I. — QUE DEVAIT ÊTRE L’ŒUVRE DE L’EMPIRE ?Dans la nature, rien ne se perd, rien ne se crée et tout change selon des lois immuables. Dans le monde de l’histoire, qui est celui de la vie et de la liberté, tout se transforme, avec lenteur, quand la sagesse conduit les peuples ; avec violence, lorsque la passion les entraîne. Mais jamais les transformations durables ne sont l’œuvre du caprice ; leur succession est toujours un rapport de cause à effet. Le charme et l’utilité de l’histoire sont dans cette étude des causes qui modifient incessamment la vie des nations. Nous avons vu, au précédent volume et dans celui-ci, les forces de destruction agir durant un siècle ; maintenant que Rome républicaine vient de finir dans une épouvantable tourmente, nous allons voir agir les forces de renouvellement. Jusqu’à présent nous étions restés au milieu des vainqueurs, à Rome et dans les camps des légions ; il faut aller aux vaincus[1] ; l’empire est fait, visitons le domaine légué par la république à l’empereur. Le sénat, avec d’excellentes vues sur le gouvernement des provinces, s’était montré incapable d’assurer ce que les maîtres doivent aux sujets, la sécurité. Cette tâche sera celle des empereurs, de ceux du moins qui seront dignes de leur titre. Avant de les suivre dans cet immense travail, il faut regarder de près ces populations qui tout à l’heure donneront à Rome des grammairiens, des rhéteurs, des jurisconsultes ou des poètes› et à l’État ses chefs les plus glorieux. En lisant la tragique histoire de cette république, assaillie de toutes parts, chancelante, ruinée enfin et jetée à terre, on oublie ces multitudes résignées auxquelles les Romains, à leur tour, venaient de donner le spectacle d’innombrables et illustres gladiateurs s’égorgeant dans une arène immense. Maintenant que le vieil édifice qui abrita d’abord tant de vertus, puis tant de vices, est tombé, on heurtera encore, à chaque pas, ses débris : sous Vespasien, sous Trajan, plus tard même, on parlera de république, de sénat, de peuple romain, et dans toute l’histoire de l’empire beaucoup n’ont voulu voir que les protestations de la liberté et les vengeances du despotisme. Mais, se rappelant que les mots durent pas plus longtemps que les choses qu’ils expriment, on ne prendra pas au sérieux ces regrets apparents, et l’on se détournera des scènes sanglantes ou hideuses du palais et de la curie, pour voir un monde nouveau peu à peu monter et se répandre par-dessus ces ruines et ces souvenirs. Ces hommes et ces choses de l’avenir, ce sont les provinciaux qui vont arracher à l’Italie ses vieux privilèges, propager dans tout l’Occident barbare la civilisation gréco-latine et faire donner à cent millions d’hommes, par des empereurs nés à Séville, à Lyon et à Leptis, des lois qu’on appellera la raison écrite. C’est encore la religion nouvelle qui se formera pour cette nouvelle société ; c’est le Jéhovah mosaïque, maître implacable et jaloux d’une race privilégiée, dont Jésus va faire le Dieu universel des pauvres et des affligés ; de sorte qu’au même temps où les empereurs mettront dans la loi civile le principe du droit individuel qui isole, le christianisme s’efforcera de mettre dans les cœurs le sentiment de la fraternité qui réunit : deux grandes idées de l’époque impériale, que l’Europe moderne a retrouvées sous les ruines du moyen âge, avec l’obligation de les réunir et de les faire prévaloir enfin dans les mœurs. Pour mesurer cette marche des provinces vers l’égalité de droits, de civilisation, de richesse, et plus tard de religion, il convient de marquer nettement le point d’où chacune d’elles est partie. On jugera mieux ensuite l’œuvre des empereurs ; on verra s’ils ont su faire, par les institutions, au profit de l’État, ce que le christianisme fit, par ses doctrines, au profit de l’Église ; si enfin, pour prendre le langage de Bossuet, un peuple nouveau va naître de toutes les nations enfermées dans l’enceinte de l’empire. L’empire de Rome, ou, comme disaient ses historiens et ses légistes, l’Univers romain, était assez vaste, quand Auguste en devint le maître, pour que les peuples, sujets ou ennemis, qui appartiennent à son histoire représentassent presque toutes les races d’hommes de l’ancien continent. Les Ibères, purs de tout mélange, étaient cantonnés dans
les Pyrénées, entre Les Celtes occupaient Les Germains et les Slaves ou Sarmates se partageaient la vaste plaine qui s’étend de l’océan du Nord à la mer Caspienne. Les populations grecques et latines tenaient le centre de l’empire ; les unes regardaient a l’Orient, comme si elles obéissaient encore à l’impulsion d’Alexandre ; les autres à l’Occident, où elles propageaient les mœurs et l’idiome de Rome. Au sud, les peuples sémitiques couvraient toute la côte
africaine de Derrière eux dominaient les peuples du zend, plus loin ceux du sanscrit ou Hindous, et aux extrémités de l’Orient, les Sères. Tous ces peuples, moins les deux derniers, sont ou vont être les sujets, les ennemis ou les alliés de l’empire. Les Germains ont déjà commencé cette guerre, qui durera quatre siècles ; les Parthes gardent encore les drapeaux de Crassus ; tout à l’heure l’Inde enverra ses députés à Auguste ; sous les Antonins, les Sères verront arriver chez eux des marchands romains, et leurs historiens ne connaîtront alors sur la terre que deux empires, celui du Milieu et celui de l’Occident[2]. Nous n’avons à parler ni des Sères ni des Hindous : avec les premiers, l’empire eut à peine quelques rares communications qui n’ont pas laissé de trace ; avec les autres, les relations de commerce furent certainement très actives, mais les anciens écrivains, qui ne s’inquiétaient point d’économie sociale, n’en ont conservé aucun souvenir. Les mêmes raisons ne pourraient nous arrêter pour les Parthes et les Germains, qui occuperont une si grande place dans cette histoire. Mais c’est l’état des provinces romaines que nous voudrions plus particulièrement étudier : car, pour apprécier les résultats de la fondation de l’empire, il importe de montrer que depuis le Cantabre, farouche et libre dans ses montagnes, jusqu’au Grec d’Antioche ou d’Éphèse, servile et efféminé, il y avait, dans ces populations, tous les degrés par lesquels on passe de la barbarie la plus grossière à la civilisation la plus raffinée, avec une extrême diversité de langues, de coutumes et de caractère.
