I. — TROUBLES INTÉRIEURS ; COMMENCEMENTS DE CÉSAR.Au temps de Sylla, les aruspices toscans consultés sur certains prodiges avaient répondu qu’un nouvel âge du monde approchait et que la forme de l’univers allait changer. Il n’était pas nécessaire de savoir lire dans le ciel pour voir que sur la terre une révolution se préparait. Depuis soixante ans, deux tentatives avaient été faites en sens contraire pour reconstituer la république, l’une en vue des intérêts populaires, l’autre au nom des intérêts aristocratiques. La première échoua, parce que les Gracques comptèrent trop sur cette tourbe d’affranchis qui avaient remplacé l’ancien peuple romain ; l’autre parut un moment réussir, parce que Sylla se servit de la seule force qui restât dans Rome, la noblesse : mais cette noblesse, qui aurait pu gouverner le monde si elle avait su se gouverner elle-même, se montra incapable de garder l’empire, et Pompée lui ôta, pour payer les applaudissements du peuple, une partie de ce que Sylla lui avait donné. C’était encore une restauration inintelligente du passé, un retour aux temps de Sulpicius et de Saturninus, sans plus de garanties contre l’esprit de faction ; c’était la guerre ramenée au Forum : elle y éclata bien vite. Le consulat de Pison, en l’année 67, peut être compté parmi ceux des plus mauvais jours de la république. Un ancien questeur de Pompée, C. Cornelius, était alors tribun ; il voulut réprimer les prêts usuraires dont les nobles ruinaient les provinces, et empêcher quelques sénateurs vendus de dispenser, au nom de leur compagnie, de l’observation d’une loi. Pison combattit sa rogation et, le peuple murmurant, il fit saisir plusieurs mutins ; mais la foule se rua sur les licteurs, brisa leurs faisceaux et chassa le consul du Forum sous une grêle de pierres. Comme son patron, Cornelius n’était pas un démagogue, il congédia l’assemblée, et modifia sa proposition : pour valider un sénatus-consulte qui dispenserait d’une loi, il faudra la présence de deux cents membres au moins[1]. Il essaya aussi d’étendre le crime de brigue à ceux qui auraient aidé le candidat incriminé, et il formula contre eux des peines sévères. Pison, à qui la violence venait de mal réussir, usa de l’adresse ; il s’empara de cette loi, afin de n’en pas laisser l’honneur au tribun, et, sous prétexte qu’avec des peines immodérées on ne trouverait ni accusateur ni juges, il ne demanda pour les coupables que l’expulsion du sénat, l’interdiction des charges et une amende[2]. Cette fois encore une émeute l’obligea à fuir du Forum ; il fit appel é ses amis, revint en force, et la loi passa[3]. A peine Cornelius fut-il sorti de charge que les deux Cominius l’accusèrent du crime de majesté pour n’avoir pas tenu compte du veto de ses collègues ; mais un autre agent de Pompée, Manilius, à la tête d’une troupe armée, les menaça de mort. Ils s’enfuirent, sous la protection des consuls, dans aine maison d’où ils s’échappèrent la nuit par les toits (66). Ainsi les luttes à main armée recommençaient : naguère Licinius Macer accusait le sénat de despotisme, maintenant les consuls reprochent aux tribuns leurs violences ; nobles et peuple étaient donc également convaincus d’impuissance à gouverner, et il n’y avait plats qu’une expérience à tenter : la monarchie[4]. Trois hommes y tendaient alors : Pompée, à la manière de Périclès, par les lois mêmes de son pays ; Catilina, comme les Denys et les Agathocle, par les conspirations et la soldatesque ; César, à la façon d’Alexandre, par d’irrésistibles séductions et l’ascendant de son génie. Entre ces trois hommes nu autre se plaça, qui, meilleur que son temps, croyait à la vertu, au pouvoir de la raison, et qui ne se résignait pas à la pensée qu’on ne pût sauver la liberté. Comme Drusus, Cicéron cherchait le salut de la république, non dans la domination exclusive d’une classe de citoyens, mais dans la conciliation de tous les ordres : avec un seul, c’était le despotisme ; avec deux, la guerre ; avec trois, l’harmonie, la paix. Il avait déjà contribué à faire rendre aux chevaliers les jugements, et il travaillait à mettre de leur côté l’opinion publique en exaltant dans tous ses discours leur impartialité et leurs services. Il aurait voulu enchaîner Pompée à leur cause, et, comme il avait compris de quelle nature était son ambition, il n’avait rien épargné pour la favoriser[5]. D’ailleurs, homme nouveau, Cicéron avait besoin pour se faire jour de l’appui de Pompée ; son ambition personnelle se trouvait ainsi d’accord avec ce qu’il croyait être l’intérêt public. Un autre personnage flattait aussi Pompée et, à l’ombre de ce nom alors si grand, se faisait une place dans l’État. Nous connaissons Jules César. Son influence dans Rome était déjà considérable, et il ne la devait ni aux charges qu’il avait remplies, il n’était que pontife ; ni à ses exploits, il n’avait pas encore commandé ; ni à son éloquence, bien