HISTOIRE DES ROMAINS

 

NEUVIÈME PÉRIODE. — LES CÉSARS ET LES FLAVIENS (14-96), CONSPIRATIONS ET GUERRES CIVILES. DIX EMPEREURS, DONT SEPT SONT ASSASSINÉS

CHAPITRE LXXVII — VESPASIEN (69-79).

 

 

I. — GUERRE DES BATAVES (69-70).

Vespasien vit la fin de deux guerres commencées, l’une sous Néron, l’autre sous Vitellius, et qui ne tiennent à l’histoire de son principat que parce que ses généraux en frappèrent les derniers coups.

L’auteur d’une de ces guerres, Civilis, était de race royale parmi les siens : titre ambitieux qui s’appliquait, chez les Germains, à de petits chefs que leur naissance dans une famille respectée élevait au-dessus de la masse des hommes libres. Il avait contre l’empire de légitimes ressentiments. Néron avait fait tuer son frère, lui-même faillit périr. Galba l’ayant gracié, les soldats de l’armée du bas Rhin l’accusèrent d’être complice du meurtre de Fonteius Capito et demandèrent sa mort. Vitellius le sauva une seconde fois ; mais il jura de ne point couper sa chevelure qu’il ne se fût vengé. Quand Antonins Primus eut proclamé Vespasien en Pannonie, il écrivit à Civilis de susciter aux légions du Rhin quelques embarras qui les empêchassent d’accourir au secours de Vitellius. Le Barbare accepta avec ardeur ; il avait perdu un œil et se glorifiait de cette blessure pour se comparer à Annibal et à Sertorius ; il rêvait, comme eux, d’accabler Rome par les bras de ses sujets. À la réception des lettres d’Antonins, il convoqua secrètement les principaux de son peuple[1], leur montra la Gaule chancelante, les Germains amis de tous les ennemis de Rome, les camps déserts[2], l’Italie en feu et le moment venu de rejeter un joug odieux. Les Canninéfates et les Frisons, voisins des Bataves, entrèrent dans le complot ; et des émissaires allèrent provoquer la défection des auxiliaires bretons et des bataves qui servaient avec les légions, celle surtout des huit cohortes qui s’étaient rendues fameuses par leur courage à Bédriac.

En peu de jours, les Romains furent chassés de tous les postes qu’ils occupaient dans file que forment le Rhin, le Wahal et la Meuse. Une bataille livra leurs armes à Civilis, et les rameurs germains lui donnèrent la flottille des légions (vingt-quatre navires), ce qui le rendit maître du cours inférieur du Rhin. Après ce succès retentissant, il essaya d’entraîner la Germanie et la Gaule. Celle-ci n’envoya que quelques volontaires ; il en vint davantage de la rive droite du Rhin. Deux légions qui tentèrent de rentrer dans l’île furent encore battues par la défection de leurs cavaliers bataves et la molle résistance des auxiliaires ubiens et trévires. Les débris coururent s’enfermer dans Vetera castra[3].

Les huit cohortes bataves revenues d’Italie étaient déjà arrivées à Mayence, lorsque le messager de Civilis les atteignit, au moment où, sur l’ordre de Vitellius, elles reprenaient le chemin des Alpes. Elles répondirent sans balancer à l’appel de leurs compatriotes, et sur leur route écrasèrent, près de Bonn, un troisième corps romain qui leur fermait le passage. Civilis avait maintenant une armée aguerrie ; il la mena à l’attaque des lignes de Pétera. L’armée du haut Rhin accourut pour les défendre, mais l’indiscipline régnait dans ces légions, où les officiers tenaient pour Vespasien, les soldats pour Vitellius. Ceux-ci, soupçonnant partout la trahison, et non sans motif, venaient d’ôter le commandement à leur chef Hordeonius. Ils se divisèrent : les uns campèrent à Gelduba (Gelb), où ils faillirent être enlevés ; les autres à Novesium (Neuss) ; le reste à Mayence. Cependant Vetera fut débloqué. Les nouvelles apportées d’Italie augmentèrent l’irritation et l’indiscipline. Dans une sédition, les soldats massacrèrent Hordeonius, et Dilius Vocula, qu’ils avaient mis à sa place, fut réduit à s’échapper déguisé en esclave. Ils se réunirent, puis se divisèrent encore. Ils avaient prêté serment à Vespasien ; deux légions relevèrent. Ies images de Vitellius, bien qu’elles le sussent déjà mort, et peu après les brisèrent de nouveau. Ces incertitudes et ces troubles favorisaient les progrès des Bataves, qui prirent Gelduba. Civilis avait un jeune fils, il l’exerça au tir de l’arc en lui donnant pour but des prisonniers romains attachés aux arbres de la forêt. D’autres légionnaires furent envoyés en présent aux chefs de la Germanie, et bientôt nombre de guerriers germains passèrent le Rhin, dont une sécheresse avait tari les eaux au point d’interdire la navigation et de former des gués ; .ce qui faisait dire que les fleuves, ces vieilles barrières de l’empire, s’abaissaient d’eux-mêmes devant les Barbares. Déjà les cantons reculés de la Gaule refusaient l’enrôlement et le tribut. Quand arriva la nouvelle de l’incendie du Capitole, les esprits en furent frappés comme d’un présage, cette fois irrécusable. Ce sanctuaire, tombé, leur parut avoir ms"di sous ses ruines la fortune du peuple romain. Les druides, qui sortaient de leurs retraites mystérieuses, disaient tout haut : Les derniers jours de Rome sont venus, ceux de l’empire gaulois commencent. Aux nations transalpines de régner maintenant.

Les Belges, dévoués à Vitellius et, par conséquent, ennemis du nouvel empereur, furent les premiers à éclater. Deux Trévires, Classicus et Tutor, un Lingon, Sabinus, qui prétendait descendre du premier César, s’entendirent pour la délivrance de leur pays. Ils débauchèrent d’abord les auxiliaires belges et germains, puis les soldats mêmes, en leur montrant les troupes de Vespasien qui accouraient à travers les Alpes pour les punir de leurs hésitations. Deux légions prêtèrent serment à l’empire des Gaules sur les étendards que Classicus leur donna : résolution inouïe et qu’on ne pourrait comprendre, si l’on ne savait qu’il n’y avait plus que des provinciaux dans les légions. Les cinq mille hommes enfermés dans Vetera, et, que Civilis tenait assiégés avec de l’infanterie germaine, acceptèrent les mêmes conditions. Mais les Barbares n’entendaient pas laisser échapper leur proie. Les Romains marchaient avec confiance sous la foi du serment lorsque, à cinq milles de leurs retranchements, les Germains se jetèrent sur eux. Tout ce qui ne fut pas massacré dans ce premier instant courut au camp pour s’y réfugier. Les Barbares l’avaient déjà pillé ; ils y mirent le feu, et les fugitifs périrent dans les flammes.

Civilis était enfin vengé : il coupa sa chevelure. Son ambition croissant avec sa fortune, il refusa de s’engager dans une cause étrangère. Ni lui ni aucun de ses Barbares ne prêta serinent à l’empire gaulois. Il rêvait autre chose : une vaste domination dont son pays serait le centre, la Gaule et la Germanie les provinces. Une prophétesse était alors en grand renom parmi les Germains, Velléda, jeune fille du pays des Bructères. Elle se tenait enfermée dans une tour, au fond d’un bois. Nul mortel n’avait vu son visage ; un de ses proches, sorte d’interprète de la divinité, recevait les demandes et rapportait les réponses. Elle avait prédit la ruine des légions ; son crédit s’accrut de la réalisation de l’oracle. Civilis, qui l’avait déjà mise dans ses intérêts, lui envoya en don un légat de légion fait prisonnier. Dans ses projets, le plain n’étant plus une frontière, on détruisit les fortifications qui le gardaient. La ville des Ubiens, Cologne, refusa d’abattre ses murailles et d’entrer franchement dans la ligue ; mais, des Alpes à l’Océan, tous les camps furent incendiés ; on ne laissa subsister que ceux de Mayence et de Windisch[4], puis on éloigna les troupes. Deux légions furent dirigées par Classicus sur Trèves. Elles obéirent et avancèrent tristement au milieu de la joie insultante des populations gauloises ; un escadron de cavaliers italiens seul refusa et s’enferma dans Mayence.

Dans l’intérieur du pays, Sabinus avait soulevé les Lingons et pris le titre de César. Mais beaucoup pensèrent que, pour faire un empereur, autant valait un Romain qu’un habitant de Langres. Ce fut l’avis des Séquanes (Franche-Comté), qui, attaqués par les Lingons leurs voisins, les battirent complètement. Sabinus, réfugié dans une de ses villas, y mit le feu. On crut que, comme Sacrovir, il y avait péri.

Cette défaite ralentit le zèle des partisans de l’indépendance. Dans une assemblée générale réunie à Reims, les Trévires et les Lingons parlèrent énergiquement pour la guerre. On leur reprocha d’avoir trahi la cause de la Gaule au temps de l’index ; puis on demanda qui conduirait les opérations, qui donnerait les ordres et prendrait les auspices. Après la victoire, où placer le siége de l’empire ? Ainsi, avant la lutte, les divisions se montraient ; que serait-ce après le triomphe ? Ils étaient déjà trop romains pour comprendre autre chose que l’empire, et ils étaient trop gaulois encore pour oublier les rivalités qui rendaient leur tentative impossible. D’ailleurs Civilis et ses Germains se tenaient à l’écart d’une façon menaçante. Préférez-vous, disaient les Rèmes, au titre de citoyens de Rome celui de sujets des Cattes et des Bructères ? L’assemblée écrivit aux Trévires, au nom de la Gaule, de déposer les armes.

Cet abandon ne fit point perdre courage aux cités rebelles. Mais les chefs restèrent au-dessous de leur tâche. Civilis perdait le temps à poursuivre un de ses parents que la jalousie avait jeté dans le parti romain et qui l’attaquait avec des auxiliaires tongres et nerviens. Classicus jouissait comme en pleine paix des douceurs du commandement, et Tutor ne prenait aucune mesure pour occuper les passages des Alpes. Quatre légions, à cette heure, les traversaient sous un général habile, Petilius Cerialis ; Mucien lui-même allait suivre avec le plus jeune fils de Vespasien, qu’il était opportun d’éloigner de Rome. Deux autres légions arrivaient d’Espagne, et la quatorzième était rappelée de l’île des Bretons. Sept légions, s’écriaient les Rèmes avec effroi, sont sur nos têtes. Tutor marcha au-devant du corps qui débouchait par l’Helvétie. A la vue des aigles, ses légionnaires passèrent aux Romains. Il recula, ruais se laissa surprendre à Bingen. Cette défaite dégagea Mayence et toute la vallée du Rhin jusqu’à Vetera. Les légions cantonnées à Trèves, plutôt captives que rebelles, rétablirent aussitôt sur leurs enseignes le nom de Vespasien, et Cerialis, renvoyant dédaigneusement les auxiliaires gaulois, parce que l’empire voulait lui-même et seul, disait-il, venger ses injures, marcha sur la dernière armée, qui couvrait la cité des Trévires. Elle fut dispersée, et ses chefs pris. Avec une modération habile, Cerialis ouvrit son camp aux anciennes légions du Rhin et défendit qu’on rappelât le passé. Les soldats voulaient saccager Trèves : il les retint. Nos pères, dit-il aux Trévires, ne sont venus dans la Gaule que pour mettre fin à vos discordes et vous sauver de l’oppression des Germains. Pour prix de nos victoires, nous ne vous demandons que les moyens de vous maintenir en paix. Mais, pour avoir la paix, il faut des soldats ; pour des soldats, il faut une solde ; pour cette solde, des tributs. Le reste est commun entre vous et nous. Vous-mêmes, le plus souvent, vous commandez nos légions, vous gouvernez nos provinces. Nul privilège, nulle exclusion. Si nous avons de bons princes, malgré votre éloignement, vous ressentez comme nous leurs bienfaits ; s’ils sont cruels, ce sont les plus proches qui en souffrent.... Asservis à Classicus et à Tutor, aurez-vous moins d’impôts ? Que l’empire de Rome disparaisse (veuillent les dieux détourner ce malheur !), et alors que verriez-vous sur la terre, sinon la guerre universelle des nations ? Il a fallu huit cents ans d’une fortune et d’une discipline constantes pour élever ce colosse qui ne peut s’écrouler sans écraser le monde sous ses ruines.... Aimez donc, chérissez la paix et cette Rome qui se donne également aux vainqueurs et aux vaincus. Ces paroles étaient vraies, et devaient retentir d’un bout à l’autre de la Gaule. Les Lingons firent leur soumission.

Civilis essaya d’ébranler la fidélité du Romain. Il lui écrivit que Vespasien était mort, Rome et l’Italie en proie à la guerre civile, Mucien et Domitien sans autorité et sans force ; que si Cerialis voulait l’empire des Gaules, lui et ses Bataves se contenteraient d’être libres sur leur territoire. Cerialis n’ayant point répondu à cette ouverture, les alliés vinrent l’attaquer. Ils mirent un instant l’armée en péril, mais essuyèrent une défaite sanglante qui détermina la défection de Cologne. Les habitants de cette ville égorgèrent tous les Germains entrés dans leurs murs, et après avoir enivré dans Tolbiac une cohorte de Chauques et de Frisons, la meilleure troupe de Civilis, ils mirent le feu aux maisons et la brûlèrent tout entière. En même temps arrivait la légion de Bretagne, qui soumettait les Nerviens et les Tongres.

Civilis voyait s’évanouir ses grands desseins. L’ambitieux était déçu, le patriote espéra encore. Pour couvrir son !le des Bataves, il essaya, mais inutilement, de défendre Vetera. Forcé dans cette place, il se retira derrière le Wahal, y ramena la masse des eaux du Rhin en coupant la digue de Drusus qui les jetait dans le Lech et l’Yssel, et, avec cent treize sénateurs ou décurions trévires, alla solliciter les tribus germaines de faire un puissant effort. En son absence, Cerialis franchit le Wahal, irais faillit être enlevé dans une surprise ; les Germains amenèrent en triomphe à Velléda, par la Lippe, sa galère prétorienne, dont ils s’étaient emparés. Les pluies d’automne et les inondations servirent mieux la cause des révoltés. Les Romains, sans vivres, sans abri, sur une terre marécageuse, se lassèrent de cette lutte. Les Bataves aussi étaient fatigués de la turbulence des Germains et de l’autorité que s’attribuait Velléda. Dans ces dispositions, on devait finir par s’entendre. Les deux chefs eurent une entrevue sur un pont du Wahal dont le milieu était coupé. Civilis obtint de vivre tranquille au milieu des siens, et les Bataves, délivrés de tout tribut, n’eurent qu’à fournir aux légions des auxiliaires, dont cette guerre soutenue contre l’empire avait accru la juste renommée. Civilis n’y avait gagné qu’un nom illustre, mais sa patrie était libre.

L’insurrection des deux provinces gauloises de Belgique et de Germanie avait échoué. Ses chefs étaient morts ou en fuite, et une recherche sévère, ordonnée par Vespasien dans toutes Ies cités, frappa ceux qui n’avaient point péri sur les champs de bataille. Les Trévires furent punis par la perte de leur liberté[5].

Un des chefs pourtant, et le plus compromis, Sabinus, échappa. Après l’incendie de sa villa, il aurait pu fuir aisément jusqu’au fond de la Germanie. Il n’eut pas le courage de s’éloigner de sa jeune femme, Éponine, et se retira dans un souterrain, dont l’entrée secrète n’était connue que de lui et de deux affranchis dévoués. On l’avait cru mort ; Éponine partageait cette croyance et avait donné les marques de la plus profonde douleur. Durant trois jours, elle avait refusé toute nourriture. Avertie mystérieusement que son époux vivait, elle cacha sa joie sous son deuil, vint le voir dans son souterrain et finit par y habiter avec, lui. Au bout de sept mois, sur l’assurance que la colère de Vespasien était calmée, elle fit le voyage de Rome avec Sabinus déguisé en esclave pour aller tenter la clémence impériale. Quelques amis fidèles les avertirent à temps qu’il n’y avait rien à espérer, et ils purent regagner la Gaule. Le proscrit s’enferma de nouveau dans sa retraite et y resta neuf années. Découvert à la fin, il fut conduit à Rome, où Vespasien ordonna qu’on le mît à mort. Éponine avait suivi son époux ; elle se jeta aux pieds de l’empereur. César, dit-elle, en lui montrant ses deux fils, je les ai conçus et allaités dans les tombeaux, pour que plus de suppliants vinssent embrasser tes genoux. Les assistants pleuraient et Vespasien lui-même ; mais il resta inflexible. Alors Éponine, se relevant, demande à partager le sort de celui qu’elle ne peut sauver. J’ai été plus heureuse avec lui, dit-elle, dans les ténèbres et sous la terre, que toi dans la puissance suprême. Elle fut exaucée. Plutarque rencontra à Delphes un de leurs enfants qui lui raconta cette touchante et douloureuse histoire.

