HISTOIRE DES ROMAINS

 

SEPTIÈME PÉRIODE — LES TRIUMVIRATS ET LA RÉVOLUTION (79-30)

CHAPITRE LVI — LA GUERRE CIVILE ET LA DICTATURE DE CÉSAR JUSQU’À LA MORT DE POMPÉE.

 

 

I. — PROGRÈS DE L’IDÉE MONARCHIQUE.

Déjà César, dans sa course rapide, avait franchi les Alpes glacées, méditant en sa pensée les commotions violentes et la guerre prochaine. Il touchait aux rives du Rubicon[1], barrière étroite et dernière, quand la grande ombre de la patrie en deuil se dressa devant lui. Ses traits brillent au milieu de la nuit obscure, malgré la tristesse profonde qui les couvre. De son front chargé de tours ses longs cheveux tombent en désordre ; les bras nus et debout, elle dit ces mots, entrecoupés de gémissements : Où courez-vous ? Où portez-vous mes enseignes ? Si le droit est pour vous, si vous êtes citoyens, arrêtez ! De ce côté commence le crime[2]. Le crime ! Non, mais une révolution nécessaire, que cachaient aux yeux de Lucain les illusions épiques dont il se consolait à la cour de Néron. Ce ne fut pas, en effet, la faveur du peuple qui fit de César le maître de Rome, ni son armée, ni son génie. La cause première, irrésistible, fut le besoin que l’empire avait d’un gouvernement ferme et régulier.

Tout tendait à une monarchie que la perte de l’égalité, la désorganisation de l’empire et les vœux des classes tranquilles rendaient inévitable. Qu’avaient été le tribunat de Caïus, les consulats de Marius et de Cinna, la dictature de Sylla, les commandements de Pompée, si ce n’est autant de royautés temporaires[3] ? Depuis un siècle, cette idée avait fait bien du chemin et rallié, à leur insu, bien des esprits, même parmi les plus élevés. Cette paix que Lucrèce demande[4] ; cette sagesse nouvelle qui conseille de fuir la vie publique et ses dangereuses séductions, autant que les temples et leurs vaines terreurs ; ce repos que cherche Atticus dans l’éloignement des affaires et l’amitié de tous les rivaux[5] ; les incertitudes mêmes de Cicéron, ne sont-ce pas les indices du dégoût inspiré par la désolante anarchie qu’on appelait la république romaine ? La république, disait Curion, mais abandonnez donc cette vaine chimère[6]. Ralliez-vous à nous, écrivait à Cicéron Dolabella, son gendre ; ralliez-vous à César, sous peine, en poursuivant je ne sais quelle république surannée, de ne courir qu’après une ombre[7]. C’était le mot de César, vain nom, ombre sans corps[8]. Si les aruspices consultés, en 56, sur des prodiges dont le peuple s’effrayait, avaient répondu que la république était menacée de tomber au pouvoir d’un seul, cet avis leur avait été révélé non par les entrailles des victimes ou le vol des oiseaux, mais par l’opinion publique dont ils avaient été l’écho inconscient[9]. Cicéron n’écrivait-il pas lui-même : Qu’entendez-vous par les hommes du bon parti ? Je n’en connais pas. Est-ce le sénat, qui laisse les provinces sans administration et qui n’a point osé tenir tête à Curion ? Sont-ce les chevaliers, dont le patriotisme a toujours été chancelant, et qui sont maintenant les meilleurs amis de César ? Sont-ce les commerçants et les gens de la campagne, qui ne demandent qu’à vivre en repos, n’importe sous quel régime, fût-ce même sous un roi ?... César est maintenant à la tête de onze légions et d’autant de cavalerie qu’il en voudra. Il a pour lui la Transpadane, le peuple de Rome, la majorité des tribuns, toute la jeunesse débauchée, l’ascendant de son nom, et son incroyable audace[10].

Plutarque, qui avait sous les yeux des documents que nous avons perdus, écrit de son côté : On voyait des candidats dresser des tables au Champ de Mars et acheter sans pudeur les suffrages, tandis que d’autres y amenaient des troupes armées qui, à coups de flèches, de frondes ou d’épées, chassaient leurs adversaires. Plus d’une fois, la tribune fut souillée de sang ; la ville était emportée dans l’anarchie comme l’est dans la tempête un vaisseau sans gouvernail. Aussi les sages souhaitaient-ils que cette démence n’enfantât rien de pire que la monarchie, et ils s’y résignaient[11]. — La république est incurable, disaient-ils encore ; il n’y a d’autre remède que la monarchie, et ce remède il faut le demander au médecin le plus doux[12].

Ceux qui cherchaient pour la grande malade le médecin le plus accommodant, celui qu’on aurait à payer le moins cher, voulaient désigner Pompée[13], de sorte que ce personnage arrivait doucement à son but : les consuls abdiquaient en ses mains ; qu’il abatte César, c’est le dernier obstacle ; et il compte y réussir sans peine. Il ne croit pas même qu’il soit besoin de longs préparatifs : à Ravenne[14], César n’a qu’une légion, et ses négociations persévérantes ne prouvent-elles pas sa faiblesse et ses craintes ?

 

II. — PASSAGE DU RUBICON ; CÉSAR PREND POSSESSION DE ROME ET DE L’ITALIE (49).

Mais tout à coup la nouvelle arrive qu’il a franchi le Rubicon, limite de sa province, et pris Ariminum, où il a montré à ses soldats les tribuns fugitifs sous leurs habits d’esclave ; que toutes ses forces sont en mouvement, entraînant avec elles la Gaule qui lui promet dix mille fantassins et six mille chevaux ; que ses légionnaires, loin d’hésiter, sont pleins d’ardeur et lui font crédit de leur solde, tandis que chaque centurion lui donne un cavalier ; qu’enfin toutes les villes lui ouvrent leurs portes, et que de sa personne il avance rapidement par la voie Flaminienne, accueilli avec enthousiasme par les populations. Où est ton armée ? demande Volcatius à Pompée. Frappe donc du pied la terre, lui dit ironiquement Favonius, il est temps. Et le faux grand homme, coupé de ses légions d’Espagne, était réduit à avouer qu’il ne pouvait défendre Rome. Il essaya d’échapper à la première impétuosité de César, en l’arrêtant par une feinte négociation dont il chargea un des parents du proconsul et le préteur Roscius. César maintint les conditions contenues dans sa lettre au sénat et exprima le désir d’avoir une entrevue avec Pompée. Au retour les députés firent de sa modération le plus grand éloge. Sa demande d’un désarmement simultané paraissait juste à tout le monde[15] ; elle l’était et il la faisait en toute sincérité, car il savait que si les deux généraux désarmaient en même temps, les élections devenant libres, il serait sûrement nommé consul. Pompée le savait comme lui, et c’est pour cela qu’il voulait la guerre. Il empêcha qu’il fût répondu à l’ultimatum de César et avertit les sénateurs et les magistrats qu’ils devaient se retirer sur Capoue[16]. Ce n’était pas un simple avis qu’il donnait ; il déclara que quiconque resterait clans la ville serait traité en ennemi public. Ainsi, dès le début de la campagne, il laissait son adversaire en possession de la capitale, avantage immense dans un État où la capitale était encore tout.

L’ordre fut exécuté, et l’on vit ces sénateurs, hier menaçants, s’enfuir à la hâte devant une légion. En peu d’instants, la voie Appienne se couvrit d’une foule en désordre, moins irritée peut-être contre l’homme qui semblait la chasser que contre celui dont l’orgueilleuse incurie n’avait rien préparé pour la défendre. A Capoue, la confusion fut au comble. On manquait d’argent, quoiqu’on en eût exigé de toutes les villes et pris dans tous les temples[17] ; on manquait même d’hommes, car la crainte était partout ; à Rome, on avait pris les vêtements de deuil et ordonné des prières publiques, comme dans les grandes calamités. En Italie, les levées étaient difficiles : les uns se refusaient au service ; les autres se présentaient mollement ; la plupart criaient qu’on s’accommodât[18], et Cicéron trouvait que son ancien héros était un bien mauvais général[19]. Dans la précipitation de leur fuite, les consuls avaient laissé à Rome le trésor. Pompée voulait qu’ils retournassent le prendre ; mais il fallait une armée pour escorte, et c’est à peine si les deux légions de Capoue suffisaient à contenir les gladiateurs que César entretenait dans cette ville. D’ailleurs celui-ci approchait à grands pas, précédé de cette déclaration : Je viens délivrer le peuple romain d’une faction qui l’opprime et rétablir ses tribuns dans leur dignité. Pisaurum, Ancône, Iguvium, Asculum, furent pris ou plutôt ouvrirent leurs portes en chassant les garnisons pompéiennes.

Pour produire en temps opportun des défections dans son armée, on avait offert des congés aux soldats et, fait de grandes, promesses aux chefs. Un d’eux s’était laissé séduire, Labienus, le plus renommé de ses lieutenants. César avait mis en lui toute sa confiance. Durant l’année 50, il l’avait chargé du commandement de la Cisalpine, son poste avancé et sa forteresse. Mais Labienus, fier de sa gloire militaire et des richesses qu’il avait acquises[20], croyait avoir bien plus que son chef conquis la Gaule. A l’approche de la guerre civile, il supputa les chances des deux partis, s’imagina que Pompée serait le plus fort, et, dés le début des hostilités, passa de son côté : grande joie pour les pompéiens qui prirent cette fuite pour le signal des défections annoncées. Cicéron voyait déjà le nouvel Annibal abattu ; mais pas un soldat ne suivit Labienus ; César ne daigna même pas garder les bagages du traître[21]. Cette générosité politique, sa douceur envers les prisonniers, qu’il laissait libres d’entrer dans ses troupes ou de retourner à leur parti, la discipline observée par ses soldats, ébranlèrent le zèle de plusieurs. Dés le début, il avait dit ce mot très politique : Qui n’est pas contre moi est pour moi, à la différence de Pompée qui déclarait ennemis tous ceux qui ne se prononceraient pas pour lui. César ralliait ainsi à sa cause les indifférents et les timides, qui sont toujours les plus nombreux ; il s’attachait même les esprits droits en adressant à toutes les cités d’Italie des messages dans lesquels il conjurait Pompée de soumettre leur différend à un arbitrage[22]. On citait ses lettres à Oppius et Balbus : Oui, j’userai de douceur, et je ferai tout pour ramener Pompée. Tentons ce moyen de gagner les cœurs et de consolider la victoire : la terreur n’a réussi qu’à faire détester mes devanciers et n’a soutenu personne. Sylla fait exception, mais je ne le prendrai jamais pour modèle. Cherchons le succès par d’autres voies, et recommandons notre cause par les bienfaits et la clémence[23]. Il faut pardonner beaucoup à l’homme qui a écrit cette noble lettre, et renoncé aux mœurs politiques de son temps, en face d’un parti dont les chefs auraient autrement usé de la victoire.

Pompée, au contraire, prenait des airs de roi ; ils n’avaient, lui et ceux qui l’entouraient, que la menace à la bouche[24]. On eût dit autant de Sylla. Cette royauté était depuis deux ans sa secrète pensée : S’il a déserté Rome, écrit Cicéron, ce n’est pas qu’il n’eut pu la défendre ; s’il abandonne l’Italie, ce n’est pas la nécessité qui l’y force ; son seul dessein dès le commencement a été de bouleverser la terre et les mers, de soulever les rois barbares, de jeter sur l’Italie des flots armés de peuples sauvages, de réunir sous lui d’innombrables soldats. Un pouvoir à la Sylla, voilà ce qu’il envie, et tout ce que veulent ceux qui l’accompagnent. Aussi beaucoup s’échappaient à petit bruit et regagnaient la ville[25].

