HISTOIRE DES ROMAINS

 

SEPTIÈME PÉRIODE — LES TRIUMVIRATS ET LA RÉVOLUTION (79-30)

CHAPITRE LXIII — LES PAYS ALLIÉS OU TRIBUTAIRES ET LES PEUPLES VOISINS DES FRONTIÈRES.

 

 

I. — DU GOUVERNEMENT PAR LES INDIGÈNES.

Les provinces n’étaient pas les seules possessions de la république. A des titres différents, Rome dominait sur de vastes régions qu’on nommait les pays alliés, parce qu’on leur avait laissé avec les dehors de l’indépendance une douteuse liberté, regiones dubix libertatis.

Tacite, parlant des rois qui avaient conservé leur trône en subissant l’alliance de Rome, les appelle, dans son grand style, vetos servitutis instrumentum. Mais Strabon dit plus simplement : De tous les pays qui forment l’empire romain, les uns sont gouvernés par des rois ; le reste, sous le nom de provinces, est immédiatement administré par les Romains. Il y a aussi des villes libres ; quelques pays enfin sont gouvernés par des dynastes, des phylarques, des prêtres, et reconnaissent la souveraineté de la république, quoiqu’ils vivent conformément à leurs propres lois. Ces princes étrangers, ces magistrats de cités libres, ces chefs nationaux qui se faisaient les ministres de Rome, donnaient de la force à son empire, sans augmenter ses dépenses, ce qui satisfaisait à la fois son avarice et son orgueil.

Le sénat n’aimait pas à multiplier les armées et les fonctionnaires. Ayant à contenir et à défendre soixante millions d’hommes avec quelques milliers de soldats et quelques centaines d’agents, il avait gouverné le plus possible par les indigènes. Et il avait eu raison, car le peuple romain n’était, au milieu des nations soumises, qu’une imperceptible minorité ; et cette minorité si faible, il ne fallait pas l’user à force de la faire servir.

Agir ainsi n’était point, comme Tacite le donne à croire, astuce odieuse, mais prudence. Lui-même dit en un autre endroit : On rendit aux Rhodiens la liberté, qui leur avait été souvent reprise ou confirmée, selon qu’ils avaient bien mérité de Rome par leurs services, ou compromis la paix publique par leurs discordes intestines. Rome, d’ailleurs, maîtresse incontestée du monde, n’en était plus réduite aux combinaisons machiavéliques qu’elle avait pu employer aux jours de sa faiblesse. Ces rois qu’elle conservait ne commandaient qu’à des populations dociles et peu nombreuses ; qu’elle dise un mot, et ils tomberont sans même exciter un murmure, car ils ne sont, tout le monde le sait, que des proconsuls romains[1]. Comme elle avait laissé leurs lois aux républiques de la Grèce, elle laisse les chefs qu’ils préfèrent aux peuples habitués à l’autorité d’un roi ou d’un prêtre, surtout aux tribus nomades, qui n’avaient point de villes par où Rome pût les tenir ; mais, rois, peuples ou cités, tous savent qu’ils ont un maître aux bords du Tibre. En l’an 29, Antiochus, roi de la Commagène, assassine un député que son frère envoyait à Rome ; il est cité devant le sénat, qui le condamne, et Auguste le fait exécuter[2].

Tout l’empire de Rome était donc ainsi divisé : d’un côté, les pays directement gouvernés par elle ; de l’autre, ceux qu’elle faisait administrer par les nationaux. Les premiers étaient les contrées, comme la Gaule et l’Espagne, où les vainqueurs n’avaient pas trouvé, au milieu de mille États barbares, de gouvernement local assez fort pour leur répondre de la soumission du pays. Là ils avaient été obligés de faire eux-mêmes leurs affaires, d’organiser l’administration, de percer des routes, de fonder des villes. Dans la Grèce d’Europe et d’Asie, ils continuèrent à parler de la liberté hellénique, mensonge qui leur avait tant servi, et, pour s’éviter l’ennui d’une intervention continuelle au milieu de populations querelleuses et bavardes, ils trouvèrent commode, malgré l’érection des pays en provinces, de conserver l’autonomie à un grand nombre de cités.

Plus loin, vers l’Arménie et l’Euphrate, il y avait à faire la police des frontières : qui pouvait mieux s’en charger, si loin de I’Italie, que les gouvernements indigènes ? Par les rudes leçons de Sylla et de Lucullus, de Pompée et de César, ces princes avaient appris quelles étaient la force de Rome et leur propre faiblesse. Ils acceptaient donc leur rôle avec résignation ; et, l’hérédité leur étant à peu prés laissée[3], ils considéraient leur royaume comme un patrimoine où ils avaient intérêt à maintenir l’ordre et la sécurité en veillant pour Rome sur les mouvements des nations voisines.

Rois et dynastes de Thrace et d’Asie Mineure. — C’était en Thrace que l’on commençait à trouver des rois alliés. Ils s’étaient partagés prudemment, dans les guerres civiles de Rome, entre les deux factions, afin que l’ami du vainqueur sauvât celui du vaincu. Rhœscuporis avait servi Brutus ; son frère Rhœscus, les triumvirs, qui pardonnèrent au premier en faveur du second. Ces relations introduisaient dans le pays quelques habitudes romaines ; mais les Thraces n’en restaient pas moins des Barbares malgré les vers latins de Cotys[4] ; et dans l’Hæmus habitaient des peuplades misérables et féroces qui devaient à leurs continuels brigandages le. surnom de bandits. Les couleurs dont Hérodote et Thucydide peignaient ces peuples, quatre siècles auparavant, étaient encore vraies, car Tacite emploie les mêmes. Ils se tatouaient le corps, achetaient leurs femmes et souvent vendaient leurs enfants. Ils regardaient comme indigne d’un guerrier de labourer la terre, et ne connaissaient d’autres sources de gain que la guerre ou le vol. Ils immolaient à leur dieu, que les Grecs appelaient Hermès, des victimes humaines ; et le sanctuaire d’une autre de leurs divinités s’élevait au centre d’une forêt profonde, sur la plus haute cime du Rhodope. De telles mœurs ne font pas les peuples nombreux et forts. La Thrace, mal peuplée, est encore une gêne, mais n’est pas un péril. Quand les peuples barbares dégénèrent, quand ils perdent leur sauvage énergie, la chute est plus prompte, plus irrémédiable que pour les nations civilisées. Les Thraces de Thucydide étaient à redouter, ceux de Tacite ne sont que misérables.

En Asie, plus de la moitié des domaines de la république avait gardé des chefs nationaux. La Cappadoce, grande plaine glacée l’hiver, brûlante l’été, çà et là marécageuse, et en beaucoup d’endroits, imprégnée de substances salines qui arrêtent le développement de la végétation, était riche pourtant en grains, mais privée de bois et d’arbres à fruit. Elle manquait de villes, par conséquent d’industrie, et, en échange, elle avait beaucoup de châteaux forts, d’où les rois, leurs ami est les nobles tenaient dans l’obéissance une population lourde, sans énergie, aussi mal famée à Rome qu’elle l’était déjà à Athènes du temps d’Aristophane et qui avait grandement scandalisé les Romains, en refusant naguère la liberté que le sénat lui avait offerte. Ses rois qui sur leurs monnaies s’intitulaient amis des Romains, φιλορώμαιος, n’usaient cependant pas envers elle d’une autorité bien paternelle. Quand leurs revenus baissaient, ils faisaient, pour couvrir le déficit, la traite de leurs sujets. Un des derniers, le frère de cet Ariobarzane III dont les exigences usuraires de Pompée et de Brutus avaient fait un si pauvre prince, s’était plu un jour à boucher une des issues du Melas, et avait changé en un lac toute une immense plaine. Il voulait se faire une mer Égée au milieu des terres, avec des îles disposées en cercle comme les Cyclades. Mais le fleuve rompit ses digues et inonda les terres des Galates. Ceux-ci se plaignirent au sénat, qui fit payer à Ariarathe cette fantaisie royale 500 talents.

Le premier personnage de l’État était, après le roi, le grand prêtre de Mà ; nommé à vie et toujours choisi dans la famille royale, il possédait tous les privilèges de la souveraineté. A Comana, six mille esclaves des deux sexes étaient attachés au service du temple, dont les revenus étaient considérables. Celui de Jupiter, dans la Morimène, en avait trois mille, avec un revenu annuel de 15 talents pour le pontife, qui tenait le premier rang après le grand prêtre de Comana. Cette population, fort superstitieuse, se partageait, comme on voit, entre ses rois, ses nobles et ses prêtres, docilement soumise à tous. Antoine avait, en l’an 36, chassé Ariarathe et donné sa place a Archélaüs.

