HISTOIRE DES ROMAINS

 

SEPTIÈME PÉRIODE — LES TRIUMVIRATS ET LA RÉVOLUTION (79-30)

CHAPITRE LXIV — L’ITALIE ET LE PEUPLE ROMAIN.

 

 

I. — L’ITALIE.

Le voyage que nous venons d’accomplir à travers les provinces romaines et les pays qui leur sont limitrophes nous ramène en face de l’Espagne, d’où nous étions partis pour faire le tour de la Méditerranée. Mais, au milieu de cette mer, unique au monde pour la beauté de ses rives, au centre de ce bassin vers lequel convergeaient les regards de vingt peuples, nous avons oublié la péninsule qui s’élevait comme une haute citadelle, d’où Rome surveillait et contenait son empire. Position inexpugnable si elle reste bien approvisionnée de force et de courage[1] !

Par malheur, l’Italie avait cruellement expié ses victoires, et ce n’était qu’aux temps antiques que pouvait se rapporter le magnifique salut du poète :

Salve, magna plarens frugum, Saturnia tellus,

Magna virunz l

Maintenant, en effet, que restait-il de la vieille race italienne ? et l’Italie même était-elle encore ce sol fécond où l’on croyait que les dieux étaient venus donner les premières leçons de la sagesse agricole ? Il y avait bien çà et là des traces de l’ancienne fertilité ; sur quelques points on montrait des merveilles : un cep qui portait deux mille grappes, un autre à Rome même qui donnait douze amphores de vin. Varron vantait aussi le blé de Campanie et d’Apulie, le vin de Falerne, l’huile de Vénafre et cette multitude d’arbres qui fait, disait-il, de notre pays un immense verger. Mais généralement la richesse du sol s’était perdue avec les vieilles traditions de culture[2], et le blé ne rendait plus eu moyenne que 4 pour 1[3]. Nous avons abandonné le soin de nos terres aux derniers de nos esclaves, dit Columelle : aussi les traitent-ils en vrais bourreaux. Nous avons des écoles de rhéteurs, de géomètres, de musiciens. J’en ai vu même où l’on enseigne les professions les plus viles, comme l’art d’apprêter les mets ou de parer la tête ; mais, pour l’agriculture, nulle part je n’ai trouvé ni professeur ni élève. Et cependant, dans le Latium même, il nous faut, pour éviter la famine, tirer le blé de pays situés au delà des mers, et le vin des Cyclades, de la Bétique et de la Gaule.

Ces moissons de la Sicile, de l’Afrique et de l’Égypte, données ou vendues à vil prix dans les cités maritimes, c’est-à-dire sur tous les points de grande consommation, firent aux maigres récoltes de l’Italie une concurrence redoutable : le blé étranger acheva de tuer le blé indigène[4]. Alors ou fit de la viande, qui se vendait mieux, en substituant les prairies aux terres à labour, les cultures dont Jupiter fait tous les frais à celles qui demandent beaucoup de bras ; et, sur ces latifundia, il n’y eut pas plus de travail pour l’ouvrier agricole que de place pour le petit propriétaire[5].

Ainsi la terre manquait aux hommes, et les hommes à la terre ; le sol italien s’était appauvri, et l’Italie s’était dépeuplée.

Aux causes économiques de cette dépopulation il faut joindre les causes politiques et militaires : tout le sang répandu depuis les Gracques, la guerre des Marses et la colère plus terrible de Sylla ; puis tant de légions italiennes décimées par les fatigues et la guerre, tant de colons envoyés hors de la péninsule, et ces continuelles migrations d’aventuriers qui allaient chercher fortune au loin. Ils étaient Romains, le monde leur appartenait, et, à présent que la misère était une honte, ils seraient modestement restés à labourer leurs champs, comme au temps de l’antique pauvreté ! Mieux valait exploiter dans les provinces leur titre de citoyen, la faveur d’un patron, magistrat ou publicain ; et gagner quelque emploi lucratif dans ces sociétés de commerce si nombreuses dans l’empire que toute ville importante avait une colonie de négociants romains[6]. Si nous avons trouvé tant d’Italiens en Asie au temps de Mithridate, combien y en a-t-il à présent ? Combien encore en Égypte, en Syrie, à Carthage, qu’à cette heure même ils relèvent ; en Espagne, où la moitié du pays parle déjà latin ; en Gaule, où ils ont achevé l’invasion de la Narbonnaise, et où ils commencent celle de la Celtique et de l’Aquitaine ? Bientôt nous en verrons au fond de la Germanie chez les Marcomans et les Chérusques, et jusque dans les solitudes, où l’Arabe, qui les rencontre, s’arrête étonné devant ces hommes d’un monde qu’il ne connaît pas.

Ainsi le peuple romain, dispersé dans les plus lointaines régions, laissait désertes ces campagnes d’où les vigoureuses races de l’ancienne Italie avaient disparu ; et Rome s’encombrait d’une foule famélique, misera ac jejuna plebecula, qu’il ne fallait pas regarder de trop prés de peur de voir, sous les toges déchirées, la trace du fouet et des fers[7]. Dans cette multitude qui se recrutait si bas Tite-Live ne voyait plus de soldats[8]. Columelle[9] montre les jeunes Romains de bonne maison si ruinés avant l’âge par la débauche, que la mort n’avait presque plus rien à faire quand elle venait les prendre.

Toute exagération mise a part, l’Italie, au milieu de sa surprenante grandeur, déclinait ; il lui arrivait ce qui sera le sort de l’Espagne sous Philippe II, de s’épuiser à élever une domination colossale et de payer sa gloire par d’incurables misères. Le soleil ne se couchait pas sur l’empire du fils de Charles-Quint : le Pérou lui envoyait ses trésors ; ses frottes couvraient la mer ; ses armées menaçaient l’Europe entière ; et avec tant de richesses et de puissance, l’Espagne se ruinait, ses campagnes se changeaient en déserts, ses villes en bourgades, ses châteaux en masures, et leurs maîtres, les fiers hidalgos, couvraient le pays d’un peuple de mendiants. La base qui portait l’édifice fléchissant, bientôt tout croula. Heureusement pour l’Italie, elle avait lentement monté, lentement aussi elle descendit.

Cet état frappait les yeux clairvoyants. César s’était inquiété de voir le mal qui avait tué la Grèce s’étendre sur l’Italie[10]. Afin d’arrêter ces migrations qui dépeuplaient la péninsule, et de combattre l’absentéisme qui l’appauvrissait, il avait ordonné qu’an citoyen ne pût rester plus de trois années de suite dans les provinces, à moins d’empêchement légal ; et il forçait ses vétérans colonisés à rester vingt années sur leurs champs avant d’avoir le droit de les vendre. Mais les troubles du second triumvirat remirent tout en question. Les proscriptions, la guerre de Pérouse, surtout les nouvelles colonies triumvirales, accumulèrent sur l’Italie de nouvelles et plus grandes misères. On a compté que, de la dictature de César aux premières années du principat d’Auguste, soixante-trois villes avaient été livrées à des vétérans sortis de toutes Ies provinces et recrutés dans toutes les races[11] ! Après ces exécutions, les chemins de l’Italie se couvraient d’émigrants que la failli chassait vers Rome. Et, tandis qu’ils remplissaient de leurs lamentations le Forum et les temples[12], ceux qu’ils laissaient derrière eux sur leurs terres gaspillaient, en quelques mois d’orgies, le bien qui avait nourri dis générations de laboureurs. L’usure défaisait ce qu’avait fait la violence. Combien de ces soldats paresseux et grossiers s’attachaient au sol, élevaient une famille, fondaient une maison ? Bien peu. La plupart, continuant la guerre en pleine paix[13], pillaient leurs voisins, et, quand ils ne trouvaient plus rien à prendre, ils vendaient leur terre à quelque riche accapareur, pour accourir à Rome faire le peuple souverain, vivre à la porte d’un patron, s’asseoir au cirque, ou tendre la main sur le pont Sublicius, et manger en un coin du Forum la sportule qu’ils avaient mendiée.

