HISTOIRE DES ROMAINS

 

HUITIÈME PÉRIODE — AUGUSTE OU LA FONDATION DE L’EMPIRE

CHAPITRE LXV — ORGANISATION DU GOUVERNEMENT IMPÉRIAL (30-13 AV. J.-C.).

 

 

I. — DÉCRETS DU SÉNAT APRÈS LA MORT D’ANTOINE (30-28).

Antoine mort, et l’Égypte réduite en province, Octave[1] regagna, la Syrie, où il reçut du roi des Parthes une première ambassade, déjà moins fière, car Phrahates, pour détourner l’imperator romain de soutenir un candidat au trône réfugié sur les terres de l’empire, lui donna son propre fils en otage. Il employa encore l’hiver et le printemps de l’an 29 à régler les affaires de la péninsule asiatique. Les deux capitales de l’Asie et de la Bithynie, Éphèse et Nicée, furent autorisées à élever chacune un temple aux deux divinités nouvelles, Rome et le héros Jules ; Pergame et Nicomédie, à établir en l’honneur d’Octave et de Rome des enceintes consacrées. C’était la seconde année qu’il passait hors de l’Italie. Mais il n’avait point hâte d’y rentrer. Il voulait affermir son pouvoir en l’exerçant au loin, et laisser aux Romains le temps de s’habituer à l’idée d’un maître. Il y mettait vraiment trop de prudence, et les secrètes colères de l’aristocratie ne demandaient pas d’aussi longs ménagements.

D’ailleurs Mécène et Agrippa veillaient pour lui à Rome ; les lettres d’Octave au sénat et aux consuls passaient par leurs mains ; même il leur avait laissé un cachet semblable au sien, afin qu’ils pussent, suivant les circonstances, modifier le contenu de ses dépêches[2]. Ils donnaient le mot d’ordre au dévouement ; ils soufflaient l’enthousiasme ; ils dirigeaient les délibérations et les votes. Tache facile, grâce au désir universel de la paix.

Depuis l’échauffourée de Lépide, cet avertissement salutaire qu’Auguste avait si bien compris, le calme n’avait pas été troublé, et le seul bruit qui agitât la ville était celui des décrets adulateurs du sénat. Après Actium, on avait voté un triomphe ; après la soumission de l’Égypte, on en décerna un autre et l’on commença en son nom la construction du grand temple de la Fortune à Préneste. Puis il fut ordonné aux prêtres de faire des vœux pour Octave, comme ils en faisaient pour le peuple romain, et de mêler dans leurs prières son nom à celui des dieux ; aux citoyens, de répandre dans les festins des libations en son honneur ; aux vestales, aux sénateurs et au peuple, de sortir au-devant de lui, le jour où il rentrera dans Rome. Ce jour deviendra une fête annuelle ; deux arcs de triomphe, l’un à Brindes, l’autre dans le Forum, s’élèveront pour perpétuer le souvenir de ses victoires ; dans les solennités, il portera le manteau de pourpre ; enfin, l’entrée de sa maison sera ornée de branches de laurier et d’une couronne civique. Nous avons des médailles où cette couronne enveloppe la légende que les courtisans de la fortune prodiguent si aisément à ceux qu’ils appellent les sauveurs de la patrie, ob civis servatos.

A ces honneurs de parade on comprit qu’il fallait joindre du pouvoir. Au commencement de janvier de l’an 29, pendant qu’Octave prenait possession, en Asie, de son cinquième consulat, les sénateurs et les magistrats firent à Rome le serment d’obéir à ses actes, et on lui offrit la puissance tribunitienne à vie, avec le droit d’étendre son inviolabilité sur quiconque l’implorerait. Mais tout cela avait été à peu près donné à d’autres, et l’on voulait faire dit nouveau. Un souvenir classique tira d’embarras. Devant l’Aréopage, Oreste avait été sauvé par le suffrage de Minerve : il fut décidé qu’Octave pourrait dans les causes criminelles voter en faveur de l’accusé. C’était le droit de grâce, qui est resté un des attributs de la souveraineté[3].

Une députation du sénat alla lui porter ces décrets. Elle le trouva occupé à faire un dieu de César et permettant qu’on lui élevât à lui-même des temples dans Pergame et Nicomédie. Avec les Grecs, habitués de longue main à ces flatteries sacrilèges, il se laissait volontiers décerner de son vivant l’apothéose[4] ; avec les Romains, il était résolu à se donner les dehors du désintéressement. Il n’accepta pas tout ce qu’on lui offrait ; il refusa même la plus précieuse de ces prérogatives, la puissance tribunitienne à vie, afin de laisser quelque doute sur ses intentions et une illusion ù ceux qui en gardaient encore.

Cependant ses lieutenants faisaient partout triompher ses armes : Statilius Taurus, en Espagne ; Nonius Gallus et Carinas, en Belgique ; Messala, dans l’Aquitaine[5] ; Crassus, contre les Bastarnes et les Daces. Il aurait pu monter au Capitole escorté de triomphateurs, et inaugurer son gouvernement en annonçant aux Romains la fin de toute guerre. C’était le moment propice pour rentrer dans Rome ; il en passa les portes au mois de sextilis, qui plus tard prit son nom (août, 29 av. J.-C.), et il triompha trois fois pour les Dalmates, pour Actium[6] et pour l’Égypte, dont le grand fleuve, suivant l’usage, figura dans la cérémonie, ce qui nous a valu la belle statue du Nil conservée au Vatican. En descendant du Capitole, il volta un temple à Minerve, la déesse qui lui avait donné sa précoce sagesse, et dans la basilique Julienne, dont il fit la dédicace, il plaça cette statue de la Victoire qui, après le triomphe du christianisme, resta pour les derniers païens de Rome le symbole vénéré de la glorieuse histoire de leurs pères. Les récompenses aux soldats, les gratifications aux citoyens, furent ce que les trésors des Ptolémées permettaient de les faire : 1000 sesterces par tète aux premiers, et ils étaient cent vingt mille ; 400 aux seconds ; les enfants mêmes, qui ne comptaient d’ordinaire qu’à partir de onze ans, reçurent leur part, en l’honneur du jeune Marcellus[7].

Il y eut tant d’or soudainement jeté dans la circulation, que, par toute l’Italie, l’intérêt de l’argent baissa des deux tiers, de 12 à 4 pour 100, et que le prix des propriétés doubla[8].

Malgré ces dépenses, Octave se trouva encore assez riche pour faire de somptueuses offrandes dans les temples de Rome, quoiqu’il eût refusé les couronnes d’or, offertes, selon l’usage, par les villes d’Italie, qu’il eût payé toutes ses dettes, sans rien demander à ses nombreux débiteurs, et brûlé les créances de l’État[9]. Ces façons royales et les fêtes splendides qui suivirent : des jeux troyens où parurent Marcellus et Tibère, des combats de prisonniers suèves et daces, des chasses dans le cirque, où, pour la première fois, on vit un rhinocéros et un hippopotame, sauvages habitants d’un monde que la soumission de l’Égypte venait d’ouvrir ; tant de largesses et de plaisirs semaient l’oubli et l’espérance. Octave, pour annoncer solennellement l’ère nouvelle qui commençait, ferma le temple de Janus, ouvert depuis deux siècles, et fit prendre l’augure de salut[10].

Quinze ans auparavant, un jeune élève des écoles d’Apollonie, de petite taille et de constitution chétive, partait seul de cette ville et arrivait, presque inconnu, à Rome, où, malgré les conseils de ses proches et les prières de sa mère, cet ambitieux de dix-huit ans avait l’audace de réclamer l’héritage de son père adoptif, tombé sous vingt coups de poignard. D’abord on s’était ri de lui. Mais les plus habiles, il les avait trompés ; les plus forts, il les avait brisés ; et, sur les ruines de tous les partis et de toutes les ambitions, il avait élevé une fortune inébranlable. Arrivé au terme, qu’allait-il faire ? On dit qu’il consulta Agrippa et Mécène ; que celui-là conseilla l’abdication et celui-ci l’empire[11]. De tels conseils ne sont tenus que sur les bancs des rhéteurs.

Pour les hommes d’État, le gouvernement des nobles, qu’on appelle la république romaine, était condamné sans que Mécène eût besoin de plaider contre lui ; et, quoi qu’on se plaise à faire d’Agrippa un héritier des sentiments de Caton et de Brutus, l’instrument de tant de victoires monarchiques, le vainqueur de Sextus et d’Antoine paraîtra toujours un singulier républicain[12]. Je ne crois donc pas aux puériles hésitations d’Octave, mais à sa ferme volonté de rester le maître, en mettant des formes à l’usurpation, car, avec l’exemple de sa vie César lui avait laissé l’enseignement de sa mort.

Peu soucieux de se rejeter, par des innovations dont les résultats seraient inconnus, au milieu des hasards d’où il venait de sortir, Octave s’appliqua à faire, de pièces et de morceaux, une constitution qui est restée sans nom dans la langue politique, et qui pendant trois siècles reposa sur un mensonge. La fraude ne dure jamais si longtemps ; c’est qu’elle n’était ici que dans la forme. Tout le monde s’entendait sur le fond des choses, mais tout le monde aussi voulait garder la décevante illusion, la chère et glorieuse image de l’antique indépendance.

Il ne prit donc ni la royauté toujours odieuse ni la dictature qui rappelait de sanglants souvenirs. Mais il connaissait assez l’histoire de son pays pour savoir qu’il trouverait aisément dans les prérogatives mal délimitées des anciennes magistratures, de quoi déguiser la monarchie sous des oripeaux républicains, et qu’il pourrait suffisamment armer le pouvoir absolu avec les lois de la liberté. Depuis l’an 31 il était consul : c’est sous ce titre qu’il avait livré la bataille d’Actium. Il gardera six années encore cette charge qui le fait chef officiel de l’État, et qui lui donne légalement la plus grande part du pouvoir exécutif.

Mais, avant tout, il lui faut l’armée, garantie meilleure à une pareille époque, que tous les décrets et que toutes les magistratures. Il ne veut donc à aucun prix licencier ses légions, et, pour rester à leur tête, il se fait décerner par le sénat le nom d’imperator. Non pas ce simple titre d’honneur que les soldats donnaient sur le champ de bataille aux consuls victorieux, mais cette charge nouvelle, sous un vieux titre, que César avait eue et qui conférait le commandement suprême de toutes les forces militaires de l’empire. Les généraux deviennent ainsi ses lieutenants, les soldats lui jurent fidélité, et il exerce le droit de vie et de mort sur tous ceux qui portent l’épée[13].

Le sénat représentait l’ancienne constitution, il le conserva néanmoins, et, par une ironie qui serait sanglante, si l’histoire ne constatait pas cette loi des sociétés humaines que, toujours, le passé se continue longtemps dans le présent, il fit de l’assemblée républicaine le rouage principal du gouverneraient impérial. Pour cela deux choses étaient nécessaires : il fallait que ce corps, tombé datas un grand discrédit, fût relevé aux yeux du peuple, et en même temps qu’il restât souple et docile. Il atteignit ce double but en se faisant donner, avec Agrippa pour collègue, sous le titre de préfet des mœurs, tous les pouvoirs de la censure, ce qui lui permit de faire la révision du sénat[14]. Il y avait alors mille sénateurs. Sur son invitation, cinquante se firent justice en abdiquant : il leur conserva les insignes sénatoriaux ; cent quarante membres indignes ou amis d’Antoine furent rayés.

On craignait de leur part quelque entreprise hardie ; ils ne purent entrer dans la curie que un à un, après avoir été fouillés, prætentato sinu, et, tant que l’opération dura, dix sénateurs armés entourèrent la chaise curule du préfet des mœurs, qui portait une cuirasse sous sa toge. Mais les charonites et les orcini[15] acceptèrent leur condamnation en silence. Cette sévérité nécessaire fut comme le dernier acte de la guerre civile. De peur qu’on n’y vit le commencement de persécutions nouvelles, Octave déclara qu’il avait brûlé tous les papiers d’Antoine[16]. C’était fermer le temple de Janus une seconde fois (28 av. J.-C.).

Beaucoup de pères conscrits étaient pauvres ; Octave, qui savait qu’en de pareils temps il n’y a de considération que pour la richesse, exigea que tout sénateur possédât au moins 1.200.000 sesterces[17] ; et comme on arrivait au sénat par la questure, il ferma cette charge à tous ceux qui n’avaient pas de grands biens, en imposant aux questeurs l’obligation de donner au peuple des combats de gladiateurs. Mais il eut soin de compléter le nouveau cens aux sénateurs qui ne l’avaient point, trouvant à cette mesure le double avantage d’accroître, aux yeux de la foule, l’autorité de son sénat en le faisant plus riche, et de constituer les grands ses pensionnaires.