Prés des Cappadociens habitaient les Galates, autrefois divisés en trois peuplades qui formaient chacune quatre tétrarchies. Les douze tétrarques et les juges expédiaient les affaires ordinaires ; mais, quand il s’agissait d’un meurtre un jury de trois cents guerriers se réunissait à l’ombre des chênes et prononçait. Cette organisation, souvenir de la première patrie, s’était peu à peu modifiée : chaque tribu n’avait plus eu qu’un chef, puis tout le peuple s’était partagé entre deus princes ; plus tard encore, Dejotarus avait reçu du sénat le titre de roi avec la Petite Arménie. Quelque temps avant Actium, Antoine, comptant peu sur le vieux monarque, avait donné à son général, Amyntas, une partie de la Galatie avec les régions montagneuses et infestées de brigands qui s’étendent au sud jusqu’à la mer de Chypre. Tous deux n’en firent pas moins défection la veille de la bataille, et, par cette trahison, sauvèrent leur couronne, qu’Auguste leur laissa. Pessinonte, si fameuse par son temple de Cybèle, n’avait plus l’image de la déesse, depuis longtemps à Rome, et ses grands prêtres avaient perdu l’autorité et les immenses revenus qui les rendaient égaux aux rois. Son commerce seul lui restait, grâce à sa position au centre de la péninsule.

Durant une expédition des Parthes dans l’Asie Mineure, un rhéteur avait sauvé la ville de Laodicée. Son courage et son éloquence furent magnifiquement récompensés. Antoine, si prodigue du titre de roi, le plaça bien cette fois, en le donnant à Palémon, le fils du rhéteur, avec la garde de toute la frontière orientale, depuis le Pont-Euxin jusque vers la Cilicie[5]. Polémon se montra si habile, qu’Auguste ne songea pas à punir de l’amitié d’Antoine un homme qui se chargeait de surveiller, pour le compte de l’empire, les rois d’Arménie. Il conserva aussi le prince de Samosate, qui, dans l’angle compris entre le mont Amatius et l’Euphrate, rendait les mêmes services au sujet des Parthes ; mais il dépouilla, dans la Cilicie orientale, les fils de Tarcondimotos, mort à Actium, dans les rangs des antoniens.

Eu Syrie, Damas avait reçu garnison romaine, mais la province renfermait une foule de chefs arabes ou juifs, les uns pillards insoumis, les autres se partageant entre les Romains et les Parthes, les meilleurs étant toujours d’une fidélité douteuse. Un d’eux est arrivé à une triste célébrité : je veux parler d’Hérode.

Hérode et les Juifs. — Pour devenir maître d’un État de 30 à 40 lieues de long, cet usurpateur avait déployé plus de bravoure, d’adresse et de cruauté, plus de vices et de talents qu’il n’en eût fallu pour la conquête d’un empire. Mais Hérode avait affaire à une race indocile et opiniâtre qui ne se laissait vaincre que par celui qui pouvait l’écraser, et il l’avait domptée par les supplices. Il était d’un pays et d’une époque où l’on donnait, où l’on recevait la mort avec une facilité qu’heureusement nous ne comprenons pas ; et, de tous ceux qui eurent alors ce triste droit du sang, personne n’en abusa comme lui. Ses amis, ses proches même, périrent ; sa femme, la belle Mariamne, fut décapitée ; il fit étrangler deux de ses fils, et, cinq jours avant sa mort, il ordonna encore le supplice d’un troisième. Sûr de la haine du peuple et voulant cependant que sa mort fût pleurée, il réunit dans l’hippodrome de Jéricho les principaux de la nation et commanda qu’on les tuât dès qu’il aurait rendu l’esprit, afin que le deuil et un deuil véritable fût dans tout le pays. Quand il eut expiré, sa sœur Salomé cacha sa mort durant un jour et scella de l’anneau royal un ordre de délivrance. L’Orient fait bon marché de la vie ; il aime la force et la magnificence ; Hérode, qui savait effrayer et éblouir, régna trente-quatre ans et reçut le titre de Grand.

Il descendait d’une race odieuse aux Juifs ; son père, l’Iduméen Antipater, avait été, en Judée, l’agent de César, et lui-même devait toute sa fortune à Antoine. Après la bataille d’Actium, il se rendit à Rhodes auprès du vainqueur et lui avoua noblement son amitié pour son bienfaiteur. Octave, fatigué de bassesses, prit plaisir à rencontrer un homme ; il lui laissa son royaume, qu’il augmenta de tous les dons faits à Cléopâtre aux dépens de la Palestine, mais sans diminuer l’impôt énorme que Pompée avait établi, le quart des récoltes et la capitation[6].

Cependant ces Romains semblent avoir eu un respect involontaire pour les doctrines si pures du culte mosaïque. Strabon les admire, et, malgré son mépris hautain pour un peuple qu’il connaît mal, le superstitieux Tacite leur rend hommage[7]. Quand Pompée prit Jérusalem, il respecta les trésors du temple ; Agrippa y sacrifia, comme autrefois Alexandre, et les gouverneurs que Rome envoya aux Juifs, loin de s’offenser du zèle intolérant de ce peuple, relevèrent l’éclat de ses fêtes en y associant l’autorité impériale[8]. Un signe plus certain serait les privilèges accordés aux Juifs déjà répandus en grand nombre dans toutes les provinces : l’égalité avec les habitants des villes où ils étaient établis, sans l’obligation de contribuer aux charges de la cité, la permission d’observer partout leurs lois et leurs fêtes, même l’exemption du service militaire. Tuais ces édits, qui leur auraient assuré d’étranges avantages, sont ils authentiques ? On en a douté ; quelques articles au moins sont suspects.

Chef de ce peuple, Hérode profita habilement pour lui-même de ces traditions de la politique romaine ; il obtint la faveur d’Auguste, qui le chargea de débarrasser de brigands les environs de Damas. Mais un jour que le roi juif poursuivit les bandits jusque sur les terres des Arabes Nabatéens, l’empereur crut à une expédition sérieuse, à des projets de conquête, et réprima durement l’ambition de son vassal. Jusqu’à présent, lui écrivit-il, je t’ai traité comme un ami ; à l’avenir je te traiterai comme un sujet. Hérode s’humilia.

Cependant, pour plaire au maître, il n’épargnera rien : statues, temples, villes de marbre, seront élevés en son honneur sous les yeux des Juifs indignés de ces nouveautés sacrilèges ; mais, imbu des mœurs grecques, Hérode n’était plus un prince israélite. Il pensionnait des poètes à Rome, il distribuait des prix aux jeux d’Olympie, il adorait la divinité des fondateurs de l’empire, et, en même temps, il effaçait l’une après l’autre toutes les institutions chères à son peuple ; le souverain pontificat et le sanhédrin étaient avilis, les lois nationales étaient méprisées, et la terreur planait sur toutes les têtes fidèles à l’ancien culte.

Mais les Juifs n’étaient pas seulement en Judée. Ce petit peuple avait pullulé avec une incroyable fécondité[9], et pour lui la dispersion était commencée. Il serait difficile, dit Strabon, de trouver un lieu sur la terre habitable qui ne les eût reçus et où ils ne fussent fermement établis. A Alexandrie, ils occupent une grande partie de la ville et ils y forment comme une république vivant sous ses propres lois[10]. A Cyrène, en Asie Mineure, dans la Thrace, dans les îles, à Corinthe, ils étaient en grand nombre, même à Rome, où ils firent éclater tant de douleur à la mort de César. A Babylone, Hyrcan en trouva toute urne tribu. A Séleucie, plus de cinquante mille furent tués cri une fois ; autant seront égorgés à Alexandrie, sous Néron. Dés le temps de Mithridate, ceux d’Asie Mineure étaient assez riches pour envoyer à Cos, en dépôt, 800 talents. Tous les ans le temple de Jérusalem recevait leurs offrandes : une double drachme fournie par chaque émigré[11] ; car, avec l’indomptable ténacité de leur race, c’était vers le temple de Salomon que se tournaient leurs prières, quand ils ne pouvaient venir y célébrer leurs rites. Josèphe prétend qu’à une fête on en compta deus millions sept cent mille dans la cité sainte[12].