Deux grandes routes conduisaient de Rome vers la Cisalpine, en traversant, l’une le pays des Étrusques, l’autre celui des Ombriens ; César les ferma rapidement en s’emparant des fortes places d’Arretium sur la via Cassia, d’Iguvium, de Pisaurum et d’Ancône sur la voie Flaminienne. La désaffection contre le sénat et son général était si grande, que le Picenum, où Pompée avait ses domaines héréditaires et d’innombrables clients, ne fit aucune résistance. Les villes chassaient les garnisons sénatoriales et ouvraient leurs portes à César. Asculum le rendit maître de la via Salaria, le débouché de la Sabine sur Rome ; Cingulum, qui se donna à lui, malgré les bienfaits dont Labienus l’avait comblé, le mit en possession de la vallée du Velinus par où l’on descendait dans celles de l’Anio et du Tibre. Toutes les avenues de la capitale étaient donc dans ses mains, l’Apennin le couvrait contre les troupes qui sortiraient de la ville, et, sur le versant occidental de la chaîne il occupait deux points par où il pouvait prendre l’offensive, soit dans l’Étrurie, soit dans le Latium.

Mais Pompée n’avait point d’armée à Rome ; réfugié dans la Campanie, il ne s’y trouva bientôt plus en sûreté et recula jusqu’à Lucérie. Cette marche révélait le dessein de passer la mer et de porter la guerre dans les provinces orientales où les sénateurs verraient Pompée entouré d’un cortége de rois. Là, en effet, se trouvaient pour lui de grandes ressources. Il croyait pouvoir compter sur le dévouement des cités et des princes, depuis l’Adriatique jusqu’à l’Euphrate, et du Danube aux cataractes de Syène, de la Cyrénaïque au fond de l’Espagne, que gouvernaient ses lieutenants. Enfin l’immense flotte qu’il avait préparée durant son intendance des vivres reliait toutes ces provinces et lui donnait l’empire incontesté de la mer. Cicéron le blâme d’avoir abandonné l’Italie, et la postérité a fait comme Cicéron, qui n’était pas un grand général[26]. Mais, ayant commis la faute de mépriser son adversaire, ce qui l’empêcha de former en Italie, avant l’ouverture des hostilités, une armée sérieuse, puis celle de croire à des défections dont une seule eut lieu, il ne pouvait, avec ses recrues, disputer Rome à de vieilles légions qui s’étaient habituées à vaincre durant neuf campagnes de la plus terrible guerre. La retraite au delà de l’Adriatique était une nécessité militaire et, peut-être, depuis longtemps prévue[27].

César comprit ce plan dès que Pompée s’éloigna de Capoue. Rejoint par deux légions, vingt-deux cohortes de Gaulois auxiliaires et trois cents cavaliers du Noricum[28], il s’avança à marches forcées sur le Midi, pour couper aux fugitifs la route de Brindes. La résistance de Domitius à Corfinium l’arrêta sept jours. Il y avait dans la place et aux environs trente et une cohortes, des sénateurs et des chevaliers ; mais en ce pays, ancien foyer de la guerre Sociale, les peuples avaient peu d’empressement à combattre pour les héritiers de Sella contre le neveu de Marius. Les troupes de Domitius se mutinèrent, et la ville fut livrée avec les immenses magasins qu’elle contenait. On s’attendait aux cruautés habituelles ; pour les prévenir, Domitius voulut s’empoisonner. Le médecin ne lui donna qu’un narcotique, et il put, comme les autres, implorer le pardon de l’homme à qui lui et les siens n’auraient certainement point pardonné. Ils lui demandaient la vie. Mais, leur dit-il, j’ai quitté ma province pour me défendre, non pour me venger ; et il les garantit contre toute insulte de ses soldats ; il les laissa même emporter leurs richesses, sans exiger l’engagement de ne plus servir contre lui. Noble imprudence qui lui coûta beaucoup d’hommes, de temps et d’argent : quelques semaines plus tard, Domitius essayait de soulever contre lui la Narbonnaise et compromettait l’expédition de César au delà des Pyrénées, en retenant trois de ses légions sous les murs de Marseille révoltée.

Cette clémence inusitée produisit une sensation profonde. Souvent, écrit Cicéron, je cause avec les habitants des municipes et des villages. Leur champ, leur toit, leur petit pécule, voilà leur unique souci. Ils redoutent celui en qui naguère ils se confiaient, ils aiment celui qui leur faisait peur[29], et ajoutons : qui à présent les rassure. Ces paysans de Cicéron s’inquiétant fort peu de la politique, mais beaucoup de eues intérêts, sont de tous les temps. Ils tremblaient, eu entendant gronder au-dessus de leurs têtes l’orage déchaîné par des passions qu’ils ne comprenaient lias, et ils faisaient des vœux pour celui qui semblait devoir ramener la sérénité. Le vieux consulaire finit par penser comme eux ; il en vint à souhaiter que César arrivât assez tôt à Brindes pour qu’il pût y prévenir Pompée et lui imposer la paix[30].

Cette paix était le veau ardent et sincère de César : à chaque occasion il en répétait la demande, et nul doute que, sans l’immense orgueil de Pompée qui ne souffrait pas d’égal, sans la haine violente de l’oligarchie contre le proconsul populaire, la paix se serait aisément conclue. D’Ariminum, César avait envoyé à Pompée un message où, en rappelant ses justes griefs, il renouvelait les très acceptables propositions qu’il avait déjà faites et qu’il faut répéter comme lui. On avait voulu abréger la durée légale de son imperium et on lui avait refusé le bénéfice de la loi votée en sa faveur. A l’offre de licencier son armée si Pompée renvoyait la sienne, on avait répondu par l’ordre d’en lever une troisième en Italie, et on avait retenu à Capoue les deux légions qu’on lui avait prises sous prétexte de les expédier en Asie. Toutes ces mesures avaient été dirigées contre lui. Eh bien, que Pompée parte pour l’Espagne, et lui, César, congédiera ses troupes. Alors les élections consulaires se feront en toute liberté, et le sénat, le peuple, auront recouvré leurs droits. Si quelque malentendu empêche d’accepter sur l’heure ces ouvertures, que les deux généraux se rencontrent en conférence, et toutes les difficultés s’aplaniront[31]. En apprenant ces conditions la joie avait été grande parmi ceux que la guerre civile effrayait, mais elles avaient rempli Pompée de crainte, parce qu’il savait bien que si le peuple était pris pour juge, son rival l’emporterait[32]. Aussi avait-il fait une réponse évasive où les paroles les plus claires étaient que le proconsul des Gaules devait retourner dans sa province et que, jusqu’à ce qu’il dit licencié ses troupes, les levées continueraient en Italie. César ne pouvait se fier à ces obscurités menaçantes[33] ; il n’arrêta pas sa marche. Cependant, sur la route de Brindes, devant Brindes même, il demanda encore à deux reprises une entrevue. Les consuls sont loin, répondit Pompée, on ne peut traiter sans eux. Ces aveugles, à qui la perte de l’Italie aurait dû ouvrir les yeux, ne voulaient ni voir ni entendre ; même en fuyant, ils rêvaient de victoires, de meurtres et de proscriptions. Le plus pacifique, Cicéron, ne dit-il pas : L’assassinat de César serait une solution heureuse[34] ; et Pompée ne doutait pas qu’il ne dût revenir de l’Orient, comme Sylla, maître du monde.

La résistance de Corfinium avait dérangé les calculs de César ; quand il parut sous les murs de Brindes, les consuls et leurs cinq légions étaient déjà de l’autre côté de l’Adriatique, à Dyrrachium. Pompée les avait fait partir, de peur qu’ils ne tentassent quelque chose en faveur de la paix[35]. Lui-même, resté dans la ville avec vingt-deux cohortes, n’attendait que le retour de ses navires pour s’embarquer. César essaya, par de grands travaux, de l’envelopper dans la place, en fermant l’entrée du port. Avant qu’ils fussent achevés, la flotte consulaire revint et Pompée partit (17 mars-25 janvier).

Durant ces opérations en Italie, trois légions gauloises commandées par Fabius Maximus étaient allées prendre position à Narbonne pour empêcher les pompéiens de sortir d’Espagne ; les trois autres, lentement rapprochées des Alpes, pouvaient se porter, suivant les circonstances, contre les Gaulois qui auraient remué, ou au secours soit de César en Italie, soit de Fabius dans la Narbonnaise. La ligne d’opération s’étendait donc de Brindes au pied des Pyrénées, et César n’avait plus à craindre d’être pris à revers. En même temps, Valerius s’était emparé sans coup férir de la Sardaigne, Curion de la Sicile[36], et les deux greniers de Rome étaient dans ses mains. Soixante jours avaient suffi pour chasser les sénatoriaux de l’Italie, soumettre la péninsule avec ses îles et garantir la sécurité des cieux Gaules.

Cette activité prodigieuse arrache, malgré lui, à Cicéron un cri d’admiration et d’effroi : Ah ! L’horrible célérité ! Cet homme est une merveille de vigilance ; et son ami Cœlius, resté parmi les césariens, lui écrivait : Que pensez-vous de nos soldats ? Au plus fort de l’hiver, ils ont fini la guerre en se promenant[37]. Elle allait au contraire se prolonger et s’étendre.

Faute de vaisseaux, César n’avait pu poursuivre son rival. Pour arrêter un retour offensif de Pompée, il fit occuper par des troupes Brindes, Sipontum et Tarente, puis il revint à Rome, qu’il n’avait point vue depuis dix ans et où tout avait repris son cours habituel : les préteurs donnant audience, les édiles préparant leurs jeux, et les gens du bon parti exploitant la circonstance pour placer leurs fonds à gros intérêts[38]. Quand le vainqueur y rentra le 1er avril (7 février), il y trouva assez de sénateurs pour reconstituer un sénat qu’il opposa à celui que Pompée faisait siéger dans son camp. Deux tribuns, Marc Antoine et Cassius, le convoquèrent au Champ de Mars, où César se rendit. Il rappela qu’il avait, suivant la loi, attendu dix années pour solliciter un second consulat, et qu’il avait été légalement autorisé à briguer, quoique absent, cette magistrature ; puis il exposa ses efforts pour éviter la guerre, ses offres réitérées de licencier ses troupes, si Pompée renvoyait les siennes. Il pria les sénateurs de l’aider dans le gouvernement de la république, à moins qu’ils n’aimassent mieux lui laisser ce fardeau ; enfin il demanda qu’une ambassade fût désignée pour aller traiter de la paix avec les pompéiens[39].

Cette dernière proposition était sérieuse, puisque César ne perdait pas une occasion de la renouveler ; mais personne ne voulut s’en charger, tant on redoutait les menaces faites par Pompée contre ceux qui étaient restés à Rome. César n’insista pas : tout en poussant vivement la guerre, il voulait se donner l’avantage de la modération ; c’est pourquoi il parlait toujours de réconciliation et de concorde, sans persuader personne, car l’instinct populaire ne s’y trompait pas ; on sentait que la révolution était inévitable, et l’on se disait que César allait devenir le maître. Pour montrer que cette royauté n’oubliait pas son origine, il réunit le peuple et lui promit une gratification en blé et en argent. Mais déjà l’argent lui manquait ; il se fit autoriser par son sénat à prendre le trésor déposé dans le temple de Saturne. C’était l’or réservé pour les nécessités extrêmes, et une loi défendait d’y toucher, si ce n’est en cas d’invasion gauloise. Un tribun, L. Metellus, s’y opposa. J’ai vaincu la Gaule, dit César ; cette raison n’existe plus ; d’ailleurs le temps des armes n’est pas celui des lois ; et le tribun se plaçant devant la porte pour empêcher qu’on la forçât, César menaça de le faire tuer : Sache, jeune homme, qu’il m’est moins aisé de le dire que de le faire. César avait pris les armes pour défendre, disait-il, l’inviolabilité tribunitienne, et, à son tour, il la violait. Metellus, cédant à la violence, se retira. Nous ne savons rien de sa vie, si ce n’est cet acte de courage ; il lui a mérité que l’histoire conservât son nom.

