HISTOIRE DES ROMAINS

 

NEUVIÈME PÉRIODE. — LES CÉSARS ET LES FLAVIENS (14-96), CONSPIRATIONS ET GUERRES CIVILES. DIX EMPEREURS, DONT SEPT SONT ASSASSINÉS

CHAPITRE LXXIII — ISOLEMENT, DANGERS ET CRUAUTÉS DE TIBÈRE (23-37).

 

 

I. — LA LOI DE MAJESTÉ ET LES DÉLATEURS.

Il y avait à Rome d’anciennes dispositions légales contre ceux qui, par trahison ou incapacité, mettaient en péril la fortune ou l’honneur de l’État, qui portaient la main sur la constitution ou sur les magistrats, ses organes. Le crimen perduellionis, ou attentat contré le peuple romain, était très vague, et par conséquent très compréhensif. En outre, même dans les anciens temps, on ne punissait pas seulement les actes, mais les écrits et les paroles. Ainsi Claudia, durant la première guerre Punique, fut condamnée pour des veaux imprudents, et les Douze Tables décrétaient la mort contre les auteurs de libelles. La loi de majesté proprement dite est d’origine populaire : le démagogue Apuleius fit passer la première cent ans avant J.-C., et le tribun Varius proposa la seconde quelques années plus tard. Sylla, César, la reprirent pour mieux définir les cas ; ils étaient nombreux : la tentative, même non suivie d’effet, entraînait l’application de la peine, qui était l’interdiction du feu et de l’eau, c’est-à-dire l’exil avec la confiscation des biens et la perte de la cité[1]. Cette loi enveloppait maintenant et protégeait le prince, représentant du peuple, héritier de ses tribuns, et, à ce titre, déjà couvert par l’inviolabilité que la constitution reconnaissait à la magistrature sacro-sainte. — Qui de fait ou de paroles offensait un tribun[2], était voué aux dieux, sa tête à Jupiter, ses biens à Cérès.

César n’usa pas de la loi qu’il avait publiée ; Auguste s’en servit très modérément. Cependant des amendes, l’exil, furent prononcés de son temps pour des écrits ou de mauvais propos[3], et les Romains se plaisaient aux traits satiriques : Pasquino et Marforia ont toujours habité Rome. Ces habitudes invétérées d’intempérance de langage faisaient des accusés ; l’avidité besogneuse, la vanité oratoire surexcitée dans les écoles et interdite au forum, faisaient des accusateurs. Une accusation bien réussie rapportait profit et honneur : la loi d’abord accordait à celui qui l’avait vengée une part dans les dépouilles du condamné[4] ; souvent, le sénat y ajoutait une large récompense, le prince des honneurs, et la ville entière ses applaudissements. L’avenir s’ouvrait facile devant l’heureux vainqueur ; tout s’offrait à lui, fortune et dignités. Aussi, par le progrès croissant de la servilité et des appétits, les cas qui feront des coupables vont se multiplier ; la loi punira non seulement les paroles, mais un geste, un oubli involontaire ou une curiosité indiscrète : consulter un astrologue sur la durée de la vie du prince, sera montrer de criminelles espérances. La statue même de l’empereur participera à son inviolabilité : malheur à qui la vend avec le champ où elle est dressée, à qui la frappe d’une pierre, en enlève la tête ou fond ce bronze mutilé et inutile ! Malheur à qui s’oublie, pour une nécessité, en face de la divine image, ou seulement en l’ayant au doigt gravée sur un anneau[5] !

Si l’on trouvait ces accusations ridicules, il faudrait se rappeler ce qui pendant tant d’années a constitué en Angleterre des crimes de haute trahison, et comme il en a coûté cher à bien des hommes d’Écosse et d’Irlande pour avoir bu à la santé des Stuarts. Chaque époque a constitué, tantôt au nom de l’État ou du prince, tantôt au nom de la religion, des crimes particuliers que les époques suivantes n’ont plus compris. Liée à la politique, la justice devient souvent l’injustice, parce qu’alors elle frappe des coupables que la raison absout, et la pression des idées régnantes est si forte, qu’on voit de grands esprits, entraînés par le courant, ne pas résister à ces déviations de la conscience. Deux siècles après Tibère, Ulpien définissait encore ce crimen majestatis qui avait déjà servi à tant de basses et de sanguinaires vengeances, le crime qui de tous est le plus près du sacrilège, proximum sacrilegio crimen. A Rome, en effet, la religion se mêlait à tout. L’empereur étant souverain pontife et réservé à l’apothéose, ses statues étaient pontificalement consacrées. Y a-t-il bien longtemps que, chez nous-mêmes, briser une image sainte ou un symbole religieux a cessé d’être un crime entraînant la mort[6] ? Nous pouvons nous indigner de cette divinité accordée à des empereurs dont quelques-uns ont été l’opprobre du genre humain, mais nous ne pouvons pas faire que cette consécration politique et religieuse n’ait été donnée au prince, acceptée du peuple et garantie par la loi. Montesquieu dit : Pour juger les hommes, il faut, leur passer les préjugés de leur temps[7]. Les leur passer ? Non : mais leur en tenir compte ? Assurément oui.

Avec ses attributions politiques et militaires, l’empereur commandait l’obéissance ; avec la loi de majesté, il essayait de garantir sa sécurité personnelle. Car cette arme antique et redoutable dont les meurs et les idées du temps, mélange de superstition et de servilité, autorisaient plus que jamais l’usage, lui permettait d’atteindre ceux qu’il n’eût pu frapper par d’autres lois. Tibère allait en faire un emploi redoutable[8].

La fin prématurée de Germanicus et de Drusus le laissait seul exposé aux coups ; il sentait les périls de cet isolement, et, comme cette double mort qui faisait le vide autour de lui avait augmenté les espérances des partis, elle accrut aussi ses soupçons ; de ce jour, il se crut menacé et en péril. On voit peu agir les républicains purs : si les Chéréas qui voulaient la suppression du prince, au profit des pères conscrits, étaient nombreux à ce point qu’à la mort de Caligula il ne fut question dans le sénat que de rétablir l’ancien gouvernement, Cremutius Cordus se contentait de louer Brutus et d’appeler Cassius le dernier des Romains. Cet amour de la liberté aristocratique était, il est vrai, dans la tête plus que dans le cœur, dans les souvenirs plus que dans les passions. Peu dangereux pour l’empire, il Pétait pour l’empereur ; car, s’il ne pouvait enfanter une révolution, il était toujours capable de faire des complots, soit avec les partisans d’une restauration sénatoriale, soit avec les ambitieux qui rêvaient de remplacer l’empereur. Les princes sous qui quelque chose se fonde ou quelque chose finit sont continuellement exposés à ce péril.

Quant aux ambitieux, n’osant agir encore pour leur compte, ils se groupaient autour d’Agrippine, exploitaient ses ressentiments et comptaient se servir de ses enfants pour renverser Tibère, sauf à se débarrasser d’eux ensuite. Plus d’un sans doute répétait aux jeunes princes ce mot du Juif Agrippa à Caius : Ce vieillard ne partira-t-il pas bientôt pour l’autre monde, vous laissant maître de celui-ci ?[9] Il y avait donc autour d’Agrippine un parti nombreux[10], que Séjan montrait déjà prêt pour la guerre civile. Tibère lui permit de le frapper.

Un des meneurs, Silius, qui se vantait trop haut d’avoir conservé l’empire à Tibère, dans la révolte de Sacrovir, et qui avait souillé sa victoire par des rapines, fut accusé de concussions et de lèse-majesté : il se tua. Tacite dit que l’amitié d’Agrippine lui coûta la vie : cela se peut ; mais il est forcé de reconnaître que les reproches faits à la gestion de Silius étaient graves ; ce fut après ce procès que le sénat rendit les magistrats responsables des délits de leurs femmes. Celle de Silius fut exilée[11].

Une autre amie d’Agrippine, sa cousine Claudia, fut accusée d’adultère et condamnée. A cette nouvelle, Agrippine était accourue chez Tibère, qu’elle trouva sacrifiant sur l’autel d’Auguste. Cette circonstance irrite sa colère : Pourquoi, s’écrie-t-elle, immoler des victimes à Auguste quand on poursuit sa famille ? Ce n’est point dans des marbres inanimés que réside cet esprit immortel ; c’est en elle qu’il est passé, elle son pur sang et sa vive image. Elle voit les périls qui la menacent ; aussi a-t-elle revêtu les vêtements de deuil. Claudia n’est poursuivie que parce qu’elle a trop aimé la malheureuse Agrippine. Tibère, calme devant ces emportements, répondit par un vers grec : Vos droits sont-ils donc lésés, si vous ne régnez point !

L’autre parti eut son tour ; le républicain Cremutius Cordus avait blessé Séjan. On ne le met pas sur nos têtes, disait-il, il y monte[12]. Accusé pour son Histoire des guerres civiles, il se défendit avec dignité. Croit-on que je veuille par mes écrits exciter le peuple à la guerre civile, ramener Cassius et Brutus eu armes dans les champs de Philippes ? Malgré les soixante ans écoulés depuis leur mort, l’histoire a gardé leur souvenir, comme les statues que le vainqueur lui-même n’a pas détruites ont conservé leurs traits. La postérité fait à chacun sa part de gloire ; si l’on me condamne, il ne manquera pas de citoyens qui se souviendront de Brutus, de Cassius, même de moi. Après ces fières paroles, il sortit du sénat, s’enferma dans sa maison et s’y laissa mourir de faim[13] (25). Ce fut le premier crâne de Tibère et le premier exemple de ces morts stoïques qui nous montrent encore quelques vieux Romains au milieu de l’universelle dégradation.

