait conquise en 105, Trajan, qui l’avait organisée en 106, n’avaient
pas eu le temps de pourvoir à tout. Ce qu’il restait d’essentiel à y faire,
Hadrien l’exécuta, puisque la province consacra des médailles Restitutori Arabiæ ; Gérasa fit commencer à
lui la suite de ses monnaies impériales, et Damas en frappa avec la légende :
Au dieu Hadrien, ou avec la
double effigie de l’empereur et de l’impératrice. Trajan avait fait la
fortune de Bostra en y établissant une légion. Pour reconnaître quelque
libéralité d’Hadrien, sans montrer une trop vive ingratitude envers son
prédécesseur, la ville cessa momentanément de mettre sur ses monnaies le nom
de son second fondateur, mais ne le remplaça point par celui du nouveau
prince. Au milieu de tant de basses adulations, cette flatterie contenue
était presque de la dignité. Hadrien s’occupa certainement de l’ancienne
route de chameliers qui allait de Damas à Pétra. Ses soldats, qu’il savait
faire travailler, construisirent, en diverses directions, des voies
militaires dont on voit les restes, même sur le plateau de Moab[151], et la capitale
du Haouran devint le centre d’un grand commerce qui portait il Damas les
dattes du Hedjaz et les parfums de l’Yémen ; dans l’Arabie, les blés, les
raisins secs de la vallée du Jourdain, et les étoffes de l’Asie Mineure ; aux
ports de De la pointe méridionale de la mer Morte, Hadrien gagna le
Wadi-el-Arabah, le fleuve sans eau,
qui s’étend jusqu’au golfe Élanitique. Après une marche de trente heures, il
arriva au voisinage du mont Hor, dont le sommet, suivant une tradition
biblique que les musulmans ont gardée, porte le tombeau d’Aaron, et, par une gorge
étroite où le soleil ne descend jamais, il entra dans la capitale des
Nabatéens. Dès le temps de Strabon, on comptait à Pétra beaucoup de Romains
qui étaient venus s’établir chez ce peuple entre les mains duquel se
trouvait, pour une bonne partie, le commerce du bas Euphrate et de l’Inde
avec l’Égypte. On rencontre encore çà et là les restes d’une voie romaine qui
reliait Dans Il entra en Égypte par Péluse[158], où il honora la mémoire de Pompée en élevant un monument funéraire à celui qui avait eu des temples et n’avait pas un tombeau. Naguère toute la vallée du Nil avait été en grande agitation[159] : Apis s’y était manifesté après de longues années d’absence. L’étrange dieu n’était pas facile à trouver, car ses adorateurs voulaient qu’il prouvât sa divinité, en laissant voir sur son front une tache blanche en forme de croissant, sur son dos la figure d’un aigle, au-dessous de sa langue l’image d’un scarabée : exigences auxquelles il ne pouvait satisfaire sans un peu d’assistance sacerdotale et beaucoup de crédulité populaire. Il y avait d’antres conditions d’ordre surnaturel qu’il était plus difficile de vérifier : Apis devait être né d’une génisse vierge fécondée par un éclair descendu du ciel. Grâce à ces merveilles, le dieu était en grand honneur dans toute l’Égypte. Les villes s’en étaient disputées la garde à main armée ; Alexandrie même, la ville grecque, avait prétendu à cet honneur. Hadrien était en Gaule au moment de ces désordres ; il évita sagement d’y mêler l’autorité impériale et les laissa s’apaiser d’eux-mêmes ; lorsqu’il arriva, depuis longtemps le calme était rétabli, le dieu enfermé dans son temple, et les ouvriers occupés à tailler son tombeau, qu’un Français a retrouvé au Serapeum, sous la colline de Sakkara[160]. L’Égypte semble avoir plu médiocrement à ce grand curieux.
Elle avait perdu sa forte vie religieuse et nationale ; l’art même y était
arrivé au dernier terme de la décadence, ainsi qu’en témoigne le petit temple
élevé pour Nerva prias des cataractes de Syène. Une image d’Hathor qu’on date
du temps d’Hadrien n’est ni grecque ni égyptienne, elle n’a ni la grâce des
statues de l’Ionie ni la majesté imposante des œuvres pharaoniques.
Cependant, comme les momies de ses prêtres avec leur masque d’or, l’Égypte
brillait d’un éclat étrange fait des gloires du passé et de la richesse du présent.
Aucune invasion n’avait violé ses temples ni renversé les monuments de ses
rois ; les Ptolémées avaient ajouté les œuvres de l’art grec à celles des
Pharaons, et elle était le centre d’un immense commerce, le foyer d’une
activité bruyante. Les esprits y travaillaient comme les bras ; toutes les
denrées de l’Orient passaient par Alexandrie, toutes les idées philosophiques
et religieuses du monde venaient y retentir. Ce bruit fatigua le prince que
charmait la calme sérénité de la vie athénienne, s’écoutant au milieu de ces
chefs-d’œuvre de l’art et de la pensée qui, par leur beauté seule, élevaient
doucement l’esprit vers les sphères supérieures. Alexandrie, fournaise
ardente où tout roulait et se mêlait, scories informes et métal, précieux,
faisait regretter à Hadrien les templa serena
de Autre crime aux yeux du prince artiste : Alexandrie était laide. Tristement assise sur une grève désolée, entre un lac salé et la mer, au point où le désert finit, Alexandrie n’avait ni la grâce des cités grecques, où la nature était toujours pour moitié dans la grandeur des œuvres de l’homme, ni le charme des villes d’Orient, qui sont parfois, comme le Caire aujourd’hui, d’incomparables guenilles. En partie détruite durant la grande insurrection juive des derniers jours de Trajan, elle n’avait sans doute pas encore relevé toutes ses ruines, quoique Hadrien eut largement pris part à la dépense[162] ; et la grande rue de Canope, malgré ou à cause de sa régularité, le palais des rois, avec son immense étendue[163], le Phare, qui n’avait de beauté que pour les navigateurs[164], ne suffisaient pas à réveiller une admiration lassée par les merveilles de l’art grec. L’ami des philosophes prit d’abord plaisir à visiter Hadrien dut se plaire moins encore à Memphis, car les rois grecs n’avaient point respecté la capitale des Pharaons, et depuis longtemps ses palais servaient à bâtir ceux d’Alexandrie. En voyant naguère, sur l’emplacement de cette ville, quelques amas de briques décomposées et uni forêt de palmiers balançant leur tête élégante au-dessus des lieux où s’élevaient les palais des rois, je me demandais si Memphis avait jamais employé, pour les édifices particuliers, autre chose que des briques séchées au soleil. Ce peuple habitait, comme à présent, des maisons de boue, mais construisait pour l’éternité ses temples et ses tombeaux[168]. Il ne semble pas qu’Hadrien ait été frappé de la majesté sombre et religieuse des grands édifices de la haute Égypte. Dans sa villa de Tibur, où il voulut avoir une représentation des plus beaux monuments qu’il eût remarqués durant ses voyages, on signale à peine un souvenir d’Égypte, le Canope, long bassin destiné à des jeux nautiques, et qui n’avait d’égyptien qu’un petit temple de Sérapis bâti à son extrémité et quelques statues apportées des bords du Nil ou copiées sur celles des Pharaons. Tandis qu’Hadrien remontait ce fleuve, Antinoüs s’y noya par accident[169], ou en se dévouant pour son maître, un dieu ayant déclaré ce sacrifice nécessaire au salut de l’empereur. Si la dernière version est vraie, ce dieu voulait des mœurs honnêtes ; l’affection d’Hadrien était un scandale et sa douleur fut une honte. Il fit d’Antinoüs un dieu dont l’image se dressa dans les villes d’Asie, et la divinité homicide rendit des oracles qu’Hadrien se plaisait à composer : satire du paganisme plus sanglante que celle de Lucien, qui pourtant fera bientôt si rude guerre aux dieux. Il est à noter que ce culte de la beauté masculine appartient exclusivement à l’Orient hellénique. Si l’on a trouvé à Rome et dans ses environs beaucoup de bustes et de statues d’Antinoüs, nous n’avons qu’une seule inscription latine en son honneur, et aucune monnaie de fabrication romaine ne porte son nom[170]. Cette apothéose du vice grec, quelques belles statues du nouveau dieu qui servirent à renouveler les types de Bacchus et d’Apollon, des inscriptions sur le colosse de Memnon et la fondation d’Antinopolis, qu’une route garnie d’aiguades, de stations et de postes fortifiés reliait aux ports de la mer Rouge[171], voilà tous les souvenirs qui nous restent du séjour d’Hadrien en Égypte. Il y en aurait un autre, si la mosaïque de Palestrina représentait son voyage en ce pays. On doit renoncer à cette attribution[172]. Je crois au contraire à l’authenticité de la lettre du prince à Servianus. L’allure, il est vrai, n’en est pas impériale, mais Hadrien aimait à rire et à se gausser des gens. Très cher Servianus, je connais bien cette Égypte dont tu me faisais l’éloge, ce peuple inconstant et léger qui, au moindre bruit, s’agite et court, cette race séditieuse, insolente et vaine. Leur capitale est riche ; tout y abonde, et personne n’y est oisif. Les uns soufflent le verre ; les autres fabriquent le papier ou tissent le lin ; chacun a un métier et s’y applique, même les goutteux, même les aveugles. Leur dieu à tous, chrétiens, juifs et le reste, c’est le gain. Il faudrait aussi d’autres mœurs à cette cité qui, par sa grandeur, mérite de tenir le premier rang en Égypte. J’ai fait pour elle tout ce qu’elle a souhaité ; je lui ai rendu ses anciens privilèges ; je lui en ai donné de nouveaux. Moi présent, ce n’étaient qu’actions de grâces ; à peine fusse je éloigné qu’ils ont outragé mon fils Verus, et tu sais, je pense, tout ce qu’ils ont débité sur Antinoüs[173]. Cette lettre est d’un artiste que le bruit des métiers ennuie ou d’un prince que la liberté de parole irrite : probablement les deux à la fois ; dans tous les cas, il semble qu’Hadrien n’ait été frappé en Égypte que de la turbulence des Alexandrins ; mais nous retiendrons, à l’honneur de sa mémoire, qu’insulté par des gens d’Antioche et bafoué par ceux d’Alexandrie, il se contenta de répondre aux uns en leur retirant un titre, aux autres en nous laissant d’eux un portrait dont tous les témoignages attestent la ressemblance. Théodose sera moins patient à Thessalonique. L’impératrice Sabine, qui semble avoir accompagné Hadrien dans beaucoup de ses voyages, le suivit certainement en Égypte et remonta le Nil au moins jusqu’à Thèbes, pour y voir la statue de Memnon, ce fils de l’Aurore qui, chaque matin, saluait l’apparition de sa mère par un bruit mélodieux. Nous apprenons par un bas-bleu du temps[174], la poétesse Balbilla, que le dieu, mauvais courtisan, parut d’abord ne pas sentir l’honneur qui lui était fait et se soucia peu du visage courroucé de l’impératrice ; Sabine dut lui faire deux visites avant qu’il daignât lui répondre. On le lui a bien rendu. La science, brutale avec les dieux, a tué le Fils de l’Aurore et remplacé la gracieuse mythologie par un phénomène tout physique : le bruit résultait de l’ébranlement vibratoire que causaient les premiers rayons du soleil en chassant énergiquement l’humidité dont la roche s’était imprégnée durant la nuit. Il se produit dans les granits de Karnac ; de Humboldt l’a entendu dans ceux de l’Amérique méridionale, et, dans certaines conditions atmosphériques qui provoquent une évaporation rapide de l’humidité, on peut entendre partout, au bord de l’océan on au voisinage des grands bois, ces bruits singuliers que les paysans appellent le chant de la forêt[175]. Nous voici arrivés à la fin de ces longs voyages, sans avoir pu en préciser rigoureusement ni l’ordre ni la date[176] ; mais c’est leur caractère qu’il importait surtout de montrer, et ce caractère se Hadrien, restaurateur du marque par les faits que nous avons recueillis. A présent, nous avons le droit de dire que la sollicitude d’Hadrien, ses réformes, ses constructions, ses libéralités, s’étendirent à tout l’empire, car nous avons des monnaies qui prouvent son passage dans vingt-cinq provinces et ses bienfaits dans douze d’entre elles[177] : Restitutori orbis terrarum. Les charges qu’il se laissa donner dans plusieurs villes ont la même signification de condescendance pour les sujets. Ainsi, il fut préteur d’Étrurie, dictateur, édile et duumvir dans des cités italiennes[178], démarque à Naples, archonte à Athènes, quinquennal à Italica et à Hadria. On dira que ces charges n’étaient que des titres d’honneur décernés par la flatterie ; je le veux bien, quoique le prince les fit gérer par un représentant ; dans tous les cas, on n’aurait pas songé à les offrir à un empereur pour qui tout l’empire aurait été enfermé dans l’enceinte de Rome[179]. Le régime municipal lui doit même une amélioration que nous avons gardée : le droit pour les cités de recevoir directement, et non plus, comme sous Trajan, par des legs et donations. C’était leur ouvrir, étant données les mœurs romaines, une source abondante de revenus. En l’année 134, Hadrien rentra en Italie et n’en sortit plus. Il n’est pas besoin de dire que Rome et la péninsule profitèrent, comme les villes provinciales, de son goût pour les constructions[180]. Il répara une infinité d’édifices sans y effacer le nom des fondateurs, ce qui, pour les Romains, était le comble de la modestie ; il éleva un temple à Trajan, un autre à Vérius et à Rome, dont il fut l’architecte ; il se construisit sur la rive droite du Tibre un immense tombeau qui est devenu le Château Saint-Ange, et le pont qui réunit encore cette forteresse à la ville est son ouvrage. Enfin il voulut que sa villa de Tibur lui rappelât les monuments et les sites qui l’avaient le plus frappé dans ses voyages : le Lycée, l’Académie, le Prytanée, le Pécile, des temples, des bibliothèques, un théâtre, même des champs Élysées et un Tartare. C’était comme un musée du monde : idée heureuse qui pourtant venait d’un curieux plutôt que d’un artiste, car bien des choses y étaient nécessairement mesquines. Cette vallée de Tempé, avec des montagnes faites de main d’homme, ces monuments réduits à d’humbles proportions et reconstruits loin du milieu matériel et historique pour lequel ils avaient été faits, auraient été une erreur de goût, si Hadrien, vieilli et fatigué, avait cherché dans sa villa autre chose que le plaisir légitime d’y retrouver à chaque pas un objet qui réveilla en lui quelque souvenir de ses bonnes années. Les Romains faisaient de grandes choses et avaient souvent le goût des petites. Lisez la description que Pline le Jeune nous donne des jardins d’une de ses maisons de plaisance. Que d’enfantillages ! Et à Pompéi, combien de petites fontaines et de petites grottes en rocaille ou en coquillages, de petits jardins et de petits ruisseaux qui portent le nom pompeux d’Euripes ! A cet égard, Hadrien fut plus Romain qu’un autre, et je ne doute pas qu’il n’y ait eu dans sa villa de très puériles imitations de monuments fameux, et quelques arrangements de terrain pour faire des sites et des fleuves célèbres, où le Pénée dû être représenté par un filet d’eau. N’en soyons pas moins reconnaissants pour une fantaisie qui nous a valu les statues, les bas-reliefs, les mosaïques découverts dans les fouilles que, depuis deux cents ans, on pratique dans cette villa[181] dont les ruines couvrent un espace long de 3 milles. Beaucoup d’objets précieux des musées de Rome, l’obélisque des Barberini qui décore aujourd’hui la promenade du Pincio[182], ont été tirés de cette mine féconde ; et la flore de l’Europe s’est enrichie de quantité de plantes exotiques qu’il avait semées dans ses jardins de Tibur[183]. Tant d’années passées par le prince loin de sa capitale,
tant de travaux accomplis en Italie et dans les provinces, à ses frais ou à
son exemple, prouvent trois choses qu’il importe de noter : la richesse des
cités qui pouvaient exécuter de si nombreuses constructions d’embellissement
ou d’utilité ; le bon état des finances publiques, puisque le prince prenait
une large part à ces dépenses ; enfin la tranquillité de l’empire, où tout
allait de soi, sans arrêt dangereux, ni secousse violente, qu’Hadrien navigua
sur le Nil, ou qu’il chassa dans les montagnes de Cet ordre tenait à la forte discipline des légions, à l’esprit de justice qui animait, comme on le verra tout à l’heure, l’administration générale, mais aussi à l’activité des travaux publics qui, occupant quantité de bras, chassaient la faim, mauvaise conseillère, malesuada rames. De même que nous avons trouvé pour la politique extérieure d’Hadrien un principe de gouvernement, la paix armée, nous en trouvons un autre pour sa politique intérieure, le développement des travaux publics. Par le premier, il était en désaccord avec son prédécesseur ; par le second, il l’imitait. Tous deux, en effet, ont été de grands bâtisseurs, non point uniquement par goût personnel, mais par une règle de conduite qu’ils s’étaient imposée, qu’ils appliquaient avec persévérance et dont les peuples se rendaient compte. Dans la dédicace d’un temple égyptien, on lit ces mots : Pour le salut de l’empereur Hadrien.... et pour le succès des travaux ordonnés par lui[184]. Il faut que le spectacle de cette activité laborieuse ait singulièrement frappé les esprits, puisque l’on en retrouve l’écho dans une formule de prière adressée aux dieux et jusque dans une inscription de l’hiérophante d’Éleusis : Moi, la grande Prêtresse, j’ai initié le maître du monde.... Celui qui a versé un flot d’or sur toutes les villes de l’univers[185]. n Lors donc qu’Eutrope disait de ces princes qu’ils couvraient la terre de leurs constructions, cet écrivain signalait une grande idée politique, et non pas une puérile satisfaction de vanité. III. — ADMINISTRATION.Le monde n’avait pas encore connu une pareille prospérité.