Chose étrange, deux petits peuples, nés sur une terre stérile, mais tous deux d’une inépuisable fécondité, couvraient et se disputaient l’Orient. L’histoire des vouges apostoliques de saint Paul montre, dans toutes les cités, des synagogues en face de l’école grecque ; et comme si les deux civilisations allaient à la rencontre l’une de l’autre, les Juifs pénètrent en Grèce jusqu’au pied du Parthénon, d’où ils menacent la fille de Jupiter, et la civilisation grecque avance triomphante jusqu’en Judée, où elle consacre à Pan et aux Nymphes l’antre d’où sort le Jourdain[13]. C’est en grec que les apôtres annonceront la nouvelle loi des Juifs ; en grec aussi que l’ancienne a été traduite par les Septante et que leurs successeurs vont la défendre. Mais, avec la langue de Platon, bien des idées platoniciennes ont pénétré dans ce monde mosaïque si longtemps fermé ; à ne regarder qu’il la surface, il semble que le polythéisme et le judaïsme sont déjà près de s’entendre, puisque Ies hommes éminents de la Grèce et de Rome ne croient plus guère qu’à un seul Dieu et que Josèphe et Philon sont, comme leurs descendants, des philosophes déistes bien plus que des docteurs de la loi. Mais la foule n’accepte pas, sans de cruels combats, ces compromis qui se font au-dessus de sa tête entre les grandes intelligences, et des flots de sang couleront avant que l’accord s’établisse.

Dans leurs colonies les plus lointaines, les Juifs vivaient à part, de mille industries parfois suspectes, et, malgré leur apparente humilité, pleins d’orgueil pour la pureté de leur race et de leur croyance ; pleins de mépris pour ces populations lettrées, artistes, légères et rieuses, qu’ils exploitaient en se courbant devant elles.

En Judée même, la répulsion que la masse des Juifs éprouvait à l’égard des idées étrangères s’augmentait de toute la haine excitée par un prince qui s’était fait le représentant d’une union réputée sacrilège et qui tenait ce peuple, à la tète dure, sous un despotisme inexorable. Aussi la Judée se trouvait-elle dans un étrange état moral. Ires esprits y étaient agités d’une fermentation singulière, que l’immense ébranlement causé par la chute de la grande république accrut encore. On se sauvait du présent par les illusions de l’avenir ; les prophéties mazdéennes sur le Libérateur qui avaient pénétré de la Perse dans la Palestine fortifiaient, en la précisant, l’ancienne croyance au Messie, et les livres apocalyptiques annonçaient la prochaine venue du règne glorieux et saint d’un fils de David[14]. A Jérusalem, six mille Pharisiens avaient refusé le serment de fidélité à Hérode et prédisaient l’avènement d’un roi qui accomplirait des miracles[15].

Ce maître, tout l’Orient l’attendait, et, dans la Judée, plusieurs se croyaient appelés à réaliser la prophétie[16]. C’était donc à Jérusalem, en face du roi hellénisé, assis dans la chaire de David, qu’allait s’engager le grand combat des croyances.

 

II. — FRONTIÈRE DU NORD.

Pour compléter cette étude du monde romain, il reste h passer la revue des peuples qui bordaient la frontière de l’empire et qui seront incessamment mêlés à son histoire, quelques-uns même compris dans ses limites.

Bretons. — La Bretagne se rattachait à la Gaule par sa population de même origine, ses druides affiliés à ceux du continent et quelques relations de commerce, mais pas encore par la dépendance politique. Malgré sa double expédition, César s’était contenté d’un faible tribut, que les insulaires, avaient vite oublié de payer. Octave, après quelques menaces, renonça tout à fait à cette mauvaise créance, ayant reconnu que la conquête de la Bretagne était moins nécessaire que le proconsul ne l’avait pensé à la sécurité de la Gaule[17]. Mais César avait deviné juste pour l’Est. Au delà du Rhin, il y avait un péril toujours à craindre, parce que les tribus qui se pressaient le long du fleuve étaient la tête de colonne du monde barbare en marelle depuis des siècles vers les pays de l’Occident[18]. Jamais les Gaulois n’avaient su défendre le passage du fleuve[19] ; les Belges, les Cimbres, l’avaient franchi, et les Suèves avaient eu quelque temps une province en Gaule. Les cent vingt mille guerriers d’Arioviste étaient l’avant-garde de ce grand peuple dont les tribus s’étendaient des sources du Danube jusqu’à la mer Baltique. Aussi la victoire de César n’avait pas ébranlé sa puissance, et c’était devant lui que fuyaient, au nombre de quatre cent mille, les Usipiens et les Tenctères, quand ils rencontrèrent encore les légions du proconsul, qui les rejetèrent, après un furieux massacre, sur la rive droite du Rhin. On a vu les mesures prises par Agrippa pour prévenir le retour de ces tentatives ; suais l’habileté des chefs, le courage des légions et toutes les précautions défensives ne feront que retarder le péril. En venant se heurter à la Germanie, Rome y a trouvé une guerre qui, commencée au bord du Rhin avec Arioviste, finira aux rives du Tibre, avec Alaric.

Germains. — Les légions n’avaient pas encore assez inquiété les Germains pour que, sous la menace de l’invasion, ceux-ci eussent rapproché leurs peuples et formé de vastes confédérations comme ils en auront plus tard. Dans leurs plaines sans limites et sous leurs forêts séculaires, dont une seule avait une longueur de soixante journées de marche, fermentait un chaos de peuplades prolifiques, gens numerosa, qui étaient invincibles, parce qu’un conquérant étranger n’aurait su où les saisir. Point de villes dans lesquelles se concentrât la vie nationale : ils n’avaient que de pauvres et innombrables villages, épars dans les cantons, pagi. Point de temples : ils n’étaient pas capables d’en élever ; point de statues des dieux : ils n’auraient su en faire ; ils adoraient cette nature qu’ils aiment tant encore, la terre, les sources, les montagnes, les forêts pleines de mystère et de religieuses terreurs. Point de caste sacerdotale, point non plus d’aristocratie guerrière qui les tînt sous le joug, quoiqu’ils eussent reconnu à leurs prêtres le droit de punir certaines fautes ; mais des devins, hommes et femmes, des sacrifices de chevaux, quelquefois d’hommes ; et l’avenir cherché dans les entrailles des victimes[20]. Enfin leurs chefs étaient élus parmi les plus braves[21]. Si les rois, choisis dans des familles consacrées, devaient cette dignité à leur naissance, simples représentants de la tribu, ils n’avaient d’autre prérogative que de maintenir l’unité nationale ; le conseil des chefs, puis le peuple, examinait les plus importantes affaires, de minoribus rebus principes consultant, de majoribus omnes, et l’on décidait par le suffrage des armes, en frappant les glaives contre les boucliers. Ils ne chargeaient même pas l’autorité publique de réprimer les crimes privés ; l’offensé vengeait lui-même son injure, ou lui et les siens forçaient l’agresseur à fournir une compensation payée en bétail.

Ainsi, ni la religion ni l’organisation sociale n’arrêtaient, chez les Germains, l’élan de leur fougueuse nature. Et cette liberté, ces ardeurs d’un sang trop jeune, ils les dépensaient dans les combats et dans des jeux presque aussi terribles : sauter au milieu des glaives et des framées menaçantes, ou descendre sur leurs boucliers, à travers les précipices, la pente rapide des montagnes. Après la victoire venaient les orgies sans fin : tout le butin y passait. Au réveil, on recommençait les courses lointaines. Car un homme libre, un fils de ce dieu Tuiston qu’ils célébraient dans leurs chants nationaux[22], ne travaillait point ; il eût rougi d’amasser par la sueur ce qu’il pouvait gagner avec du sang. Ses esclaves, pris à la guerre ou achetés, et sa femme avaient le soin du troupeau, sa principale richesse, ou labouraient le champ ; pour lui, jamais, même dans les festins, il ne quittait ses armes. Comme chez les Peaux-Rouges, la chasse et les combats devaient seuls occuper un guerrier[23]. La religion réfléchit les mœurs et les pensées intimes des croyants : au Walhalla, l’Olympe des Germains, il n’y aura que continuelles batailles et festins prolongés.