L'empire au temps d'Auguste Cependant il fallait rapprocher ces peuples pour leur donner, par l’union, la force de résister aux tribus du Nord, jusqu’à ce que l’empire eût achevé son rouvre. Derrière le Rhin et le Danube grondaient des hordes menaçantes, à qui les Cimbres et les Suèves avaient appris le chemin des pays du soleil, du vin et de l’or. D’une main, l’empire les arrêta ; de l’autre, il couvrit de routes, d’aqueducs et de cités florissantes les provinces loin desquelles, durant deux siècles et demi, il rejeta la guerre ; il y fit pénétrer sa langue et son esprit, ses lois et son culte ; et quand la digue céda, le flot envahisseur se heurta à tant d’obstacles qu’il ne put tout emporter. La civilisation ancienne, c’est-à-dire la nôtre, après avoir régné sur cent millions d’hommes, après s’être enracinée par ses croyances au cœur des populations, comme par ses monuments dans le sol qui les portait, a mis cependant dix siècles à sortir de dessous les ruines. Qu’eût-ce été si l’invasion n’avait trouvé devant elle que la barbarie, excepté dans Athènes, Rome et Alexandrie ? Ces trois foyers éteints, quelle sombre nuit sur le monde ! II. — PROVINCES DE L’OUEST ET DU NORD.Espagne. — Deux
grandes races avaient peuplé l’Espagne, les Ibères et les Celtes. Ceux-ci,
venus les derniers, avaient occupé tout le Nord et l’Ouest, moins le pals
basque ; les autres, le Sud et l’Est. Au centre, les deux races restaient
mêlées, et ce croisement avait profité aux tribus qui en étaient sorties :
les Celtibères sont les héros de l’ancienne Espagne. Établis sur le haut
plateau d’où descendent le Douro, le Tage et L’influence romaine gagnait même les belliqueux Celtibériens, mais lentement, car ils n’avaient point de grandes villes par où les coutumes nouvelles pussent se propager dans le pays ; et les vieilles mœurs se défendaient aisément dans leurs nombreux villages, perdus au milieu des montagnes. Ils étaient habiles à forger des armes, plus encore à s’en servir ; et, comme ils ne les pouvaient maintenant porter pour leur propre cause, ils allaient combattre sous les enseignes de Rome. Derrière eux, les tribus celtiques entraient à regret dans la voie nouvelle. Les Lusitaniens (Portugal), si avides de guerre, avaient été condamnés au repos ; Auguste les amènera à la civilisation romaine. Au nord de L’Espagne avait été longtemps pour les magistrats romains une mine à exploiter. Ces préteurs avides maintenaient pourtant un ordre dont le commerce profitait, et quelques-uns s’étaient honorés par des travaux utiles. Nous avons parlé des fondations de Scipion (Italica), de Marcellus (Corduba), de Sempronius Gracchus (Gracchuris), de Brutus (Valencia) et de Pompée, qui avait prodigué en Espagne le droit de cité. A l’embouchure du Bétis, un Cépion avait bâti, sur le modèle du phare d’Alexandrie, un admirable ouvrage pour indiquer l’entrée du fleuve, que les navires pouvaient remonter durant 1200 stades, entre deux rives couvertes de populeuses cités. César, dont l’Espagne avait épousé la gloire, après avoir combattu deux fois sa fortune, avait, à deux reprises aussi, réuni autour de lui tous les députés de la péninsule, établi une administration régulière et récompensé les villes, comme les particuliers, de leur dévouement à sa cause, c’est-à-dire multiplié pour les unes les titres de municipes ou de colonies, et donné aux autres le droit de cité, l’anneau d’or de l’ordre équestre, le laticlave sénatorial. Nombre de villes avaient pris son nom, et Gadès, qui prétendait conserver dans son temple les ossements d’Hercule, Gadès, la plus riche des cités provinciales, puisqu’elle ne comptait pas moins de cinq cents avait obtenu pour tous ses habitants les privilèges enviés de citoyens romains. Un Gaditain, C. Balbus, était devenu peu de temps après consul. C’était le premier des provinciaux qui fût arrivé à cet honneur, le premier aussi qui fût monté au Capitole avec la robe triomphale. D’autres osaient écrire dans la langue de leurs maîtres, et Cordoue avait enfanté déjà toute une famille de poètes dont les vers étaient allés jusqu’à Rome, où Cicéron s’irritait de cette invasion provinciale. Par ses populations du Sud et de l’Est, l’Espagne entrait donc vivement dans la civilisation romaine et l’unité impériale : Octave régularisera ce mouvement et l’étendra au centre et au nord de la péninsule qui résiste encore à cette influence. Après la bataille de Munda, Sextus Pompée, caché dans les montagnes, y avait vécu quelque temps de brigandages ; puis, sa troupe grossissant, il avait repris hautement son nom et battu deux lieutenants de César. Son rappel, provoqué par Antoine, avait rendu à l’Espagne une paix bientôt troublée par les rois maures Bogud et Bocchus, qui, sous les noms des deux triumvirs, vidaient leurs querelles particulières. Bogud fut chassé ; mais les Cerétans, ses alliés, tinrent longtemps, et leur soumission valut un triomphe à Domitius Calvinus. Les deux successeurs de ce général eurent le même honneur, sans qu’on sache de quels services il fut le prix. Une province d’où revenaient tant de triomphateurs n’était pas un pays tranquille : aussi sera-t-elle une des premières à attirer l’attention d’Octave. Là du moins il n’aura pas à combattre, comme en Gaule, un clergé puissant et des doctrines vivaces. Singulier contraste avec cette dévotion exaltée dont nous voulons faire le trait fondamental du caractère espagnol : chez la plupart de ces peuples le sentiment religieux était si peu développé, que Strabon va jusqu’à douter qu’ils eussent des dieux. Il est vrai qu’à bien regarder dans l’histoire de l’Espagne, on verrait que la religion y a été une forme du patriotisme. Gaule. — Au
nord des Pyrénées, les Ibères peuplaient l’Aquitaine, qui, cernée par
Narbonne et Toulouse, deux foyers de civilisation romaine, et par Bordeaux,
qui bientôt le deviendra, changera ses cabanes couvertes de chaume en brillantes
villas. Elle touchait, par l’est, à Regardée comme l’avant-poste de l’Italie et la gardienne
des communications avec l’Espagne, On a trop exagéré la docilité des Gaulois à recevoir le
joug, en opposant à leur facile résignation la constance espagnole. Huit
années, dit-on, avaient suffi pour mettre En passant sous la domination romaine, les Gaulois avaient
peu perdu et beaucoup gagné. A l’existence continuellement troublée par l’ambition
des chefs de clans, au culte de terreur maintenu par les druides, aux guerres
sans cesse renaissantes entre les tribus, et à la menace perpétuelle des
invasions germaniques, succédaient la vie calme d’une société régulière, une
religion tolérante, la sécurité sur les frontières et partout Cette activité féconde et la prospérité qui en était la
suite résultaient de l’oubli où Rome laissait sa conquête. De trop graves
intérêts s’agitaient ailleurs pour qu’on demandât autre chose à Montagnards des Alpes.
— A l’ouest, les possessions romaines étaient donc nettement déterminées ; l’Atlantique
leur servait de frontière. Au nord, la ligne serait moins aisément tracée.
Les Alpes n’enveloppent pas seulement l’Italie : les montagnes de l’Illyrie
et l’Hœmus, qui bornent Si dans les Alpes occidentales les routes étaient à peu
prés libres, dans les Alpes Pennines elles ne s’ouvraient qu’au prix de
péages onéreux et de sérieux périls. Après la rude leçon qu’il avait donnée aux
Helvètes,César avait renvoyé les débris de ce peuple dans ses cantons, pour
que les approches des grandes Alpes fussent gardées, contre les Germains, par
des tribus désormais fidèles. Afin de compléter l’investissement de ces
montagnes, il avait voulu soumettre encore la partie supérieure de la vallée
du Rhône, ce qui eût porté les limites de sa province sur la crête même des
Alpes et jusqu’aux cols par lesquels on descendait dans Les tribus des Alpes Rætiennes étaient encore moins
dociles et plus hardies. Leurs bandes, celles des Rætes surtout et des
Vindéliciens, arrivant à l’improviste par les hautes vallées de l’Adige et de
l’Adda, désolaient le bas pays ; elles attaquaient même les villes, tuaient
les hommes et jusqu’aux femmes que leurs devins supposaient grosses d’enfants
mâles. Ces incursions sauvages, qui font penser aux dévastations des Indiens
du nouveau monde, étaient une honte pour l’Italie. Nais l’antiquité n’estimait
pas très haut cette sécurité que nous prisons si fort. Les gouverneurs s’inquiétaient
peu de tout ce qui n’était pas guerre sérieuse, et la police de l’empire
était leur moindre souci. Contre de pareils dangers, les villes, comme les
individus, devaient savoir se défendre ; Rome laissait aux unes et aux autres
tout juste assez de liberté d’action pour qu’elle se crût dispensée de
veiller, d’agir en place et au nom de tous. I4léme sous Auguste, les Corses
et les Sardes pilleront incessamment les côtes de A l’est, la chaîne des Alpes s’abaissant, les routes devenaient moins difficiles. Elles conduisaient directement dans la vallée du Danube. La république avait un grand intérêt à veiller sur ces régions par où étaient arrivés les Cimbres, et où s’agitait une masse confuse de peuplades belliqueuses dont le voisinage entretenait l’esprit de résistance des Illyriens et des Dalmates. Mais le sénat avait oublié depuis longtemps la politique prévoyante qui lui faisait autrefois tourner les yeux de ce côté. Il laissait les Noriques et les Taurisques s’associer aux brigandages des Rætes, et les Carnes ravager la vallée du Tagliamento. Deux colonies romaines, Aquilée et Trieste, avaient été cependant établies dans ces parages. Mais le territoire de l’une était continuellement dévasté, et l’autre venait d’être pillée par les Iapodes, peuple brave et féroce cantonné dans les Alpes Juliennes, d’où il tenait tous ses voisins sous la terreur de ses armes : deux fois, en vingt ans, ils avaient repoussé les troupes romaines. Un peu plus loin, les Pannoniens avaient reçu de telle sorte un général qui s’était aventuré au milieu d’eux, que l’Italie tout entière avait été effrayée du désastre. Depuis ce jour il ne s’était pas trouvé un consul qui osât passer leur frontière. En Illyrie la situation n’était pas meilleure[4]. Les Illyriens
avaient été le premier peuple attaqué par la république hors de l’Italie et
ils ne se résignaient pas encore à rester sujets dociles de Rome ; ils
pouvaient donc disputer aux Espagnols le mérite d’une résistance séculaire.