Vespasien aurait pu, sans péril, se montrer clément. La Gaule se résignait à rester romaine. Quelques patriotes gardèrent bien le souvenir de ce drapeau qui, cent vingt ans après avoir été abattu par Jules César, sous les murs d’Alésia, avait tout à coup reparu et flotté sur leur tête, pour l’empire des Gaules. Mais il ne faudrait s’exagérer ni leur nombre ni l’importance de la guerre que je viens de raconter. Elle avait été principalement soutenue par un peuple qui était plus germain que gaulois, par un homme dont les pensées n’étaient pas dévouées à la Gaule ; et ces troupes romaines, que nous avons vues assiégées et vaincues, n’étaient que les dépôts des légions appelées en Italie. Dès que celles-ci parurent, tout s’apaisa. La masse des nations transalpines n’avait pas répondu à un appel qu’elle ne comprenait pas, et celles qui avaient pris les armes rentrèrent aisément dans les voies pacifiques où tout à l’heure Cerialis les rappelait. L’ordre au dedans étant complètement rétabli, et au dehors le péril de l’invasion ne menaçant plus ou ne menaçant pas encore, il se leva alors sur la Gaule, comme sur l’empire, un siècle de prospérité qui compte parmi les beaux âges du inonde, et qu’on appelle le, siècle des Antonins. La Gaule y fut pour quelque chose, puisqu’elle donna sinon le plus habile, du moins le plus respecté de ces princes, Antonin le Pieux, le père adoptif de Marc-Aurèle.

 

II. — GUERRE DE JUDÉE (66-70).

Nous devons passer maintenant à l’autre extrémité de l’empire où s’achevait une guerre moins dangereuse, mais plus difficile et qui est restée un des grands faits de l’histoire, parce qu’un peuple entier parut y périr.

Les derniers moments de ce peuple offrent d’ailleurs à la psychologie historique un curieux sujet d’étude, par l’étrange état moral où les Juifs se trouvaient alors, sorte d’ivresse ou de folie divine que produit l’exaltation religieuse et qui fait espérer contre toute espérance. C’est un phénomène qu’on voit reparaître aux époques de fermentation religieuse, avec le même mélange, dans tous les temps, d’abominable cruauté et de dévouements sublimes, de passion qui obscurcit la conscience ou voile la raison, et de foi ardente qui, du même homme, peut faire un bourreau ou un martyr. Et pourtant quelque terrible que soit souvent ce spectacle, l’âme y souffre moins qu’à se trouver en face des ignobles appétits qu’il nous a fallu montrer.

Il a été plusieurs fois parlé des Juifs dans cette histoire, au temps de Pompée, de César et d’Auguste. On a vu comme ils avaient semé par tout l’orient et jusqu’en Italie leurs colonies, leurs synagogues et leur croyance à un Dieu unique, qui ébranlait l’autorité déjà si compromise des dieux païens et préparait les voies à la doctrine de Jésus.

Auguste avait fait de leur roi Hérode son ami ou plutôt l’instrument de ses desseins dans cette partie de l’Orient. Après la mort de ce prince, les Juifs avaient demandé à l’empereur que la Judée fût réunie à la province de Syrie ; il préféra laisser subsister un gouvernement national qui lui ôtait les charges et l’embarras d’une occupation militaire. Archélaüs reçut la couronne de son père. Mais, au bout de dix années, le nouveau roi, accusé à Rome par ses sujets, fut déposé sans même avoir été entendu, et la Judée fut soumise à des procurateurs (6-37).

Un caprice de Caligula releva ce royaume. Un petit-fils d’Hérode, Agrippa, avait osé, du vivant de Tibère, faire sa cour au jeune Caïus. Ne verrai-je donc pas venir, disait-il, le moment où ce vieillard s’en ira dans l’autre monde et vous laissera maître de celui-ci ? Le mot fut rapporté à l’empereur ; un grand de Rome l’eût payé de sa tête, le prince juif en fut quitte pour une assez douce prison. Caligula cependant tint compte à son ami du danger qu’il avait couru ; après son avènement, il le nomma roi, en lui donnant une chaîne d’or aussi pesante que les fers qu’il avait portés. La faveur de Claude acheva cette fortune inespérée ; de nouvelles provinces furent ajoutées à son royaume, et il réunit une dernière fois tout ce qu’Hérode le Grand avait possédé. Mais, à sa mort (44), son fils Agrippa, trop jeune pour lui succéder, n’eut qu’une tétrarchie, et la Judée, avec la Samarie, retourna sous le régime des procurateurs qui, nominalement subordonnés au gouverneur de la Syrie, étaient en réalité investis d’une autorité indépendante.

Aucune province n’avait alors besoin de la main ferme de l’empire comme ce malheureux pays, en proie, depuis plusieurs années, à cette incurable anarchie qui annonce les derniers jours d’un peuple. Il n’y avait plus de lien social, plus de force publique. Tous les jours on assassinait dans les rues de Jérusalem, jusque dans le temple, au milieu de la foule et durant Ies fêtes solennelles[6]. Les routes n’étaient pas même sûres pour les envoyés de l’empereur, et ceux que Josèphe, l’ami des Romains, traite de brigands, de magiciens, de trompeurs, mais que la foule appelait des prophètes, des Christs suscités par Jéhovah[7], formaient des bandes aussi nombreuses qu’une armée.

Tout le mal ne venait pas de l’absence d’un gouvernement énergique. L’esprit prophétique était l’âme de ce peuple. Très habiles à conduire leurs intérêts privés, à pousser leur fortune dans le trafic, les Juifs perdaient terre dès qu’il fallait s’élever aux idées générales. La science qui exige une froide raison, l’art qui suppose l’étude de la nature, le sentiment des rapports et l’harmonie des proportions, leur furent toujours étrangers. Les Apocalypses, dont ils avaient pris le goût chez les mazdéens durant la captivité, étaient devenues leur grande forme littéraire. Dans les moments de crise, ils exprimaient ainsi tout ce qu’on sent, aime, ou espère. L’Apocalypse de saint Jean est la plus haute expression et est restée le modèle de ces œuvres symboliques, où le Voyant raconte les secrets de l’Abîme, révèle les arrêts du Très-Haut et annonce aux puissants de la terre les châtiments qui les attendent. Beaucoup l’avaient précédée, beaucoup la suivirent : c’était un genre littéraire d’origine persique qui offrait de grandes ressources au poète et au croyant. Dans la révélation envoyée aux Sept Églises d’Asie, l’Apôtre continue contre les ennemis de la Jérusalem nouvelle, contre la grande prostituée qui enivre les nations du vin de sa fornication, le rôle révolutionnaire des anciens prophètes contre les rois impies et les persécuteurs d’Israël. Il imite leurs procédés ; il emprunte leurs plus terribles images, et, par ses paroles enflammées, par le mélange de visions sublimes et d’inventions étranges, par ses descriptions de richesse orientale et d’ornementation barbare, il plaisait à l’imagination maladive des races méridionales. Écrite entre la mort de Néron et la chute de Jérusalem, cette Apocalypse n’a exercé aucune influence sur la révolte des Juifs, mais elle aide à faire comprendre l’état des esprits chez un peuple dont l’intelligence, à la fois stérile et trop féconde, allait en ce moment, à force de misères, jusqu’aux plus mystiques rêveries. Comme l’âme brisée par la douleur, ils étaient devenus sous le poids de l’infortune superstitieux et craintifs. Tout les épouvantait, tout aussi les faisait espérer ; ils passaient sans cesse de l’abattement à la confiance, de l’amour à la haine. Après avoir appelé la domination romaine, ils la repoussaient ; après avoir laissé cent fois morceler leur pays et partager leur population comme un troupeau au gré des acheteurs, ils ne parlaient plus que de l’indépendance nationale, et ils allaient mourir pour elle.

Ils croyaient toujours à leur saint temple et ils accomplissaient les rites extérieurs de leur culte. Mais en voyant que leur doctrine si pure, que leur morale si belle ne les avaient pu sauver et qu’il leur fallait. obéir, eux le peuple de Jéhovah, eux la race élue, à ceux dont l’ironie sanglante d’Isaïe avait flagellé les idoles, ils se rattachaient avec la force du désespoir à la seule espérance qui leur restât, la venue d’un Messie[8]. Les chrétiens leur disaient bien que ce Messie était venu, que son royaume commençait et que sa loi avait été portée jusque dans la cour de Néron. Dans la sainte victime attachée à la croix du Golgotha, ils refusaient de voir le Sauveur qui devait les faire régner sur le monde ; et ils attendaient toujours, écoutant chaque voix qui s’élevait, suivant quiconque leur disait : Venez et voyez.

Nulle part, dit l’historien Josèphe, qui vit de ses yeux les souffrances qu’il raconte, nulle part les imposteurs n’avaient si beau jeu ; quoi qu’ils promissent, on les croyait. Eux et les chefs de brigands se partageaient le pays. Des impies, trompant le peuple sous un faux prétexte de religion, le menaient dans Ies solitudes, où Dieu, disaient-ils, ferait voir par des signes certains qu’il voulait affranchir de servitude la race d’Abraham.... Un faux prophète égyptien parvint si bien à séduire le peuple, qu’il assembla près de trente mille hommes sur la montagne des Oliviers ; à sa voix, les murs de Jérusalem devaient s’écrouler et les Romains s’enfuir[9]. Un autre leur promettait qu’ils seraient sauvés et verraient cesser leurs maux, s’ils voulaient le suivre au désert[10]. Celui-ci invitait le peuple à monter sur le mont Garizim, où il lui montrerait des vases sacrés que Moïse y avait cachés[11]. Celui-là offrait de forcer les eaux du Jourdain à se séparer pour le laisser passer é pied sec, lui et ceux qui croiraient en lui[12]. D’autres, au contraire, s’inspiraient d’Isaïe et répétaient ses menaces contre la maison d’Israël. Quatre ans avant la guerre déclarée, dit Josèphe, un paysan se mit à crier : Voix de l’Orient ! Voix de l’Occident ! Voix du côté des quatre vents ! Voix contre Jérusalem et contre le temple ! Voix contre les nouveaux mariés et contre les épousées ! Voix contre tout le peuple ! Depuis ce temps, ni jour ni nuit, il ne cessa de crier : Malheur, malheur à Jérusalem ! Il redoublait ses cris les jours de fête ; aucune autre parole ne sortit jamais de sa bouche ; ceux qui le plaignaient, ceux qui le maudissaient, ceux qui lui donnaient ses nécessités, n’entendirent jamais de lui que cette terrible parole : Malheur, malheur à Jérusalem ! Il fut pris, interrogé et condamné au fouet par les magistrats. A chaque demande et à chaque coup, il répondait, sans jamais se plaindre : Malheur à Jérusalem ! Renvoyé comme un insensé, il courait tout le pays en répétant sa triste prédiction. Durant sept ans il continua a crier de la sorte, sans se relâcher, sans que sa voix faiblit. Au temps du dernier siège de Jérusalem, il se renferma dans la ville, tournant infatigablement autour des murailles et criant toujours : Malheur au temple ! Malheur à la ville ! Malheur au peuple ! A la fin, il ajouta : Malheur à moi ! Et, en même temps, il fut emporté d’un coup de pierre lancée par une machine.

L’Écriture elle-même témoigne de cette sourde fermentation qui agitait les esprits ; les Actes des Apôtres parlent du magicien Simon, du faux prophète Élymas, et citent les remarquables paroles du pharisien Gamaliel sur les révolutions qui viennent de Dieu et qu’on ne peut arrêter, sur celles qui viennent des hommes, et qui se détruisent d’elles-mêmes. Il y a quelque temps, disait-il, s’éleva un certain Theadas qui prétendait être quelque chose de grand. Quatre cents hommes s’attachèrent à lui, mais il fut tué, et tous ceux qui avaient cru en lui furent réduits à rien. Judas de Galilée s’éleva après lui et gagna beaucoup de monde ; mais il périt aussi, et tous les siens furent dispersés[13].

La prédication du nouvel Évangile ne ramena pas le calme dans les âmes, car, à Jérusalem, les chrétiens étaient poursuivis, et plus ils parlaient du Messie méconnu, plus les Juifs espéraient en celui qu’ils attendaient encore, non pas humble et persécuté, mais glorieux et puissant. Pour arriver à cette domination promise, il fallait sauver d’abord l’indépendance nationale, et, à cette pensée, tous les cœurs s’armaient de courage. Ceux que Josèphe appelle des brigands furent les premiers à souffler partout la révolte, car, de même qu’au temps de Mathathias et de Judas Macchabée, ces brigands étaient de hardis patriotes qui refusaient de servir l’étranger. Soyons justes envers cette nation qui a donné au monde le plus grand exemple qu’il ait encore vu ; ce ne sont pas quelques hommes, ni une armée, c’est un peuple presque entier qui va mourir pour ses croyances et sa liberté. Que ce sacrifice n’ait pas été nécessaire ; qu’il soit resté inutile pour la race de ceux qui l’accomplissaient, comme pour l’humanité qui ce jour-là vit commencer une persécution dont elle a souffert durant dix-huit siècles ; que ce peuple enfin ait eu tort : en religion, quand il refusait la doctrine évangélique qui complétait sa loi ; en politique, quand il repoussait la domination de Rome qui lui eût au moins donné l’ordre matériel ; tout cela est vrai. Mais l’historien trouve tant de guerres entreprises pour de condamnables motifs, qu’il ne peut refuser sa sympathie à ceux qui ont combattu et sont tombés au nom de la patrie et de la religion.

Longtemps la domination romaine avait été douce en Judée, comme ailleurs, plus qu’ailleurs même, parce que les Juifs de Palestine furent particulièrement protégés des premiers empereurs. Sous Tibère, ils n’avaient eu en vingt-deux ou vingt-trois ans que deux procurateurs, et le dernier, Ponce Pilate, avait été rappelé pour rendre compte de mouvements séditieux qu’il avait trop sévèrement réprimés[14]. Sous Claude, un soldat romain, qui dans un village avait déchiré un exemplaire du Pentateuque, fut décapité ; et un procurateur, qui s’était laissé corrompre, condamné à l’exil. Pour la même affaire, l’empereur renvoya à Jérusalem un tribun des soldats qui fut traîné sur la claie, par les rues de la ville, puis mis à mort[15]. A cette justice sévère se joignaient des égards pour leur culte. Aucun officier romain n’entrait dans la capitale sans monter au temple pour y adorer le Dieu national ; et chaque année des victimes y étaient offertes au nom du prince. Ces ménagements allèrent si loin, qu’on prit soin de donner aux Juifs des gouverneurs qui leur fussent agréables : c’est à la demande du grand sacrificateur Jonathan que Félix, le frère de l’affranchi Pallas, obtint la procurature de Judée (52-60)[16].

Niais, durant les dernières années de Claude et sous le règne de Néron, les excès des proconsuls républicains furent renouvelés. Vintidius Cumanus administrait alors la Galilée, Félix la Samarie et la Judée. L’éternelle rivalité des Juifs et des Samaritains, la haine de ceux-ci pour leurs voisins de Galilée, armaient ces populations les unes contre Ies autres, et, en face de ces brigandages mutuels, les procurateurs fermaient les yeux, à condition qu’on leur fit, dans le produit du pillage, la part du lion[17]. Sur les plaintes de quelques Juifs, Claude punit, il est vrai, Cumanus ; mais Félix, frère du tout-puissant favori, fut mis par le gouverneur de Syrie au nombre des juges devant lesquels les accusateurs devaient exposer leurs griefs. Encouragé par cette preuve de son crédit, Félix continua ses cruautés et ses violences, exerçant l’autorité souveraine avec la bassesse haineuse et avide d’un esclave[18]. Il retint l’apôtre saint Paul en prison pour en tirer de l’argent ; et le grand prêtre Jonathan lui reprochant ses exactions, il le fit poignarder.

Cette conduite était dangereuse ; car si le peuple, travaillé par les messies et fanatisé par les prêtres inférieurs que leurs chefs dépouillaient des dîmes[19], courait en foule se réunir aux bandits et donnait ainsi au brigandage la couleur d’un soulèvement patriotique contre l’étranger, les riches et les grands cherchaient dans l’appui des soldats romains la sécurité qui leur manquait pour leur vie et leur fortune. Les aliéner eût donc été une imprudence, s’ils n’avaient pas redouté plus encore les violences de leurs compatriotes que celles des procurateurs[20]. Au-dessous d’eux, en effet, ils voyaient fermenter dans la foule, non seulement les germes d’une lutte politique et religieuse, mais ceux dune révolution sociale : une insurrection des pauvres contre les riches.