Les femmes germaines étaient les dignes compagnes de leurs époux. Le jour des fiançailles, elles recevaient en présent des bœufs, un cheval de guerre, un bouclier avec le glaive et la framée[24] ; ces dons virils leur annonçaient qu’elles auraient à prendre leur part dans les dangers sic vivendum, sic pereundum. Le sang ne les effrayait pas. On rapporte ses blessures à une mère, à une épouse, et celles-ci ne craignent pas de compter les plaies, d’en sonder la profondeur. Dans la mêlée, elles donnent aux combattants des vivres et des encouragements. On a vu, dit-on, des armées chancelantes et à demi rompues que des femmes ont ramenées à la charge en présentant leur sein aux fuyards, en leur montrant la captivité pire que la mort.... Aussi croient-ils qu’il y a dans ce sexe quelque chose de divin et de prophétique. Ils ne dédaignent pas ses conseils et n’oublient point ses prédictions.

A Rome, c’est en prenant la toge, l’habit de la cité et de la paix, que le jeune homme était fait citoyen ; chez les Germains, ce n’était qu’après avoir reçu dans l’assemblée publique le bouclier et la lance qu’il pouvait s’asseoir parmi les guerriers. De ce jour, il s’attachait à un chef renommé. Il y a, disait Tacite, une grande émulation parmi les compagnons pour la première place auprès du chef, et parmi les chefs, pour avoir les compagnons les plus nombreux et les plus braves. Dans l’action, il serait honteux pour le chef d’être surpassé en courage ; pour ses compagnons, de ne pas l’égaler en bravoure. Qui oserait revenir d’un combat où le chef est mort serait déshonoré pour sa vie entière. Si la cité languit dans l’oisiveté d’une longue paix, les chefs vont offrir leur courage aux nations qui sont en guerre, tant le repos leur est à charge, tant ils savent que la gloire est dans les périls et là aussi les moyens de garder autour d’eux une suite brillante ; car les compagnons n’ont d’autre solde que la table du chef et ses dons militaires, un cheval de bataille, une sanglante et victorieuse framée. Ces associations de périls et de gloire formeront les bandes aventureuses qui, durant quatre siècles, harcèleront sans relâche l’empire romain, en lui portant mille coups pour un qu’il saura parer.

La Germanie ne se morcelait pas tout entière en ces groupes isolés, excellents pour le pillage, pour une pointe hardie, mais incapables de soutenir une lutte sérieuse contre des troupes organisées. Elle avait de grands peuples qui agissaient parfois en corps de nation et alors devenaient redoutables. Les Cimbres, les Teutons, les Suèves et les Tenctères, que nous avons vus en Gaule ; les Bructères, les Chauques, les Chérusques et les Marcomans, que les légions iront combattre en Germanie, étaient de puissantes agglomérations d’hommes : les uns ont déjà fait trembler les soldats de Marius et de César, les autres extermineront ceux de Varus.

Au-dessous des guerriers, les lites, qui, sans être esclaves, n’étaient point libres : c’étaient les restes ou les descendants de peuplades vaincues. Ils avaient femmes et enfants ; ils pouvaient ester en justice ; mais ils n’entraient pas à l’assemblée publique et travaillaient au profit de ceux qui les avaient pris sous leur patronage, mundium.

Tacite assure que cette société grossière et brutale traitait l’esclave avec douceur, respectait la femme, ouvrait à l’étranger la porte de chaque maison et garantissait à l’accusé le jugement de ses pairs : plus d’une coutume de l’Europe féodale y était contenue en germe. Ces rois, par exemple, que nous trouvons sans pouvoir, mais entourés d’un religieux respect, sortiront de leurs forêts et de leur obscurité pour monter au trône de Clovis ; et quelques-uns de ces chefs auxquels leurs compagnons se donnent à la vie, à la mort, seront les ancêtres de nobles seigneurs qui devront leur puissance au dévouement de leurs fidèles[25]. Quand ces hommes violents ; au regard féroce, le corps à demi couvert par la dépouille des aurochs ou des bêtes fauves, chantent, la bouche serrée contre le bouclier, leur hardi t sauvage, il n’y a cœur si ferme qui ne tremble ; mais leurs yeux bleus et vagues, leur frais visage ombragé d’une blonde chevelure, disent que ces enfants terribles s’apaiseront un jour et se laisseront conduire par la voix amie qui réveillera en eux les instincts naïfs. Le Sicambre adouci baissera la tête, pour écouter les oiseaux du ciel, les mille bruits mystérieux des grands bois, ou les hymnes des prêtres se perdant sous les arceaux des cathédrales gothiques ; plus tard, il sera poète rêveur et savant curieux ; mais toujours il gardera quelque chose de sa brutalité native et souvent son inconscience du bien et du mal.

Beaucoup de traits de ce tableau sont empruntés à l’historien poste qui s’est plu à embellir les mœurs des Barbares pour les opposer aux vices des Romains. Le livre de Tacite est l’évangile historique de nos voisins, et ils en ont fait sortir quantité d’admirables choses pour l’honneur de leur race. Avec une imprudente générosité, nos savants les ont longtemps soutenus dans leurs prétentions à ne voir dans la civilisation moderne d’autres facteurs que le germanisme, das Germanenthum, comme si le reste des nations étaient demeurées inactives et silencieuses devant la révélation nouvelle descendue du Sinaï germanique. En renonçant à gratifier les Gaulois de toutes les vertus qu’on leur attribuait, nous nous sommes acquis le droit de refuser aux Germains l’auréole qu’ils se donnent. La vérité est que, durant quatre siècles, cette race de proie fut le fléau du monde, et Grégoire de Tours répond à Tacite, quand il montre les instincts malfaisants et grossiers de ces hommes sans respect pour la parole jurée, sans pitié pour le vaincu, sans foi envers la femme, l’enfant et le faible. Recherchez avec soin, dit un très savant homme[26], ce que la civilisation doit aux conquérants de l’empire d’Occident, vous serez fort en peine de trouver quelque bien dont on puisse leur faire honneur.

Pourquoi Rome ne soumit-elle pas la Germanie, comme la Gaule ? Aux bords du Rhin finissait le monde gréco-romain, avec ses Gaulois à demi barbares, qui bientôt ne le seront plus ; sur l’autre rive commençait un monde inconnu, où Rome ne trouvait personne qui lui eût préparé les voies. En Afrique, Carthage ; en Espagne, les Phéniciens, les Grecs ; en Gaule, Marseille ; dans l’Asie, les successeurs d’Alexandre avaient d’avance lutté, conquis pour elle ; partout elle avait trouvé un point d’appui, un travail d’assimilation commencé. Ici, rien ; pas un reflet de la civilisation antique n’avait passé le Rhin et le Danube, pour guider ses pas et éclairer sa route, sur ce sol noyé sous les eaux paresseuses des fleuves, ou caché sous d’impénétrables forêts. Et ce monde où bouillonne une vie exubérante, elle y touche au moment où elle-même a perdu sa sève guerrière, où, son œuvre achevée, elle ne demande qu’à s’endormir doucement dans le plaisir et la paix ! Voilà le grand péril de l’empire.

Daces. — On ne voit ordinairement le danger que sur le Rhin, parce que c’est là que les coups les plus retentissants ont été frappés, mais il était aussi sur le Danube, et la barbarie faisait effort pour sortir par ces deux portes à la fois. Même avant Actium, les légions avaient dû accourir sur les deux frontières de la Germanie. Agrippa avait pacifié le Rhin, et Octave avait pénétré dans la vallée du Danube, à travers l’Illyrie conquise et la Pannonie effrayée. Nous l’avons vu laisser vingt-cinq cohortes dans Ségeste, la plus forte place de la dernière province. .Mais cette expédition avait été une pointe audacieuse, et la garnison établie dans la cité pannonienne n’était qu’un avant-poste envoyé hardiment loin du corps de bataille. Tout autour de Ségeste, et de l’autre côté du fleuve, habitaient des tribus belliqueuses, mélange de Gaulois, d’Illyriens, de Thraces et de Germains, avec lesquelles il fallait toujours s’attendre à de l’imprévu. Les Bastarnes, réfugiés maintenant parmi les Gètes, n’avaient-ils pas un jour pris la route de l’Italie, et les Scordisques n’avaient-ils pas dominé plus tard des bords de la Save au cour de la Thrace, et jusque sur les rives de l’Adriatique, dans laquelle ils lançaient leurs flèches de dépit de ne les pouvoir lancer sur Rome même ?