Malgré le voisinage de Tel était donc, vers le temps où finissait la république, l’état de la frontière du nord. Toute la chaîne des Alpes était occupée par des tribus pillardes, peu dangereuses, assurément, mais gênantes, et qui arrêtaient la civilisation au pied de leurs montagnes. Bien qu’elles touchassent au sol sacré de l’Italie, il n’avait pas été dirigé contre elles d’expédition régulière ; personne ne voulait de ces guerres obscures où l’on n’eût trouvé ni gloire ni butin. Octave y pensa ; quelque temps avant Actium il avait
entrepris de réduire ces montagnards. Il lui en avait coûté prés de deux
années de fatigues et de dangers personnels ; deux fois il y avait couru
risque de la vie, et il y avait reçu d’honorables blessures ; car il avait
voulu fouiller l’un après l’autre tous ces repaires d’héroïques bandits,
abattre leurs forts, prendre leurs otages, les condamner enfin au repos et à
la crainte. Les Dalmates avaient livré les drapeaux de Gabinius, et les
Liburnes, les vaisseaux qui leur servaient à la course. Si les Salasses l’avaient
obligé de traiter avec eux, les Iapodes avaient été domptés, les Carnes et
les Taurisques punis, III. — PAYS DE LANGUE GRECQUE.Macédoine et Grèce.
— Si la péninsule orientale a ses Alpes dans le mont Hæmus (les Balkans), elle
a son Apennin dans le Pinde, épaisse muraille qui descend droit au sud, ne
laissant passer sur sa crête qu’un petit nombre de sentiers, et en un seul
point, à Enfermée dans son quadrilatère de montagnes, La police sévère qu’Octave avait commencé à faire dans l’Illyrie
profitait à Autrefois, dit Strabon, l’Épire était occupée par un grand nombre de peuples vaillants ; à présent la plupart de ses cantons sont déserts et ses villes détruites. Il ne lui reste que des villages ou des masures ; et cette désolation, commencée il y a longtemps, continue encore. Varron trouve pourtant quelque chose à y louer : Les esclaves d’Épire, dit-il, sont les meilleurs et les plus chers ; triste renom pour les descendants des soldats de Pyrrhus ! Ce pays, couvert de montagnes qui courent jusque sur les bords de la mer, n’a point de ces riches plaines autour d’un port que recherchaient les coloris grecs ; aussi n’étaient-ils venus qu’en petit nombre sur cette côte. Ayant peu de blé, les Épirotes vivaient, dispersés dans des villages, du produit de leurs troupeaux. Aujourd’hui encore Janina fait venir sa farine de Thessalie, d’où on la transporte à dos d’âne et de mulet, tandis que les fruits et les végétaux sont tirés d’Arta, l’ancienne Ambracie. Il n’y avait un peu de vie que le long de la voie Egnatia qui traversait cette province, et à Dyrrachium, place d’armes de Pompée, ce qui l’avait compromise aux yeux des amis de César. Apollonie, plus au sud, en avait profité, et ses écoles avaient reçu le jeune Octave. Cette dépopulation de l’Épire s’étendait sur Durant les guerres civiles, Athènes s’était trouvée du côté des vaincus, comme elle l’était toujours depuis Chéronée, mais elle en fut quitte pour de légers sacrifices. Ainsi qu’Alexandre, les Romains de tous les partis respectaient la cité des Muses[5] ; même ils la laissaient se vanter d’avoir secouru Rome dans ses périls et ériger un tombeau aux soldats morts dans ces expéditions mensongères, comme ils laissaient les achéens graver au-dessous de la statue de Polybe que si le vainqueur de Carthage et de Numance avait été le bras qui frappait, le fils de Lycortas avait été la tête qui dirigeait. Mais parfois un proconsul mécontent rappelait avec une outrageante franchise au peuple de Minerve qu’il n’y avait plus d’athéniens dans Athènes, et qu’on n’y trouvait qu’un ramas d’aventuriers de toutes les nations. D’Autres disaient encore, et ceci était plus grave, que ce n’était plus au Pnyx qu’il fallait venir entendre la belle langue de Démosthène et d’Eschyle : le pur idiome s’altérait dans ces bouches étrangères. Aussi les écoles de Rhodes, de Marseille et d’Éphèse faisaient-elles aux rhéteurs d’Athènes une désastreuse concurrence. Cependant elle restait le refuge du vieil esprit païen, le
foyer principal de l’hellénisme et de la philosophie[6]. En vain saint
Paul viendra dire aux élèves dégénérés de Socrate et de Platon quel est le
dieu inconnu auquel leurs pères élevaient des autels, sa voix n’aura pas d’écho
au pied du Parthénon. Mais elle sera mieux entendue dans la nouvelle
Corinthe, relevée par César et Auguste ; l’Apôtre y recrutera une milice
nombreuse, moins nombreuse pourtant que celle qui, par sa mollesse
proverbiale, méritera à cette ville de commerce et de plaisir le surnom de
Corinthe Polybe disait qu’il ne donnerait pas 6000 talents du Péloponnèse tout entier. Combien, depuis ce temps-là, la misère ne s’était-elle pas accrue ? Mainte ville y était trop pauvre, même pour subvenir aux frais des adulations officielles. Fallait-il honorer quelque Romain puissant, on grattait. une vieille statue, on remettait à neuf un héros du temps passé, et Oreste devenait Octave. On ne faisait pas plus de dépense pour les dieux. A Argos, le toit du temple de Cérès s’écroule ; le reconstruire eût coûté cher : dans l’intérieur du somptueux édifice élevé par les pères, les enfants bâtirent un temple de briques. La déesse pouvait bien habiter une humble chapelle, quand son peuple n’habitait plus que des ruines. Des douze villes de l’Achaïe, cinq étaient ou détruites ou
désertes. Comme l’Arcadie est totalement dévastée,
dit Strabon, il serait inutile d’en faire une
longue description. Tégée seule conservait un peu de vie ; Octave
venait de lui enlever une statue de Minerve en ivoire et une relique des
temps mythologiques, les défenses du sanglier de Calydon. Ruine des cités, ruine aussi des temples : Avec les fêtes nationales sont tombés les derniers liens qui réunissaient les cités grecques en corps de nation. Il est vrai qu’Octave les convie à ses jeux actions, dont il donne l’intendance aux Lacédémoniens. Mais qu’iraient-ils faire dans cette Acarnanie presque barbare, qu’ils ont à peine connue au temps de leur indépendance, et où des mains étrangères distribuent les couronnes ? Cependant cette pauvre reine délaissée se drape fièrement dans ses haillons ; à travers les trous de son manteau, on voit son orgueil ; elle s’estime plus noble que ses maîtres, et c’est grande faveur si elle renonce à les poursuivre du titre de barbares. Montesquieu a accusé Rome de cette décadence ; mais les
Romains ne pouvaient rendre à Sicile et îles grecques.