Et ces richesses créées par l’industrie ou le commerce de l’univers, on en
jouissait avec sécurité ; car la terrible loi de majesté ne menaçait plus la
tête ou la fortune des riches[186], et les
fonctionnaires étaient sévèrement surveillés. Naguère encore, la curie avait
retenti d’accusations que les députés de Mieux valait prévenir que réprimer. Hadrien traça aux gouverneurs de province des règles invariables. Les lois, les édits, les sénatus-consultes, les rescrits des princes, formaient un pêle-mêle de décisions souvent contradictoires, dont quelques-unes d’ailleurs ne s’appliquaient qu’à des cas particuliers ou à de certaines provinces. Par l’ordre de l’empereur, le préteur Salvius Julianus, un des jurisconsultes dont les ouvrages ont servi aux rédacteurs des Pandectes autant que ceux de Papinien, réunit les anciens édits prétoriens et tous les travaux faits sur la lex Allalua, que depuis longtemps les préteurs se transmettaient sans y beaucoup changer ; il en coordonna les dispositions qui formèrent, sous le nom déjà ancien d’Édit perpétuel, une sorte de code de la juridiction prétorienne et un règlement général de procédure. Hadrien provoqua un sénatus-consulte qui, en l’année 131, donna force de loi à ce nouvel Édit perpétuel. Les préteurs, les gouverneurs de province et tous les magistrats chargés de rendre la justice durent s’y conformer, sauf à ajouter, pour les espèces nouvelles qui viendraient à se produire, des règles de forme et des articles accessoires conçus dans l’esprit de l’œuvre législative dont le sénat et le prince venaient de consacrer l’autorité. C’était la loi substituée à l’arbitraire, un bienfait assuré aux provinces, et la première édition de ce grand livre qui est devenu le Corps des lois romaines[188]. Hadrien n’entendait point arrêter par cette codification, comme il est arrivé en d’autres temps et en d’autres pays, la vie juridique qui avait pris un si brillant essor[189]. Il encouragea, au contraire, les études des prudents, en confirmant par un rescrit l’autorité de leurs réponses officielles, auxquelles il donna force de loi lorsqu’elles étaient unanimes[190]. La paix sur les frontières, l’ordre dans les provinces, l’économie au palais, même à l’armée[191], la justice partout, enfin cette bonne politique qui donne de bonnes finances, permirent que le prince, sans charger les peuples, embellit les cités, pensionna des lettrés et des artistes, dégrevât les provinciaux des frais d’entretien de la poste impériale, et augmentât l’assistance accordée par Trajan aux enfants pauvres[192]. Mais s’il voulait que l’État secourût la misère ou le malheur, il n’entendait pas que le contribuable se fit à lui-même des largesses aux dépens du trésor public. Quelques mois après son avènement, il avait brûlé toutes lés créances du fisc depuis seize ans, qui montaient à l’énorme somme d’environ 200 millions de francs[193]. Un tel chiffre d’arrérages donnerait à penser que l’administration financière était bien mal conduite ou que les guerres de Trajan avaient obéré le peuple et les provinces. Afin de prévenir le retour de tels abus, Hadrien créa une charge nouvelle, celle d’avocat du fisc, qui fut, pour les intérêts financiers de l’État, ce que notre ministère public est pour les intérêts de la société et le respect de la loi. Dans chaque province, l’avocat du fisc rechercha ceux qui retenaient injustement un revenu ou un bien du domaine et les poursuivit devant le procurateur du prince, ou au tribunal du gouverneur. Mais on peut être assuré que si le nouveau magistrat montra dans sa fonction de la vigilance, il n’y mit point de dureté, car il eût agi contre les désirs du prince qui refusait les héritages des citoyens ayant des enfants[194], laissait aux fils des condamnés à la confiscation une partie de la fortune paternelle[195], quelquefois la totalité, en disant ces mots qu’on lit encore au Digeste[196] : J’aime mieux enrichir l’État d’hommes que d’argent. C’était de la part d’Hadrien une protestation généreuse et intelligente contre la coutume de la confiscation que nous avons mis dix-sept siècles à abolir. On prête à Hadrien une réforme considérable : il en aurait fini avec l’hypocrisie du gouvernement impérial, en constituant franchement la monarchie, et Aurelius Victor prétend que la réorganisation administrative qu’il opéra subsistait encore à la fin du quatrième siècle, sauf quelques changements introduits par Constantin[197]. Dans cette opinion trop absolue, il faut voir le souvenir persévérant de la sagesse d’Hadrien ; c’est un hommage rendu au prince qui mieux qu’aucun autre eut le sentiment de l’ordre à mettre dans toutes les parties de l’État. Il n’a point fait au deuxième siècle l’œuvre du quatrième, mais il l’a préparée. On tonnait, à cet égard, deux faits importants : il réorganisa le consilium municipis et il retira les offices du palais aux affranchis, qui, depuis Auguste et surtout depuis Claude, avaient été les véritables chefs de l’administration : tous les secrétaires de l’empereur furent pris dans l’ordre équestre[198]. Or placer dans les offices du palais, au lieu d’affranchis, serviteurs aveugles de leur maître, des chevaliers romains qui devenaient les fonctionnaires de l’État, et, par une conséquence nécessaire, réorganiser, les bureaux du gouvernement, c’était changer la maison du prince, jusqu’alors peu différente d’une riche maison particulière, en une grande administration publique. Cette réforme en amena une autre. En s’obstinant à vivre loin de Rome, Hadrien aurait paralysé le mouvement des affaires publiques, s’il ne s’était rendu comme présent dans sa capitale par un conseil de gouvernement investi d’une autorité légale. Auguste avait constitué un conseil privé qui, si Dion n’a pas transporté au commencement de l’empire ce qu’il avait sous les yeux, était investi déjà d’attributions étendues. Mais ce conseil ne semble pas avoir survécu au premier empereur, du moins avec le caractère que celui-ci lui avait donné. On ne sent nulle part son action, et ce qui en subsistait n’était qu’une réunion accidentelle et changeante, formée au hasard des amitiés impériales. Hadrien le reconstitua, en demandant aux sénateurs de donner leur approbation aux désignations qu’il fit de personnages considérables, jurisconsultes fameux, chevaliers, préteurs, mêmes consuls. Le choix de l’empereur et la sanction du sénat donnèrent à des fonctions jusqu’alors d’ordre privé, ou du moins indécises, le caractère d’une sorte de magistrature permanente. Les questions étudiées par les bureaux qu’il venait de réorganiser arrivèrent à ce conseil et y reçurent une solution[199]. L’empereur pouvait donc, sans nulle inquiétude, courir le monde et chercher à Athènes ou en Égypte des hivers plus doux, en Gaule ou dans l’Illyricum des étés moins brûlants ; les Pères avaient fait dans ses mains comme une seconde abdication, et, en son absence, les membres du conseil de gouvernement, suppléant au besoin le sénat par la délégation qu’ils en avaient reçue, et l’empereur dont ils avaient la confiance, assuraient l’expédition des affaires, la tranquillité de Rome et la sécurité du prince. Ce n’était pas un ministère, car les Romains répugnaient, comme nos anciens rois, au partage des attributions ; mais quand des hommes tels que Salvius dulianus, Ulpien, Papinien ou Paul siégèrent au consilium, on put croire qu’un ministre de la justice s’y trouvait. Il n’y a donc point à s’étonner qu’on ait fait remonter les commencements de la transformation monarchique, opérée sous Dioclétien, à l’époque où les affranchis rentrèrent dans l’ombre, les chevaliers dans l’administration centrale, les sénateurs, ou du moins quelques-uns d’entre eux, dans le gouvernement effectif de l’empire. La haute juridiction civile et criminelle, confiée, en
Italie, à quatre consulaires, et la multiplication des curateurs, annoncent aussi l’approche des temps
où les anciens droits, les vieux privilèges, vont disparaître devant
l’égalité dans l’obéissance. Marc Aurèle remplacera les consulaires d’Hadrien
par des juridici[200], magistrats de
moindre dignité, investis seulement de la juridiction civile ; mais il
donnera la juridiction criminelle au préfet de Les voyages d’Hadrien ne changeaient rien à cet ordre : la poste impériale lui apportait rapidement l’avis de son conseil. D’ailleurs il emmenait avec lui une partie de ceux qui le composaient ; de sorte que le gouvernement le suivait dans ses pérégrinations. Rome, dit Hérodien, est là où se trouve l’empereur[202]. J’omets quantité de réformes sans importance. Hadrien avait la manie de tout réglementer, comme il avait celle de tout savoir, même les secrets des familles. Sa police, qu’à raison de ses continuels voyages il dut rendre très active, écoutait aux portes, regardait dans l’intérieur des maisons et lisait, par-dessus l’épaule, la lettre qu’une femme écrivait à son mari, non, comme Tibère, par esprit de soupçon, mais, comme Louis XV, pour se distraire et rire. S’il multiplia les édits sur les vêtements, les voitures, les bains, les matériaux de démolition[203], les sépultures, qu’il interdit dans l’intérieur des villes[204], etc., il en fit aussi pour fermer les ergastula, où tant d’esclaves, même tant d’hommes libres, enlevés par surprise, étaient retenus et torturés ; pour ôter aux maîtres le droit de vie et de mort sur leur bétail humain et le protéger contre leurs sévices[205], pour leur interdire, à moins d’une autorisation du magistrat, une spéculation infâme : la vente de ces malheureux, hommes et femmes, à un propriétaire de mauvais lieu ou d’une école de gladiateurs ; pour défendre de mettre indistinctement à la question tous les esclaves d’un maître assassiné, même ceux qui n’avaient pas été à portée de voir ou d’entendre, et qui par conséquent n’avaient pu le secourir. Une matrone maltraitait cruellement ses femmes : il la condamna à cinq années de relégation[206] ; les sacrifices humains au Baal carthaginois continuaient : il les proscrivit encore ; enfin, mettant la logique au service de l’humanité, il décida que la femme qui aurait été libre à un moment quelconque de sa grossesse donnerait nécessairement le jour à un enfant libre[207], et que cet enfant naîtrait Romain lorsque ses deux auteurs, pérégrins au jour de la conception, auraient obtenu la cité avant l’accouchement[208]. Il améliora aussi la condition de la femme, l’autorisa à tester[209], et reconnut à celle qui avait le jus trium liberorum le droit de recueillir la succession de ses enfants morts intestats[210]. On a vu Trajan restreindre les droits de la patria potestas ; une décision d’Hadrien, rendue pour un cas particulier, prépara cependant la ruine de l’autorité du père en tant que juge domestique. Un fils avait commerce avec sa belle-mère, le père l’attira à la chasse et l’y tua. Le prince le condamna à la déportation, non pour avoir usé des vieux droits de l’autorité paternelle, mais pour avoir agi en brigand des bois[211]. Une inscription cite une loi d’Hadrien sur le colonat ; nous ne l’avons malheureusement pas. Mais cette seule mention prouve la clairvoyance du prince qui réglementait une condition nouvelle des populations rurales, destinée à remplacer peu à peu l’ancienne servitude[212]. Voilà des édits et des sentences qui feraient excuser bien des travers. Jamais pareil et plus généreux effort n’avait été fait par le législateur pour diminuer cette plaie de l’esclavage, point purulent qui minait le corps social. La législation d’Hadrien nous achemine à la transformation que va subir l’ancien mode de servitude : un grand nombre d’esclaves seront bientôt des colons. A Rome, beaucoup de simplicité dans la vie, de dignité dans la tenue, quoiqu’il renvoyât bien loin ceux qui voulaient l’envelopper d’ennui, sous prétexte de la majesté du rang ; et si Antinoüs avait eu des successeurs, le vice du moins se dérobait à la pudeur publique. Au palais, les esclaves, les affranchis, retenus dans l’ombre ; point de vin sur la table, mais les repas assaisonnés de conversations variées, de lectures intéressantes ou de représentations scéniques. Des réceptions aux jours de fête ; ordinairement le calme et le silence dans la demeure impériale. Cependant aucune affectation d’austérité ; il prenait part aux plaisirs de ses amis et aussi à leurs douleurs ; il chassait avec eux et les visitait dans leurs maladies, sans leur permettre d’abuser de son affection ni leur donner un crédit dont ils pussent trafiquer, ainsi qu’ont coutume de le faire les césariens et tous ceux qui entourent les empereurs[213]. En public, pour cortége, les citoyens les plus respectés, et point d’avances à la foule, afin d’en tirer ces acclamations si faciles à obtenir et qui si souvent trompent ceux qui les reçoivent. Lorsqu’il revenait du Forum ou de la curie, c’était habituellement en litière, pour qu’on ne le suivit point[214]. Jusqu’à la fin il eut pour les sénateurs les mêmes égards. Arrivait-il des ambassadeurs étrangers, il les présentait lui-même au sénat, exposait leur demande, prenait les avis de chacun, et, après avoir recueilli les voix, rédigeait la réponse dans le sens de la majorité. Avec le peuple il était comme avec les soldats, plutôt sévère qu’affable[215]. Un jour que, durant les jeux, on lui réclamait avec insistance[216] une grâce qu’il ne crut pas juste d’accorder, il la refusa, et, toute l’assistance se récriant, il commanda par le héraut qu’on fît silence et que les jeux continuassent. Une autre fois le peuple le pressait avec grand bruit de donner la liberté à un conducteur de char. Il écrivit sur ses tablettes : La dignité du peuple romain ne lui permet pas de demander que j’affranchisse l’esclave d’un autre, ni de contraindre son maître à l’affranchir lui-même ; et il jeta ces tablettes à la foule. D’autres fois il se tirait d’une importunité par un bon mot. Un solliciteur dont la tête commençait à blanchir et qui n’avait pu obtenir une grâce reparut quelque temps après, les cheveux teints et demandant la même place : Mais je l’ai déjà refusée à votre père, dit le prince. Il aimait, avons-nous dit, à rendre la justice, et surtout à la faire ; quand il siégeait sur son tribunal, c’était entouré non de ses amis ou de ses familiers, mais des plus savants jurisconsultes, tels que le sénat lui-même n’aurait pu mieux choisir, Julius Celsus, Salvius Julianus, Neratius Priscus[217]. Dion, qui ne lui est pas favorable, remarque cependant que jamais il ne dépouilla personne injustement de ses biens ; et l’historien ajoute avec une naïveté qui est malheureusement une vue nette de certains caractères : Il n’avait point de colère, même pour les gens de peu qui lui rendaient service en agissant contre son sentiment. Mais il n’entendait pas que les juges violassent la loi ; et sa vigilance, celle qu’il imposait à l’administration, rendirent les prévarications bien difficiles[218]. Il voulait que l’intention, et non le fait, fit le coupable, et si, en lui, l’homme a eu des mœurs mauvaises, le prince a su récompenser les bonnes en refusant de punir le meurtrier d’un individu qui avait commis de honteuses violences sur l’accusé ou sur les siens[219]. Il est