Le sénat fit brûler publiquement tout ce que l’on put découvrir des ouvrages de Cordus. Si fille Marcia en cacha une copie qui fut multipliée. Aujourd’hui, dit Sénèque, ses écrits sont dans les mains et dans le cœur de tous les Romains. Le bourreau, en effet, ne peut rien contre la pensée ; celle qui doit survivre, parce qu’elle est juste, lui échappe : le temps seul est le justicier inexorable.

Cependant, à quelques jours de là, Agrippine tomba malade ; Tibère vint la voir, mais elle le reçut avec un silence obstiné et des larmes. Puis, se répandant en reproches et en prières, elle lui demanda un époux pour donner un protecteur à la veuve et aux enfants de Germanicus[14]. L’empereur, à son tour, garda le silence et sortit sans rien répondre à ce vœu imprudent. Ainsi allaient-ils s’aigrissant l’un l’autre. Séjan n’oubliait rien pour accroître cette inimitié. Il fit secrètement avertir Agrippine de se défiler des festins de soli beau-père, et, un jour qu’elle était à la table de l’empereur, elle demeura pendant tout le repas sans parler, les yeux baissés et ne touchant à aucun mets. Tibère, surpris et irrité, affecta de louer des fruits placés devant lui, et les offrit à sa bru : elle les rendit aux esclaves, sans y toucher. Il ne lui fit point de reproches, mais, se tournant vers sa mère : Y aurait-il lieu de s’étonner, lui dit-il, que je montrasse quelque sévérité envers une femme qui veut me faire passer pour un empoisonneur ? Un vieil ami de Germanicus payera bien t pour toutes ces imprudences.

Vers ce temps (26 de J.-C.), Tibère quitta Rome, où il était résolu à ne plus rentrer, accompagné de Séjan, d’Atticus, noble chevalier romain, de l’habile jurisconsulte Cocceius Nerva, et de quelques Grecs lettrés dont il aimait le commerce. Lui qui riait si peu, se plaisait à leur esprit subtil, et plaisantait avec eux. Un de ces Grecs le quittant, il lui donna un sauf-conduit ainsi conçu : Si quelqu’un veut faire du tort à Potamon de Lesbos, qu’il réfléchisse auparavant s’il est en état de me déclarer la guerre[15]. Il visita lentement la Campanie et se retira l’année suivante dans la délicieuse île de Caprée. Il avait alors soixante-neuf ans. Sa verte vieillesse n’ôtait rien à son activité d’esprit[16], mais son corps se voûtait, son visage se couvrait parfois d’ulcères et il voulait cacher ces signes de décrépitude. Sur ce roc insulaire où l’avaient conduit un grand mépris des hommes et le dédain des pompes officielles, il cherchait la sécurité pour ses derniers jours. Loin de Rome et des obsessions qui l’y entouraient encore, sa volonté serait mieux obéie, car un pouvoir qu’on ne voit pas semble plus terrible ; et, dans cette île, il se croyait plus en sûreté. Son petit-fils Tibère n’avait encore que huit ans, tandis que deux des trois fils de Germanicus étaient arrivés à l’âge d’homme[17]. Autour d’eux les espérances grandissaient. Le peuple, qui n’aime ni les vieillesses royales ni les administrations froides et sévères, ne cachait pas ses préférences : tout son amour était pour le sang de Germanicus. Un bonheur dans sa maison, comme un malheur dans celle de Tibère, causait la joie publique[18] ; et le vieil empereur, se sentant haï, croyait être entouré de complots. Séjan venait de lui sauver la vie ; cette preuve de dévouement avait augmenté son crédit. Le prince ne voyait plus que par les yeux de l’homme qu’il avait laissé s’interposer entre lui et l’empire.

Pour le succès de ses ambitieuses visées le préfet du prétoire ne trouvait donc plus d’obstacle que dans les fils de Germanicus ; aussi il excitait les méfiances du prince contre ses héritiers trop impatients ; il l’amena à leur donner des gardes, à faire épier leurs démarches, les visites, les messages qu’ils recevaient. Des traîtres apostés leur conseillaient d’aller embrasser la statue d’Auguste au Forum, d’implorer la protection du sénat et du peuple, de tenter même la fidélité des légions, en se réfugiant au milieu de l’ancienne armée de Germanicus. Ils rejetaient bien loin ces projets coupables, mais on leur en imputait la pensée ; on les représentait à Tibère comme tout prêts à les accomplir.

L’aîné, Néron, à qui sa mère montrait une prédilection imprudente, et que ses affranchis, ses clients, poussaient à saisir une fortune dont ils auraient profité, donnait prise aux soupçons par ses impatiences et ses paroles hautaines contre le favori qui abusait de la faiblesse d’un vieillard. Sa femme, son frère Drusus, le trahissaient et rapportaient tout à Séjan, qui flattait Drusus de l’espérance de l’empire.

Tibère crut nécessaire de frapper un second coup sur ce parti. Le premier jour de janvier (28 de J.-C.), Sabinus, le partisan le plus animé d’Agrippine, fuit traîné en prison. Cette triste affaire montra clairement ce qu’étaient devenus les magistrats et les sénateurs de Rome. Quatre anciens préteurs furent les instruments de sa perte. Un d’eux provoqua ses confidences en paraissant partager sa haine, et l’amena un jour dans sa maison, où il lui arracha les plus imprudentes paroles. Les trois autres, cachés entre la voûte et le plafond, écoutaient à travers les fentes. Ils rendirent compte à Tibère, qui demanda au sénat la tête du coupable. Ce que firent ces quatre préteurs, d’autres l’essayaient tous les jours : car, même entre les plus grands personnages, il y avait une émulation de lâcheté et d’infamie qui ne s’explique que par la dépravation du sens moral dans les hautes classes, et par le besoin de s’ouvrir une voie nouvelle pour aller à la richesse. Chacun des deux accusateurs de Thraséa fut gratifié de plus d’un million de francs, et le délateur de Soranus eut, en plus de l’argent, la questure. Aussi comme ils vont se mettre à la piste des délits et en quête de victimes ? Loi civile, loi politique, loi criminelle, tout leur est bon. Auguste avait provoqué les citoyens à découvrir les infractions à sa loi Pappia-Poppæa. Aussitôt les délateurs s’étaient abattus sur la ville, sur l’Italie, sur tout l’empire. Déjà ils avaient renversé une foule de fortunes et jeté partout la crainte, lorsque Tibère, pour remédier au mal, donna commission à quinze sénateurs de préciser et d’adoucir la loi. Le mal fut momentanément diminué[19]. Mais, quand lui-même lâcha la bride qu’il avait retenue ; lorsque, grâce à la loi de majesté, on put changer en crime une parole, un geste, alors la terreur plana sur la cité. Les parents se redoutaient, on ne s’abordait plus, on ne se parlait pas ; inconnus ou non, on s’évitait ; tout était suspect, jusqu’aux murs, jusqu’aux voûtes inanimées et muettes[20]. C’était la guerre civile qui renaissait arec ses proscriptions et ses mêlées sanglantes. Mais ici la parole servait de glaive, le sénat et les gémonies de champ de bataille, les riches et les grands de victimes[21]. Dans ces duels sans armes, l’empereur fut plus souvent témoin qu’acteur ; juge du camp, il assistait avec le peuple à ce jeu terrible que I’aristocratie leur donnait à tous deux[22] : l’un comptant les coups et décernant au plus meurtrier la palme de l’éloquence[23] ; l’autre emportant ceux qui tombaient pour s’amuser de leurs cadavres dans les rues de la ville. Tibère donnait peu de combats de gladiateurs ; le peuple trouvait dans ces exécutions un dédommagement !

On dit que Scipion Émilien, voyant du haut d’une colline deux armées de Numides et de Carthaginois qui s’égorgeaient dans la plaine, trouvait ce spectacle digne des dieux. Ce plaisir, Tibère se le donna pendant la seconde moitié de son règne. Tacite raconte qu’un sénateur, Domitius Afer, enrichi par une première accusation, ayant follement dissipé le salaire de son infamie, s’associa avec un des plus nobles personnages de Rome, Dolabella, pour perdre Varus. Le sénat refusa de recevoir la délation, en disant qu’on attendrait la présence du prince, et l’historien ajoute : C’était la seule ressource qui restât contre les nécessités pressantes. Parole étrange dans sa bouche, et significative[24].

Qu’on ne pense pas que nous exagérons en racontant ces duels où, comme au moyen âge, dans les jugements de Dieu, le vaincu était livré au bourreau. Auguste soumit l’accusateur qui ne faisait pas la preuve du fait dénoncé à la peine que l’accusé aurait encourue, et Tibère fit exécuter des délateurs[25].