A cette assemblée, devenue moins nombreuse et plus digne, il fit, comme autrefois Sylla, passer, auto dépens du peuple, les plus importantes affaires, et l’on ne put arriver au tribunat plébéien qu’après être entré au sénat.

Mais le tribunat était tombé si bas, que les candidatures sénatoriales firent défaut, de socle qu’il fut contraint d’autoriser les candidatures équestres, en laissant aux tribuns de cet ordre la liberté : au sortir de cette charge, de refuser le sénat pour rester chevaliers[18]. Les sénateurs montraient peu d’empressement à se rendre alla séances de la curie, quoiqu’il n’y en eût que deux par mois[19]. La présence de quatre cents membres était nécessaire pour qu’un sénatus-consulte fût valable ; comme on ne parvenait pas à réunir ce nombre, il fallut le réduire[20]. Cet abandon de la vie publique atteste l’universelle lassitude ; c’était, malgré les apparences si soigneusement entretenues par Auguste, l’abdication volontaire ratifiant l’abdication imposée.

Octave fit la revue de l’ordre équestre avec toute l’ancienne pompe. Il chassa de ses rangs les gens tarés et ceux qui n’avaient pas les 400.000 sesterces voulus par la loi Roscia ; aux autres, il défendit de paraître dans l’arène ou sur le théâtre. Ces mesures allaient à leur but ; mais, avec cette sévérité antique, il courait le risque de ne plus trouver personne à qui donner l’anneau d’or. Cependant il avait à cœur de tenir au complet les trois ordres, comme les vieilles magistratures. Afin qu’on ne s’aperçut pas de sa pénurie de chevaliers, il autorisa ceux qui avaient eu, ou dont les pères avaient possédé le cens équestre, à s’asseoir au cirque sur les bancs de l’ordre. Il relevait les anciennes institutions, parce que, n’étant plus dangereuses, elles devenaient, en ses habiles mains, d’utiles instruments et servaient de décors à sa monarchie.

Avec quelques milliers de sesterces on faisait un sénateur ou un chevalier ; il semblait plus difficile de faire des patriciens, et la guerre avait tant moissonné de vieilles familles que, malgré les anoblissements de César, les patriciens manquaient pour les services religieux qu’eux seuls devaient remplir. Octave tenait à paraître le restaurateur de la religion comme de l’État ; il se fit ordonner par le sénat et par le peuple de créer de nouvelles familles patriciennes[21].

Ce parvenu prenait ses précautions contre la révolution qui avait fait sa fortune ; il voulait un sénat, il voulait des nobles ; dans cette société nivelée par la servitude et la misère, il remettait une hiérarchie nécessaire pour se distancer lui-même de la foule. Précaution vaine ! Car cette noblesse factice, comme toute celle qui ne sort pas de ses propres œuvres, si elle est sans force pour résister à celui qui l’a créée, est trop faible pour le défendre ou pour le contenir, autre manière de le sauver. Dans trois siècles, Dioclétien et Constantin reprendront cette idée plus sérieusement, nais sans plus de succès. Octave n’en gardait pas moins toutes ses rancunes contre la noblesse, et il les laissait voir en défendant à tout sénateur de sortir de l’Italie sans une permission expresse[22]. Il est vrai que ses soupçons se cachaient ici encore sous le prétexte de la bonne administration de l’État, et que la défense était renouvelée d’anciens édits consulaires, de façon qu’elle paraissait un retour aux vieilles et sages coutumes.

La plupart de ces mesures furent prises durant son cinquième consulat. L’année suivante (28 avant Jésus-Christ), il fit la clôture du cens, qui marqua 4.063.000 citoyens de dix-sept à soixante ans[23]. Le dernier dénombrement, celui de l’an 70, en avait donné neuf fois moins, 450.000. Cette augmentation, due surtout à César, montre qu’il avait compris la nécessité d’assimiler rapidement les provinciaux aux citoyens, et d’asseoir l’empire sur une base plus large que celle qui avait porté la république. Octave ne le suivra pas dans cette voie. Le peuple romain compte maintenant plus de 17 millions d’âmes ; c’est une nation. Il la croit assez nombreuse et assez forte pour ne pas fléchir sous le poids de la domination qu’elle soutient tout en restant, vis-à-vis des provinciaux, une classe privilégiée. C’est dut moins le rôle qu’il lui réserve, et, sous son règne, le chiffre des citoyens ne s’accroîtra que par le développement normal de la population[24].

Lorsque les anciens censeurs fermaient le cens, celui dont ils avaient mis le nom en tête de la liste des sénateurs, ordinairement l’un d’entre eux, s’appelait le premier du sénat, princeps senatus, et cette place, toute d’honneur, lui était laissée sa vie durant. Agrippa donna à son collègue ce titre républicain (28 av. J.-C.). Aucun pouvoir n’y était attaché : seulement, en l’absence des consuls désignés, le prince du sénat parlait le premier, et, dans les habitudes romaines, ce premier avis avait une grande influence. Que sera-ce quand il sortira de la bouche de l’homme qui a dans les mains toute la puissance militaire ?

En réalité, Agrippa venait de placer les délibérations du sénat sous la direction d’Octave, personne n’avait le droit de s’en plaindre ; qui même en avait le désir ? Les fêtes et les jeux se succédaient ; le peuple avait reçu une mesure de blé beaucoup plus forte que d’ordinaire, les sénateurs pauvres, des gratifications, les débiteurs du trésor ayant Actium, la quittance de leurs dettes, et, quatre fois, il vint au secours de l’ærarium épuisé[25]. Pourquoi douter et craindre ? N’avait-il pas donné un gage éclatant du respect qu’il voulait avoir pour les lois et la justice, en supprimant toutes les ordonnances triumvirales ? Peu d’hommes politiques ont osé prononcer ainsi leur propre condamnation et renier une moitié de leur vie pour assurer à l’autre les sympathies publiques[26]. Rien donc extérieurement n’annonce le maître : il venait d’abdiquer la préfecture des mœurs ; s’il était prince du sénat, Catulus et vingt autres l’avaient été avant lui ; s’il était encore consul, c’était par les suffrages du peuple. Ne le voyait-on pas alterner les faisceaux avec son collègue, suivant l’antique usage, et, comme les magistrats d’autrefois, jurer en sortant de charge qu’il n’avait rien fait de contraire aux lois ? Le titre d’imperator accusait seul des temps nouveaux.

 

II. — NOUVEAUX POUVOIRS ACCORDÉS À OCTAVE AUGUSTE.

Aux premiers jours de l’an 27, Octave se rendit à la curie ; il déclara que, son père étant vengé et la paix rétablie, il avait le droit de renoncer aux fatigues du gouvernement et de prendre sa part du repus et des loisirs que ses victoires avaient faits à ses concitoyens ; en conséquence il déposait ses pouvoirs entre les mains du sénat[27].

On s’était résigné à avoir un maître, et voilà qu’un désintéressement inattendu mettait tout en question. Le plus grand nombre fut frappé de stupeur. Les uns craignaient ; d’autres, plus clairvoyants, doutaient. On eut vite le mot de cette partie jouée, avec un grand sérieux, à la face de Rome. Ceux qui étaient dans le secret ou à qui on l’avait laissé deviner se récrient contre ce lâche abandon de la république, contre ces égoïstes désirs qui iraient bien à un citoyen obscur, qui sont coupables dans celui que le monde proclame et attend pour son sauveur. Octave hésite, mais le sénat tout entier le presse : il accepte enfin, et une loi votée par le peuple, sanctionnée par les pères conscrits, lui confirme le commandement suprême des armées, qu’il augmentera ou diminuera à son gré, avec le droit de recevoir les ambassadeurs et de faire la paix ou la guerre[28]. Ce n’est point Octave qui usurpe ; c’est le peuple romain qui se dépouille. Les formes sont sauvées et la légalité sera acquise au despotisme. Le caractère de la nouvelle monarchie se montra aussitôt. Le premier décret demandé par Auguste au sénat fut celui qui doubla la solde des prétoriens.

Du reste Octave continue son rôle de modération affectée. Ce titre d’imperator qu’on lui offre à vie, il ne le veut que pour dix ans, pour moins encore, s’il achève plus tôt la pacification des frontières. Le commandement des armées exigeait et entraînait le commandement dans les provinces, et les sénateurs les avaient toutes placées sous son autorité absolue, en l’investissant de la puissance proconsulaire ; il s’effraye d’une telle charge ; qu’au moins le sénat partage avec lui. Il lui laissera les régions cannes et prospères de l’intérieur, il prendra pour lui celles qui s’agitent encore ou que les barbares menacent. Tout le monde s’immolant ce jour-là au bien publie, le sénat se soumit à la nécessité d’administrer la moitié de l’empire. Il est vrai qu’il n’aura pas un soldat dans ses paisibles provinces qu’envelopperont les vingt-cinq légions de l’imperator. Cependant, dans la ferveur de la reconnaissance, on cherche un nom nouveau pour celui qui ouvre à Rome une ère nouvelle. Munacius Plancus propose le titre d’Auguste, qu’on ne donnait qu’aux dieux. Le sénat et le peuple saluent de leurs acclamations répétées cette demi apothéose (17 janv., 27 av. J.-C.)[29]. La carrière était ouverte à l’adulation, tous s’y précipitent ; un tribun, Pacuvius, se dévoue à Auguste et jure de ne pas lui survivre. Une foule insensée et servile répète après lui le même serment. La longue vie du prince les dispensa de tenir parole, et le tribun eut tout loisir d’exploiter son dévouement. Il était bon d’encourager la bassesse : Pacuvius reçut des gratifications et des honneurs.

Le partage des provinces rendait nécessaire une autre innovation qui fut accomplie plus tard ; on partagea aussi les revenus. Le trésor public, ærarium, fut laissé au sénat, et on créa pour l’empereur une caisse particulière, que durent alimenter certains impôts et les contributions des provinces impériales. Avec sa générosité toujours si bien calculée, Auguste y fit porter, pour premier fonds, une somme considérable.

A l’époque que nous avons atteinte, le fondateur de l’empire n’avait encore dans les mains, d’une façon exceptionnelle, que l’autorité militaire. Mais Auguste ne fut jamais impatient d’arriver. Afin de justifier son pouvoir, il quitta Rome pendant trois ans et alla organiser la Gaule et l’Espagne, soumettre les Salasses par un de ses lieutenants et dompter lui-même les Astures et les Cantabres. Quand il revint en l’an 24, après une maladie qui le frappa à Tarragone, la joie causée par son rétablissement et son retour se traduisit en nouvelles concessions. II avait promis une distribution d’argent ; avant de la faire, il sollicita modestement l’autorisation du sénat, qui répondit en le dispensant de la loi Cincia relative aux donations[30]. Cette dispense peu importante était un premier pas vers la doctrine, fondement du pouvoir absolu, et proclamé plus tard par Ulpien, que le prince n’est lié par aucune loi. On le flatta aussi dans les siens. Marcellus, à la fois son neveu et son gendre, fut autorisé à briguer le consulat dix ans avant l’âge : une pareille exemption de cinq années fut accordée à Tibère, son fils adoptif, et l’un fut nommé édile, l’autre questeur.

L’idée de l’hérédité perçait dans ces honneurs prématurés ; mais Auguste était trop prudent pour la laisser déjà s’établir : plus que jamais, au contraire, il affichait des sentiments républicains. Dans son onzième consulat (23 av. J.-C.) une nouvelle maladie l’avant mis à toute extrémité, il appela autour de son lit les magistrats avec les plus illustres des sénateurs et des chevaliers. On croyait qu’il allait déclarer Marcellus son successeur au titre d’imperator. Mais, après avoir quelque temps parlé des affaires publiques, il remit à Pison, son collègue au consulat, un état des forces et des revenus de l’empire[31], et à Agrippa son anneau. C’était le testament d’Alexandre : au plus digne ! Aux yeux de beaucoup, c’était mieux encore, puisqu’il semblait instituer la république son héritière. Afin qu’on n’en doutât pas, il voulut, quand le médecin Musa l’eut guéri[32], qu’on lût au sénat l’écrit où il avait déposé ses dernières volontés. Les pères déclarèrent bien haut cette preuve inutile et refusèrent la lecture du testament. Alors il annonça qu’il abdiquerait le consulat : nouvelle opposition du sénat et du peuple ; mais il s’opiniâtre dans son désintéressement, sort de Rome, où il n’est plus libre de se montrer sans ambition, et va abdiquer sur le mont Albain. Le choix de son successeur ne fut pas moins habile ; il se substitua un ancien questeur de Brutus, qui conservait un religieux respect pour la mémoire de son général, et en avait pieusement placé l’image dans l’atrium de sa maison.