malheureux que le grammairien Dosithée, qui nous a conservé des lettres et sentences d’Hadrien, ne soit qu’un maître d’école prenant au hasard les exemples qu’il propose à ses élèves. Mieux choisis et plus nombreux, ces fragments auraient permis de lever un coin du voile qui cache la vie habituelle du prince. Tels qu’ils sont, ils le montrent rendant. justice ou donnant conseil à tout venant, sous le vestibule de son palais[220], comme les rois et les cheiks de l’Orient aux portes de leur ville ; et, malgré leur insignifiance, ils aident à saisir le véritable caractère de cette magistrature impériale, faite des prérogatives bien déterminées des anciennes charges républicaines et des pouvoirs indéfinis de l’autorité patriarcale. Un individu veut s’enrôler : Où désires-tu servir ? — Au prétoire. — Mais quelle taille as-tu ? — Cinq pieds et demi. — Entre dans les cohortes urbaines, et si tu es bon soldat, la troisième année, tu pourras passer aux prétoriens. (§ 2.) Un vieux soldat vient au palais : Mes fils, seigneur, ont été pris pour la milice. — C’est fort bien. — Mais ils sont très ignorants : aussi j’ai peur qu’ils n’agissent pas selon les règlements et qu’ils rte nie laissent dans la misère. — Pourquoi craindre ? Ne sommes-nous pas en paix ? Leur temps de milice se passera tranquillement. — Permettez, seigneur, que je les suive, fût-ce comme leur serviteur. — Par les dieux ! n’en fais rien ; il ne convient pas que tu deviennes le valet de tes fils ; mais prends ce ceps de vigne, je te fais centurion[221]. (§ 13.) Un autre jour, il condamne un fils à nourrir son père vieux et infirme, un tuteur à fournir des aliments à son pupille. Un homme et une femme qui n’avaient pas contracté de justes noces, c’est-à-dire un mariage légitime, se disputent un enfant pour avoir sa part dans les distributions publiques. L’empereur fait venir l’enfant : Auprès de qui demeures-tu ? — Chez ma mère. Alors le prince se tournant vers l’homme : Méchant ! laisse ce congiaire qui ne t’appartient pas. (§ 11.) Comme il assistait à la distribution de ce que nous appellerions les bons de pain, une femme s’écrie : Je te supplie, seigneur, d’ordonner qu’on me donne une portion du congiaire de mon fils qui m’abandonne. Le fils était présent. Moi, seigneur, je ne la reconnais pas pour ma mère. — Eh bien, moi, si tu persistes, je ne te reconnaîtrai plus pour citoyen. (§ 14.) Un citoyen expose qu’il a le cens équestre et qu’il avait sollicité la concession du cheval d’honneur (equum publicum)[222], mais n’a pu l’obtenir à cause d’une accusation portée contre lui : Celui qui demande le cheval d’honneur doit être à l’abri de tout reproche ; prouve que ta vie est sans tache. (§ 6.) Il ne se trouve en tout cela rien de bien important pour le droit ou pour l’histoire. Cependant, si Tacite avait lu les fragments de Dosithée, il n’aurait pas reproché à Tibère sa présence dans les tribunaux. L’empereur était un chef militaire, imperator, mais il était aussi de cet âge, où la société voit surtout dans le prince un justicier à la façon de Salomon ou de saint Louis. Aux mains d’un sage, cette faculté de faire le droit, condere jura, à tout propos et sur toute question, est sans inconvénients ; aux mains d’un débauché, d’un violent ou d’un fou, elle a été déjà et elle redeviendra terrible. Hadrien, heureusement, était de la catégorie des sages. Un tel prince méritait d’être bien servi, et il le fut, parce qu’il avait la qualité qui, chez le prince, peut remplacer toutes les autres : il savait découvrir les hommes utiles et les mettre à la fonction qu’ils étaient en état de remplir le mieux. Mais les écrivains, qui nous ont gardé si peu de choses de l’empereur, ne nous disent rien de ses lieutenants. Il en avait cependant qui étaient dignes des anciens temps. Ainsi Marcius Turbo, son meilleur général, devenu préfet du prétoire, étonnait la mollesse des grands de Rome par son activité et sa vie austère. Il passait tout le jour à travailler au palais, et souvent retournait près du prince au milieu de la nuit. Jamais on ne le vit, même malade, s’enfermer dans sa maison, et Hadrien le pressant de prendre quelque repos, il répondit par le mot de Vespasien : Un préfet du prétoire doit mourir debout[223]. Sulpicius Similis était un autre gardien sévère de la discipline. Un jour, Trajan l’ayant appelé dans sa tente, lui simple centurion, avant les tribuns, il dit au prince : C’est une honte, César, que tu t’entretiennes avec un centurion, tandis que les tribuns sont debout à ta porte et attendent. Il prit malgré lui la préfecture du prétoire, la déposa dès qu’il le put, passa aux champs le reste de sa vie, sept années, et fit écrire sur son tombeau : Ci-gît Similis, qui exista soixante-seize ans et en vécut sept[224]. Le vainqueur des Juifs, Julius Severus, homme aussi d’autorité, mais en même temps de justice, avait gagné si bonne renommée dans soir gouvernement de Bithynie, que, plus d’un siècle après, son nom y était encore vénéré. Arrien est une autre preuve de la sûreté des choix d’Hadrien. Écrivain distingué, historien exact, bon général, chef habile et prévoyant d’une province frontière, il mérita l’estime de son prince, et il a gagné celle de la postérité. Cependant on reproche à Hadrien une basse jalousie et de la cruauté ; mais il est aisé de reconnaître d’on venaient ces reproches. Durant ses interminables voyages, il promenait avec lui le gouvernement sur tous les grands chemins de l’empire. Auparavant, la réalité du pouvoir restait au moins dans la capitale, et, de loin, on voyait mal la distance qu’il y avait du Palatin à la curie. Avec Hadrien, l’illusion n’était plus possible. Que faisaient donc les délaissés de Rome, les vieux politiques sans emploi, la jeunesse dorée sans guerre, sans commandements obtenus avant la première barbe[225] ? Que disait-on sous les portiques du forum de Trajan, le long de la voie Sacrée et dans toutes les maisons patriciennes ? Que le petit Grec était encore un petit esprit ; que ce provincial se plaisait avec les gens de son espèce[226] ; que ce grand ami de la paix avait peur de la guerre. On ne lui reprochait pas ses vices, qui étaient ceux de tout le monde, et pas encore sa cruauté, puisque personne ne voyait d’exécutions ; mais on insinuait qu’il avait bonne envie de faire des victimes et l’on exagérait ses travers ; on élevait à la hauteur d’affaires d’État des querelles de ménage entre lui et les sophistes dont il s’entourait. Enfin, comme son mariage était demeuré stérile, on prêtait à l’impératrice Sabine d’abominables propos, et, sans se mettre en frais d’imagination, on lui faisait répéter le mot attribué déjà au père de Néron : D’elle et de moi, il ne peut naître qu’un monstre fatal au genre humain. Il ne faisait pas bon conspirer contre un prince qui avait pour lui le dévouement absolu de trente légions. Aussi ne le fit-on qu’à son avènement, quand on le croyait mal affermi, et à la fin, lorsque, la mort approchant, on pensa que son esprit et sa main faiblissaient[227]. Mais on se dédommageait par des médisances : petite guerre dont Antonin s’était tant effrayé, qu’il n’avait point osé, durant tout son règne, sortir de Rome. Or, ces médisances, les badauds les écoutaient avidement et les ramassaient pour d’autres qui les écrivirent. Voilà comment nous les retrouvons dans les pauvres historiens de ce temps, Spartien et Dion, surtout le Dion du moine Xiphilin. Avec de tels écrivains, on est forcé de ne tenir aucun compte des accusations vagues, des affirmations saris preuves, lorsqu’elles sont en contradiction avec le caractère bien constaté des hommes, ou avec les événements connus. Ainsi Dion, attribuant à la jalousie l’abandon des conquêtes de Trajan et la destruction du pont sur le Danube, fait preuve d’autant d’ineptie que lorsqu’il montre Hadrien envieux des morts, même d’Homère, et se guérissant une première fois de son hydropisie en épuisant, à l’aide de la magie et des enchantements, l’eau qui enflait son corps. Spartien dit sérieusement que l’empereur avait de telles connaissances en astrologie, qu’il écrivait le soir des calendes de janvier tout ce qui devait lui arriver dans l’année. Plus loin, il accuse la violence de sa cruauté naturelle, vim crudelitatis ingenitæ, et il ajoute : ideirco multa pie fecisse[228]. Pour admettre cette cruauté naturelle, qui aurait eu le singulier effet d’être le mobile de ses bonnes actions. il faudrait autre chose que ces phrases d’où rien ne sort quand on les presse. Nous avons eu trop d’exemples de cette manie malheureuse avec un écrivain de génie comme Tacite, pour accepter sans preuves les affirmations d’auteurs de décadence, à qui manquent complètement le sens critique, le goût de l’ordre et de la précision, mais qui, en. échange, sont déjà doués de la plus niaise crédulité. On lit dans Dion : Sa jalousie contre les talents supérieurs ruina un grand nombre de gens et causa la perte de quelques-uns. C’est ainsi qu’il chercha à se défaire de Favorinus le Gaulois et de Denys le Milésien[229]. On pourrait croire, d’après ces paroles, qu’il arriva à ces deux hommes quelque fâcheux accident. Or Denys fut fait chevalier romain et Favorinus mourut plein de jours dans les dernières années d’Antonin. Repris une fois par le prince au sujet d’une expression, il s’était aussitôt rendu, et, ses amis le raillant d’avoir cédé si vite, il avait répondu : Vous ne me persuaderez jamais que l’homme le plus savant de l’univers ne soit pas celui qui commande à trente légions. Il serait juste de laisser ce mot au compte de la lâcheté du sophiste ; on le met à la charge du prince, qui apparaît alors comme incapable de supporter la plus légère contradiction. On rapporte du même personnage qu’il s’étonnait de trois choses : Gaulois, il parlait grec ; eunuque, il avait été accusé d’adultère ; enfin, haï de l’empereur, il vivait encore. L’eunuque n’était point modeste, en se vantant d’avoir été l’objet de la haine d’un empereur ; et s’il conserva, comme il semble[230], la faveur d’Antonin, c’est qu’Hadrien ne l’avait pas même chassé de sa cour. Tout le mal peut-être qu’il en avait reçu avait été de se voir préférer d’autres sophistes. Denys de Milet et le philosophe Héliodore perdirent aussi de leur crédit ; mais Épictète garda le sien, et Arrien, son disciple, fut tiré des livres pour être fait consul. Nous savons qu’Hadrien aimait à s’entourer de lettrés et d’artistes, race autrefois disputeuse et république pleine d’orages, parce que la vanité y était toujours surexcitée. Le prince peut te donner des richesses et des charges, disait Denys à Héliodore, qu’Hadrien venait de prendre pour secrétaire, mais jamais il ne fera de toi un orateur. Que cette humeur difficile t’ait, à certains jours, fatigué, et que, dans ses disputes avec eux, sur un point de grammaire ou de philosophie, il leur ait rappelé, par une réplique impérieuse, la qualité de leur contradicteur, on ne devrait pas s’en étonner. Il aimait à rire et excitait des batailles où il rendait vers pour vers, trait pour trait, sans toujours en émousser la pointe[231]. Un de ces sophistes[232] réclame les immunités que la loi accorde aux philosophes : Lui, un philosophe ! répond Hadrien, quelle erreur ! et il refuse. Le mot était dur et le procédé désobligeant ; mais d’une parole, même acérée, à un coup de hache, la distance est grande, et je ne crois pas qu’elle ait été franchie par le prince, qui aimait trop les lettres pour en persécuter les représentants. Il honora et enrichit, dit son biographe, tous ceux qui se livraient à l’enseignement, et en éloigna, mais après les avoir comblés de biens, ceux qui n’étaient pas capables de soutenir la renommée de leur profession[233]. C’est notre mise à la retraite avec tous les honneurs de la vétérance. Remarquons, sans nous arrêter à leur histoire, que sous ce règne florissaient : Plutarque, un des maîtres d’Hadrien ; Suétone, son secrétaire, qu’il disgracia pour une offense à l’impératrice ; Phlégon, son affranchi, qui écrivit, sous la dictée du maître, son histoire ; Arrien, habile et savant capitaine ; Ptolémée, l’illustre géographe ; Pausanias, Aulu-Gelle ; enfin un grammairien fameux, Apollonius Dyscole ou le Bourru. Juvénal venait de mourir, et Lucien, Apulée, n’avaient encore rien écrit. Ainsi l’érudition domine et la grande littérature est morte, car bien que tout le monde fasse des vers ou déclame, on ne trouve ni un orateur ni un poète. Nous avons pu faire bon marché des querelles d’Hadrien
avec les sophistes, mais il resterait une tache odieuse sur son nom, s’il
était vrai qu’Apollodore eût été mis à mort en représailles de critiques
contre un projet de temple dessiné par l’empereur. J’ai peine à croire à
cette méchante action, et ce qui s’y rapporte est fort obscur. On dit que, du
vivant de Trajan, Apollodore se brouilla avec le futur empereur, en le
renvoyant à ses peintures un jour qu’Hadrien voulait lui parler de
constructions, et l’on fait de cette rudesse le motif de sa disgrâce.
Cependant il resta encore en faveur, puisque le nouveau prince le chargea de
faire un colosse qu’il voulait consacrer à Il est une question que, à l’époque où nous sommes arrivés de l’histoire de l’empire, il faut se faire au sujet de chaque prince : Quelle conduite a-t-il tenue à l’égard de ceux qu’on appelait les désespérés et qui à l’apothéose de l’empereur opposaient celle du crucifié ? La croyance qui finit se rencontre avec celle qui commence, et elles se mêlent comme deux fleuves arrivés à leur confluent : des sectes chrétiennes différaient si peu des païennes que, à regarder de loin et vite, on distinguait mal les dévots des deux religions. On a lu une lettre d’Hadrien dont nous avons omis, pour le reprendre ici, un passage qui se rapporte aux chrétiens. En Égypte, dit-il, les chrétiens sont des adorateurs de Sérapis, même ceux qui se disent les évêques du Christ. Dans ce pays, il n’y a ni rabbin juif, ni samaritain, ni prêtre chrétien qui ne soit astrologue, devin et charlatan[236]. Le patriarche même, lorsqu’il vient en Égypte, est forcé par les uns d’adorer Sérapis, par les autres le Christ. Ces paroles attestent une certaine préoccupation de la question religieuse dont le monde était alors troublé. Il est évident qu’Hadrien prit quelque souci des problèmes qui s’agitaient au-dessous de lui ; mais, comme les puissants et les heureux du jour, qui regardent de loin et dédaignent les idées nouvelles, il a vu, sans bien comprendre, et, comme beaucoup d’autres aussi, il confondit avec le bien des chrétiens celui dont les Lagides avaient fait le Dieu suprême de la vie, de la mort et de la résurrection. Cependant l’empereur aurait dû être mieux au courant des
dogmes chrétiens, car, à Athènes, il avait admis Aristide, philosophe
converti, et l’évêque Quadratus, le premier apologiste, à lui présenter la
défense de leur foi (126).
L’Église, avec son organisation et ses rites, alors fort simples, ne pouvait
inspirer d’inquiétude à un prince qui, dans ses voyages, avait rencontré tant
de systèmes, de croyances et de cultes divers, que le vieil esprit romain,
étroit et dur, avait été tué en lui pour faire place à l’esprit de tolérance.