 

III. — CÉSAR EN ESPAGNE ; SIÈGE DE MARSEILLE (49).

Pompée chassé d’Italie, le plus grand péril qui menaçât en ce moment César était un soulèvement en Gaule. Il y courut après avoir confié le gouvernement de la ville à Lépide, fils du consul révolté en 78 contre le sénat syllanien, le commandement de toutes les troupes laissées en Italie à Marc Antoine et celui de l’Illyrie à son frère Caïus Antonius. Celui-ci devait inquiéter les pompéiens sur la rive orientale de l’Adriatique ou leur fermer la route, s’ils essayaient de pénétrer par là en Italie, comme le bruit en courait[40]. Je vais, disait César, combattre une armée sans général ; ensuite, j’attaquerai un général sans armée. Ce mot explique toute la guerre. Marseille, pompéienne de cœur, l’arrêta au passage ; elle prétendait rester neutre mais elle venait de recevoir dans ses murs Domitius, que César, sans pouvoir le gagner, avait si généreusement traité à Corfinium. Avant le commencement des hostilités, Domitius avait été investi par le sénat du commandement de la Gaule-transalpine, et de Marseille il pouvait remuer toute la province où son aïeul, par ses victoires et ses travaux, avait établi l’influence de sa maison. César se hâta de l’enfermer dans la place, qu’il fit attaquer par trois légions, sous la conduite de Trebonius et par une flotte que Decimus Brutus construisit en trente jours dans le Rhône, au port d’Arles. Durant ces opérations, les trois légions de Fabius filaient de Narbonne vers l’Espagne pour se saisir des passages des Pyrénées ; trois autres et six mille cavaliers gaulois ou germains s’apprêtaient à les soutenir. Les centurions, les tribuns et les amis de César lui avaient prêté l’argent nécessaire, qu’il ne voulait pas demander aux confiscations.

Terentius Varron, le polygraphe, commandait dans l’Ultérieure ; Pétreius, un vieux soldat, dans la Lusitanie ; Afranius dans la Citérieure ; les deux derniers se réunirent, et, avec cinq légions cantonnées au nord de l’Èbre, près d’Ilerda[41] (Lérida), ils firent face à Fabius, lorsque celui-ci eut franchi les montagnes sans qu’une seule troupe lui en disputât le passage. À son arrivée, César trouva les deux armées en présence ; les siens, établis dans une position difficile entre la Sègre et la Cinca, ne pouvaient s’approvisionner qu’en tirant leurs convois des pays situés à droite et à gauche de ces deux fleuves. César y jeta des ponts ; les eaux gonflées par une fonte subite des neiges les emportèrent, et il se vit lui-même comme cerné et affamé : le boisseau de blé (modius) se vendait, dans le camp, 50 deniers, et le soldat mal nourri perdait ses forces. La situation devenait grave, car pendant ces longs retards, Pompée, s’il eût été le grand général qu’on le croyait, aurait pu avec sa puissante flotte repasser l’Adriatique, recouvrer l’Italie et Rome, où il n’était resté que des forces insuffisantes, délivrer Marseille et écraser César entre les légions de Pétreius et celles qu’il aurait amenées. Mais, pour cela, il lui aurait fallu cette vue nette des choses qu’avait son adversaire, sa résolution et son activité, toutes qualités qui lui manquaient.

Dans le même temps, Curion avec deux légions était passé de Sicile cri Antique, où Varus commandait pour Pompée. Durant son tribunat, voulant se donner l’honneur et, sans doute, le profit de confisquer un royaume, il avait proposé de dépouiller Juba, roi des Numides[42]. Le prince en avait naturellement gardé un ressentiment qui le fit pompéien dévoué. Il mit en mouvement toutes ses forces, les réunit à celles de Varus, et Curion, défait sur les bords du Bagradas, se tua. Les vainqueurs égorgèrent les légionnaires faits prisonniers. Dolabella, que César avait chargé de lui construire une flotte sur l’Adriatique, était aussi battu par Octavius et Scribonius Libo ; enfin C. Antonins, dans l’Illyrie, tombait aux mains des pompéiens.

Quand à Rome on apprit ces malheurs des lieutenants et la triste situation du chef, dont les lettres d’Afranius exagéraient encore les dangers, on crut sa cause perdue. Plusieurs sénateurs, jusqu’alors demeurés neutres, se hâtèrent de gagner Dyrrachium. Il est triste de compter parmi eux Cicéron, qui jusqu’à ce moment était resté en Italie. Quelques mois plus tôt, cette décision eût paru du dévouement à la cause républicaine ; maintenant ou pouvait l’appeler d’un nom sévère. Il faut dire pour sa défense qu’il s’était bercé de l’idée de jouer le rôle de médiateur entre les deux rivaux. Mais, après la visite que César lui avait faite en revenant de Brindes, il avait compris qu’on ne voulait de lui que son nom ait bas des décrets qui allaient être rendus, et il avait été blessé au vif par cette découverte du peu d’importance politique qu’on lui accordait. Dès lors il avait pensé, malgré les lettres de César et les avis d’Atticus, resté à Rome, à rejoindre furtivement Pompée, tout en disant : Ah ! Je vois bien quel serait le meilleur parti. Il voulait parler d’une neutralité qui aurait sauvé sa tète et sa fortune. N’accusons pas sa faiblesse, mais sa trop clairvoyante intelligence ; car, s’il aimait d’un sincère amour cette république où l’éloquence l’avait mené aux honneurs, il savait aussi que, quel que fût le vainqueur, elle resterait sur le champ de bataille[43]. De là ces découragements, ces incertitudes et cette apparente versatilité, qu’il faut condamner cependant, parce que cet exemple d’un grand homme a peut-être en d’autres temps légitimé l’indifférence et la lâcheté, ou prêté êtes sophismes à la trahison. À la fin, il oublia sa prudence et les moqueries qu’il avait faites de la loi de Solon contre les citoyens restés neutres entre les factions ; malheureusement il les oublia à un moment où, en passant à Pompée, il allait à lui, non parce que le parti sénatorial était le plus juste, mais parce qu’il semblait devenir le plus fort. C’était du reste la règle de conduite que Cælius avait depuis longtemps conseillée. Tant qu’on en restera aux paroles, lui avait-il écrit, je serai avec les honnêtes gens ; si l’on en vient aux coups, je nie rangerai du côté de ceux qui donneront les meilleurs[44] ; et Cicéron suivait le conseil de Cælius. Mais celui-ci était allé à César, et l’autre venait, comme Amphiaraüs, se jeter vivant dans le gouffre[45].

Cependant, en Espagne, les événements avaient pris une tournure inattendue. César avait fait construire, avec du bois léger, de l’osier et du cuir, des bateaux qu’on pouvait porter partout. Il les conduisit an bord de la Sègre, loin des éclaireurs ennemis, se fortifia rapidement sur l’autre rive, et put alors construire tranquillement un pont par où lui arrivèrent ses convois ; puis, imposant à ses soldats des travaux gigantesques, il saigna le fleuve par de nombreux canaux pour en diminuer la profondeur, et y créer des gués qui lui rendirent la liberté de ses mouvements. Des escarmouches heureuses décidèrent la défection de plusieurs peuplades, et les généraux pompéiens furent réduits à quitter leur position d’Ilerda, où César, avec sa nombreuse cavalerie gauloise, aurait fini par les affamer. Mais battre en retraite devant un général si actif était une entreprise difficile. Ils l’essayèrent cependant. Pas un de leurs mouvements, de nuit ou de jour, n’échappa à sa vigilance ; il devina tous leurs plans, les prévint dans toutes les positions qu’ils voulurent occuper, les cerna, et vit enfin les soldats des deux généraux élever leurs boucliers au-dessus de leur tête[46] : signe équivalent du nôtre, mettre bas les armes (9 juin 49). Il leur accorda la vie, et les licencia est leur disant : Si vous allez rejoindre les pompéiens, dites-leur comment je vous ai traités. Cette campagne, où par l’ascendant de ses manœuvres César réduisit sans combat une armée égale en force à la sienne, a fait l’admiration du grand Condé et de Napoléon. Soit lenteur imprudente, soit retard calculé, Varron n’avait pas rejoint à temps ses deux collègues. Toute résistance lui était maintenant impossible ; il parut à Cordoue devant le vainqueur, qui lui enleva sa caisse militaire, grossie par de nombreuses exactions[47].

Cette province toute pompéienne conquise et pacifiée en quarante jours[48], César partit pour Marseille, où son adversaire, qui disposait d’une flotte immense, n’avait su faire parvenir qu’un secours insignifiant de seize galères conduites par Nasidius. Enfermés dans leurs murs par deux défaites sur mer que Decimus Brutus, l’habile chef qui avait si bien mené la guerre contre les Vénètes, leur avait infligées, les habitants étaient réduits aux dernières extrémités. A l’arrivée du proconsul, ils se décidèrent à traiter, livrèrent leurs armes, leurs navires et tout l’argent du trésor public. Là encore César s’honora par sa clémence ; il n’eut cependant point à l’exercer envers Domitius, qui s’était enfui avant que la ville ouvrit ses portes.

Comme Alexandre, il s’inquiétait de ce qu’on pensait de lui. Pour des villes barbares, il n’avait guère de scrupules. Qui parlait de leur ruine ? Marseille était célèbre : c’était l’Athènes des Gaules, il l’épargna. Il lui laissa sa liberté, ses lois, ses murailles. Mais il lui prit ses armes, ses vaisseaux, son trésor ; il lui ôta plusieurs des villes qui lui étaient sujettes, entre autres Agde et Antibes, dont il fit deux colonies romaines, et il fonda, à l’embouchure de l’Argens[49], Fréjus, destinée dans sa pensée à faire aux Massaliotes, sur la côte de l’est, la même concurrence que leur faisait Narbonne sur celle de l’ouest. Quelques années plus tard, sous Auguste, Fréjus sera un des arsenaux de l’empire, et Strabon appellera Narbonne le port de toute la Gaule. Mans cette dernière ville, à Béziers et Arles, il établit ceux de ses soldats qui avaient achevé leur temps de service militaire.

Les dernières opérations garantissaient la soumission de toutes les provinces occidentales de l’empire, de celles qui fournissaient les plus braves soldats[50]. César, sûr maintenant de n’être plus inquiété sur ses derrières, pouvait aller chercher le général dont il venait de détruire la meilleure armée.

Il était encore sous les murs de Marseille, quand il apprit que, sur la proposition de Lépide, le peuple l’avait proclamé dictateur. Bien des formalités prescrites avaient été omises ; c’étaient un préteur et le peuple, au lieu d’un consul et du sénat, qui lui avaient donné cette charge. Mais, au milieu du bruit des armes, les seules apparences de la légalité paraissaient suffire. Comme il allait prendre possession, à Rome, de sa nouvelle magistrature, il rencontra à Plaisance sa neuvième légion en pleine révolte, parce qu’elle n’avait pas encore reçu les dons promis à Brindes. L’exemple était dangereux, César les punit sévèrement : douze des plus coupables furent condamnés à périr sous la hache. Un des douze ayant prouvé qu’il était hors du camp pendant l’émeute, le centurion qui l’avait dénoncé fut exécuté à sa place.

Il ne garda la dictature que onze jours, juste le temps d’accomplir quelques mesures nécessaires pour la tranquillité de Rome et de l’Italie. Depuis le commencement de la guerre, la gêne était générale, le crédit nul ; tout le numéraire semblait retiré de la circulation, et l’on craignait une abolition générale des dettes, ce qui aurait amené une affreuse perturbation[51]. César recourut à un heureux expédient, anciennement employé. Il nomma des arbitres pour faire l’estimation des meubles et des immeubles d’après le prix où ils étaient avant la guerre, et ordonna que les créanciers reçussent tout ou partie de ces biens en payement, après qu’on aurait déduit des créances les intérêts déjà payés[52]. Pour activer la circulation du numéraire, il défendit qu’on gardât chez soi plus de 60.000 sesterces en argent monnayé, mesure difficile à appliquer, surtout lorsqu’il ajouta, par respect pour l’ancien droit, que l’esclave ne serait pas autorisé à déposer contre son maître[53]. Pourtant il y eut quelque argent placé en biens-fonds ; le prix des terres se releva et le commerce trouva des capitaux. Le peuple avait espéré mieux, il l’apaisa par une large distribution de blé. Tous ceux qui, à tort ou à raison, avaient eu à souffrir de l’ancien gouvernement, obtenaient naturellement sa protection. Dès l’ouverture des hostilités, plusieurs bannis que Pompée avait fait condamner durant son troisième consulat étaient venus lui offrir leurs services : il fit présenter au peuple par les préteurs et les tribuns une loi qui les rappela. Milon, le meurtrier d’un tribun, et Antonius, le vainqueur involontaire de Catilina, furent cependant exceptés de l’amnistie. La loi de Sylla qui frappait les enfants des proscrits d’incapacité politique était encore en vigueur, elle fut rapportée ; enfin il récompensa les Cisalpins de leur longue fidélité par la concession du droit de cité[54]. Avant d’abdiquer, il présida les comices consulaires qui le nommèrent consul avec Servilius Isauricus ; les autres charges furent données à ses partisans dans toutes les formes légales. Lui-même n’avait pris les faisceaux qu’à l’époque fixée par la loi qui les lui avait promis, après la dixième année de son commandement[55].