La nouvelle Loi, préoccupée du faible, de l’affligé, avait des paroles de menace contre les puissants. Beaucoup prenaient à la lettre, et dans le sens de leur application sociale, les préceptes de l’égalité évangélique. Quand une doctrine nouvelle apparaît, il est des hommes qui la suivent en son entier et dans son esprit ; mais il en est aussi qui la côtoient, s’arrêtent à la surface et en prennent ce qui convient à leurs passions. Ce partage se produisit certainement à l’époque de la prédication chrétienne. Tandis que les uns, avec Jésus, regardaient au ciel, d’autres, comme il arriva si souvent dans les émeutes de paysans au moyen fige, n’entendirent que les paroles qui s’appliquaient aux intérêts terrestres. Les premiers allaient au Christ lorsqu’il prêchait le mépris des richesses : Nul ne peut servir deux maîtres ; choisissez donc entre Dieu et l’or ; ou lorsqu’il enseignait de préférer la prière au travail : N’ayez point souci de votre nourriture ni de votre vêtement ; considérez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent et n’amassent rien dans les greniers, mais votre Père céleste les nourrit. Or n’êtes-vous pas plus que les oiseaux du ciel ?Pourquoi vous inquiéter de votre vêtement ? Considérez comment croissent les lis des champs. Ils ne travaillent ni ne filent, et cependant je vous déclare que Salomon, dans toute sa gloire, n’a jamais été vêtu comme un seul d’entre eux. Si pieu prend soin de vêtir une plante des champs qui est aujourd’hui et qui demain sera jetée au four, combien mieux saura-t-il vous vêtir, ô hommes de peu de foi ! Cette doctrine, si conforme aux habitudes de l’Orient ; où le travail est une souffrance et n’est jamais une impérieuse nécessité, avait pu produire l’abandon de quelques ateliers ou comptoirs, comme elle décida Pierre à laisser son filet de pêcheur et Matthieu ses tablettes de publicain. Mais d’autres paroles, celles-ci par exemple : Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers, furent sans doute avidement recueillies par les hommes de violence qui poussaient à une révolution démagogique, contre le haut clergé que Jésus attaquait comme détenteur aveugle de la loi, et contre les riches à qui le doux maître des affligés fermait presque les avenues du ciel. Ses disciples précisèrent davantage ; à Jérusalem, ils exigèrent des fidèles la mise en commun de tous les biens ; et ce que saint Jacques écrivait aux tribus dispersées, il le disait certainement aux Juifs de la capitale dont il gouverna l’Église durant vingt-neuf années : Comme la fleur des champs qui est brûlée du soleil perd sa beauté, sèche et tombe, ainsi le riche se flétrira dans ses voies. N’est-ce pas lui qui vous déshonore et qui vous opprime ?... Ne sont-ce pas eux qui vous traînent aux tribunaux ? Et plus loin : Ô riches ! Pleurez, hurlez à la vue des misères qui vont fondre sur vous.... Le salaire que vous faites perdre aux ouvriers.... crie contre vous, et leurs cris sont montés jusqu’aux oreilles du Dieu des armées ;vous avez vécu sur la terre dans les délices, et vous vous êtes engraissés comme des victimes préparées pour le jour du sacrifice[21]. Nous avons malheureusement une trop longue expérience des révolutions populaires pour ne point penser que ces paroles, tombant dans la fournaise où bouillonnaient les esprits, donnèrent au feu de nouveaux aliments. Ceux mêmes qui rejetaient la nouvelle doctrine, en retenaient cette réprobation des riches qui convenait si bien à leurs appétits.

Quand la guerre éclata, les premiers actes des révoltés furent l’incendie du greffe public, ors ils brûlèrent les contrats et les obligations des débiteurs, le meurtre du grand prêtre et de quelques-uns des principaux citoyens, enfin la destruction du palais du roi Agrippa et de la reine Bérénice.

A la tête de ce mouvement démagogique se plaça la secte des zélateurs ou zélotes, née cinquante ans plus tôt, et qui, ne reconnaissant que Dieu seul pour maître au ciel et sur la terre, avait essayé vingt fois déjà de briser du même coup le joug de Rome et celui de la caste sacerdotale. Longtemps les efforts des zélateurs s’étaient traduits en actes de violence. Réfugiés dans les montagnes, ils s’y étaient associés aux bandits ; mais, en couvrant le brigandage de l’excuse d’une doctrine pieuse, ils en avaient formé un parti à la fois politique et religieux, et l’association des sicaires, dont Josèphe parle avec tant d’effroi, de ces hommes qui venaient tuer au milieu de la foule une victime désignée, rappelle à certains égards la terrible secte des Ismaéliens qui, onze siècles plus tard et presque dans les mêmes lieux, épouvanta l’Asie de ses assassinats.

Avec de tels chefs, imposteurs et magiciens, prêtres opprimés et brigands fanatiques, quel peuple fût resté paisible, surtout quand les modérés étaient eux-mêmes poussés à la révolte par tant de sentiments divers : l’amour du pays, de la religion des aïeux et de la liberté ; la haine implacable contre les amis de l’étranger, qui exploitaient ses misères ; par-dessus tout, la ferme croyance à une puissance sans bornes qui lui avait été promise et dont le jour était venu[22] ? Que de causes pour une explosion terrible ? Ce fut l’an 65 qu’elle éclata, et, cinq ans après, elle avait tout emporté, la ville, son temple et son peuple.

L’étincelle qui alluma l’incendie partit de la ville où les deux religions, les deux civilisations, mises par Hérode en présence, s’irritaient chaque jour au contact l’une de l’autre. Pendant que les Juifs de Césarée étaient réunis dans leur synagogue, un Grec, pour insulter à leurs rites, vint à la porte de cette maison immoler des oiseaux. De là émeute, combat, puis plaintes au procurateur Gessius Florus, lequel donna tort aux Juifs, bien qu’ils lui eussent donné S talents pour acheter son appui. A cette nouvelle, le peuple de Jérusalem insulta le gouverneur ; il répondit comme répondent habituellement ceux qui ont des épées à leur commandement : ses cavaliers chargèrent la foule ; beaucoup furent tués, d’autres pris, et quelques-uns, malgré leur qualité de chevaliers romains, déchirés à coups de fouet, puis crucifiés. Vainement le roi Agrippa[23], les sadducéens, les pharisiens, les sacrificateurs et les riches s’interposèrent entre les révoltés et les troupes romaines. Poussé par les zélateurs, le peuple courut s’emparer de l’inexpugnable forteresse de Masada, où avait été l’arsenal d’Hérode, et revint assaillir dans Jérusalem les partisans de la paix : comme déclaration de guerre à l’empereur lui-même, Éléazar refusa de laisser immoler les victimes offertes en son nom (mai 66).

Gessius Florus s’était retiré à Césarée, les riches à peu près abandonnés à eux-mêmes[24] firent tête à l’insurrection ; pendant sept jours on se battit au milieu des rues. Mais les sicaires eurent le temps d’accourir de leurs montagnes. Dés qu’ils eurent pris part à la lutte, elle se décida promptement : les grands furent chassés de la ville haute, leurs palais incendiés, ceux d’entre eux qu’on put saisir égorgés. Des soldats romains avaient été laissés par Florus à Jérusalem ; ils se défendirent dans les tours d’Hippicus, de Phasaël et de Mariamne, jusqu’au moment où, à bout de ressources, ils ouvrirent leurs portes, en stipulant qu’ils auraient la vie sauve ; on les massacra le jour même glu sabbat.

Dés que le bruit de ces événements se fut répandu, la haine des Grecs, longtemps contenue, éclata contre ce peuple que la colère de Rome allait nécessairement frapper. Dans la capitale de l’Égypte, cinquante mille Juifs périrent à la suite d’une émeute ; à Césarée, vingt mille ; à Scythopolis, treize mille ; à Damas, dix mille ; à Ascalon, deux mille cinq cents. Toutes les villes de Syrie, Antioche, Apamée et Sidon exceptées, eurent de semblables exécutions. Partout les populations se vengeaient de cette égalité que le sénat leur avait imposée avec une nation odieuse et des privilèges qu’il leur avait accordés[25]. Quand les Juifs de Palestine virent arriver au milieu d’eux ceux qui avaient échappé à ces massacres, ils crurent à un complot formé pour l’extermination de leur race, et l’insurrection de Jérusalem gagna le pays tout entier. Aux égorgements de Juifs en Syrie répondirent ceux de Grecs en Palestine. Dans la Décapole et la Gaulanitide, à Philadelphie, Hésébon, Gérasa, Pella, Anthédon, Gaza, etc., le sang coula à flots. La population grecque de Scythopolis se sauva, en s’aidant des Juifs établis au milieu d’elle pour repousser leurs coreligionnaires, puis les massacra.

Cependant le gouverneur de Syrie, Cestius Gallus, entra en Judée à la tête de ses troupes il arriva bien jusqu’à Jérusalem, occupa la ville neuve et le quartier de Bézétha, mais, assailli par un peuple immense, il fut contraint à une retraite précipitée, dans laquelle il perdit six mille hommes, ses machines de guerre et ses bagages (oct. 66). Ce succès décida les plus timides. D’ailleurs, depuis les massacres de Damas et d’Alexandrie, personne n’osait plus parler de poser les armes. Entraînés par l’exemple ou la crainte, tous, même les Esséniens[26], acceptèrent cette dernière lutte pour l’indépendance. Les chrétiens seuls n’avaient rien à faire dans ces querelles pour un temple et une patrie qu’ils ne reconnaissaient plus ; suivant le conseil du Maître[27], ils quittèrent Jérusalem avec leur évêque Siméon, et se retirèrent dans les solitudes, au delà du Jourdain[28]. Ce qu’ils font en ce moment pour Jérusalem, ils le feront plus tard pour Rome ; ces conquérants des âmes et du ciel ne voulaient point enfermer leur doctrine clans l’enceinte d’une ville ou d’un empire périssable.

Une grande assemblée eut lieu dans le temple, après la retraite de Cestius, afin d’élire des chefs et d’organiser partout la résistance. Les principaux personnages adhérèrent cette fois au mouvement, et les modérés acceptèrent des charges. L’historien Josèphe, de l’illustre famille des Asmonéens, et qui comptait parmi les moins ardents, eut un des cinq gouvernements entre lesquels on partagea le pays, celui de Galilée, qui, par sa richesse et sa population, était comme le boulevard de Jérusalem. Josèphe prétend y avoir établi jusqu’à cent mille hommes, qu’il habitua par de fréquents exercices à la discipline romaine. Un synédrion ou conseil suprême, siégeant à Jérusalem, avait la direction générale des opérations.

Malgré les dédains affectés de Néron pour cette levée de boucliers d’un des plus petits peuples de l’empire, la guerre allait être sérieuse, car, dans ce pays hérissé de montagnes, l’assaillant, malgré le nombre et l’habileté de ses troupes, ne pouvait brusquer l’attaque contre des rochers inexpugnables défendus par des hommes résolus aux derniers sacrifices. Le roi agrippa, créature de Rome, trahissait la cause de son peuple ; mais les Juifs, répandus en grand nombre dans tout l’Orient, pouvaient envoyer des secours à leurs frères et peut-être entraîner quelques-uns des peuples au milieu desquels ils habitaient. Parmi les défenseurs de Jérusalem, on voit des Babyloniens, des Adiabènes, des Arabes. Josèphe le dit expressément, il s’agissait moins de châtier les Juifs que de maintenir dans le devoir le reste de l’Orient, en arrêtant les dispositions de tous ces peuples à secouer le joug de Rome[29]. Au fond, Néron en jugea ainsi, et ce fut son meilleur général, Vespasien, qu’il chargea d’écraser ce peuple qui seul osait troubler le repos du monde[30].

Dans les derniers mois de l’année 67, Vespasien entra en Galilée à la tête de plus de soixante mille hommes, en comptant les auxiliaires, au reste peu nombreux, des rois voisins, Antiochus de la Commagène, Sohem de l’Iturée, Malchus de l’Arabie, Agrippa, l’ancien tétrarque de la Gaulanitide. Palmyre lui avait donné d’habiles archers. Josèphe concentra ses principales forces dans Jotapata et y résista quarante-sept jours à tous les efforts de Vespasien. Cette place tombée, le reste de la Galilée fut bientôt soumis. Mais la riche province paya cher ce rêve d’indépendance. Les Romains furent sans pitié, et dés les premiers jours la lutte prit un caractère atroce. Rien n’était épargné, ni l’âge ni le sexe ; si l’on fit quelques prisonniers, ce fut pour les envoyer travailler à l’isthme de Corinthe, que Néron voulait couper. Les Juifs eux-mêmes prévenaient l’ennemi ; ils égorgeaient leurs femmes, leurs enfants, et se tuaient eux-mêmes sur les cadavres. Quarante défenseurs de Jotapata s’étaient réfugiés avec leur chef dans une caverne, l’ennemi leur offrit la vie sauve ; Josèphe voulait accepter, mais ses compagnons le menacèrent de mort s’il faisait un pas pour sortir ; et il n’eut d’autre ressource que de proposer qu’on laissât le sort décider l’ordre dans lequel ils s’égorgeraient. Le premier désigné était tué par celui qui suivait, celui-là par le troisième, et ainsi jusqu’au dernier[31]. Josèphe resta seul avec un des siens qu’il obligea de le suivre au camp romain, où, pour achever dignement ce jour de faiblesse, il promit, au nom du ciel, l’empire au persécuteur de sa race (67).

De pareilles scènes et de plus terribles allaient se renouveler à Jérusalem, car les Juifs, dont la croyance à une autre vie avait été si lente à se former, pensaient à présent que ceux qui tombaient dans les batailles ou dans les supplices[32], les héros et les martyrs, jouissaient de l’immortalité. C’était déjà dire ce que Mahomet enseignera plus tarit : Le paradis est à l’ombre des épées.

Les zélateurs s’étaient rendus maîtres du temple, et de ce point culminant ils dominaient la ville, qu’ils remplissaient de sang. Les membres de la famille d’Hérode, les citoyens les plus nobles et les plus riches, furent arrêtés comme suspects de vouloir traiter avec les Romains : c’étaient vies otages. Mais on craignit de ne pouvoir les garder ; un jour la population entoura la prison, où des brigands armés s’introduisirent et égorgèrent les captifs. Dans leur radicalisme religieux, les zélateurs ne voulurent plus de souverain pontife choisi dans les grandes familles sacerdotales ; ils tirèrent cette charge au sort, et un lévite ignorant et pauvre, qui jamais n’était sorti des champs, fut malgré lui revêtu de la robe du grand prêtre.

Cependant le véritable grand prêtre, Ananus, essayait de relever le courage des citoyens paisibles. C’est vous, leur disait-il, qui, par votre silence et votre résignation, avez inspiré tant d’audace à nos tyrans. Quand vos concitoyens ont été traînés à travers la ville, qui d’entre vous leur est venu en aide ?... Vous avez abandonné des hommes qui n’avaient pas été frappés par un jugement public ; vous les avez vu égorger, et, tandis que les victimes tombaient comme le troupeau qu’on a conduit au sacrifice, non seulement vous n’avez pas levé le bras pour les défendre, mais vous n’avez pas jeté un cri pour protester contre cet attentat.

Ces reproches réussirent un moment : on s’arma ; on suivit le chef qui s’offrait et l’on refoula les zélateurs derrière la seconde enceinte du temple. Il y eut alors trois guerres en Judée : celle des démagogues religieux armés contre Rome et contre la société juive ; les défenseurs de celle-ci ; les Romains ennemis des uns et des autres. Selon l’usage dans les temps de crise, ce fut le parti modéré qui d’abord succomba.

Avec de la décision, les politiques auraient pu forcer l’asile des démagogues : Ananus, qui craignait d’ensanglanter les lieux saints, se contenta d’un blocus qu’on tint avec négligence. Beaucoup se faisaient remplacer à prix d’argent dans leur service par des hommes du peuple, qui étaient de connivence avec les ennemis des riches. Avertis par leurs nombreux espions de la facilité qu’il y aurait à franchir les lignes, les zélateurs firent partir des émissaires qui gagnèrent les districts du Sud, où ils appelèrent les paysans (les Iduméens) à la défense de la maison de Dieu que des traîtres voulaient livrer aux Romains. Un grand nombre accoururent et enveloppèrent Jérusalem. Ils étaient incapables d’y pénétrer de vive force ; mais une nuit, durant un orage qui avait fait rentrer les sentinelles sous les abris, les zélateurs descendirent du temple dans la ville et en ouvrirent les portes aux Iduméens. Ananus, accouru au premier bruit, fut tué ; beaucoup d’autres périrent ; parmi eux tout le haut clergé et ceux des riches qui ne surent pas s’échapper à temps. C’était, disaient les assassins, la colère de Dieu et du peuple qui s’appesantissait sur eux. Le jour, on remplissait les prisons ; la nuit, on les vidait, en égorgeant les captifs, dont les corps étaient jetés aux chiens. Personne n’osait laisser voir sa douleur et ses larmes. Seuls les pauvres et les gens de rien n’avaient pas à craindre[33].