Les chrétiens, qui prétendaient guérir des malades et ressusciter des morts[237], lui semblaient
avoir autant de droit à vivre tranquilles que les prêtres de Sérapis, qui
s’attribuaient le même pouvoir. Il n’avait nulle envie de les accuser, comme
Domitien, de judaïser, comme Trajan, de former des sociétés secrètes, et il
rattachait leur dogme de Hadrien, qui avait changé les anciennes façons de régner, changea donc aussi les vieilles maximes de gouvernement ; et, puisqu’il mettait le salut de l’empire dans la vigilance et la fermeté de l’empereur, incessamment portées sur tous les points du territoire, c’est-à-dire dans une sagesse toute terrestre, il n’avait plus besoin de le mettre dans la protection de la religion officielle. Malgré son titre de souverain pontife, il laissa les dieux d’Auguste se défendre tout seuls. Néanmoins il faut toujours faire cette réserve, que dans cet empire immense il a pu se trouver quelques villes où des chrétiens aient été victimes soit des emportements d’une populace ameutée, soit de la haine religieuse d’un magistrat imbécile ; que la police du culte appartenait aux décurions[239] et qu’ils croyaient défendre leurs dieux en accusant ceux qui les attaquaient. C’étaient des violences locales contre lesquelles les provinciaux étaient sans défense. Ceux qui, en très grand nombre à cette époque, avaient le titre de citoyens, étaient seuls à l’abri de ces jugements précipités qui tourmentaient la conscience de certains fonctionnaires. Plusieurs, entre autres Licinius Silvanus Granianus[240], proconsul d’Asie, écrivaient à l’empereur qu’il ne leur paraissait pas juste de mettre un homme à mort parce que la populace criait : Le chrétien aux bêtes ![241] Nous avons une des réponses d’Hadrien, celle qui fut adressée à Minucius Fundanus, successeur de ce sage personnage. Saint Justin l’a insérée en entier dans sa première Apologie, et Eusèbe en a mis une traduction grecque dans son Histoire ecclésiastique. Sans retirer les instructions si précises de Trajan à Pline, ce qui aurait été l’équivalent d’une reconnaissance officielle du christianisme, Hadrien semble avoir cherché, par le vague de sa réponse, à fournir aux juges un prétexte de ne frapper les chrétiens que pour des délits de droit commun. Si quelqu’un, dit-il, accuse les chrétiens et prouve qu’ils font quelque chose contre les lois, jugez-les selon la faute qu’ils auront commise ; s’ils sont calomniés, punissez le calomniateur[242]. On dira que c’était n’accorder rien, puisque les lois de l’empire condamnaient les chrétiens. Sans doute, mais d’abord, par son rescrit, Hadrien interdisait la violence, les exécutions tumultuaires, et faisait une obligation de la procédure légale ; ensuite, dans un gouvernement absolu, les lois valent ce que vaut l’esprit qui les applique ; et il faut bien que, sous les termes équivoques dont Hadrien s’était servi, l’administration impériale ait mil la tolérance qui était dans la pensée de son chef, puisque saint Justin trouvait que ce rescrit contenait tout ce que les chrétiens pouvaient demander aux empereurs[243]. Antonin ne songera pas plus que son prédécesseur à donner au christianisme une existence légale, incompatible avec les lois et la constitution même de l’empire, mais il leur accordera la tolérance de fait, qui devait d’abord lui suffire. Que serait-il advenu si cette politique avait été continuée par les successeurs de ces deux princes ; si les uns n’avaient pas cherché à étouffer le christianisme dans le sang ; si les autres ne lui avaient pas livré le gouvernement en le faisant asseoir à côté d’eux sur le trône ? On eût évité tous les crimes commis par la persécution, qui exalta l’héroïsme des martyrs, mais aussi la haine contre la société païenne, ses arts, sa littérature ; et le christianisme, s’infiltrant peu à peu dans les esprits, eût paisiblement transformé le monde, sans se faire d’abord pouvoir public, ensuite puissance territoriale, ayant la force et en usant, faisant des martyrs après en avoir donné. Alors il eût été pour l’empire un élément de régénération, au lieu d’être une cause de dissolution. Mais le gouvernement du monde appartient à la passion bien plus qu’il la sagesse, et cette idée de la séparation du temple et du forum, ou, pour l’appeler par son nom moderne, la séparation de l’Église et de l’État, qui n’entra jamais dans une tête grecque ou romaine, est un fruit qui aura mis des milliers d’années à mûrir. Pour Hadrien, il lui reste l’honneur d’avoir agi comme
s’il avait eu le respect réfléchi de la conscience religieuse. Sous lui, nul,
par ordre du prince, ne souffrit pour ses croyances, dans sa personne ou dans
ses biens. Il eut cependant une guerre atroce de religion. Aux premiers jours
de son règne, ses généraux avaient écrasé l’insurrection juive qui avait
éclaté sous Trajan, à Cyrène, en Égypte, dans l’île de Chypre, où
l’exploitation des mines de cuivre, concédée par Auguste à Hérode, à
condition d’en partager les revenus avec le fisc impérial, avait attiré un
très grand nombre de Juifs. Comme dans toutes les guerres faites au nom du
ciel, il avait été commis de part et d’autre d’abominables cruautés. En
Chypre seulement, deux cent quarante mille personnes avaient péri ; et
défense avait été faite aux Juifs, sous peine de mort, de mettre le pied dans
l’île : celui même que la tempête y jetait n’obtenait pas merci[244]. Ailleurs,
pareilles cruautés : on parle non seulement de tortures, mais d’immenses
égorgements, de cadavres mangés. Dans Cette fois, c’étaient les colonies qui avaient pris les armes. Épuisée de sang, et d’ailleurs contenue par de puissantes garnisons, surveillée par d’habiles généraux, la mère patrie n’avait pas eu la force de recommencer la grande guerre par les armes ; mais elle continuait la lutte par l’esprit, et, sur les ruines de la patrie matérielle, quelques hommes s’étaient donné la lâche de refaire la patrie morale du peuple hébreu. Après la chute de Jérusalem, lis docteurs de la loi qui avaient survécu à l’épouvantable catastrophe s’étaient réfugiés à Iabné (Jamnia), plus tard à Tibériade, et y avaient ouvert des écoles qui entretenaient le zèle pour la loi parmi ces vaincus que rien ne pouvait abattre, parce qu’ils se sentaient en possession d’une doctrine supérieure à la force qui les avait accablés. Ce peuple était comme le roseau de Pascal : quand le monde l’écrasait, il se croyait encore plus grand que le monde, et il avait raison rie le croire, car à la fin il l’a vaincu, en lui imposant son dogme. C’est par les écoles, par la science telle qu’on l’entendait alors, que le mouvement national fut préparé, et c’est en elles que les Juifs placèrent leurs espérances de salut. La légende d’Akiba, le plus célèbre de ces docteurs de la loi[246], en est un touchant témoignage. Dans sa jeunesse le nouveau Moïse gardait les troupeaux de Kalba Schéboua. La fille du maître, frappée de la vertu du jeune berger, lui proposa de l’épouser, mais à la condition qu’il irait auparavant s’instruire et gagner des disciples. Akiba partit ; au bout de douze ans, il revenait suivi de douze mille disciples, lorsqu’en approchant de la maison de sa fiancée il entendit le père qui disait avec colère à sa fille : Insensée ! Jusques à quand veux-tu attendre, dans le veuvage, celui qui t’a quittée ? Et elle répondait : Si mon époux veut faire selon mon désir, il passera douze années encore à étudier. Akiba aussitôt retourne à ses livres, et, après le temps prescrit, revient avec vingt-quatre mille disciples. Sa fiancée court à la rencontre de celui qui est devenu le plus célèbre des docteurs de la loi, se prosterne à ses pieds et embrasse ses genoux. Les disciples veulent écarter cette femme en baillons, dans laquelle ils n’ont pas reconnu la patrie en deuil ; mais le maître s’écrie : Que faites-vous ? C’est à elle que nous devons tous notre science. Jusqu’alors, parmi les Juifs, l’enseignement avait été
oral, traditionnel ; la loi seule était écrite. L’école de Tibériade,
prévoyant de nouveaux malheurs et une nouvelle dispersion, résolut, de
rédiger, après les avoir discutées finie dernière fois, toutes les décisions
des docteurs, toutes les prescriptions que l’usage avait introduites, toutes
les règles de conduite que la sagesse avait trouvées. C’était le code des
lois civiles et religieuses, Quand l’école de Tibériade eut préparé cet immense
travail, une dernière tempête pouvait s’élever et les Juifs de Pour prévenir le retour de ces insurrections qui mettaient en péril la paix de l’Orient, Hadrien n’avait pas recouru à la persécution religieuse contre les individus. Il crut qu’il les ferait renoncer à leurs indestructibles espérances dans la venue d’un messie, s’il leur prouvait l’inanité de ces promesses en effaçant jusqu’au nom de Jérusalem. Sur les ruines du temple campait, depuis le grand siège, une partie de la légion Xa Fretensis[247] ; Hadrien l’occupa à déblayer le sol, et, en l’année 122 (?), une colonie nombreuse vint s’établir au pied de la montagne de Sion. La cité de David prit le nom de l’empereur et de Jupiter Capitolin, Ælia Capitolina. Aux lieux où chaque année les fidèles venaient adorer Jéhovah, le Dieu unique, ils trouvèrent les autels de toutes les divinités de l’Olympe. Le signe même de leur foi fut proscrit : la police impériale défendit aux Juifs de pratiquer leur baptême sanglant sur des hommes de race étrangère[248]. Les Juifs paraissaient résignés à la perte de leur indépendance politique ; ils se soulevèrent pour venger l’outrage fait à leur Dieu (132). Des insurrections éclatèrent sur différents points ; puis tout le peuple s’arma sous la conduite d’un homme qui montra tant de courage et d’audace, que les Juifs, encore une fois trompés par l’éternelle illusion, virent en lui le sauveur promis, l’étoile qui devait sortir de Jacob. Akiba, reconnaissant en lui le messie promis à Israël, lui remit, en présence des chefs de la nation, le bâton de commandement et lui tint l’étrier lorsque le fils de l’Étoile, Bar Kokaba, monta son cheval de guerre[249]. Les Romains surpris éprouvèrent d’abord des échecs qu’on
dissimula, et, durant trois années, le chef national fut maître dans la montagne royale, chaîne de hauteurs qui
s’étend de Lorsque, en voyant le chef de l’insurrection, Akiba s’était écrié : voilà le Messie ! un docteur lui avait répondu : Akiba, l’herbe aura poussé entre tes mâchoires avant que le Messie paraisse[254] ; et il semblait que cette dure parole fût vraie pour la race elle-même. L’œuvre de sang avait échoué, et l’on pouvait croire ce peuple anéanti mais l’œuvre de l’esprit triompha. On eut beau les disperser sur tous les continents et
déchaîner contre eux toutes les colères, comme Énée, emportant des ruines de
Troie les dieux pénates et le feu sacré pris au foyer national, les fugitifs
étaient liards avec une nouvelle arche d’alliance. L’école de Tibériade,
continuée dans l’ombre, acheva le grand travail de Le peuple de l’Unité, qui jamais n’a voulu qu’un seul Dieu et un seul temple, n’a eu besoin que d’un seul livre pour ne pas périr. Quel triomphe de la pensée sur la force[255] ! Cependant Hadrien avançait en âge ; les années sombres étaient venues avec la vieillesse et les infirmités ; il fallait songer au futur empereur. Se souvint-il des paroles de Tacite : Naître d’un prince est un fait du hasard, mais l’adoption va au plus digne, parce que celui qui adopte sait ce qu’il fait et a pour guide l’opinion publique ? Ou bien de celles de Pline le Jeune disant à Trajan : C’est entre tous qu’il faut choisir celui qui doit commander à tous[256] ? Ce système excellent, mais si difficile à pratiquer, fut heureusement imposé à Hadrien par la nature. Comme tous les princes depuis César, à l’exception de Claude et de Vespasien, Hadrien n’avait pas eu de fils. Il se fit, autoriser par le sénat à nommer son successeur, autorisation qu’il était habile de demander, dangereux d’obtenir, car si elle donnait d’avance la consécration légale à l’élu du prince, ce qui était une garantie d’ordre, elle mettait en mouvement toutes les ambitions et suscitait des espérances que la déception devait changer en mécontentement. De là à des paroles imprudentes, à des intrigues coupables, la pente était facile, et au bout se trouvait le prince irrité, avec le devoir de défendre son successeur et lui-même, c’est-à-dire la paix publique. Il hésita longtemps, et comme un de ses amis s’en étonnait : Il vous est bien aisé, reprit-il, de parler ainsi, à vous qui cherchez un héritier pour vos biens et non pour l’empire. Enfin, il se décida en faveur de L. Ceionius Commodus Verus, gendre de ce C. Avidius Nigrinus qui avait conspiré contre lui[257]. Était-ce une réparation accordée à la famille d’un homme qu’il avait aimé et une protestation contre la hâte du sénat à le faire mourir ? Dans tous les cas, Hadrien, par cette résolution, se montrait au dessus des rancunes d’une âme vulgaire. Un don de 300 millions de sesterces aux soldats et de 100 millions au peuple garantit leur assentiment. Verus, d’une vieille famille d’Étrurie, avait, dit son
biographe, une beauté royale, et coite beauté servit, de prétexte aux
mauvaises langues de Rome pour expliquer son adoption. L’homme qui, après
Verus, assura l’empire à Antonin et à Marc-Aurèle, ne peut avoir été décidé
par les ignobles motifs que l’on donne. D’ailleurs Verus avait de
l’éloquence, des talents, quoiqu’il menât la vie élégante et voluptueuse des
riches patriciens. Il avait déjà trouvé le mot de Louis XIV sur le rôle
respectif des reines et des maîtresses du roi, et il répondait à sa femme qui
lui reprochait quelque infidélité : Le nom
d’épouse est un titre pour la dignité, non un droit pour le plaisir.
Envoyé, après son adoption, dans Le choix, en effet, qu’Hadrien venait de faire, et la santé chancelante de l’empereur, sa présence à Rome ou aux portes de la ville, dans son palais de Tibur, par conséquent la facilité de frapper un coup, avaient encouragé l’aristocratie romaine à reprendre ses vieilles et chères habitudes[258] : elle conspira, et les complots firent des victimes. Ces tragédies sont pour nous fort obscures. Il est certain que des tètes tombèrent et que le sénat s’irrita ; mais il ne l’est point que le plus modéré des empereurs ait renoncé sans cause à sa modération. Ces changements à vue dans le caractère et la conduite d’hommes mûris par l’âge et l’expérience ne se font que dans les écoles des rhéteurs. Le prince qui, durant vingt années, n’avait frappé personne, qui, offensé par de certaines gens, au lieu de les punir, se contentait d’écrire en leur province qu’il leur retirait son amitié[259], ne devint pas soudain un bourreau ; il dut rester ce que nous savons qu’il était : un justicier. Dion ne lui impute que deux condamnations : au commencement de son règne, celle des quatre consulaires mis à mort par le sénat à l’insu du prince ; à la fin, celle de Servianus et de son petit-fils Fuscus, qui avaient désapprouvé, dit-il, l’élection de Verus. Servianus, beau-frère du prince, lui avait joué d’assez mauvais tours. Quand, à la mort de Nerva, Hadrien courut annoncer à Trajan qu’il était empereur. Servianus avait employé tous les moyens de le retarder, pour empêcher qu’il n’arrivât avant le courrier que lui-même expédiait. Une autre fois il avait réussi à indisposer Trajan, en révélant à l’oncle des dettes du neveu. Hadrien n’avait pourtant pas gardé souvenir de ces mauvais procédés, et en maintes occasions il avait honoré Servianu9 par des marques publiques de déférence ; Spartien prétend même qu’il l’avait déclaré digne de l’empire[260]. A quatre-vingt-dix ans Servianus était trop âgé pour y prétendre, sans être assez sage pour éviter les apparences d’une ambition dangereuse[261]. Il se bornait sans doute à désirer que l’empereur adoptàt son petit-fils. Mais Fuscus, âgé de dix-huit ans en 137, n’en ayant par conséquent que quatorze ou quinze quand s’agitait la question de la succession à l’empire, ne pouvait être choisi par un prince qui voyait déjà les signes avant-coureurs de sa fin. La faveur croissante de Verus indisposa Servianus, qu’un troisième consulat en 134 ne put calmer. Fuscus, encore moins réservé, se laissait troubler par de prétendus prodiges qui lui promettaient la souveraine puissance. Il faut qu’autour d’eux se soit formé un parti capable de créer à Verus des embarras et dans l’empire des désordres, pour que le prince sensé que nous connaissons ait fait tuer ce jeune fou et n’ait pas attendu la fin naturelle d’un vieillard arrivé à l’extrême limite de la vie. Ces deux exécutions n’en font pas moins tache dans la vie d’Hadrien. Spartien mentionne d’autres personnages tombés à cette
occasion dans la disgrâce du prince, deux individus qu’il força de se donner
la mort, même des soldats et des affranchis qu’il
persécuta[262]. Mais
étaient-ce des accès de colère aveugle ou l’exécution de justes sentences ?
Faute de renseignements, l’on ne peut répondre à cette double question.