Il y aurait eu de l’ingratitude à demeurer en reste avec un tel homme. Rome devait se montrer autant glue lui généreuse et confiante. Il abandonnait quelques mois de consulat ; on lui donna, pour sa vie durant, la puissance tribunitienne, avec le privilège de faire au sénat toute proposition qui lui plairait[33], et l’autorité proconsulaire, même dans les provinces sénatoriales, avec le droit de porter l’habit de guerre et l’épée jusque dans l’intérieur du pomerium. Cette fois, c’est bien réellement l’abdication du sénat et du peuple. Car à l’autorité militaire qu’il avait déjà on ajoutait la puissance civile que les tribuns, grâce à la nature indéterminée de leur charge, avaient plus d’une fois envahie tout entière. Depuis que les ambitieux ne cherchaient plus leur appui dans le peuple, mais dans les armées, le tribunat était singulièrement déchu ; cependant il pouvait encore donner le droit à celui qui n’avait que la force, parce qu’il représentait la souveraineté nationale[34]. Auguste se garda bien de refuser la magistrature républicaine par excellence, celle qui rendait inviolable, et qui lui permettait de recevoir l’appel de toutes les juridictions, d’arrêter l’action de toutes les magistratures, le vote de toutes les assemblées, parce que le premier devoir du tribun était de veiller au salut du peuple, ad tuendam plebem, dût-on, pour y arriver, passer par-dessus les lois. Cicéron n’avait-il pas formulé le célèbre et dangereux axiome : Salus populi suprema lex.

Les empereurs compteront les années de leur principat par celles de leur puissance tribunitienne ; ainsi la magistrature qui avait fondé la liberté deviendra le principal instrument du gouvernement absolu. Auguste allait clone avoir le droit de proposer, c’est-à-dire de faire des lois ; de recevoir et de juger les appels[35], c’est-à-dire la juridiction suprême ; d’arrêter par le vélo tribunitien toute mesure, toute sentence, c’est-à-dire d’opposer partout sa volonté aux lois et aux magistrats ; de convoquer le sénat ou le peuple et de présider, c’est-à-dire de diriger à son gré, les comices d’élection. Et ces prérogatives, il les aura non pour une année, mais pour la vie ; non dans Rome seulement et jusqu’à un mille de ses murs, mais par tout l’empire ; non partagées avec dix collègues, mais exercées par lui seul ; enfin il sera irresponsable puisque sa charge ne finit jamais et que, d’après l’usage romain, le magistrat n’a point de compte à rendre tant qu’il est en fonction. Nous voici donc en pleine monarchie, et l’on ne peut accuser Auguste d’usurpation, car tout se fait légalement, même sans innovation blessante. Il n’est ni roi ni dictateur, mais seulement prince au sénat, imperator à l’armée, tribun au Forum, proconsul dans les provinces. Ce qui était autrefois divisé entre plusieurs est réuni dans les mains d’un seul ; ce qui était annuel est devenu permanent. Voilà toute la révolution. C’est l’inverse de celle qui s’était opérée après l’expulsion des Tarquins. En quelques années, Rome remontait la pente qu’elle avait mis cinq siècles à descendre ; mais comme les circonstances et les hommes l’y aidaient !

Après ce grand pas, Auguste s’arrêta quatre années, qu’il employa à organiser Ies provinces orientales et à convaincre les Romains de l’inutilité de leurs magistratures républicaines. De tous les grands démembrements de la puissance publique, il ne restait hors de ses mains que la censure et le consulat ; je ne parle point du souverain pontificat, qu’il abandonnait dédaigneusement à Lépide. Mais la censure était comme abolie, et il s’était fait donner le consulat tous les ans. Pour laisser les Romains faire une dernière épreuve, il rétablit l’une et il renonça à l’autre.

Les comices pour l’an 23 nommèrent consuls Marcellus Eserninus et Arruntius. Comme si la nature eût été complice de la politique d’Auguste, dès qu’ils furent entrés en charge le Tibre déborda, la peste désola l’Italie et la disette épouvanta la ville. Le peuple, voyant dans ces malheurs des signes manifestes de la colère. des dieux, s’ameuta contre le sénat, qui permettait à Octave de déserter son poste et d’abandonner la république. Les sénateurs, enfermés dans la curie, furent menacés d’y être brûlés vifs, s’ils ne le nommaient dictateur et censeur à vie. Auguste refusa, et, le peuple insistant, il déchira de douleur ses vêtements, il découvrit sa poitrine et demanda la mort plutôt que d’avoir la honte d’attenter à la liberté de ses concitoyens. Il prit cependant l’intendance des vivres, afin d’avoir le duit de veiller avec plus de sollicitude à la subsistance du peuple. Quant à la censure, il la fit donner à deux anciens proscrits, Munatius Plancus et Paulus Lepidus (22).

Ces deux républicains étaient bien choisis pour avilir la grande charge républicaine et ôter aux Romains le respect qu’ils lui gardaient encore. Censure malheureuse, dit un contemporain[36], qu’ils passèrent en de continuels débats, sans honneur pour eux-mêmes, sans profit pour la république. L’un n’avait point l’énergie d’un censeur, l’autre n’en avait pis les mœurs. Paulus ne pouvait remplir sa charge ; Plancus eût dû la craindre. La censure ne s’en releva pas. Munatius et Lepidus furent les derniers investis de cette magistrature dans la forme antique[37]. Quand les troubles de l’an 19 firent souhaiter le rétablissement d’une charge qui permit d’atteindre ceux que la loi ne pouvait frapper, Auguste fit pour la censure ce qu’il avait fait pour le tribunat, ce qu’il fera encore pour le consulat : il prit l’autorité sans le titre ; on lui donna pour cinq ans la préfecture des mœurs, pouvoir indéterminé et d’autant plus redoutable[38].

Le consulat tomba de la même manière. Il ne l’avait pas accepté pour l’an 21. Aussitôt les brigues d’autrefois repartirent ; des troubles éclatèrent, et toute la ville fut agitée par ces ambitions insensées qui se précipitaient sur une ombre de pouvoir comme sur le pouvoir même. Auguste était alors en Sicile ; il manda auprès de lui les candidats, et, après les avoir vivement réprimandés, il lit procéder à l’élection en leur absence. Mais la tranquillité de Rome lui importait trop pour qu’il n’eut pas dans la ville quelqu’un qui pût lui en répondre. Agrippa, qu’il avait honorablement éloigné pour complaire au jeune Marcellus, mort maintenant[39], fut rappelé de Mitylène, où il s’était retiré, fiancé à la fille de l’empereur et envoyé dans la capitale ;, l’ordre y rentra avec lui. Les choses allèrent bien jusque vers le temps où Auguste s’apprêtait à quitter l’Orient. Certain d’arriver bientôt, il laissa partir Agrippa contre les Cantabres révoltés, et abandonna Rome encore une fois à elle-même. Voulant voir, sans doute, ce qui s’y passerait en son absence, il ne notifia pas, avant le 1er janvier de l’an 19, son refus d’accepter une des deux places de consul qu’on lui avait réservée, de sorte que l’autre consul, Sentius Saturninus, entra seul en charge. Cette nouveauté irrita ; et de nouveaux comices d’élection ayant été annoncés, on s’y porta avec des passions et des colères qui rappelèrent les plus beaux jours des violences du Forum : le sang coula. La circonstance parut propice au sénat pour rentrer en scène ; il exhuma la formule des anciennes journées républicaines, par laquelle le consul était investi de l’autorité dictatoriale : Caveat consul ne quid res publica detrimenti capiat. Sentius connaissait mieux son rôle et ses forces ; il refusa ce qu’on lui donnait, et le sénat, ramené au sentiment de sa faiblesse, envoya des députés à Auguste. L’imperator, satisfait, nomma un d’entre eux consul. C’était prendre les droits des comices, mais les drapeaux de Crassus qu’il rapportait couvraient glorieusement l’usurpation. Egnatius Rufus, le principal auteur du trouble, fut puni de mort[40].

Quantité de décrets par lesquels on flattait sa vanité, petitesse fort commune chez tous ces Romains, en apparence si graves, furent rendus ; il n’en accepta qu’un, celui qui consacrait un autel à la Fortune du Bon Retour. Mais l’épreuve était faite. Dès qu’Auguste s’éloignait, Rome retombait dans le désordre. Les gens sages le pensaient ; ils le dirent tout haut dans le sénat ; et en rentrant dans la ville, Auguste y trouva la proposition de recevoir pour sa vie durant la puissance consulaire. Il avait déjà la réalité du pouvoir, l’armée et les provinces : une partie, qui chaque jour s’agrandira, sans efforts nouveaux, de l’autorité législative et judiciaire ; il est enfin le chef véritable de l’administration et du pouvoir exécutif, car les charges qui semblent indépendantes rte sont ouvertes qu’à ses créatures. Il pourrait donc laisser les grands de Rome jouer à la république avec ce consulat qui, cerné de toutes parts, n’est plus qu’une vaine représentation. Mais son établissement monarchique ne serait point complet, s’il laissait hors de ses mains la charge qui donne action sur tous les citoyens ; qui, durant cinq cents ans, a représenté la gloire et la puissance de Rome ; qui, tout à l’heure encore, avait failli se changer en dictature. Cependant il sera consul, comme il est tribun : je veux dire qu’il aura sans partage les droits de la charge, tout en permettant à d’autres d’en porter le titre et les insignes. Non seulement il maintiendra le consulat, mais les besoins du service l’obligeront à faire chaque année trois, quatre, même un plus grand nombre de consuls (consules suffecti[41]) ; il ira jusqu’à séparer le titre des fonctions, pour donner celui-là salis celles-ci, et l’inoffensive magistrature durera plus que l’empire même[42].

On a vu qu’Auguste avait l’initiative des lois,, à la curie comme prince du sénat, dans les comices comme tribun perpétuel ; il eut d’une autre manière encore le pouvoir législatif. La plupart des magistrats romains pouvaient promulguer des édits[43]. A titre de proconsul, de tribun et de préfet des mœurs, Auguste avait déjà ce droit, mais limité aux affaires relevant de chacune de ces charges. En lui donnant la puissance consulaire, les sénateurs étendirent pour lui à presque toutes les questions le jus edicendi des consuls[44]. Ils voulaient jurer d’avance d’obéir à toutes les lois Augustales. Comptant plus sur sa force que sur leurs serments, il les dispensa d’une formalité inutile, et, avec sa prudence habituelle, il évita d’exercer fréquemment un droit sans importance, puisqu’il pouvait, par le sénat et par les comices, dont il était maître, faire suivant les formes républicaines toutes les lois qu’il voulait. Mais il usa amplement d’une autre prérogative qui semblait plus modeste. Interrogé, de tous les points de l’empire, sur des cas difficiles ou nouveaux, il répondait aux questions que lui adressaient les magistrats, les cités, même les particuliers, et ces réponses avaient la valeur d’une loi. Tibère témoignait plus tard de la multitude et de l’importance des actes législatifs de soir prédécesseur[45]. Lui-même suivit cet exemple que ses successeurs imitèrent ; et les édits, les lettres, les rescrits impériaux, devinrent la source la plus abondante où puisèrent les jurisconsultes de Justinien. Rédigés, non plus au point de vue étroit d’une cité, mais dans l’intérêt général, ils firent entrer le droit naturel dans le droit civil. Sans eux, le code romain n’eût jamais été appelé la raison écrite.

Auguste n’avait accepté que pour dix ans le commandement des provinces et des armées ; au commencement de l’année 18, il se fit renouveler pour cinq ans ses pouvoirs ; ce temps devait suffire, disait-il, à l’achèvement de son ouvrage. Mais, quand il fut écoulé, il demanda une nouvelle prorogation de dix années, et continua ainsi jusqu’à sa mort, en protestant chaque fois contre la violence qu’on faisait à ses goûts, au nom de l’intérêt public. En souvenir de ces abdications répétées du sénat et du peuple, ses successeurs célébrèrent toujours la dixième année de leur règne par des fêtes solennelles, sacra decennalia[46].

Ce sénat, qui donnait tout ce qui lui était demandé, était bien docile ! Mais les corps politiques assez nombreux pour que la responsabilité de chaque membre se perde dans la foule ne se prêtent pas toujours à une absolue résignation, et le sénat venait de montrer quelque velléité d’agir. Auguste, qui voulait paraître gouverner par lui, se décida à l’épurer une seconde fois[47].