Il y eut cependant un mémorable exemple de courage civil. Les zélateurs, pour se couvrir des apparences de la justice, formèrent un tribunal de soixante-dix juges, devant lesquels on traîna d’abord nu ami d’Ananus, Zacharias, fils de Baruch, sous l’inculpation d’avoir entretenu des intelligences avec Vespasien. Il se disculpa aisément et reprocha au parti victorieux son usurpation et ses crimes. L’assistance jetait des cris de fureur et voulait l’égorger avant le jugement. Les soixante-dix, à l’unanimité, le renvoyèrent absous. A deux pas du tribunal il fut assassiné. Les juges, impassibles sur leurs sièges, attendaient le même sort ; on les chassa de l’enceinte du temple, et ils se retirèrent sous les huées, les insultes et les coups.

Vespasien connaissait cette situation de Jérusalem, et, laissant les Juifs s’y égorger, il achevait la conquête du pays avec une lenteur calculée pour rester, dans les difficiles conjonctures où se trouvait l’empire, à la tête de forces considérables. Il employa l’année 64 à soumettre, sur la rive gauche du Jourdain, la Pérée et quelques villes de la Judée ; dans les premiers mois de 69 il envahit l’Idumée, ou Palestine méridionale ; il prit Béthel, Éphraïm, au nord de Jérusalem, qui se trouva alors cernée, et il allait commencer le siège de la cité sainte, quand ses troupes le proclamèrent empereur (3 juill. 69). Pendant près d’une année, la guerre civile détourna son attention de la guerre juive.

Le répit que l’élévation de Vespasien avait valu aux Juifs n’avait fait qu’accroître leurs discordes. Trois partis, trois armées, se livraient, à Jérusalem, de fréquents combats. Jean de Giscala, avec les zélateurs modérés, tenait l’enceinte extérieure du temple et les abords du mont 1loria ; Éléazar, le chef des assassins du grand prêtre, s’était enfermé dans le temple même ; Simon ben Giora, avec ses bandes d’Iduméens, occupait la haute ville ou la montagne de Sion. Chacun de ces trois chefs aurait voulu être seul maître de Jérusalem, la sauver des Romains et se faire reconnaître ensuite comme le Messie auquel tant de gloire était promise. Éléazar, fortement établi dans une position inexpugnable, faisait des sorties que Jean ne pouvait prévenir, mais dont il se vengeait sur Simon auquel il disputait Acra ou la ville. basse. A la fête de Pâques, Éléazar ouvrit aux fidèles l’entrée du temple. Jean cacha dans la foule des hommes armés, et à la suite d’un sanglant combat il força son adversaire à se rendre. C’était une faction de moins ; il en restait deux, qui, en face de l’ennemi commun, cessèrent enfin de se battre entre elles.

Au printemps de 70, Titus partit de Césarée à la tête de soixante mille hommes et arriva dans les premiers jours de mars[34] sous les murs de Jérusalem. Le siège, qui dura cinq mois, est un des plus mémorables de l’antiquité et celui qui nous est le mieux connu, Josèphe, qui y prit part, en ayant longuement raconté l’histoire. Nous ne pouvons même résumer son récit ; pour le faire comprendre, il faudrait entrer dans des détails de topographie et de machines qui nous prendraient une place dont nous ne disposons pas[35]. Disons, d’un mot, que les travaux des Romains furent immenses, et la résistance des Juifs égale ou supérieure à tout ce que l’héroïsme a jamais accompli ailleurs. Bien que Vespasien eût réuni ce que nous appellerions une artillerie formidable, il fallut à Titus six semaines pour pratiquer une brèche dans la première enceinte et enlever le faubourg Bézétha. La ville basse semblait prise, mais chaque maison devint une forteresse ; et une seconde muraille la défendait ; les Romains ne s’en rendirent maîtres qu’au bout de neuf jours. Aux maux de la guerre se joignirent ceux de la famine. Le siége ayant commencé durant les fêtes du temps pascal, une foule immense s’était trouvée enfermée dans la place. Les vivres avaient été bientôt épuisés par les besoins de cette multitude et par l’ordre de remettre aux soldats ce que chacun avait en réserve. La misère devint telle, qu’une mère mangea son enfant. Aussi beaucoup essayaient de fuir ; mais ceux qui échappaient aux gardes des murs étaient saisis par les Romains et mis en croix ; à un certain moment, il en périt, de cette manière, jusqu’à cinq cents par jour.

Titus offrait de traiter. La maison de Dieu ne saurait périr, répondait Jean avec un farouche enthousiasme, et la lutte continua longtemps encore sur les ruines des murs, au milieu des débris fumants des portiques du temple. Le général romain aurait voulu épargner ce sanctuaire célèbre ; mais un soldat, poussé, dit Josèphe, comme par une inspiration divine, jeta une pièce de bois enflammé dans une des salles qui entouraient le temple ; le feu gagna aussitôt de tous côtés, et les Juifs, avides d’aine mort qui leur ouvrait le ciel[36], se précipitèrent à travers les flammes et les épées des Romains.

Ainsi fut bradé le second temple de Jérusalem, le 8 juillet de l’an 70 de Jésus-Christ. La ville haute tenait encore ; le 1er août, les Romains la prirent et l’incendièrent. Trois forteresses, que les zélateurs occupaient aux environs, furent successivement enlevées. Dans la dernière, Masada, les Juifs, près d’être forcés, égorgèrent leurs femmes et leurs enfants, puis chacun, tenant embrassés les corps de ces chères victimes, tendit la gorge à ceux d’entre eux que le sort avait désignés pour rendre à leurs compagnons ce dernier service. Ceux-ci s’entretinrent à leur tour ; et quand les Romains entrèrent dans la place, ils n’y trouvèrent qu’un silence de mort, troublé seulement par le bruit de l’incendie qu’avant de mourir les zélateurs avaient encore allumé[37].

Ce fut le dernier acte de cet épouvantable drame. Au compte de Josèphe, qui, il est vrai, exagère tous les chiffres, onze cent mille Juifs auraient péri, dont la moitié dans Jérusalem. Quatre-vingt-dix-sept mille étaient prisonniers ; les uns furent vendus, d’autres envoyés aux carrières d’Égypte, le reste réservé pour les combats du cirque. Il fallait récompenser les villes syriennes de leur fidélité : Titus leur donna des jeux et des fêtes, où il leur montra ces Juifs odieux déchirés dans l’amphithéâtre par des bêtes fauves ou s’égorgeant entre eux comme gladiateurs. A Panéas, pour célébrer la fête de son frère, il en fit périr deux mille cinq cents dans les flammes ou au cirque ; autant à Beyrouth, au jour anniversaire de la naissance de Vespasien. Il n’en garda que sept cents pour suivre, à Rome, le char sur lequel Vespasien et lui firent leur entrée triomphale. Devant eux, les captifs voyaient porter les dépouilles du temple, la table d’or, le chandelier à sept branches, les voiles du sanctuaire, le livre de la loi[38]. À leur tête marchaient les deux chefs Jean et Simon. Le dernier, conduit, après la fête, au Forum, y fut longtemps battu de verges, puis décapité ; l’autre mourut en prison. Des médailles frappées en souvenir de cette guerre représentaient une femme en pleurs assise au pied d’un palmier, avec cette inscription : la Judée captive[39].

Elle l’était, et pour toujours ! Du temple, il ne restait qu’un amas de décombres ; de la ville sainte, çà et là, des pans de murailles noircies par le feu[40], et du peuple juif des débris épars dans les provinces, où la haine va s’attacher à eux. Déjà Vespasien a réuni la Judée entière à son domaine, et il ordonne à tous les Juifs de l’empire de payer désormais pour le Capitole les 2 drachmes par tête qu’ils envoyaient chaque année au temple de Jérusalem[41].

La guerre venait de détruire presque en mène temps les deux sanctuaires des croyances religieuses qui se partageaient le monde. Mais tandis que l’un se relèvera bientôt étincelant d’or, l’autre restera éternellement abattu. C’est qu’à présent le dernier n’est plus nécessaire. L’idée qu’il tenait enfermée dans le Saint des Saints en est sortie pour se répandre sur le monde, et, par elle, les vaincus d’aujourd’hui seront les vainqueurs de demain[42] ; les fugitifs deviendront des conquérants ; ceux qu’on a cru écraser par la force domineront par l’esprit, et le Dieu juif, chassé par Titus du temple de Jérusalem, entrera en maître dans le Capitole de Rome, d’on Jupiter et tous les grands Dieux seront précipités. Tacite raconte qu’avant le dernier assaut les portes du temple s’ouvrirent d’elles-mêmes ; qu’on entendit une voix surnaturelle qui criait : Les dieux s’en vont, et en même temps tout le bruit d’un départ[43]. C’était le Jéhovah mosaïque, transfiguré par Jésus, qui abandonnait son roc solitaire de Sion pour devenir le Dieu de l’univers, et y faire régner, durant des siècles, avec la seconde loi révélée, une nouvelle théocratie pleine de mansuétude envers les siens, implacable, comme la juive, a l’égard de ses adversaires. Mais un jour, au sein du monde renaissant, la lutte recommencera ; car les deux peuples qui viennent de nous donner ce terrible spectacle représentaient deux tendances contraires de notre nature, dont l’opposition n’est pas près de finir : la foi contre la raison, l’enthousiasme contre la science, la religion contre la politique, le droit divin contre le droit naturel.

 

III. — VESPASIEN (69-79).

Les deux guerres que nous venons de raconter nous ont retenu aux extrémités do, l’empire ; retournons à Rome, que nous avons laissée, au lendemain (le la mort de Vitellius, avec son Capitole en cendres et ses rues jonchées de morts. Les combats qui l’avaient ensanglantée étaient les dernières convulsions d’une anarchie de deux ans. Commencé dans la Gaule et l’Espagne, quand la chute de la maison des Césars eut fait l’immense vide où I’empire faillit s’abîmer, l’ébranlement s’était communiqué à la Germanie et à l’Illyrie, de là à la Syrie, à la Judée, à l’Égypte, et la guerre civile avait passé sur l’univers comme une terrible expiation[44]. Cependant l’esprit de révolte, après avoir agité toutes les légions et toutes les provinces, allait s’affaisser et s’éteindre faute d’aliments ; et l’empire se trouvera comme un grand corps qui, au prix d’une commotion violente, a rejeté le mal qui le travaillait. Il en garde le principe ; mais, pour un temps du moins, le calme et la force lui reviendront. Il n’y avait plus en effet d’empereur à faire ni de légions à acheter. Vespasien était accepté des chefs et des armées, des troupes d’orient qui l’avaient élu, des partisans de Galba dont il relevait les statues[45], et des Othoniens auxquels il avait fourni l’occasion d’effacer la honte de Bédriac. Quant aux vieilles légions de Germanie, détruites ou dispersées, elles ne pouvaient plus rien. Tout le monde, pour cette fois, comptait donc sur la paix, et le sénat s’empressait, de décerner au vainqueur les honneurs et les droits qui constituaient l’autorité impériale : c’étaient ceux qui avaient été successivement accordés aux empereurs précédents[46]. Ses deux fils Titus et Domitien reçurent en même temps les titres de Césars et de Princes de la jeunesse, et Mucien les ornements du triomphe pour sa victoire sur les Sarmates. Retenu par les vents contraires, surtout par une prudence qui ne voulait rien donner au hasard, Vespasien était encore en Égypte quand il avait appris la victoire de Crémone et la mort de son rival. Ces succès, remportés au loin, venaient retentir bruyamment dans cet Orient si plein de superstitions. Rendu crédule par tout ce qu’il avait vu dans cette terre des prodiges et par cette réalisation des prophéties intéressées du Juif Josèphe, Vespasien commençait à se regarder comme particulièrement favorisé des dieux, ou trouvait utile de le faire croire. Apollonius de Tyane, qu’un rigoureux ascétisme avait conduit aux hallucinations, était alors à Alexandrie. Ses voyages dans le pays mystérieux des Brahmanes, ses courses continuelles à travers tout l’empire, excitaient, quelque part qu’il s’arrêtât, une curiosité qu’il se gardait bien d’épuiser par de trop longs séjours. Si on ne le regardait point encore comme un dieu, ainsi que feront les contemporains d’Alexandre Sévère, du moins passait-il pour prédire l’avenir. Vespasien voulut l’entendre ; bien mieux, il eut lui-même des visions envoyées d’en haut, et pour compléter la ressemblance avec ce roi promis à l’Orient, dont s’entretenaient les imaginations populaires, il fit des miracles ; il guérit en pleine assemblée un aveugle et un paralytique. En Orient, le merveilleux est toujours nécessaire ; c’est le moyen d’action qui manque le plus rarement son but, et les esprits s’y prêtent si bien, que celui qui en fait devient parfois la dupe de ses ruses ou de ses rêves. Puis la langue, si pleine de hardiesse et de métaphores, ajoute l’exagération des mots à l’exagération des choses, de manière il faire passer bien vite un fait de l’ordre naturel dans l’ordre surnaturel. La vérité, cachée sous cette double enveloppe que l’œil du peuple ne perce jamais, se retrouve rarement, et il importe peu. Laissons Vespasien faire des miracles, même les Alexandrins, Suétone, Tacite et Dion croire qu’il en faisait[47] ; remarquons seulement qu’en ce pays et en de telles occurrences cette conduite était habile, non sans doute de l’habileté que nous aimons, mais de celle qui réussit toujours. Sérapis, le grand dieu des Alexandrins, consacra par des présages certains la fortune de ce parvenu, et l’empereur plébéien allait rapporter à Rome, à défaut de l’illustration des Césars, l’adoption des dieux. C’était une affaire bien conduite.

Son séjour en Égypte ne fut pas tout entier perdu pour les choses sérieuses. Il fit d’utiles réformes dans l’administration de ce pays, qui depuis Auguste n’avait pas vu d’empereur, et il augmenta, malgré les railleries des Alexandrins, les impôts dus par cette riche cité[48]. De là aussi il veillait sur la Judée, l’Asie et l’Afrique. Vologèse lui offrit quarante mille cavaliers, il refusa ; pour arrêter l’insurrection du Pont, il lui suffit de quelques cohortes de vexillaires[49]. En Afrique il échangeait avec le légat Valerius Festus, commandant des forces militaires en Numidie, de secrets messages qui préparaient sa défection. Le proconsul qui administrait cette province sénatoriale songeait, disait-on, à profiter de l’immense désordre pour se faire proclamer empereur ; il était de l’illustre famille des Pions et beau-frère d’un autre membre de cette maison que Mucien venait de faire exécuter. Les cavaliers du légat, accourus de Lambèse à Carthage, débarrassèrent Vespasien de cette candidature. L’Afrique soumise, on tâcha d’y remettre un peu d’ordre. Leptis et Œa se battaient, comme Lyon et Vienne en Gaule, comme Pouzzoles et Capoue en Italie, comme toutes les villes de la Sicile, comme beaucoup d’autres dans les provinces. Le peuple d’Œa, soutenu des Garamantes, désolait par d’affreux brigandages le territoire de Leptis[50] ; on envoya des cohortes et de la cavalerie qui rétablirent la paix romaine. Le long du Danube, les Sarmates et les Daces avaient ravage la Mœsie après le départ des légions. Mucien, survenu fort à propos avec l’armée d’Asie, les chassa au delà du fleuve ; mais, quand il se fut éloigné, Us revinrent à la charge. Vespasien envoya en diligence Rubrius Gallus, qui délivra la Mœsie et fortifia avec soin les bords du fleuve[51]. Avant donc que la guerre civile fût terminée, Vespasien inaugurait son règne en pacifiant les provinces et les frontières.