Seulement, cet auteur écrit que l’adoption d’Antonin déconcerta beaucoup de
prétendants ; que Catilius Severtas, préfet de On parle aussi de la mésintelligence qui existait entre
Hadrien et l’impératrice. Ces détails de ménage ne regardent pas l’histoire
politique ; cependant, comme Dion rapporte des mots cruels de Sabine et qu’on
est allé jusqu’à supposer que son époux l’empoisonna[264], il faut bien
faire remarquer ici encore une invraisemblance. En 120, du fond de Verus ne vécut que peu de temps après son adoption[268]. Je me suis appuyé sur un mur croulant, dit Hadrien, et il chercha un autre successeur. Dion raconte qu’il convoqua au palais les plus considérés des sénateurs, et leur parla ainsi : Mes amis, la nature ne m’a pas accordé de fils, mais vous m’avez permis par une loi d’en adopter un, sachant bien que souvent la nature donne au père un enfant estropié ou imbécile, tandis que, cherchant avec soin, on peut en trouver un qui soit aussi bien constitué de corps que d’esprit. C’est ainsi que j’avais d’abord choisi Lucius, qui était tel que je n’aurais pu espérer qu’il naquit de moi un fils pareil à lui. Puisque les dieux nous l’ont enlevé, j’ai choisi pour le remplacer un empereur d’une naissance illustre, doux et prudent, de commerce facile, que son âge met à distance égale des témérités de la jeunesse et des négligences des vieillards ; soumis aux lois et aux coutumes de nos aïeux, n’ignorant rien de ce qui concerne le gouvernement et résolu à user honnêtement du pouvoir. Je parle d’Aurelius Antoniaus que voici. Bien que je sache sa profonde aversion pour la vie publique, j’espère qu’il ne refusera ni à moi ni à vous de se charger d’un pareil fardeau, et que, malgré son désir contraire, il acceptera l’empire[269]. Ce sont là paroles de prince, et le choix était décidé par des raisons sérieuses. En cherchant cette scène dans Aurelius Victor, on verra ce que les anecdotiers font de l’histoire. Antonin n’était ni le parent ni l’ami particulier du prince ; il fallut même lui laisser quelque temps pour qu’il se décidât à prendre ce qui n’était pour lui que des chaînes dorées. Comme il n’avait plus de fils, Hadrien usa de son autorité supérieure pour lui constituer une famille légale : il lui fit adopter le fils du César qui venait de mourir, et M. Annius Verus, dont l’esprit supérieur et le grand caractère l’avaient déjà frappé ; aussi se plaisait-il à l’appeler, en jouant sur son nom, le très véridique, Verissimus. Ces choix réfléchis qui ont donné aux Romains deux de leurs meilleurs princes et au monde un grand homme, cette double adoption qui garantit l’empire, durant deux générations, contre les révolutions de caserne, ne sont pas d’un esprit étroit et jaloux. Il faut admirer la prévoyance d’Hadrien et lui tenir compte d’une vertu peu commune : il n’a pas craint de prendre des successeurs qui pouvaient l’éclipser. L’adoption de Verus avait fait des victimes, celle
d’Antonin ne fit que des mécontents, entre lesquels se trouva le préfet de Les affaires de l’État réglées, le prince voulut terminer
les siennes ; il souffrait cruellement et demandait avec instance du poison
ou une épée, et, comme on les lui refusait, il se plaignit de n’ètre pas
libre de s’ôter la vie, quand il avait encore pour les autres le pouvoir de
donner la mort. II mourut ( Ma
petite âme, ma mignonne, Tu
t’en vas donc, ma fille, et Dieu sache où tu vas ! Tu
pars seulette et tremblotante, hélas ! Que
deviendra ton humeur folichonne ? Que
deviendront tant de jolis ébats ? Cette boutade était bien de l’homme qui, en adoptant Verus, disait : Je vais faire un dieu ! Et qui volontiers aurait dit avec Rabelais : Je vais chercher un grand peut-être. Nous croyons avoir mis dans son vrai jour la figure originale de ce prince, et lui avoir restitué la physionomie que ses maladroits biographes n’ont pas su tracer. Ainsi ce pacifique, qui, durant un règne de vingt et un ans, ne fit pas une seule guerre, est de tous les empereurs celui qui maintint dans les légions la plus rigoureuse discipline, et dans l’État la paix la plus profonde[273]. Cet Athénien à qui l’on ne passe point certain vice dit temps, mais à qui l’on passerait volontiers un peu de mollesse, était plus sobre que Caton[274]. Ce voyageur qui ne semble occupé que, de la beauté des sites et des monuments, ce philosophe qui se plait aux discussions d’école, regarde à tout : administration civile, administration militaire, et en tout il met un ordre excellent. Vaniteux, assure-t-on, il dédaigna les titres et la pompe[275] ; envieux de tous les talents, il leur fournit plus d’occasions que nul autre de se produire ; lettré irascible et jaloux, il honora les lettres et pensionna les savants. Enfin, si l’histoire avait le moyen de contrôler certains actes cruels qu’on lui impute, elle n’aurait probablement à montrer en lui qu’un justicier. Par le monument de Lambèse, par Dion Cassius et Spartien,
nous savons ce qu’Hadrien demandait à ses soldats ; par le Périple
d’Arrien, ce qu’il exigeait de ses capitaines ; par Son règne marque, entre ceux d’Auguste et de Constantin,
le second âge de la monarchie impériale, celui qui fut tout à la fois le plus
brillant et le plus heureux. Nous en avons la preuve dans ces constructions
qui se voient encore au désert de Syrie et jusque dans les oasis africaines.
Ces colonnades sans fin, ces rues monumentales, ces restes de temples
gigantesques, et les ruines majestueuses de Palmyre, de Baalbeck, de Cérasa,
etc., qui sont de l’âge des Antonins, ont été l’œuvre d’un peuple heureux et
riche. Après la grande terreur de l’an mil,
dit un écrivain du moyen âge, la confiance et la
sécurité revenant, on se mit partout à rebâtir les basiliques, et le monde
revêtit la robe blanche des églises. Il en avait été de même dans
l’empire et par des causes analogues. Cette floraison de l’art qui s’épanouit
en monuments splendides, des bords du Rhône à ceux de l’Euphrate, c’est le
produit de la paix romaine. Depuis deux siècles, point de guerres étrangères,
ou du moins point d’inquiétudes sérieuses sur les frontières ; à l’intérieur,
sauf les désordres qui suivirent la mort de Néron, point de guerres civiles ;
dans les cités, point d’émeutes. Docilement rattachée à l’ordre social par
les bénéfices de la clientèle, à ses institutions municipales par les
habitudes de bienfaisance ou les libéralités vaniteuses des riches, à
l’empire par le bien-être qu’elle devait au développement de l’industrie, du
commerce, des travaux publics et de la colonisation[276], la populace ne
songeait pas à troubler la double aristocratie de naissance et d’argent qui
remplissait les charges, mais payait en largesses la rançon de son pouvoir et
de son orgueil. Le règne d’Hadrien est le point culminant de cette prospérité
où, grâce à lui, son successeur put retenir le monde ; et, contre l’habitude,
les contemporains, sinon à Rome du moins dans les provinces, en eurent le
sentiment et en conçurent de la reconnaissance. Parmi les douze cents
médailles que l’on connaît d’Hadrien[277] un grand nombre
furent le produit de flatteries officielles ; mais peut-on dire que
quelques-unes ne reflétaient pas l’opinion vraie des populations, celles, par
exemple, qui portent la légende : Felicitati Aug. Sur l’une de
ces monnaies, Hadrien et Hadrien aurait-il pu faire davantage ? Nous avons reproché au premier empereur[279], alors qu’il était le maître du jeu du monde, de n’avoir pas donné à son empire la forme d’une pyramide inébranlable, en le construisant par assises superposées : à la base, les curies de ville avec la liberté municipale ; au-dessus, les assemblées de province avec des pouvoirs effectifs ; plus haut, le sénat en rapport étroit avec l’aristocratie provinciale et s’y recrutant ; au sommet, l’empereur couvert et contenu par des institutions monarchiques. Hadrien pouvait encore accomplir ce qu’Auguste n’avait osé entreprendre, et avec plus de facilité, parce qu’il connaissait mieux les provinces, qu’il y avait une popularité meilleure et qu’elles-mêmes comptaient alors plus de citoyens romains. Mais il n’eut que le vague sentiment de cette nécessité, et ses institutions tendirent seulement à mettre dans le gouvernement plus d’ordre et de justice, sans rien ôter au pouvoir absolu, de sorte que, après comme avant lui, la fortune de l’empire dépendra des qualités ou des vices de l’empereur. Par ce côté, Hadrien se confond dans la foule de ses prédécesseurs, dont aucun n’avait su voir que les peuples qui ont connu, ne fut-ce qu’un jour, la liberté peuvent bien consentir à abandonner au prince la puissance publique, lorsqu’ils reçoivent l’ordre en échange, mais qu’ils se désaffectionnent, lorsqu’il faut remettre en ses mains jusqu’à leurs intérêts de cité et de province. Aussi l’indifférence des populations succédera bientôt à leur amour ; et, quand viendront les jours de malheur, elles n’auront pas plus de dévouement que de force pour défendre un empire qui, après avoir pris leur liberté politique, finira par prendre leur liberté civile. Cependant l’on ne peut exiger d’un homme qu’il ait été un puissant réformateur ; et l’on reste juste, en se bornant à examiner comment il a vécu dans le milieu où il se trouvait placé, quel parti il a su tirer des circonstances que l’histoire avait produites. A ce compte, malgré son idéal imparfait de gouvernement, Hadrien restera un grand prince. Et si l’on me demandait quel empereur a fait le plus de bien, quel méritait le plus d’être imité, je répondrais : Ce prince intelligent et ferme, sans lâches complaisances envers les soldats et le peuple[280], qui avait de la tolérance pour les idées et n’en avait pas pour les abus ; qui fit régner la loi et non l’arbitraire ; qui constitua une armée formidable, non pour d’inutiles conquêtes, mais afin que, derrière cet inexpugnable rempart, le génie de la paix fécondât toutes les sources de la richesse publique ; qui, enfin, aussi prévoyant à la dernière heure qu’il avait été habile durant son règne, assura au monde romain deux générations d’excellents chefs. Quand la gloire des princes se mesurera au bonheur qu’ils ont donné à leurs peuples, Hadrien sera le premier des empereurs romains. |
[1] Publius Ælius Hadrianus. Sa famille,
originaire du pays des Picentini, était d’Italica, en Espagne ; mais il était
né à Rome, le
[2] Curiositatum omnium explorator, dit Tertullien. Il aimait les joueurs de flûte, riait aux bouffonneries des mimes, amorçait l’hameçon et était assidu à la palestre. (Fronto, ad M. Ant. de fer. Als., 3.) Eleusinia sacra.... suscepit (Spartien, Hadrianus, 13).
[3] .... de suis dilectis mulla versibus composuit, amatoria carmina scripsit.... cum professoribus et philosophas, libris vel carminibus invicem editis, sæpe certavit (Spartien, Hadrianus, 14-15).
[4] Les Sentences de Secundus. Cf. le mémoire de M. Revillout, Comptes rendus de l’Acad. des inscr., 1872, p. 256.
[5] C’est le cursus honorum ordinaire. La liste de ses titres est plus complète dans l’inscription du C. I. L., t. III, n° 550, qu’on a trouvée à Athènes, au théâtre de Bacchus. Mommsen propose les dates suivantes : pour le tribunat, 105 ; pour la préture, probablement 107 ; pour la légation de Pannonie Inférieure, au commencement de 108. Son premier consulat a pu être fixé, au moyen d’un diplôme militaire récemment découvert, à l’année 108, c’est-à-dire quand Hadrien n’avait encore que trente-deux ans, et il en fallait trente-trois pour être dans la règle ; Trajan en avait trente-huit lorsqu’il avait reçu les faisceaux.
[6] Il tenait bien sa place aux dîners opimes. (Fronton, ibid.)
[7] On a dit aussi que l’affection maternelle de la sévère Plotine pour Hadrien provenait έξ έρωτιxής φιλϊας (Dion, LXIX, 1 et 10). Contre cette accusation protestent l’âge de Plotine, sa réputation attestée par Pline (sanctissima femina), par les médailles (Cf. Franke, op. cit., p. 2934, et Cohen, t. II, p. 90), par Dion lui-même, qui oublie, LXIX, 1, ce qu’il a dit, LXVIII, 5 ; enfin par l’auteur de l’Épitomé, XLII, qui, deux siècles plus tard, l’honorait comme la digne compagne de Trajan. On ignore la date de sa naissance, mais on sait qu’elle avait épousé Trajan longtemps avant l’avènement de ce prince ; elle mourut en 929. Vopiscus (Aur., 14), rappelant les diverses adoptions faites par les empereurs, cite celle d’Hadrien par Trajan.
[8] Le jour de l’avènement de l’empereur équivalait pour le nouveau prince à un jour de triomphe ; et comme les généraux républicains distribuaient aux soldats, quand ils rentraient à Rome sur le char triomphal, une partie de leur butin de guerre, l’imperator, lorsqu’il allait au Capitole remercier les dieux de l’avoir choisi, faisait largesse au peuple et aux soldats d’une portion du tribut des provinces.
[9] Spartien dit : Armeniis regem habere permisit.... Mesopotamenos non exegit tributum..., Parthos in amicitia semper habuit, quod inde regem retraxit, quem Trajanus imposuerat.
[10] Dion, LXIX, 8. Le passage de Dion est incompréhensible ; mais une médaille atteste la remise des 900 millions de sesterces. Quarante-six ans après, Marc-Aurèle remit également tout ce qui était dû au fisc depuis Hadrien.
[11] Digeste, XLIX, 2, 2.
[12] Je suis l’interprétation de M. Cohen (Méd. imp., Hadrien, n° 172), contraire à celle de Mionnet qui, dans le personnage en toge de cette médaille, voit un Jupiter, que rien n’indique.
[13] Exsecratus est principes qui minus senatoribus detulissent (Spartien, Hadrianus, 8).
[14] Quos tamen senatus omnis probasset (ibid., 17).
[15] Dion, LXVIII, 32.
[16] Dion, LXVIII, 32.
Une tradition rabbinique met Quietus en rapport avec deux Juifs d’Alexandrie,
qui étaient venus en Palestine pour y propager la révolte. (Derenbourg, Hist.
de
[17] Ad ordinandum statum civitatum. Cf. le mémoire de M. Wescher sur le Monument bilingue de Delphes, p. 21 et suiv. M. Wescher établit que Nigrinus fut tribun en l’année 105, consul suffectus entre 109 et 414, légat entre 114 et 117. Il était donc bien prés d’avoir l’âge d’Hadrien, s’il ne l’avait déjà. Quant à l’assertion que l’empereur avait songé à lui pour la succession à l’empire, elle doit être d’Hadrien, qui continua, en écrivant ses Mémoires, à vouloir se disculper de la mort des conspirateurs.
[18] Lucius Verus, adopté plus tard par Hadrien, était gendre de Nigrinus.
[19] .... multis aliis (Spartien, Hadrianus, 7).
[20] Tantum autem statim clementiæ studium habuit.... (Spartien, Hadrianus, 2). Cet Attianus, si prévoyant et si dur, était un des deux préfets du prétoire destitués.
[21] .... quod timeret ne sibi idem quod Domitiano accidit eveniret (Spartien, ibid., 19).
[22] Hadrien lui même le disait : omnibus superioribus principibus vitia imputans libertonum (Spartien, ibid., 20).
[23] M. Julius Dürr (Die
Reisen des Kaisers Hadrian) a essayé d’établir la suite chronologique de
ces voyages, mais il a été contraint d’y mettre beaucoup de points
d’interrogation. Voici la conclusion de ce savant travail : 117, en Syrie,
Palestine et Égypte (??), au commencement de novembre dans la vallée du Danube
; — 118, dans la vallée du Danube et arrivée à Rome au commencement d’août ; —
119, séjour à Rome et dans l’Italie méridionale ; — 120, séjour à Rome ; — 121,
départ pour
[24] Nous avons les médailles de vingt-cinq provinces visitées par Hadrien. Pour les historiens, il ne reste que Spartien, écrivain confus qui n’a pas plus d’art que de critique, et qui est à Suétone ce que Suétone lui-même était à Tacite, et Xiphilin, l’inepte abréviateur de Dion Cassius. Mais le siècle des Antonins est la plus brillante époque de l’épigraphie romaine, et les médailles d’Hadrien sont peut-être les plus belles de la suite impériale.
[25] Spartien, Hadrianus, 16 ; cf. 12 et 20.
[26] Dion, LXIX, 9 ; cf. Aurelius Victor ou l’auteur inconnu de l’Épitomé, XIV.
[27] Perip. Pont. Eux., chap. II et passim.
[28] De là l’accusation ridicule qu’il acheta la paix des Barbares : A regibus multis pace occultis muneribus impetrata (Aurelius Victor, Épitomé, XIV).
[29] Spartien, Hadrianus, 10.
[30] Végète, I, 27.
[31] On verra plus loin ce qu’Apollodore écrit à l’empereur sur la nécessité de donner aux hommes et aux machines la plus grande mobilité.
[32] Les cohortes d’infanterie et les turmes de cavalerie portaient, comme nos anciens régiments provinciaux, des noms de pays.
[33] Tactique, 44. Ces deux livres d’Arrien, du reste assez courts, sont pleins de curieux renseignements sur la tactique et l’armement des Romains. Pour les opérations, les engins et les travaux de siège, voyez l’étude de M. de Saulcy les Derniers jours de Jérusalem.
[34] Ordinatis impendiis.... agebat ut semper militum numerus sciretur (Spartien, Hadrianus, 10). Cet auteur ajoute (11) qu’Hadrien était très économe pour tout ce qui ne regardait que lui.
[35] LXIX, 9. Végèce, qui cite ces règlements, en tira bon parti pour son ouvrage de Re mil., I, 8. L’empereur Valérien s’autorisait encore, cent cinquante ans plus tard, des règlements militaires d’Hadrien. Cf. Vospicus, Probus, 4.
[36] Il gardait cette frugalité même au palais. Jamais, au dire de Dion (LXIX, 7) ; il ne buvait de vin au repas que les Romains appelaient le prandium.
[37] Du moins Suidas (s. v. Άδρ.) l’affirme, et l’on a l’inscription funéraire du soldat batave qui avait le premier atteint de cette façon la rive gauche du Danube. (C. I. L., t. III, n° 3676.)
[38] A militibus, propter curam exercitus nimiam, multum amatus est (Spartien, Hadrianus, 21). Il donna aux vétérans licenciés le privilége concédé par Auguste aux soldats sous les drapeaux (t. IV, p. 255, n. 3) de disposer de leur pécule, même lorsqu’ils étaient encore in potestate parentum. (Inst., II, 12, proœm.)
[39] Voyez L. Renier, Inscr. d’Algérie, p. 3, et Wilmanns, mémoire sur Lambèse, dans les Commentationes philol., 1877. La légion IIIe Aug., aidée de ses auxiliaires, avait construit une voie militaire de Lambèse à Carthage (Orelli, n° 3564, anno 123), des postes dans toutes les gorges de l’Aurès et une route qui en longeait le pied ; c’est par ces immenses travaux d’utilité publique et militaire, autant que par le nombre et la variété des exercices, que les Romains chassaient l’ennui de leurs camps.
[40] Misi quoque fabros indigenas et reliquos artifices ac
operarios (Poliorcetica, texte grec et latin avec figures,
dans la magnifique édition princeps de
[41] Rex Roxolanorum qui de imminutis stipendiis querebatur (Spartien, Hadrianus, 6). On a vu que M. Julius Dürr suppose que le séjour d’Hadrien en Mœsie précéda son arrivée à Rome, ce qu’il me paraît difficile d’admettre.