Agrippa, qu’il associa pour cinq ans à la puissance tribunitienne, l’aida encore dans cette opération. Dion et Suétone en rapportent les détails, en exagérant sans doute les craintes qu’elle inspirait à Auguste. Quelques libres paroles s’y firent entendre. Un des exclus montra sa poitrine couverte de cicatrices ; un autre s’indigna qu’on l’eût admis, en chassant son père ; et Antistius Labéon, choisi avec trente de ses collègues pour présenter chacun une liste de cinq candidats, mit en tête de la sienne le nom de Lépide. N’en connais-tu pas de plus digne ? demanda Auguste avec colère. — Ne le conserves-tu pas comme souverain pontife ? répondit froidement le grand jurisconsulte. Et Lépide revint siéger à la curie. Mais ce retour au sénat ne le tira point de son abaissement. Auguste se vengea par des sarcasmes indirects, et le pauvre vieillard regretta plus d’une fois sa solitude de Circeii. Sa mort, arrivée cinq ans après (13 av. J.-C.), laissa libre le grand pontificat, qu’Auguste se fit donner par le peuple ; ce fut sa dernière conquête ; il ne restait plus rien qui valait la peine d’être pris[48]. Quelques années plus tard, 2 av. J.-C., il reçut encore le nom de Père de la patrie, titre simplement honorifique en apparence, mats qui aura, on le verra plus loin[49], une certaine importance religieuse et que, pour cela, tous ses successeurs gardèrent. Ce fut sans doute à raison de ce titre qu’il fut prescrit aux prêtres d’ajouter à leurs prières aux dieux, pour le sénat et le peuple romain, des prières pour l’empereur : usage que les États modernes ont conservé.

Cependant, à n’y point regarder de près, la république subsistait[50]. Tout le monde y croyait, Velleius, même sous Tibère, en parlera sans cesse. N’y avait-il pas un sénat occupé des plus grandes affaires ; des consuls qui gardaient les honneurs de leur rang, civitatis summa potestas, et semblaient conduire encore toutes les affaires réservées au sénat ; des préteurs qui administraient la justice civile et la justice criminelle[51] ; des tribuns qui useront de leur veto jusque sous les Antonins[52] ; des questeurs enfin et des édiles qui remplissaient leur charge au nom du sénat et du peuple[53], tandis que les comices par tribus et par centuries se réunissaient pour confirmer les lois, nommer aux magistratures, et rejeter même, si bon leur semblait, les propositions du prince ?

S’agissait-il d’une rogation, Auguste venait voter dans sa tribu ; d’un jugement, il apportait sa déposition comme témoin, et l’avocat pouvait impunément le prendre à partie, le poursuivre de ses sarcasmes[54] ; d’une élection, il conduisait au milieu de la foule, pour le recommander à ses suffrages, le candidat qu’il appuyait, en ajoutant toujours, même pour ses proches : s’il le mérite.

Cet homme économe et simple, toujours vêtu de la laine que sa femme, sa sœur et sa fille ont filée[55] ; qu’il habite quarante ans la même chambre, été comme hiver, dans une maison modeste du Palatin ; dont la porte est ornée de lauriers et d’une couronne de chêne ; qui, au sénat, parle, écoute, vote comme un sénateur ordinaire ; qui ne refuse sa porte à personne[56], ni son appui au plus pauvre de ses clients ; qui a des amis ; qui s’en va dîner, sans gardes[57], là où il est prié, et donner ses conseils dans les assemblées de famille où on les réclame[58] ; qui, enfin, pour sauver un accusé obscur, implore l’accusateur au lieu d’opposer son veto[59] ; cet homme, quel est-il donc ? un maître, un dieu, comme quelques-uns le disent déjà ? Non, mais la paix et l’ordre personnifiés. Quand le peuple et le sénat se cotisèrent pour lui élever des statues, il les refusa, mais il dressa celles des divinités qu’il voulait faire honorer plus que lui-même : la Santé publique, la Concorde et la Paix.

Pour qu’il réalise et donne ces biens, on a pris pour lui l’essence de toutes les grandes charges républicaines, et de la réunion de ces pouvoirs s’est formée une autorité encore sans nom dans la cité, et qui sera sans limite, parce que celui qui la possède est le représentant du peuple romain, le dépositaire de sa puissance, le gardien de ses droits qu’il exerce seul au nom de la république entière. Jadis le peuple faisait équilibre au sénat, et les consuls aux tribuns ; les proconsuls n’avaient qu’une province, les généraux qu’une armée, et l’élection changeait annuellement toute l’administration. Maintenant ces volontés, souvent contraires, sont remplacées par une seule ; ces pouvoirs, souvent hostiles sont réunis et se fortifient l’un l’autre au lieu de se combattre ; chaque année enfin ne voit plus tout remettre en question.

Un seul homme a, pour la vie, le pouvoir exécutif avec la plus grande partie de la puissance législative et judiciaire, et il est irresponsable, car il ne dépose jamais l’imperium. Ce qui reste au sénat et au peuple n’est qu’un abandon calculé du prince, qui leur laisse quelques hochets pour amuser leurs loisirs et les aider à se tromper eux-mêmes. Peut-être devrions-nous ne pas attacher à ces droits menteurs plus d’importance qu’ils n’en ont. Niais faisons comme Auguste, qui entoure de respect ces royautés tombées et qui se garderait bien de parler tout haut de leur déchéance.

Que dis-je, leur déchéance ? Mais le peuple fait des lois et donne des charges ; mais le sénat impérial a plus de prérogatives que n’en a jamais eu le sénat républicain. Il gouverne une moitié de l’empire et reçoit les ambassadeurs des princes étrangers. Il a le trésor public sous sa garde ; ses décrets sont des lois[60], comme au temps de la toute-puissance patricienne, et les grands coupables, soustraits au jugement du peuple, relèvent de sa juridiction[61]. Il décerne le triomphe, et plus de trente généraux, en dix ans, l’ont déjà obtenu. Il est la source de toute légalité, nième pour l’empereur qui tient de lui ses pouvoirs et qui, par lui, se les fait proroger. C’est le sénat qui dispense des prescriptions légales[62], et qui ratifie les conventions faites par le prince avec les rois et peuples étrangers[63] ; lui qui confirmera les empereurs élus par les soldats, en nommera quelques-uns, ou déchirera, au besoin, leur testament, même la signature de Tibère. Mieux encore, il fait des dieux : nous le verrons voter au prince mort l’Olympe ou les Gémonies. Que lui manque-t-il donc ? Ce ne sont assurément ni les droits ni les titres, pas même la liberté de discussion, car Auguste s’enfuit plus d’une fois de la curie pour échapper à de violentes altercations.

Cependant, quel contraste dérisoire entre la pompe des formules et le vide de la réalité ! Le peuple souverain n’est qu’un ramas de mendiants qui ont l’air de vouloir ce que veut celui qui les nourrit, les amuse et les paye ; et les pères conscrits, les sénateurs de Rome, parlent et votent comme peuvent le faire des créatures du prince qui lui tendent chaque jour la maire pour échapper à leurs créanciers. Ils n’ont pas même, sous leur laticlave, cette liberté que le pauvre garde avec ses haillons, de rire tout haut en face de cette grande comédie que jouent gravement Auguste et la noblesse romaine.

 

III. — CHARGES NOUVELLES ; RÉORGANISATION MILITAIRE, FINANCIÈRE ET ADMINISTRATIVE.

J’ai hâte de montrer Auguste légitimant son pouvoir par ses services. Mais il faut voir encore de quelle façon l’administration supérieure de l’empire fut modifiée pour être appropriée au régime nouveau.

Comme il y avait, en apparence, deux pouvoirs dans l’État : le prince et le sénat, il y eut deux ordres de magistrats : ceux du peuple romain et ceux de l’empereur. Les premiers, après un simulacre d’élection par le sénat ou le peuple, géraient annuellement les anciennes charges républicaines, moins la censure ; les autres, nommés directement par l’empereur et révocables à sa volonté, étaient investis pour un temps indéterminé de fonctions nouvelles, et un des droits de leurs fonctions était toujours, ceci est caractéristique, l’autorité militaire.

En l’année 95, Auguste fit une magistrature régulière de ce qui n’avait été qu’un poste de confiance donné à Mécène et à Agrippa. Il nomma Messala préfet de la ville, pour réprimer, sans délai, les esclaves ou les citoyens turbulents[64], et il lui donna, pour cette police, trois cohortes urbaines. Ce préfet, représentant de l’empereur en son absence, eut une autorité à la fois civile et militaire, et, comme tous les officiers du prince, il ne fut point annuellement révoqué : Pison, le troisième préfet de la ville, resta en fonctions pendant vingt années, jusqu’à sa mort.

Cette charge, ordinairement confiée au plus considéré des sénateurs et qui était un nouvel empiétement sur l’autorité consulaire, devait grandir avec le pouvoir d’où elle émanait ; moins cependant que la préfecture du prétoire, qui commenta plus modestement. Dans toute armée romaine, le chef avait une garde personnelle, cohors prætoria, formée de ses plus braves soldats. Auguste, transformant l’usage en institution régulière, organisa neuf cohortes prétoriennes de mille hommes chacune, avec un certain nombre de cavaliers[65] ; trois résidèrent et Rome, six en diverses villes d’Italie. Ces prétoriens avaient double solde, un brillant uniforme et probablement le rang de centurion, car ils portaient le cep de vigne. Ils étaient sous les ordres de deux chevaliers, préfets du prétoire, qui eurent le droit de vie et de mort sur leurs soldats. Sous Auguste, les préfets du prétoire ne furent que des chefs militaires, mais ils envahiront peu à peu l’autorité civile et finiront par être, après l’empereur, les premiers personnages de l’empire.

Au-dessous du préfet de la ville étaient le préfet des vigiles, qui commandait aux sept cohortes des gardes de nuit, avec la mission de garantir la sécurité de la cité, et d’arrêter les incendies[66], et le préfet de l’annone, chargé du soin des approvisionnements de Rome. Les vigiles, recrutés parmi les affranchis, obtenaient après trois ans de service le droit de cité.

Pour faire participer, dit naïvement Suétone, un plus grand nombre de citoyens à l’administration de la république, Auguste créa de nouveaux offices, comme la surveillance des travaux publics, des chemins, des aqueducs, du lit du Tibre, des distributions de blé au peuple. Il augmenta le nombre des préteurs, et il aurait voulu qu’on lui donnait, quand il serait consul, deux collègues au lieu d’un ; mais il ne l’obtint pas, tout le monde se récriant sur ce qu’il souffrait déjà une assez forte atteinte à sa majesté, en partageant avec un autre un honneur dont il avait le droit de jouir seul. Suétone aurait pu énumérer encore les nombreuses charges de procurateurs créées par Auguste pour l’administration financière de l’empire, les grades promis dans les vingt-cinq légions au zèle et au dévouement, et dans Rome même cette armée de petits officiers municipaux dont il releva l’importance, les mille soixante-quatre vicomagistri. Claude ira plus loin : il instituera les milices imaginaires, c’est-à-dire des titulaires sans fonctions. Tel fut donc l’esprit du nouveau gouvernement : affaiblir les charges en les divisant ; multiplier les fonctions, afin d’intéresser à la cause du prince ceux qui les acceptaient et entourer de respects extérieurs les vieilles magistratures républicaines, comme on couvre les morts illustres d’un linceul magnifique. Cependant il faut voir aussi, dans ces innovations, le sincère désir d’améliorer l’administration publique. Ces agents nombreux et disciplinés, auxquels on assigne des traitements fixes, pour se donner le droit d’exiger d’eux davantage, répondaient mieux aux besoins et rendaient la police plus facile ; on y gagnait plus d’ordre, de bien-être et de sécurité.

Auguste, qui se disait simple citoyen de Rome, ne pouvait, comme un roi, avoir des ministres ; ses ranis l’aidaient de leur expérience. Nous les connaissons déjà : Agrippa, Mécène, Valerius Messala, Statilius Taurus, Salluste, le fils adoptif de l’historien, et quelques vieux consulaires. La multitude des questions à étudier et à résoudre l’engagea dans la suite à distribuer régulièrement à ses amis les principales affaires. Ainsi il préposa à chaque province un consulaire, qui en fut comme le représentant à Rome et qui reçut tous les appels qu’on y formait. Ce conseil s’organisa peu à peu. Suétone, Dion et Zonaras parlent de quinze membres, plus tard de vingt, renouvelés tous les six mois et tirés au sort. Le sort, je le pense bien, n’était ni si aveugle ni si libre, qu’il dût amener là quelque conseiller indépendant. Les consuls en charge, qui formaient un tribunal supérieur pour l’Italie et les provinces sénatoriales[67], et un fonctionnaire de chaque ordre, y étaient appelés[68]. Ce conseil, d’où sortira le consistoire impérial et qui devenait encore au besoin une haute cour de justice[69], fut réorganisé en l’an 15 de J.-C. Il se composa alors de vingt membres choisis pour une année, des consuls en charge et des consuls désignés, des princes de la famille impériale, et de tous ceux que l’empereur voulait y appeler et ses décisions eurent la valeur des sénatus-consultes[70].