— Tous les Grecs d’Europe semblaient alors livrés à la divinité jalouse,
cette Némésis que les anciens croyaient irritée par les fortunes trop
grandes, mais dont la colère n’est que l’inévitable expiation des fautes
commises dans la prospérité. Lorsque Théocrite chantait à Syracuse les beaux jours du sage roi Hiéron et le calme bonheur des campagnes siciliennes, la grande île, délivrée des Carthaginois, n’avait pas été ravagée par les proconsuls romains. Mais il y avait de cela près de deux cents ans ; et depuis, à chaque génération, elle s’était appauvrie. La côte du nord, faisant face à l’Italie, était, comme à présent, la mieux peuplée : Panorme, Ségeste, qui se disait parente de Rome, et plus à l’ouest Lilybée, y tenaient le premier rang. Sauf Agrigente, qui s’était encore une fois relevée, le rivage faisant face à l’Afrique était couvert de vieilles ruines qui dataient des guerres Puniques ; la lutte contre Sextus Pompée en avait fait de nouvelles sur la côte orientale ; les insurrections serviles, dans l’intérieur ; les brigands de mer, partout. Devenue la ferme du peuple romain, possédée par des maîtres qui dépensaient au loin l’or que leur donnait son sol fécond, elle n’avait plus ni cour, ni princes, ni riches citoyens qui offrissent au génie cette hospitalité somptueuse que Hiéron avait donnée à Pindare, à Simonide, à Eschyle, à Épicharme ; et les Muses se tairaient, effarouchées au milieu de cette population de pâtres féroces qui gardaient le souvenir menaçant d’Eunus et d’Athénion. Dernièrement, dit Strabon, pendant que j’étais à Rome, on y amena un certain Silurus qui se faisait appeler le fils de l’Etna. À la tête d’une troupe nombreuse, il avait longtemps désolé tous les alentours de la montagne. On l’exposa dans l’amphithéâtre, durant un combat de gladiateurs, sur une haute estrade qui figurait l’Etna. Le combat achevé, la montagne s’abîme, et le fils de l’Etna se trouva précipité au milieu des bêtes féroces, qui le mirent en pièces. Alors comme à présent le voyageur qui faisait la traversée d’Italie en Grèce s’arrêtait à Corfou et à Zante, l’une magnifique station commerciale et militaire, l’autre qui mérite si bien le nom que les matelots lui donnent, Fiore di Levante, et que, dans le plus triste de nos mois d’hiver, j’ai trouvée couverte de fleurs. De Corfou, trois routes menaient, en Asie et dans l’Afrique orientale. On remontait au nord jusqu’à Dyrrachium, tête de la grande voie Egnatia qui conduisait à Lysimachie et à Byzance ; ou, par le golfe de Corinthe et l’Attique, on gagnait les Cyclades, semées sur la mer Égée comme un collier de perles marines autour de Délos, la plus petite, mais la plus fameuse d’entre elles. Sur ces flots sonores qui répétaient les noms héroïques de l’ancienne Grèce, le navigateur voguait, sans perdre la terre de vue, de Délos, où étaient nés Apollon et Diane, à Naxos et Andros, les !les sacrées de Bacchus ; de Paros, dont le marbre rivalisait avec celui du Pentélique, à Mélos (Milo) qui nous gardait le chef-d’œuvre de la statuaire grecque ; mais il évitait la triste Gyaros, dont les rocs décharnés remplacèrent, pour les exilés de l’empire, les délicieux séjours des bannis de la république à Tibur et à Préneste. Plus loin, les grandes îles de la côte d’Asie, Lesbos, Chios, assez riche pour payer au roi de Pont une rançon de 2000 talents, Samos. Cos, Rhodes, où s’était arrêtée la fortune de Mithridate, avaient promptement réparé leurs pertes, et les magistrats romains qui se rendaient dans les provinces orientales s’arrêtaient volontiers dans ces îles fécondes où, sous le plus délicieux climat, la vie grecque s’épanouissait avec toutes ses séductions[9]. Les gouverneurs de Villes grecques de Les rives de Le commerce de l’Orient suivait alors deux routes : celle
du IV. — PROVINCES D’ASIE.Asie-Mineure.
— L’Asie-Mineure s’avance comme un immense promontoire entre le Pont-Euxin et
la mer de Chypre, refoulant devant lui les flots de la mer Égée. Si on limite
l’Asie Mineure à une ligne tirée de Trapézonte au golfe d’Issus, elle formera
une péninsule dont l’étendue égalera presque celle de C’est dans la région montagneuse du nord et du sud que
sont les plus belles parties de la péninsule. Les montagnes se couronnent d’immenses
forêts, et à leur pied s’étendent de riches plaines où se succèdent les
cultures les plus variées. Çà et là leurs flancs se creusent en larges et
profondes vallées, ou s’entrouvrent pour laisser passer quelques fleuves qui
descendent à l’Euxin et à la mer Égée. La fécondité de ces terres est telle,
qu’elles n’ont jamais besoin de fumure, et que chaque année cette partie de l’empire
des Turcs peut exporter pour l’Europe au moins 100 millions de kilogrammes de
grains. Qu’était-ce donc lorsque l’Asie Mineure était aux mains de la race
active et industrieuse qui, dans l’antiquité, avait pris possession de toutes
les cites, déposé une ville au bord de chaque fleuve, en face de chaque port
et dans toutes ces îles, arches brisées du ont qui unissait autrefois Le temps et les mœurs avaient mis de grandes différences
entre ces peuples dans le sang desquels se mêlaient, en proportion
différente, les éléments aryens et sémitiques. Le Phrygien, plus timide qu’un lièvre, chassé par la misère
du sol aride et brûlé qu’il habitait, descendait chaque année à la côte pour louer
ses services, au moment de la récolte des olives ; et si les affaires
allaient mal, il vendait ses enfants pour se remettre en fonds. Le Lydien faisait
comme lui, et se vendait lui-même pour quelque douce domesticité. On pouvait
lui demander tous les services jusqu’aux plus honteux, pourvu que ce ne fût
pas trop fatigante besogne. Dès le temps d’Hérodote, ce peuple passait pour
le plus efféminé de l’Asie ; et le curieux conteur, embarrassé d’expliquer
cette mollesse sans exemple, en faisait une sorte d’institution politique.