Au milieu de leurs déserts, ces hordes à demi nomades sont comme les flots qui dans le calme courent capricieusement le long du rivage, mais que les vents amoncèlent en vagues furieuses. À la voix d’un homme habile et résolu, souvent ces tribus se rapprochent et élèvent pour quelque temps des empires formidables. Un Gète, Byrébistas, avait récemment placé tout son peuple sous son commandement, par les mêmes moyens dont se suit plus tard Attila, en exaltant le fanatisme religieux et guerrier[27]. Tout avait plié devant lui, depuis le Pont-Euxin jusqu’au pays des Noriques[28]. Les Boïes, chassés d’Italie, avaient trouvé asile parmi ces peuples : Byrébistas les avait forcés de fuir encore vers les Vindéliciens et avait fait de leur pays un désert. Les Taurisques avaient eu le même sort : représailles inattendues des incursions de ces tribus pillardes dans la haute Italie ; la Thrace, jusqu’aux frontières de la Macédoine, avait été ravagée, et déjà les Romains concevaient les plus sérieuses alarmes, lorsque dans une sédition ce grand chef avait péri, et avec lui son empire.

Divisés en cinq petits États, les Daces avaient perdu toute ambition. Cependant ils pouvaient encore armer quarante mille combattants, et c’était moins contre les Pannoniens que contre eux qu’Octave avait laissé vingt-cinq cohortes dans Ségeste[29]. Les événements justifieront ces alarmes. La plus grande honte militaire de l’empire lui sera infligée par ce peuple. Les Chérusques tueront bien Varus et trois légions, niais les Daces forceront Domitien à pensionner leurs chefs.

Comme tant de grands fleuves, le Danube arrive pauvrement à la mer ; aussi nulle ville importante ne s’était élevée prés de ses embouchures. Les Bastarnes, les Gètes, les Sarmates, erraient sur ses bords, armés de flèches empoisonnées et attendant que l’hiver jetât un pont de glace sur le fleuve, pour venir enlever sur l’autre rive quelques captifs et un maigre butin[30]. Hérodote a fait aux Gètes une belle réputation. Il les appelle les plus braves et les plus justes des Thraces. Les Gètes, ajoute-t-il, se croient immortels et pensent que celui qui meurt va trouver leur dieu Zalmoxis et des banquets sans fin[31]. Tous les cinq ans, ils tirent au sort quelqu’un de leur nation et l’envoient porter de leurs nouvelles à Zalmoxis, avec ordre de lui représenter leurs besoins. Voici comment se fait la députation. Trois d’entre eux sont chargés de tenir chacun une javeline, la pointe en haut, tandis que d’autres prennent par les pieds et par les mains celui qu’on envoie à Zalmoxis. Ils le mettent en branle et le lancent en l’air de façon qu’il retombe sur la pointe des javelines. S’il meurt de ses blessures, ils croient que le dieu leur est propice ; s’il ne meurt pas, ils l’accusent d’être un méchant que les dieux repoussent. Quand ils ont cessé de l’accuser, ils en députent un autre et lui donnent aussi leurs ordres, tandis qu’il est encore en vie. Ces mêmes Thraces tirent aussi des flèches contre le ciel quand il tonne, pour menacer le dieu qui lance la foudre, persuadés qu’il n’y a point d’autre dieu que celui qu’ils adorent. Ces mœurs permettent de mettre en doute la justice des Gètes.

Scythes et Sarmates. — Au delà des Gètes, jusqu’au Palus-Méotide, toute la côte fertile de l’Euxin était abandonnée aux barbares. Là erraient encore les Scythes d’Hérodote, vivant de chair de cheval et du lait de leurs juments. Ils habitaient sur des chariots qui les transportaient incessamment des rives du Borysthène (Dniepr) à celles du Tanaïs (Don). Une de leurs tribus, les Scythes royaux, exerçait sur le reste de la nation une sorte de suprématie et fournissait le roi par lequel l’unité religieuse et politique de la race était maintenue ; chaque horde avait néanmoins son chef séparé, son culte et ses coutumes particulières. Quelques-uns s’étaient arrêtés le long du Borysthène et de l’Hypanis (Bug), où ils cultivaient le blé ; d’autres avaient subi l’influence de la colonie grecque d’Olbia.

Ces tribus semblaient indomptables. De tous les peuples que nous connaissons, dit Hérodote, les Scythes sont ceux qui ont trouvé le moyen le plus sûr de garder leur liberté : c’est de ne pas se laisser approcher, quand ils ne veulent pas combattre[32].

A l’est du Tanaïs habitaient les Sarmates, qui devaient hériter quelque temps de la puissance des Scythes et être à leur tour remplacés par les Slaves, peuplades longtemps obscures, à qui la moitié de l’Europe et le tiers de l’Asie semblent aujourd’hui ne pouvoir suffire.

Thucydide (II, 97) disait des nations scythiques qu’elles seraient irrésistibles si elles étaient unies. L’éloignement faisait illusion au grave historien. Ces peuples mal connus, qui avaient bravé en Europe Darius, en Asie Alexandre, paraissaient en effet bien forts ; mais, comme leurs descendants, ils l’étaient beaucoup plus pour la résistance que pour la conquête. Rome, protégée contre eux par les Carpates et le Danube, n’a rien à en craindre, et les colonies grecques établies sur les côtes de l’Euxin vivent sans trop d’inquiétude dans le voisinage de ces barbares, payant tribut aux uns, guerroyant contre les autres, et tachant de gagner les plus proches à la civilisation hellénique. Un de ces rois scythes s’était fait construire dans Olbia une vaste maison ornée de sphinx et de griffons sculptés[33]. Aux bouches du Tanaïs se trouvait même un royaume grec florissant, le Bosphore Cimmérien, qui, tout en formant un État indépendant, était, de ce côté, comme une avant-garde du monde civilisé, et par conséquent une sentinelle de l’empire au milieu des nations scythiques.

 

III. — FRONTIÈRE DE L’EST ET DU SUD.

Royaume du Bosphore et peuples du Caucase. — Ce royaume avait été laissé par Pompée au fils parricide du grand Mithridate. Pharnace avait osé combattre César, et cette audace lui avait coûté la couronne et la vie. Asander, qu’il avait laissé dans ses États, l’avait tué au retour de sa malheureuse expédition (47 av. J. C.) et avait pris sa place. Au temps qui nous occupe, il possédait ce royaume, qui, par son commerce, était le centre des relations du monde romain avec l’Orient, et, par sa fertilité, le grenier des provinces orientales.

Depuis que les Parthes avaient fermé aux marchands la route de l’Asie centrale, les produits de la haute Asie arrivaient en Europe par la mer Caspienne et le Bosphore. Les caravanes des cités grecques allaient les chercher jusqu’au delà du Volga, où était apporté l’or de l’Oural, et à ce point de contact du monde civilisé et du monde barbare il se faisait d’énormes ventes de la denrée alors la plus commune, celle pourtant qui se plaçait le mieux, l’homme, l’esclave. Mais les montagnards du Caucase infestaient de leurs pirateries les eaux orientales de l’Euxin. De grands et solides navires ne leur étaient pas nécessaires. Quelques planches réunies par des cordages, sans fer ni cuivre, faisaient une barque, et en un jour toute une flotte sortait du chantier et du port. Si la mer devenait mauvaise, ils ajoutaient des planches au bordage ; plus les vagues s’élevaient, plus la frêle muraille montait ; ils la fermaient enfin en forme de voûte, puis s’abandonnaient audacieusement aux flots et abordaient là où les jetait la tempête[34]. Cependant des Grecs restaient encore sur cette côte ; Dioscurias, à l’entrée de la Colchide, trafiquait, dit-on, avec trois cents tribus.

L’isthme qui sépare l’Europe de la Caspienne est coupé par deux vallées : celle du Phase ou la Colchide[35], qui descend au Pont-Euxin ; celle du Cyrus ou l’Ibérie et l’Albanie, qui s’ouvre sur la mer Caspienne. Toutes deux conduisent aux Pyles caucasiennes, passage étroit, taillé par la nature entre des montagnes inaccessibles et que fermait une porte de fer[36].

Les Colchidiens, qu’osa faisait descendre d’une colonie laissée par Sésostris sur les bords du Phase, avaient été célèbres autrefois par leurs richesses et leur industrie ; leur pays ne fournissait plus que les matières nécessaires aux constructions navales, mais il les donnait en grande abondance ; car du bord même de la mer s’élèvent des montagnes hautes de 4 à 5000 pieds que couvrent d’épaisses forêts. Ce sol agreste nourrissait une race robuste, laborieuse et brave, dont on vantait les qualités guerrières. Rome les avait probablement placés déjà sous le gouvernement de Polémon, qui avait obtenu d’Antoine une partie du Pont et qui recevra d’Auguste le royaume du Bosphore, avec la charge de faire pour l’empire la police de ces pays lointains.