Jusque-là au moins le gouvernement avait paru s’exercer au sein du sénat ; on le transportait dans le palais du prince ; Auguste pouvait de son lit administrer l’empire[71].

Dans son ardeur d’organiser toute chose, il voulut discipliner le droit même et faire une magistrature officielle de ce qui avait toujours été une profession libre. Il créa un collège de prudents, qui répondirent, au nom du prince, sur toutes les questions[72]. Les juges qu’il se plaisait à instituer lui-même[73] durent accepter les décisions de ces jurisconsultes, quand ils étaient unanimes[74]. Une loi judiciaire régla la procédure[75].

Ces droits conférés au prince, cette administration dont il enveloppait la société romaine, eussent été inutiles sans l’armée ; il la rendit permanente, après l’avoir épurée, elle aussi, et soumise à une discipline sévère. Puis, avec une habileté qui révèle les conseils d’Agrippa, Auguste posa le principe de masser les troupes, d’éviter les détachements, les petites garnisons où se perdent la discipline et l’esprit militaire. Il avait vingt-cinq légions recrutées hors d’Italie, surtout par enrôlements volontaires ; il les rangea le long des frontières[76]. Trois cent mille hommes firent face aux Barbares, dans des camps permanents (castra stativa), vivants boulevards au pied desquels viendront longtemps se briser et mourir les flots agités de l’invasion.

Des flottilles furent attachées aux légions du Rhin, du Danube et de l’Euphrate, et quatre flottes à Ravenne, à Fréjus, à Misène et sur l’Euxin, firent, ce que le sénat n’avait jamais fait régulièrement, la police des mers. Alors on eut le singulier spectacle d’un empire de 60 millions d’hommes armé sur ses frontières et régi à l’intérieur sans un soldat : merveille qui venait sans doute de l’impossibilité d’une révolte heureuse, mais aussi, et surtout, de la reconnaissance des sujets pour un gouvernement qui n’exerça d’abord qu’une haute et salutaire protection, sans intervenir d’une façon tracassière dans l’administration des intérêts locaux.

Ces soldats devaient (depuis l’an 5 de J.-C.) servir vingt ans dans les légions, seize dans la garde. L’État prenait le meilleur temps de leur vie ; aussi le prince promit-il de ne point abandonner ceux qui mériteraient l’honesta missio[77]. Récompenser les soldats congédiés était un vieil usage républicain : les innombrables colonies anciennement fondées par le sénat avaient eu ce caractère, et l’on a vu ce que l’application de ce principe avait causé de maux à l’Italie. Auguste ne voulant plus de pareils bouleversements, remplaça la terre par de l’argent : il donna aux vétérans des légions 3000 deniers, et b ceux des cohortes prétoriennes 5000.

En décidant la permanence de l’armée et l’allocation d’un traitement aux fonctionnaires de l’État, en acceptant la charge de couvrir les provinces de voies militaires et d’aider les villes dans leurs travaux d’utilité publique, Auguste décidait nécessairement l’augmentation des impôts, puisqu’il fallait de nouveaux revenus pour des dépenses nouvelles. On avait bien quelques restes des agri publici ; les revenus des mines et carrières ; les douanes des provinces, qui donnaient pour les objets de luxe un huitième de la valeur, pour le reste un quarantième ; le vingtième des affranchissements, et surtout les anciens tributs des provinces, la dîme, l’impôt foncier et la capitation, ou impôt personnel[78]. Mais tout cela était insuffisant ; au lieu de surcharger les provinciaux, Auguste demanda hardiment aux citoyens les ressources dont il avait besoin ; et en ceci se marque le vrai caractère de l’empire qui fut d’abord un gouvernement de réparation et de justice. La république, exploitant le monde au profit de Rome, exemptait les citoyens d’impôt ; César releva les douanes en Italie, et Auguste prit un ensemble de mesures financières qui furent bien prés d’équivaloir pour les Italiens au rétablissement de l’ancien tributum ex censu. Il frappa d’un droit de 1 pour 100 toutes les choses : denrées meubles, immeubles, rendues sur les marchés ou aux enchères, même à Rome et dans la péninsule italiote[79]. Aux ventes d’esclaves, le droit était de 2 pour 100[80]. Six ans après notre ère, il créa l’impôt du vingtième, que durent payer les cires qui, sans être héritiers de sang, recueillaient une succession ou un legs dépassant la valeur de 100.000 sesterces[81].

Cette disposition qui respectait les droits de la nature et de la pauvreté était juste en son principe et excellente dans ses effets parce qu’elle entravait une industrie malsaine. A Rome, beaucoup de riches fuyaient le mariage et vivaient entourés d’une foule où l’on voyait parfois des préteurs, des consulaires, qui, pour capter un testament, se faisaient les courtisans assidus de quelque vieillard morose. Il était bon que la loi atteignît ces vautours, comme Martial les appelle, et que l’État s’interposât entre l’héritage et ces étrangers pour prélever sur leurs gains illégitimes une part qui servit à l’intérêt public. La fréquence des legs et des successions testamentaires rendit cette part de l’État très considérable. On peut croire que, grâce à cet impôt et aux mœurs romaines, toutes les propriétés des citoyens passaient, et, quelques générations, par les mains du fisc. Aussi la vicesima hereditatum et legatorum devint-elle la source principale qui alimenta l’ærarium militare.

Il est impossible d’arriver à une évaluation, même approximative, des revenus de l’empire : peut-être 3 à 400 millions de francs[82]. C’était un budget bien faible, mais, toutes les dépenses communales et provinciales étant à la charge des villes et des provinces, l’empire n’avait à payer qu’une administration très simple encore et une armée peu nombreuse[83]. Aussi Tibère trouvera-t-il moyen d’amasser un trésor de plus de 4 ou 500 millions[84].

Pour la justice civile subsista l’ancienne distinction entre l’instance in jure par-devant le magistrat qui donnait la formule de droit applicable à la cause, et l’instance in judicio où le point de fait était décidé par les centumvirs, les recuperatores[85], le juge que le magistrat avait délégué ou l’arbitre que les deux parties acceptaient. Dans les premiers siècles de l’empire, les Romains conservèrent donc une justice civile qui, à certains égards, rappelle nos jurys modernes. Mais les instances suivies extra ordinem, c’est-à-dire où le magistrat, affranchi des règles anciennes, faisait lui-même l’information et prononçait la sentence, se multiplièrent au point d’envahir tous les procès. Dioclétien fera de cette forme exceptionnelle une règle générale, et la compétence cessera d’être déterminée par la nature des intérêts à juger.

L’organisation judiciaire subit, au criminel, de graves changements. Par l’attribution aux trois préfets des vigiles, de l’annone et de la ville, d’une partie de la juridiction civile et criminelle[86] ; au sénat, de la connaissance des crimes qu’avaient commis ses membres, les fonctionnaires publics ou des personnes considérables dans l’État ; à l’empereur, du droit de décider dans tous les cas graves qui étaient portés devant lui par appel ou qu’il retenait[87], les quæstiones perpetuæ tombèrent peu à peu en désuétude, et la justice, criminelle, au lieu d’are administrée par le jury, institution des États libres, le fut par les agents et les instruments du prince. La tyrannie, quand elle apparut, eut donc des armes détestables qui lui permirent de couvrir ses vengeances du masque de la loi.

En résumé, derrière le gouvernement officiel, tout républicain dans la forme, qui siégeait grave et inoccupé sur les chaises curules[88], se trouvait. le gouvernement véritable, qu’on ne voyait guère à la curie ni au Forum, et qui, sans pompe ni bruit, faisait les affaires de l’empire. Celui-là avait la flotte et les légions, qu’il ne congédiait plus, et un trésor particulier pour paner ses soldats et ses fonctionnaires. Il était irresponsable, car il avait des pouvoirs à vie, ce qui excluait la nécessité de rendre des comptes, et comme tribun perpétuel, sa personne était inviolable et sacrée.

Il nommait directement à la plupart des charges, indirectement à toutes. Les étrangers ne connaissaient que le chef militaire de l’empire, celui qui avait le droit de pais et de guerre, qui disposait du titre de citoyen, et tenait les rois alliés sous son autorité suprême[89].

La moitié des provinces, avec leurs revenus, lui appartenait ; le reste obéissait à ses ordres, quand il voulait en donner[90]. Dans la ville, il était le chef du clergé, du sénat et du peuple, et, comme préfet des mœurs, il pénétrait jusque dans la vie privée. La puissance consulaire et l’autorité tribunitienne lui donnaient action sur tous les citoyens. qu’il liait par ses jugements et ses édits, que par son droit de grâce il pouvait soustraire à la justice ordinaire[91] ; et de Rome, de l’Italie, des provinces, les opprimés tendaient les mains vers lui : car, chef de l’administration, tribun et proconsul perpétuel, il recevait tous les appels[92], de sorte que d’une frontière à l’autre de l’empire il apparaissait comme le gardien du droit, le redresseur des griefs, le refuge des malheureux.

Les prétoriens et une garde de cavaliers germains et bataves faisaient respecter son inviolabilité ; le préfet de la ville veillait, pour lui, à la police de Rome, avec les quatre mille cinq cents hommes des trois cohortes urbaines, ayant soin que le préfet des vivres tint les greniers publics toujours remplis, et le préfet des gardes nocturnes les rues toujours sûres. Si des préteurs, tirés annuellement au sort, administraient au nom de l’État le trésor public (ærarium), le prince se le faisait ouvrir par le sénat ; de sorte que l’armée, la justice, la religion, la loi, les finances, les fonctionnaires, toutes Ies ressources, toutes les forces vives de l’empire, étaient dates ses mains.

Il s’était fait l’âme de ce grand corps, afin d’en régler à son gré tous les mouvements, et pour lier tout l’empire par la religion du serment, chaque année, au 1er janvier, le sénat, le peuple, les légions et les provinciaux lui juraient fidélité.

Maintenant que nous connaissons le gouvernement nouveau, voyons-le à l’œuvre.

 

 

 

 



[1] Chronologie du règne d’Auguste depuis Actium. — 30 av. J. C., Mort d’Antoine ; l’Égypte réduite en province ; Octave passe l’hiver à Samos. — 29, Retour d’Octave à Rome ; il ferme le temple de Janus. — 28, Cens fait par les consuls : 4.164.000 citoyens. — 27, Octave reçoit le titre d’Auguste, partage les provinces avec le sénat et reste trois ans (27-25) en Gaule et en Espagne. — 24, Il retourne à Rome. — 23, Il est investi de la puissance tribunitienne à vie et reçoit une ambassade des Parthes. — 22, Conspiration de Murena ; la Candace envahit l’Égypte ; révolte des Cantabres. — 21, Auguste se rend en Orient ; il passe l’hiver à Samos et marie sa fille Julie à Agrippa. — 20, Les Parthes rendent les drapeaux de Crassus ; Auguste passe de nouveau l’hiver à Samos. — 19, Retour à Rome ; mort de Virgile. — 18, Lex de maritandis ordinibus. — 17, Les Jeux séculaires ; Agrippa envoyé an Asie. — 16, Défaite de Lollius ; Auguste se rend en Gaule, où il séjournera encore trois ans — 15, Tibère et Drusus subjuguent les Rœtes et les Vindéliciens. — 15, Auguste retourne à Rome. — 12, Mort d’Agrippa et de Lépide ; Drusus en Gaule ; l’autel de Rome et d’Auguste à Lyon. — 11, Guerre de Drusus contre les Germains, de Tibère contre les Dalmates et les Pannoniens ; Tibère épouse Julie. — 10, Auguste en Gaule. — 9, Mort de Drusus. — 8, Auguste en Gaule pour la quatrième fois ; Tibère en Germanie ; mort de Mécène et d’Horace. — 7, Tibère en Germanie. — 6, Tibère reçoit la puissance tribunitienne pour cinq ans et se retire à Rhodes où il reste sept ans. — 2, av. J. C., Bannissement de Julie. — 2 de notre ère, Retour de Tibère à Rome. — 4, Tibère, adopté par Auguste, se rend en Germanie, où il reste trois ans (4-6). — 6, Révolte des Pannoniens et des Dalmates. — 7, Germanicus en Germanie ; trois campagnes de Tibère dans l’Illyricum (7-9). — 9, Défaite de Varus ; exil d’Ovide. — 10 et 11, Tibère en Germanie. — 11, Tibère retourne à Rome et triomphe. — 14, Clôture du cens : 4.197.000 citoyens ; Auguste meurt, 19 août, dans sa soixante-seizième année et sa XXXVIIe puissance tribunitienne.