Aussi comme Rome grossit, comme elle déborde par-dessus ses murailles et par toutes ses portes ! Autour de la grande ville, il y en a une autre, suburbana, qui descend vers Ostie ou court le long des voies Appienne et Latine, qui gagne vers Tusculum ou Tibur, et passe le fleuve pour monter au Janicule et au Vatican. La Grande-Grèce est désolée, deleta, sauf cieux ou trois villes que leur position protège, et le pays des Samnites est désert : Bénévent, le grand passage entre les deus versants de l’Apennin méridional, y garde seul un peu de vie[14] ; la Sabine, l’Étrurie, achèvent de mourir. Au moyeu âge, après le désastre de la Melloria, qui voulait voir Pise allait à Gènes ; qui cherche l’Italie n’a maintenant qu’à demeurer à Rome. Combien y étaient-ils ? Les uns disent quatre, six, même huit millions, d’autres seulement cinq cent soixante-deux mille. Il faut probablement tripler ce chiffre. La divine Nature, dit tristement Varron, avait fait la campagne, les hommes ont fait les villes.

Cependant les riches fuyaient de temps à autre loin de cette foule, sur les collines du Latium et de l’Étrurie méridionale. Là où nos pères gagnaient des triomphes, dit Florus, leurs descendants bâtissent des villas. On les voit surtout vers les beaux rivages du golfe de Naples, qu’ils couvrent de somptueuses constructions. La sombre forêt qui entourait l’Averse était tombée sous la hache des légionnaires d’Agrippa, et de nombreux édifices, couronnant ces collines redoutées, se miraient dans le lac limpide qu’on avait appelé la bouche des enfers. Sur ce coin de l’Italie se concentrait une activité qu’on ne retrouvait plus qu’à Rome. Agrippa y complétait ses grands travaux en faisant construire par Cœccius Nerva une route souterraine de l’Averse à Cumes, et il allait creuser ou agrandir la fameuse grotte du Pausilippe qui devra son nom au Sans-Souci de Vedius Pollion[15].

A Pouzzoles, des cris en vingt langues, et l’infinie variété des costumes et des denrées, annonçaient un des grands marchés de l’empire. Près de là s’étendaient les rives enchantées de Baïa, qu’Horace appelle le plus beau lieu du monde : des îles et des promontoires découpant la mer en un lac immense et tranquille, dont les brises calmaient les ardeurs d’un soleil radieux ; toutes les beautés du ciel et de la terre, toutes les poétiques terreurs de la légende et de la nature : l’antre ténébreux de la Sibylle aux oracles redoutables, le voisinage du royaume des ombres que Virgile allait ouvrir avec son rameau d’or et les champs Phlégréens laissant échapper leurs vapeurs infernales au milieu de bruits sinistres ; mais aussi de verdoyantes collines couvertes de constructions gracieuses qui descendaient jusque dans Ies flots, des sources thermales qui promettaient la santé, et une tiède atmosphère qui invitait au plaisir. Aussi que de matrones y laissaient leur vertu : La chaste et sévère Lævina y vint... ; Pénélope elle arriva, Hélène elle repartit[16].

Naples la voluptueuse, l’oisive Parthénope, offrait un asile moins fastueux aux rhéteurs émérites qui venaient y chercher les souvenirs toujours vivants de la Grèce, les gymnases, les phratries avec leurs joyeux festins des concours de musique et tous les jeux du stade. Non loin de là, Pœstum se laissait gagner par la malaria sortie des eaux marécageuses (lue ses habitants ne savaient plus contenir. Cicéron en parlait encore, comme d’un lieu où l’on abordait en revenant d’Afrique[17], mais Strabon la trouvait insalubre, et ses temples n’allaient bientôt s’élever au milieu d’un désert[18]. Brindes, où l’on s’embarquait pour la Grèce, grandissait chaque jour ; Rhegium, colonisé par Octave après la défaite de Sextus Pompée, relevait plus lentement sa fortune ; mais Tarente, assise sur un sol fertile, devant le meilleur port de l’Italie du sud, retrouvait une partie de ses richesses d’autrefois, si elle ne retrouvait pas sa puissance ; cependant elle n’occupait encore que la moitié de son ancienne enceinte.

Ainsi, sauf la Campanie et un point ou deux de la Grande-Grèce, l’Italie se dépeuplait au profit de Rome, où se promenait une royauté en haillons, mendiante et fière, qui voulait s’asseoir chaque jour au festin de l’empire, servi par le maître qu’elle s’était donné.

 

II. — LE PEUPLE ROMAIN ET LES CAUSES DE LA RÉVOLUTION IMPÉRIALE.

Nous voici enfin à Route. Nous connaissons les hommes qui s’y trouvent et les idées qui y règnent, car le second et le troisième volume de cette histoire ont servi à montrer la lente décomposition de la société romaine, de ses mœurs, de ses institutions et les tentatives faites, cri sens contraire, durant un siècle, pour sauver la république ou pour la précipiter. Il ne faut rien oublier de ce tableau, si l’on veut se rendre un juste compte d’un des plus grands événements de l’histoire, la fondation de l’empire.

Les écrivains, comme les peuples, sont naturellement enclins à faire trop large la part des personnages historiques. Un savant peut changer la face d’une science ; un général, celle d’une guerre : un homme d’État ne changera jamais la face d’une société, parce que la politique est une résultante et que la loi constitutionnelle, expression d’un rapport entre les idées, les mœurs et les institutions, n’a qu’une valeur de relation, à la différence de la loi morale qui a une valeur absolue. Les plus grands en politique sont ceux qui répondent le mieux à la pensée inconsciente ou réfléchie de leurs concitoyens. li reçoivent plus qu’ils ne donnent, et leur force est e moins dans le génie qu’ils ont que dans l’enchaînement logique des idées et des faits dont ils savent se rendre les serviteurs nécessaires : d’où il résulte que l’usurpation ou le salut, l’honneur ou la honte, leur viennent autant de la foule qui les soutient que de l’ambition qui les pousse.

Quand les peuples seront pénétrés de cette vérité virile, quand ils sauront que ce sont eux surtout qui, en politique, font les héros où les coupables, ils donneront moins à l’adulation ou à la haine et davantage à la prévoyance. On a prononce un mot dur, mais juste : les nations ont les gouvernements qu’elles méritent, comme l’homme a la condition qu’il se là.