Ainsi la république durait au profit de César : rien ne lai manquait d’un gouvernement régulier : décrets du sénat, élections du peuple, sanction des curies et des auspices. Proconsul, César devenait un rebelle dès qu’il sortait de sa province ; consul légalement institué, c’était, aux yeux de ce peuple formaliste, de son côté qu’était le droit, du côté de ses adversaires qu’était la révolte. Ceux-ci reconnaissaient eux-mêmes qu’en perdant Rome ils avaient perdu la légalité, ou du moins le pouvoir de la faire ; car, bien qu’il y eût deux cents sénateurs dans le camp de Pompée et qu’on appelât ses soldats le vrai peuple romain, on n’osait y rendre des décrets ni procéder aux élections ; l’année révolue, les consuls Lentulus et Marcellus abdiquèrent leur titre et prirent, suivant l’usage, celui de proconsuls.

 

IV. — LA GUERRE EN ÉPIRE ET EN THESSALIE, PHARSALE (49-48).

A la fin d’octobre 49, César arriva à Brindes, rendez-vous de ses troupes, afin de passer de là en Épire. Pompée avait eu une année entière pour faire ses préparatifs. Aussi avait-il rassemblé une flotte considérable fournie par l’Asie, les Cyclades, Corcyre, Athènes, le Pont, la Bithynie, la Syrie, la Cilicie, la Phénicie, l’Égypte. Partout on avait construit des navires et levé de grosses sommes sur les princes, les tétrarques, les peuples libres, et les compagnies fermières des impôts dans les provinces dont il était le maître.

Il avait neuf légions de citoyens romains, dont cinq venues avec lui d’Italie, une de vétérans de Sicile, qu’il appelait Gemella, parce qu’elle était formée de deux autres ; une de Crète et de Macédoine, composée de vétérans qui, licenciés par les généraux précédents, s’étaient établis dans ces provinces, et deux que Lentulus avait levées en Asie. De nombreuses recrues lui étaient venues de la Thessalie, de la Béotie, de l’Achaïe, de l’Épire, et il avait joint à ces troupes les soldats qui restaient de l’armée de C. Antonius[56]. Il attendait deux autres légions que Scipion lui amenait de Syrie ; il avait trois mille archers de Crète, de Sparte, du Pont, de la Syrie ; deux cohortes de frondeurs de six cents hommes chacune ; sept mille chevaux, dont six cents de la Galatie avec Dejotarus, cinq cents de la Cappadoce arec Ariobarzane, autant de la Thrace, ceux-ci commandés par le fils de Cotys ; deux cents lui étaient venus des bords de la Propontide sous les ordres de Rascipolis, homme d’un rare courage. Pompée le fils avait amené sur la flotte cinq cents cavaliers gaulois et germains que Gabinius avait laissés à Alexandrie pour la garde de Ptolémée, et huit cents levés parmi ses esclaves et ses pâtres ; les tétrarques de Galatie en avaient fourni trois cents, le Syrien Antiochus de Commagène deux cents ; la plupart étaient des archers à cheval. Il avait encore des Phrygiens, des Besses, en partie soudoyés, en partie volontaires ; des Macédoniens, des Thessaliens et des gens d’autres pays.

Il avait tiré une grande quantité de vivres de la Thessalie, de l’Asie, de l’Égypte, de Crète, du pays de Cyrène et d’autres contrées. Son dessein était de passer l’hiver à Dyrrachium, à Apollonie et dans les autres villes maritimes, afin d’interdire l’entrée de la Grèce ; et dans ce même but il avait disposé sa flotte, qui ne comptait pas moins de six cents navires, tout le long de la côte[57]. L’immensité de ces ressources explique pourquoi Pompée avait si facilement abandonné l’Italie à son rival.

César n’avait à citer parmi ses auxiliaires ni tant de peuples ni tant de rois. Cependant, sans parler de la légion de l’Alouette ni des secours fournis par les cités gauloises et espagnoles, par les Cisalpins et les peuples d’Italie, il avait enrôlé des cavaliers germains, dont il avait maintes fois éprouvé le courage ; et sans doute que l’exemple de ce roi du Noricum, qui lui avait envoyé des troupes dés le début de la guerre, avait été suivi par d’autres chefs des bords du Rhin et du Danube. C’était donc l’Orient et l’Occident qui allaient se trouver aux prises et combattre, non pour un sénat et une liberté qu’on ne connaissait plus, mais pour César ou Pompée, que chacune des deux grandes portions de l’empire voulait avoir pour maître, après les avoir eus tour à tour pour conquérants et pour bienfaiteurs. Toutefois les forces ne semblaient pas égales. César n’avait ni flotte, ni argent, ni magasins, et ses troupes étaient moins nombreuses ; mais depuis dix ans elles vivaient sous la tente ; leur dévouement à sa personne était sans bornes, comme leur confiance en sa fortune. Nuls travaux, nulles fatigues, ne pouvaient les effrayer, et elles avaient ce qui double le nombre, l’habitude de vaincre. Si l’armée de Pompée était plus forte, il y avait moins de discipline dans les soldats, point d’obéissance dans les chefs. A voir dans le camp ces costumes étranges, à écouter ces commandements donnés en vingt langues, on eût pris les légions pompéiennes pour une de ces armées asiatiques auxquelles le sol de l’Europe fut toujours fatal. Au prétoire, autre spectacle : tant de magistrats et de sénateurs gênaient le chef, quoiqu’on lui eût donné pouvoir de décider souverainement de toutes choses[58]. Puisque l’on combattait, disait-on, pour la république, il fallait bien que le généralissime montrât aux pères conscrits, constitués en conseil à Thessalonique, une déférence qui serait de bon augure et de bon exemple ; mais cette déférence s’accordait-elle avec les nécessités de la guerre ?

Les anciens n’aimaient pas à naviguer l’hiver. Aussi, bien qu’entre Brindes et Dyrrachium la traversée fût seulement de vingt-quatre heures, Pompée ne s’attendait à être attaqué qu’au printemps, et il avait mis ses troupes en quartiers dans la Thessalie et la Macédoine. Il pensait que son adversaire n’oserait s’embarquer dans la saison rigoureuse. Ce fut cette rigueur même de la saison qui décida César. Avec sa flotte de transport, il ne pouvait passer que par surprise, e’ cette surprise n’était possible qu’en hiver, alors que les escadres pompéiennes s’étaient mises à l’abri du gros temps dans les ports ; au printemps, leurs nombreuses croisières auraient barré la route. Malgré son infériorité numérique et une mer dangereuse, César prit donc encore l’offensive. Le 4 janvier 48 (5 novembre 49), il embarqua sur des navires de transport sept légions, qui ne formaient que quinze mille fantassins et cinq cents cavaliers. S’il eût rencontré la flotte pompéienne, c’en était fait de lui ; mais, comme il l’avait pensé, les galères pompéiennes, vides de soldats et de matelots, se balançaient tranquillement sur leurs ancres, dans les rades d’Oricum et de Corcyre : son coup d’audace était encore un calcul. Les sept légions passèrent sans rencontrer un vaisseau ennemi et débarquèrent au pied des monts Acrocérauniens dans la rade de Paleassa (Paljassa). On sut qu’il était arrivé avant d’apprendre qu’il était parti. L’amiral de Pompée était le malheureux consulaire que la fortune opposait toujours à César, et dont le sort fut d’être toujours aussi trompé par lui. Bibulus, accouru trop tard, se vengea sur Ies navires que César renvoyait à vide, pour prendre à Brindes Antoine et le reste de ses troupes ; il en enleva trente, qu’il brûla avec les pilotes et les matelots. Puis, pour expier sa négligence, il ne voulut plus descendre de son vaisseau et se donna de telles fatigues à surveiller la côte et la mer, qu’il fut saisi d’un mal qui l’emporta.

La première ville que César rencontra fut Oricum (Eriko). L’officier pompéien qui y commandait voulait la défendre, mais les habitants déclarèrent qu’ils ne pouvaient combattre un consul du peuple romain, et ils ouvrirent leurs portes ; à Apollonie, à l’embouchure de l’Aoüs (Voiussa), même résolution. Il attachait plus d’importance à la possession de Dyrrachium (Durazzo)[59], à cause de son port, le meilleur de cette côte, et de sa forte position ; apprenant que Pompée l’avait prévenu en y établissant ses magasins, il s’arrêta sur les bords de l’Apsos (Beratino), pour couvrir les places qui s’étaient données à lui, et les cantons de l’Épire, d’oie il tirait ses approvisionnements.

Cette fois encore il proposa la paix, moins dans l’espoir qu’elle se ferait que pour se concilier l’opinion publique. Il écrivit à Pompée : Tu as perdu l’Italie, la Sicile, les deux Espagnes et cent trente cohortes de citoyens romains ; moi, j’ai à regretter Curion et mole armée d’Afrique. Nous savons donc tous deux que la fortune de la guerre a des chances diverses, et puisque nous sommes encore égaux en forces, soumettons notre différend au sénat et au peuple, et, en attendant, licencions nos armées.

 César ne risquait rien à faire ces propositions. Comme dictateur, il avait complété le sénat de manière à n’avoir rien à craindre des sénateurs pompéiens ; et consul en charge, il restait, pour toute l’année 48, maître de la situation. Du reste Pompée ne mit pas son désintéressement à l’épreuve : il refusa, et César rapporte des paroles de lui qui ne peuvent avoir été sa réponse officielle, mais qui expriment certainement sa pensée secrète : Que dira-t-on de moi lorsqu’on me verra rentrer sans un soldat dans cette Italie que j’ai quittée à la tête d’une puissante armée ? Et qu’ai-je à faire d’une patrie, de la vie même que je devrais à César ?[60]

Un jour, Vatinius, pour César, Labienus, pour Pompée, discutaient à haute voix, entre les deux armées, les conditions d’un accommodement. Les soldats écoutaient ; ils pouvaient prendre au sérieux ces grands mots de guerre impie, de patrie en larmes, et forcer leurs chefs à traiter ; tout à coup une grêle de traits, au dire de César, partit des rangs pompéiens, et Labienus rompit la conférence en s’écriant : La paix ! Vous ne l’aurez que quand vous nous apporterez la tête de César. Il est certain que les pompéiens, si César ne les a pas calomniés, ne rêvaient que massacres : un navire parti de Brindes ayant été pris en mer, tous ceux qui le montaient furent égorgés ; le mot de Cicéron rapporté plus haut donne créance à ces récits[61].