[2] Ce cachet était à l’image du sphinx, emblème de sa conduite ; plus tard, il se sertit d’un anneau qui portait gravée la tète d’Alexandre et d’une bague où était sa figure très ressemblante. (Suétone, Octave, 50 ; Dion, LI, 3 ; Pline, Hist. nat., XXXVII, 4.) Pour correspondre avec ses conseillers, il avait un chiffre qui consistait à mettre au lieu de la lettre nécessaire celle qui la suivait immédiatement dans l’alphabet. (Dion, ibid.)

[3] Dion, LI, 19. En l’an 13, on décréta, pour son retour des Gaules, qu’à tous ceux qui viendraient à sa rencontre έντός τοΰ πωμxρίου όντα άδειαν εϊναι (id., LIV, 25). Quand il rentrait dans Rome, on évitait ce jour-là d’exécuter des criminels. Enfin ses temples, ses statues, devinrent des asiles inviolables, et il put, dans les collèges de prêtres, augmenter le nombre des membres autant qu’il lui plairait. (Sénèque, de Clem., I, 18 ; Tacite, Ann., III, 30 ; Dion, LI, 20.)

[4] Sur cette question, voyez au chap. LXVII, le § III : Réforme religieuse.

[5] Messala avait emmené avec lui son protégé Tibulle, qui ne fut pas un plus ardent soldat qu’Horace (cf. Tibulle, Eleg., I, 7).

[6] Le nom d’Antoine ne fut pas même prononcé : c’était pour sa victoire sur la flotte égyptienne à Actium qu’Octave triomphait ; mais des décrets du sénat avaient déjà renversé les statues du triumvir, déclaré néfaste le jour de sa naissance, et interdit à tous les membres de la gens Antonia de porter son prénom Marcus.

[7] Suétone, Octave, 41. Octave avait trouvé beaucoup d’or dans le palais de Cléopâtre, car la reine, au retour d’Actium, avait dépouillé les temples et les citoyens riches d’Alexandrie, ce qui dispensa Octave de le faire. Il confisqua cependant les biens de ceux qu’on put accuser d’avoir été partisans d’Antoine, et tous les autres habitants durent lui abandonner le sixième de leur fortune. (Dion, LI, 17.)

[8] Dion, LI, 21.

[9] Suétone, Octave, 30, et Dion, LIII, 2.

[10] Monument d’Ancyre ; Suétone, Octave, 31, et Dion, I, 20. Dion a expliqué plus haut (XXXVII, 24) ce qu’était cette cérémonie, qui ne pouvait être accomplie qu’autant qu’aucune armée n’était en campagne. Les augures prenaient les auspices pour savoir si les prières adressées à la déesse Salus seraient agréées ce jour-là.

[11] Dion, LII, 1-30.

[12] Après la mort de César, quand le jeune octave poursuivit ses meurtriers, Agrippa se chargea d’accuser Cassius. (Plutarque, Brutus, 97 ; Velleius Pater., II, 69.) Le discours mis par Dion dans la boucle de Mécène n’a rien d’authentique, mais il est intéressant en ce que l’historien y donne un résumé de la constitution impériale, telle qu’elle s’était développée jusqu’à son temps, y compris l’institution alimentaire de Trajan, qu’il ne comprend qu’à demi, et le droit de cité donné par Caracalla à tout l’empire. Le sous censeur que Mécène propose est une utopie qui convient à l’époque où Dion écrivait, celle des rêveries généreuses et impraticables d’Alexandre Sévère. Je note en passant que Mécème, c’est-à-dire Dion, veut l’école obligatoire pour les fils de sénateurs et de chevaliers (LII, 26). Il ajoute : Il faut se méfier des gens grossiers et sans instruction ; de telles gens, en effet, se laissent aisément pousser à faire tout sans réflexion, même les closes les plus honteuses et les plus horribles. (Ibid.)

[13] Le titre d’imperator dans le sens de général victorieux fut vingt et une fois décerné à Octave par les soldats après une victoire. (Monum. Ancyre, I, 22 ; Dion, LII, 41.) Auguste accorda ce titre à plusieurs de ses lieutenants. Blæsus, sous Tibère, fut la dernier qui l’obtint. (Tacite, Ann., III, 74.)

[14] La censure était incompatible avec le consulat. Le sénat d’alors, deformis et incondita turba (Suétone, Octave, 35), renfermait des affranchis (Dion, XL, 48, 65), un simple soldat (Id., XLIII, 22), un muletier (Aulu-Gelle, Noct. Att., XV, 4 ; Juvénal, Satires, VII, 199).

[15] On appelait orcini (Orcus, surnom de Pluton) les esclaves affranchis par testament ; de là le nom donné aux sénateurs entrés dans la curie en vertu du testament de César interprété par Antoine et dont le mot de charonites n’est qu’une variante, tout aussi déplaisante pour ceux à qui elle s’appliquait. (Plutarque, Antoine, 17 ; Suétone, Octave, 35.)

[16] Il en garda cependant, dit son biographe, et s’en servit plus tard. (Dion, LII, 42.)

[17] Environ 324.000 francs (Suétone, Octave, 41 ; Dion, LIX, 17). Y avait-il, sous la république, un cens sénatorial ? On passage de Cicéron (ad Fam., XIV, 5) prouve que du temps de César une grande fortune n’était pas nécessaire pour être sénateur. Marquardt (Handbuch, III, 2, p. 218-228) et Willems (op. cit., p. 189 et suiv.) pensent avec raison que ce fut une innovation d’Auguste, qui éleva successivement ce chiffre de 4 à 8, enfin à 1.200.000 sesterces.

[18] Dion, LIV, 50 ; Suétone, Octave, 40.

[19] Dion, LV, 4.

[20] Dion, LIV, 55.

[21] Dion, LII, 42 ; Tacite, Ann., I, 2, et XI, 25 ; Monum. Ancyre, n° 8. Il n’y avait plus que cinquante vieilles familles (Denys d’Halicarnasse, I, 85). Il est question pour la dernière fois des patriciens dans l’édit de Dioclétien pour le maximum ; mais Gaius disait déjà que depuis longtemps le gentilicium jus n’existait plus.

[22] Dion, LII, 42 ; Tacite, Ann., XII, 23. La Sicile et la Narbonnaise étaient, sous ce rapport, considérées comme terres italiennes.

[23] Monum. Ancyre, n° 8. Ce chiffre de 4.063.000 citoyens de dix-sept à soixante ans donne pour la population totale plus de 17 millions d’âmes. Voyez Clinton, Fasti Hellen., t. III, p. 401.

[24] Je reviens sur cette question au commencement du chapitre LXX. Auguste fit surtout des concessions individuelles, provincialium validissimis (Tacite, Ann., XI, 24).

[25] Suétone, Octave, 33 ; Dion, LIII, 2.

[26] Monum. Ancyre, n° 17. Pour fonder la caisse militaire, fiscus, il y fit porter en l’an 6 de J.-C. 170 millions de sesterces. (Ibid., I, 37.)

[27] De reddenda re p. bis cogitavit: primum post oppressum statim Antonium, ... ; ac rursus tædio diuturnæ valitudinis (Il songea deux fois à rétablir la république, d'abord immédiatement après la défaite d'Antoine, ... La seconde fois, ce projet lui fut inspiré par les dégoûts d'une longue maladie.) (Suétone, Octave, 28). Omnis ejus sermo ad hoc semper revolutus est, ut speraret otium (Dans tous ses discours il en revenait toujours à ce point qu'il espérait pour lui le repos). (Sénèque, de Brev. vitæ, 4).

[28] Cf. Fragm. de la lex regia.... Fœdusve cura quibus volet facere.... liceat. Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’on ne trouve pas dans l’histoire d’Auguste un moment pour la rédaction de la loi royale dont se sont tant servis les jurisconsultes de Justinien. La promulgation d’un tel acte eût été contraire aux principes qui ont réglé toute sa conduite. Du reste l’explication est bien simple. Les anciens rois de Rome, Cicéron en fait foi dans le de Republica, ne prenaient possession du pouvoir qu’après une loi curiate, lex de imperio lata. Pendant toute la durée de la république un consul élu ne pouvait de même exercer ses pouvoirs qu’après avoir reçu de l’assemblée curiate l’imperium. Le sénat remplaçant dans la nouvelle organisation les anciennes assemblées, l’acte par lequel il confirmait l’empereur, qui bientôt ne sera plus que l’élu des soldats, tenait lieu d’une lex curiata de imperio : de la l’expression de Gaius (Inst., I, 5) que tout ce que l’empereur établit par décret, édit ou lettre, à force de loi, cum ipse imperator per legem imperium accipiat. Mais le sénat en étant venu peu à peu à énumérer dans cet acte tous les pouvoirs attribués à l’empereur (Cf. Tacite, Hist., I, 42 ; II, 55 : In senatu cuncta longis aliorum principatibus composita statim decernuntur ; et IV, 5 : cuncta principibus solita), les jurisconsultes combinèrent ensemble ces déclarations et en firent une formule unique qu’ils appelèrent non pas lex curiale, puisqu’il n’y avait plus de curies, mais lex regia, par un souvenir de l’ancienne royauté vers laquelle ils se reportaient volontiers.

[29] Imperatori, cum Augusti nomen accepit, tanquam præsenti et corporati deo fidelis est præstanda devotio et impendendus pervigil famulatus (Les soldats jurent donc de faire de bon cœur tout ce que l'empereur leur commandera ; de ne jamais déserter et de sacrifier leur vie pour l'empire romain.) (Végèce, II, 5).

[30] Le sénat républicain s’était attribué ce droit de dispenser de l’observation d’une loi.

[31] Rationarium imperii (Suétone, Octave, 28).

[32] Cette guérison valut à Musa, entre autres récompenses, pour lui et pour tous les gens de sa profession, l’immunité d’impôt (Dion, LIII, 50). Il avait guéri Auguste par des bains froids. On voit que l’hydrothérapie est plus vieille que le paysan de Græfenberg. Le remède qui avait tiré Auguste d’affaire tua, quelques mois après, ou du moins ne put sauver Marcellus.

[33] Les tribuns et les consuls avaient le droit de proposer au peuple et au sénat des résolutions législatives. Auguste, qui a la puissance tribunitienne et qui bientôt aura la puissance consulaire, avait donc l’initiative des lois, c’est-à-dire la vraie souveraineté. Mais il se réduisit, avec sa prudence ordinaire, à n’en user qu’une fois, à chaque séance du sénat. César, ayant ta dictature, n’avait pas besoin de la puissance tribunitienne ; elle était nécessaire à Auguste, qui n’avait pas voulu prendre le titre redouté de dictateur et qui, comme patricien, comme imperator, ne pouvait être tribun. (Cf. Tacite, Ann., III, 36.)

[34] Le pouvoir des tribuns ne pouvait s’exercer qu’à Rome et à un mille de ses murs, la potestas tribunicia de l’imperator s’étendit à tout l’empire. Dion (LI,19) enferme bien la potestas tribunicia d’Auguste dans les anciennes limites ; mais Suétone (Tibère, 11) nous montre Tibère, sous Auguste, l’exerçant dans Rhodes.

[35] Dion, LI, 49. Sous la république, on pouvait, contre la sentence du préteur ou contre tout acte d’un magistrat par qui l’on se croyait lésé, invoquer l’intercession des tribuns ou en appeler à un magistrat soit égal, soit supérieur. Auguste, tribun, consul et proconsul perpétuel, eut donc naturellement le droit de recevoir et de juger les appels. L’appelant déposait une somme, qui était confisquée, quand l’appel n’était pas admis. (Tacite, Ann., XIV, 28.) Néron imposa la même obligation à ceux qui appelaient an sénat des juges ordinaires. (ibid.)

[36] Velleius Paterculus, II, 95.

[37] Suétone, Octave, 37. Claude géra plus tard la censure avec Vitellius, Vespasien avec Titus (Suétone, Claude, 16 ; Vespasien, 8 ; Titus, 6).

[38] Ce n’était pas l’ancienne censure, puisque le droit pénible de faire le cens en fut détaché mais la préfecture des mœurs continua de donner à celui qui en était revêtu un droit de surveillance sur tous les citoyens.

[39] Marcellus, neveu et gendre d’Auguste, avait montré un vif mécontentement de ce que le prince, dans sa dernière maladie, avait donné son anneau à Agrippa. Auguste apaisa ce mécontentement par une conduite dont Agrippa à son tour s’offensa (23 av. J.-C.). Envoyé en Syrie, il s’était retiré à Mitylène. (Dion, LIII, 53 ; Suétone, Oct., 66.) Marcellus mourut en l’an 20.