Cette doctrine ne détruit la responsabilité de personne, mais elle l’étend à ceux qui trouvent commode de s’en affranchir, et si elle a des paroles sévères pour l’usurpateur qui entreprend sur les anciennes lois, elle en a aussi pour les multitudes qui ont applaudi à l’usurpation. Seulement, en jugeant les uns et les autres, elle tient compte des événements qui ont rendu les transformations nécessaires où inutiles, durables ou transitoires. Elle absout ceux qui ont marché dans la direction du grand courant de la vie nationale, et elle condamne les faiseurs de révolution par en haut ou par en bas qui ont voulu remonter le courant ou en changer violemment la route.

Appliquons ces principes aux Romains. Ils s’étaient tout asservi, de l’Euphrate à la Manche et des Alpes à l’Atlas ; mais ceux qui commandaient à toits s’étaient eux-mêmes soumis, d’abord au sénat, ensuite a un parti, plus tard à un homme.

Faut-il parler, après Actium, de démocratie triomphante ? Antoine et Octave n’étaient point des chefs de parti. Ils avaient combattu, pillé et tué, non pour les grands ou pour le peuple, mais pour eux-mêmes. Les tyrannicides vaincus, le premier fit du pouvoir une orgie, taudis que le second confondit son ambition satisfaite avec l’intérêt, public. On voit bien l’oligarchie qui s’en va, on ne voit pas la démocratie qui arrive. Auguste passera son règne à mettre des distinctions dans la société romaine, à parquer chacun dans une classe, à imposer à chaque classe un costume. Le droit romain, sous l’empire, ira se rapprochant chaque jour davantage de la loi naturelle ; mais il gardera des peines différentes pour les riches et pour les pauvres. Les empereurs s’appelleront les tribuns du peuple, et ils pousseront les municipalités à une organisation aristocratique ; de sorte que cet empire, qui semblait avoir mission d’établir l’égalité, préparera l’immense inégalité sociale du moyen âge.

Cependant il est encore question de comices : les triumvirs ont fait confirmer par eux leur pouvoir ; mais cette intervention de l’assemblée populaire n’était qu’une formalité. Le peuple paraissait donner la légalité aux volontés des puissants, comme certaines machines donnent l’empreinte aux monnaies, sans faire le métal dont celles-ci sont formées.

Nous savons ce qu’étaient devenues les vieilles légions républicaines. Les soldats, recrutés au hasard, appartenaient à qui les payait le mieux. Sella, qui leur avait livré l’Asie, César, qui avait gagné avec eux tant de lucratives victoires, avaient pu compter sur leur dévouement. Lucullus maintient une discipline sévère, ils l’abandonnent ; Antoine leur refuse les legs de César, ils le quittent ; Octave met ses biens en vente ; afin de remplir les promesses de son père, ils vont à lui. Ils ne combattaient pas, dit Montesquieu, pour une certaine chose, mais pour une certaine personne[19]. La postérité, qui se trompe rarement, a laissé à cette révolution son caractère véritable, en ne donnant aux Césars que leur titre militaire, imperator.

Quant aux provinciaux, ils suivaient le cours des événements sans essayer de le changer. Lorsque les armées romaines partagèrent leur obéissance entre César et Pompée, entre Octave et Antoine, pas un cri d’indépendance ne sortit du sein des nations vaincues. Elles se mêlèrent à la lutte par contrainte ; comme les soldats, elles se décidèrent non pour une cause, mais pour un homme, pour celui qui était présent avec de grandes forces, ou dont le patronage utile avait lié les intérêts de la province à ceux de sa maison.

Du temps de Tacite, la révolution qui conduisit la république à l’empire apparaissait d’une manière très simple. La passion du pouvoir, dit-il, grandit avec notre empire et, comme nos armes, renversa tout. Tant que l’État fut petit, l’égalité se maintint. Lorsque nous eûmes conquis le monde, tous se disputèrent le pouvoir et les richesses qu’il donnait : d’abord le peuple et le sénat, les tribuns et les consuls ; plus tard, Marius et Sylla, qui détruisirent la liberté et sur ses ruines fondèrent leur domination. Pompée, après eux, marcha par des voies plus détournées, non meilleures ; depuis, on ne combattit plus que pour l’empire[20].

Ces mots de Tacite expliquent-ils bien toute la révolution ? Le grand historien, ou mieux le grand artiste dont l’âme tragique se trouve à l’aise au milieu des plus sombres récits, aime, comme la foule, à s’en prendre aux hommes plutôt qu’aux choses, parce que celles-ci veulent être analysées froidement, tandis que ceux-là, composant la partie vivante et passionnée du drame de l’histoire, frappent les yeux du poète et des multitudes. Cependant l’homme, en tant qu’individu, n’a d’action que sur un très court espace de la durée ; et cet ensemble de volontés, d’intérêts et de passions qui forment une société, exercent une influence bien autrement persistante et forte. Qu’est-ce que tous les ambitieux qui se succèdent à Rome, à côté de Rome elle-même incessamment transformée par ses vices et par ses victoires ?

En devenant, au lieu d’une ville, un monde, Rome ne pouvait conserver des institutions établies pour une seule cité et pour un petit territoire. Avec les droits souverains personnellement exercés par chaque citoyen ait forum ou à la curie, avec les élections annuelles faites ail Champ de Mars, avec les lois discutées au Comice, la justice rendue au prétoire, les augures pris au Capitole, comment faire entrer soixante millions de provinciaux dans le cercle étroit et rigide de ces institutions municipales ? En Italie même, est-ce que les citoyens des colonies et des municipes pouvaient être désireux d’assister à ces comices qui n’avaient d’intérêt que pour l’habitant de Rome ? Une révolution était donc inévitable ; mais les Romains n’ayant pas changé à temps leur constitution de cité contre une constitution d’empire, ils perdirent l’une avant de s’être donné l’autre, et, sans lois, sans mœurs, se trouvèrent, tels qu’un vaisseau qui n’a plus ni ancres ni boussole, abandonnés à toutes les aventures[21].

Or deux choses les poussaient fatalement aux aventures menaçantes. Comme ils avaient détruit toutes les armées des peuples établis autour de la Méditerranée, ils s’étaient imposés l’obligation d’avoir une puissante organisation militaire qui devait nécessairement amener l’unité et la permanence du commandement. Et puisqu’au peuple énergique des anciens jours s’étaient substitués un sénat de parvenus sans honneur et l’immense prolétariat des affranchis, ce chef inévitable des légions pouvait aisément trouver dans Rome même l’ombre de légalité dont il avait besoin pour consacrer l’usurpation.

Supprimez de l’histoire romaine Sella et Pompée, même César et Auguste, et la république n’en sera pas moins précipitée. Le césarisme est né parce que la liberté ne pouvait plus vivre ; et la liberté se mourait parce qu’il fallait alors au monde autre chose.

Jamais les peuples ne veulent fortement deus choses à la fois. A ce moment, si l’on excepte quelques hommes plus grands par le cœur que par l’intelligence, le monde ne demandait pas la liberté ; il aspirait à la paix, à l’ordre, à la sécurité, comme, trois siècles plus tard, il courra, fût-ce au travers des supplices, vers cet avenir inconnu que la grande âme de Virgile avait entrevu, lorsqu’il annonçait une renaissance du monde.