Cependant de pressants messages ordonnaient à Antoine de passer le détroit au premier vent favorable ; mais les jours s’écoulaient, et Antoine n’arrivait pas. On raconte que César, peu accoutumé à ces lenteurs, voulut aller lui-même chercher ses légions, et qu’un soir il sortit seul de son camp, monta sur une barque du fleuve, et ordonna au pilote de cingler vers la haute mer. Un vent contraire, qui souffla presque aussitôt, refoulait les vagues, et le pilote, effrayé par la tempête, refusait d’avancer : Que crains-tu ? lui aurait dit son passager inconnu, tu portes César et sa fortune ! Tous ces fondateurs d’empire croient ou feignent de croire à une fatalité qui les protège jusqu’à ce qu’ils aient accompli l’œuvre pour laquelle ils se prétendent appelés. Il fallut pourtant, si l’anecdote est vraie, malgré le silence des Commentaires, regagner le bord ; mais la tempête, une autre fois, le servit. Depuis la mort de Bibulus la flotte pompéienne était sans chef ; par une malheureuse faiblesse, ou pour ne pas confier à un autre consulaire, peut-être moins docile et moins sûr, un commandement si important, Pompée laissa les huit lieutenants de Bibulus conduire à leur gré les escadres. Ils ne s’accordèrent pas ; la surveillance fut moins active, et un jour que soufflait avec force le vent du midi, Antoine arriva en quelques heures en vue d’Apollonie avec quatre légions et huit cents cavaliers. Poussé par la tempête, il dépassa Dyrrachium et ne put aborder qu’au port de Nymphée, à cent milles au moins du camp de César. Deux de ses navires avaient été coupés par l’ennemi ; l’un portait deux cent vingt recrues qui, malades de la mer, se rendirent, et, malgré la promesse qu’ils auraient la vie sauve, furent égorgés ; l’autre portait deux cents vétérans : ils forcèrent le pilote à jeter le navire à la côte et furent sauvés[62]. Pompée se trouvait entre les deux armées césariennes ; il lui eût été facile d’accabler Antoine. Il l’essaya, mais avec les lenteurs qui permirent aux deux chefs d’opérer leur jonction (avril 48).

Le mouvement des pompéiens les avait éloignés de Dyrrachium. César leur déroba une marche et vint se poster entre eux et cette ville qui était leur place d’armes. Ils le suivirent et campèrent sur le mont Petra, d’où ils conservaient leurs communications avec la mer. Alors commença une lutte de quatre mois. César, ne pouvant amener son rival à une action décisive, conçut l’audacieuse pensée d’enfermer, dans une ligne de postes retranchés, une armée qui lui était supérieure en nombre. A Alésia et en Espagne, cette manœuvre lui avait réussi, parce qu’il avait pu affamer ses adversaires. Ici ce résultat était impossible, puisque l’armée pompéienne était maîtresse de la mer. Ses vétérans, toujours admirables, commencèrent de gigantesques travaux avec leur activité ordinaire. Chacune des collines qui entouraient le camp pompéien fut couverte d’un fort, et des lignes de communication les relièrent entre elles. Deux motifs l’avaient décidé à suivre ce plan : comme la nombreuse cavalerie de ses adversaires rendait, dans un pays ruiné, les approvisionnements difficiles, il voulait les enfermer, afin d’avoir lui-même ses mouvements libres pour aller au fourrage ; et puis il tenait à montrer au monde le grand Pompée emprisonné dans son camp et n’osant combattre.

Napoléon a jugé sévèrement ces manœuvres : Elles étaient extrêmement téméraires, dit-il ; aussi César en fut il puni. Comment pouvait-il espérer de se maintenir avec avantage le long d’une ligne de contrevallation de six lieues, entourant une armée qui avait l’avantage d’être maîtresse de la mer et d’occuper une position centrale ? Après des travaux immenses il échoua, fut battu, perdit l’élite de ses troupes, et fut contraint de quitter ce champ de bataille. Pompée lui avait opposé une ligne de circonvallation protégée par vingt-quatre forts, et qu’il agrandissait sans cesse pour forcer son adversaire à s’affaiblir en s’étendant. Tous les jours des escarmouches avaient lieu entre les travailleurs des deux armées. Une fois la neuvième légion fut tout entière engagée, et Pompée crut u a instant saisir la victoire. Mais les vétérans soutinrent leur réputation et repoussèrent l’ennemi. Dans une de ces attaques journalières dont chaque colline était le théâtre, un fort fut cerné ; l’ennemi y lança tant de projectiles qu’il ne s’y trouva pas un soldat saris blessure. Ils montrèrent avec orgueil à César trente mille flèches qu’ils avaient ramassées et le bouclier d’un de leurs centurions percé de cent vingt coups.

On a remarqué que nos soldats manquaient de vivres quand ils gagnèrent leurs plus belles victoires[63]. Ceux de César aussi étaient habitués à la disette, qu’amenaient la rapidité et l’audace de ses manœuvres. Nulle part ils n’en souffrirent comme à Dyrrachium. César avait bien envoyé des détachements dans l’Épire, l’Étolie, la Thessalie et jusqu’en Macédoine ; maïs on ne pouvait tirer que de rares et maigres convois de ces pays, épuisés par la présence de tant d’armées, et où l’on se battait déjà, car Metellus Scipion y était arrivé avec ses deux légions. Les soldats en vinrent à broyer des racines pour en faire une sorte de pâte, et quand les pompéiens les raillaient sur leur disette, ils leur jetaient de ces pains, en leur criant qu’ils mangeraient l’écorce des arbres plutôt que de laisser échapper Pompée. Celui-ci avait du blé en abondance, mais il manquait d’eau et de fourrages ; César avait détourné les ruisseaux qui descendaient des montagnes, et les pompéiens étaient réduits à l’eau saumâtre du rivage. Aussi les bêtes de somme, les chevaux, périssaient en foule, et les exhalaisons qui sortaient de tant de cadavres infectaient l’air et causaient des maladies qui tuaient beaucoup de monde. Un jour enfin que Pompée crut avoir trouvé une occasion favorable, il prépara, conduit par des transfuges, une attaque de nuit et faillit enlever toute une légion campée au bord de la mer. Antoine ne parvint à la sauver qu’après qu’elle eut subi de grandes pertes. Pour réparer cet échec sur l’heure même, César, à la tête de trente-trois cohortes, pénétra dans le camp ennemi. Mais son aile droite s’étant trompée de route laissa entre elle et l’aile gauche un vide dans lequel Pompée se jeta ; les césariens rompus s’enfuirent en désordre ; en vain César allait au-devant des fuyards : une terreur panique avait saisi ses troupes, il fut entraîné lui-même, et laissa aux mains de l’ennemi trente-deux enseignes.

Ce jour-là Pompée aurait pu finir la guerre. La facilité du succès lui fit redouter une embuscade, et il n’osa poursuivre sa victoire. On la vanta cependant comme une affaire décisive, et, en l’annonçant à toutes les provinces, il reprit le titre d’imperator. Décidément, disait-on dans son camp, César a gagné à peu de frais sa renommée ; il a pu vaincre des Barbares, mais il a fui devant des légions romaines ; c’est à la trahison qu’il a dû en Espagne tous ses succès. On avait fait quelques prisonniers : Labienus, qui tenait à prouver son zèle à ses nouveaux amis, les réclama, et, après les avoir promenés par dérision autour de son camp, il les fit égorger en leur disant : Eh quoi ! Mes compagnons, les vétérans ont-ils donc appris à fuir ! Caton avait fait décréter par le sénat pompéien qu’aucune ville ne serait pillée, aucun citoyen mis à mort hors du champ de bataille : il se voila la tête pour ne pas voir comment les chefs militaires, quand l’épée est tirée, obéissent aux décrets du pouvoir civil (mai et juin 48).

Tandis que les pompéiens déclaraient la guerre terminée, les légions césariennes, bientôt revenues de leur effroi, demandaient elles-mêmes qu’on punît les coupables, et voulaient retourner au combat. Mais César avait d’autres desseins. Sa position n’était plus tenable : les vivres allaient lui manquer, et Scipion approchait ; en allant au-devant de ce chef, il entraînerait certainement à sa suite l’ennemi devenu confiant, et peut-être trouverait-il une occasion de livrer bataille. Dans tous les cas, il gagnerait de l’espace, il ramasserait des vivres, et éloignerait les pompéiens de leur flotte. Enfin la guerre de siège ayant échoué, il fallait tenter celle de campagne, qui présentait mille incidents dont le plus habile saurait profiter. Laissant donc à Apollonie ses blessés et ses malades, il traversa l’Épire, et par Gomphi, qu’il saccagea, parce qu’elle lui avait fermé ses portes, il entra dans la Thessalie. Toutes les villes de la vallée du Pénée, excepté Larisse, se donnèrent à lui, et ses soldats se trouvèrent, en ce fertile pays, dans une abondance qu’ils n’avaient pas connue depuis leur départ de Brindes.

Comme il l’avait prévu, Pompée le suivit, malgré les conseils d’Afranius, qui voulait qu’on regagnât l’Italie. Caton et Cicéron avaient été laissés à Dyrrachium avec les bagages ; la surveillance et les regrets républicains dut premier, l’humeur chagrine du second, gênaient l’imperator. Mécontent de lui-même et des autres, Cicéron n’avait apporté dans le camp que son esprit railleur, son découragement et ses craintes trop légitimes des proscriptions qui suivraient la victoire ; il regrettait les laborieux loisirs de ses villas, Tusculanenses dies, et il avait volontiers laissé partir cette armée où on le traitait de prophète de malheur[64].

Scipion, envoyé par Pompée en Asie pour y recevoir des soldats et de l’argent, avait perdu beaucoup de temps en Syrie et dans l’Asie Mineure, vivant grassement dans

ces riches provinces, qui, s’il en faut croire César[65], eurent alors à souffrir des maux presque aussi grands que du temps de Sylla. Un ordre formel de Pompée l’obligea enfin à quitter son quartier général de Pergame, mais il marcha encore avec lenteur. Son entrée en ligne pendant les combats devant Dyrrachium aurait pu changer en désastre l’échec de l’armée consulaire. César eut le loisir d’envoyer Cassius Longinus avec une légion en Thessalie pour en fermer la porte, la vallée de Tempé, et Domitius Calvinus, avec deux autres légions, en Macédoine, oïl il occupa fortement la vallée de l’Haliacmon. De là il tint sous sa surveillance la grande voie militaire, via Egnatia, que Scipion suivait et qui l’aurait conduit de Thessalonique à Dyrrachium. Le général pompéien alla droit à Calvinus ; mais, arrivé clans son voisinage, il lui déroba une marche, en laissant devant les césariens ses bagages, dans un camp fortifié que gardèrent huit cohortes, et il marcha sur Cassius. Celui-ci, effrayé à l’apparition sur ses derrières des cavaliers thraces du roi Cotys qui semblent avoir franchi l’Olympe par des sentiers, se replia de Temps ; sur les hauteurs du Pinde. Scipion était donc libre d’entrer en Thessalie quand il lui conviendrait d’y passer. Mais il risquait, en s’y engageant, de livrer sa ligne d’approvisionnement et de retraite aux césariens de Macédoine ; il resta dans cette province et dans la vallée de Tempé, jusqu’à ce que Calvinus eût levé son camp pour rejoindre César, vers les sources du Pénée.

Pompée avait de son côté rallié, vers Larisse, les légions de son beau-père. Il voulait encore traîner la guerre en longueur pour épuiser son ennemi, mais les jeunes nobles qui l’entouraient trouvaient cette campagne bien longue, et tant de circonspection leur était suspect. S’il ne se décide pas  à combattre, disait-on, c’est pour garder son commandement, tout fier qu’il est de traîner à sa suite des consulaires et des prétoriens. On l’appelait Agamemnon, le roi des rois ; et Favonius s’écriait qu’on ne mangerait pas cette année de figues de Tusculum, parce que Pompée ne voulait pas si vite abdiquer. L’impatience s’accroissait encore de la certitude qu’on avait de triompher sans peine. Déjà l’on se disputait les dignités, comme si l’on eût été à Rome, à la veille des comices, et quelques-uns envoyaient retenir les maisons le plus en vue autour du Forum, celles d’où l’on pourrait le mieux briguer ; on désignait les consuls pour les années suivantes, et l’on se partageait les dépouilles des césariens. On commencerait par une proscription générale qui serait accomplie judiciairement, comme il convenait à des hommes qui se battaient pour la défense des lois ; même ils avaient arrêté la forme du jugement. On était moins d’accord sur le partage du butin. Fannius voulait les biens d’Atticus, Lentulus ceux d’Hortensius et les jardins de César. Les plus sages devenaient aveugles : Domitius, Scipion, Lentulus Spinther, se disputaient chaque jour avec aigreur le grand pontificat de César. Les chances se balançaient entre ces trois candidats, car, si Lentulus avait pour lui son âge et ses services, Domitius jouissait d’un grand crédit, et Scipion était beau-père de Pompée ! Ainsi, dit celui qui fit évanouir ces folles espérances, au lieu de s’occuper des moyens de vaincre, ils ne pensaient tous qu’à la manière dont ils exploiteraient la victoire.