[40] Dion, LIV, 16 ; Tacite, Ann., I, 10. Le nouveau consul, Lucretius Cinna Vespillo, était un des proscrits du triumvirat. Dion nous conte (LIV, 13) qu’Auguste portait souvent une petite cuirasse sous sa toge, même au sénat.

[41] Auguste porta les insignes consulaires, siégea entre les deux consuls, comme leur chef, et eut toujours les douze faisceaux, tandis que les consuls en exercice ne les avaient chacun qu’un mois de suite. Quant aux candidats, il les présentait aux tribus ou, comme César, les leur recommandait par un message, per libellos. Commendo vobis ilium..., etc. (Suétone, César, 41). Les ornamenta consularia ne conféraient aucun droit ; les suffecti, au contraire, étaient de vrais consuls ; mais les fastes ne donnent les noms que des deux consuls qui commençaient l’année.

[42] Le consulat fut aboli par Justinien en 541, soixante-cinq ans après la chute de l’empire d’Occident.

[43] Adjuvandi vel supplendi, vel corrigendi juris civilis gratia, propter utilitalem publicam (Digeste, I, 1, fr. 7, § 1). La constitution accordait ainsi aux magistrats une partie du pouvoir législatif, pour qu’ils pussent combler et corriger par leurs édits les lacunes et les défauts que le temps faisait reconnaître dans les lois. Il en résulta ce riche développement de la science du droit qu’aucun autre peuple n’a présenté. Il va sans dire que la même latitude n’était pas laissée à tous les magistrats pour leurs édits. Ainsi les édiles curules ne réglaient que les matières de police et de droit municipal. Cependant il est resté dans le jus civile plus d’une trace de leurs prescriptions. L’action redhibitoria et l’action quanti minoris que le Digeste leur emprunta ont passé jusque dans notre Code civil, art. 1644. Cf. sur le jus edicendi, Gaius, Inst., I, 6.

[44] Ses édits et ses rescrits eurent force de loi (Dion, LII, 15 ; LIV, 10 LVI, 58). Cf. Lex de imp. Vespasiani ; Gaius, I, 5 ; Digeste, I, 2 ; 1, 4.

[45] Cependant le peuple romain n’abdiqua pas en faveur d’Auguste son pouvoir législatif. Il le lui communiqua de manière que ce pouvoir fût exercé concurremment par l’empereur, par le sénat et par les comices. Si ce partage eût été réellement fait, il y aurait eu anarchie dans le pouvoir même qui doit régler tous les autres, dans celui qui fait la loi. Riais le sénat et les comices ne décrétaient que ce qu’il plaisait à l’empereur de leur faire voter.

[46] Dion, LIII, 16. Sous Tibère ce n’était plus déjà qu’une simple cérémonie. (Ibid., LVII, 24 ; LVIII, 24.)

[47] Il revint deux fois encore à cette mesure, en l’an 13 avant J.-C. et en l’an 1 après notre ère (Dion, LIV, 26, et LV, 13). Le Monument d’Ancyre dit seulement ter senatum legs. C’est qu’il n’intervint pas directement dans la quatrième révision. Il choisit dix sénateurs, parmi lesquels le sort en désigna trois pour faire l’opération.

[48] Suétone, Octave, 51 ; Dion, LIII, 17. Le grand pontife était le chef de la religion officielle et du collège des pontifes, qui réglaient les cérémonies du culte, surveillaient les nouveautés qui voulaient s’introduire, connaissaient en un mot de toutes les questions religieuses. Dans l’inscription de l’arc de Pavie, qui nous a été conservée par l’anonyme d’Einsiedeln, on donne à Auguste, en l’an 7 de J.-C., les titres de pontifex maximus, augur, quindecemvir sacris faciundis et septemvir epulonum. C’étaient les quatre grands collèges sacerdotaux de Rome, dont tous les empereurs firent ensuite partie. Ils étaient, aussitôt après leur avènement, agrégés à ceux auxquels ils n’appartenaient pas encore (Borghesi, I, p. 352, et III, p. 426 et suiv.). La charge de grand pontife était à vie, comme le titre d’imperator. Aussi retrouve-t-on cette double mention sur les monnaies d’Auguste. Pour les autres charges, le prince comptait le nombre d’années qu’il les avait remplies.

[49] Chapitre LXVI, § 3.

[50] Les comices avaient, sous la république, un triple pouvoir : électoral, judiciaire, législatif. Auguste supprima leur pouvoir judiciaire (Dion, LVI, 40), au profit des quæstiones perpetuæ, du préteur urbain et du sénat (id., LII, 51). Le préfet de la ville jugea aussi dans beaucoup de cas, et sans l’assistance de jurés. Auguste parut respecter mieux le pouvoir électoral des comices. Il rendit au peuple le droit que César et les triumvirs s’étaient attribué de nommer aux charges (Suétone, Octave, 40), mais en gardant réellement la disposition des plus importantes fonctions, polissima arbitrio principis, quædam tamen studiis tribuum fiebant (Tacite, Ann., I, 15). Il nommait lui-même directement à la moitié des charges, et pour le reste présentait les candidats aux comices en sollicitant pour eux les suffrages, ce qui ne l’exposait pas à un refus. (Suétone, Octave, 56). Celte recommandation devint même, comme acte légal, une proposition réelle faite au peuple et devant être acceptée par lui. (Cf. lex de imperio Vespasiani, et Appien, Bell. civ., I, 105 ; Suétone, Vitellius, 11 ; Tacite, Hist., I, 77.) Si puissance consulaire lui permettait d’ailleurs d’exclure Ies candidats qui lui déplaisaient. Tibère n’aura pas de ces ménagements ; il supprimera les comices électoraux. Mais Dion (LIII, 21), d’accord avec Tacite (Hist., II, 91), Pline le Jeune (Panég., 63, 61, 77, 92), Quintilien (Instit., VI, 3, 62), Suétone (Dom., 40) et Vopiscus (Taciti Vita, 7), montre qu’il y avait un concours apparent des citoyens à l’élection ; et cela, dit-il, s’observe encore aujourd’hui (sous Alexandre Sévère). Ce ne fut qu’au troisième siècle que les empereurs nommèrent eux-mêmes à toutes les charges (Digeste, XLVII,14, fr. ex libris Modestini). Même alors il y avait apparence de comices centuriates, et le drapeau était encore déployé sur le Janicule (Dion, XXXVII, 28). Quant aux comices législatifs, on en trouve sous Auguste (Suétone, Oct., 34 ; Tacite, Ann., IV, 16, et Macrobe, Saturnales, 1, 12), sous Tibère, ad ann. 24, modendum senatus decreto aut lege ; et plus loin, lata lex. C’est la formule pour une loi votée dans les comices. On en voit sous Claude ; on trouve, sous Vespasien, un populi plebisve jussus, dans la loi Royale. Sous Nerva (Digeste, XLVII, 21, 3) et Trajan, il est encore question de lois votées dans les comices, et jusqu’à Hadrien le droit paraît réglé en entier par des lois et des sénatus-consultes (Gaius, Hist., I, 3). Même au troisième siècle, l’adoption nommée adrogatio ne pouvait se faire qu’à Rome et populi auctoritate (Cf. Gaius, Inst., I, 98-108, et Ulpien, Regul. lib., VIII, 2-5) ; mais, dans ce cas, les trente curies qui exerçaient anciennement l’auctoritas populi étaient représentées par trente licteurs présidés par le grand pontife, et c’est à celui-ci qu’Antonin s’adresse quand il veut permettre aux pupilles adrogari. (Gaius, ibid.) Le jussus populi et plebis n’était aussi, cent ans au moins avant Hadrien, qu’une pure formalité. La politique impériale se plaisait à faire durer les mots bien plus longtemps que les choses.

[51] Il y en avait eu jusqu’à seize sous César ; Octave les ramena à douze (Velleius Paterculus, II, 89 ; Tacite, Ann., I, 44 ; Dion, LIII, 32 ; LVI, 25). On en vit quinze et seize sous Tibère. Ils présidaient, tant qu’elles subsistèrent, les quæstiones perpetuæ, formées de sénateurs, de chevaliers, de tribuns du trésor et de ducénaires désignés par le préteur. Plus tard, on établit un préteur pour les fidéicommis, un autre pour les contestations entre le fisc et les particuliers, un troisième pour les tutelles (Suétone, Claude, 28 ; Dion, LX, 10 ; Capitolin, Marc. Anton., 10). Ils devaient avoir au moins trente ans (Dion, LII, 20).

[52] Sous Tibère, un tribun oppose son veto au sénat et l’emporte. (Tacite, Ann., I, 77.) Sous Claude, les tribuns convoquent encore le sénat. (Dion, LX,16.) Sous Néron, un tribun fait relâcher des gens arrêtés par un préteur ; mais on limite alors leur juridiction (Tacite, Ann., XIII, 28). Sur la durée de leur veto, cf. Tacite, Ann., XVI, 26 ; Hist., II, 91 ; IV, 9 (sous Vespasien) ; Pline, Lettres, I, 25 ;1X,13 (sous Nerva). Ils gardaient le droit de faire des propositions dans le sénat et partagèrent, avec les préteurs, édiles et questeurs, l’administration supérieure des quatorze régions de Rome.

[53] Les questeurs, au nombre de vingt depuis Sylla (Tacite, Ann., XI, 22), et âgés d’au moins vingt-cinq ans (Dion, LII, 20), avaient les mêmes attributions que par le passé, sauf qu’on leur ôta l’administration de l’ærarium, confiée à deux anciens préteurs ; mais ils eurent en échange la garde des sénatus-consultes enlevée aux édiles (Dion, LIV, 36). Plus tard il y eut des quæstores candidati principis exclusivement chargés de lire les lettres du prince au sénat. (Digeste, I, 13, 1, § 2 ; Tacite, Ann., XVI, 27.) Les édiles, dont le nombre fut porté à six par la création de deux édiles pour les blés sous César (Dion, XLIII, 51), avaient le droit de juger certaines affaires que, pour plus de régularité, Auguste transmit aux préteurs (id., LIII, 2). Une partie de leurs attributions passa encore au préfet de la ville, à l’intendant des vivres et au commandant des gardes nocturnes ; il ne leur resta que la police des rues, des marchés, des bains et des livres, la surveillance lupanarium et popinarum, le soin de faire exécuter les lois somptuaires que Tibère leur ôta (Tacite, Ann., III, 52-3), et la coûteuse dépense des ludorum solemnium. Aussi l’édilité fut-elle peu recherchée, bien qu’Auguste eût aidé plus d’une fois de sa bourse les édiles à faire les honneurs de leur charge ; après le troisième siècle il n’en est plus question. Les vigintivirs (précédemment vingt-six) subsistaient aussi.

[54] Comme Murena dans le procès de Primus (Dion, LIV, 3). De violents libelles furent écrits contre lui : il se contenta d’y répondre publiquement (Suétone, Octave, 55).

[55] A ses repas il n’y avait que trois plats, six au plus, et toujours des mets les plus ordinaires.

[56] Admittebat et plebem (Suétone, Octave, 53). Un solliciteur lui présentait un placet en tremblant : Vraiment, lui dit-il, tu fais autant de façons que pour présenter une pièce de monnaie à un éléphant. (Ibid.)

[57] Il avait cependant une garde personnelle de soldats germains.

[58] Sénèque, de Clementia.

[59] Suétone, Octave, 56-7 et 72 ; Dion, XLIX, 15 ; LIV, 15 et 30 ; Velleius Paterculus, II, 81. Au retour de chaque voyage, il rentrait de nuit à Rome pour éviter le bruit et l’éclat. Jusque deux ans avant sa mort il assista aux fêtes de famille de ses amis. (Suétone, Oct., 53 ; Dion, LVI, 26.) Bien qu’il en eût le droit, il ne porta jamais dans Rome l’épée ni l’habit de guerre, mais seulement la toge sénatoriale. (Suétone, Oct., 73.) Il défendit qu’on l’appelât maître ou seigneur. (ibid., 55, et Dion, LV, 12.) Qu’on dise du mal de moi, écrivait-il à Tibère qui lui reprochait sa modération, qu’importe, si l’on ne peut m’en faire ?

[60] Senatusconsultum legis vicem obtinet (Gaius, Inst., I, 4, et Digeste, I, 2, fr. 2, 5 9).