 

II. — DESTRUCTION DE LA FAMILLE DE GERMANICUS ; CHUTE DE SÉJAN ; CRUAUTÉS DE TIBÈRE (29-37).

Tibère n’avait donc qu’à laisser faire pour être débarrassé de ceux qu’il craignait. Mais il craignait beaucoup, car il savait que quiconque aura sa vie à mespris, se rendra tousjours maistre de celle d’aultruy[26] ; et il écrivait au sénat après la mort de Sabinus : Ma vie est sans cesse menacée ; je redoute encore de nouveaux complots. Il voulait désigner Agrippine et Néron. Ils furent presque aussitôt frappés (29). Livie, qui avait, dit-on, intercédé pour eux, venait de mourir, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, et Séjan, délivré de la contrainte que lui imposait la vieille impératrice, pressait leur perte. Des écrits anonymes couraient dans Rome, pleins de sarcasmes contre le ministre. Un d’eux allait jusqu’à supposer une séance du sénat où l’on montrait des consulaires parlant et opinant avec une grande liberté. Séjan crut ou feignit de croire à un commencement de révolte. Le sénat, écrivait-il à Tibère, méprise les ressentiments du prince ; le peuple se soulève ; on répand, on lit publiquement de fausses harangues, de faux sénatus-consultes. Il ne leur reste plus qu’à prendre les armes et à proclamer leurs chefs, leurs empereurs, ceux dont ils veulent voir les images sur leurs étendards. C’est le malheur des gouvernements de cette nature que le prince y redoute sans cesse l’ambition de ses proches. Cette situation, Tibère ne l’avait point faite, mais il l’aggrava par ses défiances, par son mépris des hommes, par sa facilité à faire couler le sang. Dans la solitude où il s’enferma, loin du inonde et du bruit de toutes les têtes qui tombaient a Rome, il devint aisément sans pitié. Les hommes ne furent pour lui que les pièces d’un échiquier ; celles qui gênaient, au lieu de servir, furent rejetées et brisées. Les fils de Germanicus devenaient des causes de troubles, il les fit disparaître. Agrippine, enlevée de Rome, fut conduite dans l’île de Pandataria par un tribun qui traita, dit-on, avec tant de brutalité cette petite-fille d’Auguste, qu’il lui creva un rail ; nous la verrons, dans quatre ans, s’y laisser mourir de faim ; Néron, relégué à Pontia, sera bientôt mis à mort ou se tuera (31) ; son frère Drusus fut enfermé dans une chambre basse du palais, Rome ; la jeunesse du troisième, Caïus, le sauva. Il fallait bien le garder comme une ressource pour quelque cas imprévu, sauf à se débarrasser de lui plus tard, s’il devenait à craindre.

Toute la famille de Germanicus était comme détruite ; Séjan se crut rapproché du but. Il avait osé naguère demander la main de Livilla, veuve de Drusus ; c’était presque demander le titre de gendre et d’héritier de l’empereur. Tibère avait refusé, mais avec d’amicales paroles[27] ; en l’an 31, il le prit pour collègue dans le consulat. Le sénat, croyant pénétrer ses intentions, les dépassa et donna le premier éveil à ses défiances, en décernant au ministre les nièmes honneurs qu’au prince. On dressa l’une à côté de l’autre leurs statues, on plaça ensemble leurs sièges au théâtre, on décréta qu’ils seraient en même temps consuls pendant cinq années. Déjà Séjan était demi-dieu ; on immolait des victimes devant ses statues ; et, ce qui ne s’est jamais fait gravement qu’à Rome et dans la Rome de ce temps-là, il sacrifiait lui-même à sa divinité. Quelques-uns l’appelaient l’empereur véritable ; l’autre, disaient-ils, n’est que le roi de Caprée. La belle-sœur de Tibère, Antonia, qui avait honoré son veuvage, comme Agrippine, par une longue et irréprochable chasteté, s’aperçut plus vite que le prince des secrètes menées du conspirateur. Séjan, lui écrivait-elle, conspire avec les sénateurs. Des chefs de l’armée, des soldats achetés à prix d’argent, des affranchis même du palais impérial, sont entrés dans le complot ; et elle lui en révélait toutes les particularités[28]. Tibère n’osa frapper immédiatement. Il voulut sonder d’abord les dispositions réelles du sénat, du peuple et des prétoriens, étudier les ressources de Séjan, afin de les ruiner d’avance, comme celles d’un ennemi qu’on attaque prudemment et de loin, qu’on resserre peu à peu et qu’on ne saisit corps à corps qu’au moment décisif pour le terrasser. Il l’avait déjà renvoyé de Caprée à Rome où son consulat semblait le rendre nécessaire, en réalité pour l’observer mieux là où il croirait l’être moins. Il commença par des lettres habilement calculées pour que les sentiments divers se montrassent. Tantôt il écrivait que sa santé était ruinée, tantôt qu’elle redevenait excellente ; et comme l’ancien favori demandait à retourner en Campanie, il annonçait qu’il allait lui-même arriver à home. Quelquefois il blâmait Séjan, plus souvent il le louait. Il faisait des grâces à ses amis ; il en maltraitait d’autres. Il le nomma pontife, mais il accordait aussi l’augurat et le pontificat d’Auguste à Caïus, qui devait un retour de faveur et de fortune aux craintes qu’inspirait maintenant le meurtrier de tous les siens[29]. Avec ces titres, Tibère donna au jeune prince de grands éloges et laissa entrevoir qu’il le désignerait pour son successeur. Enhardi par la joie du peuple au bruit de cette élévation d’un fils de Germanicus, il osa davantage ; un accusé, ennemi de Séjan, fut absous, et il défendit de sacrifier à un homme vivant.

Tandis que le préfet du prétoire flottait dans l’incertitude, aujourd’hui blessé, demain caressé et rendu à la confiance, il perdait l’occasion de répondre à ces sourdes attaques par une révolution[30], et Tibère s’assurait du peuple, ébranlait son parti, détachait de lui les sénateurs qui l’avaient cru plus fort. A la fan, Séjan comprit, au vide qui se faisait autour de lui, qu’il était menacé, et il connaissait trop bien Tibère pour ne pas savoir que la menace précédait toujours de bien peu l’exécution. Il précipita ses projets, chercha et trouva des complices pour un attentat contre la vie du prince[31], mais Tibère veillait invisible : le moment était venu, il frappa. Le 18 octobre, un chef des prétoriens, Macron, arrive de Caprée à Rome pendant la nuit. Il communique aussitôt ses ordres au consul Regulus et au préfet des gardes nocturnes. Au matin, il rencontre Séjan aux portes de la curie ; celui-ci s’étonne que Macron n’ait pas pour lui des lettres de Tibère. J’en ai, répandit-il, et elles te donnent la puissance tribunitienne. L’ancien favori croit que le prince se livre de lui-même entre ses mains, et, plein de joie, va prendre place au sénat. Macron, avant d’aller l’y rejoindre, montre aux prétoriens de la suite de Séjan un message de Tibère qui l’institue leur chef ; il leur promet une gratification, pais les fait relever par des gardes nocturnes, qui entourent la curie. Il entre alors, remet aux consuls une lettre de l’empereur et sort aussitôt pour se rendre au camp des prétoriens et y prévenir tout mouvement séditieux. Il avait ordre, si quelque trouble éclatait, de tirer Drusus de sa prison et de le présenter au sénat et au peuple[32].

La lettre de Tibère était fort longue, afin de donner le temps à Macron de s’assurer de la fidélité des bardes. L’empereur commençait par une affaire indifférente, jetait quelques mots contre Séjan, puis allait à un autre sujet et revenait encore à Séjan, sans colère ni emportement. Enfin, le serrant de plus près, il accusait hautement deux membres du sénat, ses amis, et demandait qu’on s’assurât de sa personne. Aussitôt les sénateurs assis prés de lui, et qui tout à l’heure le félicitaient, s’éloignent et l’insultent, les tribuns et les préteurs l’entourent, le consul le saisit et le conduit à travers les huées de la multitude à la prison Mamertine. Le soir même il fut exécuté. Son corps, abandonna au peuple, fut pendant trois jours traîné dans les rues de la ville et mis en pièces, de sorte qu’il n’en resta même pas un membre entier que le bourreau pût jeter au Tibre[33]. Le peuple, mis en goût par ce jeu sanglant, se rua sur les partisans du ministre tombé, tandis que les prétoriens, irrités qu’on eût donné leur rôle dans cette tragédie aux gardes nocturnes, brûlaient et pillaient dans la ville.

Après les victimes du peuple, il y eut celles du prince : Blesus l’oncle de Séjan, ses amis, et il en avait eu beaucoup, car il avait été longtemps puissant, ses enfants, qu’on égorgea en deux fois. Les plus jeunes avaient d’abord été épargnés. On les porta à la prison ; le fils comprenait ce qui le menaçait ; la fille, tout enfant, demandait quelle était sa faute, où on la menait, disant qu’on lui donnât le fouet et qu’elle ne le ferait plus. Comme il était inouï qu’une vierge fût punie d’une peine capitale, les auteurs du temps rapportent que le bourreau la viola avant de l’étrangler[34].

De ce jour datent les cruautés de Tibère : jusqu’alors on avait plus accusé le ministre que le maître[35] ; mais, quand Apicata, la veuve de Séjan, révéla au prince que son mari avait sept ans auparavant empoisonné Drusus, et par ce crime causé tous les périls que rencontrait la vieillesse de Tibère[36] ; lorsqu’il se vit vaincu en dissimulation par un homme qui, pour mieux assurer ses projets, lui avait sauvé la vie au risque de la sienne, et qu’il connut l’étendue du complot, le nombre des complices, il ne compta plus pour sa sécurité que sur le bourreau. Depuis ce jour, dit Suétone, sa cruauté ne connut pas de frein ; il multiplia les tortures et les supplices, et durant des jours entiers l’instruction de cette seule affaire absorba tellement son attention, qu’un Rhodien son hôte, qu’il avait invité à le venir voir, s’étant fait annoncer, il ordonna de l’appliquer à la question, persuadé que c’était un de ceux qu’attendait la torture, et, l’erreur découverte, il le fit tuer, pour en étouffer le bruit. On montre encore à Caprée le lieu des exécutions, un rocher d’où les condamnés, sur un signe de lui, étaient précipités dans la mer. Des matelots les attendaient en bas et achevaient à coups d’aviron ceux qui respiraient encore. A Rome, le sénat continua longtemps à recevoir, à provoquer les accusations contre les complices de l’homme qui, après avoir empoisonné le fils de l’empereur, s’était attaqué à l’empereur même. Tibère fut le premier à se lasser de ces meurtres, que la lâcheté des grands multipliait. Pour en finir, il ordonna d’exécuter ceux qui étaient retenus dans les prisons. Vingt condamnés[37], et parmi eux des femmes, des enfants, furent étranglés en un jour, traînés aux gémonies, puis jetés au Tibre. Après un moment de repos, les condamnations recommencèrent ; cette fois Tibère les arrêta autrement : il fit mettre à mort les délateurs les plus infâmes et interdit à tout soldat licencié de se porter accusateur. La délation devenait un privilège de l’ordre équestre et du sénat[38].