Pressé par les clameurs de ces nobles qu’il ne savait pas plier à l’obéissance, Pompée se décida à livrer bataille près de Pharsale, aux mêmes lieux où, cent cinquante ans auparavant, Rome avait conquis la Grèce et tout l’Orient hellénique (Cynocéphales). À la vue de ses cohortes se déployant dans la plaine, César s’écria joyeux : Enfin donc le voilà venu ce jour où nous aurons à combattre, non plus la faim, mais des hommes ! Et aussitôt il s’avança pour reconnaître la ligne ennemie, formée de quarante-sept mille fantassins et de sept mille cavaliers, sans parler des auxiliaires que l’on ne comptait pas. La droite s’appuyait à un ruisseau dont les bords escarpés rendaient une attaque difficile ; aussi Pompée avait-il jugé cette position avez forte pour porter toute sa cavalerie à la gauche. Massée sur ce point, elle déborderait facilement l’ennemi, le prendrait en flanc, le tournerait, et assurerait le succès de la journée. César comprit le dessein de son adversaire, et ce fut sur cette attaque prévue qu’il compta pour vaincre. Il n’avait que vingt-deux mille légionnaires et seulement mille cavaliers. Contre l’habitude, il forma de son armée quatre ligues d’inégale étendue : les deux premières devaient aborder l’ennemi, la troisième servir de réserve, et la quatrième faire face en arrière contre la cavalerie qui allait assaillir sa droite. Il avertit les vétérans des six cohortes qu’il plaça obliquement de ce côté que de leur courage et de leur sang-froid dépendrait la victoire : Soldat, leur cria-t-il, frappe au visage ! Il savait, a-t-on dit, que les jeunes nobles qui allaient mener la charge craindraient plus la difformité d’une blessure que le déshonneur de la fuite. En réalité, l’ordre de garder leur pilum, afin d’en frapper de près l’ennemi au visage, était un avis bien conçu pour combattre des cavaliers couverts d’armes défensives que n’avaient pas eues les cavaliers gaulois, contre lesquels ses légionnaires s’étaient jusqu’à présent battus.

Antoine commandait l’aile droite, Sylla la gauche, Calvinus le centre de sa personne il se plaça au milieu de sa dixième légion, célèbre par le dévouement qu’elle lui avait toujours montré, et que les cavaliers de Pompée lui avaient promis d’écraser sous les pieds de leurs chevaux. Le mot d’ordre de son armée était Vénus victorieuse, la déesse à qui nul ne résiste ; celui de l’armée pompéienne, Hercule invincible, que deux fois pourtant, par Omphale et Déjanire, Vénus avait vaincu, et qu’elle allait vaincre encore par César.

Pompée avait ordonné aux siens d’attendre le choc sans s’ébranler, espérant que par la course les césariens arriveraient épuisés et en désordre. Mais quand ils virent leurs adversaires rester immobiles, d’eux-mêmes les vétérans s’arrêtèrent, reprirent haleine, puis s’avancèrent encore au pas de course et en ligne, lancèrent leurs javelots et attaquèrent à l’épée. Pendant que l’action s’engageait sur le front de bataille, la cavalerie pompéienne rompait celle de l’ennemi et tournait son aile droite. César donne alors le signal à la quatrième ligne, qui charge avec tant de vigueur, que les cavaliers, surpris de cette attaque imprévue, tournent bride et s’enfuient. Du même pas les cohortes se portent sur la gauche ennemie qu’ils enveloppent ; César saisit cet instant pour lancer sa réserve toute fraîche, et les pompéiens, brisés par le choc, se débandent. Pompée avait quitté le champ de bataille, lorsqu’il avait vu sa cavalerie repoussée, et il s’était retiré dans sa tente désespéré. Tout à coup il entend des clameurs qui s’approchent : c’est César qui mène ses soldats victorieux à l’attaque des retranchements. Quoi, s’écrie le malheureux général, jusque dans mon camp ! Il jette les insignes du commandement, saute sur un cheval, et se sauve par la porte Décumane. On trouva dans le camp, sous des tentes ornées de lierre et couvertes de frais gazon, des tables toutes dressées, des buffets chargés de vaisselle d’argent, des amphores pleines de vin : tous les apprêts d’un festin joyeux. Et ceux qui se permettaient ce luxe frivole, dit le vainqueur, osaient accuser de mollesse cette armée de César, si pauvre et si forte, à qui même le nécessaire avait toujours manqué. (9 août-6 juin 48.)

Malgré les efforts de César pour arrêter le massacre, quinze mille six cents hommes étaient tués, mais pas un chef : Domitius seul périt en fuyant[66]. Ils l’ont voulu, disait-il, en traversant ce champ de carnage ! Après tout ce que j’ai fait pour la république, j’eusse été condamné comme criminel si je n’en avais pas appelé à mon armée[67]. Sa clémence ne se démentit pas. Dès que le succès fut décidé, il défendit qu’on tuât un seul citoyen et reçut en grâce tous les captifs qui implorèrent sa pitié. Ceux mêmes qui l’avaient éprouvée déjà n’avaient besoin que d’un intercesseur pour être encore pardonnés. Dans la tente de Pompée, il trouva sa correspondance ; elle pouvait lui livrer de très utiles révélations : il la brûla sans la lire. L’histoire serait plus curieuse. Les peuples et les princes qui avaient pris parti pour son rival tremblaient : il les rassura. Les Athéniens, peu faits pour ces combats de géants, étaient venus prêter à Pompée leur débile assistance, au lieu d’accepter la neutralité que les deux partis leur offraient. César tenait à gagner la ville qui savait parler ; quand ses députés parurent en suppliants devant lui, il se contenta de leur dire : Que de fois déjà la gloire de vos pères vous a sauvés !

Sans donner à ses troupes le temps de piller les richesses éparses dans le camp pompéien, César les entraîna à la poursuite de l’ennemi dont il cerna les derniers débris sur une montagne : vingt-quatre mille hommes furent pris. Le lendemain l’armée entière décerna le prix de la valeur à César, à la dixième légion et à un centurion. Au moment de donner le signal du combat, César avait reconnu ce vétéran et, l’appelant par son nom, lui avait dit : Eh bien, Crastinus, avons-nous bon courage ? les battrons-nous ?Nous vaincrons avec gloire, César, avait-il répondu, d’une voix forte, et aujourd’hui vous me louerez vivant ou mort. A ces mots, il avait marché en avant, et cent vingt hommes de la cohorte s’étaient élancés avec lui pour porter les premiers coups. Après de brillants exploits, il était tombé. César fit chercher son cadavre, le couvrit des récompenses militaires qu’il avait si bien gagnées, et lui dressa un tombeau particulier à côté de la fosse où les autres morts furent couchés.

 

V. — MORT DE POMPÉE.

Pompée avait commis une grande faute en s’éloignant de sa flotte et en acceptant le combat au milieu du continent grec ; c’en était une autre de ne s’être pas assuré une place de refuge en cas de défaite. Mais telle était sa confiance qu’il n’avait pas même désigné un lieu de ralliement ; aussi tous s’étaient dispersés à l’aventure, et de cette puissante armée il ne restait que des morts et des suppliants. Le chef lui-même, uniquement occupé de sauver sa vie, fuyait vers la vallée de Tempé, et les deux Lentulus qui l’accompagnaient virent le vainqueur de Mithridate, des pirates et de Sertorius, pressé par la soif, boire au fleuve dans sa main, comme les pâtres de la montagne. Arrivé au bord de la mer, il passa la nuit dans une cabane de pécheur, et, au matin, fut recueilli par un navire de charge qui avait jeté l’ancre à l’embouchure du Pénée. Peu d’instants après parut au rivage le roi Dejotarus, faisant des gestes désespérés. Le patron le reçut encore à son bord et se hâta de larguer les voilés. Pompée fit mettre le cap sur Mitylène, où il prit sa femme Cornélie ; puis il tira au sud par la mer des Sporades, qu’il traversait jadis avec cinq cents galères[68]. Le bruit de sa défaite l’avait précédé, et, dans ces îles, dans cette province d’Asie, qu’il croyait si dévouées à sa cause, nul ne montrait d’empressement à l’assister, à Rhodes même, il ne put s’arrêter qu’un instant. Sur les côtes de la Carie et de la Lycie, théâtre de ses anciens exploits, étaient de riches cités, Aphrodisias, Telmissus, Patara, qui lui donnèrent un peu d’argent ; la Cilicie lui fournit des navires et quelques soldats. Mais où aller ? On dit qu’il songea à fuir chez Ies Parthes, et qu’Antioche, qui s’était déclarée pour César, lui ayant fermé la route du désert, il s’était décidé à chercher un asile en Égypte. Il n’avait pas d’autre parti à prendre[69]. Le roi régnant, dont il avait obligé le père, Ptolémée Aulète, était son allié : soixante navires égyptiens avaient rallié dans l’Adriatique la flotte sénatoriale, et, à la suite de l’expédition de Gabinius, il était resté en Égypte quelques milliers de soldats pompéiens qui n’avaient pas encore oublié leur ancien général ; enfin le pays était facile à défendre, et de là on pourrait communiquer avec les Parthes, s’il était nécessaire, plus certainement avec Varus et Juba, maîtres de la Numidie et de l’Afrique romaine.

Pompée arriva en vue de Péluse, suivi d’environ deux mille hommes. D’après le, testament du dernier roi, Cléopâtre devait épouser son frère Ptolémée Dionysios, plus jeune qu’elle de deux ans[70], et régner conjointement avec lui, sous la tutelle du sénat. Mais, au bout de trois années, la jeune reine avait été chassée par le général Achillas et le gouverneur du roi Théodote ; elle s’était retirée en Syrie, et Ptolémée avait réuni aile armée à Péluse pour arrêter l’expédition que sa sœur préparait contre lui. Quand Pompée vaincu se présenta, Pothin et Achillas furent d’avis de le recevoir avec honneur. Théodote rejeta la pensée d’unir les destinées du roi et du pays au sort d’un fugitif, et une barque fut envoyée au vaisseau sous prétexte de conduire le général auprès du roi.

Quand la barque s’approcha, Septimius se leva le premier en pieds qui salua Pompeius, en langage romain, du nom d’imperator, qui est à dire, souverain capitaine, et Achillas le salua aussi en langage grec, et luy dist qu’il passast en sa barque, pource que le long du rivage il y avoir force vase et des bans de sable, tellement qu’il n’y avoit pas assez eau pour sa galere ; mais en mesure temps on voyoit de Loing plusieurs galeres de celles du roy, que lon armoit en diligence, et toute la conte couverte de gens de guerre, tellement que quand Pompeius et ceulx de sa compagnie eussent voulu changer d’advis, : ilz n’eussent plus sceu se sauver, et si y avoit d’avantage qu’en monstrant de se deffier, ilz donnoient au meurtrier quelque couleur d’executer sa meschanceté. Parquoy prenant congé de sa femme Cornelia, laquelle desja avant le coup faisoit les lamentations de sa fin, il commanda à deux centeniers qu’ilz entrassent en la barque de l’Ægyptien devant luy, et a un de ses serfs affranchiz qui s’appeloit Philippus, avec un autre esclave qui se nommoit Seynes. Et comme ja Achillas luy tendoit la main de dedans sa barque, il se retourna devers sa femme et son filz, et leur dist ces vers de Sophocles :

Qui en maison de prince entre, devient

Serf, quoy qu’il soit libre quand il y vient.