Aux deux extrémités, dans On voit qu’il y avait encore bien des diversités dans la
grande péninsule asiatique. Mais, chez tous ces peuples brisés par une longue
servitude, il ne restait pas ombre de vie publique, à moins qu’on ne prenne
pour la vie des rivalités de cités et des troubles intérieurs. Les Romains
eurent donc aussi facilement raison de l’Asie Mineure que les Lydiens, les
Perses, les Macédoniens et Mithridate : ce fut l’affaire d’une bataille ; et
ils la conservèrent avec moins de peine encore. Ils avaient d’abord laissé
les rois indigènes gouverner pour eux, puis avaient pris doucement leur place
; maintenant ils la possédaient tout entière. Cependant ils n’avaient mis
sous leur administration directe que les anciens royaumes de Pergame et de
Bithynie, avec une partie des côtes qui regardent Rhodes et Chypre, c’est-à-dire
des populations à peu près grecques par l’origine ou par la langue, qui
formaient une foule de petits Mats, toujours en guerre quand une autorité
supérieure ne leur imposait point la paix[11]. Laissant donc
aux indigènes le Centre et l’Est, les Romains avaient occupé la région
occidentale et jeté comme deux bras autour de la presqu’île pour atteindre,
par delà Sinope, le Thermodon, par delà Tarse, les Portes syriennes. Ils
tenaient ainsi tous les débouchés de la péninsule, commandaient toutes ses
communications arec le dehors et avaient la main sur les cités grecques
assises le long de ses rivages. Pour mieux effacer les anciens souvenirs d’indépendance,
ils avaient, dans leur nouvelle distribution de l’Asie, confondu les peuples
et les territoires. Il est bien difficile,
dit Strabon, de déterminer au juste ce qui
appartient à Quant à l’intérieur, comme ils avaient trouvé dans les peuples de vieilles habitudes de soumission à des dynasties nationales, et dans celles-ci un empressement intéressé à ne régner que dans les vues de Rome, ils s’étaient gardés de supplanter des gens qui faisaient si bien les affaires de la république. De ce désintéressement apparent il résultait que, de ce côté, les frontières présentaient une conformation singulière : tandis que, sur l’Euxin et la mer de Chypre, la limite des provinces atteignait presque le méridien d’Antioche ; dans les terres, elle reculait, peu s’en faut, jusqu’à celui de Byzance. L’Asie romaine formait trois provinces : Bithynie, Asie
proprement dite et Cilicie. Les colonies y étaient peu nombreuses, car elle n’avait
pas fait une résistance qui nécessitât de grandes précautions. Les armées n’y
ayant guère séjourné, on n’avait pas non plus trouvé l’occasion d’y établir
des vétérans. Cependant, sur les côtes du nord, Sinope, belle et forte place,
dont la marine dominait autrefois tout l’Euxin, Héraclée, Apamée de Bithynie,
Lampsaque[12],
avaient reçu des colons. Cyzique, qui avait rendu tant de services durant la
guerre de Mithridate ; Ilion et ses ruines vénérables, berceau du peuple
romain, comme on voulait le croire alors ; Chios, que Mithridate avait ruinée
et que Sylla releva ; Même au centre des provinces subsistaient de petites
principautés sacerdotales ou laïques. L’intérieur de Antoine n’avait pas été heureux dans ses amitiés ; un
autre qu’il avait fait dynaste, Amyntas, le trahit encore ; un Galate lui
resta plus fidèle. La partie orientale de La province d’Asie renfermait, disait-on, cinq cents
villes, dont les plus belles par leur site étaient : Cyzique, la reine de Milet, avec ses quatre ports, dont un seul pouvait
contenir une flotte entière, était, après Éphèse, la plus grande ville de l’Ionie.
Bâtie à l’embouchure du Méandre, fleuve au cours capricieux et changeant,
elle avait à en souffrir. Toutes les fois qu’il
dérangeait les limites des propriétés, en rongeant les angles de ses rives,
on lui intentait un procès, et, s’il était convaincu, on le condamnait à des
amendes qui étaient prises sur les péages. Le fleuve payait ainsi
ses dégâts. Mais il a fini par avoir raison de la ville, et c’est dans ses
alluvions qu’il faut aller aujourd’hui chercher les débris des temples qui
faisaient l’orgueil de l’Ionie. Les Cyméens disputaient aux Abdéritains le privilège
de défrayer à leurs dépens la verve sarcastique des plaisants, sans qu’Éphore
et Hésiode, leurs compatriotes, plaidassent pour eux contre leur réputation
malheureuse. Synnada avait des marbres précieux ; Cibyra, des fabriques de
fer ciselé ; Colophon, un oracle fameux d’Apollon que Germanicus consulta ;
Pergame venait de perdre sa riche bibliothèque, donnée par Antoine aux
Alexandrins ; mais un de ses citoyens, Apollodore, était l’ami d’Auguste, qui
daignait recevoir de lui des leçons de belles-lettres. Une brillante ceinture
de villes florissantes bordaient L’Asie avait beaucoup souffert dans les dernières
convulsions de la république, sans avoir eu, comme Syrie et Phénicie.
— César, après Pharsale, y avait laissé pour gouverneur son parent Sextus Julius. Un ancien lieutenant de Pompée, Bassus, longtemps caché à Tyr, profita de l’éloignement du dictateur et des fausses nouvelles qui, de temps à autre, arrivaient d’Espagne ou d’Afrique, pour se former un parti soulever les gens de Sextus et le faire égorger par eux. Il prit alors le titre de préteur et prétendit gouverner la province. Mais l’exemple qu’il avait donné parut bon à suivre : ce qu’il avait fait contre son prédécesseur, un certain Aritistius l’essaya contre lui, et il fut à son tour assiégé dans Apamée. Cette ville, presque entourée de tous côtés par l’Oronte et un grand lac, était inexpugnable. Les deux adversaires ne se trouvant pas assez forts pour se vaincre, appelèrent un chef arabe du voisinage habitué à vendre au plus offrant ses services, et qui d’ordinaire aidait les Parthes à envahir la province, pour faire sa main au milieu du désordre. Il se rendit à une conférence entre la ville et les légions, proposa ses conditions et fit son prix, que Bassus fut seul assez riche pour payer. Sûr de l’Arabe, il appela encore les Parthes. Qu’il était temps que Rome recouvrât sa force ! Pendant que la querelle se vidait à Philippes entre la
république et l’empire, Cependant, dès que la paix sera affermie, la prospérité renaîtra dans cette région, si bien située entre l’Euphrate et, la mer de Chypre, où les ramifications du Taurus et du Liban forment de délicieuses vallées, et qui, si elle touche au désert, a aussi les plaines fertiles qu’on trouve toujours au pied des grandes montagnes. C’est la porte de l’Orient : tout passera par la riche cité d’Antioche, que Pompée a laissée libre, et par son port de Séleucie. Dans quelques années, Strabon dira qu’elle est presque aussi grande qu’Alexandrie. Mais l’intérieur du pays, même la vallée de l’Oronte, ne seront pas débarrassés des brigandages des montagnards et des Arabes. Chalcis, le phylarque d’Émèse, et les habitants de Damas peuvent quelquefois les arrêter, non les détruire, car le calcaire poreux des roches de l’Anti-Liban, percé partout de cavernes profondes, leur offrait d’inexpugnables retraites. Près de Damas il s’en trouvait une où quatre mille hommes se cachaient aisément[18]. L’ennemi le plus à craindre pour les Syriens était toujours les Parthes. César avait promis de délivrer la province de cette inquiétude ; Auguste remplira cette promesse d’une façon moins héroïque, mais peut-être plus sûre. La côte de Phénicie, que Strabon prolonge jusqu’à Péluse, avait moins souffert qu’on ne le dit de la rivalité d’Alexandrie. Aradus et Tyr avaient toujours une population surabondante, qui était obligée de bâtir des maisons à six et huit étages ; et la pourpre tyrienne, célèbre dans tout l’empire, alimentait une industrie chaque jour plus riche. Sidon, libre comme Tyr et aussi peuplée, était le centre rte la fabrication du verre. Ce que les Grecs avaient sourdement miné, ce n’était donc ni le commerce ni l’industrie de leurs anciens rivaux, mais leur langue et leur civilisation. On ne trouvait plus de Phéniciens à Tyr et à Sidon ; par contre, beaucoup d’astronomes et de mathématiciens, de rhéteurs et de philosophes, d’écoles enfin où étaient enseignées toutes les branches des connaissances humaines. Même d’Ascalon et de Gadara sortaient Philodème l’épicurien, Ménippe le satirique, et Théodore le rhéteur. Les catégories d’Aristote et les idées de Platon effaçaient dans ces villes des patriarches le souvenir des légendes bibliques. V. — PROVINCES D’AFRIQUE.