Cependant, même en ces années malheureuses, il ne fut pas toujours impitoyable. Un chevalier accusé d’avoir été l’ami de Séjan répondit que Tibère aussi l’avait été ; et que, s’il était juste de punir les complices du traître, ceux qui n’avaient été, comme le prince, que ses amis, devaient, comme César lui-même, être absous. Il fut renvoyé de la plainte, et l’on punit de l’exil ou de la mort ses accusateurs[39].

Messalinus Cotta était dénoncé par Ies premiers de la ville pour de méchants propos qu’il aurait tenus contre l’empereur ; Tibère défendit qu’on instruisit cette affaire et fit punir un des délateurs. Bien des accusés furent oubliés dans leur prison : ainsi Agrippa, dont nous avons rapporté le vœu homicide ; Vitellius, qui, disait-on, avait promis à Séjan de lui ouvrir le trésor public confié à sa garde, et le consulaire Pomponius. Le second, ennuyé de ces lenteurs, se tua ; les deux autres, plus sages, attendirent sept ans la mort du prince : Caligula leur rendit la liberté. Un des historiens de Tibère comprenant, sans toutefois s’en rendre compte, la déplorable situation produite par la faute des temps, Ies crimes de quelques-uns, la lâcheté de tous, est prêt à le féliciter d’avoir épargné des amis de Séjan[40].

Il arrivait donc parfois que le tyran sommeillât. Un préteur, Lucius Sejanus, qui le tourna publiquement en ridicule aux yeux de tout le peuple, ne fut pas même inquiété, et deux accusateurs d’Arruntius furent punis. De cinq sénateurs inculpés du crime de lèse-majesté, deux sont renvoyés absous ; pour les autres, Tibère ordonne qu’on diffère jusqu’à ce qu’il vienne lui-même à Rome, oïl il ne revint jamais, et de ces trois-là, un conspira plus tard contre Claude, un autre contre Néron ; quant au troisième, Scaurus, décrié pour ses mœurs infâmes et accusé une seconde fois d’adultère et de sacrifices magiques, il se tua[41]. Enfin il y avait place pour de longues et honorables existences : Pison, le préfet de Rome, mourut octogénaire, ayant occupé vingt ans la place la plus difficile, avec honneur et sans lâches complaisances[42]. Son successeur l’exerça comme lui de manière à mériter les éloges de Tacite. Je vois même que Lepidus, le plus noble dans Rome après la famille des Césars, et qu’Auguste mourant montrait à Tibère comme un des candidats à l’empire, resta à la fois l’ami du prince et du peuple. On pouvait donc, sous Tibère, vivre sans bassesse, mais à la condition de vivre sans intrigues. Pour cela, il ne fallait être ni conjuré ni délateur, et presque tous Ies nobles étaient l’un ou l’autre.

Après cette grande commotion, Tibère crut devoir se montrer aux environs de Rome. Il vint par le Tibre jusqu’aux jardins qu’il avait près du Vatican, mais les soldats écartaient le peuple des bords du fleuve. Telles étaient ses méfiances, qu’il demanda que Macron, son nouveau préfet du prétoire, l’accompagnât, lorsqu’il irait à la curie, avec des tribuns et des centurions. L’assemblée s’empressa d’ajouter que chaque sénateur serait fouillé avant d’entrer, afin qu’on s’assurât que nul ne cachait un poignard. Voilà quel était le sénat de Tibère ! Servile et rampant, d’autant plus à craindre ; aujourd’hui condamnant, sans l’ordre du prince, une mère qui avait pleuré son fils ; demain prêt à traîner Tibère aux gémonies, si quelque heureux coup l’abattait.

Mais le sénat et l’empereur ne devaient plus se revoir : Tibère regagna son île, où il allait, assure-t-on, se livrer à d’infâmes voluptés. Voltaire, le grand douteur, n’y croyait pas, et je fais comme lui. Lorsqu’on vit cet homme terrible retiré sur son roc inabordable, l’imagination s’épuisa à inventer de monstrueux plaisirs, et l’on supposa des scènes impossibles comme les seules distractions qu’il pût goûter. Tacite infirme d’avance les récits de Suétone et les siens sur les débauches de Caprée, quand il oppose à la vie dissipée de Drusus la solitude austère et triste dans laquelle Tibère vivait à Rome[43]. Certes je ne me rends point garant de ses mœurs, dans un temps où personne n’en avait, mais je pense à sa vie passée, à ses terribles préoccupations, à ses travaux, surtout à son âge. On oublie qu’il avait soixante-neuf ans lorsqu’il quitta Rome ; qu’il en avait plus de soixante-treize après la mort de Séjan, quand Tacite parle pour la première fois des abominations de Caprée, et l’on ne songe pas que de telles mœurs auraient, en quelques semaines, conduit ce vieillard au tombeau. Au reste, c’est moins l’homme que le prince que nous avons à étudier.

A Rome continuait la guerre que les grands se faisaient entre eux sous le nom de l’empereur, et des condamnations étaient prononcées, souvent pour des motifs que nous avons peine à comprendre[44]. La terreur planait sur le sénat, et l’accusation de lèse-majesté était comme un glaive suspendu sur toutes les têtes, mais qui le plus souvent, d’après les paroles mêmes de Tacite, frappait des victimes n’ayant droit à aucune pitié. Il y avait aussi comme une épidémie de suicide qui s’est montrée en d’autres pays[45]. On se tuait pour un mot du prince, par ennui, même sans motif, comme Nerva, son vieil ami, qui se laissa mourir de faim, malgré les instantes supplications de Tibère. Un consulaire craint d’être accusé ; il se tue afin d’avoir au moins le plaisir d’écrire dans son testament des invectives contre Macron et contre Tibère[46]. Les héritiers voulaient tenir ce testament secret, l’empereur le fit lire publiquement. Il défend à Galba de tirer les provinces au sort ; il donne à d’autres des sacerdoces promis aux deux Blesus, et Galba et les Blesus se tuent. Il écrit à Labéon qu’il renonce à son amitié : Labéon se fait ouvrir les veines, et sa femme l’imite. Un Scaurus est accusé pour une tragédie où Tibère pouvait être reconnu sous la figure d’Atrée : sa femme lui conseille de mourir plutôt que de répondre, et lui en donne l’exemple[47]. Gallus, depuis trois ans sous la garde des consuls, se laisse mourir de faim ; un Vitellius fait de même. On échappait ainsi aux ennuis de la prison ou du procès et à la honte dés gémonies ; arrivé au terme d’une longue existence, rassasié de plaisirs, on reprenait pour un moment le grand courage des anciens temps ; on se drapait fièrement dans le manteau de Caton, et ce qui était une grande commodité pour l’héroïsme, chacun faisait finir la pièce qu’il jouait dans le monde à l’endroit où il voulait[48], par un acte que les stoïciens estimaient le comble de la vertu et qu’ils appelaient la sortie raisonnable.

Apicius veut savoir un jour ce qu’il lui reste après toutes ses folles dépenses ; son intendant lui annonce 2500000 drachmes ; comme ce n’était pas assez pour continuer son train ordinaire, il s’en va. Vous avez connu, dit Sénèque, 1llarcellinus. II était jeune, il avait du bien, des amis, des esclaves, niais aussi une maladie fâcheuse, qui pourtant n’était pas incurable. Il se demanda s’il ne ferait pas bien de se délivrer des médecins en se débarrassant de la vie. Il assembla ses amis et mit la chose en délibération ; l’un vota blanc, l’autre noir. Un stoïcien représenta qu’en vérité la vie ne mérite pas tant de soucis ; qu’on la partage avec les animaux et les esclaves ; qu’il faut manger et boire, s’amuser et dormir, et que c’est toujours à recommencer. Pour vouloir mourir, il suffit qu’on s’ennuie. Marcellinus approuva le conseil ; ses esclaves fondaient en larmes : il leur donna quelque argent, les consola et prit ses dernières dispositions. Il resta trois jours sans manger, puis se fit mettre dans un bain chaud, où, affaibli comme il l’était, il s’éteignit bientôt, en murmurant quelques paroles sur le plaisir qu’il éprouvait à se sentir en aller doucement[49].

Voilà pour les voluptueux et les ennuyés, pour ceux qui, fatigués de leur oisive existence, sentaient l’amertume cachée d la source même du plaisirs[50]. Toute société de civilisation raffinée a des accès de cette maladie : quelques-uns de nos cinq mille suicidés annuels en sont certainement victimes[51]. Pour les accusés, les raisons étaient différentes. Eux et le prince avaient intérêt à ce que tout se passât sans éclat et sans bruit, au fond des palais et des villas : l’un, en évitant de donner au peuple le spectacle de tant de supplices, diminuait l’odieux des condamnations, parce que ces morts en apparence volontaires semblaient des aveux de culpabilité ; les autres, en prévenant le licteur, sauvaient leurs biens, leurs femmes, leurs enfants et, ce qui dans les croyances païennes était quelque chose, leurs propres funérailles[52]. D’ailleurs ; où fuir ? L’empire était si grand ! Se cacher n’était ni digne ni sûr, et la mollesse, autant que la fierté romaine, répugnait à demander un asile aux Barbares.