Tacite dit très bien, cette fois, en commençant ses Annales : La terre, fatiguée de discordes civiles, accepta Auguste pour maître, et les provinces saluèrent de leurs acclamations la chute d’un gouvernement débile qui ne savait réprimer ni les magistrats avides ni les nobles insolents. Les jurisconsultes parlent de même, plus froidement, mais avec leur habituelle rigueur : De même que les circonstances, ipsis rebus dictantibus, avaient donné le pouvoir à un petit nombre, il arriva, grâce aux factions, qu’il devint nécessaire de confier à un seul le gouvernement de la république, car le sénat n’était plus capable d’administrer honnêtement tant de provinces[22].

 

III. — OCTAVE.

Ces désordres, Auguste allait les arrêter ; ces vœux des provinces, les remplir ; cette paix désirée, la donner à tous ; et il n’est resté grand dans la mémoire des hommes, malgré son médiocre génie, que parce qu’il a répondu à l’attente universelle. Porté par le flot, il a suivi le courant, mais en dirigeant avec adresse, au milieu des écueils, ce navire tant battu des orages, aux voiles déchirées, aux flancs entr’ouverts, qu’Horace voyait avec effroi retourner, avant Actium, au milieu des tempêtes ! Pilote prudent et timide, il craint la haute mer et les rivages inconnus : fortiter occupa portum ! Il s’arrête au port où la vague berce doucement et endort l’équipage aux chants mélodieux de ses poètes. Lui cependant il veille, et ce repos que le monde lui devra, il ne le connaîtra pas. L’Espagne, la Gaule, l’Asie, toutes les provinces, le verront tour à tour tracer des divisions nouvelles, ouvrir des routes, fonder des villes, organiser l’armée, les finances, l’administration, attaquer enfin et combattre, mais pour se défendre., et négocier, plutôt, de crainte que les esprits ne se réveillent au bruit des armes.

Tant de prudence n’était cependant pas nécessaire, car, dans cette ruine du gouvernement républicain, il n’était resté debout du vieil édifice rien d’assez grand ni d’assez fort qui pût être, sur la route nouvelle, un embarras sérieux. Ceux qu’on appelait les républicains étaient tombés sur les champs de bataille de Pharsale, de Thapsus, de Munda et de Philippes, ou avaient péri avec, Sextus. Le peu qui avaient survécu s’étaient, de désespoir, ralliés à Antoine ; et ceux-là encore avaient partagé son sort, ou, renonçant à des espérances quatre fois détruites en vingt ans, avaient abaissé leur orgueil devant la clémence du vainqueur.

Mais les révolutions provoquent presque toujours des complots. L’épée qu’on brise devient facilement un poignard, et quelques-uns de ceux que la victoire jette aux genoux du maître n’y restent que pour mieux marquer la place où ils devront frapper. L’expédition d’Égypte n’était pas encore achevée, quand Marcus Lepidus, fils du triumvir et neveu de Brutus par Junie sa mère, complota d’assassiner Octave à son retour et de rétablir la république. Mécène, qui commandait aux gardes de la ville, démêla aisément les projets mal combinés du jeune imprudent ; il épia ses menées avec une dissimulation profonde ; il l’enlaça de liens inaperçus, puis tout à coup, sans bruit ni tumulte, il le saisit et étouffa ce germe de nouveaux troubles[23]. L’épouse du coupable, Servilie, se donna la mort en avalant des charbons ardents. Sa mère, accusée d’avoir encouragé ses desseins, fut traînée au tribunal du consul, et on vit le vieux Lépide, pour sauver sa femme, se jeter aux pieds du juge. Ce juge était un sénateur que le frère de Junie avait autrefois proscrit ; il pouvait s’en souvenir ; il eut le cœur assez haut pour être touché de si grandes vicissitudes. Maintenant d’ailleurs on pardonnait.

Cet attentat fut, sous Auguste la seule et véritablement la dernière protestation contre l’empire. Il y aura bien encore des complots : Cépion et Murena[24] en l’an 22 av. J. C. ; Egnatius Rufus, Plautius Rufus et L. Paulus, un peu plus tard ; enfin, en l’an 4 de notre ère, le trop célèbre Cinna, et à diverses époques d’obscures tentatives d’assassinat ; mais il est difficile de dire ce qu’il y avait, dans l’âme de ces hommes, d’ambition trompée ou de noble et farouche inspiration. A en juger par les anciens récits, ce n’était pas la part des généreux instincts qui était la plus forte.

Décimé par vingt années de guerres et de déceptions, le parti républicain, pour le moment, n’existait plus, et du patriciat romain il ne restait que des gens qui tous pensaient ce qu’Asinius Pollion disait à Octave avant Actium : Je serai le butin du vainqueur. La république ! s’écrie Tacite, mais qui donc l’a vue ? Pour en retrouver une faible et dernière image, il fallait remonter à travers les deux triumvirats et les fureurs de Clodius jusqu’aux premiers beaux jours de Cicéron, c’est-à-dire plus loin que l’espace d’une vie d’homme. La génération actuelle, née dans la guerre civile et les troubles, préférait un présent tranquille à ce passé dont elle ne connaissait que les douleurs[25].

Quand une société se transforme, ce sont en effet les partis extrêmes et violents qui occupent la scène ; les modérés s’éloignent et se taisent. Mais les premiers s’usent dans la lutte, en raison même de leur énergie et au profit des seconds, qui, l’œuvre de la force achevée, ressaisissent l’influence. Ces modérés remplissaient maintenant le sénat et les charges. Ils avaient la fortune, et ne demandaient pas le pouvoir, heureux qu’un autre en prit les ennuis et les dangers. Hommes nouveaux, créatures de tous les régimes, jetés dans le sénat par tous les ambitieux qui avaient eu l’autorité, ils étaient sans crédit sur le peuple qui ne les connaissait pas. Des anciens pères conscrits ils avaient bien le costume : ils n’en avaient ni la grande existence ni l’influence respectée[26]. pour beaucoup d’entre eux, le laticlave cachait mal la braie gauloise ou la saie ibérienne. Si encore on ne les avait recrutés que de braves soldats ! Mais qui ne trouvait-on pas sur ces sièges où Cinéas avait vu des rois ! Naguère afin de sauver la dignité du corps, trop souvent compromise, il avait fallu défendre qu’on appelât des sénateurs en justice pour cause de vol et de brigandage, et on avait arrêté les poursuites contre ceux qui étaient alors accusés[27]. Quant à les voir rivaliser avec les gladiateurs, ce n’était plus une nouveauté ; un d’eux combattra tout à l’heure dans l’arène pour la dédicace de la curie Julienne[28].

Les chevaliers, occupés de la banque, du commerce, des impôts, ruinés par la guerre, enrichis par la paix et vieux alliés de César, étaient les soutiens naturels de l’ordre nouveau. Au-dessous d’eux, trois peuples romains : l’un qui courait la fortune sur la mer et dans les régions lointaines, l’autre qui la mendiait à Rome, le troisième qui s’élevait lentement dans les provinces, mais ne comptait pas encore. Le premier ne demandait que paix et sécurité ; le second que des jeux et des congiaires. Ceux-là, vieillis dans les comptoirs ou sur les navires, occupés de chiffres, de denrées et de ruses pour tromper la douane et l’acheteur, rendus humbles et serviles par le commerce, que les vieilles lois n’honoraient pas, vivaient loin de Rome et s’accommodaient de tout ce qui les laissait à leur trafic et à leurs gains. Les autres formaient une masse nombreuse qui eût été à craindre, si l’on n’avait bien su que sa politique se bornait à être amusée et nourrie. Pendant les guerres civiles, on l’avait oubliée pour les soldats, qu’elle n’aime pas ; aussi bénit-elle le retour de la paix, qui, rendant les légions inutiles, la délivre de rivaux aussi habiles qu’elle-même à exploiter la faveur du prince.