Les Ibères se partageaient en deux parties : les plus nombreux, habitants de la région montagneuse, étaient fort belliqueux ; les autres, dans la plaine, labouraient leurs champs et vivaient volontiers en paix. Leurs usages étaient ceux des Arméniens ou des suèdes, et on reconnaît le voisinage de l’Orient à leur division en castes. Le roi, sa famille et les nobles formaient la première classe ; les prêtres, qui étaient en même temps juges des différends de la nation avec ses voisins, la seconde ; les soldats et les laboureurs, la troisième ; les gens du peuple, esclaves du roi et soumis à toutes les corvées, la quatrième. Dans chaque famille les biens étaient en commun, mais administrés par l’aîné de la maison, qui seul commandait[37]. Bien des traits de ce tableau conviendraient encore aux Géorgiens d’aujourd’hui.

Les Albaniens différaient peu des Ibères, et Strabon leur rend le témoignage qu’ils aimaient comme ceux-ci médiocrement la guerre. Nous comprendrons alors comment les Alains, qui habitaient au nord du Caucase, ont pu facilement forcer ces défilés redoutables. Des pâtres livrés au soin de leurs troupeaux ne devaient pas être un sérieux obstacle pour un peuple qui scalpait les têtes et se paraît de la chevelure de ses ennemis.

Arménie. — L’Arménie est la région élevée d’où descendent le Tigre et l’Euphrate, d’où rayonnent dans toutes les directions les montagnes qui couvrent l’Asie occidentale. Le Caucase, muraille isolée, à demi asiatique, à demi européenne, court dans le sens de la grande ligne orographique de l’ancien continent, mais n’envoie au sud que de courts rameaux qui viennent mourir dans l’isthme où coulent le Phase (Rhion) et le Cyrus (Isour). L’Ararat, au contraire, est le centre géologique auquel peuvent se rattacher toutes les chaînes qui traversent l’Asie Mineure, la Syrie et la dédie. Cette fière montagne, qui porte à 5160 mètres au-dessus de l’Euxin sa masse volcanique couronnée de neiges éternelles, est appelée par les Arméniens la Mère du monde, par les Turcs la montagne de Noé ; et, de loin, ils montrent, sur son sommet, le point où est restée l’arche qui sauva l’humanité. Des génies armés d’une épée flamboyante veillent sur le navire sacré, vert comme le gazon des pentes[38]. Ces traditions prouvent que l’Ararat a, de bonne heure, fixé l’attention des peuples ; mais son rôle historique est plus grand que son rôle légendaire. Grâce à lui, l’Arménie est dans l’Asie occidentale ce que la Suisse est en Europe : une forteresse naturelle, une position dominante où se trouvent les clefs des contrées voisines. De là l’importance stratégique de l’Arménie dans les guerres des Romains et des Parthes. Que les premiers soient maîtres de ce haut plateau, et les Parthes seront menacés sur leur flanc ; que ceux-ci y dominent, et ils pourront inonder les provinces romaines de leur innombrable cavalerie.

L’Arménie pour son malheur se trouvera incessamment mêlée à l’histoire des deux empires qui longent sa frontière ; elle sera le champ de bataille de leurs intrigues et de leurs armes. Aux maux de la guerre elle joindra Ies discordes intestines, se partageant entre ses deux redoutables voisins qu’elle hait tous deux, et recevant de leurs mains dix rois en moins de cinquante ans. Tout récemment Artavasde, traîné captif à Alexandrie par Marc Antoine, y avait été mis à mort par Cléopâtre. Mais, dit Tacite, la fin tragique du père nous fit un ennemi irréconciliable de soir fils Artaxias, qui, secouru par les Arsacides, sut défendre et sa personne et ses États. Auguste mettra ordre à cette indépendance dangereuse.

Les Parthes. — Ces Arsacides, qui avaient déjà vaincu deux fois les légions, partageaient avec les Romains la domination da monde connu, et semblaient être le plus formidable danger que l’empire eut à craindre. Ils prenaient l’ancien titre perse de roi des rois ; car d’eux relevaient nombre de princes, les rois de la Bactriane, de la Médie Atropatène, de l’Arménie, de l’Adiabéne, de l’Élymaïde, de la Perside, de la Characène, et ils étaient alliés aux chefs des hordes nombreuses de même origine que leur nation, qui, sous le nom de Massagètes et d’Alains, s’étaient étendues entre le lac Aral et le Tanaïs. De l’Indus à l’Euphrate tout paraissait soumis a leur pouvoir, et ils avaient souvent menacé l’Asie Mineure et la Syrie. Mais ce que le Rhin était pour la civilisation romaine, l’Euphrate l’était pour la civilisation hellénique. Le monde grec finissait véritablement sur ses rives[39]. C’est pour cela que tous les pays à l’occident de ce fleuve étaient entrés si aisément dans l’empire de home. Au delà était une autre nature, et d’autres hommes. Ni les Romains ni les Parthes n’avaient intérêt à déplacer ces barrières ; ils l’eussent voulu, qu’ils n’auraient pas réussi, parce que d’autres lois que la force président à l’agrégation durable de ces grands corps qu’on appelle les empires. Les Germains pourront déborder un jour sur la Gaule, car ils y sont appelés par le souvenir des invasions antérieures, par le besoin de se donner de l’espace, du soleil, et une vie plus douce : surtout par l’organisation guerrière de leurs tribus. Mais ces Parthes qui vivent à cheval et sous la tente, qu’ont-ils à faire dans le Liban et le Taurus ? Tiendront-ils s’enfermer dans les cinq cents villes de l’Asie, eux qui n’entrent même pas à Séleucie restée une république grecque aux portes de Ctésiphon[40] ? Le Tibre et l’Oronte pouvaient couler sous les mêmes lois, comme ils vont à la même mer, jamais le Rhune et l’Indus.

Cet empire n’avait d’ailleurs que les apparences de la grandeur et de la force. La féodalité, qu’on veut trouver dans la seule Europe du moyen âge, a de tout temps régné en Asie. Au-dessous des rois on voit une aristocratie puissante dont les chefs étaient les surénas ou généraux, et qui donnait ou ôtait la couronne, en s’imposant la loi de choisir le prince dans la branche aînée des Arsacides[41]. Pour contrebalancer cette influence, les rois avaient coutume de s’associer, de leur vivant, un de leurs fils ; mais comme ils prenaient rarement l’aillé, et que les fières du fils préféré trouvaient toujours des grands pour appuyer leurs prétentions, ce choix devenait une source de crimes et de guerres ; le trône du roi des rois chancelait dans le sang. Maintenant que la politique extérieure des Romains sera plus suivie et plus vigilante, les empereurs ne manqueront pas d’avoir toujours quelque Arsacide sous la main pour tenir la cour de Ctésiphon dans la crainte perpétuelle d’une révolution.

Un trait suffira à peindre cette monarchie barbare, trop voisine encore de son origine pour qu’un grand effort contre l’ennemi dit dehors ne fût pas possible, à condition cependant qu’il fût rarement nécessaire, mais trop mal organisée, trop privée de police et d’ordre, pour être véritablement à craindre. Deux Juifs, Asineus et Anileus, ouvriers tisserands, dans la ville de Nierda, ayant un jour été battus par leur maître, se réfugièrent dans une île de l’Euphrate et appelèrent à eux tous les bandits des environs. Leur troupe grossit rapidement, et ils furent bientôt assez forts pour lever des contributions sur le pays, égorgeant les troupeaux de ceux qui refusaient, mais promettant aux autres de les défendre envers et contre tous. Le bruit en alla jusqu’au roi Artaban, et le gouverneur de Babylone reçut l’ordre de ramasser le plus de troupes qu’il pourrait pour étouffer ce foyer de révolte. Le satrape fut battu, au grand plaisir du prince, qui, charmé du courage des deux frères, voulut les voir et les fil asseoir à sa table. Son dessein, dit l’auteur de ce récit, était de gagner les Juifs, pour que la crainte qu’ils inspiraient retint les grands dans le devoir ; car ceux-ci menaçaient de se révolter dès qu’ils verraient le roi occupé ailleurs. Un des généraux parthes, s’indignant de tant d’honneur fait à ces mécréants, voulait les tuer à la table même du monarque : N’en faites rien, lui dit Artaban, ils ont reçu ma foi ; mais si vous tenez à venger les Parthes de la honte qu’ils ont subie, lorsqu’ils s’en retourneront, attaquez-les a force ouverte, sans que je me mêle de l’affaire. Le lendemain il congédia les deux frères. Il n’est pas bon, leur dit-il, que vous restiez ici davantage, vous vous attireriez la haine des chefs de mes troupes, et ils attente raient à votre vie, sans nia participation. Je vous recommande la province de Babylone, garantissez-la des ravages qu’on y pourrait faire. C’est une reconnaissance que vous me devez pour n’avoir point écouté ceux qui voulaient votre perte.