Tout cela est vrai ; niais un temps où de telles résolutions sont possibles n’en est pas moins une époque maudite, et puisque le chef aurait eu l’honneur des prospérités, qu’il garde la honte des égorgements et des désespoirs.

Un des actes les, plus odieux fut la mort de Drusus. Ce prince ne méritait aucune estime : il avait trahi son frère, natté Séjan, et Tacite le juge sévèrement ; mais Tibère devait respecter le sang de Germanicus. Le bruit ayant couru d’une réconciliation de Drusus avec l’empereur, les Romains en montrèrent une joie qui fut sa condamnation. Pendant neuf jours le malheureux vécut de la bourre de ses matelas : Tibère n’avait pas voulu que le bourreau versât le sang d’un membre de la famille Julienne.

Agrippine ne lui survécut pas ; elle se laissa mourir de faim (18 oct. 33), malgré ses gardes qui lui ouvraient de force la bouche pour lui faire prendre des aliments[53]. Tibère poursuivit lâchement sa mémoire, l’accusa de débauches et se fit remercier par son sénat de n’avoir pas envoyé aux gémonies le corps de la petite-fille d’Auguste[54]. Ainsi, sauf Caligula, toute la maison de Germanicus était exterminée, et l’opposition qu’elle représentait noyée dans le sang. Le despotisme, qu’il soit à Rome ou à Constantinople, ne peut agir autrement : il faut qu’il fasse le vide autour de lui par l’exil ou la mort. Mais quittons ces scènes de meurtre qui ont justement fait la détestable réputation de Tibère et qui finiraient par nous faire aussi oublier l’empire.

L’administration de Tibère, dans les dernières années, porta le même caractère de fermeté et de bon sens qu’auparavant[55]. La discipline fut maintenue avec sévérité, même parmi les prétoriens. Après la mort de Séjan, il leur donna une gratification ; mais il resta toujours leur chef, jamais leur complaisant ! Un d’eux ayant volé un paon dans un verger, il le punit de mort[56]. Le peuple s’était laissé aller à des murmures à cause de la cherté des grains ; Tibère reprocha aux consuls et au sénat de n’avoir pas réprimé cette licence, nomma les provinces d’où il tirait des blés et prouva que l’importation était beaucoup plus considérable que sous Auguste. Un décret du sénat et un édit des consuls dont les termes rappelaient l’ancienne sévérité, ramenèrent le peuple au calme et à l’obéissance. Il ne craignit même pas de rétablir l’impôt du centième qu’il avait d’abord réduit de moitié[57]. Les magiciens étaient revenus et troublaient souvent les familles et la foule avec leurs prédictions : il les chassa. On proposait l’admission d’un nouveau livre sibyllin : il refusa, aimant peu les moyens de gouvernement de cette espèce et trouvant qu’il y avait assez déjà des oracles qu’Auguste avait révisés.

Une année, les délateurs, laissant en repos la loi de majesté, s’étaient rejetés sur un règlement de César qui, pour combattre un des fléaux de Rome, l’usure, avait interdit de garder en espèces plus de 60 000 sesterces et prescrit de placer le reste en terres ou en maisons dans l’Italie[58]. Cette mauvaise loi économique était vite tombée en désuétude. On avait gardé ses capitaux, et quantité de gens faisaient travailler leur argent. Le préteur, effrayé de la multitude des délits, fit son rapport au sénat ; Ies sénateurs mêmes étaient tous coupables ; ils demandèrent grâce au prince, qui leur accorda un an et demi pour se mettre en règle avec la loi. Un sénatus-consulte décida que les deux tiers des sommes recouvrées sur les créances seraient employées en achats de biens-fonds italiens. Le remboursement immédiat des prêts ruina beaucoup de débiteurs, et les créanciers, usant du délai que la loi leur donnait, tinrent leur argent en réserve pour profiter de l’avilissement du prix des terres que les emprunteurs étaient obligés de vendre. Le numéraire ne circula donc pas plus abondamment, et l’on ne s’en procura qu’à un taux usuraire. Pour arrêter l’ébranlement des fortunes, Tibère créa une sorte de caisse du crédit foncier. Il constitua un fonds de 100 millions de sesterces, sur lequel on prêta sans intérêt pendant trois ans, en recevant pour gage des biens-fonds d’une valeur double[59]. Cette banque et l’abandon du sénatus-consulte sur l’achat forcé des terres rétablirent le crédit. Quelques mois avant sa mort un incendie désola tout l’Aventin, oit se trouvaient les temples de Diane, de Junon Reine, de Minerve et de Jupiter-Libertas qu’Auguste avait restaurés et remplis de chefs-d’œuvre : il renouvela les largesses qu’il avait faites en deux occasions semblables, paya le prix des maisons brûlées, et dépensa encore à cette munificence 100 millions de sesterces[60].

Hors de l’Italie, l’aristocratie provinciale fut quelquefois traitée comme celle de Rome. Un noble de Macédoine, soupçonné d’intrigues avec un roi thrace, fut proscrit ; la loi de majesté atteignit deux des principaux citoyens de l’Achaïe ; et Marius, le plus riche des Espagnols, condamné pour inceste, fut précipité de la roche Tarpéienne[61]. En diverses provinces, il dépouilla des gens qui, contrairement à la loi de César, avaient une trop grande partie de leur fortune en espèces, et il ôta à des particuliers, à des villes, le droit qui leur avait été antérieurement conféré d’exploiter des mines[62].

Un fait rapporté par Josèphe doit éloigner l’idée qu’une sordide avarice présidât à l’administration des provinces. Lorsque le tétrarque Philippe mourut, en l’an 34, Tibère réunit ses domaines. à la Syrie, mais en s’engageant à faire dépenser dans le pays tout l’argent. qu’il en tirerait[63]. Pour expliquer la formation du trésor qu’il laissa à sa mort[64], il n’est pas nécessaire de croire à de cruelles exactions. La sévère économie du prince, attestée par mille faits et continuée pendant un règne de vingt-trois ans, suffit, avec les confiscations prononcées à Rome, pour en rendre compte. Du reste, il persistait dans son système des longs commandements, qui assurait aux provinciaux des administrateurs au courant de leurs intérêts. Poppæus Sabinus garda les deux Mœsies, la Macédoine et l’Achaïe pendant vingt-quatre ans ; Arruntius, l’Espagne pendant plus de dix années[65]. Il y en avait huit que Lentulus Getulicus était à la tête de l’armée de Germanie[66]. Aussi les consulaires ne désiraient plus ces places difficiles qui les exilaient de Rome pour si longtemps, et Tibère fut réduit à se plaindre au sénat de ce que personne ne voulait aller gouverner les provinces ni commander les armées. Ces refus, qui ne venaient pas d’un désintéressement généreux, sont pour nous un star indice de la dépendance oit l’empereur tenait ses agents et de la bonne gestion qu’il exigeait[67]. Deux des plus importantes provinces, l’Afrique et la Syrie, avaient à sa mort pour gouverneurs deux hommes d’une rare probité, dit Tacite, et d’une vertu antique ; en Égypte, l’administration du préfet Flaccus fut irréprochable, aux yeux mêmes de Philon, son mortel ennemi, tant que Tibère vécut[68]. Aussi les provocations qui de loin en loin leur venaient restaient sans effet. Tacfarinas, en Afrique, n’avait ramassé que les vagabonds et les bandits ; Florus ne put soulever la Belgique, ni Sacrovir la Lyonnaise. En Grèce, un faux Drusus se montra après la mort de Séjan, fit quelques dupes et disparut, sans que Tacite ait pu apprendre ce qu’il était devenu.

Ces faits prouvent mieux en faveur de l’administration de Tibère, que la verbeuse ambassade de Smyrne, d’Halicarnasse et de neuf autres villes d’Asie, se disputant l’honneur de lui élever un temple[69]. Pour nous, ces démonstrations sont sacrilèges et serviles, elles ne l’étaient pas plus pour les anciens que ne le serait, chez les modernes, l’érection d’une statue à un prince vivant. Elles ne signifiaient pas davantage ; mais elles avaient bien cette signification que l’Asie était contente du gouvernement de Tibère.

Aux frontières, la paix ne fut un instant troublée que par la révolte des Frisons, en l’an 28. Un primipilaire, commandant de leur pays, exigeait en tribut des peaux d’aurochs au lieu de peaux de bœufs : les Frisons le chassèrent et tuèrent quelques Romains surpris auprès d’un bois. Tibère ne voulut point d’une guerre au delà du Rhin, qui pouvait remettre encore la Germanie en mouvement, il laissa les Frisons libres du tribut.