Ce furent les dernieres paroles qu’il dist aux siens, quand il passa de sa galere en la barque : et pource qu’il y avoit loin, de sa galere jusques à la terre ferme, voyant que par le chemin personne ne luy entamoit propos d’amiable entretien, il regarda Sept.imius au visage, et luy dist : Il me semble que je te recognois, compagnon, pour avoir autrefois esté à la guerre avec moy. L’autre luy feit signe de la teste seulement qu’il estoit vray, sans luy faire autre reponse ne caresse quel conque : parquoy n’y ayant plus personne qui dist mot, il prit en sa main un petit livret, dedans lequel il avoir escript une harengue en langage grec, qu’il vouloit faire à Ptolemmus, et se meit à la lire. Quand ilz vindrent à approcher de la terre, Cornelia, avec ses domestiques et familiers amis, se leva sur ses pieds, regardant en grande detresse quelle seroit l’issue. Si luy sembla qu’elle devoit bien esperer quand elle apperceut plusieurs des gens du roy, qui se presenterent il la descente comme pour le recueillir et l’honorer : mais, sur ce poinct, ainsi comme il prenoit la main de son affranehy Philippus pour se lever plus à son aise, Septimius vint le premier par derriere qui luy passa son espée à travers le corps, après lequel Salvius et Achillas desguainnerent aussi leurs espées, et adonc Pompeius tira sa robbe à deux mains au devant de sa face, sans dire ne faire aucune chose indigne de luy, et endura vertueusement les coups qu’ilz luy donnerent, en souspirant un peu seulement ; estant aagé de cinquante-neuf ans, et ayant achevé sa vie le jour ensuivant celuy de sa nativité. Ceulx rade, quand qui estoient dedans les vaisseaux à la rade quand ilz apperceurent ce meurtre jetterent une si grande clameur, que lon l’entendoit jusques à la coste, et levans en diligence les ancres, se meirent à la voile pour s’enfouir, à quoy leur servit le vent qui se leva incontinent frais aussi tort qu’ilz eurent gaigné la haulte mer, de maniere que les Ægyptiens qui s’appareilloient pour voguer après eulx, quand ilz veirent cela, s’en deporterent, et ayant couppé la teste en jetterent le tronc du corps hors de la barque, exposé à qui eut envie de veoir un si misérable spectacle.

Philippus, son afrranchy, demoura tousjours auprès, jusques à ce que les Égyptiens furent assouvit de le regarder, et puis l’ayant lavé de Peau de la nier, et enveloppé d’une siene pauvre chemise, pource qu’il n’avoit autre chose, il chercha au long de la greve, où il trouva quelque demourant d’un vieil bateau de pescheur, dont les pieces estoient bien vieilles, mais suffisantes pour brusler un pauvre corps nud, et encore non tout entier. Ainsi comme il les amassoit et assembloit, il survint un Romain, homme d’aage, qui, en ses jeunes ans, avoit esté à la guerre soubs Pompeius : si luy demanda : Qui es-tu, mon amy, qui fais cest apprest pour les funerailles du grand Pompeius ? Philippus luy respondit qu’il estoit un sien affranchy. Ha, dit le Romain, tu n’auras pas tout seul test honneur, et te prie, vueille moy recevoir pour compagnon en une si saincte et si devote rencontre, à fin que je n’aye point occasion de me plaindre en tout et par tout de m’estre habitué en païs estranger, ayant, en recompense de plusieurs maulx que j’y ay endurez, rencontré au moins ceste bonne adventure de pouvoir toucher avec nies mains et eider à ensepvelir le plus grand capitaine des Romains. Voilà comment Pompeius fut ensepulturé. (29 sept.-24 juillet 48.)

Le lendemain, Lucius Lentulus ne sachant rien de ce qui estoit passé, ains venant de Cypre, alloit cinglant au long du rivage, et apperceut un feu de funerailles, et Philippus auprès, lequel il ne recogneut pas du premier, coup : si luy demanda : Qui est celuy qui, ayant ici achevé le cours de sa destinée, repose en ce lieu ? Mais soudain, jettant un grand souspir, il adjouxta : Hélas ! à l’adventure est-ce toy, grand Pompeius ? Puis descendit en terre, là où tantost après il fut pris et tué[71].

L’histoire fait comme César, qui pleura sur cette fin de son rival. Mais, si l’on accorde que les services de Pompée, que l’éclat de sa vie militaire, la dignité de sa vie privée, méritent des éloges, il faut cependant condamner l’ambition stérile et les perpétuelles indécisions de celui qui ne voulait le pouvoir que pour étaler sa robe triomphale. Des talents après tout ordinaires ne suffisent point à mériter le titre d’homme d’État. On n’y a droit qu’a la condition d’avoir bien compris les besoins de son temps, par conséquent, l’avenir qui s’approche, puis, ce but reconnu, d’y avoir marché résolument. Pompée, qui tant de fois passa du sénat au peuple et du peuple au sénat, n’eut jamais d’autre mobile que l’intérêt de sa grandeur. De son histoire il ressort une moralité politique : le fugitif de Pharsale était le transfuge de tous les partis.

 

 

 

 



[1] Le Rubicon est très probablement le Fiumicino di Savignano, torrent aux eaux rougeâtres, à 12 milles au nord de Rimini, et formé par la réunion de trois ruisseaux de l’Apennin. Quant à la traversée de ce petit cours d’eau, Plutarque dit simplement que, la veille, César affecta de passer le jour à voir combattre des gladiateurs, tandis que ses soldats, sans bagages, filaient secrètement sur Ariminum. Le soir venu, il soupa avec quelques invités, et au bout de quelques instants sortit en les priant de l’attendre ; aussitôt il monta dans une voiture de louage, prit d’abord un autre chemin que celui qu’il voulait tenir, puis tourna vers Ariminum où il arriva avant le jour ; ces détails ne permettent pas d’accepter la légende du Rubicon, si chère aux poètes et aux rhéteurs. César, d’ailleurs, n’était pas homme à avoir de pareilles hésitations, au milieu de l’entreprise commencée, quand le crime, s’il y avait crime, était déjà commis, puisque ses soldats l’avaient devancé sur la route d’Ariminum.

[2] Lucain, Pharsale, I, 185.

[3] C. Marius et.... L. Sylla victam armis libertatem in dominationem verterunt. Post quos Pompeius occultior, non melior : et nunquam postes nisi de principatu quæsitum. (Tacite, Histoires, II, 38.)

[4] Placidam patent.... (I, 41). La philosophie d’Épicure avait fait à Rome de grands progrès. Dans la question entre la liberté et la tyrannie, elle décidait pour la dernière, les hommes étant trop insensés et trop méchants pour que le sage s’exposât au danger dans la vue de les délivrer. (Plutarque, Brutus, 42.) L’épicurisme était véritablement une doctrine de renoncement : Épicure, dit Plutarque, mettait le souverain bien en un profond repos, comme en un port couvert de tous les vents et de toutes les vagues du monde ; et Lucrèce est aussi occupé, dans son poème, à délivrer l’homme de l’ambition des honneurs et de la gloire que de le soustraire au joug de la superstition. Le comble de la sagesse est pour lui d’arriver à la paix de l’âme.

[5] Atticus fut à la fois ou tour à tour l’ami de Cicéron et de Clodius, du jeune Marius et de Sylla, de César et de Pompée, de Brutus et d’Antoine, d’Auguste enfin, qui rit entrer sa petite-fille dans la maison impériale.

[6] Cum ex eo (Curion) quærerem.... quam rem publicain, plane falebatur nullam spem reliquam (ad Att., X, 4).

[7] Cicéron, ad Familiares, IX, 9.

[8] Appellationem modo sine corpore ac specie (Suétone, César, 77).

[9] Ad unum imperium provinciæ redeant exercitusque (Cicéron, de Harusp. resp., 10).

[10] Ad Att., VII, 7. César n’avait plus alors que neuf légions.

[11] César, 28. Cf. Appien, Bell. civ., 19-20, et Dion, LIII, 19. Dans la conversation de Cratippe avec Pompée, après Pharsale, le philosophe lui démontrait qu’au point où en étaient les affaires il fallait une monarchie à la place d’un mauvais gouvernement. (Plutarque, Pompée, 75.) Un siècle et demi plus tard, Tacite (Annales, I, 9) reconnaîtra cette vérité : Non aliud discordantis patriæ remedium fuisse quart ut ab uno regeretur.

[12] On a longtemps attribué à Salluste deux lettres qu’il aurait adressées à César, l’une avant Pharsale, l’autre après la guerre d’Alexandrie. Elles sont du règne d’Auguste, et, par cette date, perdent beaucoup de leur importance historique ; elles n’en sont pas moins curieuses comme résumé des opinions de ceux qui acceptaient une monarchie. Au nom des dieux, César, prends en main la république, car toi seul peux remédier à nos maux. Ne permets pas que le grand et invincible empire du peuple romain tombe de vieillesse et d’impuissance, ou s’écroule au milieu de nos discordes insensées. Si la patrie, si tes aïeux, pouvaient se faire entendre, ils te diraient : Ô César ! nous t’avons fait naître dans la plus illustre cité, toi, notre gloire et notre appui ! nous te demandons de sauver notre empire d’une ruine prochaine ; car si, consumé par le mal qui le mine, ou frappé par les coups du sort, il vient à succomber, qui doute qu’aussitôt le monde entier ne soit livré à la dévastation, à la guerre, au carnage ?

C’est au nom de la paix publique, au nom de l’ordre universel que l’écrivain demande au générai victorieux de pourvoir à la sûreté de l’Italie et des provinces. La tâche est immense. Il faudra écraser la faction des grands, établir l’égalité, donner des lois nouvelles à la terre et aux mers ; mais aux grands travaux les grandes récompenses !  Et il indique quelques-unes des réformes nécessaires : « Le peuple a péri ; il ne reste qu’une multitude corrompue, livrée à une diversité infinie de métiers et de genres de vie, sans liens, sans union, et tout à fait inhabile à prendre part au gouvernement. Peut-être qu’en la mélangeant à des hommes nouveaux elle se réveillerait au sentiment de sa dignité. Appelle donc de nouveaux citoyens, qui, mêlés aux anciens, aillent fonder des colonies. Notre force militaire y gagnera, et le peuple, enchaîné à des occupations honnêtes, cessera de faire le malheur publie. Je sais quelles colères, quelles tempêtes se déchaîneront parmi les nobles. Ils s’écrieront, en s’indignant, que l’on veut tout bouleverser ; que l’on traite les citoyens en esclaves ; que l’on transforme une cité libre en royaume si on laisse un seul donner à un grand nombre le droit de cité. Mais n’importe, le bien public le demande ; hésiter serait un crime, une lâcheté.... Ils ont tué Drusus parce qu’il avait tenté cette réforme : redouble donc de soins pour t’assurer des amis et de nombreux soutiens.

Quand le peuple aura été ainsi régénéré, raffermis les bonnes mœurs, restreins les dépenses de chacun, abolis l’usure, et détruis le pouvoir de l’or. Que la richesse ne donne plus le droit de décider de la rie et de l’honneur des citoyens, que les charges soient accordées au mérite, non à la fortune, et que la loi de C. Gracchus, pour tirer au sort les centuries des cinq classes, soit remise en vigueur ; qu’enfin le service militaire, également réparti, pèse sur tous. Par là rendus égaux, les citoyens ne chercheront plus qu’à se surpasser en vertu.

De nos jours, quelques nobles efféminés et lâches forment une faction qui gouverne insolemment les peuples et le sénat. Jadis la sagesse de ce grand corps raffermissait la république chancelante ; maintenant opprimé, il décrète au gré de leurs caprices, aujourd’hui dans un sens, demain dans l’autre. Ce qui est bien, ce qui est mal, la haine seule des grands en décide. Augmente donc le nombre des sénateurs, et établis le vote au scrutin secret pour qu’on ne voie plus quelques nobles qui approuvent, condamnent, ordonnent et dirigent tout à leur fantaisie.

Ainsi, appeler à Rome de nouveaux citoyens pour régénérer le peuple ; répandre dans les provinces l’élément romain par des colonies ; rétablir l’égalité en détruisant la trop grande influence de la noblesse ; donner aux armées une meilleure composition ; enfin, tout réorganiser, la terre et les mers. tels sont les vœux de l’écrivain et tels avaient été ceux de César.

[13] Tout avait été préparé de longue main pour donner à Pompée le moyen d’abattre César l’espèce de dictature qu’il avait exercée à Rome où il avait géré le consulat, en bardant contrairement aux lois le proconsulat d’Espagne, l’armée qu’il commandait en Italie, les sept légions d’Espagne absolument inutiles dans cette province pacifiée, la flotte immense dont il disposait connue intendant des vivres, les 1000 talents qu’il avait le droit pie tirer annuellement du trésor, cette loi sur les magistratures qui substituait à l’ordre ancien un ordre nouveau, uniquement destiné à empêcher César d’obtenir le consulat .... omnia contra se (Cæsarem) parari ; in se novi generis imperia constitui... ; in se jura magistratuum commutari, etc. (César, de Bello civ., 1, 85.)