Les deux Juifs retournèrent dans leur île et y vécurent longtemps, respectés des gouverneurs, vénérés des Babyloniens qu’ils protégeaient, et tout-puissants dans la Mésopotamie. Plus d’une fois ces parvenus se passèrent, à l’exemple des grands seigneurs du voisinage, des fantaisies royales. Ainsi Anileus vit un jour la femme d’un satrape, s’éprit d’elle, et, pour l’épouser, déclara la guerre au mari, qui fut tué dans le combat. Un autre jour il pilla les terres d’un homme puisant, nommé Mithridate, qui, avec un corps nombreux de cavalerie, essaya de se venger ; vaincu et fait prisonnier, il fut placé tout nu sur un âne et promené longtemps sous les huées, après quoi les Juifs eurent l’audace de le renvoyer libre. Ce Mithridate était cependant le plus grand seigneur des Parthes, le gendre même du roi ! Et c’était au cœur de la monarchie, dans les provinces où la cour résidait, que se passaient ces révolus impunies, ces affronts à la majesté royale, ces guerres privées qui rappellent nos temps féodaux ! On voit bien que l’empire romain, si fortement discipliné, ne pouvait être entamé par de tels ennemis.

Nomades d’Asie et d’Afrique. — L’Euphrate, dit Strabon, sépare les Parthes des Romains ; mais le fleuve est bordé d’Arabes qui n’obéissent ni aux uns ni aux autres, et qui rançonnent les marchands et les voyageurs. Toute la ligne des frontières méridionales était également couverte par des déserts ou par des peuplades gênantes, mais non dangereuses. Au sud de la Palestine, les Arabes Nabatéens formaient, dans la péninsule biblique du mont Sinaï, un royaume dont le chef, ennemi du roi des Juifs, cherchait à Rome protection contre lui. Pétra, sa capitale, à deux journées de marche de tout pays habité, était l’entrepôt du commerce de l’Yémen avec l’Asie méridionale et l’Europe ; aussi les marchands romains vont-ils accourir, et, comme Palmyre, cette autre reine du désert, Pétra offre encore aux regards du voyageur, qui réussit à l’ pénétrer, des ruines de temple, d’arc de triomphe et d’amphithéâtre. Rome a laissé son empreinte jusque sur cette mer de sables mouvants où tout s’efface.

Dans la vallée supérieure du Nil erraient les Blemmyes et les Nubiens ; trois cohortes placées à Syène suffisaient à leur fermer l’entrée de l’Égypte. Sur le haut plateau de l’Abyssinie, régnaient des princes qui se diront plus tard descendants de Salomon. Ptolémée Évergète, dont l’obélisque d’Axum, debout encore aujourd’hui, atteste les victoires, leur avait enlevé plusieurs provinces que ses débiles successeurs laissèrent échapper. Les Axumites, auxquels il avait appris la route de l’Inde, s’étaient saisis de ce riche commerce que favorisait leur position près du Bab-el-Mandeb, passage redouté que les Arabes ont appelé la Porte des Larmes. Le royaume abyssinien grandira bientôt, comme au temps reculé où il menaçait l’empire des Pharaons ; mais son ambition se tournera vers l’Arabie, qu’il regarde par delà l’étroit espace de la mer Rouge, et il donnera des lois à ces Homérites de l’Yémen qu’Auguste, moins heureux, aura fait attaquer en vain.

Les Romains ne tenaient de l’Afrique sur la Méditerranée que ce que l’Europe a jamais pris de ce continent, ses rivages. Encore, sauf la Cyrénaïque, les nomades étaient-ils, depuis l’Égypte jusqu’au lac Triton, les vrais maîtres du pays, les uns établis à demeure dans quelques oasis ou errant avec leurs troupeaux, les autres vivant de brigandages. Ils sortent à l’improviste de leurs solitudes, enlèvent ce qui leur tombe sous la main, et retournent aussitôt dans leurs retraites. Ces Libyens couchent en plein air, et n’ont que des instincts de brute. Leurs chefs ne possèdent pas de villes, mais quelques tours assises au bord de l’eau, dans lesquelles ils conservent leurs vivres. L’étranger est pour eux un ennemi. Ils talent tous ceux qu’ils rencontrent. (Diodore.)

Les solitudes qui s’étendaient au sud de la province romaine, du pays des Numides et des Maures, étaient parcourues par les Garamantes et les Gétules, qui avaient les mêmes habitudes de sang et de rapine, mais étaient aussi trop barbares, trop divisés et trop peu nombreux, pour donner jamais de sérieuses inquiétudes.

 

 

 

 



[1] Quelques-uns de ces rois se disaient les procurateurs du peuple romain. (Salluste, Bell. Jugurtha, 14.) Le roi Cottius s’appelle dans son inscription præfectus civitatum.

[2] Dion, LII, 43.

[3] Sauf consentement du sénat, plus tard de l’empereur. (Josèphe, Antiq. Jud., XVI, 9, 4.) Ils payaient souvent un tribut et devaient, en cas de guerre, des auxiliaires. (Salluste, Bell. Jugurtha, 51 ; Appien, Bell. civ., V, 75 ; Cicéron, ad Att., II, 16.) L’histoire d’Hérode, racontée en détail par Josèphe, montre quelle était la condition de ces rois. Ils n’avaient pas le droit de faire la guerre, de disposer de leur succession et de leurs enfants, sans la permission de l’empereur, et le serment d’obéissance qui leur était prêté par le peuple en renfermait un autre de fidélité à l’empereur. Voyez en preuve l’expédition contre la Trachonitide, le jugement des deux tels d’Hérode, l’assemblée de Béryte, et pour le serment de fidélité à l’empereur, Antiq. Jud., XVII, 2, 4. Lisez, au livre XIX, 8, les dures paroles du gouverneur Marsus à six rois venus au-devant de lui. Ces royaumes indépendants étaient donc considérés comme faisant partie intégrante de l’empire, tout comme les villes libres ; et, quand l’empereur ordonnait un dénombrement, on comptait aussi leurs habitants. (Évangile selon saint Luc., chap. II, 1.) — Les rois juifs ne frappaient que de la monnaie de cuivre. (Cavedoni, Numismatica biblica, Modena, 1850, p. 52.) Les rois de Thrace et du Bosphore frappaient de la monnaie d’argent. Aucun de ces rois n’avait le droit de frapper de la monnaie d’or.

[4] Ovide, Pont., II, 9.

[5] Le Pont Polémoniaque, qui descendait, au sud, jusqu’aux sources de l’Iris, formait un triangle dont les points extrêmes étaient Zela, Polemonium et Trapézonte. (Strabon, Geographica, XII, p. 577.)

[6] Josèphe, Antiq. Jud., XII, 10, 6.

[7] Strabon, XVI, p. 760. Tacite (Hist., V, 5) parle magnifiquement de la manière dont ils avaient conçu la Divinité : Mente sola, unumque numen intelligunt.... summum illud et æternum, neque nautabile neque interiturum.

[8] Durant la fête de Paques, les soldats en garnison à Jérusalem étaient placés à la porte du temple. (Josèphe, Bell. Jud., II, 20.) Ponce Pilate avait fait venir à Jérusalem une légion avec ses enseignes ; sur les instances des prêtres, il consentit à renvoyer les drapeaux à Césarée pour ne pas blesser les yeux des Juifs par des images que leur religion réprouvait. (Josèphe, ibid., II, 14.) Tibère lui ordonna encore d’enlever de Jérusalem les boucliers dorés qu’il y avait fait placer et dont les inscriptions, renfermant des noms de divinités païennes, étaient un sujet de scandale pour les Juifs. (Philon, de Legatione ad Caium, p. 1033.) Même sous Néron, un lieutenant du gouverneur de Syrie, étant venu à Jérusalem faire des informations sur un commencement de révolte, monta dans le temple, dit Josèphe (ibid., II, 28), et y adora Dieu et les saints lieux, sans entrer plus avant que notre religion ne le lui permettait. Enfin les officiers de l’empereur offraient chaque année des victimes en son nom. Quand les Juifs, révoltés sous Néron, veulent qu’on les refuse, les sacrificateurs crient à l’impiété et invoquent l’exemple de tous les temps, les dons offerts par les étrangers dans le temple, et qui en formaient le principal ornement, etc. (Josèphe, ibid., 51.)