[42] Cf. sur la parenté de ces peuples, Schafarik, Slav. Alterth., t. I, p. 333-373.
[43] Du moins on a une inscription ainsi conçue : P. Ælio Rasparasano regi Roxolanorum (C. I. L., t. V, 32 ; cf. 33), qui prouve que ce nom d’Ælius, qui était celui d’Hadrien, avait été pris et porté dans cette famille royale.
[44] Orelli-Henzen, n° 6429. Celle inscription, qui relate une lettre de Septime Sévère confirmant des privilèges anciennement accordés à Tyras, montre la persistance de l’empire il protéger ces villes grecques de la côte septentrionale de l’Euxin d’où, par elles, il surveillait et contenait les Barbares de l’intérieur.
[45] C. I. L.,
t. III, n° 783. Il régna de 92 à 124. Les Romains avaient détaché Héraclée, une
des principales villes de
[46] On fait commencer
l’ère de Tyras en 56 ; mais il n’est pas certain que les lettres solitaires
marquées sur ses monnaies comme sur la plupart de celles de
[47] En 96, dans
[48] Senatus populusque
Tomitanorum. Cette inscription est de l’an 129 (C. I. L., t.
III, n, 765). Voyez les Additam., p. 997. Les médailles rapportées de Tomi par
[49] C. I. L., t. III, n° 781. Le gouverneur de Mœsie mentionné dans cette inscription porte du moins le même nom qu’un des consuls ordinaires de l’année 133.
[50] Prista (la forteresse actuelle de Rutchuk), Durostorum, qui est devenue Silistrie, Cius (Hirsova), Troesmis (Iglitza), Arrubium (Matchin), Dinogetia, Nuviodunum (Isaktcha), Ægysus (Tultcha), etc.
[51] ... Trajani gloriæ invidens.... amici deterruerunt (Eutrope, VIII, 6).
[52] C. I. L., n° 953, 1371, 1445, 1447.
[53] Son légat fit en l’année 133 construire un aqueduc à Sarmizegetusa. (Ibid., n° 1446.)
[54] On a de ces monnaies du temps d’Hadrien et jusque sous Gallien. (Creppo, p. 103.) Au lieu du glaive recourbé, Cohen voit une faucille. (T. II, Adr., n° 770.)
[55] Cette opinion vient, chez les modernes, d’un passage du livre LCVIII, chap. 13, de Dion, où il est dit qu’Hadrien fit enlever la partie supérieure du pont. Mais ce livre n’est point le texte même de l’historien, et Xiphilin, après avoir cité la très exacte description faite par son auteur, a tout naturellement ajouté que depuis longtemps le pont ne servait plus. Il dit, il est vrai qu’Hadrien en avait fait enlever le tablier. S’il était prouvé que le mot fût de Dion, il n’y aurait pas à y répondre, parce que Dion était presque un contemporain. Mais l’assertion ayant contre elle toutes les vraisemblances historiques, il fait l’attribuer à l’abréviateur, écrivain du onzième siècle, qui aura ramassé une de ces calomnies rétrospectives dont Hadrien a été la victime pour des raisons qu’on expliquera plus tard et qu’on ne lui avait pas épargnées de son vivant, à propos de l’abandon des conquêtes de Trajan ; or on a vu les causes très légitimes de cette dernière résolution.
[56] Eusèbe met dans sa Chronique pour l’an 120 : bellum contra Sauromatas gesium. Ils finirent par faire porter à Rome leur soumission. (Dion, LXIX, 15.)
[57] Dacia Turboni credita titulo Ægyptiacæ præfecturæ, quo plus
auctoritatis haberet, ornato (Spartien, Hadrianus, 7). Le
préfet d’Égypte avait τήν
τεϋ Βασιλέως
τάξιν (Strabon, XVII, p. 797) ; loco regum, dit Tacite (Hist., I, 11).
Turbo ne fut pas revêtu de la préfecture d’Égypte, il eut seulement les
avantages attachés à ce titre. Il y avait alors les magistrats effectifs (consulatu, prætura,
etc., fuerti), les magistrats honoraires
(allecti int. cons. præt., etc.) et ceux
à qui le sénat donnait les ornamenta consul. prætor., etc. Ceux-là n’avaient
pas voix délibérative au sénat. (Tacite, Annales, XI, 4 et 38 ; XIII, 53
; Mommsen, I, 369, et Caillet, Op. laud.)
[58] Il avait tué, dit Eusèbe (Hist. ecclés., VI, 11), plusieurs myriades de ces malheureux.
[59] Un diplôme
militaire de l’an 129 (C. I. L., t. III, p. 876) nomme
[60] Probablement
[61] Divo Hadriano Mursenses conditori suo (C. I. L., t. III, n° 3219). La ville paraît avoir été en partie construite par la légion IIe Adjutrix. Une inscription d’Aquincum est consacrée à la mémoire d’un Canabensis ou cabaretier de cette ville, quelque marchand venu là de Cologne. (Musée de Pesth, par E. Desjardins, n° 180.)
[62] L’inscription la plus ancienne, trouvée à Brigetio (C. I. L., t. III, n° 4356), porte le nom d’un légat qui avait été consul sous Hadrien, en 134. La ville n’avait d’abord été qu’un village de vivandiers et de vétérans. Ainsi l’inscription n° 4298 est consacrée par un vétéran de la légion Ie Adjutrix devenu décurion de Brigetio.
[63] Municipium Ælium. Mommsen croit, mais sans en donner de preuves, que c’est plutôt à Antonin qu’elle dut ce nom (C. I. L., t. III, p. 550). Trajan semble avoir été surtout préoccupé en Pannonie de sa grande colonie de Pætovio, où resta l’administration supérieure de la province (ibid., p. 590).
[64] Il y avait trois
légions dans
[65] C’était l’opinion de Pighius, qui inspire des doutes à Orelli (n° 496) et que Mommsen combat (C. I. L., t. III, n° 5536).
[66] Le Teufelmauer,
qui avait une étendue de 200 milles, reproduit les principales dispositions dit
Vallum Hadriani ; c’était un rempart en
terre, sans doute palissadé, et précédé d’un large fossé, mur en pierres avec
tours d’observation, et, en arrière, une route militaire près de laquelle
étaient les camps retranchés. L’ouvrage improprement appelé fossé de Trajan,
dans
[67] Celui de Solway à
l’ouest et l’estuaire de
[68] Through rocks of sandstone, limestone and basalt
(Collingwood Bruce, the Roman Wall, p. 55, 3e édit. 1867,
fort beau travail dont le duc de Northumberland, avec la libéralité habituelle
à la noblesse d’Angleterre, a favorisé de toutes les manières la publication).
A la descente des hauteurs de Carvoran à Thirhvall, le fossé a
[69] On a trouvé le long du mur beaucoup d’inscriptions portant les noms des légions IIe Augusta, VIe Victrix, XXe Valeria Victrix.
[70] Collingwood Bruce, p. 95. Il ne compte que dix mille travailleurs et pense que, à deux cents journées de travail par an, il a fallu deux années pour tout achever.
[71] Bruce (p. 49)
explique ainsi les différences qui existent dans la construction, le mur ayant
en certains endroits
[72] On a trouvé quantité d’inscriptions relatives à la cohors Ælia Dacicorum près du Vallum. Sur le mélange d’hommes de tous pays dont se composait alors une armée romaine, voyez (C. I. L., t. VII, n° 1195) le diplôme militaire extrait du décret par lequel Hadrien accorda, en 154, les privilèges de l’honesta missio aux vétérans de six alæ et de vingt et une cohortes.
[73] Le savant qui a le mieux étudié le Vallurn, M. Bruce, pense que Sévère n’a fait à ces ouvrages que des réparations. Il est à noter que deux écrivains contemporains de Septime Sévère, les deux historiens les plus considérables de cet âge, Hérodien et Dion Cassius, qui étaient deux contemporains, ne parlent point du mur qu’il avait élevé en Bretagne ; c’est un siècle plus tard que Spartien le lui attribue.
[74] C. I. L., t. VII, n° 660-663 et 835.
[75] C. I. L., t. VII, n° 362, 730, 748.
[76] C’est du moins le sens donné par Hübner à ces fragments (C. I. L., t. VII, n° 498).
[77] Dureau de
[78] Périple, 5.
[79] Cf. C. I. L.,
t. III, n° 782. Henzen pense que cette garnison était fournie par l’armée de
Mœsie, mais je crois que c’était un détachement des troupes de l’Asie Mineure,
puisque le gouverneur de
[80] Il ne semble point
qu’il ait suivi, depuis Panticapée jusqu’à Byzance, la côte du pays des
Sarmates et des Thraces, littoral qui était sous la surveillance ou l’autorité
du gouverneur de
[81] Ce gouvernement
était le plus vaste de l’empire, car il comprenait
[82] M. Caillet (op. laud.) corrige ainsi une phrase incompréhensible de Spartien (Hadrien, 9) : Omnes causarios sublevavit.
[83] Voyez Revue d’archéologie, d’août 1881.
[84] On voit encore
dans le mur d’une église, près de Tournon, une inscription de l’année 119 que
les bateliers du Rhône lui avaient consacrée (Milliu. Voyage dans le
[85] Reditus quoque provinciales solerter explorans, ut, si alicubi quippiam deesset expleret (Spartien, Hadrianus, 11.)
[86] C’est l’opinion de M. Cohen, t. II, p. 174, n° 1.
[87] Spartien, Hadrianus, 11. Un passage de Fronton (de Bello Parth.) prouve qu’il y avait eu aussi une prise d’armes des Bretons et des massacres de soldats romains.... quantum militum a Britannis cæsum.
[88] De là les médailles avec les légendes Adventui Aug. Britanniæ, Exerc. Britannicus. (Cohen, Monnaies des empereurs, t. II, Hadrien, n° 594, 784, 785. Voyez aussi Hübner, C. I. L., t. V, p. 100, col. 1.)
[89] Appien, in Proœm., 5.
[90] Spartien, Hadrianus, 10.
[91] Spartien, Hadrianus, 12.
[92] Il combla Italica de bienfaits et d’honneurs
(Dion, LX1X, 10) ; plus tard, il demanda lui-même au sénat d’accorder à ce
municipe le titre de colonie (Aulu-Gelle, Noct. Att., XVI, 13), et une
inscription parle de ses libéralités à
[93] Il pleut chaque année sur le littoral, mais le Sahara reste quelquefois sept années et davantage sans pluie.
[94] La ville de
Zaghouan s’élève au pied de la montagne du même nom, dans un ravissant paysage,
sur les ruines d’une cité antique. Une porte triomphale romaine dont il ne
reste qu’une arcade de
[95] M. Léon Renier a
trouvé à Lambèse un très grand nombre d’inscriptions de cette légion depuis le
règne d’Hadrien jusqu’à celui de Constantin. Elle y était sans doute bien
longtemps avant Hadrien (cf. Tacite, Hist., II, 97 ; IV, 48, 49), et a
laissé des traces d’elle-même où les inscriptions funéraires de ses vétérans,
dans quantité de localités de
[96] Ce second voyage en Asie sera, en réalité, le troisième, parce que, après son avènement, il avait traversé lentement les provinces orientales depuis Antioche jusqu’à l’Adriatique per Illyricum.
[97] Post hæc per Asiam et insulas ad Achaiam navegavit (Spartien, Hadrianus, 13). Eusèbe (Chron. ad ann.) lui fait passer à Athènes l’hiver de 125-126, et Franz (C. I. G., t. Ill n°6281) accepte cette date.
[98] Albert Dumont, Éphébie, I, p. 118, d’après Plutarque.
[99] Le Djebel-Okra,
qui s’élève à
[100] A part Lucrèce, Virgile et quelquefois Horace, qui eurent le sentiment profond de la nature, le reste l’aimait petitement, tout en couvrant de villas les pentes de l’Apennin et les rives du golfe de Naples. Dans les longues descriptions que Pline nous a laissées de ses maisons de campagne, on voit surtout la préoccupation des aises et beaucoup de mauvais goût.
[101] Il avait été consul sous Trajan, en 108 ; il le fut deux fois seulement, après son avènement, en 118 et 119.
[102] C’est ce qui rend si confuse la chronologie de son règne, les années des empereurs étant comptées d’après le chiffre des années de leur puissance tribunitienne. La première commençait au jour de leur avènement, dies imperii, la seconde et toutes les autres, au 1er janvier des années suivantes.
[103] En 128. Eckhel, Doctr. num. vet., VI, 515 et suiv.
[104] En 135, après la guerre contre les Juifs (voy. Henzen, n° 5457).
[105] Cum, post Africam Romam redisset, statim ad Orientem projectus per Athenas iter fecit (Spartien, Hadrianus, 13).
[106] .... ejus itmerum monumenta videas per plurimas Asiæ atque Europæ urbes (Fronton, Princ. hist.).
[107] Il construisit un autre aqueduc à Dyrrachium. (Heuzey, Mission de Mac., p. 387, inscr. 472.)
[108] Éleusis commença sans doute alors à construire ses Propylées retrouvés par M. Fr. Lenormant, et qui étaient aussi grands que ceux d’Athènes. S’ils ne furent pas l’œuvre d’Hadrien, ils furent certainement la conséquence de l’impulsion qu’il avait donnée.
[109] Jamais il ne se montra hors de Rome avec l’appareil de la souveraineté. (Dion, LXIX, 10.)
[110] Son premier archontat est de l’année 112 (Fragm. Hist. Græc., III, 623, éd. Didot) où a retrouvé récemment au théâtre de Bacchus la base de la statue qui lui avait été élevée comme archonte.
[111] Spartien, Hadrianus, 13. Suivant saint Jérôme (de Vir. illustr., 19) .... omnibus pene Græciæ sacris initiatus. On verra plus loin l’inscription de l’hiérophante qui l’initia aux mystères d’Éleusis.
[112] On a trouvé en 1870, prés de Thespies, une épigramme en huit vers composée très probablement par Hadrien, et dont M. Egger a donné la traduction suivante : Jeune archer, fils de Cypris à la douce voix, toi qui habites à Thespies l’Héliconienne, près du jardin fleuri de Narcisse, sois favorable et accueille les prémices, que t’offre Hadrien, d’une ourse que, du haut de son cheval, il eut le bonheur de tuer. Et toi, en échange, puisses-tu, en dieu sage, souffler sur lui la grâce qui vient d’Aphrodite Uranie ! (Comptes rendus de l’Acad. des inscr., 1870, p. 57.)
[113] Hérode Atticus était prêtre de l’Olympiéion. (Voyez l’inscription trouvée par M. Lablache, op. cit., p. 37.) Aristide, son élève, eut le sacerdoce de l’Asie ; Favorinus, celui des Gaules.
[114] Aurélius Victor, Épitomé, XXVIII.
[115] J’ai vu, en janvier 1870, le Stade panathénaïque à peu près déblayé ; les fouilles n’avaient rien donné.
[116] Il donna aux Athéniens, outre de fortes sommes d’argent, une provision annuelle de blé, l’ile de Céphallénie et un aqueduc qu’Antonin acheva la deuxième année de son règne (Orelli, n° 511) ; il rendit un décret pour assurer l’approvisionnement de la cité en huile ; le tiers de toute la récolte de l’Attique lui fut réservé (C. I. G., n° 555).
[117] Le Panhellénion était consacré à Jupiter Panhellénien, suivant Pausanias (Att., 18), à Hadrien, suivant Dion (LXIX, 16). Spartien dit aussi (13) qu’Hadrien se dressa un autel à lui-même dans Athènes, dedicavit.... et aram sibi : opinions qui s’accorderont si l’on admet que ce temple répondait à la pensée politique qui avait fait élever, à Lyon et à Tarragone, ceux de Rome et d’Auguste. Une inscription, découverte à Tégée, donnait à Hadrien le nom de Zeus Panhellenios (Inscr. de Morée, I, p. 91).
[118] Lebas et Waddington, Voyage archéologique, Ve partie, n° 866-7.
[119] C. I. L.,
t. III, n° 548. Nous avons aussi celles de Céphallénie, Amphipolis, Thasos,
Abydos, Sestos, Sébastopol, Milet, Cypre, etc. (C. I. G., n° 331 et
suiv.). Les médailles impériales sont rares dans
[120] Abe lui avait donné un des surnoms de Jupiter, Βουλαϊος, le bon conseiller, et sa statue avait été placée à Athènes dans le lieu des séances du sénat.
[121] Le péribole du
temple avait
[122] L. Bouilhet,
[123] Lampride (Alexandre Sévère, 43) écrit : Hadrianus.... templa in omnibus civitatibus, sine simulacris, jusserat fieri, quæ hodie, idcirco quia non habent numina, dicuntur Hadriani. Un de ces temples, à Tibériade, portait encore, du temps de Constantin, le nom d’Άδριανεϊον. Ce passage de Lampride en dit plus sur les vrais sentiments d’Hadrien que les phrases banales de Spartien (Hadrianus, 23) touchant sa dévotion officielle, sacra Romana diligentissime curavit.... pontificis maximi officium peregit.