Sur l’Euphrate la politique romaine avait reçu un autre échec. A la mort du prince établi sur le trône d’Arménie par Germanicus, Artaban avait fait reconnaître dans ce pays son fils Arsace ; puis il avait réclamé, avec les trésors laissés en Syrie par Vonon, son ancien rival, les provinces autrefois possédées par les Perses, c’est-à-dire toute l’Asie Mineure (35). Tibère ne s’émut pas de ces hyperboles orientales. Il choisit un de ses plus sages capitaines, l’habile et prudent Vitellius, et il l’investit d’une autorité supérieure dans les provinces de l’Est[70]. A cette concentration de toutes les forces romaines en Orient il ajouta des moyens encore plus sûrs. Un prince d’Ibérie, Mithridate, fut encouragé à faire la conquête du trône d’Arménie ; on noua à Ctésiphon même une conspiration entre les seigneurs parthes mécontents[71], et un des Arsacides détenus à Rome fut envoyé en Syrie. Celui-là ayant été emporté par une maladie, un autre, Tiridate, lui fut substitué ; enfin Vitellius acheta à prix d’or les peuples du Caucase qui ouvrirent aux Alains les portes Caspiennes, et il déchaîna ces Barbares sur les derrières de l’empire parthe qu’il se préparait à attaquer lui-même de front par l’Euphrate[72]. Ce plan réussit ; Artaban, vaincu deux fois en Arménie, et menacé d’une révolte universelle, s’enfuit chez les Scythes, tandis que Vitellius, passant le fleuve sans résistance, présentait Tiridate à la foule accourue au-devant des légions. L’incapacité du nouveau prince rendit presque aussitôt des chances favorables à son rival. Chassé de Ctésiphon, il se réfugia sur les terres de l’empire ; mais Artaban, éclairé par ses malheurs, se hâta de traiter avec Vitellius ; il lui donna son fils Darius en otage, avec de grands présents pour l’empereur[73]. Tibère, plus heureux qu’Auguste, pouvait donc se vanter, à son dernier moment, d’avoir imposé la paix aux Parthes après avoir montré les aigles romaines au milieu de leurs provinces.

Il avait alors atteint sa soixante-dix-huitième année, et depuis quelque temps les forces et la vie l’abandonnaient. Cependant son esprit était aussi actif ; il affectait l’enjouement pour cacher un dépérissement qui frappait tous les yeux, et, descendu sur la côte campanienne, il changeait fréquemment de séjour. Il s’arrêta enfin au cap Misène, dans une ancienne villa de Lucullus. Un habile médecin, Chariclès, vint l’y voir, non pour lui donner des soins, car Tibère se moquait de ceux qui, passé trente ans, avaient besoin que d’autres leur apprissent ce qui était bon ou mauvais pour leur santé[74]. Chariclès, en prenant congé du prince, étudia son pouls sous prétexte de lui baiser la main, et découvrit que sa fin approchait. L’intention n’échappa point à Tibère. Au lieu de punir cette indiscrétion audacieuse, il commanda un festin et resta à table plus longtemps que de coutume, comme pour faire honneur à un ami qui allait le quitter. Cependant Chariclès informa Macron que l’empereur n’avait pas deux jours à vivre ; le 16 mars il fut pris d’un long évanouissement ; lorsqu’il en sortit, il appela ses esclaves, et, personne ne répondant, il se leva, soutenu par son énergique volonté, mais retomba mort auprès de son lit (16 Mars 57 de J.-C.)[75].

Je crois avoir montré Tibère tel qu’il fut, n’aimant ni la pompe, ni le bruit, ni la foule ; méprisant l’adulation au point de trouver son sénat trop lâche[76] ; bravant la haine ; dédaignant de flatter le peuple autant que d’en être applaudi ; n’estimant le bien, le mal, qu’in la mesure de l’utile ; esprit actif et ferme, mais triste et dur, sans préjugés ni croyances, si ce n’est celle du destin[77], et impassible, implacable comme lui ; soupçonneux, parce qu’il rencontra toujours la bassesse et la trahison ; à la fin, cruel, parce qu’il se sentit menacé. Longtemps il gouverna avec modération, et toujours dans les questions d’administration avec sagesse ; mais, lorsqu’on lui eut empoisonné son fils unique, lorsque, dans son palais, parmi ses favoris et ses ministres, on eut conspiré contre lui, il se vengea sans pitié, et une fois sur cette route, il ne s’arrêta plus. Isolé, sans appui, sans défenseur intéressé à sa cause, il frappa tout autour de lui comme un vieux lion fait le désert autour de son antre. Vue ainsi, cette grande figure est peut-être moins tragique ; je la crois plus vraie.

Personne assurément n’aimera cet homme à qui rien d’humain ne battait dans la poitrine. La nature, l’éducation, les travaux accomplis, lui avaient donné une haute et sévère intelligence ; le pouvoir absolu et les circonstances firent de lui un abominable tyran. Nul ne voudra justifier les cruautés de ses dernières années : le sang versé crie toujours ; mais n’oublions pas qu’il g a eu des tyrannies plus odieuses et plus coupables, parée qu’elles ont été volontaires. Tibère, provoqué, accepta la lutte qui devait éclater nécessairement tôt ou tard dans une société où manquaient à la fois les institutions et les mœurs, qui souvent en tiennent lieu, et dont la vie ne sera par conséquent, sauf à quelques rares moments, qu’une révolution continuelle. Or nous savons quelle est la justice des temps de révolution. Un des membres de notre tribunal révolutionnaire disait aussi : Nous ne sommes pas des juges ; ils ne sont point des accuses. Il n’y a ici que des ennemis politiques, eux et nous. Voilà pourquoi tout soupçon qu’on inspire devient alors un délit, et tout délit un crime. Temps malheureux où une fausse logique endurcit le cœur et étouffe la voix de la conscience. On aimerait mieux de glorieuses inconséquences et tous les hasards d’une imprudence généreuse que ces champs clos où l’on s’égorge judiciairement ; et l’on ne saurait admettre que Tibère n’eût pu trouver, même après la mort de Séjan, d’autre moyen de gouvernement que la hache des licteurs.

Sa situation était plus difficile que celle d’Auguste. Il pouvait cependant continuer son rôle ; il préféra déchirer brutalement les voiles que la main de son prédécesseur avait jetés sur le despotisme. Le sénat, les chevaliers, toute la haute société romaine, tremblèrent devant lui, et à son tour il trembla devant tous[78]. Mais le gouvernement et les mœurs d’un pays sont solidaires ; comme la liberté élève les caractères, la tyrannie les abaisse ; celle-ci, spéculant sur les passions mauvaises, les excite, et la société souffre doublement dans ses intérêts politiques et dans ses intérêts moraux. Ici la peur amena la bassesse ; la fierté du citoyen étant brisée, la dignité de l’homme tomba, et le niveau de la conscience publique descendit. Les âmes humiliées n’eurent plus il opposer au vice la meilleure des sauvegardes, le respect de soi-même. Voilà les fruits du despotisme ; Auguste les avait semés, Tibère et quelques-uns de ses successeurs les recueillirent.

Quatre ans auparavant, les princes des prêtres, en Judée, conduisaient devant le procurateur un homme qu’ils accusaient de se dire roi des Juifs et fils de Dieu. Pilate ne trouvait en lui aucun crime, et ce royaume de la vérité lui semblait peu redoutable : il aurait voulu sauver la sainte victime. Mais, comme à son maître, l’ordre publie lui importait plus que la Justice : il céda lâchement devant l’émeute en disant : Que son sang retombe sur vos têtes ; et le crime s’accomplit[79].

Tibère avait vu tomber devant lui trois héros de la résistance des nations aux Romains, Hermann, Tacfarinas et Sacrovir ; mais le héros de l’humanité triomphait en périssant. Les bras du Christ étendus sur la croix du Golgotha allaient envelopper le monde[80], saisir sur leur trône les héritiers mêmes de César, et aider à les en précipiter.

 

 

 

 



[1] Cicéron en donne une idée nette dans le de Inventione, II, 17 : Majestatem minuere est de dignitate, aut amplitudine, aut potestate populi, aut eorum quitus populus potestatem dedit, aliquid derogare. Voyez, aux Sententiæ de Paul, V, 29, et au Digeste, XLVIII, 4, 3, § 2, comment les jurisconsultes de l’empire développèrent la lex Julia majestatis. La confiscation qu’elle prononçait était la conséquence de l’exil. Le condamné ne pouvant plus sacrifier devant son foyer aux dieux domestiques, ni prés de son tombeau aux mânes des aïeux, le peuple romain héritait de lui comme héritier commun. L’idée religieuse avait préparé l’idée fiscale.

[2] Le mot de Tite-Live est très général : si quis… tribunis nocuisset.

[3] Tacite, Annales, I, 73 ; Suétone, Octave, 51 ; Sénèque, de Benef., III, 27. La loi Julia rangeait parmi les crimina majestatis l’insertion dans les actes publics ou la déclaration officielle d’un fait qu’au savait être faux : Quive sciens falsum conscripserit vel recitaverit in tabulis publicis (Ulpien, au Digeste, XLVIII, 4, 12). Dernièrement encore nos lois punissaient l’injure au chef de l’État et la propagation des nouvelles fausses.

[4] Le quart, suivant Tacite (Annales, IV, 20) ; le huitième, selon Josèphe (Ant. Jud., XIX, 1) ; quelquefois le prince faisait abandon du tout. (Annales, II, 33.)

[5] Sénèque, de Benef., III, 26.

[6] La peine de mort pour sacrilège n’a été abolie en France qu’après la révolution de Juillet, en Angleterre que par un acte du Parlement de 1855. Je ne rappelle pas les exécutions fameuses du dix-huitième siècle en France, ni les condamnations de 1816 pour des paroles, des écrits, des pièces de monnaie à l’effigie de l’empereur, etc. Quant à la confiscation des biens, elle subsista pendant toute la durée de notre ancienne monarchie. Abolie une première fois en 1790, elle ne l’a été définitivement qu’en 1814.

[7] Pensées diverses.

[8] Freytag (Tiberius und Tacitus, p. 292-307) a fait le compte de tous les procès intentés sous Tibère par-devant le sénat et dont il est resté trace : il trouve 147 accusations atteignant 134 personnes ou moins de 6 accusés par an. Mais beaucoup de ces procès portaient sur des faits réellement criminels, où la politique n’avait rien à voir. Les cas de lèse-majesté ne sont qu’au nombre de 52. Sur ces 52 accusés, 4 se tuèrent, 1 mourut avant le jugement, 12 furent exécutés, 5 bannis, 4 emprisonnés ou placés en surveillance, 2 mis en liberté sous caution, 3 graciés, 14 absous, 7 mis hors de cause par abandon de l’accusation. Ainsi 26 accusés de lèse-majesté échappèrent : c’est tout juste la moitié du nombre total des accusés connus pendant les vingt-trois années du principat de Tibère.