Comme on dit que nos pères, après la Ligue, étaient affamés de voir un roi, les Romains appelaient un maître, car, depuis longtemps, un des principes qui font vivre les sociétés humaines, la sécurité, avait disparu. À Rome même, on volait, on tuait en plein jour[29], et toutes les routes étaient, comme aux plus tristes temps des bandits italiens, infestées de brigands. Les bravi modernes ne prennent aux voyageurs que leur bourse, quand ceux-ci la donnent de bonne grâce ; leurs prédécesseurs prenaient le voyageur lui-même lorsqu’il était assez jeune pour faire un bon esclave ; et, comme on ne connaissait pas alors cette aristocratie de la peau qui protégea les blancs au nouveau monde, tous étaient exposés à de terribles vicissitudes. Un des premiers soins d’Octave sera de faire une guerre en règle à ces bandits et de minutieuses visites dans les ateliers d’esclaves pour délivrer les hommes libres qui y étaient retenus[30].

On voulait un maître qui donnât de l’ordre, on voulait surtout un maître qui dispensât à tous la fortune publique. Depuis cinquante ans, la propriété, en Italie, avait tant de fois changé de mains, enlevée aux uns, donnée aux autres, reprise encore, qu’elle avait, dans ces perturbations répétées, presque disparu. Car la guerre civile ruine deux fois le pays, en consommant la richesse déjà produite et en empêchant la production qui l’eût renouvelée. Sauf quelques hommes comme le Gaditain Balbus, assez riche pour léguer au peuple romain 25 deniers par tête ; comme le prudent Atticus, qui avait placé en domaines épirotes la plus grande partie de ses 10 millions de sesterces, sauf encore quelques héritiers des anciennes fortunes aristocratiques, oubliés par les proscriptions, ou quelques parvenus des guerres civiles, tous ces gens-là étaient pauvres, ruinés, mendiants. Il faudra qu’Auguste prête ou donne à tous[31]. Il perdra exprès au jeu pour faire à ceux qui ne savent pas encore tendre la main une gratification nécessaire. En une seule fois, il complétera le cens sénatorial à quatre-vingts sénateurs qui n’ont pas les 800.000 sesterces voulus par la loi[32]. Aujourd’hui c’est un édile qui abdique parce qu’il est trop pauvre[33] ; demain ce seront des chevaliers que l’empereur verra se cacher dans la foule et n’oser prendre aux jeux leur place réservée, de peur que des créanciers impatients ne viennent les y saisir. Singulier spectacle que cet homme qui paye pour qu’on accepte les honneurs qu’il donne ! qui paye pour avoir un sénat, un ordre équestre, des, magistrats ! C’est une universelle misère : lui seul est riche[34].

On refusera les honneurs, parce que les magistratures restent onéreuses, comme sous la république, et n’offriront plus en compensation les profits que Verrès y trouvait. On les refusera encore parce que le maître lui-même donnera le ton de la modération et du désintéressement. Comme lui, on affectera de vouloir se soustraire au fardeau des affaires publiques. Personne, écrit Dion Cassius (LIV, 26), ne veut entrer au sénat ; et les fils de sénateurs refusant les places de vigintivirs, qu’on leur réservait, il faudra ouvrir ces dignités aux membres de l’ordre équestre. Mécène, L. Proculeius, son beau-frère, Salluste, autre ami d’Auguste et petit-neveu de l’historien, resteront simples chevaliers[35] ; Horace, tribun légionnaire à vingt ans, ne sera jamais que scribe du trésor et écrira sa dernière épître pour se vanter de n’avoir pas eu d’ambition.

Le repos et le plaisir, cette vie molle, élégante, doucement occupée de petites choses, que chantait si bien le poète de Tibur : plus de tribune, plus de luttes ardentes, plus de ces paroles qui étaient des poignards ; la paix, le silence ; qu’un seul veille, agisse pour tous, à l’unique condition que les provinces, jadis le patrimoine de quelques familles, redeviendront par lui le patrimoine véritable du peuple romain, tel est maintenant le vœu général. Depuis quelques années, Octave l’entendait, et, aux signes de lassitude universelle, il avait compris que la violence avait fait son temps, que l’heure de la modération était venue. Cette intelligence fit sa force, car les hommes, même les plus grands, ne le deviennent qu’à la condition d’arriver à propos et de faire servir les circonstances à leur fortune. Après avoir été le chef des plus violents, Octave s’était fait peu à peu celui des modérés. On voit dans le triumvir et l’empereur deux hommes différents : c’est le même. Octave n’était pas cruel par nature, mais par position. Jeté avant vingt ans au milieu des plus difficiles affaires, sans que personne voulût le prendre au sérieux, il appela la sévérité sur son jeune visage, et sa main, à peine assez forte pour tenir une épée, signa fermement la liste des proscriptions. Alors il fallut bien croire à son énergie, à sa puissance et cesser de le traiter en enfant. Dans cette voie de sang, on ne s’arrête guère ; il s’arrêta cependant au moment où il eût peut-être tout perdu, s’il eût continué ; de sorte qu’il eut le rare bonheur de suffire à deux époques différentes d’une révolution. C’est qu’il eut toujours devant les yeux l’image de César étendu sanglant aux pieds de la statue de Pompée, pour avoir affiché trop haut son mépris des hommes et refusé de compter avec, leurs faiblesses. Ce souvenir avait appris au fils de la grande victime qu’on peut bien prendre impunément la liberté publique, qui est le bien de tous, parce qu’il y a des temps où les passions des uns, l’indifférence des autres, la peur du plus grand nombre, font bon marché du précieux héritage, mais qu’il est prudent de respecter ce qui est plus cher à chacun, la vanité et cette secrète fierté qui fait survivre l’homme au citoyen.

César avait violemment saisi le pouvoir ; Octave, à qui ces allures héroïques ne vont point le déposera après l’avoir conquis, pour le recevoir modeste ment des mains débiles auxquelles il feindra de le remettre. Il jouera jusqu’au bout ce rôle de désintéressement, en se cachant derrière d’anciens titres et de vieilles institutions, d’où toute force est sortie, mais dont la forme subsiste, innovant le moins possible, garantissant le présent, mais ne préparant rien pour l’avenir ; de sorte que l’empire, à l’exemple de son fondateur, vivra au jour le jour, sans souci du lendemain, au milieu de convulsions perpétuelles, qui ne troubleront pas nécessairement les provinces, mais qui feront du palais une arène sanglante.