Il aurait voulu attendre la fin de la guerre de Judée pour retourner à Rome avec Titus. Mais, le siège de Jérusalem se prolongeant, il était parti, visitant sur sa route Rhodes et diverses cités de l’Asie-Mineure. Il prit terre en Italie à l’extrémité de la Calabre, trouva Mucien et presque tout le sénat à Brindes, Domitien à Bénévent, avec une partie du peuple. Il y avait près d’une année que Vitellius était mort. Ce temps avait été bien employé. Deux guerres dangereuses étaient finies, l’empire ébranlé avait retrouvé le calme et l’ordre. Des dernières agitations il ne restait d’autres traces que les ruines du Capitole et un immense désir de repos. Mucien était pour beaucoup dans cette pacification. C’était à la fois le Mécène et l’Agrippa du nouvel Auguste, qui lui avait aussi donné son anneau pour agir partout en son nom. Laissant l’empereur dans ce lointain qui grandit les proportions et accroît le respect, il avait pris la tâche ingrate d’arrêter la réaction contre les vaincus, de replacer les vainqueurs sous le joug de la discipline, de faire rentrer dans l’ombre le héros de la guerre civile et de contenir Domitien. Après le meurtre de Vitellius, de son fils, de son frère Lucius, d’Asiaticus, le plus odieux de ses affranchis, qui périt sur la croix, et d’un Pison, dont la popularité l’inquiétait[52], Mucien avait mis un !urine aux exécutions politiques. La fille de Vitellius fut épargnée ; et Helvidius Priscus, Musonius Rufus dénonçant les délateurs, il laissa prononcer quelques condamnations, puis arrêta ces poursuites, souvent dangereuses. Antonius Primus vantait très haut ses services et s’en était déjà payé lui-même, en mettant la main sur la caisse impériale et sur la maison du prince, comme si c’eût été la dépouille d’un Crémonais[53]. Mucien le combla d’égards : il lui fit décerner les ornements consulaires, il accorda des grâces à tous ses amis ; mais il lui ôta tout pouvoir et le décida à se rendre auprès de Vespasien, qui le reçut avec honneur, sans lui accorder plus de crédit[54]. La guerre des Gaules était venue fort à propos délivrer l’Italie d’armées embarrassantes ; il restait encore à Rome les prétoriens licenciés de Galba, d’Othon et de Vitellius, et les légionnaires flaviens auxquels on avait promis l’enrôlement dans les cohortes prétoriennes. Mucien se pressant peu de répondre à toutes les demandes, une émeute éclata ; il l’apaisa, offrit des terres, dont on ne voulut pas, et finit par les admettre tous au prétoire. Mais, le service organisé, il congédia un à un et sans bruit ceux qui avaient passé l’âge ou qui commirent quelque faute.

Domitien lui donna plus de soucis. Ce jeune prince, âgé de dix-neuf ans, s’était trouvé avec Sabinus au Capitole et n’en était sorti qu’à la faveur d’un déguisement. Pour le danger qu’il avait couru, il se croyait un des vainqueurs et tranchait du souverain. Eu un jour il distribua vingt places. Vespasien lui écrivit. Je dois m’estimer heureux que tu n’aies pas songé à nommer aussi un empereur. Quand on apprit la révolte des Gaules, Domitien, jaloux de son frère, voulut commander l’armée et partit de Fume Mucien, qui n’osait le quitter, le suivit ; mais ils apprirent au pied des Alpes la défaite des Trévires ; sur quoi, Mucien représenta au jeune César qu’il y aurait peu de gloire a aller achever une guerre qui finissait d’elle-même, et il le décida à s’arrêter à Lyon. On croit que de cette ville Domitien fit sonder secrètement Cerialis pour savoir si le commandement lui serait remis au cas où il se rendrait à l’armée. Cerialis éluda la réponse, et Domitien, s’apercevant avec dépit que ces vieux politiques se jouaient de lui, se retira de toutes les affaires ; il ne parut occupé désormais que de vers et de littérature[55]. Son habile tuteur le ramena à Rome, d’où tous deux allèrent au-devant de l’empereur.

Malheureusement Tacite nous manque encore en cet endroit, et cette fois pour toujours. Rien n’a été sauvé de ses Histoires depuis le milieu de l’année 70, et nous voilà réduits aux sèches biographies de Suétone, aux fragments de Dion, aux abrégés d’Aurelius Victor et d’Eutrope. Le fleuve majestueux où nous puisions et qui coulait à pleins bords n’est plus qu’un maigre filet d’eau. De tous les empereurs, Vespasien est celui qui y perd le plus, car il fut, dit saint Augustin, un prince très bon et très digne d’être aimé[56].

Il arrivait au pouvoir à un âge où l’on ne change plus, à soixante ans. Il n’avait jamais aimé ni le jeu ni la débauche, et il entretenait sa santé par un régime frugal, passant même tous les mois un jour sans manger. Sa vie était simple et laborieuse ; empereur, il employa toujours une partie de la nuit aux affaires ; Pline l’Ancien et bien d’autres venaient avant le jour travailler avec lui ; enfin Thrasea et Soranus, les plus vertueux du sénat, avaient été ses amis[57]. Ce soldat habitué à la discipline, ce parvenu ayant connu la misère, était bien l’homme qu’il fallait à l’empire. Dans le palais impérial, il ne changea rien à ses habitudes, vécut comme auparavant, en simple particulier, sa porte ouverte à tous, sans souvenir des injures[58] et sans fierté ; raillant ceux qui voulaient lui faire une généalogie, et répondant aux sarcasmes par des plaisanteries à gros sel, qui valaient toujours mieux qu’un ordre d’exil ou une sentence de mort ; capable de reconnaissance, chose rare dans un prince, souffrant la vérité et les conseils[59]. Il dota magnifiquement la fille de Vitellius, n’ôta rien des biens de leurs pères aux enfants de ceux qui avaient combattu contre lui[60], et laissa Mucien, qu’il décora deux fois de la pourpre consulaire, prendre le ton et les manières d’un collègue plutôt que d’un ministre ; sans faiblesse cependant, même pour son fils Domitien, qu’il tint dans une étroite dépendance. Selon les traditions de la première cour impériale, il recevait familièrement les grands et les visitait chez eux sans appareil. On voulut un jour l’inquiéter sur un personnage à qui les astres promettaient l’empire ; il lui donna le consulat. S’il devient empereur, dit-il, il se souviendra que je lui ai fait du bien.

Vespasien n’a pas une renommée retentissante ; on le connaît surtout par les anecdotes de Suétone et de Dion. Nous-même qui avons soigneusement recherché ses actes, lorsque nous aurons dit qu’il prit Auguste pour modèle, nous lui aurons donné tout l’éloge que mérite son esprit politique. Il ne visait pas plus haut qu’à mettre l’ordre dans l’état et dans les finances ; mais il le mit ; et si son principat, comme tous les autres, ne prépara rien pour l’avenir, il fit beaucoup pour le présent. Ce fut un règne réparateur dont on sentit les effets durant plusieurs générations : ce service vaut bien des gloires plus brillantes.

A l’exemple du second des Jules, le premier des Flaviens se résolut à prendre dans le sénat le point d’appui de son gouvernement. Cette assemblée, avilie par tant d’années de tyrannie, avait besoin, autant qu’un siècle plus tôt, d’être soumise à une révision sévère. En outre, les guerres civiles, les complots, la débauche, avaient s : bien décimé la noblesse que, a en croire un vieil historien, on n’aurait pas alors compté dans Rome deux cents gentes. Cet épuisement du sang aristocratique semblait un péril à l’égard des dieux dont certains autels allaient rester déserts ; et, aux veux du peuple, il en résultait une diminution d’éclat pour la cité qui, comme l’Angleterre de nos jours, honorait les grandes familles et aimait leur large existence. Vespasien agit résolument : investi, en 73[61], du titre de censeur, avec son fils Titus pour collègue, il raya de la liste des deux ordres Ies membres indignes, les remplaça par les personnages les plus distingués de l’empire, et, en vertu de ses pouvoirs comme souverain pontife, il en éleva plusieurs au patricial. Mille familles italiennes ou provinciales vinrent s’ajouter aux deux cents familles aristocratiques qui avaient survécu, et constituèrent avec elles la haute société romaine, celle où l’on prenait les candidats à toutes les fonctions civiles, militaires et religieuses[62]. Une preuve du soin extrême que Vespasien mit et choisir vraiment., comme disent Suétone et Aurelius Victor, les meilleurs, c’est qu’au nombre de ceux qu’il nomma patriciens, se trouvèrent Agricola, beau-père de Tacite, qui était de la Narbonnaise, l’Espagnol Trajan, le Gaulois Antonin, l’un père, l’autre aïeul de glorieux empereurs[63], et qu’il commença la fortune de Tacite[64], celle peut-être de ce Cornutus Tertullus dont Pline le Jeune parle avec de si grands éloges[65], de Licinius Sura, que Trajan fit presque son collègue, du Maure, Lusius Quietus, un des plus habiles généraux de l’époque, de tant d’autres enfin, vieux Romains ou hommes nouveaux, qu’il alla prendre dans toutes les conditions et clans toutes les provinces. Claude avait compris que ce mode de recrutement pour le sénat était une nécessité du gouvernement impérial ; Néron lui-même avait appelé à de hautes fonctions l’Aquitain Vindex et un Juif converti, Tibère Alexandre. Mais aucun empereur, depuis César, n’avait appliqué aussi largement que Vespasien cette politique libérale.

Il est fâcheux que nous n’ayons pas de renseignements sur cette rénovation de la noblesse romaine : événement considérable dont l’écho se retrouve sous Domitien dans les vers de Stace[66], et qui a eu pour conséquence l’heureuse époque des Antonins. Cette aristocratie, empruntée par Vespasien aux cités provinciales où elle s’était formée aux affaires publiques, où elle avait pris le goût de l’économie, de la simplicité et de l’ordre[67], apporta dans Rome des mœurs honnêtes que ne connaissaient plus les descendants des proconsuls républicains, cette jeunesse dorée dont on a vu sous Néron les abominables licences. Elle fournira les grands empereurs du second siècle, les habiles lieutenants qui les seconderont et des sénateurs qui ne conspireront plus qu’à de longs intervalles, parce que, oublieux enfin de Brutus et de Caton, dont les images ne se dressent plus dans l’atrium de ces maisons nouvelles, ils céderont rarement aux tentations mauvaises que donnaient à leurs prédécesseurs l’illustration du nom, l’influence de la richesse et la fatalité des souvenirs.

Le sénat ainsi renouvelé et pour un moment devenu la représentation sincère de l’empire, Vespasien lui soumit toutes les affaires importantes. Il assistait régulièrement aux discussions, et, lorsqu’il adressait un message aux Pères, c’étaient ses fils, et non pas son questeur, qui allaient en donner lecture. Par ses libéralités, il combla le cens de quelques sénateurs et forma, pour secourir les consulaires pauvres, un fonds annuel de 500.000 sesterces[68].

Suétone lui rend ce témoignage qu’il serait difficile de citer un seul individu puni injustement sous son règne, à moins que ce ne fût en son absence ou à son insu[69]. Il aimait à rendre lui-même la justice au Forum ; et, afin de liquider l’arriéré de la guerre civile en terminant vite les innombrables procès qui surchargeaient les rôles des centumvirs, il institua une commission de juges tirés au sort qui fit restituer ce qui avait été usurpé à la faveur des troubles. Dans le même esprit, il déchira toutes les créances du fisc pour n’hériter point de ces temps malheureux.

Les légions, qui avaient fait et défait cinq empereurs en deux ans, ne connaissaient plus l’ancienne discipline ; il les y ramena, et, mettant en pratique le mot de Galba, il choisit ses soldats et ne les acheta point. Les mutins furent cassés, les vainqueurs mêmes attendirent, longtemps les dons promis[70].

Les mœurs valaient moins encore ; il fit mieux que des lois pour les réformer : il donna de bons exemples. Un jeune homme étant venu tout parfumé le remercier du don d’une préfecture, il se détourna d’un air de dégoût en lui disant d’une voix sévère : J’aimerais mieux que tu sentisses l’ail, et il révoqua la nomination. Caton n’eût pas mieux fait. Aussi Tacite date de ce règne un changement salutaire. Vespasien, dit-il, rappelait, à sa table et dans ses vêtements, la simplicité antique. Le désir de plaire et de ressembler au prince fit plus que les lois, les châtiments et la crainte.

Dans son couvre de restauration, il comprit, à l’exemple d’Auguste, le culte officiel, et il essaya, lui aussi, de ranimer des ardeurs qui s’éteignaient. Nous ne pouvons qu’entrevoir cette réforme dans l’ombre qui enveloppe toute l’histoire de ce prince ; mais il y travailla, car des inscriptions que nous lisons encore le célèbrent comme le restaurateur des rites anciens, des pompes religieuses et des édifices sacrés[71]. Un des temples qu’il bâtit était dédié à une divinité étrange, à Claude ; mais Claude était l’auteur de sa fortune ; d’ailleurs, ayant été fait dîmes, il devait avoir ses prêtres et ses autels : c’était légal.

Vespasien n’aimait pas les spectacles, surtout ceux de gladiateurs, et dans tout l’empire il ne permit qu’aux seuls Éphésiens d’instituer de nouveaux jeux. Mais il multiplia les constructions, car il voulait, comme Auguste encore, que le peuple pût gagner sa vie en travaillant. Un mécanicien promettait de transporter à peu de frais dans le Capitole des colonnes immenses ; il lui fit compter une grosse somme, mais rejeta ses propositions en disant : Permettez que je nourrisse les pauvres gens[72]. A peine de retour dans sa capitale, il se mit à l’œuvre avec une telle ardeur, qu’au bout de peu de mois les rues de Rome, rendues impraticables par le malheur des temps, se retrouvèrent en bon état de viabilité[73]. La même sollicitude s’étendit aux provinces[74]. Il répara les aqueducs, augmenta les sources qui alimentaient les fontaines de Rome[75], et pour faire disparaître les ruines qui l’encombraient, depuis le grand incendie de Néron, il permit à qui le voudrait d’occuper les terrains vacants et d’y bâtir, si les propriétaires négligeaient de le faire. On avait commencé par ses ordres la reconstruction du Capitole, mais l’ouvrage allait lentement ; quand il fut de retour, il mit lui-même la main à l’œuvre pour déblayer les décombres et porta des pierres sur ses épaules. Personne, après cela, ne pouvait se refuser au travail. Trois mille tables d’airain, sur lesquelles étaient gravés les sénatus-consultes et les plébiscites relatifs aux alliances, aux traités et aux privilèges accordés à différents peuples, avaient été détruites dans l’embrasement du temps ; il fit rechercher partout des copies de ces actes et reconstitua les archives de l’histoire nationale. Auguste avait élevé deux autels à la faix, Vespasien lui bâtit un temple où il déposa les plus précieuses dépouilles de Jérusalem[76] ; et afin de montrer mieux encore à l’univers ses intentions pacifiques, le vieux général ferma pour la sixième fois les portes du temple de Janus. Il ajouta un forum entouré de colonnades à ceux qui existaient déjà, et commença, au milieu de la ville, l’immense amphithéâtre, montagne de pierres aux trois quarts debout encore aujourd’hui, qui frappe le voyageur d’étonnement et d’admiration. Quatre vingt sept mille spectateurs tenaient à l’aise sur ses gigantesques gradins. Une statue colossale élevée près de là pour Néron, mais que Vespasien consacra au Soleil, lui donna son nom, le Colisée. Il recula le pomœrium : c’était un droit que lui donnaient ses victoires[77].

En Italie, il fit creuser un tunnel sous une montagne pour donner une pente plus douce à la voie Flaminienne, et il releva, à Herculanum, le temple de la Mère des Dieux qu’un tremblement de terre avait renversé[78]. Il essaya d’arrêter les continuels empiétements des particuliers sur le domaine public : à Rome, il chargea le collège des Pontifes de faire une de ces enquêtes[79] ; à Pompéi, il envoya un tribun mesurer les lieux, écouter les plaintes et rendre à la cité ce qui lui appartenait[80] : le Vésuve allait bientôt mettre à jamais d’accord propriétaires et envahisseurs en prenant tout pour lui-même, même la voie des tombeaux qui mène à la cité ensevelie. Dans les provinces, il rebâtissait à ses frais des villes ruinées par les tremblements de terre ou par le feu ; il construisait des chemins, sans molester les riverains[81], élevait des monuments utiles et terminait les contestations des peuples star leurs limites.

Aussi ne comprend-on pas qu’après l’énumération de ces dépenses, dont les unes étaient des nécessités, les autres des bienfaits, Suétone lui ait adressé un reproche qui est resté sur sa mémoire, celui d’une avarice sordide et coupable. Suivant cet écrivain, qui écoute à toutes les portes et qui prend de toutes les mains, anecdotes suspectes et renseignements authentiques, paroles officielles et bons mots fabriqués dans les salons de Rome, sans s’inquiéter si telle portion de son récit ne détruit pas l’autre, Vespasien aurait vendu les magistratures aux candidats et l’absolution aux accusés ; accaparé certaines denrées polar les revendre en détail ; enfin permis aux gouverneurs de piller, sauf à leur faire rendre gorge, comme des éponges qu’il laissait s’emplir dans les provinces, mais qu’il pressait à Rome. De telles habitudes eussent constitué un gouvernement détestable, organisant lui-même le gaspillage de ses propres ressources ; Vespasien, soldat rompu à la discipline et à l’ordre, ne les eut certainement pas, et nous n’en trouvons aucune trace dans les faits arrivés jusqu’à nous. Les choix que nous connaissons de lui sont excellents : en Bretagne, Cerialis, Frontinus et Agricola, que Tacite traite de grands hommes ; en Asie, Silius Italicus, qui, au témoignage de Pline, s’y acquit beaucoup de gloire[82] ; on a vu qu’il prépara la fortune de Trajan, celle des Antonins, et il honora le consulat en y appelant le célèbre jurisconsulte Pegasus.