[14] Ravenne est à environ 100 lieues de Rome. Le passage du Rubicon a dû avoir lieu le 22 janvier 49, répondant au 21 novembre 50. Si l’on calculait d’après le chiffre de 60 jours donné par Plutarque pour la conquête de l’Italie, il faudrait reculer jusqu’à la nuit du 15 du 16.

[15] Dion, XLI, 5.

[16] César, de Bello civ., I, 33, Plutarque, César, 65, Dion, XLI, 6 ; Appien, Bell. civ., II, 37.

[17] .... Pecunix a municipiis exiguntur, e fanis tolluntur (César, de Bello civ., I, 6).

[18] Plutarque, Pompée, 59 ; Appien, Bell. civ., II, 36.

[19] Quem ego hominem άπολιτιxώτατον omnium jam ante cognoram ; nunc vero etiam άστρxτηγιxώτατον (ad Atticum, VIII, 16).

[20] Ad Atticum, VII, 7, et Dion, XLI, 4.

[21] Labienus rejoignit Pompée à Teanum, le 22 ou le 24 janvier 49. (Ad Fam., XLV, 14.)

[22] Dion, XLI, 10.

[23] Cicéron, ad Att., IX, 7 c.

[24] Sermones minacis, inimicos optimatum, municipiorum hostis, meras proscriptiones, meros Sullas (ad Att., IX, 11). Sullaturit.... proscripturit, etc. Cf. Dion, XLI, 30. Cela ferait-il allusion aux massacres dont parle le pseudo-Salluste (Epist., I, 4) ? La clémence de César, dit Hirtius (de Bello Afric., 88), était en lui un don de nature, mais aussi un calcul, pro natura et pro instituto. Il faut l’en louer davantage.

[25] Bonorum sermones Romæ frequentes dicuntur (ad Att., VIII, 11). Urbem jam refertam esse optimatium audio (ad Att., LX, 1).

[26] Vehementer contemnebat hunc hominem (ad Att., VII, 8).

[27] Hoc turpe (fuga) Gnæus noster biennio ante cogitavit (ad Att., IX, 10).

[28] Ces auxiliaires du Noricum prouvent que César avait attaché à sa cause les peuples de la rive droite du haut Danube établis au nord de sa province d’Illyrie.

[29] Ad Atticum, VIII, 13.

[30] Cicéron, ad Atticum, 14.

[31] De Bello civ., I, 9. Après la prise de Corfinium, il chargea Corn. Balbus de voir les sénateurs, de les assurer qu’il souhaitait ardemment la paix, et de dire particulièrement à Cicéron qu’il consentirait à reconnaître l’autorité de Pompée s’il était certain d’avoir des garanties pour sa vie : Nihil malle Cæsarem quam principe Pompieo sine metin vivere (ad Att., VIII, 9). Crois-tu cela ? ajoute Cicéron ; et, comme à lui, tant d’abnégation m’est suspecte. Mais je crois au vif désir qu’avait César de faire une paix qui ne pouvait manquer de tourner à son avantage.

[32] De Bello civ., I, 10.

[33] Pompée disait quelques jours auparavant qu’il était certain de battre César. (Ad Att., VII, 16.)

[34] Ad Att., IX, 10.

[35] Dion, XLI, 12.

[36] Caton avait été chargé de défendre la Sicile, et Cicéron, qui avait beaucoup de courage pour les autres, lui reproche de n’avoir pas résisté.... potuisse certe tenere illam provinciam scio. (Ad Att., X, 12.) Mais Curion arrivait avec ses légions, et Caton n’avait pas un soldat ; il fit bien de ne pas lui opposer quelques milices provinciales, qui n’auraient pas arrêté les césariens et qui auraient attiré des calamités sur la province.

[37] Cicéron, ad Fam., VIII, 15.

[38] Ad Atticum, IX. 12.

[39] De Bello civ., I, 52. Depuis le passage du Rubicon jusqu’à Pharsale on peut compter cinq tentatives de négociations. Cf. ibid., I, 8, 24, 26, 32 ; III, 10, 19, 57. Aussi Paterculus a-t-il le droit de dire : Nihil relictum a Cœsare quod sereandæ pacis caussa tentari posset ; nihil receptum a Pompeianis.

[40] Cicéron (ad Atticum, X, 6) mentionne dès le 22 avril le bruit de la marche de Pompée par l’Illyrie.

[41] La ville ancienne devait être concentrée sur le plateau et, par conséquent, occuper une position très forte.

[42] Dion, XLI, 41.

[43] Ulerque regnare vult, écrivait-il à Atticus (VIII, 11). Il le lui répète (X, 7), regnandi contentio est, et, dans le Pro Marcello, il dira encore, en l’année 46 (si ce discours est bien de lui), que la guerre civile n’avait été que le conflit de deux ambitions. Celle des pompéiens lui parait bien à craindre : Primum consilium est suffocare urbem et Italiam fame, deinde agros vastare, urere, pecuniis locupletium non abstinere.... tegulam in Italia nullam relicturum. (Ad Att., IX, 7 ; XI, 6, ad Fam., IV, 14.) Cf. Dion, XLI, 56. Appien dit aussi (Bell. civ., II, 48) : ού γάρ άδηλον ήν ές μοναρχίαν τόν νιxώντα τρίψισόαι.

[44] Ad Familiares, VIII, 14.

[45] C’est Cicéron qui parle ainsi de lui-même, quand il alla rejoindre Pompée. (Ad Fam., VI, 6.)

[46] Appien, Bell. civ., II, 42.

[47] César, de Bello civ., I, 37-57. En regard de cette clémence, il fiant noter qu’Afranius, ayant saisi tous les soldats de César, venus dans son camp à la laveur d’une trêve tacite, les fit égorger. (Ibid., 76, et Appien, Bell. civ., II, 43.)

[48] César, de Bell. civ., II, 39.

[49] Fleuve dont les puissantes alluvions ont comblé la lagune navigable qui séparait la ville de la mer. Sur les constructions romaines de Fréjus, qui eut bien vite tous les monuments qui semblaient nécessaires à une colonie, thermes, théâtre, amphithéâtre et, en outre, de grands établissements militaires, un aqueduc long de 60 kilomètres, etc., voyez l’intéressante étude de M. Lentheric, Fréjus, le port romain et la lagune de l’Argens.

[50] On a parlé d’un soulèvement des Folks arécomiques (Nîmes) et des Allobroges (Dauphiné et Savoie), qui, sous prétexte de fidélité au sénat romain, auraient saisi cette occasion de la guerre civile pour tirer encore une fois l’épée contre leurs vainqueurs. César les aurait punis sévèrement, et Nîmes aurait gardé longtemps sur une de ses places une inscription qui rappelait leur châtiment. Cette inscription est fausse, il faut donc supprimer le fait qu’elle avait paru prouver.

[51] Suétone, César, 42 ; Dion, XLI, 37. Les lettres du Pseudo-Salluste disent que César, en n’abolissant pas les dettes, trompa l’espoir de beaucoup, qui s’enfuirent dans le camp de Pompée, où ils trouvèrent un asile inviolable, quasi sacro atque inspoliato fano (Epist., II, 2). Cicéron répète plusieurs fois la même chose.

[52] César, De Bello civ., III, 9 ; Appien, II, 48 ; Dion, XLI, 38.

[53] Il se petit que cette loi ait été portée avant son départ pour l’Espagne.

[54] Dion, XLI, 36. La Cisalpine était si romaine qu’elle avait déjà donné naissance à Catulle, à Bibaculos, à Cassius de Parme, à Corn. Gallus et à Tite-Live. Cependant elle continua d’être regardée comme une province jusqu’en l’année 42.

[55] 1er janvier 48, selon le calendrier romain ; en réalité, vers la fin décembre 49.

[56] Pompée reçut même quelques hommes d’Athènes. Il sépara ses contingents grecs de ses auxiliaires d’Orient, parce que, dit Appien (Bell. civ., II, 75), ils étaient plus habitués à garder leurs rangs en silence.

[57] César, de Bello civ., III, 3-5, et Appien, Bell. civ., II, 49. Les forces pompéiennes pouvaient bien s’élever à quatre-vingt mille hommes ; mais il ne faut pas juger de la force du sentiment républicain d’après le chiffre des troupes de Pompée. Ces légions avaient été enrôlées avant la rupture, en vertu d’ordres légitimes, suivant les anciens usages, avec la formalité du serment, qui plaçait chaque soldat sous le coup de pénalités extrêmes s’il y manquait. Quant aux auxiliaires, tous ces peuples et rois de I’Orient, clients de Pompée, étaient attachés à sa fortune et n’avaient pu lui refuser leur assistance. Puis étaient venus à lui les familiers et les protégés des grands que ceux-ci avaient entraînés, et à leur suite les volontaires, les aventuriers qu’attiraient sa réputation et l’espérance de faire avec lui une fructueuse campagne.

[58] Dion, XLI, 43 ; Plutarque, Pompée, 64.

[59] Dyrrachium s’élevait à la pointe d’une petite chaîne de collines abruptes parallèle à la mer, et que de vastes lagunes séparaient du continent. Au nord, un cordon de sable rattachait ces falaises au cap Pali ; au sud, ces lagunes communiquaient avec la mer par un étroit canal de décharge ; de sorte que, pour arriver par terre à Dyrrachium, il n’y avait que deux entrées étroites et faciles à défendre. César avait établi son camp au plateau d’Arapaï ; Pompée mit le sien plus au sud. Voyez Heuzey, Mission archéol. en Macédoine, p. 370 et suiv.

[60] César dit (de Bello civ., III, 48) avoir été informé, après la guerre, de ces paroles qui échappèrent sans doute à Pompée dans l’intimité, et qu’un de ses familiers rapporta ensuite au vainqueur.

[61] Il dit encore (ad Fam., IV, 14) : Je savais combien ceux dont j’ai suivi le parti seraient insolents, cupides et cruels après la victoire.

[62] Hic, ajoute César, cognosci licuit, quantum esset hominibus præsidii in animi fortitudine (de Bello civ., III, 28).

[63] Cette remarque du général Foy (Mémoires sur la guerre d’Espagne) flatte notre patriotisme, mais ne fait honneur ni à la prudence des généraux ni à la prévoyance des intendants.

[64] Ad Familiares, VI, 6 ; IX, 6 et 9 ; VII, 3 ; ad Atticum, XI, 3, 4, 6, etc.

[65] Certains détails donnés par César, comme les dispositions prises pour voler le trésor d’Éphèse (Bell. civ., III, 3), et qu’une lettre de Pompée arrêta, sont invraisemblables. Le de Bello civili ne vaut pas le de Bello Gallico, et il y a doute sur le véritable auteur de l’ouvrage.

[66] César donne le chiffre de quinze mille pompéiens tués ; Asinius Pollion n’en comptait que six mille, mais sans doute en laissant à part les alliés qu’on ne compta point, dit Appien (II, 82). Le même historien met parmi ces morts pompéiens dix sénateurs et quarante chevaliers.

[67] Paroles recueillies par Asinius Pollion, qui était présent à la bataille, et rapportées par Suétone. Dion prétend (XLI, 62) qu’il fit tuer ceux qui, pris une première fois les armes à la main et graciés par lui, furent trouvés parmi les captifs, mais qu’il accorda à chacun de ses amis la grâce d’un pompéien.

[68] Plutarque (Pompée, 74) met ces mots dans la bouche de Cornélie.

[69] Il avait déjà sollicité l’alliance des Parthes, mais son ambassadeur avait été jeté par eux en prison. (Dion, XLII, 2.)

[70] Elle était née vers la fin de 69, et avait, par conséquent, prés de 21 ans à l’arrivée de César.

[71] Plutarque, Pompée, trad. d’Amyot. Hadrien, cent soixante ans après, lui éleva un tombeau. (Spartien, Hadrien, 7.)