Égypte. — Le 15 août de l’an 50 avant notre ère, la race des Lagides s’était éteinte, après avoir régné près de trois siècles, d’abord avec éclat, puis avec faiblesse et opprobre. Tombée, comme tous les États d’Orient, dans cette demi servitude où le sénat se plaisait à tenir les plus puissantes monarchies, l’Égypte ne s’appartenait plus depuis le jour où il avait fallu pour la sauver qu’un ambassadeur romain étendit sa baguette entre elle et l’armée d’Antiochus Épiphane. Il y avait de cela près d’un siècle et demi ; mais les Romains aimaient à voir mourir lentement : à l’amphithéâtre, ils auraient mis en pièces le gladiateur qui eût frappé trop vite. L’Égypte vécut donc au milieu des guerres civiles et des incestes, des exactions et des massacres, voyant ses rois, tour à tour persécuteurs et victimes, ne s’inquiéter que d’une chose, amasser l’or dont ils achetaient à Rome quelque tribun ou consul. De plus en plus l’histoire de ce grand empire était devenue celle des révolutions du palais, et, à ses derniers jours, il n’en eut plus d’autre que les aventures de cette femme ambitieuse et passionnée qui,-par sa grâce et son esprit, par son fol abandon au plaisir et sa mort courageuse, distrait un instant de la triste et sanglante tragédie du second triumvirat. L’amour de césar absout Cléopâtre de sa passion pour Antoine qui ne fut qu’un calcul nécessaire. Si la femme a été faible d’ailleurs, la reine fut grande, grande au moins à la façon de l’Orient, c’est-à-dire fastueuse et cruelle, mais habile, et fière jusque dans la mort. Avec elle, la vieille Égypte descendit au tombeau. Elle avait adopté ses rois macédoniens et inscrit leurs noms à côté de ceux de ses vieilles dynasties. Mais la parole d’Ézéchiel va maintenant s’accomplir ; l’Égypte n’aura plus que des maîtres étrangers : et dux de terra Æypti non exit amplius. Une société qui s’est en quelque sorte moulée sur le sol qu’elle occupe est bien forte contre le temps et les hommes. Il est difficile de trouver un gouvernement pire que celui des derniers Ptolémées ; cependant, malgré les émeutes continuelles et les massacres périodiques d’Alexandrie, l’Égypte prospérait : c’était encore la terre chantée par Théocrite, car le sol y était toujours fécond, les villes innombrables et le fleuve bienfaisant. C’était aussi la grande route du commerce indien, et comme la forteresse d’où l’on pouvait tenir en bride l’Afrique et l’Arabie. Tant d’avantages frappèrent l’œil clairvoyant d’Octave, et il prit toutes les mesures que put lui suggérer la prudence, afin d’empêcher une révolte, dans une contrée si bien constituée pour une vie à l’écart ; si bien défendue contre les agressions du dehors par le désert qui l’enveloppe, par la côte inhospitalière qui la borde. Cambyse avait égorgé les prêtres et profané les monuments. Cette politique eut les conséquences qu’elle méritait d’avoir : l’Égypte, sous les Perses, fut en révolte presque continuelle. Octave respecta tout, la religion, la langue, les habitudes de ce peuple. S’il refusa de se détourner de son chemin pour voir le bœuf Apis, il accomplit du moins, comme César, les rites accoutumés dans les temples, où il permit aux prêtres, intéressés à montrer dans le vainqueur un dévot à leurs dieux, de le représenter faisant une offrande à Horus. Quand il eut visité le tombeau d’Alexandre, on voulut lui montrer celui des Ptolémées : Je suis venu voir un roi, dit-il, et non des morts. Ce fut sa seule vengeance contre la mémoire de ceux dont il prenait la place. Nous le verrons gouverner comme eux, mais sans émeutes et avec plus d’ordre et de prévoyance. Dès l’abord, les soldats qui avaient vaincu Antoine furent employés à nettoyer les canaux engorgés du Nil. C’était de bonne politique pour l’Égypte, où ces travaux régularisaient l’inondation du fleuve, et pour Rome, que les blés égyptiens allaient nourrir[19]. L’Égypte avait sept millions d’hommes et de grandes
richesses ; Octave ne voulut confier tant de forces qu’à d’obscurs
personnages, à de simples chevaliers qui, n’étant rien que par lui, ne
pourraient rien contre lui. Il ne leur donna même pas les insignes des
gouverneurs ordinaires[20]. C’étaient des
agents qu’il envoyait administrer une de ses fermes[21], et dont il
revoyait lui-même les comptes. L’Égypte, considérée comme le domaine des
empereurs, ne comptait point parmi les provinces, et ses revenus, au lieu d’être
versés dans les caisses publiques, alimentaient leur fortune particulière.
Une légion dans Alexandrie, deux dans le voisinage, neuf cohortes et trois
escadrons, commandaient une obéissance que, en dehors de la capitale, ces
populations dociles ne marchandaient pas. Pour n’avoir pas à craindre que
cette armée fût subornée par quelque ambitieux personnage, il interdit à tout
sénateur, à tout chevalier d’illustre. naissance, de pénétrer aux bords du
Nil sans une permission expresse donnée par lui. Nul ne put, si ce n’est le
marchand obscur ou le voyageur sans nom, aller visiter cette terre des
merveilles. Et, tandis que Ces précautions étaient justifiées par la richesse, la
position et l’organisation sociale de l’Égypte. Les villes de Polybe rend aux Égyptiens ce témoignage accepté par Strabon, qui les connaissait bien, qu’ils étaient intelligents et soumis aux lois. Peu leur importait le nom de leur maître, pourvu que le Nil montât, au jour fixé, par-dessus ses rives, que leurs animaux sacrés ne mourussent pas trop souvent, que Sérapis continuât clans Canope ses guérisons merveilleuses et qu’ils pussent célébrer les fêtes de leurs mille divinités. A celle de Sérapis, jour et nuit, les barques couvraient le fleuve et les canaux, et la rive retentissait de chants obscènes et de danses honteuses. D’Alexandrie à Canope la route a 120 stades : elle n’était alors qu’une longue rue, bruyante et folle. Voilà leur grande affaire. Le plaisir est leur dieu
véritable, leur seul culte ; mais Rome n’entend pas le leur ôter. Pourquoi
donc se laisseraient-ils saisir d’un nouvel accès de fierté, plutôt grecque d’ailleurs
qu’égyptienne, et pourquoi recommenceraient-ils la guerre Alexandrine ? Si la
crue du fleuve n’est pas assez forte et que la famine menace, si l’impôt est
trop lourd, ils pourront bien murmurer, faire une émeute ; mais la vue de