Suétone nous montre encore Vespasien partageant avec ses affranchis les profits que ceux-ci retiraient de certaines complaisances. Un jour, le serviteur qui conduisait sa litière s’arrêta sous prétexte qu’une des mules était déferrée, et un plaideur se trouva juste à point pour présenter une requête. Combien as-tu gagné à ferrer ta mule ? demanda-t-il au valet ; et il exigea la moitié de la bonne main. Un de ses affranchis sollicitait une intendance pour. un prétendu frère ; l’empereur manda le candidat, se fit compter la somme promise, et donna la place. Les députés d’une ville venaient lui annoncer qu’une somme d’argent avait été votée par leurs concitoyens pour lui ériger une statue. Mettez-la ici, dit Vespasien en tendant la main, la base est toute prête. Qu’on ajoute encore, si l’on veut, le surnom de Six-Oboles, que lui donnaient les Alexandrins, et la parodie du bouffon à ses funérailles : Combien mon convoi ?10 millions de sesterces ?Donnez-m’en 100.000, et jetez-moi au Tibre ; et l’argent de certain impôt dont Vespasien disait à son fils qui s’y était opposé : Trouves-tu que cet argent sente mauvais ?[83] — Tout cela manque de dignité assurément ; mais ne seraient-ce pas de bons tours joués par un vieillard qui aimait à rire, ou plutôt des médisances mises en circulation par le beau monde de Rome, par ces élégants débauchés de la cour de Néron, qui ne se consolaient pas de voir le plébéien parvenu compter l’argent de l’État, que l’héritier des Jules leur jetait en fêtes et en orgies : pour eux, être prodigue c’était faire le César[84]. Laissons ces misères et venons à l’histoire sérieuse.

Oit sait qu’il est impossible de dresser le budget de l’empire et que, d’après toutes Ies probabilités, ses ressources n’étaient point considérables : sous Domitien, une augmentation d’un tiers pour la solde ruina l’ærarium militare, quoiqu’il fût alimenté par les plus gros revenus de l’État[85]. Les mauvais princes paraient à cette insuffisance financière avec la loi de majesté, mais Vespasien n’entendait pas «apurer ses comptes nit la façon de Caligula et de Néron[86]. Cependant, depuis bientôt dix années, le gouvernement ne faisait rien pour l’empire, et aux ruines causées par l’incurie du pouvoir s’étaient ajoutées celles qui provenaient des discordes intestines ; tous les services publics étaient en souffrance. Quantité de créanciers adressaient des réclamations au trésor ; bien des villes demandaient qu’on les aidât à rebâtir leurs temples, leurs murailles, et la seule reconstruction du Capitole, c’est-à-dire du sanctuaire national, devait coûter des sommes énormes ; mais il fallait encore réparer les ponts, les chaussées ; relever les castra stativa renversés sur certains points par les Barbares ; établir de nombreuses colonies de vétérans, pour rendre les légions plus dociles et diminuer les dépenses de la solde ; remplir les arsenaux vidés par la guerre civile ; pourvoir enfin aux dépenses que nécessitait la réorganisation militaire des frontières. Nous ne connaissons pas les guerres de Vespasien, bien que trois fois en 71 il ait pris le titre d’imperator et trois fois encore l’année suivante. Mais en le voyant faire de la Cappadoce une province impériale proconsulaire avec de nombreuses garnisons pour arrêter les incursions qui la désolaient, et, vers le Danube, étendre son influence sur les Barbares jusque par delà le Borysthène[87] ; en lisant dans Tacite que Velléda, la prophétesse des Bructères, frit alors amenée captive à Rome, que Cerialis vainquit les Brigantes, et Frontinus les Silures, nous devrons croire que Vespasien fit un vigoureux effort sur toute la ligne de ses postes avancés, afin d’imprimer aux nations étrangères le respect du nom romain, que deux années d’anarchie avaient singulièrement diminué. Ces expéditions, mêmes heureuses, étaient encore une cause de dépense.

Voilà le secret de cette sévère économie qui parut aux prodigues et aux esprits légers une ladrerie honteuse : Vespasien déclara un jour aux pères conscrits que 4 milliards de sesterces ou, suivant une autre version, 40 milliards lui étaient nécessaires pour tout remettre en état[88]. Il mena hardiment cette œuvre de réparation, rétablissant les impôts abolis sous Galba, en créant de nouveaux et augmentant ceux des provinces. Ce fut autant pour cette réorganisation financière de l’empire qu’il se fit nommer censeur, que pour sa réorganisation politique et morale. Le cadastre qu’il fit dresser aida à découvrir nombre de terres et de personnes qui s’étaient affranchies de l’impôt ou n’avalent point été portées sur les rôles. Il les y fit comprendre, et le tribut de plusieurs provinces se trouva doublé[89]. Néron avait follement prodigué les immunités, Vespasien les retira et créa encore au profit du trésor, en formant de nouvelles provinces, une nouvelle matière imposable. C’est ce qu’il voulait lorsqu’il ôta leurs franchises à huit Mats restés libres, et qui pour la plupart usaient fort mal de cette liberté. On comprend toutes ces mesures, elles sont d’un homme d’État qui sait trouver des ressources pour faire face à des dépenses nécessaires.

Il ouvrit même une source nouvelle de dépenses permanentes. Tout rude qu’il était dans ses manières et dans son langage, le fils du publicain de Reate comprenait l’influence des lettres et des arts, et il les protégea en accordant de riches gratifications, de magnifiques présents aux poètes célèbres[90], aux artistes fameux, à celui, par exemple, qui fit la Vénus de Cos, et au statuaire qui répara le colosse. Il constitua même sur le trésor une pension annuelle de 100.000 sesterces (20.000 fr.) à des rhéteurs grecs et latins. Quintilien, qui la reçut le premier, la garda vingt ans et fut en outre honoré des ornements consulaires. On a dit que cette libéralité inattendue[91], et qui vaut encore aujourd’hui au vieux soldat les éloges des amis des lettres, provenait moins d’un goût très vif pour la littérature, que du désir de la gouverner, et que c’était la première mainmise de l’État sur les choses de l’esprit. Vespasien sans doute n’y songea point, et tout simplement suivit un mouvement de l’opinion. Les besoins d’une société polie se développaient au sein d’un empire riche et tranquille. Ces Romains qui ne pouvaient plus agir et qui ne savaient point penser en dehors du cercle des idées grecques, occupaient leurs longs loisirs à faire en vers, en prose, de continuelles variations sur des thèmes connus. Tout le monde écrivait ou déclamait, et, comme on avait les prudents pour résoudre les difficultés de droit, on voulut avoir des maîtres pour éclaircir les questions de grammaire et de rhétorique. Les particuliers établissaient des écoles, des bibliothèques, des bourses en faveur de jeunes gens pauvres ; les villes nommaient des professeurs publics, ou, comme nous dirions, fondaient des chaires d’enseignement[92]. L’État fit ce que faisaient les villes.

D’ailleurs tout ce qui était autrefois activité libre, industrie privée, se réglait et prenait sa place dans la grande machine construite par les empereurs. Déjà sous Néron on avait fait entrer les médecins dans les cadres de l’organisation officielle et municipale, en donnant un traitement, des immunités et un titre aux médecins de ville et de quartier, archiatri populares, et aux médecins du palais, archiatri palatini, qui tous finiront par prendre une sorte d’autorité sur le reste de leurs confrères. Vespasien faisait de même pour les lettres. en leur donnant une place à la cour et dans l’État, il obéissait à cet esprit de classement qui avait été inoculé par Auguste au gouvernement impérial. Ainsi l’administration, comme le poisson aux mille bras, qui dans le libre Océan arrête et dévore tout ce qui passe à sa portée, allait saisir peu à peu et envelopper ce qui auparavant avait librement vécu. Quand elle aura réussi dans cette œuvre d’absorption, elle aura supprimé tout mouvement, toute vie ; la perfection du système sera, pour l’empire, l’immobilité et bientôt après la mort.

Il est vrai de dire cependant qu’une partie des lettrés se proposa désormais de puiser à cette source qu’on leur ouvrait et calma son éloquence. D’autres continuèrent leurs déclamations contre les tyrans.

En supprimant la guerre civile et la vie politique, l’empire avait fait beaucoup de désœuvrés qui, après les proscriptions triumvirales, comme chez nous après la Terreur, s’étaient trouvés si heureux de vivre, qu’ils n’avaient, durant bien des années, demandé rien autre chose, et que volontiers ils répétaient le vers du poète :

Deus nabis hœc otia fecit.

Le règne paisible et admiré d’Auguste est dû à cette universelle lassitude tout autant qu’à la sagesse du prince ; mais, à la longue, le repos fatigue, l’admiration lasse, et l’ennui dégoûte même du bonheur. A partir de Tibère, il se forma dans Rome une opposition très pauvre d’idées et de sens politique, très riche de cet esprit piquant qui se plaît aux médisances, aux paroles creuses et sonores, la joie des oisifs dans les salons ou sous les portiques. Ce n’était point un parti ayant des plans arrêtés et prêt à devenir un gouvernement, mais des mécontents isolés, incapables ; d’agir, et pourtant très capables, comme dit Sénèque le père, de risquer leur tête pour un bon mot. À côté d’eux se trouvaient des philosophes cyniques et stoïciens, deux sectes très indifférentes à la politique, mais qui fournissaient aux têtes malsaines de beaux thèmes de déclamation contre la société et l’État. Ces gens, disait Mucien, sont remplis d’un fol orgueil. Laisser pousser sa barbe, relever les sourcils, s’envelopper d’un manteau troué et marcher sans chaussure, voilà ce qui fait l’homme sage, courageux et juste. Le reste n’est digne que de mépris. Les nobles sont des sots, et les petites gens de petits esprits ; l’homme beau est un impudique, le riche un voleur, le pauvre un valet[93]. Juvénal, écho de l’antipathie populaire contre ces fougueux moralistes qui prétendaient dire son fait à la foule comme au prince, est plus dur encore pour ces hypocrites[94]. Vespasien, par sa censure, leur avait donné des recrues, en chassant du sénat et de l’ordre équestre des gens tarés qui cachaient ensuite leurs rancunes sous le manteau du philosophe. Tel fut ce Palfurius Sura qui, pour plaire à Néron, avait combattu dans l’arène contre une jeune fille de Lacédémone et à qui Vespasien avait ôté sa toge consulaire déshonorée. Cette disgrâce fit de lui un stoïcien et nu austère personnage[95] qui réclama la liberté et le gouvernement populaire jusqu’au moment où, rentré dans la faveur de Domitien, il devint le plus avide des délateurs, puis travailla, comme jurisconsulte, à fonder la théorie des droits absolus de l’empereur. Au temps des princes qui prononçaient facilement une sentence de mort, ces hommes s’étaient tus, drapés dans leur silence ; une attitude résignée et triste alors avait suffi à leur dignité ; sous le débonnaire Vespasien, ils parlaient, ils accusaient, ils invectivaient.. L’empereur ne fit point d’abord attention à ces clameurs ; leur vertu s’indigna de cette indifférence, et, comme ils couraient le risque d’être oubliés s’ils n’eussent forcé le ton, ils appelèrent la persécution, estimant qu’elle leur donnerait la gloire, sans le martyre. Quelques-uns même, rendus ivres d’orgueil et d’insolence par l’impassible sang-froid du prince, en vinrent à braver tout péril, pour avoir raison de cette injurieuse tranquillité. On finit par reprendre contre eux une vieille loi républicaine qui chassait les étrangers de la Ville[96]. Un d’eux, condamné au bannissement parce qu’il avait publiquement enseigné que le gouvernement d’un seul était le pire des gouvernements, apprit la sentence au milieu d’une déclamation qu’il prononçait encore contre la monarchie ; il continua. Un autre, également puni de l’exil, voit l’empereur venir de son côté. Au lieu de se lever, ou de saluer au moins le chef du monde romain, il l’insulte. Tu fais ton possible, se contenta de dire Vespasien, pour que je t’ôte la vie, mais je ne tue pas un chien qui aboie. Un troisième, Diogène, se faisant censeur public des mœurs du palais, invectiva Titus, en plein théâtre, sur sa liaison avec la reine Bérénice ; on le condamna aux verges. Héras, son compagnon recommença aussitôt, en ajoutant force insolences pour le peuple ; on lui trancha la tête[97].

Ces réformateurs qui vont au théâtre gourmander le prince et le peuple semblent ridicules, et, par l’exagération de leurs sentiments et de leur langage, ils l’étaient. C’est pourtant un symptôme grave que ces publiques attaques contre les mœurs et les idées du temps. A la même époque, d’autres hommes rompaient aussi avec la société romaine et ses croyances. La réaction philosophique et religieuse contre le sensualisme païen suscitait donc des apôtres, même des martyrs, et le monde s’engageait dans une route toute nouvelle qui sera pleine de dramatiques incidents, de généreux sacrifices, mais aussi où les liens sociaux se relâcheront, et où s’affaiblira, jusqu’à se perdre, l’amour pour la patrie terrestre.

Vespasien mit un terme à ces agitations en renouvelant contre les stoïciens et les cyniques les sénatus-consultes républicains qui avaient interdit le séjour de Rome aux philosophes. Il excepta Musonius, ce chevalier romain déjà proscrit par Néron et qui semble n’avoir suivi la secte que par ses bons côtés. Il eût bien voulu épargner aussi Helvidius, gendre de Thrasea et aussi honnête homme que son beau-père, mais républicain à contretemps qui mettait la liberté dans les insultes au pouvoir. Ce que Démétrius et Diogène faisaient dans la rue, Helvidius le faisait à la curie, au tribunal : il conspirait tout haut et au cœur du gouvernement. Durant sa préture, il ne parla jamais de Vespasien dans ses édits, et quand le prince était revenu à Rome, il l’avait salué sous son nom de famille, comme si l’empereur n’était à ses yeux qu’un simple particulier. Au sénat, il discutait contre lui avec emportement ; au Forum, dans les groupes qui se formaient, sitôt qu’il avait été reconnu, ses paroles étaient toujours l’éloge du gouvernement populaire, et jamais il ne manqua de célébrer par une fête le jour de naissance de Brutus et de Cassius[98]. Il serait difficile de ne pas trouver cette conduite séditieuse[99] ; et comme Helvidius était sénateur, l’impunité eût été une de ces preuves de faiblesse que donnent les gouvernements qui veulent mourir. Vespasien, entraîné par Mucien, le laissa condamner à la déportation, et, quelque temps après, sur de nouveaux sujets de plainte, il envoya l’ordre de le tuer. Cet ordre, il voulut aussitôt le retirer, mais on le trompa en lui disant qu’il était trop tard. Helvidius avait-il pris part à une de ces nombreuses conspirations dont parle Suétone[100] ? Nous l’ignorons ; car nous n’en connaissons qu’une seule, celle de Marcellus, personnage consulaire, et de Cæcina, l’ancien général vitellien. Celui-ci avait déjà gagné nombre de soldats, quand, la veille de l’exécution, Titus, qui venait de saisir une proclamation aux prétoriens écrite de la main même de Cæcina, invita le général à un festin où il le fit poignarder : exécution juste sans doute, mais bien expéditive et, par sa forme, digne des plus mauvais jours. Marcellus, condamné par le sénat, se coupa la gorge[101].

Depuis Tibère, nul empereur ne donna autant que Vespasien d’attention aux affaires des peuples alliés ou sujets ; il reprit et pratiqua en Brand le système des colonies pour multiplier dans les provinces l’élément romain. On peut reconnaître dans le surnom de flavienne porté par beaucoup de cités, les villes où lui et ses fils, mais lui surtout, envoyèrent des vétérans, et on ne les connaît certainement pas toutes[102]. On l’a vu entreprendre partout d’utiles travaux et inscrire dans le sénat, dans l’ordre équestre, les notables des provinces. Durant soli séjour en Égypte, il avait fait dans ce pays de sévères reformes qui lui avaient attiré les railleries des turbulents Alexandrins. En Judée, il crut avoir étouffé un volcan qui, avant de s’éteindre, ébranlera encore tout l’Orient. Les Juifs échappés au carnage avaient fui de deux côtés : sur les bords du Tigre, où ils portèrent leur haine impuissante, et en Afrique, où un million de leurs coreligionnaires les avaient depuis longtemps précédés. En se retrouvant là si nombreux, ils voulurent renouveler la guerre qui venait de finir par la ruine de Jérusalem ; un instant ils réussirent à troubler Alexandrie, où ils abattirent les statues de l’empereur ; mais, trahis par leurs frères à Cyrène, à Thèbes, dans toute l’Égypte, ils périrent au milieu des supplices, et Vespasien fit fermer le temple que le grand prêtre Onias avait bâti dans le voisinage d’Héliopolis[103]. Quelques Grecs, entraînés dans ces agitations, furent épargnés ; une sédition qui éclata plus tard à Antioche ne fut pas plus sévèrement punie : Vespasien s’inquiétait peu de ces accès de turbulence municipale dans la populace des grandes cités grecques, pourvu que l’ordre général ne frît pas compromis.