[124] Vidal-Lablache, Hérode
Atticus, p. 28 ; cf. Philostrate, Vitæ Soph.,
[125] Letronne, Inscriptions d’Égypte, I, 132.
[126] Philostrate, II, 3.
[127] Comme Cyzique et Nicomédie. (Saint Jérôme, Chron. ad ann. IV Hadr., et Jean Malala, Chronogr., p. 277.)
[128] C. I. G., n° 3148.
[129] Cet usage, connu sous le nom de Έπιδόσεις, était ordinaire et ancien : voyez, par exemple, ap. Letronne, Inccr. d’Égygte, I, 589, une liste de souscription pour la dépense de sacrifices et de fêles ; ap. Miller, Revue archéol. de 1870, une liste pour l’érection d’un temple, comprenant peut-être deux cent soixante-dix noms, etc.
[130] Kiepert, Rosellini et M. Perrot (Mém. d’arch., n° 2) croient avec raison que ce monument n’est pas égyptien.
[131] Une inscription de l’an 124, trouvée dans les ruines d’Ilion, semble provenir d’Hadrien même, (C. I. L., t. III, n° 466.)
[132] Il était lié avec Atticus, père d’Hérode, et il donna au fils une mission dans l’Asie proconsulaire.
[133] Nous avons encore le discours qu’Aristide prononça le jour de la consécration de ce temple qui remplaça celui d’Éphèse dans l’énumération des sept merveilles du monde.
[134] Voyez le Voyage en Galatie et en Bithynie de M. Georges Perrot. Il se fabrique même dans ces chalets, comme en Suisse, un fromage renommé.
[135] Au témoignage de Spartien et d’Athénée, il tua plusieurs fois des lions, non dans le cirque et d’un lieu sûr, mais à la chasse et en courant des périls. Il faillit plus d’une fois y périr ; un jour il se cassa la cuisse et la clavicule (?).
[136] Peripl. Ponti Euxini, 1. Il doit avoir fait des libéralités dans le Pont, car Néocésarée (Niesara) et Amasie (Amasiah) prirent son nom. Cérasonte (Keresoum ?) commença par lui la suite de ses médailles impériales, et Amisus (Eski-Samsun) frappa à son effigie de nombreuses monnaies en argent.
[137] Borghesi, Œuvres, IV, 160-173. Plus tard, on lui retira même toute garnison (Procope, B. P., I, 17). Il y avait fait construire, dit Malala (Chronograph., p. 362), un bain public, un aqueduc qui portait son nom et un théâtre. Au moyen d’une forte digue, il détourna les eaux qui se répandaient dans des ravins et étaient perdues pour la ville ; cette digue les contenait, malgré leur violence, et elles étaient conduites auprès du théâtre, d’où elles se répandaient dans tous les quartiers. Il fit également construire près des sources de Daphné un temple consacré aux Muses, où ces sources formaient cinq fontaines jaillissantes.
[138] Charax, capitale de ce petit État, occupait à peu près la place de Bassorah.
[139] Voyez les Inscriptions sémitiques de M. le comte M. de Vogüé, p. 8 et 65.
[140] Id, ibid., n° 4 et 5. L’inscription n° 4 dit : Cette statue est de.... Zébéida. Elle fut élevée par les négociants de la caravane qui descendirent avec lui à Vologésias.... pour avoir bien mérité d’eux. Et elle est datée d’avril 147. Le tombeau de ce Zébéida, contemporain d’Hadrien, existe encore. (Ibid., p. 47.)
[141] Au premier et au
second siècle de notre ère, l’usage du grec était vulgaire dans
[142] Derenbourg, Hist.
de
[143] Wetzstein, Reisebericht über Hauran und die Trachonen, p. 107. Il paraît mettre cet établissement avant le règne de Trajan. M. Caussin de Perceval (Hist. des Arabes, I, 212) le place vers l’année 190 de J. C.
[144] Sous Alexandre Sévère, six légions, suivant Dion Cassius, campaient dans cette région, deux en Syrie, deux en Judée, une en Arabie, une en Phénicie.
[145] Avant cette date, Palmyre fournissait des auxiliaires ; ainsi Titus, dans la guerre contre les Juifs, avait eu des archers palmyréniens, et l’on en trouve dans les troupes cantonnées en Dacie et en Numidie.
[146] Une inscription bilingue mentionne une statue élevée, en avril 131, à Male, qui était greffier lors du voyage d’Hadrien. Cf. de Vogüé, n° 16, et Waddington, n° 2585.
[147] Le consul de Prusse à Damas déclare tenir ce renseignement du cheick Muhammed-ibn-Dûhi. Cf. Wetzstein, Reisebericht über Hauran und die Trachonen (1860), p. 105.
[148] Cf. Rob. Wood, les Ruines de Palmyre ; ces monuments ont tous le caractère de l’architecture des Antonins.
[149] Le nom d’Aurelius, porté par plusieurs stratèges de Palmyre, a fait attribuer tous ces bienfaits à Antonin, qui, avant son avènement, s’appelait Titus Aurelius Fulvus ; le nom pris par la ville rend plus probable la désignation d’Hadrien. Dans un village du voisinage, on a trouvé un naos consacré à Baalsamin (de Vogüé, Inscr. aram., p. 50).
[150] C. I. G., n° 4482 e. 601a.
[151] Cf. Rey, Voyage dans le Haouran, p. 136.
[152] Caussin de Perceval, Hist. des Arabes, I, 519.
[153] M. Lartet croit
avoir trouvé des moraines et des stries tracées par des glaces en mouvement sur
les rochers des montagnes, dans
[154] Tout le Haouran est couvert de cratères, de cônes et d’immenses coulées de laves brisées sous mille formes : On dirait des vagues soulevées par une tempête. (Rey, Voyage dans le Haouran, p. 63 : sur le caractère volcanique de cette région, cf. Welzstein, Reisebericht über Hauran und die Trachonen.)
[155] Les anciens
appelaient déjà Syrie Creuse la partie septentrionale du vaste sillon qui
s’étend du Liban à la mer Rouge. La partie moyenne a reçu des Arabes le nom
d’El-Ghor, la gallée creuse, et la mer Morte, qui égale à peu prias en
superficie le lac de Genève, en marque le point le plus bas,
[156] Le seuil qui
sépare les bassins de la mer Morte et du golfe Élanitique paraît élevé de
[157] C. I. G., n° 4667. Je crois qu’Hadrien a passé par les lieux où je l’ai conduit, mais je ne puis assurer qu’il les ait visités dans l’ordre que j’ai suivi.
[158] .... peragrata Arabia, Pelusium venit (Spartien, Hadrianus,13).
[159] Cf. Juvénal, Satires, XV.
[160] M. Mariette. Il
le découvrit avec beaucoup d’autres, y compris celui du dernier Apis. La
révolution religieuse qui avait tué le dieu a fait laisser son tombeau,
monolithe pesant
[161] Voyez, dans le Nigrinus de Lucien, le tableau de la vie athénienne, et, dans Aulu-Gelle (XVII, 8), la simplicité de mœurs qui y régnait. Le philosophe Taurus régalait le soir ses élèves, Aulu-Gelle compris, d’un plat de lentilles et de quelques tranches de concombre.
[162] Saint Jérôme, Chron. ad ann. 118 : Hadrianus Alexandriam a Romanis subversam publicis instauravit impensis.
[163] Strabon, XVII, 1, 8.
[164] M. E. Allard,
ingénieur des ponts et chaussées, a fait, dans la grande publication qui a pour
titre les Travaux publics de
[165] Matter, l’École d’Alexandrie, p. 285.
[166] Letronne, Inscr.
d’Égypte, t. I, p. 361 ; Athénée, I, p.
[167] Il se peut qu’un homme supérieur, Ptolémée, fût alors à Alexandrie ; il s’y trouvait du moins neuf ans plus tard.
[168] Quelques-uns des tombeaux de Memphis subsistent à Sakkara ; mais les temples ont disparu. Du temps de Strabon, Memphis était déjà en décadence, et l’on y puisait comme dans une carrière. Il nous reste des monnaies de bronze commémoratives du voyage d’Hadrien. Sur lime est représentée la ville d’Alexandrie allant au-devant de l’empereur moulé sur un quadrige ; une autre, que nous donnons, le représente voyageant sur le Nil.
[169] C’est le récit
qu’en fit Hadrien, qui fonda une ville, Antinopolis, près de l’endroit où son
favori était mort le
[170] Orelli, n° 823.
[171] Cette route, appelée via Hadriana, allant d’Antinopolis à Myos Hormos au travers du désert, puis le long de la côte jusqu’à Bérénice, fut achevée en 137, d’après une inscription trouvée par M. Mariette et expliquée par M. Miller, Revue archéol. de 1870, p. 313. Au Djebel-Dokhan, ou se trouvent les carrières célèbres de porphyre et de granit rouge, dans une vallée aujourd’hui inhabitable, se voient les ruines d’une ville fortifiée et un temple commencé, mais non achevé, qui porte une inscription grecque du temps d’Hadrien. (Letronne, Inscr. d’Égypte, I, p. 148.)
[172] Cette thèse de l’abbé Barthélemy (Mém. de l’Acad. des inscr., t. XXX, p. 503), combattue par Winckelmann (Hist. de l’Art, t. VI, chap. V, § 14), est abandonnée et paraît devoir l’être. Voyez Maspéro, Biblioth. de l’École des hautes Études, t. XXXV, p. 50. Mais rien ne prouve que le voyage d’Hadrien en Égypte n’ait pas mis à la mode la reproduction de scènes égyptiennes, prises au hasard, sur des monuments égyptiens par quelque artiste voyageur ou imaginées et groupées par lui, pour donner une idée de l’étrange pays où Hadrien venait de séjourner.
[173] Vopiscus, Saturninus, 8 ; il déclare avoir pris cette lettre dans les livres de Phlégon, affranchi d’Hadrien, et je ne vois aucune raison de la considérer comme apocryphe. Sur les Alexandrins, cf. Dion Chrysostome, Orat., XXXII, et Ammien Marcellin, XXII, 6.
[174] Letronne, Inscr.
d’Égypte, t. II, p. 550 et suiv. Balbilla célébra cette visite par trois
pièces de vers qu’elle fit graver sur la jambe du colosse ; et comme elle les a
datées, nous savons que la double visite de Sabine eut lieu le 20 et le
[175] Voyez l’admirable mémoire de Letronne sur la statue vocale de Memnon et le livre de Tyndall sur le Son.
[176] Hadrien doit
s’être arrêté en 132, au retour de son voyage d’Égypte, dans
[177] Ce sont les douze
provinces ou régions qui firent frapper des médailles avec la légende Restitutori, savoir : l’Achaïe, l’Afrique,
l’Arabie, l’Asie,
[178] La préture d’Étrurie était un sacerdoce provincial. Les magistrats de quelques municipes d’Italie avaient conservé le nom de dictateurs.
[179] Voyez d’autres exemples cités dans l’Index d’Henzen, p. 159.
[180] Spartien nous
apprend qu’il donna un écoulement aux eaux du lac Fucin, ou, plus probablement,
qu’il rétablit l’émissaire insuffisant, creusé par Claude. Selon Pausanias, il
fit creuser un port à l’ancienne Sybaris, entre Brindes et Hydrunte. Une
inscription, trouvée à Montepulciano, lui attribue la restauration de la via
Cassia depuis Chiusi jusqu’à Florence : Viam
Cassiam vetustate collapsam a Clusinorum finibus Florentiam perduxit millia
passuum XXCI (Gruter, CLVI, 2). Une antre inscription, découverte
prés de Nice, rappelle le rétablissement d’une autre voie : Viam Juliam Aug. a flumine Trebia quæ vetustate interciderat
sua pecunia restituit (Maffei, Mus. Veron., CCXXXI, 5) ; de
même à Suessa : Viam Suessanis municipibus sua
pecunia fecit (Gruter, CLI, 3). A Cupra maritima, il avait rétabli
le temple de la déesse du lieu : Munificentia sua
templum deæ Cupræ restituit (Orelli, n° 1852). Les habitants de
Feruli dans
[181] Sur la villa d’Hadrien, voyez Boissier, Promenades archéol., tout le chapitre IV.
[182] Cet obélisque
semble avoir été amené à Rome dès le temps d’Élagabal pour orner
[183] Les travaux de la villa Hadriana ont dû commencer en 123 ou 124. (Descemet, Inscr. doliaires, p. 135.)
[184] Letronne (Inscr. d’Égypte, n° 16) prend les mots τά έργα dans le sens général que nous leur donnons. Les paroles de Vespasien montrent que ces grands travaux publics étaient un système bien arrêté de la politique impériale.
[185] Villoison, Mém.
de l’Acad. des inscr., t. XLVII, p. 330. Voici la traduction de
l’inscription. Mère de Marcianus, fille de
Démélrius, je tairai mou nom. Séparée de la foule des mortels, depuis le moment
où les enfants de Cécrops m’ont nommée grande prètresse de Cérès, j’ai enseveli
mon nom dans les ténèbres de l’abime profond qui renferme les mystères
impénétrables. Non, ce ne sont point les fils de
[186] Majestatis crimina non admisit (Spartien, Hadrianus, 17).
[187] Circumiens provincias procuratores et prœsides pro factis supplicio adfecit, ita severe ut accusatores per se crederetur immittere (Spartien, Hadrianus, 13). Voyez au Digeste, XXXIX, 4, § 1, le rescrit sur les denrées que les gouverneurs font acheter pour leur usage.
[188] Godefroy (Cod. Théod., prot., p. 283) estime que l’Édit perpétuel de Julianus a été la source de tout le droit romain jusqu’à la publication du Code de Théodose II. C’est aussi l’opinion de Bach (Hist. Jur. rom., p. 404-442).
[189] Julius Celsus, Neratius Priscus, étaient ses contemporains. Je viens de parler de Salvius Julianus.
[190] Gaius, I, 67.
[191] A l’armée : ordinatis impendiis ; au palais.... ad deprehendendas obsonalorum fraudes (Spartien, Hadrianus, 17) ; dans l’administration.... omnes publicas rationes ita complexus est ut domumprivatam quivis paterfamilias diligens non satius novit (20) Eutrope résume tout cela d’un mot : diligentissirnus circa ærarium (VIII, 3).
[192] Il décida que la pension alimentaire laissée par testament à un enfant jusqu’à l’âge de puberté serait continuée, aux garçons jusqu’à dix-huit ans, aux filles jusqu’à quatorze. (Digeste, XXXIV, 1, 14.) Quant aux postes, avant Hadrien, les cités étaient obligées de tenir pourvues du matériel nécessaire les stations, mansiones, établies sur leur territoire, et elles devaient mettre chevaux et voitures à la disposition du voyageur officiel sur la présentation de son diplôme ou permis de circulation (cette organisation existe encore en Russie). Hadrien semble avoir substitué des contributions fixes aux prestations éventuelles ; Antonin diminua cette charge, et Sévère en fit peut-être supporter une partie par le fisc ; mais, après lui, tout retomba au compte des municipalités. Le cursus publicus servait donc le gouvernement, mais il ne servait pas les particuliers. A mesure que son importance s’accrut, la dépense en pesa plus lourdement sur les villes et devint une des causes de leur misère. Cf. Hirschfeld, op. cit., p. 98.
[193] Orelli, n° 805 ; Eckhel, t. VI, p. 478 ; et Cohen, t. II, pl. VI, n° 1049. Une monnaie représente un licteur mettant le feu à un monceau de créances. Pour l’administration d’Hadrien, voyez une savante thèse de M. Caillet.
[194] Spartien, Hadrianus, 18.
[195] Le douzième (id., ibid.). Dosithée (§ 9) dit le dixième.
[196] Digeste, XLVIII, 20, 7, § 5.
[197] Officia sane publica et palatina, nec non militiæ in eam formam statuit, quæ, paucis per Constantinum immutatis, hodie perseverant (Epit., XIV).
[198] Ab epistulis et a libellis primus equites Romanos habuit (Spartien, Hadrianus, 22). Vitellius avait déjà confié les charges du palais à des chevaliers. (Tacite, Hist., I, 58. Cf. Plutarque, Othon, 9.) Domitien avait fait de même (Suétone, Domitien, 7) ; un illustre chevalier romain qui fut décoré des ornements prétoriens et préfet des Vigiles, Titinius Capito (Pline, Epist., I, 17 ; V, 8 ; VIII, 12), fut ab epistulis sous ce prince, sous Nerva et Trajan. (Kellermann, Vigil., n° 7.) Mais c’était une exception ; la règle rappelée par Spartien ne fut établie que par Hadrien. Voyez Borghesi, t. V, p. 14 et suiv., et Hirschfeld, p. 215, 257, 290.