Octave s’était aidé et s’aidera encore de deux hommes dont le nom, par sine justice peu ordinaire, est resté uni au sien, de Mécène et d’Agrippa. C’était durant son séjour à Apollonie qu’il s’était lié avec eux ; et, quoi qu’on ait dit de son esprit soupçonneux et cruel, il conserva toujours, dans ses diverses fortunes, les deux amis de sa jeunesse. Le premier, Mécène, plus âgé que lui de quelques années, descendait d’une illustre famille d’Étrurie[36]. Mais, ministre d’un gouvernement qui n’allait tenir aucun compte de la naissance, il se moquait lui-même de sa noblesse, tout en laissant Horace chanter son origine royale. Sa fortune le mettait dans l’ordre équestre ; il n’en voulut pas sortir. H. Vipsanius Agrippa, au contraire, était né d’une obscure maison, la même année qu’Octave, en 65, quand Cicéron gouvernait Rome avec des discours. Il se trouvait près du jeune César au moirent où arriva en Épire la nouvelle des ides de mars, et il fut de ceux qui le décidèrent à réclamer son dangereux héritage. On dirait que les dieux, pour terminer la lente agonie de la république, avaient réuni toutes les bonnes qualités de la vieille race latine dans ce fondateur de la monarchie : esprit net, mais sans éclat, travailleur infatigable, rude en ses manières[37], parlant peu, agissant beaucoup, propre à la guerre comme aux affaires civiles, et réussissant dans toutes ses entreprises, parce qu’il y mettait l’intelligence qui prépare le succès et l’énergie qui l’assure. Si le dévouement de tels hommes est, honorable pour celui qui sut l’inspirer, jamais amitié ne fut plus utile. Pour conduire une négociation difficile, pour jeter la discorde parmi des adversaires, ou rallier des mécontents, pour endormir la haine ou raffermir les amitiés chancelantes, enfin pour connaître les hommes et savoir les conduire, nul n’égalait Mécène ; pour commander et combattre, nul ne valait Agrippa. Les traités de Brindes et de Tarente, les mariages politiques d’Octave avec Scribonia, d’Antoine avec Octavie et l’avortement du complot de Lépide, voilà les titres de Mécène ; la soumission des Gaules, la défaite de Sextus et la victoire d’Actium sont ceux d’Agrippa. Ces deux hommes ont fait la moitié de la fortune d’Auguste.

Leurs services seront grands encore, mais différents. Mécène, qui a tarit aidé son maître par sa dextérité à tourner les écueils durant la tourmente, arrivé au port, s’assoit et se repose. Il s’efface et se tient loin des honneurs ; il laisse Agrippa gérer avec Auguste le consulat et la censure, administrer, bâtir des temples et des aqueducs, fonder des villes et des chemins militaires, parcourir sans cesse l’empire, et porter partout, en tout, son activité et sa lucide intelligence. Pour lui, il reste à Rome : il fait de petits vers ; il écoute Horace et Varius ; il donne de fins soupers où les parfums ruissellent ; et Auguste, qui volontiers plaisante, l’appelle l’homme au style et aux cheveux trempés d’huile. Cependant son rôle n’est pas moins sérieux : à sa table, les conversions s’opèrent, les courages farouches s’adoucissent, les vertus austères fondent au souffle du plaisir ; là on apprend toutes les joies de la paix, l’indolence, la volupté ; là surtout on oublie, et on appelle insensés ceux qui n’oublient pas. Mécène tient maison ouverte d’esprit et de mollesse, et c’est chez lui, au terme d’un joyeux festin, entre une ode épicurienne d’Horace et une élégie de Properce, que la liberté abdique en se consolant avec quelque épigramme de Domitius Marsus, que l’amphitryon lui-même applaudit.

Après les deux grands ministres, on voit autour d’Octave la froide et sévère figure d’Antistius Labéon, républicain inflexible, et pourtant, dans la science du droit, novateur ; Ateius Capiton, moins fier, et, comme lui, chef d’école ; Valerius Messala Corvinus, qu’Octave venait de prendre pour collègue dans le consulat ; Statilius Taurus, homme nouveau comme Agrippa, mais aussi homme de mérite, qui allait doter la ville de son premier amphithéâtre en pierre, comme pour dire aux Romains que leur nouveau maître ne voulait pas qu’il y eût de relâche à leurs plaisirs ; Salluste, le fils adoptif de l’historien, et Cocceius, et Dellius, et les autres amis des premières entrées : tous recrutés dans le camp ennemi, conquis par la clémence[38].

Messala Corvinus, proscrit par les triumvirs comme complice du meurtre de César, avait, à la première journée de Philippes, pris le camp d’Octave et infligé au jeune triumvir cette défaite qui lui valut tant de sarcasmes. Octave n’oublia jamais celai qui l’avait si bien battu. Quand Messala, sauvé après Philippes par Antoine, quitta ce chef insensé, Octave le combla d’honneurs, lui confia les plus importantes affaires et lui laissa vanter en toute liberté, même devant lui, les vertus de son cher Brutus. C’était un de ces hommes complets que produisent les époques agitées : grand orateur, au jugement de Quintilien, vanté par Sénèque comme un des écrivains les plus purs ; excellent général, bon administrateur et meilleur citoyen, car il défendit la république sans violence et le pouvoir sans servilité. Un autre sénateur, L. Sestius, conservait pieusement l’image et le souvenir du tyrannicide, ce qui ne l’empêchera pas d’arriver au consulat. Octave, qui voulait paraître continuer la république et honorer toutes ses gloires, se gardait bien d’interdire ce respect inoffensif pour le dernier républicain. Tite-Live, l’éloquent historien des hauts faits de l’aristocratie romaine et des beaux jours de la liberté, en sera quitte pour un surnom. blême un fils d’affranchi pouvait rappeler impunément à l’ancien triumvir qu’il avait combattu contre lui ; le poète se hâtait, il est vrai, d’ajouter qu’il avait été aussi un des premiers à fuir :

.... Relicta non bene parmula.

Mais Octave n’avait pas imposé à Horace cet aveu sans honneur. A Milan, il respecta une statue de Brutus ; il appela Cicéron, qu’il avait tué, un bon citoyen, et il chercha à effacer ses remords en nommant consul et augure le fils de la victime, bien que celui-ci eût pour principal mérite de disputer à Torquatus Triconge la réputation du plus grand buveur de Rome.

La poésie, naguère hostile avec Catulle, désarmait, comme la politique. Si Tibulle, que la guerre avait vite effrayé, boudait encore Octave, il ne chantait plus que l’amour, à l’exemple de Properce, et Tite-Live, Virgile, Horace, glorieux représentants de l’histoire, de l’épopée et de la poésie lyrique, servaient les desseins du fondateur de l’empire en célébrant la grandeur de Rome ou les destinées promises aux descendants d’Iuile.

Auprès du vainqueur d’Actium, je trouve encore un ancien ami et serviteur habile de César, Asinius Pollion, le protecteur de Virgile et, malgré les éloquents conseils d’Horace, l’historien des guerres civiles. Il avait autrefois juré à Cicéron de combattre jusqu’à la mort pour la liberté[39]. Convaincu que cette liberté n’était plus possible, il avait accepté un maître, mais sans empressement ni bassesse, et, contre le despotisme, il s’était réfugié dans le culte des lettres et l’indépendance de l’esprit. Octave estimait plus qu’il n’aimait ce grave personnage.