Il fut plus sévère à l’égard d’un prince du voisinage. Antiochus, roi de la Commagène, avait combattu pour Othon à Bédriac, pour Titus sous les murs de Jérusalem ; mais, soupçonné d’entretenir des intelligences avec les Parthes, il fut dépossédé, et Vespasien réduisit son royaume en province ; Tibère avait déjà mis une fois dans Ies mains de l’empire ce point important des frontières orientales. La destinée de cette famille royale marque l’adoucissement des mœurs que nous aurons à signaler plus tard. Jadis les rois vaincus étaient égorgés et leurs enfants réduits à une condition misérable ; un fils de cet Antiochos reçut les ornements de la préture, puis parvint au consulat et fut admis au grand sacerdoce des Frères Arvales[104]. La Cappadoce rattachée à la Galatie pour former une province impériale consulaire[105], le Pont réuni à la province sénatoriale de Bithynie, mais placé sous la surveillance d’un préfet du littoral Pontique[106] et les colonies de Sinope, de Samosate, de Naplouse, d’Emmaüs, fortifièrent cette ligne des frontières orientales, qui sur une, étendue de deux cents lieues touchait partout aux Barbares. Aussi la paix n’y fut-elle pas troublée pendant tout ce règne, et quand Vologèse, irrité de n’avoir pas été secouru contre les Alains, écrivit à l’empereur avec hauteur et reproches, quelques préparatifs ou, comme dit un ancien écrivain, la crainte seule de la guerre arrêta les Barbares.

Partout Vespasien resserrait les liens de l’empire, que Néron avait tant relâchés ; il retira aux Lyciens la liberté que le successeur de Claude leur avait sans doute rendue, et les réunit à la Pamphylie. La Grèce perdit aussi l’indépendance que lui avaient value ses lâches applaudissements, et Rhodes devint la capitale de la nouvelle province des Iles. Mais il respecta presque toujours les concessions de droit de cité faites par ses prédécesseurs, puisqu’elles tendaient au but qu’il entrevoyait lui-même comme nécessaire : la fusion des peuples et l’unité de l’empire. La Thrace, cette autre barrière du monde romain, était, depuis Claude, terre d’empire et placée sous l’autorité du gouverneur de la Mœsie. Pour que celui-ci ne frit pas distrait de la rigoureuse surveillance qu’il devait exercer le long du Danube, Vespasien forma, aux dépens de la Bithynie et de l’Asie, une province nouvelle dite de l’Hellespont, à laquelle il rattacha la Thrace ; Byzance perdit, à cette occasion, sa liberté.

Ce remaniement des provinces attesterait mie autre préoccupation, celle de diviser les gouvernements trop considérables que depuis Auguste on formait volontiers en Orient pour concentrer les forces et mieux assurer la résistance contre les Parthes. Vespasien, qui avait éprouvé par lui-même combien ces grands commandements favorisaient les projets des ambitieux, fit de la Palestine un gouvernement distinct, et diminua encore l’importance et les forces du proconsul de la Syrie en constituant, comme on vient de le voir, la Commagène et la Cappadoce en provinces militaires. La même pensée l’avait sans doute décidé à séparer la Thrace de la Mœsie.

Nous ne savons rien des bords du Rhin et du Danube ; il faut en conclure que la ferme discipline rétablie par Vespasien y maintint la paix. On voit seulement que la Mœsie a si bien défriché ses vallées naguère sauvages, qu’elle se trouve en état d’envoyer à Rome de grandes quantités de blé[107]. Ce fait en dit beaucoup sur la puissance de colonisation que possédait cette race romaine, transformant si vite des provinces qui semblaient devoir demeurer longtemps rebelles à son action. Vespasien profita sans doute d’une des leçons que la guerre civile avait données, lorsqu’il établit en avant des Alpes Juliennes une colonie à Flavium Solvense, sur la route même qu’Antonius Primus avait suivie, pour qu’un autre eût moins de facilité à franchir cette barrière de l’Italie. L’Helvétie avait beaucoup souffert durant la guerre vitellienne ; il la secourut, car on retrouve son nom dans plusieurs inscriptions de ce pays, malheureusement trop frustes pour nous fournir d’utiles indications[108]. Une d’elles rappelle qu’un arc triomphal avait été élevé en l’honneur de son fils Titus, près de Vindonissa (Windish), par les habitants du pays, vicani[109].

En Gaule, des recherches sévères avaient été faites contre les fauteurs de la dernière insurrection ; on a vu qu’un des principaux chefs, Sabinus, découvert au bout de neuf ans, fut conduit à Rome et exécuté : cruauté qui fait tache dans la vie de Vespasien, s’il n’a pas eu quelque raison impérieuse de manquer cette fois à sa clémence habituelle.

Galba avait donné le jus Latii à la plus grande partie de la Gaule. Vespasien étendit ce droit à l’Espagne entière. L’Italie s’affaissant, c’était justice et prudence d’intéresser à la cause de l’empire les provinces les plus romaines. Tout à l’heure un Gaulois, Vindex, renversait Néron, et un autre, Antonius Primus, ouvrait Rome à Vespasien. Dans vingt ans commencera la dynastie hispano-gauloise de ceux qu’on appelle les Antonins.

Les affaires de Bretagne nous sont mieux connues, grâce à Tacite, que nous retrouvons ici avec la Vie d’Agricola. Trois généraux habiles y commandèrent sous Vespasien : Cerialis, qui soumit les Brigantes ; Julius Frontinus, l’auteur du livre des Stratagèmes, qui réduisit les Silures ; Agricola, dont l’administration appartient à l’histoire des règnes suivants. Vespasien, habile à choisir les hommes, ce qui est la qualité roule par excellence, savait aussi provoquer le dévouement en honorant le mérite. Un jour, il fit en plein sénat un brillant éloge de cet habile gouverneur de la Mœsie dont nous avons déjà parlé, et il permit que ses paroles fussent gravées sur un marbre que nous avons encore, avec l’énumération de tous les services que Plautius avait rendus à l’État[110].

Vespasien touchait au terme de sa laborieuse carrière. Il avait soixante-neuf ans et se trouvait dans sa petite maison du territoire de Reate, quand il reconnut les approches de la mort. Je sens que je deviens dieu, dit-il à ceux qui l’entouraient, se riant d’avance de son apothéose. Il n’avait pas plus de respect, à ce moment du moins, pour les présages. On lui parlait de l’apparition d’une comète comme d’un augure infaillible : Cela regarde, dit-il, le roi des Parthes qui est chevelu, et non pas moi qui suis chauve[111] ; paroles d’un superstitieux qui finit en incrédule. Jusqu’au dernier moment, des pensées viriles l’occupèrent ; il reçut les députations, donna les ordres, pourvut à toutes les affaires, et, une défaillance survenant : Un empereur, dit-il, doit mourir debout. Il voulut se lever et expira dans ce suprême effort (23 juin 79).

Le premier empereur plébéien n’a pas eu d’historien, mais deux mots de son biographe suffisent pour sa renommée : rem publicam stabilivit et ornavit : par lui l’État fut affermi et glorifié. Pline dit aussi : La grandeur et la majesté ne produisirent en lui d’autre effet que de rendre la puissance de faire le bien égale au désir qu’il en avait. Ajoutons que ce soldat fait empereur par les légions fut plus sage que Trajan, qu’on vantera davantage : il demanda tout à la paix, rien à la guerre[112].

 

 

 

 



[1] Les Bataves, fraction dit peuple des Cattes qui vint s’établir dans le pays des eaux profondes, habitaient une partie des provinces actuelles de la Hollande méridionale, Utrecht, Gueldre et Brabant septentrional.

[2] La cinquième et la quinzième légion ne comptaient pas, à elles deux, cinq mille hommes.

[3] Furstenberg, près de Xanten, au duché de Clèves, ou Xanten même, suivant Cluvier et Greenwood, Hist. of the Germans, I, 150.

[4] Vindonissa (Argovie), prés du confluent de l’Aar, de la Reuss et de la Limmath.

[5] A partir de cette époque, le nom des druides disparaît de I’histoire, mais on rencontre à plusieurs reprises celui des druidesses qui, en 254, prédirent la mort d’Alexandre Sévère, qu’Aurélien consulta en 275 pour savoir si l’empire passerait à sa postérité et qui le promirent à Dioclétien. On voit qu’elles n’étaient que des diseuses de bonne aventure. Cependant Ausone comptait un druide armoricain parmi ses ancêtres. (Professores, X, 22.)

[6] Ils égorgèrent de la sorte Jonathan, grand sacrificateur, et il ne se passait point de jour qu’ils n’en tuassent plusieurs de la même manière. C’étaient des assassinats religieux. (Josèphe, Bell. Jud., II, 23.)

[7] Saint Matthieu, XXIV, 11, 24, parle de faux Christs et de faux prophètes.

[8] Voyez dans quelle attente était ce peuple. C’est l’état d’esprit de nos Arabes d’Algérie, le même mépris pour une civilisation supérieure qu’ils ne comprennent pas, pour des lois purement rationnelles qui leur paraissent misérables à côté de leur loi civile et religieuse, révélée par Dieu même ; la même espérance tenace dans les messies ou les marabouts libérateurs.

[9] Bell. Jud., II, 23. Sa troupe fut dispersée ; beaucoup périrent, mais il échappa, et l’on ne sut ce qu’il était devenu. C’est là ce qui fit demander par le tribun à saint Paul, lorsque, quelque temps après, les Juifs lui amenèrent l’Apôtre pour qu’il le condamnât : N’êtes-vous pas l’imposteur égyptien ? (Actes, XXI, 38.) Pour les Juifs, l’Égypte était le pays où l’on apprenait à faire des prodiges. (Derenbourg, Histoires de la Pal. d’après les sources rabbiniques, p. 203, n. 2.)

[10] Antiquités Judaïques, XX, 8.

[11] Ant. Jud., XVIII, 4. Ils y vinrent en grand nombre et en armes. Ponce Pilate dissipa ce rassemblement, et fut rappelé à la suite de cette affaire.

[12] Ant. Jud., XX, 5. Josèphe parle plus loin (XX, 7) d’un Juif cypriote qui se donnait pour magicien : il se présente lui-même comme prophète (Bell. Jud., III, 7, 9) et il croit à la sorcellerie. Salomon, dit-il (Ant. Jud., VIII, 2), avait trouvé un moyen de chasser les démons ; et ce moyen est encore chez nous fort employé. J’ai vu un Juif, nommé Éléazar, délivrer des possédés, en présence de Vespasien, de ses fils, des tribuns et des soldats. Il approchait du nez du possédé un anneau dans lequel était enchâssée une racine dont Salomon se servait à cet usage ; et quand l’homme avait respiré, il lui tirait le démon des narines. Sur-le-champ l’homme tombait, et l’autre défendait au démon de revenir dans cet homme, au nom de Salomon et en récitant des paroles magiques qu’il avait composées. Pour mieux convaincre es assistants du pouvoir qu’il avait, Éléazar avait placé prés de là une cruche d’eau et commanda au démon, quand il sortirait, de la renverser, en preuve qu’il quittait réellement le possédé, et cela fut fait. Cette croyance aux possédés qu’on retrouve dans le Nouveau Testament et qui dura pendant tout le moyen âge était bien vieille. Les Égyptiens étaient persuadés que des esprits malfaisants hantaient le corps des vivants et le faisaient souffrir. Aussi, chez eux, une ordonnance médicale se composait d’une formule de prière pour chasser le mauvais esprit et d’une formule de remède pour guérir les désordres qu’il avait produits. Dans les crânes perforés des populations quaternaires on a vu aussi une opération faite pour extirper le malin.

[13] Actes, V, 36-39.

[14] Il n’arriva à Rome qu’après l’avènement de Caligula, qui, suivant Eusèbe (Hist. Ecclés., II, 7), l’exila à Vienne dans les Gaules, où il se tua de désespoir.

[15] Josèphe, Ant. Jud., XX, 56, et Bell. Jud., II, 42.

[16] Josèphe, Ant. Jud., XX, 8. Félix avait épousé une Juive. (Actes, XXIV, 24.) Voyez dans Josèphe, Bell. Jud., IV, 5, 10, le discours du grand prêtre Ananus qui rend pleine justice aux Romains. Il est vrai que c’est Josèphe leur ami qui parle par sa bouche.

[17] Tacite, Annales, XII, 54. C’était déjà, comme on voit, le régime que les pachas turcs ont établi dans cette malheureuse contrée.

[18] Tacite, Histoires, V, 9. Josèphe est bien moins dur pour Félix.

[19] Depuis longtemps les chefs de la classe sacerdotale envoyaient leurs serviteurs s’empirer violemment des dîmes qui leur étaient dues d’après la loi, et les gardaient sans en faire part aux prêtres inférieurs ; ceux-ci, réduits à la plus affreuse misère, passèrent du côté du peuple, pi les secourait de ses aumônes et qui s’arma plusieurs fois pour leur faire rendre justice. (Josèphe, Ant. Jud., XX, 8 et 9.)

[20] Josèphe, Bell. Jud., II, 31.

[21] Saint Jacques (Epist., II, 6 ; V, 1, 5). Nonne divites opprimant vos per potentiant et ipsi trahunt vos per judicia.... Agite nunc, divites, plorate ululantes in miseriis vestris quæ adveniunt vobis. Saint Jacques, ou le Juif si bon helléniste dont nous avons l’épître, car on peut douter que Jacques sût le grec. Voyez aussi, Actes des Apôtres, V, 1-11, la mort d’Ananias et de Saphira.

[22] Éléazar, chef du parti de l’action, était le fils de l’ancien grand prêtre Ananas, et un des personnages considérables de la ville ; deux princes de la famille royale d’Adiabène, un lieutenant d’Agrippa II, etc., étaient aussi dans le parti national.

[23] C’était le fils de l’ami de Caligula et de Claude. Il n’avait eu à la mort de son père qu’une tétrarchie. Plus tard, les Romains lui avaient laissé prendre le titre de roi.

[24] Agrippa leur envoya cependant trois mille soldats.

[25] Voyez les privilèges conférés aux Juifs aux dépens des Grecs.

[26] Suivant Josèphe (Ant. Jud., XVIII, 1, 5), il n’y avait pas alors plus de quatre mille Esséniens, qui formaient moins un parti qu’une espèce d’ordre religieux, où l’on n’entrait qu’après de sévères épreuves. Ils croyaient à l’immortalité de l’âme, non à celle du corps, à la volonté absolue de Dieu, et par conséquent niaient le libre arbitre de l’homme. Ils vivaient en commun, sans serviteurs, et ne gardaient rien en propre ; leurs mœurs étaient austères, plusieurs se vouaient au célibat. Chaque matin, ils se plongeaient dans l’eau pour être en état de pureté et faisaient précéder et suivre leurs repas de prières. Ils ne prêtaient jamais serment, leur affirmation devant suffire ; ils fuyaient les villes ; cependant ils voulaient qu’on eût un métier, tuais préféraient l’agriculture. Leur sévérité religieuse les prédisposait aux extases, aux ravissements ; aussi leur croyait-on le don de prophétie. (Josèphe, Bell. Jud., II, 6 ; Ant. Jud., III, 11 ; IV, 10 ; XVII, 13. Cf. Derenbourg, op. cit., le chapitre X.) Un Essénien, nommé Jean, fut chargé d’organiser la résistance dans les districts de Thamna, Lydda, Joppé et Emmaüs.

[27] S. Luc, XXI, 20 ; S. Matthieu, XXIV, 16 ; S. Marc, XIII, 14.

[28] Eusèbe, Hist. eccl., III, 3 ; S. Épiphane, de Ponder. et mensuris, 18 ; Tillemont, Hist. des Emp., I, 580. Ils devaient du reste être peu nombreux à Jérusalem, car Josèphe ne prononce même pas leur nom. Cependant M. Derenbourg (op. cit., p. 275) croit que le mot de R. Siméon, alors à Jérusalem : La doctrine n’est pas la chose principale, mais l’œuvre, était dirigé contre eux et surtout contre les Pauliniens.

[29] Il dit encore dans sa préface à la Guerre des Juifs : L’empire romain était alors agité par des dissensions domestiques.... les Juifs.... excitèrent de si grands troubles dans l’orient, pour profiter de cette occasion, que des peuples entiers appréhendèrent de leur être assujettis, parce qu’ils avaient appelé à leur secours les autres Juifs qui demeuraient au delà de l’Euphrate.

[30] Augebat iras, dit Tacite, quod soli Judæi non cessissent (Histoires, V, 10).

[31] Josèphe, Bell. Jud., III, 8, 7. Je ne réponds pas, bien entendu, que cette étrange histoire, racontée par Josèphe lui-même, soit authentique. sa vanité trouvait doublement son compte à faire ce tragique récit, qui le montrait miraculeusement sauvé par la Providence.