[199] .... in consilio habuit non amicos aut comites solum, sed jurisconsultos aliosque, quos tamen senatus omnis probasset (Sparlien, Hadrianus, 18) .... Adhibilis in consilio suo consulibus alque prætoribus et optimis senatoribus (ibid., 22). Cf. Dion, LXIX, 7. Les membres de ce conseil étaient divisés en deux classes : conciliares et adsumpti in concilium, comme nous avons des conseillers d’État titulaires, et des maîtres des requêtes ou auditeurs. Ils étaient appointés depuis 60.000 sesterces jusqu’à 200.000, et la différence du traitement marquait celle du rang. Voyez Wilmanns, n° 1286 : cette inscription, étant accentuée, appartient, au plus tard, à la fin du deuxièmesiécle, et, comme elle donne à rempereurles surnomsde plus et de felix que, Commode porta le premier, elle est postérieure à l’an 180. (Eckbel, t. VII, p. 955.)
[200] Sur les juridici, voyez Mommsen dans les Gromati veteres, éd. Lacbmann, t. II, p. 192 et suiv.
[201] Le préfet du
prétoire avait incontestablement ce droit sous Sévère ; il est probable, mais
on ne peut l’affirmer, que c’est Marc-Aurèle qui le lui donna. Il renouvela la
vieille interdiction du négoce pour les sénateurs. (Dion, LVIII,16.) Quant au
droit du préfet de
[202] Ambulatorium senatum, dit Haubold (de Consist. principum Rom.). Cf. Papinien, au Digeste, XXVII, I, 50 .... honor delatus (in consilium adsumpto) finem certi temporis nec loci habet. Voir Hérodien, I, 6). Il est probable que c’est à Hadrien qu’est dû l’élargissement du jus Latii dont une nouvelle lecture du palimpseste de Gaius (I, 95-96) a permis de bien marquer la différence. Dans les villes qui avaient le Minus Latium, les magistrats seuls acquéraient la cité romaine ; dans celles qui avaient le Majus Latium, tous les décurions obtenaient ce privilége.
[203] Voyez le mémoire de M. Egger sur le sénatus-consulte contre les industriels qui spéculent sur la démolition des édifices, 1872.
[204] Digeste, XLVII, 12, 3, 5. Les Douze Tables l’avaient défendu à Rome.
[205] C’était une modification au sénatus-consulte Silanien (10 de J.-C.), mais dont la disposition principale subsista, car Modestinus dit au Digeste, XXIX, 5, 18, que l’esclave qui, pouvant porter secours à son maitre, ne l’a point fait, doit être puni de mort. Cf. Paul, Sent., III, 4, et Wallon, Hist. de l’esclavage, t. III, p. 60.
[206] Digeste, I, 6, 2.
[207] Digeste, I, 5, 18. Cette décision d’Hadrien est devenue la doctrine des Institutes de Justinien.
[208] Gaius, I, §§ 77 et 92. Il décida également qu’un enfant né d’une Romaine et d’un Latin serait Romain. (Id., I, §§ 30 et 80.)
[209] De feminarum testamentia (Gaius, I, § 115.)
[210] .... Licet ea in potestate parentis esset (Ulpien, Fragm., XXVI, 8). Ce droit n’était reconnu à l’affranchie que lorsqu’elle avait quatre enfants. Cf., au Digeste, XXXVIII, 17, le sénatus-consulte Tertullianum.
[211] .... Quod intronis magis quam patris jure eum inter fecit : nam patria potestas in pidate debet, non atrocitate consistere (Digeste, XLVIII, 9, 5).
[212] La question du colonat est exposée à notre chapitre LXXXII, § 4.
[213] Dion, LXIX, 7.
[214] Omnia ad privati hominis modum fecit (Sparlien, Hadrianus, 9).
[215] Dion, LXIX, 6.
[216] Dion, LXIX, 6.
[217] Spartien, Hadrianus, 18.
[218] De judicibus omnibus semper cuncta scrutando tamdiu requisivit quamdin verum inveniret (Sparlien, ibid., 21).
[219] Eum qui stuprum sibi vel suis per vim inferentem occidit, dimittendum (Digeste, XLVIII, 8, 1, § 8).
[220] Quelques-unes des demandes adressées au prince lui sont faites par écrit, per libellos ; d’autres de vive voix.
[221] Il y avait, dans chaque légion, soixante grades de centurions, tous de rang différent.
[222] Expression ancienne qui ne signifiait plus que l’inscription sur la liste officielle des chevaliers ayant le droit dans la solennité de prendre part à la transvectio. Le chevalier equo publico avait d’abord le cens équestre que donnait la fortune et le rang, que lui décernait l’autorité publique. Or ce rang était nécessaire pour arriver aux grandes charges.
[223] Dion. LXIX, 18.
[224] Dion, LXIX. I9.
[225] Spartien, Hadrianus, 10.
[226] In colloquiis etiam humillimorum civilissimus fuit (Spartien, ibid., 20).
[227] .... Quum animo parum valetet, ideircoque despectui haberetur (Aurelius Victor, de Cæsaribus, 14).
[228] Hadrianus, 16, 23. Voyez, au commencement du chapitre suivant, le conte ridicule fait par Aurelius Victor (de Cæsaribus, 14) au sujet de l’adoption d’Antonin.
[229] LXIX, 3. Spartien dit, au contraire (16), que Favorinus l’emporta sur tous les autres dans son amitié, et ne marque point que cette faveur ait cessé.
[230] Aulu-Gelle, Noct. Att., XX, 1.
[231] Acer nimis ad lacessendum pariter et respondendum seriis, joco, maledicius : referre Carmen carmini, dictum dictui (Aurelius Victor, Épitomé, 14).
[232] Favorinus, ap. Philostrate, Vies des Sophistes, I.
[233] Spartien, Hadrianus, 16.
[234] Spartien, Hadrianus, 19.
[235] Dion, LXIX, 4. Il ne faut pas oublier que nous n’avons point le texte de Dion et qu’il se peut que les deux mots, έφόνευσεν αύτόν, soient une interpolation de Xiphilin, car, au chapitre 2, Dion dit du gouvernement de ce prince : φιλανθρωπότατα άρξας, et il ne lui reproche que les exécutions de 119 et de 137.
[236] Vopiscus, Saturninus, 8. Le mot aliptes, frotteur d’huile, est expliqué par le mot medici du chapitre précédent, évidemment pris en mauvaise part.
[237] Dans le seul fragment qui nous reste de Quadratus, on lit : Οί θεραπευθέντες, οί άναστάντες έx νεxρών (Routh, Reliq. sac., I, 71. Oxf., 1814).
[238] Tillemont, Hist. des Empereurs, II, 328 : Aristide estoit philosophe de profession, et il en garda l’habit lorsqu’il embrassa la foy. Beaucoup de chrétiens portaient aussi le manteau des philosophes, témoin saint Justin (Dial. cum Tryph., init.) et Tertullien après sa conversion (de Pallio).
[239] Lex Genetiva, 64.
[240] Voyez Waddington, Fastes des provinces asiatiques, I, p. 197 et suiv.
[241] Si la lettre de Tiberianus, gouverneur de Palestine, donnée par Malala et Suidas, était authentique, il faudrait admettre aussi la réponse de Trajan ordonnant à Tiberianus et aux autres gouverneurs de laisser les chrétiens en paix. Mais Tillemont la rejette (t. II, p. 578).
[242] On a pensé que ce rescrit était comme une sorte d’amnistie donnée, en 127, à l’occasien de la première fête des decennalia d’Hadrien.
[243] Voy. Eusèbe, Hist. ecclés., IV, 8 et 9, la dernière édition de saint Justin, par Th. Otto, S. Justini opera, Ienæ, 1847, t. I, p.162, ad finem Apolog. Ie, et l’ouvrage de M. Aubé, Saint Justin, philosophe et martyr, p. XLVII-XLIX. Sulpice Sévère et saint Jérôme parlent d’une persécution violente sous Hadrien. Le janséniste le Nain de Tillemont voudrait bien parler comme eux, mais son impartialité l’oblige à dire : Eusèbe ni la plupart des autres ne la content pas. Et elle ne vient pas en effet d’aucun édit de ce prince, comme il est aisé de le justifier par saint Méliton et par Tertullien. (Hist. des Emp., II, p. 319.) Saint Irénée (III, 3) ne cite qu’un martyre, celui de Telesphorus. L’évêque de Sardes, Méliton, sous Marc-Aurèle, se plaignait de ce que les chrétiens fussent alors persécutés en Asie par des édits de magistrats municipaux, ce qui, dit-il, ne s’était jamais fait, et il ignore si ces édits ont été publiés par ordre de l’empereur, ou à son insu. (Eusèbe, Hist. ecclés., IV, 26.) Cf. Dion, LXX, 3, qui montre Antonin a enchérissant sur les marques d’estime dont Hadrien avait honoré les chrétiens.
[244] Dion, LXIII, 32. L’historien Appien fut acteur dans cette guerre et faillit en être la victime ; voyez le curieux fragment de son XXIVe livre, retrouvé et commenté par M. Miller, Rev. archéol., 1869.
[245] VII, 92. Cf. saint Jérôme, Chron., ad ann. 929, et Eckhel, Doctr. num. vet., t. VI, p. 497.
[246] Comme Ezra, il est nommé le restaurateur de la loi, et comparé à Moïse. (Derenbourg, op. cit., p. 396.)
[247] Voyez Comptes rendus de l’Acad. des inscr., 1872, p. 953.
[248] Spartien, Hadrianus, 13. Hadrien n’avait pas interdit la circoncision des Juifs de race, ce qui eût été une persécution religieuse, et il répugnait à pareille mesure qu’aucun empereur n’ordonna ; il avait simplement renouvelé l’édit de Vespasien pour interdire la propagande juive en dehors de la nation. Des agents trop zélés en ayant fait une mesure générale, Antonin expliqua que la défense ne s’appliquait pas aux fils de Juifs. (Digeste, XLVII, 8, 11.) La politique impériale eut, en ces questions comme dans les autres, une telle continuité, que les mesures de Sévère à l’égard des Juifs furent les mêmes que celles de Vespasien : Judæos fieri vetuit. Un des principaux arguments de saint Justin dans son Apologie pour démontrer la vérité du christianisme est que les chrétiens sont persécutés et que les Juifs ne le sont pas. Lorsqu’il énumère (Dial., 16, 19, 46) les maux qui out frappé les Juifs après leur révolte, il ne mentionne pas la défense de la circoncision. Il dit, au contraire : Ce signe vous a été donné, afin que vous soyez séparés des autres nations et que vous souffriez seuls ce que vous souffrez maintenant avec justice. Et ces maux, ajoute-t-il, ont été la désolation de leur pays par la guerre, leurs villes livrées aux flammes et l’interdiction pour eux de monter à Jérusalem.
[249] On ignore son vrai nom. M. Derenbourg (Biblioth. de l’École des Hautes Études, fasc. XXXe) et M. Renan (l’Église chrétienne, p. 197) l’appellent Bar Kôzêbâ et Bar ou Ben Coziba, le fils de Coziba.
[250] Cf. Madden, History of jewish coinage, p. 154 et suiv. ; de Saulcy, Lettres sur la numismatique judaïque (Revue numismatique, 1865) ; Derenbourg, op. cit., p. 424 ; M. Renan (op. cit., p. 517) croit que le monnayage de Bar Coziba n’a consisté qu’en surfrappes.
[251] Saint Justin, Apologie, IIe, et Orose, VII, 13.
[252] Itiner. Hierosolym., p. 159, édit. Wessel.
[253] Dion, LXIX, 12-14. Hadrien demanda, dans le sénat, les ornements triomphaux pour Julius Severus, ob res in Judæ prospere gestas (C. I. L., III, n° 2850), et lui-mème reçut alors sa seconde salutation impériale.
[254] Derenbourg, op. cit., p. 425.
[255]
[256] Tacite, Hist., I, 16 ; Pline, Panég., 7.
[257] On a beaucoup discuté sur la date qu’il faut assigner à l’adoption de L. Verus. Si l’on en était réduit au témoignage de Spartien (Hadrianus, 23 ; Æl. Ver., 3), on devrait la placer avant sa préture, c’est-à-dire avant l’an 130. Mais les monuments s’y opposent ; sur tous ceux qui sont datés de son premier consulat (130), il est appelé L. Ceionius Commodus (Orelli, n° 1681, 4351, 6086), et c’est seulement sur ceux qui sont datés du second (137) qu’il est appelé L. Ælius Cæsar (Orelli, n° 828, 856, 6527). C’est donc en 136, et, suivant Borghesi (Œuvres, t. VIII, p. 457) , entre le 19 juin et le 29 août, qu’il fut adopté, déclaré César et envoyé dans les deux Pannonies avec les pouvoirs proconsulaires (voy. C. I. L., t. III, n° 4366). On ne peut expliquer le passage de la lettre écrite à Servianus, en 131, et dans laquelle Hadrien l’appelle son fils, filium meum Verum, qu’en supposant que ce prince le nommait ainsi par anticipation, étant dès lors décidé à l’adopter et ayant déjà fait connaître son intention à sa famille, quoiqu’il ne voulu accomplir cette adoption qu’après son retour à Rome, devant le peuple et les pontifes, suivant les formules solennelles de l’adrogatio.
[258] Ils conspirèrent même sous Antonin, le prince selon le cœur du sénat.
[259] Dion, LXIX, 23. S’il était absolument forcé de punir un citoyen ayant des enfants, il modérait le châtiment en proportion du nombre des enfants. (Id., ibid.)
[260] Spartien, Hadrianus, 23.
[261] Servianum quasi adfectatorem imperii, quod servis regiis cænam misisset, quod in sediti regio juxta lectum posito sedisset, quod erectus ad stationes militant senes nonogenarius processisset.... Fuscum, quod imperium præsagiis et ostentis agitatus speraret (Spartien, Hadrianus, 23 ; cf. Dion. LXIX, 17).
[262] .... Liberios denigue et nonnullos milites inseculus est (Spartien, Hadrianus, 15).
[263] En mettant à part les seules victimes mentionnées par Dion, c’est-à-dire les conspirateurs de 119, dont Hadrien regretta l’exécution, et ceux de 137, qui avaient pour chefs un vieillard et un enfant que le prince aurait dit épargner, on ne trouve nommés par Spartien, pour justifier l’imputation de cruauté, que Plœtorius Nepos et Attianus, pour qui l’expression hostium loco habuit (Spartien, 15) ne semble signifier qu’une ruplure d’amitié (cf. id., 23 ; voyez sur Plœtorius Nepos, Borghesi, Œuvres, t. III, p. 122 et suiv.) ; Septicius Clarus, qu’il destitua pour mauvais procédés envers l’impératrice ; Titianus, quem, ut conscium tyrannidis, et argui passus est et proscribi, ce qui veut dire condamné à la confiscation des biens ; Umidius Quadratus et Catilius Severus, quos graviter inseculus est, ce qui ne prouve pas qu’ils aient été frappés d’aucune peine. D’ailleurs Spartien oublie que, dans un autre chapitre (24), il accuse Severus de conspiration. Quant à Polyænus et Marcellus, quos ad mortem voluntariam cœgit (15), nous ne les connaissons pas. On a vu plus haut ce qui concerne Apollodore et les sophistes, et on va voir ce qui regarde Sabine.
[264] Non sine fabula veneni defuncta (Spartien, 23). Si l’impératrice était morosa et aspera. (id., 11), il avait la loi pour s’en débarrasser par un divorce ; un crime n’était pas nécessaire.
[265] Lacupletatoribus municipii (Gabies). (Orelli, n° 816.)
[266] Dosithée, § 15, Corp. juris antejust., éd. Böcking, t. I, p. 212.
[267] Vopiscus, Saturnanus, 8. Sabine, sans doute en ce moment auprès du prince, n’est pas nommée dans cette lettre, mais les paroles d’Hadrien sont une nouvelle preuvede l’intimité qui régnait alors dans la famille impériale.
[268] Il mourut le 1er janvier 138. (Orelli, n° 827.)
[269] Dion, LXIX. 20.
[270] Antonini adoptionem plurimi tunc factam esse dolnerunt, speciatim Catilius Severus, præfectus urbi, qui sibi præparabat imperium. Qua re prodita, successore accepto, dignitate privatus est (Spartien, Hadrianus, 24).
[271] On parle d’autres individus dont Hadrien ordonna l’exécution et qu’Antonin sauva. L’adoption est du 23 février, la mort d’Hadrien du 10 juillet. Or il garda jusqu’au dernier moment toute la netteté de son intelligence, et il est bien difficile d’admettre que si, dans ces quatre mois et demi, il avait prononcé une sentence de mort, elle n’eùt pas été exécutée.
[272] Dion, LXIX, 22.
[273] Spartien, Hadrianus, 22.
[274] Dion, LXIX, 7.
[275] Il n’aimait pas à graver son nom sur les édifices qu’il élevait ; si plusieurs villes le prirent, si beaucoup de monuments le portèrent (Spartien, Hadrianus, 18-19), c’était affaire municipale ; et cette flatterie est de tous les temps.
[276] La colonisation
de
[277] C’est, du moins, à peu près le chiffre de celles qui ont été décrites par M. Cohen.
[278] Cohen, Hadrianus, 250 et 268.
[279] Voyez le chapitre LXXI.
[280] Voyez Dion Cassius, LXIX, 6 et 16.