Munatius Plancus avait moins honorablement traversé ces temps difficiles. Lieutenant de César, puis ami de ses assassins, il était passé aux triumvirs, auxquels il abandonna son frère. A Alexandrie, bouffon d’Antoine, qu’à Lyon il avait appelé un infâme brigand, il était encore venu le dénoncer à Rome. En lui se résumaient toutes les trahisons ; mais un homme si consciencieusement dévoué au plus fort, et qui tenait école ouverte d’adulation[40], était trop utile pour n’être pas employé. Octave, qui négligeait Pollion, comblera Plancus d’honneurs, afin de bien montrer à tous quelle est maintenant la route de la fortune. Le chantre de Tibur l’appelle un sage, mais cette sagesse d’Horace est celle qu’épouvantait le nom seul de l’indomptable Caton, atrocem animum Catonis.

J’insiste sur ces deux personnages, parce qu’ils sont les représentants des deux fractions du sénat et de la noblesse : la première, résignée, cependant fière encore, mais peu nombreuse ; la seconde, qui s’accroîtra chaque jour, allant à Octave pour arriver par lui aux dignités, aux richesses et aux honneurs promis à la servilité[41].

A côté de ces hommes, il faut une place pour une femme, la première qui, dans le monde romain, ait fait sentir son influence dans les affaires politiques. Je veux parler de Livie. L’empire qu’elle avait pris sur son mari était discret et légitime. Auguste éprouvera plus d’une fois la sûreté de son jugement et l’excellence de ses conseils. Impérieuse avec ses fils, avec ses brus, elle sera pour son époux douce, complaisante, et l’empereur pourra donner en exemple, aux matrones qu’il voudra ramener aux mœurs antiques, la tenue toujours très digne et la chasteté sévère de celle qui, dans son palais, continuait la tradition de Tanaquil la fileuse[42]. Elle était fort belle : C’est Vénus pour les traits, dit Ovide, et Junon pour les mœurs ; ses bustes ne démentent pas les éloges du poète que Tacite répète. Elle avait eu de Claudius Néron, son premier mari, deux fils, Tibère et Drusus, mais elle n’en donna point à l’empereur. Si Julie, fille d’Auguste et de Seribonia, devait scandaliser Rome et la cour par ses désordres, la charmante Antonia, la femme aimante et toujours aimée de Drusus, sa mère Octavie, dont jamais un soupçon n’effleura la chaste réputation, et la petite-fille d’Auguste, cette noble Agrippine, que l’empire tout entier honora pour ses vertus, feront revivre dans la maison impériale les vieilles mœurs sabines.

Nous venons d’examiner attentivement chacun des rouages dont se composait l’immense machine, comme Montaigne appelait la Rome impériale. Résumons cette longue étude en quelques propositions générales dont nous ferons autant de questions auxquelles l’empire devra répondre, autant de problèmes qu’il sera tenu de résoudre, puisque la république les lui aura légués.

De l’Euphrate à la Manche et des Alpes à l’Atlas, nous avons trouvé une autorité souveraine, celle du peuple romain, et, sous cette unité extérieure, une infinie variété de lois de mœurs, de religions et de franchises locales. L’empire romain est fait ; mais il n’y a pas encore de nation romaine. Les empereurs sauront-ils en faire une ? En tous ces pays, la république a renversé, sauf en quelques points, les gouvernements indigènes. L’empire sera donc obligé d’administrer à leur place. Fera-t-il bonne police, et la Paix Romaine, que les peuples appellent de leurs vœux, sera-t-elle garantie par de prévoyantes institutions ?

Autour de cette immense domination, nous avons vu des peuples barbares, quelques-uns braves et turbulents, mal divisés, d’autres corrompus, tous faibles ; nul indice par conséquent, à cette heure, d’un danger sérieux. Cependant, puisque les Romains ont détruit les forces militaires de leurs sujets, ils sont tenus de défendre ceux qu’ils ont désarmés et qui les payent ; pour cette protection nécessaire, il leur faudra recourir à une nouveauté redoutable, l’établissement d’une armée permanente. Cette armée aura-t-elle l’esprit de discipline et celui de sacrifice, l’amour du pays et le respect de la loi civile ?

Le droit de commander implique encore d’autres devoirs.

Rome occupe toute la partie civilisée de l’ancien monde et elle dispose des forces que donnent l’intelligence, l’organisation sociale et la richesse. La Rome nouvelle usera-t-elle de ces forces pour augmenter l’activité du foyer où s’est allumé le flambeau qui éclaire le monde, pour en rendre la chaleur plus douce, la lumière plus éclatante, en un mot pour conserver, accroître et purifier la civilisation ancienne dont le dépôt se trouve remis en ses mains ?

Enfin l’histoire du dernier siècle de la république a prouvé la nécessité de l’empire, voilà l’excuse d’Octave. Sera-t-il capable de l’organiser ? C’est lit que nous attendons Auguste peur dire s’il a mérité sa fortune.

 

 

 

 



[1] Strabon dit (VI, 286) : L’Italie, se trouvant au milieu de tous les pays occupés par les plus grandes nations, semble faite pour leur donner la loi, et, vu leur proximité, peut les forcer aisément à l’obéissance. Voyez l’éloge que Pline en fait, Hist. nat., III, 6 : Numine deum electa quæ..., aparsa congregaret imperia, rituusque molliset et lot populorum discordes ferasque linguas sermonis commercio contraheret ad colloquia et humanitatem homini daret.

[2] Dès le temps de la guerre des pirates, l’Italie ne pouvait se nourrir elle-même. Cicéron, pro lege Manilia, 12, 15 : Eos portas quibus vitam et spiritum ducitis.

[3] Majore quidem parte Italiæ.... cum quarto responderint (Columelle, de Re rust., III, 3). Varron parle cependant de 15 pour 1 dans l’Étrurie et locis aliquot in Italia (de Re rust., I, :41). Le rendement moyen en France est de 10 à 12 ; il est parfois en Angleterre de près du double.

[4] A l’imitation de Rome, il y eut souvent des distributions de blé faites dans les villes d’Italie par de riches particuliers.

[5] Villarum infinita spatia (Tacite, Ann., III, 53). Un affranchi à demi ruiné par la guerre civile possédait encore 3600 paires de bœufs de charrue, 150.000 têtes de petit bétail et 4116 esclaves (Pline, Hist. nat., XXXIII, 47).

[6] C’était quelque chose comme l’expansion de la race espagnole au seizième siècle et de la race grecque aux temps plus anciens ; elles s’épuisèrent aussi toutes deux à peupler d’autres pays.

[7] Velleius Paterculus, II, 4 ; Val. Maxime, VI, 2, 3. Cicéron dit la même chose en d’autres termes : Sin victi essent boni, quid superesset ? Non ad servos videtis reni venturam fuisse ? (Pro Sextio, 21.) Sur le nombre immense des affranchis, voyez Tacite, Ann., XIII, 27, et Appien, Bell. civ., II, 120.

[8] Tite-Live, VII, 25.

[9] De Re rustica, in prœfat.

[10] Dion, XLIII, 25.

[11] Du moment où Marius, changeant le mode de recrutement des légions, avait pris des prolétaires pour soldats, il avait rendu indispensable le système des colonies militaires ; l’État devait des terres à ces vétérans, qui n’en avaient pas.