quelques soldats armés dissipera la plus formidable révolte. Toute Ainsi la grande religion d’Isis, la mystérieuse déesse, et du bon Osiris était devenue un fétichisme grossier, dont le cérémonial et la liturgie étaient ces orgies que l’Orient aime à mêler à la dévotion populaire. Cependant la forte science des anciens prêtres perçait à travers l’enveloppe nouvelle qui recouvrait la vieille société, et Strabon montre les Grecs se faisant traduire les livres de l’Égypte pour exploiter, sans en rien dire, ces trésors enfouis. Alexandrie était le grand atelier des traductions et des commentaires[25]. Cet accouplement de deux civilisations si différentes se faisait aussi sur d’autres points : à Memphis, la plus grande ville du royaume après la capitale, comme elle peuplée de gens de toutes nations, et qui donnait aux adorateurs du bœuf Apis l’étrange spectacle de combats de taureaux ; à Ptolémaïs, cité toute grecque, qui le cédait à peine à Memphis, et dont le voisinage avait achevé la ruine de la grande Thèbes, la ville aux cent portes, par chacune desquelles sortaient deux cents hommes avec leurs chevaux et leurs chars de guerre. Pour les Grecs et les Juifs, l’Égypte était un immense marché où ils accouraient ; pour les nomades des déserts d’Afrique et d’Arabie, une oasis de verdure et d’eau où chaque jour quelques-uns d’entre eux s’arrêtaient. À Coptos, dit Strabon, se trouvaient autant d’Arabes que d’Égyptiens. On voyait donc recommencer le mélange qui avait eu heu à l’origine de la société égyptienne ; niais il n’allait pas en sortir les merveilles qui avaient signalé l’ancienne civilisation de ce pays. Alors la terre avait été plus forte que les hommes, et cette première culture dans une contrée à laquelle nulle autre au monde ne ressemble avait pris un caractère unique. Aujourd’hui la main de Rome est trop lourde, le souffle de l’esprit grec trop puissant pour que la vieille Égypte résiste à la double action sous laquelle tombent les barrières qui abritent l’indépendance des nations et l’originalité des institutions, des mœurs et des croyances. L’Égypte, plus que tout autre, y perdra ; mais ce sera au profit du monde. Cyrénaïque et Afrique
romaine. — Alexandrie est à l’extrémité occidentale de l’Égypte
; le Delta y finit et le désert y commence. Depuis l’île de Pharos jusqu’au promontoire
de Carthage, sur un développement de côtes de 750 lieues, les vaisseaux
rencontraient à peine un port. L’Afrique est aussi redoutable aux voyageurs
sur ses rives que dans ses solitudes sans eau. Ce n’est pas que le Sahara
arrive partout jusqu’à la mer ; autour de cet océan de sable qui occupe le
centre de l’Afrique septentrionale, règne un immense plateau, l’Atlas, qui,
par sa végétation, quelques-uns de ses animaux et son climat, tient beaucoup
plus de la nature du sud de l’Italie et de l’Espagne que de celle de l’Afrique
proprement dite. Si les cimes qui dominent ce plateau ne sont pas assez
hautes pour porter des glaciers, la neige et les froids rigoureux n’y sont
pas rares. Ce plateau a deux terrasses : l’une qui descend au Sahara, c’est
le commencement du désert, le Bled-el-Djerid, le pays des dattes, où les
troupeaux trouvent encore assez de sources et de pâturages pour y multiplier
; l’autre va à A ces trois zones répondent trois sortes d’habitants : les
nomades du Bled-el-Djerid difficiles à saisir, mais tenus dans la dépendance
du Tell pour leur approvisionneraient en grains ; les Berbères ou kabyles du
plateau, race à part, aux formes athlétiques, industrieux, actifs, très braves
et restant volontiers en paix tant qu’on ne touche pas à leur indépendance ;
enfin le laboureur du Tell et les habitants sédentaires des villes de l’intérieur
et de la côte. Ceux-ci, placés en face de l’Europe, ont toujours été en
relation avec elle par le commerce ou la piraterie, par la conquête ou l’invasion.
Ces trois régions, comme ces trois populations, sont bien distinctes dans le
Maroc, l’Algérie et Tunis. Ici déjà elles se confondent ; dans la régence de
Tripoli, le Sahara pénètre jusqu’à la tuer. Sauf quelques îlots de verdure,
il n’y a plus, depuis Un merveilleux spectacle attend cependant le voyageur au
sortir des affreuses solitudes de Parætonium ou de Le testament de son dernier roi avait livré cette belle contrée aux Romains ; ils en avaient tant d’autres, que jusqu’alors ils avaient donné peu d’attention à cette possession écartée ; les empereurs s’en occuperont davantage : de belles ruines romaines attestent leur sollicitude. La gaude Syrte, qui touche à L’Afrique est toujours d’une merveilleuse richesse ou d’une
désolante stérilité. Entre Isolée par la mer et les sables, la région des Syrtes
était restée, jusqu’aux dernières guerres, séparée du monde romain par Ce royaume, divisé après la mort de Jugurtha, avait été de
nouveau réuni ; et, sous Juba, il s’étendait, à travers de fertiles régions,
de l’Ampsagas à la mer des Syrtes. De cette manière il couvrait la province
contre les incursions des nomades ; mais aussi il l’enveloppait d’une façon
dangereuse. Juba le prouva bien durant la campagne de César en Afrique.
Cependant le sénat n’avait pas négligé ses précautions ordinaires. Du côté de
la mer des Syrtes, plusieurs villes libres, Thapsus, Leptis Minor, Achulla,
Usilla, Teudalis, peut-être Hadrumète, étaient comme autant de portes
ouvertes sur La bataille de Thapsus amena la réduction en province de
toute Dans l’intérieur de Tanger, Tingis, qui
prétendait posséder l’immense bouclier d’Antée en cuir d’éléphant, venait de
recevoir d’Octave le droit de cité. Mais Quelles étaient ces peuplades ? Après que la civilisation
grecque eut gagné les Numides, les nouveaux érudits de ce peuple trouvèrent
commode de se fabriquer une illustre origine. Ils ne pouvaient être ni Romains
ni Grecs, ils se servirent d’un vague souvenir, gardé à travers les âges, de
colonies venues de l’Orient et des fabuleuses aventures de l’Hercule tyrien,
pour se rattacher à ce qu’il y avait de plus illustre dans le monde, après
Rome et Hérodote est plus simple et plus près sans doute de la vérité ; il ne connaît en Afrique que deux peuples indigènes, les Libyens et les Éthiopiens ; deux peuples étrangers, les Grecs et les Phéniciens[33]. La tradition persistante de grandes migrations, venues de l’Asie, et l’existence, depuis l’Egypte jusqu’aux extrémités de l’Atlas, d’une même langue qui n’est pas sans analogie avec les idiomes sémitiques, nous a déjà montré qu’un grand peuple s’est propagé dans ce sens sur le continent africain. Le long espace qu’il couvrit le força à se diviser en tribus, et la différence des lieux où ces tribus se fixèrent amena des différences de coutumes. Les deux races étrangères, les Grecs et les Phéniciens,
sont maintenant soumises à Rome. La race noire lui échappe et lui échappera
toujours, mais elle se trouve en face des Libyens qui, dans |
[1] La première édition de ce livre avait pour titre : Histoire des Romains et des peuples soumis à leur domination.
[2] Il est à remarquer
que dans la seconde moitié du siècle qui précède l’ère chrétienne, presque tout
l’ancien continent se trouvait partagé en quatre ou cinq grands systèmes
politiques. Au sud, Vikramaditya avait réuni la plus grande partie de la
péninsule indienne ; à l’est, l’empire chinois, sous les Han, avait contraint
les chefs des tribus de l’Asie intérieure à reconnaître leur suprématie, les
princes mêmes de
[3] Strabon atteste l’immense commerce que l’Espagne faisait, de son temps, avec l’Italie. Pline (Hist. nat., IV, 34 ; III, 4) vante sa race de chevaux, et on disait que sur les bords du Tage le vent fécondait les cavales (ibid., VIII, 42). Strabon ajoute que ces chevaux étaient aussi rapides que ceux des Parthes. Améliorée au septième siècle de notre ère par le sang arabe, cette race a, au quatorzième, donné naissance à la race anglaise.
[4] L’Illyrie paraît
avoir formé une province distincte de
[5] Antoine (Appien, Bell. civ., V, 66) et Germanicus (Tacite, Ann., II, 53) ne gardèrent qu’un seul licteur en entrant dans Athènes, ville libre et fédérée. Avant Pharsale, César et Pompée avaient fait proclamer par un héraut αύτούς μή άδιxεϊν τόν στρατόν τών θισμεφόροιν (Appien, ibid., II, 70). Antoine leur donna Égine, Icon, Céa, Sciathos et Péparèthe. (Appien, ibid., V, 7.) Ils possédaient encore Salamine, Haliarte en Béotie (Strabon, IX, p. 411), Érétrie dans l’Eubée, Délos (id., X, p. 486), où s’étaient établis les marchands forcés de quitter Corinthe et où se tenait mie foire qui attirait beaucoup de Romains.