[9] Josèphe, Ant. Jud., XVIII, 8.

[10] Annales, IV, 17 : esse qui se partium Agrippinæ vocent. Selon Josèphe, les armées étaient toutes gagnées aux fils de Germanicus et en dernier lieu à Caligula (Ant. Jud., XVIII, 6, 3).

[11] Tacite, Annales, IV, 18-20.

[12] Sénèque, Consolatio ad Marciam.

[13] Annales, IV, 55. En l’an 25.

[14] Tacite (Annales, IV, 55) rapporte ce fait, d’après les Commentaires écrits par la fille même d’Agrippine.

[15] Strabon, XIII, p. 617.

[16] Suétone (Tibère, 41) dit que de ce moment il abandonna les soins du gouvernement. Cependant nous verrons cette fin de son règne assez occupée. II est vrai qu’il ne voulut point de guerre ; mais, quand un périt sérieux se présentera, lorsque les Parthes, par exemple, entreront en Arménie, on le verra prendre des mesures énergiques.

[17] Caligula, le plus jeune, n’avait que quinze ans, mais Néron, l’aîné, était marié depuis huit ans.

[18] Tacite, Annales, II, 84 ; IV, 12.

[19] Tacite, Annales, III, 28.

[20] Annales, IV, 60. On a vu par l’affaire de Sabinus que cette fois Tacite n’exagère pas.

[21] Lucain l’a dit, Pharsale, I, 685 :

Impiaque in medio peraguntur bella senatu ;

et Sénèque, de Benef., III, 26 : Accusandi frequens et pene publica rabies que omni civili bello gravius togatam civitatem confecit ; et comme preuve que c’était bien la guerre civile qui continuait, les bourreaux étaient toujours des centurions et des soldats.

[22] Voyez, par exemple, l’inimitié des deux consuls de l’an 31, Regulus et Trion, qui s’accusent l’un l’autre de trahison, puis, lorsqu’ils sont sortis de charge, le sénateur Haterius qui les somme de tenir les menaces qu’ils se sont faites réciproquement. (Annales, V, 11 ; IV, 4.) Un Cotta fait des plaisanteries sur Tibère, il est dénoncé a primoribus civitatis (ibid., 5). Cf. VI, 7, quod maxime exitiabile tulere illa tempora, cura primores senatus infimas etiam delationes exercerent.... infecti quasi valetudine et contactu. Niebuhr, qui partage tous les sentiments de Tacite pour Tibère, dit cependant : Tiberius himself acted the part of a neutral person in these proceedings. Ajoutez l’esprit processif de ces Romains qui ne pouvaient vivre sans plaider, dit un jurisconsulte (Théoph., Inst., I, 6, § 4), et que le droit d’accuser appartenait à tout le monde. Néron prétendit avoir lu dans les Mémoires de Claude : nullam cujusque accusationem ab eo coactam (Tacite, Annales, XIII, 45).

[23] Ainsi à Domitius Afer : suo jure disertum eum appellavit (Tacite, IV, 52).

[24] Ici Tacite nous manque pour près de trois années : perte irréparable, car si nous jugeons souvent autrement que lui, c’est qu’il nous fournit lui-même les moyens de le combattre. Quel contraste entre le riche développement de son histoire, son style grandiose, et la médiocrité bavarde de Dion, notre seule ressource maintenant avec Suétone et Josèphe.

[25] Suétone, Octave, 32 ; Tacite, Annales, VI, 50.

[26] Montaigne, liv. I, chap. XXIII.

[27] Il faut toutefois les noter, car elles montrent l’intérieur de la famille impériale.... Et d'abord, les haines d'Agrippine ne deviendraient-elles pas plus ardentes, si le mariage de Livie partageait la maison des Césars comme en deux factions ? Déjà la rivalité de ces femmes éclatait par des chocs dont ses petits-fils ressentaient la secousse (Tacite, Annales, IV, 40).

[28] Josèphe, Ant. Jud., XVIII, 8.

[29] Suétone, Caligula, 12.

[30] C’est ce que l’on peut conclure des paroles de Tacite (Annales, V, 8 ; VI, 8), de Suétone (Tibère, 65), de Josèphe (Antiq. Jud., XVIII, 6, 6), de Philon (Leq. ad C., p. 997 d, et 1015 b), enfin de Juvénal (Satires, X, 56-107, surtout v. 74 et 75) :

.... Si Nortia Tusco

Favisset, si oppressa foret secura senectus

Principis.

Une inscription singulière, très mutilée, mais où se lisent encore les mots essentiels, donnerait à croire que Séjan avait cherché appui pour ses projets, auprès de la populace .... improbæ comitiæ.... (Marini, Atti, p. 43, et Wilmanns, 1699.)

[31] Dion, LVIII, 9-11. Juvénal, Satires, X, 61.

[32] Dion, LVIII, 4-12. Dans ses Mémoires que Suétone a lus, Tibère disait : Sejanum se punisse quod comperisset furere adversus liberos Germanici filii sui. Il n’y a dans ces paroles qu’une portion de vérité. Mais il se peut que Tibère se soit, je ne dis pas repenti, mais aperçu qu’il avait augmenté plutôt que diminué ses périls, en laissant Séjan détruire la famille de Germanicus.

[33] Sénèque, de Tranquillitate animi, 11.

[34] Tacite, Annales, V, 9 ; Dion, LVIII, 11 ; Suétone, Tibère, 61.

[35] Dion, LVIII, 12.

[36] Apicata se tua après avoir écrit cette lettre qui révélait la complicité de Livilla. Tibère voulait faire grâce à celle-ci, mais Antonia sa mère la fit mourir de faim. (Dion, LVIII, 11.) Pour vérifier le récit d’Apicata, nombre d’esclaves et d’affranchis qu’on supposait au courant du crime furent amenés à Caprée et mis à la torture.

[37] Je prends, comme Tillemont, le chiffre de Suétone (Tibère, 61). Tacite se garde bien de donner un nombre, ce qui lui permet de tracer un tableau qui a fait croire à quelque chose de semblable aux massacres de septembre. (Annales, VI, 19.)

[38] Dion, LVIII, 21.

[39] Tacite, Annales, VI, 8-9, 50 ; Dion, LVIII, 19. Auguste avait soumis, dans certains cas, le délateur qui ne faisait pas la preuve du fait dénoncé, à la peine que l’accusé aurait encourue : per periculum pœnæ (Suétone, Octave, 52), et Claude condamnera à combattre comme gladiateurs les esclaves et les affranchis qui sous Tibre et Gains avaient intenté des accusations calomnieuses ou porté de faux témoignages. (Dion, LX, 12.)

[40] Josèphe, Ant. Jud., XVIII, 8. Dion, LVIII, 19. Rubrius, qui fuyait chez les Parthes, est arrêté, cependant on lui laissa la vie, par oubli plutôt que par clémence (Annales, VI, 11). En l’an 34, un ancien édile accuse le commandant des légions de la haute Germanie d’avoir songé à prendre comme gendre le fils de Séjan ; il est chassé de Rome. (Ibid., 50.)

[41] Annales, VI, 7 et 9. Voyez ce que Sénèque rapporte des mœurs de Scaurus (de Benef., IV, 31).

[42] Annales,VI, 10-11.

[43] Annales, III, 57 .... Solus et nullis voluptatibus avocatus. Il avait ajouté un titre à la loi Pappia-Poppæa : quasi sexagenarii generare non possent (Suétone, Claude, 25). Cette mesure ne semble pas le fait d’un vieillard libertin. Il est à remarquer que les écrivains de son temps ou voisins de son règne, Philon, Sénèque, Pline l’Ancien, paraissent ne rien savoir de Caprée. L’historien juif Josèphe, qui était bien renseigné sur Tibère et qui parle de Caprée, ne parle pas des monstruosités qui s’y seraient passées. Tacite dit lui-même que Tibère n’avait pas coutume de rester longtemps à table, car deux jours avant sa mort, pour tromper les prévisions de Chariclès, discumbit ultra solitum. En pareille situation, quand la mort le tenait déjà, il n’avait pas eu la force certainement d’y rester longtemps, et ce peu de temps était un excès, comparé à ses habitudes (Annales, VI, 50). Cf. Suétone, Tibère, 51, sur la simplicité de sa table, Sénèque (Epist. 95) raconte qu’on lui donna un jour un surmulet pesant 40 livres et qu’il l’envoya au marché. Je serais bien trompé, dit-il à ses amis, si Apicius ou Octavius ne l’achètent. Ils se le disputèrent, et il resta à Octavius pour 5000 sesterces. Philon (Leg. ad C., p. 996 b, c), dans le curieux tableau qu’il trace de la prospérité du monde romain, dit que Caligula fut atteint, le septième mois de son règne, d’une maladie très grave parce qu’il voulut changer la manière de vivre frugale et salubre de Tibère. Dans sa jeunesse, dit Pline, il aimait le vin, mais il devint in senecta severus (XIV, 28) ; il aimait les mets légers et communs : les poires (XV, 46), les concombres, le chervis, le chou (XIX, 23, 28, h). Un des deux amis qu’il avait emmenés à Caprée était le consulaire Nerva, très savant jurisconsulte, personnage grave, et son conseiller ordinaire. L’histoire d’Agrippa, que Josèphe raconte tout au long, ne nous montre pas non plus Tibère comme un homme bien terrible pour ceux qu’il ne redoutait pas. Cet Agrippa lui devait depuis longtemps 300.000 pièces d’argent ; l’intendant impérial à Jamnia veut l’arrêter pour qu’il paye ; il s’échappe et arrive à Caprée, où Tibère l’embrasse et le fait loger dans son palais ; mais le lendemain l’empereur reçoit des lettres de son intendant, et, irrité de cette mauvaise foi, il se contente de lui défendre l’entrée de son palais jusqu’à ce qui il ait pavé. Plus tard, un affranchi d’Agrippa l’accuse ; Tibère fait mettre l’esclave en prison et refuse d’approfondir l’accusation. Mais Agrippa insiste ; Tibère répond qu’Agrippa doit prendre garde de ne pas s’engager inconsidérément à poursuivre cette affaire, de peur qu’étant approfondie, il ne lui en arrive quelque mal. Agrippa persista. Le propos dont il fut reconnu coupable eût pu lui coûter la tête, il en fut quitte pour une assez douce prison. (Ant. Jud., XVII, 8.)