[61] Le sénat jugea ordinairement les attentats contre l’État et contre le prince, les concussionnaires, les sénateurs et leurs enfants accusés d’un crime. Pour entrer au sénat, qui fut ramené à sis cents membres (Dion, LIV, 13), il fallait avoir au moins vingt-cinq ans (Dion, LII, 20) ; n’être ni mutilé ni infirme (id., LIV, 26) ; posséder 1.200.000 sesterces (Suétone, Octave, 41), 4 millions sous Trajan (Pline, Lettres, X, 3), et avoir été questeur. Le sénat était convoqué deux fois par mois, aux calendes et aux ides, excepté en septembre et en octobre ; mois de fièvre à Rome, durant lesquels il avait congé et était remplacé par une chambre des vacations. Le prince pouvait le convoquer toutes les fois que bon lui semblait. (Dion, LV, 3 ; LIV, 3.) Les consuls et les préteurs gardèrent leur droit de convocation ; les tribuns finirent par le perdre. (Dion, LXXVIII, 37.) La présidence appartenait à celai qui avait convoqué l’assemblée. Quand le prince n’avait pas la présidence, il pouvait toujours faire des propositions, jus tertix relationis. (Vopiscus, Probus, 12.) La présence de quatre cents membres était nécessaire pour valider les opérations, mais, les sénateurs négligeant des fonctions illusoires, il fallut, en l’an 2 av. J.-C., abaisser ce chiffre. Deux ans plus tard, Auguste fut obligé de punir encore les absents par des amendes. (Dion, LIV, 35 ; LV, 3.) Depuis l’an 59, des scribes, sons la surveillance d’un sénateur, rédigeaient les actes du sénat, Acta diurna. Octave en interdit la publication. (Cf. Suétone, Oct., 36, et l’extrait donné par Aulu-Gelle, XIV, 7, d’un traité de Varron sur la police du sénat.) Etre chassé du sénat emportait l’incapacité d’être juge ou témoin, en vertu de la loi Julia repetundarum. (Digeste, I, 9, fr. 2.) Par la lectio senatus qu’il exerçait en vertu de la censoria potestas, l’empereur appelait au sénat inter quæstorios, tribunicios ou prætorios qui il voulait (les vingt questeurs formaient chaque année vingt sénateurs nouveaux), et par son droit d’initiative il faisait fonctionner comme il l’entendait ce grand instrument de l’administration impériale.

[62] Dion, LIII, 18, 28 ; LVI, 32.

[63] Dion, LX, 23.

[64] Il y avait eu déjà des præfectus urbi, mais dans de tout autres conditions. Les pouvoirs du nouveau préfet de la ville s’étendaient jusqu’à 100 milles des murs de Rome. Il recevait les appels de tous les procès civils suivis à Rome et jusqu’au centième mille, et il finit par avoir presque toute juridiction criminelle, avec le droit de relégation hors d’Italie, etc. Il jugeait sans jurés, en prenant seulement l’avis de son conseil. Voyez au Digeste, I, 12, 1, l’analyse d’un rescrit de Septime Sévère sur ses attributions (ibid., XXXVII, 15, f. I, § 2).

[65] Chaque cohorte eut dix turmæ de cavalerie comptant chacune trente-deux hommes. A partir de Vespasien, il y eut dix cohortes.

[66] Le præfectus annonæ veillait à ce que le blé des provinces frumentaires, Sicile, Afrique et Égypte, arrivât aux époques déterminées et que les accapareurs n’en fissent pas monter artificiellement le prix. Le præfectus frumenti dandi s’occupait des distributions publiques et empêchait ceux qui n’y avaient pas droit d’en profiter. Il y avait encore les præfecti ærarii, alvei Tiberis, aquarum, les curatores ædium sacrarum monumentorumque publicorum tuendorum, viarum, riparum Tiberis et cloacarum urbis, etc. Cf. Pline, Hist. nat., III, 6, et les recueils d’inscriptions.

[67] Tacite, Annales, XIII, 4.

[68] Dion, LIII, 21 ; Suétone, Octave, 35.

[69] En l’an 4 av. J.-C., pour juger un différend entre Archélaüs et Hérode Antipas, Auguste se fait rendre compte de l’étendue des États de leur père et du montant de ses revenus. Il lit les lettres de Varus, gouverneur de Syrie, celles de Sabinus, son intendant en Judée ; puis il assemble un grand conseil des principaux de l’empire, où C. César, fils d’Agrippa et de Julie, qu’il avait adopté, eut la première place, et demande à chacun de dire son avis sur l’affaire en discussion. (Josèphe, Bell. Jud., II, 4, et Ant. Jud., XVII, 9.) Il rassemble encore ses amis et les principaux de Rome pour savoir si on accordera aux Juifs d’être réunis à la Syrie, ou à Archélaüs de régner. (Id., Bell. Jud., II, 8.)

[70] Dion, LVI, 23. Ce conseil était lui-même une très vieille chose : les gouverneurs de province (Cicéron, Verrès, II, 29), même les simples juges (Val. Maxime, VIII, 2), rendaient leurs sentences d’après l’avis de ceux qui les assistaient. Il est parlé du conseil impérial sous Néron (Tacite, Ann., XIV, 612, et Suétone, Néron, 15), sous Vespasien (Suétone, Vespasien, 17), sous Trajan (Pline, Lettres, IV, 22 ; VI, 22 et 31), etc. Le haut empire eut donc une sorte de conseil d’État pour élaborer les lois et qui fut en même temps une cour de justice, mais dont les membres n’avaient ni nomination officielle et permanente, ni séances régulières, ni lieu particulier pour leur délibération.

[71] Dion, LVI, 28. Trois des membres de ce conseil, personnages consulaires, furent chargés d’une sorte de ministère des affaires étrangères. Les envoyés des rois et des nations alliées s’adressaient à eux seuls, excepté dans les cas d’importance où le sénat et le prince prononçaient. Les affranchis et les esclaves du prince étaient retenus dans l’obscurité, mais quelques-uns avaient déjà des emplois qui deviendront fort importants : a libellis, ab epistulis latinis, ab epist. græcis, etc. (Cf. Hirschfeld, Röm. Verwatlunggesch., p. 202.)

[72] Quibus permissura est condere jura (Gains, Inst., I, 7).

[73] Sæpe.... judicum decurias recognovit (Suétone, Octave, 29).

[74] Pomponius, au Digeste, I, 2, fr. 2. § 47, et Gaius, Inst., I, 7. Plus tard le prince se forma un conseil privé pour les affaires juridiques et contentieuses, l’auditorium.

[75] En l’an 25. (Paul, au Digeste, XXII, 5, fr. 4, et XLVIII, 2, fr. 3.)

[76] Tacite, Ann., IV, 5, et Dion, LV, 23. Elles comptaient chacune environ six mille fantassins et un nombre de cavaliers qui finit par s’élever, du temps de Végèce (de Re mil., II, 6), au chiffre de sept cent vingt-six, avec un nombre à peu prés égal d’auxiliaires (cohortes auxiliariæ) qui gardaient leur costume national et leurs armes. (Tacite, Hist., II, 89.) La solde d’un légionnaire était de 10 as (10/16 de denier) par jour ou 225 deniers par an : denis in diem assibus animant et corpus æstimari ; hinc, vestem, arma, tentoria redimi. L’État ne fournissait donc gratuitement que le blé. Les prétoriens (neuf mille fantassins et un certain nombre de cavaliers), payés double (Dion, LIII, 11), et dont la solde fut portée par Tibère à 70 deniers, se recrutaient, ainsi que les cohortes urbaines, en Italie (Tacite, Ann., IV, 5) ; les légions, dans les provinces et souvent parmi les soldats des cohortes auxiliaires, à qui le service légionnaire valait le droit de cité romaine. En outre des cohortes formées de provinciaux, il y en avait trente-deux de volontaires (coh. ital. civ. rom. voluntar.) soit italiens, soit citoyens romains établis dans les provinces et qui aimaient mieux vivre de la solde militaire que de leur travail. L’ancien mode de recrutement, legere milites, subsistait, car Tibère fut chargé de visiter les ateliers d’esclaves d’Italie pour en tirer ceux qui s’y cachaient sacramenti metu (Suétone, Tibère, 8) ; mais on y recourait rarement, parce qu’il ne fallait chaque année, pour tenir les vingt-cinq légions au complet, que très peu de soldats, et qu’il se présentait toujours un grand nombre de volontaires. (Voyez au Digeste, XLIX, 16, 4, § 10, et ci-dessous au chapitre LXX.) La légion était commandée par un legatus, ancien préteur, qui avait sous ses ordres dix tribuns, chefs des dix cohortes de la légion, le præfectus castrorum, sorte de chef d’état-major qui passait après les tribuns, et le præfectus equitum. La cohorte se divisait eu dix centuries commandées chacune par un centurion ; la cavalerie en vingt-deux turmæ, sous un décurion. Outre les légions et leurs auxiliaires rangés le long des frontières, quelques corps indigènes étaient laissés dans certaines localités. Ainsi les Helvètes faisaient barder par leurs propres soldats une forteresse de leur pays ; les Rætes avaient une milice dans leur province (Tacite, Hist., I, 67, 68) ; une cohorte de Ligures veillait sur le pays autour de Fréjus, vetus loci auxilium (Tacite, ibid., II, 14), etc. Mais ce n’étaient que des exceptions sans importance.

[77] Dion, LV, 23. Auguste n’avait pas osé imposer d’abord une durée de service aussi longue ; en l’an 13 avant J.-C., un règlement n’avait demandé que seize ans aux légionnaires, douze aux prétoriens. (Id., LIV, 25.)

[78] M. L. Renier (Inscr. de Colonia Julia Zaraï) croit qu’en Afrique les droits d’entrée étaient moins élevés. Marquardt (Haudbuch, t. II, p. 267 et suiv.) indique un certain nombre de ces tarifs différents.

[79] Tacite, Ann., I, 78. Cf. Suétone, Caligula, 16.

[80] Dion, LV, 51. Ce droit s’éleva ensuite à 4 pour 100. (Tacite, Ann., XIII, 31.)

[81] Dion, LV, 55 ; Suétone, Octave, 49 ; Tacite, Ann., 11, 42 ; Pline, Panégyrique, 57. Notre législation, moins humaine, frappe la succession du pauvre des mêmes droits que celle du riche.

[82] Ce chiffre paraîtra même exagéré si l’on se souvient que, en 61, Pompée disait avoir, par ses conquêtes, porté la revenu public de 50 millions de deniers a 85. Il sera parlé au chapitre LXVII, § 2, des différentes caisses entre lesquelles tous ces revenus se répartissaient.

[83] Les embellissements de Rome étaient généralement faits par des particuliers, et le blé, vendu à bas prix au peuple, était fourni par les provinces frumentaires.

[84] Suétone (Caligula, 37) dit 2.700 millions de sesterces, et Dion (LIX, 2), 2.300 millions.

[85] L’origine des recuperatores est obscure. Ils semblent avoir été chargés des causes où les parties étaient de condition différente, comme citoyens et pérégrins, patrons et affranchis, etc. (Caius, Inst., IV, 46), ou celles qui réclamaient une prompte solution. Ils étaient proposés par les parties qui avaient un droit réciproque de récusation. Les affaires civiles, celles qui concernaient la propriété quirataire et les questions qui s’y rapportent, tutelle, successions, testaments, etc., étaient jugées par les centumvirs, cent quatre-vingts juges, tirés au sort pour chaque affaire, parmi les quatre mille sénateurs, chevaliers et ducénaires, annuellement inscrits sur l’album judicum. Les centumvirs étaient divisés en quatre sections, de quarante-cinq membres chacune, que convoquaient les decemviri stlilibus judicandis. Sur l’importance des questions portées au tribunal des centumvirs, voyez Cicéron, de Orat., I, 33. Sous l’empire, l’éloquence judiciaire s’y réfugia. (Pline, Lettres, passim.) Le nombre de quatre mille jutés est donné par Pline (Hist. nat., XXX, 7).

[86] Voyez ci-dessus, la note 65.

[87] L’empereur jugeait assisté d’un conseil, ou renvoyait l’affaire soit au sénat, soit à un judex (Pline, Lettres, VII, 6), plus tard aux préfets du prétoire.

[88] Le sénat n’avait que vingt séances régulières par an. (Dion, LV, 27.)

[89] Suétone, Caligula, 38.

[90] Dion, LIII, 32. Il assure ailleurs que dès l’an 21-20 Auguste agit dans les provinces du sénat comme dans les siennes. Cf. Eckhel, Doctr. numm., VIII, p. 340.

[91] Suétone, Octave, 33 ; Dion, LI, 19. S’il en faut croire cet écrivain, il avait le droit de vie et de mort même sur les sénateurs (LIII, 17). Ce droit ne lui fut pas donné expressément, mais il était compris dans l’imperium. Nous savons que plusieurs empereurs promirent de ne pas en user. (Dion, LXVIII, 2 ; LXIX 2 ; LXXIV, 2 ; Spartien, Hadrien, 7 ; Sévère, 7.)

[92] Suétone, Octave, 33 ; Dion, LIX, 8, 18. Sur le droit d’appel à l’empereur, voyez Digeste, XLIX, 1.