[6] Pausanias, I, XVII, 1 ; XXIV, 5 ; XXVI, 6. Josèphe l’appelle quelque part la plus religieuse des cités païennes, et Athénée Έλλάδος μουσεϊον, έστία xαί πρυτανεόν (V, 12 ; VI, 65).
[7] Magnarum rerum magna sepulcra rides (Pétrone, Fragm. poétique. Cf. Hinstin, op. Laud., p. 203).
[8] Le temple de Delphes est fort pauvre, dit Strabon (IX, p. 420), et il n’y a plus de conseil amphictyonique. Cet écrivain était en Grèce à l’époque même qui nous occupe, en l’an 29 av. J. C.
[9] Pison, se rendant
en Syrie, va d’Athènes à Rhodes par les îles ; Germanicus, de l’Eubée à Lesbos
et de là en Troade pour gagner
[10] La région des
plateaux se compose d’une suite de plaines légèrement ondulées ou à surfaces
parfaitement horizontales, couvertes de tuf volcanique et d’innombrables
fragments de lave. Entre ces plaines courent des montagnes qui forment comme
autant de barrières naturelles, tout en leur laissant une physionomie commune :
absence presque complète de végétation arborescente et climat assez rude, celui
de
[11] Antoine avait donné aux Rhodiens Andros, Ténos, Naxos et Myndos ; il fut bientôt obligé de les leur reprendre (Appien, Bell. civ., V, 7). Illud Asia cogitet, dit Cicéron, nullam ab se neque belli externi neque domesticarum discordiarum calamitatem affidaram fuisse, si hoc imperio non teneretur.... æquo animo, parte cliqua suorum fructuum, pacem sibi sempiternam redimat algue otium (ad Quint., I, 1, 11). Dans toute l’Asie Mineure, nulle part la conquête romaine n’avait supprimé une vie politique vraiment indépendante, forte et puissante, parce que nulle part elle ne l’avait rencontrée. (Perrot, Inscr. de la mer Noire, ad fin.)
[12] On a trouvé à
Lampsaque une patère d’argent, maintenant au musée de Sainte-Irène à
Constantinople, qui offre une des plus curieuses représentations connues de
l’Artémis asiatique. La déesse est assise sur un trône d’or. Ses chairs sont en
émail noir, ainsi que ses cheveux, tressés symétriquement. Son turban laisse
passer deux petites cornes de cerf ; son vêtement est une tunique d’or parsemée
d’étoiles ; l’arc d’or est dans sa main ;rauche, la pintade et l’épervier à ses
côtés. Des chiens aux oreilles pendantes, des négresses vêtues de tuniques
d’or, et des lions, complètent l’ornementation de ce singulier monument publié
par
[13] Les descendants de Codrus portaient encore à Éphèse le titre de roi, la robe de pourpre, le sceptre, et avaient le droit de présider les jeux et les sacrifices de Cérès Éleusine. Mais Éphèse avait un privilège funeste : le droit d’asile pour son temple. Alexandre avait étendu ce privilège jusqu’à 1 stade ; Mithridate jusqu’à la portée d’un trait lancé d’un des quatre coins du temple. Antoine doubla cette mesure, de sorte qu’une partie de la ville était comprise dans l’enceinte privilégiée, ce qui y faisait pulluler les malfaiteurs. (Strabon, X, 4, 23.)
[14] L’impôt annuel de l’Asie était, sous Sylla, de 4000 talents (Appien, Bell. Mithrid., 62 ; Plutarque, Sylla, 25) ; César l’avait diminué d’un tiers, de sorte que les dix années ne devaient produire que 27.000 talents. Mais Cassius et Antoine rétablirent le tribut à l’ancien chiffre. (Appien, Bell. civ., V, 4.)
[15] Dion, XLVIII, 26.
[16] C’était un usage commun aux villes d’Asie d’engager aux créanciers les propriétés municipales. Les Cyméens, ayant donné ainsi pour gage d’un emprunt leurs portiques, n’osaient plus s’y promener, dit Strabon.
[17] Oblectamenta et solatia servitulis (II in Ver., IV, 60).
[18] Strabon, XVI, 750
; Josèphe, Ant. Jud., XV, 10, 1. II y a moins de
brigandages maintenant que la bande de Zénodore a été anéantie grâce à la bonne
administration des Romains et aux garnisons établies dans
[19] Ægyptum.... ut feraciorem habilioremque annonæ urbicæ redderet, fossas omnes.... oblitas longa vetustate, militari opere detersit (Suétone, Octave, 18). Le tribut égyptien en blé fut calculé de manière à nourrir Rome durant quatre mois.
[20] Trebonius Pollion, Trig. tyr., 21. Le préfet d’Égypte avait néanmoins imperium ad similitudinem proconsulis (Digeste, I, 17, 11, et Tacite, Ann., XII, 60.)
[21] Philon, adv. Flac., p. 987.
[22] Album photographique de M. de Rougé, pl. 3. Toutes les constructions subsistant aujourd’hui à Philæ datent de l’époque des Ptolémées ou de celle des empereurs romains. (De Rougé, ibid., Explication des planches.)
[23] Le troisième gouverneur, Gallus, lorsqu’il visita l’Égypte, ne put s’en faire expliquer les mystères. (Strabon, XVII, 29.) Il est possible que Gallus n’ait pas été satisfait de son cicérone égyptien ; car Rosellini (Mon. stor., II, p. 455) admet que l’usage des hiéroglyphes s’est conservé au moins jusqu’à Caracalla, et M. Letronne peut-être jusqu’au sixième siècle (Journal des savants, 1843, p. 464).
[24] Strabon, XVII, p. 811.
[25] George Syncelle, p. 271 ; ajoutons la grande traduction des livres hébreux ou version des Septante. Ptolémée cite sept observations des astronomes de Babylone.
[26] Voyez le curieux récit de Della Cella, Viaggio da Tripoli di Barbaria alle frontiere occidentali dell’ Egitto (1819). Le docteur Russell a réuni de précieux renseignements dans son History of the Barbary States, Edinburgh, 1855.
[27] Il n’y a aucune
cime, dit Ritter (t. II, p. 258 de la trad. franç.), qui ne soit couronnée de
ruines d’un vieux château ou d’un fort ; aucun fort qui ne soit entouré de
fossés creusés dans le roc, et de constructions remarquables pratiquées dans
l’intérieur de la montagne. Cyrène est à
[28] Arsinoé couvrait une plaine de trois quarts de lieue d’étendue, qui aujourd’hui encore est entourée d’une muraille colossale. Les ruines de Ptolémaïs ont plus d’une lieue de circuit. (Della Cella, Viaggio.)
[29] Les Bédouins, chassés du désert par l’été, viennent chaque année avec leurs troupeaux chercher l’eau et la verdure dans les montagnes de Cyrène. (Captain Beechy, Exped. of North Africa, p. 354.)
[30] Ces points sont aujourd’hui Tajouni, Bengazi, peut-être l’ancienne Bérénice, et Narza-Sousa, l’ancienne Apollonie. Ce serait, dit Ritter (II, 239), une admirable colonie pour une puissance européenne.
[31] Le poète comique Alexis, cité par Athénée, se moque de leurs longs festins. Invite un convive, dix-huit viendront sur dix chars avec trente chevaux. (Athénée, Deipnosoph., XII, 1.)
[32] C’est dans l’Atlas que se trouvait le citre (thuya articulata) qui fournissait ces tables vendues à Rome un prix fabuleux. Cicéron en paya une 230.000 francs. Les Cethegus en avaient une de 290.000 francs. (Pline, Hist. nat., XIII, 29.)
[33] Salluste, Bell. Jugurtha, 17-18 ; Procope, Bell. Vand., II, 10.