[44] Voyez Suétone, Tibère, 58, et Sénèque, de Benef., III, 20.

[45] Cf. Montaigne, Essais, liv. I, chap. XL ; liv. II, chap. III, et Brière de Boismont, du Suicide et de la folie-suicide.

[46] Il faut noter cependant que ces invectives contre Tibère n’étaient pas bien terribles : Dans l'écrit dépositaire de ses dernières pensées, [Fulcinius Trio] entassa mille invectives contre Macron et les principaux affranchis du palais ; il n'épargna pas même l'empereur, que l'âge avait, disait-il, privé de sa raison, et dont la retraite sans fin n'était qu'un exil (Tacite, Annales, VI, 38).

[47] C’est ce Scaurus si décrié dont nous avons parlé plus haut.

[48] Montesquieu, Grandeur et décadence des Romains, chap. XXII, qui emprunte en partie cette pensée à Sénèque (Epist. 77).

[49] Sénèque cite (Epist. 23) ce mot d’Épicure : Quel ennui de recommencer tous les matins la vie ! Quelques années plus tard, Claude veut forcer les sénateurs à assister aux séances du sénat ; plusieurs se refusent à remplir ce devoir de leur charge, il les punit ; quelques-uns se tuèrent (Dion, LX, 11).

[50] Lucrèce, de Natura rerum, IV, 1129.

[51] De 1871 à 1875, on a compté en France une moyenne annuelle de 5256 suicides. (Essai de statistique morale du professeur Morselli, Milan, 1879.) On se tuait dans toutes les classes. Un habitant d’une petite ville de l’Ombrie, donnant un cimetière à ses concitoyens, défend d’y enterrer les suicidés et les infâmes (C. I. L., t. I, p. 265, n° 1418), coutume que l’Église a gardée. A Rome, on se noyait de préférence au pont Fabricius, ponte Quattro Capi (Horace, Satires, II, III, 36), comme chez nous on se pend au bois de Boulogne.

[52] Eorum qui de se statuebant, humabantur corpora, manebant testamenta, pretium festinandi. Pour les suicidés ordinaires, il n’y avait pas de funérailles : suspendiosis, dit Varron, justa fieri jus non est (Servius, ad Æn., XII, 603), coutume encore conservée par l’Église.

[53] Suétone, Tibère, 53. On montre au Capitole l’urne où furent renfermées ses cendres ; au moyen âge, elle a servi d’étalon pour le mesurage des grains.

[54] Tacite, Annales, VI, 25.

[55] Dion, LVII, 23.

[56] Suétone, Tibère, 60.

[57] Dion, LIX, 9 ; Tacite, Annales, VI, 13.

[58] Dion, XLI. 57.

[59] Annales, IV, 16-17. C’est à peu près ce que nous avons fait pour le commerce, après 1830 et 1848.

[60] Annales, IV, 45.

[61] Tacite, Annales, VI, 18, 19. Tibère confisqua les richesses de Marius et les mines d’or qu’il détenait contrairement à la loi. Peut-être les deux Achéens avaient-ils trempé dans le complot du faux Drusus, en l’an 31 (Annales, V, 10).

[62] Suétone, Tibère, 49. Nous ne savons de quels motifs Tibère s’autorisa pour opérer cette concentration des mines aux mains de l’État, ni des moyens employés pour l’accomplir : confiscation, achat, ou mise en exploitation, dans l’intérêt du trésor, de mines abandonnées. Il se pourrait que les raisons indiquées par Suétone ne fussent pas plus exactes que les renseignements qu’il fournit sur Vonon, tué aussi à cause de ses trésors, suivant lui, et dont Tacite raconte tout différemment la mort. Sur l’exploitation des mines par des fermiers soumis à an contrôle sévère et que remplacèrent plus tard des procuratores Cæsaris exploitant directement, voyez le savant travail de M. Flach sur le bronze d’Aljustrel, récemment découvert.

[63] Ant. Jud., XVIII, 6.

[64] 5 à 600 millions de francs, accumulés en vingt-trois années de règne, ou environ 26 millions par an.

[65] Il est vrai que Tibère, à qui Arruntius était suspect, le retint à Rome, tout en lui laissant son titre. Lamia ne se rendit jamais non plus dans son gouvernement de Syrie (Annales, VI, 27), sans doute de son plein gré, car Lamia était un des amis de Tibère, qui lui donna un poste tout de confiance, la préfecture de Rome (ibid.). Claude fut obligé de forcer, par une disposition légale, les gouverneurs qui tardaient à se rendre dans leurs gouvernements, de quitter Rome avant le milieu d’avril (Dion, LX, 17).

[66] Tacite, Annales, VI, 50. Cf. Dion, LIII, 14 ; LVIII, 23.

[67] Sidon et Damas étaient en contestation pour leurs limites. Les gens de Damas donnèrent une grande somme d’argent au Juif Agrippa, petit-fils d’Hérode le Grand, pour qu’il les appuyât de son crédit auprès de Flaccus, gouverneur de Syrie. Celui-ci l’ayant su s’irrita fort contre Agrippa, lui retira son amitié et le chassa de sa maison. Les gouverneurs républicains n’étaient pas si austères. (Josèphe, Ant. Jud., XVIII, 8.)

[68] Silanus et Vitellius. Cf. Tacite, Annales, VI, 32 ; Dion, LIX, 8, et Philon, in Flaccum, p. 965-6. Sous Tibère, dit-il (p. 980 b, d), tous les gouverneurs qui changèrent leur autorité en tyrannie furent mis en accusation à Rome et jugés sans haine ni faveur, selon la justice.

[69] Un des arguments qu’Halicarnasse faisait valoir, c’est que depuis douze cents ans on n’y avait pas ressenti de tremblement de terre et qu’elle bâtirait le temple sur un roc inébranlable. (Tacite, Annales, IV, 55.)

[70] Cunctis quæ apud Orientem parabantur.... præfecit (Annales, VI, 32).

[71] Un d’entre eux, le gouverneur de la Mésopotamie, avait servi sous Tibère en Dalmatie et avait été gratifié du titre de citoyen romain. (Annales, VI, 37.) Josèphe dit expressément que Vitellius acheta les proches et les amis d’Artaban. (Ant. Jud., XVIII, 6.)

[72] Ibid., 4.

[73] Suétone (Caligula, 14) et Dion (LIX, 27) placent l’entrevue de Vitellius et d’Artaban après l’avènement de Caligula. Suétone (Tibère, 66) parle même d’une lettre d’Artaban pleine d’invectives sanglantes. Mais je préfère suivre le témoignage des deux écrivains juifs, qui furent presque les témoins oculaires des événements. Josèphe dit (Ant. Jud., XVIII, 6) qu’après la paix faite avec les Parthes, Vitellius allait, par l’ordre de Tibère, marcher contre les Nabatéens, lorsqu’il apprit sa mort ; et Philon déclare que Tibère n’avait laissé nulle part à son successeur un germe ou une étincelle de guerre (Leg. ad Caium, p. 1012 c).

[74] Tacite, Annales, VI, 46.

[75] Il courut plusieurs récits sur la mort de Tibère ; les uns voulaient que Caïus lui eût donné un poison lent, comme si ses soixante-dix-huit ans ne suffisaient pas ; d’autres encore qu’on l’eût étouffé sous un matelas. Cette dernière version est la plus tragique, celle par conséquent que Tacite a choisie Nous préférons celle de Sénèque, qui était alors à Rome et qui devait être bien informé.

[76] Suétone, Tibère, 27. Un de ses mots ordinaires était : Oderint dum probent (ibid., 59), on encore : O homines ad servitutem paratos ! (Annales, III, 65.)

[77] Suétone, Tibère, 69. De là sa crédulité à l’égard de l’astrologie judiciaire, faiblesse qui a trop longtemps régné pour que nous ayons le droit de l’en accuser beaucoup. Nous lui reprocherons davantage son peu de goût pour les arts (id., ibid., 47), quoique, en bon administrateur qu’il était, il ait achevé les monuments commencés et veillé à la bonne conservation de ceux qui existaient (Tacite, Ann., VI, 45 ; Dion, LVII, 10), sans mettre son nom sur aucun. Il faut aussi attribuer autant au régime de terreur qui régna dans les dernières années, qu’à l’absence de talents élevés, l’absolue nullité littéraire de l’époque de Tibère.

[78] Timet timentes, metus in auctorem redit (Sénèque, Œdip., act. III).

[79] La date pour la mort du Christ varie de l’an 27 à l’an 33, qui est la date généralement suivie. Clinton (Fasti Hellenici) prend l’année 29.

[80] Michel-Ange a dit dans un de ses sonnets adressé à Vasari : Arvor divino ch’ aperse a prender noi in croce le braccio.