[12] Voyez ce tableau dans Appien (Bell. civ., V, 12 sqq.).

[13] Sur les violences des colons, voyez Tacite (Ann., XIV, 27).

[14] Mommsen (Inscr. reg. Napol., p.133) n’a trouvé que cinq cent quatre-vingt-onze inscriptions latines pour le Bruttium, la Japygie et la Lucanie, en comptant les plus insignifiantes, sur prés de huit mille qu’il a recueillies pour toutes les provinces de terre ferme du Napolitain : preuve qu’après la ruine des cités Gracques les Romains abandonnèrent cette région à leurs pâtres et à leurs fermiers. La vie municipale s’éteignit presque là où elle avait été, sous la race hellénique, si active.

[15] Strabon, V, 4, 5. Le mont avait pris le nom de la villa, qui en grec a littéralement le même sens que le Sans-Souci de Frédéric II. Baïes était une dépendance de Cumes. Voyez Orelli, n’ 2261, et la curieuse inscription (id., n° 152) où un Grec bavard célèbre en distiques latins, quelquefois aux dépens de la grammaire, les agréments de Baïa et les délices de la mer. La grotte du Pausilippe, longue de 730 mètres, fait communiquer Naples et Pouzzoles.

[16] Martial, I, LXII.

[17] Ad Atticum, XI, 17.

[18] Strabon, V, 4, 13.

[19] Voir Appien (Bell. civ., II, 48).

[20] Histoires, II, 38.

[21] Voir ce que Dion fait aussi dire à Mécène (LII, 16).

[22] Pomponius (Digeste, I, 2, 2, § 11) : .... nam senatus non omnes provincial probe gerere poterat. Florus (IV, 5) dit aussi : Quod [imperii corpus] .... numquam coire.... potuisset nisi unius præsidii nutu quasi anima et mente regeretur. Voyez, dans Philon, de Legat. ad Caium, p. 1015, le cri de reconnaissance que jette l’écrivain en rappelant les bienfaits du gouvernement nouveau qui a remplacé le gouvernement de plusieurs par le gouvernement d’un seul, et aussi plus loin, p. 1055 b.

[23] Le jeune Lépide envoyé à Octave en Asie y fut mis à mort. (Tite-Live, Épitomé, CXXXIII.)

[24] C’est ce Murena, beau-frère de Mécène, qu’Horace tâcha de ramener à de sages conseils par sa belle ode (II, X) où il lui vante le bonheur de la médiocrité, l’aurea mediocritas. Murena et ses complices, condamnés par défaut à l’exil, furent égorgés peu de temps après. (Dion, LIV, 1.) Le même auteur parle, pour l’an 4 de J. C., d’un complot formé par un petit-fils de Pompée, Cornelius Cinna, que Corneille a rendu fameux. (Id., LV, 22.)

[25] Tacite, Annales, I, 2.

[26] Suétone les appelle : deformis et incondita turba (Octave, 55).

[27] Dion, XLIX, 45, en l’an de Rome 721, durant l’édilité d’Agrippa.

[28] Dion, LI, 22.

[29] Voyez le dialogue de Varron, de Re rust., I, 69. L’auteur, pour clore l’entretien, suppose l’assassinat, en plein jour et en pleine rue, du gardien du temple de Tellus, où les amis s’étaient réunis. Le calme avec lequel Varron raconte ce meurtre prouve que c’était un des incidents les plus ordinaires à Rome. Nous nous en allâmes, dit-il, plus émus du malheur de l’homme qu’étonnés du fait, quam admirantes id Romæ factum.

[30] Suétone, Tiberius, 8. Octave se vante d’avoir rendu à leurs maîtres, pour être suppliciés, trente mille esclaves fugitifs. (Monument d’Ancyre, n° 23.)

[31] Suétone, Octave, 41.

[32] Dion, LV, 13.

[33] Dion, XLVIII, 53 ; LI, 2 ; LIV, 10. On ne veut plus être sénateur, dit-il (LIV, 26).

[34] Suétone, Octave, 40. Voyez, dans Sénèque (de Benef., III, 27), une anecdote sur ce sénateur Rufus, si lâche et si avide. En voyant ce qu’une crise politique cause de misère dans nos sociétés modernes, on comprendra ce que vingt années de guerres civiles devaient en produire dans Ies sociétés antiques, qui avaient si peu de capital, et où ce faible capital était en bien peu de temps consommé ou détruit. Dans l’antiquité, l’homme ne s’était encore approprié d’autre agent naturel que le sol. En économie rurale, il avait fait de grands progrès pour la domestication des animaux et l’acclimatation des plantes, mais il n’avait guère d’autres outils que ses bras et possédait fort peu de machines, de sorte qu’il y avait un labeur immense et peu de produits : c’est là ce qui légitimait l’esclavage aux yeux des hommes les plus graves. Tant que la paix durait ou qu’il ne fallait subvenir qu’aux nécessités de la guerre extérieure ; le travail ordinaire, tout en faisant une énorme consommation d’hommes, suffisait. Mais quand la guerre était partout, elle commençait d’abord par désorganiser l’esclavage ; les esclaves désertant en foule, le travail s’arrêtait, la production était suspendue, et, comme cette société vivait au jour le jour, sans capital accumulé, la misère devenait promptement épouvantable.

[35] Tacite, Annales, III, 30. L’an 21 av. J.-C. on ne trouva pas de questeurs pour les provinces sénatoriales, de même pour le tribunat quelques années plus tard. En l’an 13, Auguste fut obligé de retenir ou de rappeler de force dans le sénat des membres qui ne voulaient plus d’un titre inutile.

[36] Les Cilnius. (Horace, Carmina, I, I ; Satires, I, VI.) Sur les faiblesses de Mécène, dont je n’ai pas à m’occuper ici, voyez Sénèque, de Prov., 3 ; de Benef., IV, 36, et Lettres, 19, 92, 106, 114.

[37] Pline, Hist. nat., XXXV, 9.

[38] Sénèque, de Clementia, I, 10 1.

[39] Cicéron, ad Familiares, X, 51.

[40] Voyez, dans Sénèque, Quæst. natur., lib. IV, in præfat., sa théorie de la flatterie ; il l’analyse et en donne les règles. C’était le programme des nouvelles mœurs publiques.

[41] Tacite, Annales, I, 2.

[42] Suétone, Octave, 71, 84 ; Dion, LYIII, 2 ; Sénèque, de Clem., I, 9. Caligula appelait Livie un Ulysse en femme, Ulyssem stolatum (Suétone, Caius, 23) ; mais, pour Sénèque (Consol. ad Marc., 4), elle était feminant opinionis suæ custodem dilligentissam. Macrobe la montre (Saturnales, II, V) toujours entourée dg graves personnages, et Tacite dit (V, 1) : Sanctitate domus priscum ad morem, vomis ultra quam antiquis feminis probatum, mater impotens, uxor facilis. Auguste ne portait d’autres vêtements que ceux qu’avaient tissés sa femme et sa fille (Suétone, Octave, 74). Ovide dit (Pont., III, 1, 117) :

Quæ Veneris formant, mores Junonis habendo....

Nous pourrions douter de la sincérité du poète, mais Octave la prit à Néron, dit Tacite, cupidine formæ (Ann., V, 1).