[32] Tacite, Histoires, V, 5. La première notion nette d’une vie à venir se trouve seulement au livre des Macchabées, II, 7, 9. Josèphe, dans le discours qu’il prétend avoir tenu aux quarante enfermés avec lui dans la grotte de Jotapata, dit (Bell. Jud., III, 8, 5) que ceux qui meurent, après avoir rendu à Dieu ce qui lui est dû, jouissent d’une gloire éternelle, que leur race subsiste, que leurs fines vont habiter le lieu le plus saint du ciel, d’où elles sont ensuite envoyées dans des corps purs, c’était la croyance à l’immortalité de l’âme et à la métempsycose, que les sadducéens rejetaient.

[33] Josèphe, Bell. jud., IV, 6, 1.

[34] Je suis les dates données par M. de Saulcy dans son Journal du siège. Pour les faire concorder avec celles qu’on adopte ordinairement, il faudrait les reculer d’un mois environ et mettre en avril le commencement des opérations, au 3 septembre la fin. Au sujet des lieutenants de Titus, voyez Léon Renier, Conseil de guerre tenu par Titus avant de livrer l’assaut au temple de Jérusalem.

[35] Ce travail a d’ailleurs été fait par M. de Saulcy avec sa double compétence d’officier d’artillerie et d’archéologue, dans son livre intitulé : les Derniers jours de Jérusalem.

[36] Tacite, Histoires, V, 5. Sulpice Sévère prétend (II, 50, 6) que Titus, dans un conseil de guerre, avait fait décider la destruction du temple pour arracher la dernière racine des superstitions juives et chrétiennes ; mais Titus, très probablement, connaissait fort mal les chrétiens et ne s’occupait pas d’eux. Cf. Grätz, Gesch. der Juden, III, 405.

[37] Cet événement n’eut lieu qu’en l’année 73, et Titus retourna à Rome dès le printemps de 71.

[38] On les voit encore sculptés sur l’arc de triomphe érigé à Rome en mémoire de cet événement et sous lequel, dit-on, jamais, depuis dix-huit siècles, un Juif n’a voulu passer. Il est à souhaiter, pour l’honneur des Juifs, que cette anecdote soit vraie : les longs ressouvenirs conviennent aux longs malheurs. (Mme de Staël, Corinne, chap. IV.) Selon Orose, trois cent vingt triomphes avaient précédé celui de Titus.

[39] Eckhel, Doctr. num., VI, 326.

[40] Titus laissa debout cependant les trois tours d’Hippicos, de Phasæl et de Mariamne, la montagne artificielle (Haram-ech-Chérif) qui portait le temple, et qu’on voit encore, ainsi que plusieurs autres restes évidemment de construction hébraïque. Les Romains placèrent ensuite une garnison de huit cents hommes sur le mont Sion. Ils avaient trouvé tant de richesses dans le pillage, que, au dire de Josèphe, la valeur de l’or baissa de moitié dans toute la Syrie.

[41] Josèphe, Bell. Jud., VII. 6. Une colonie fut établie à Césarée avec remise aux habitants de la capitation, et plus tard, sous Titus, de l’impôt foncier. (Digeste, L, 13, 8.) En outre de la garnison mise à Jérusalem, l’empire conserva des troupes en Palestine, et, comme si ce pays était en état de siège, on voit Domitien, en 86, y garder sous les enseignes des soldats comptant vingt-cinq années de service auxquels il accordait les droits de la vétérance, mais sans honesta missio, c’est-à-dire sans les licencier. Cf. L. Renier, Diplômes militaires, p. 220.

[42] Saint Augustin (de Civ. Dei, VI, 11) : victi victoribus leges dedere.

[43] Histoires, V, 13.

[44] Tacite, Histoires, IV, 5 : Civilia Bella.... omines provincial exercitusque lustraverant velut expiato terrarant orbe.

[45] Antonius Primus l’avait fait dès Aquilée. (Tacite, Histoires, III, 7.)

[46] Tacite, Histoires, IV, 5. C’est la fameuse lex regia dont le texte a été retrouvé et est maintenant partout. Cf. Orelli, Inscr., t. I, p. 567.

[47] Multa miracula evenere quis cœli favor et quædam in Vespasianum inclinatio numinum (Tacite, Histoires, IV, 81 ; Suétone, Vespasien, 7 ; Dion, LXVI, 8). Voyez plus loin les derniers moments de Vespasien.

[48] Dion, LXVI, 8 ; Suétone, Vespasien, 19.

[49] Tacite, Histoires, III, 48.

[50] Tacite, Histoires, IV, 50 ; Pline, Hist. nat., V, 5.

[51] Tacite, Histoires, III, 46.

[52] Julius Priscus, préfet du prétoire de Vitellius, se tua lui-même. (Tacite, Histoires, IV, 2.)

[53] Tacite, Histoires, IV, 2.

[54] Tacite, Histoires, IV, 80. Mucien éloigna de Rome les troupes dévouées à Primus et empêcha Domitien de le prendre auprès de lui, inter comites.

[55] Tacite, Histoires, IV, 86.

[56] De Civ. Dei, V, 21. Suétone (Vespasien, 8) dit de lui : Per totum imperii tempus nihil habuit antiquius, quam prope afflictam nulantemque rempublicam stabilire primo, dedide et ornare. Aurelius Victor (de Cæsaribus, 9) parle de même : Exsanguem diu fessumque terrarum orbem brevi refecit.

[57] Tacite, Histoires, IV, 7 ; Suétone, Vespasien, 20-21 ; Pline, Lettres, III, 5.

[58] Un affranchi de Néron qui l’avait insulté du vivant de ce prince vint lui demander pardon ; il lui répéta l’injure et le renvoya en riant. Un sénateur et un chevalier s’étant pris de querelle, le premier accusa le second d’avoir méconnu sa dignité. Le prince décida qu’il n’était pas permis de dire des injures à un sénateur, mais qu’il était permis de lui en répondre. (Suétone, Vespasien, 6.)

[59] Patientissimus veri (Tacite, de Orat., 5). Cf. Suétone, Vespasien, 15.

[60] Suétone, Vespasien, 11.

[61] Borghesi, Œuvres, t. I, p. 181.

[62] Suétone dit (Vespasien, 9) : Amplissimos ordines exhaustos cœde varia.... supplevit.... honestissimo.... Italicorum ac provincialium allecto. Aurelius Victor (de Cæsaribus, 9) précise davantage : Lectis undique optimis viris mille gentes compositæ, quum ducentas ægerrime reperisset, extinctis sævilia tyrannorum plerisque. Dans cette phrase gentes ne peut être pris pour familles patriciennes. A l’époque d’Aurelius Victor, le nom même de patricien, au sens antique de ce mot, avait disparu, puisqu’on le trouve pour la dernière fois dans l’édit de Dioclétien sur le maximum, et Caïus avait déjà dit que depuis longtemps le gentilicium jus n’existait plus. Le secrétaire d’Hadrien, qui connaît bien la réforme de Vespasien, ne parle point de gentes, et la raison indique que le patriciat n’étant obligatoire que pour certaines fonctions religieuses, on n’était point forcé de prodiguer un titre encore très respecté, puisque les empereurs le prenaient à leur avènement, mais qui, dans l’État, servait à fort peu de chose. Cette profusion l’aurait avili, alors que la politique conseillait d’en conserver l’éclat. Aurelius Victor, dans le de Vir. ill., 14  ?), emploie indifféremment les mots gens et familia ; ses mille gentes étaient donc mille familles appelées à Rome : celles-ci pour le sénat ; celles-là pour l’ordre équestre ; quelques-unes pour le patriciat ; d’autres pour des charges, pour des rangs (allectus inter prætorios, etc.).

[63] Tacite, Agricola, 9 : Inter paticios adscivit. Capitolinus, Ant. Pius, 1, et Anton. philos., 1.

[64] Tacite, Histoires, I, 1.

[65] Epist., V, 15. Cornutus avait été allectus inter prætorios par Vespasien durant sa censure (Orelli, 3659) ; on peut citer encore C. Fulvius Servilianus, qui avait exercé les premières magistratures à Nîmes (Herzog, p. 123), Q. Aur. Pactumius Clemens, de Cirta, le premier Africain honoré du consulat (L. Renier, Inscr. de l’Alg., n° 1807 et 1808), C. Salv. Liberalis Nonius Bassus, qui avait été quatre fois quinquennalis et patron de Pollentia, mais qui habitait Rome où il s’était fait connaître comme avocat (Borghesi, t. III, p. 178), l’Espagnol Herennius Sénécion, etc.

[66] Silves, III, 3, 143 : .... In cuneos populum quum duxit equestres.

[67] Voyez le chapitre LXXXIII.

[68] Suétone, Vespasien, 17.

[69] Suétone, Vespasien, 15. Il déplorait, ajoute-t-il, même les supplices les plus justes. Un auteur du septième siècle, qui paraît avoir puisé à de bonnes sources, Jean d’Antioche, dit aussi : .... Οΰτως ήν ήπιπς xαί πρεσηνής ώς μηδέ τάς είς αύτόν τε xαί τήν Βασιλείαν γινιμένος άμαρτίας πέρα τιμωρεϊσθαι φυγής.... (Fragm. Hist. græc., t. IV, p. 578. Didot). Suidas (v. Βεσπασιανός) et Eutrope (VII, 93) disent que Vespasien mérite d’être comparé aux meilleurs princes qui ont jamais régné :.... optimis comparaudus.

[70] Les soldats de marine lui réclamaient des chaussures pour les fréquents voyages qu’ils avaient à faire de Pouzzoles ou d’Ostie à Rome ; il les obligea d’aller pieds nus. (Suétone, Vespasien, 8.)

[71] Cf. Orelli, n° 746, 1460, 1868, 2364. Vespasien eut à son tour ses prêtres sodales et seviri Flaviales. (Id., n° 2570 et 2375.)

[72] Suétone, Vespasien, 18.

[73] Une inscription de Thyatire en Asie-Mineure, de l’année 75, porte : Vias faciendas curavit (C. I. L., t. III, n° 470).

[74] Inscription de l’année 71 (Orelli, n° 742) cotée par le sénat : .... quod vias urbis negligentia super. tempor. corruptas impensa sua restituit.

[75] .... aquas Curtiam et Cæruleam sua impensa urbi restituit (Orelli, n° 55).

[76] Le temple de la paix, dédié par Vespasien en 77, fut détruit par le feu sous Commode. Il semble que Constantin y ait substitué sa basilique.

[77] Auctis P. R. finibus, pomœrium ampliaverunt terminaveruntque (C. I. L., VI, n° 1232).

[78] Orelli, n° 741, en 76.

[79] Orelli, n° 5261.

[80] Orelli, n° 5262.

[81] Inlactis cultoribus (Aurelius Victor, de Cæsaribus, 9 ; Orelli, n° 4031).

[82] Tacite, Agricola, 17 ; Pline, Lettres, III, 7.

[83] Cet impôt sur les urines existait réellement et bien d’autres du même genre : sur le fumier, sur les égouts, sur les courtisanes, sur les chiens, etc. Aurelius Victor (de Cæsaribus, 9) dit : Satis constat, ærarii inopia ac labe erbium novas eum, neque aliquandiu postea habitas vectigalium pensiones exquisivisse. Il énumère ensuite les travaux exécutés par Vespasien et ajoute : Quæ tot tantaque brevi confecta, prudentiam magis quam avaritiam probavere. On lui reproche encore d’avoir repris û certaines colonies des terres non encore concédées, subseciva, pour les vendre au profit du fisc. Il eût mieux valu, comme le fit Domitien (Suétone, Domitien, 9), laisser ces terres vagues aux colons qui auraient fini par les utiliser ; mais cette mesure était encore mie des moins onéreuses pour faire face aux nécessités financières du moment.

[84] Καισαρεύειν : c’est le mot des Alexandrins contre Vespasien : Il ne sait pas faire le César. (Dion, LXVI, 3.)

[85] Suétone, Domitien, 12.

[86] Il n’aimait pas la loi de majesté et ne l’appliquait point dans sa rigueur aux coupables. Cf. Dion, LXVI, 9 ; Aurelius Victor, de Cæsaribus, 9 ; Eutrope, VII, 13 ; Suidas, v. Βεσπασιανός.

[87] Orelli, n° 750.

[88] Un milliard de francs, si on lit quadragics ; 40 milliards, si en conserve quadringenties. (Suétone, Vespasien, 16.) Voyez dans les Fragmenta historicorum græc., t. IV, p. 5723 (éd. Didot), deux passages de Jean d’Antioche et de Suidas très favorables à Vespasien. Aurelius Victor (de Cæsaribus, 9) lui est très favorable et dit à propos de l’accusation d’avarice : Uti quidam prave putant ; Eutrope (Epit., VII, 15) l’accepte, mais en ajoutant qu’il ne prit jamais rien à personne et qu’il comblait de largesses les indigents.

[89] Frontin, de Colon., ap. Goes., 126 et 146 ; Suétone, Vespasien, 16.

[90] Suétone fait sans doute allusion au don de 500 000 sesterces que Vespasien, au témoignage de Tacite (de Orat., 9), fit à un poète fameux de ce temps, Saleius Bassus, que nous ne connaissons pas.

[91] Auguste avait déjà donné un pareil traitement à Verrius Flaccus, fils d’un affranchi, le plus célèbre maître de son temps et qu’il chargea de l’éducation de ses petits-fils. (Suétone, de Illust. gramm., 17.)

[92] Pline, Lettres, I, 8 ; IV, 15 : .... Annuos sumptus in alimenta ingcnuorurra.... multis in lotis.... præxceptores publice conducuntur. Ils avaient aussi des privilèges considérables. Tous ceux qui publice juvenibus prosunt (Digeste, XXVII, r, 0, § 5), philosophes, rhéteurs, grammairiens, étaient dispensés des tutelles, des sacerdoces, des services municipaux, de la milice et de l’obligation de juger comme juges dans les tribunaux ou d’aller en légation vers l’empereur. Les médecins avaient les mêmes privilèges. Voyez chap. LXXXIII, § 4.

[93] Excerpta Vat., apud Dion, LXVI, 12.

[94] C’est le titre de la seconde satire.

[95] Scholiaste de Juvénal ad sat., IV, 53.

[96] Lex Junia de Peregrinis, de l’année 126 av. J.-C.

[97] On ne se ce qui était cet Héras. Dion se contente de dire (LXVI, 15) : Quelques sophistes cyniques, étant entrés secrètement à Rome, se rendirent au théâtre et insultèrent le peuple. Peut-être cela eut-il lieu après le décret de bannissement, ce qui expliquerait la mort d’Héras.

[98] Juvénal, Satires, V, 37.

[99] C’est l’avis de Dion, LXVI, 12.

[100] Assiduas in se conjurationes (Vespasien, 95). Aurelius Victor (de Cæsaribus) dit la même chose : conjurationum multas. Ces paroles ne contredisent pas ce que nous avons dit. Les effets heureux que devait produire le renouvellement du corps aristocratique ne pouvaient se faire sentir immédiatement, et les anciens nobles conservés parmi les chevaliers et dans le sénat, ou chassés des deux ordres, gardaient leur caractère de mécontents et leurs habitudes de conspiration.

[101] Ce Marcellus, homme d’obscure naissance, était un triste personnage. Néron lui avait donné 5 millions de sesterces pour le récompenser d’avoir fait condamner Thrasea.

[102] Icosium, qui fut colonisé par Vespasien, ne porte pas le surnom de cité Flavienne. (Pline, Hist. nat., V, 1.) Il semble avoir aussi établi des vétérans à Reate. (Orelli, n° 3685.)

[103] Josèphe, Bell. Jud., VII, 10, 57.

[104] C. I. L., t. III, n° 552. C’est par Trajan qu’il fut allectus inter prætorios.

[105] Borghesi, Œuvres, t. V, p. 348.

[106] Pline, Lettres, X,18, 32. D’après une inscription de l’an 75 trouvée aux environs de Tiflis, Vespasien aida le roi des Ibères à fortifier sa capitale contre les Parthes. (Journal asiatique, t. IX, p. 93.)

[107] Magno tritici modo annonam P. R. adlevavit (Orelli, n° 750). Une autre inscription, du temps de Marc-Aurèle (C. I. L., t. III, n° 750), donne à la grande ville de Sirmium le surnom de Colonia Flavia Sirmatium ; un des trois Flaviens y avait donc établi une colonie.

[108] Mommsen, Inscr. Helv., 18, 168, 219.

[109] Mommsen, Inscr. Helv., 245, en 79.

[110] Orelli, n° 750.

[111] Dion, LXVI, I7.

[112] Il doit cependant y avoir eu le long des frontières quelques petits combats à la suite desquels Vespasien fut plusieurs fois salué empereur, car une inscription de l’année 76 marque sa dix-septième salutation impériale : IMP. XVII in Orelli, n° 714.