[9] A la différence de la matrone romaine qui se glorifiait du titre d’univira, la femme juive regardait le veuvage comme un état de désolation. Beaucoup d’enfants dans une famille semblaient une bénédiction. Ces mœurs expliquent comment la race juive a survécu malgré sa douloureuse histoire.

[10] Philon (adv. Flacc., p. 971 c) estime qu’il y avait un million de Juifs en Égypte. Il dit (de Legat. ad Caium, p. 1023 d) qu’il y en avait un grand nombre à Babylone et dans les satrapies voisines. Il énumère (p. 1031-2) les lieux où ils se sont répandus.

[11] Cicéron, pro Flacco, 28.

[12] Bellum Judaïcum, VI, 9.

[13] Le Jourdain descend des hauteurs qui s’élèvent au-dessus de Hasbeya dans l’Anti-Liban et reçoit ensuite les eaux de Banias (Paneas), à l’extrémité septentrionale de la Galilée, que l’on considère à tort comme sa source. (Lartet, Géologie de la Palestine, p. 21.)

[14] Le Messie n’était pas seulement attendu par les Juifs qui s’étaient répandus dans toute l’Asie occidentale, mais par les adorateurs d’Ormuzd, dont le triomphe était annoncé par le Vendidad et la plupart des écrits religieux des mazdéens. C’est du mélange des idées contenues dans les chants des prophètes hébreux avec les doctrines persanes que sont nées les Apocalypses, dont la première est le livre de Daniel, la dernière ou du moins la plus fameuse, celle de saint Jean. Cf. Michel Nicolas, Doctrines religieuses des Juifs durant les deux siècles antérieurs à l’ère chrétienne, p. 266 et suiv.

[15] Josèphe, Antiq. Jud., XVII.

[16] Voyez dans Josèphe (ibid.) les troubles qui éclatent en Judée à la mort d’Hérode ; un berger se déclara roi, un ancien serviteur d’Hérode prit aussi ce titre, il ne fallut pas moins de trois légions à Varus avec les troupes auxiliaires des rois voisins pour apaiser ces désordres. Il fit crucifier deux mille Juifs.

[17] Strabon, écho, en cet endroit, de la politique d’Auguste et de Tibère, dit : On estime que ce que les insulaires payent de droits sur nos marchandises dépasse ce que rapporterait un tribut annuel, déduction faite de la solde des troupes nécessaires pour garder l’île et y lever l’impôt.

[18] Quum videret Germanos tam facile impelli ut in Galliam venirent (Cæsar, de Bello Gall., IV, 16).

[19] Germanos consuescere Rhenum transire (Cæsar, ibid., I, 33).

[20] Le chef de famille consultait le sort tout comme le prêtre de la cité, et le roi ou le chef prenait avec celui-ci les auspices pour les affaires publiques. Si la religion avait des serviteurs particuliers pour certaines cérémonies, elle n’était pour personne un monopole. Cf. Tacite, Germ., 10 et 11. César dit qu’ils n’avaient ni corps sacerdotal ni sacrifices, et Tacite qu’ils n’avaient ni temples ni simulacres. Au temps de cet écrivain ils n’avaient pas encore reçu le culte de Wodan ni la mythologie et les traditions héroïques d’où sont sortis l’Edda et les Nibelungen.

[21] Reges ex nobilitate, dures ex virtute sumunt (Tacite, ibid., 7). Il y avait cependant une sorte de noblesse héréditaire acquise par les grands services. (Ibid., 15.) Ces peuples n’avaient pas de nom commun. Les Romains leur donnèrent celui de Germains, Wehrman, qui signifie combattant, guerrier ; ils prirent, à une époque relativement moderne, celui de Deutsch. (Waitz, Deutsch. Verfassungsgesch., p. 9.)

[22] Tuistenem serait une fausse leçon de la Germanie de Tacite : il faudrait lire Teutonem. (Boltzmann, Erklærung von Tacitus Germania.)

[23] Les Suèves, dit César (de Bello Gall., IV, 1 ; VI, 22), ne connaissent pas la propriété individuelle du sol. Tous les ans, les chefs assignent à chacun son lot. Le même état social existait encore du temps de Tacite (Germ., 26) ; plus tard, il changea, grâce au voisinage des Gallo-Romains dont les usages s’étendirent peu à peu dans la Germanie. D’ailleurs la maison du Germain et son enclos, qui formèrent sans doute la terre salique, étaient naturellement exclus, comme naguère en Russie, du partage annuel, lequel s’appliquerait seulement à ce que nous appellerions le communal.

[24] C’est le germe du douaire de nos coutumes du moyen âge : le mari dotant la femme. Les lois barbares appelèrent aussi la femme à partager les conquêtes ; ce fut le commencement de la communauté. (De Valroger, les Celtes, p. 170.)

[25] Je ne veux pas dire que nos nobles du moyen âge descendent des Germains. Après les invasions, le principe des clientèles romaine, gauloise et germaine, qui était le dévouement de l’homme à l’homme, reparut, grâce aux circonstances oie se trouva la société nouvelle. Celui du dévouement du citoyen à la cité, qui avait fait les grandes républiques de la Grèce et de Rome, se conserva obscurément dans les vieux municipes, où il se montra avec éclat, au temps de la révolution communale.

[26] Guérard, Prolégomènes du Polyptyque d’Irminon, t. I, p. 500.

[27] On a discuté beaucoup sur les Daces, les Gètes et les Thraces, et l’on discutera longtemps encore parce que l’on ne connaît de la langue Bétique que cent quarante-quatre noms propres qui ne suffisent pas pour déterminer le caractère de cet idiome. Il semble pourtant qu’on peut admettre que toutes les tribus établies sur les deux rives du bas Danube, les Daces au nord du fleuve, les Gètes au sud, les Thraces dans les Balkans et jusque vers la mer Égée, aient eu une origine commune. Wietersheim rapproche encore les Gètes des Goths en admettant qu’ils auraient été longtemps séparés.

[28] Strabon, VII, 3, 5.

[29] Id., ibid.

[30] Cf. Ovide, Tristes, III, 9.

[31] Ce Zalmoxis était le Dionysos thrace et le Sabazios phrygien. On a trouvé dans la Thrace des inscriptions funéraires qui rappellent les joies promises aux initiés des mystères dionysiaques. (Fr. Lenormant, Voie Éleusinienne, 410-412.)

[32] Les Tristes et les Pontiques d’Ovide, le Toxaris de Lucien, l’inscription d’Olbia, n° 2058 du Corp. Inscr. Gr., Strabon, VII, 5, 4, et Pausanias, VIII, 45, 5, peignent les Scythes de la même manière qu’Hérodote.

[33] Karamsin, Hist. de Russie, t. I, p. 5, de la traduction française.

[34] Tacite, Hist., III, 47.

[35] Un oncle maternel de Strabon avait été, sous Mithridate, gouverneur de la Colchide (XI, 109).

[36] Pline, Hist. nat., VI, 42. C’est aujourd’hui le défilé de Dariel, sur la route de Mosdok à Tiflis, au bord du Terek. La vallée entre Laars et Dariel est si profondément encaissée, que, dans les plus longs jours de l’été, le soleil y pénètre à peine quelques heures.

[37] Hérodote, II, 902-106 ; Strabon, VI, 498, etc.

[38] Reclus, Nouvelle Géographie, t. VI, p. 249.

[39] En tant qu’organisation sociale, mais noté comme littérature et langue, car on parlait grec dans toutes les cours de l’orient, et on voit les rois parthes prendre sur leurs monnaies le titre de ΦΙΛΕΛΛΗΝΕΣ.

[40] Cf. Tacite, Ann., VI, 42, et Pline, Hist. nat., VI, 30 Séleucie soutint contre les Parthes un blocus qui dura sept ans. (Tacite, Ann., XI, 9 ; cf. ibid., II, 4 sqq.) — Le Monument d’Ancyre appelle les satrapes principes et reges. Pline (Hist. nat., VI, 29) dit : Regna Parthorum duodeviginti sunt omnia, ita enim dividunt provincias.

[41] Strabon (XI, 515) parle de deux conseils qui faisaient l’élection : l’un composé de membres de la famille royale, l’autre de sages et de mages. Malheureusement Strabon renvoie pour les détails à ses Mémoires historiques, qui sont perdus, et dans lesquels il avait consacré un livre entier aux coutumes des Parthes.