qu’elle fût prouvée par des succès. Le peuple mettait ses espérances dans ce gendre de Cinna, dans ce neveu de Marius, sorti de la plus noble des maisons patriciennes, et il subissait le charme répandu sur toute la personne du descendant de Vénus et d’Anchise[6]. Son esprit et ses manières avaient une séduction qu’un autre dominateur a aussi possédée ; niais elle s’alliait dans César à une élégance naturelle que Napoléon ne put jamais acquérir. C’est que l’un était, malgré lui-même, le représentant d’une jeune et rude démocratie, l’autre l’héritier d’une vieille noblesse, un grand seigneur égaré au milieu du peuple[7]. Il faut bien le dire, le futur maître du monde ne fut d’abord que le roi de la mode : les plus élégants désespéraient de porter comme lui leur toge[8], et les femmes ne savaient pas lui résister. Magnifique et prodigue, comme s’il eût compté sur les richesses du monde, il jetait l’or, moins pour ses plaisirs que pour ses amis, pour le peuple qu’il conviait à des fêtes splendides. Cicéron, trop grand artiste pour bien juger les hommes, Cicéron, qui crut au repentir de Catilina, comme plus tard au désintéressement d’Octave, se laissa tromper à cette frivolité apparente. Quand je le vois si bien frisé, disait-il, et craindre de déranger sa chevelure du bout du doigt, je me rassure ; un tel homme ne peut songer à bouleverser l’État. Il eût été moins confiant, s’il se fût rappelé ce voyage en Asie (76), durant lequel César, tombé aux mains des pirates, étonna, maîtrisa ces brigands par sa fierté, les forçant à l’écouter, à le servir, et les menaçant de la croix, tout captif qu’il était. Ils lui avaient demandé 20 talents pour sa rançon : Ce n’est pas assez, vous en aurez 50, mais ensuite, je vous ferai tous pendre ; et il leur avait tenu parole. Sa rançon arrivée de Milet, il avait ramassé quelques vaisseaux, les avait poursuivis, enlevés et fait attacher à des croix, malgré le gouverneur de la province. De retour à Rome, il accusa le syllanien Dolabella pour les concussions commises par lui dans son gouvernement de Macédoine, puis Antonius Hybrida, un des lieutenants du dictateur, qui avait pillé plusieurs villes grecques. Ces procès retentissants étaient un moyen pour un jeune homme d’attirer sur soi l’attention ; mais, par le choix de ses victimes, César affirmait ses opinions populaires. Quelque temps après, tandis qu’il étudiait à Rhodes, il avait appris que Mithridate attaquait les alliés de la république. Aussitôt il était passé sur le continent ; avait rassemblé des troupes, battu plusieurs détachements de l’armée pontique, retenu les villes dans l’alliance romaine ; et tout cela il l’avait fait sans titre, sans mission. Sylla, auquel il avait résisté, en lui refusant de répudier la fille de Cinna[9], l’avait mieux compris. Redoutez, disait-il aux nobles, redoutez ce jeune élégant, à la robe flottante[10]. L’élégant débauché cachait en effet une grande ambition, parce qu’il sentait son génie et qu’il voyait les maux dont souffrait la république, l’impuissance dit remède imaginé par Sylla et l’absolue incapacité de ses héritiers. Ses amis assuraient l’avoir vu pleurer devant une statue d’Alexandre en répétant : A mon âge, il avait conquis le monde, et je n’ai encore rien fait. Il avait fait plus qu’il ne voulait dire[11]. Déjà le sénat redoutait le neveu de Marius et de cet Aurelius Cotta qui lui avait enlevé les jugements, l’orateur populaire qui avait provoqué le rappel des amis de Lépide, le prodigue qui éclipsait toute la noblesse par ses magnificences. Crassus, consul et triomphateur, voyait en lui un rival[12], Pompée, un ami nécessaire, et le peuple l’aimait, le peuple qu’il courtisait sans bassesse, qu’il menait, en contenant ses passions mauvaises, comme ces chevaux fougueux qu’il se plaisait à dompter au Champ de Mars. Les grands espéraient que, ruiné par ses folles dépenses, il cesserait d’être redoutable en cessant de pouvoir acheter les charges[13] ; mais ils oubliaient que le peuple lui donnerait peut-être ce qu’il vendait à d’autres. Les usuriers d’ailleurs, avec leur instinct rapace, avaient deviné l’avenir du jeune prodigue, et personne ne refusait à celui qui aurait un jour tant à donner. Avant d’avoir exercé aucune charge, il devait 1300 talents[14] ! Quand Pompée était revenu d’Espagne, il avait trouvé César en possession d’un tel crédit, qu’il avait dû compter avec lui. Il avait pensé s’en faire un instrument, il en servit lui-même ; du moins, il tomba sous le charme, il écouta des conseils déguisés sous les éloges, et César contribua beaucoup à la détermination qui sépara Pompée de la noblesse, où était sa véritable place, pour le mettre à la tête du peuple, où son caractère ne pouvait le laisser longtemps. Il était habile de rendre favorable au parti populaire et au tribunat un homme qui devait inévitablement un jour blesser le peuple et les tribuns. Il ne l’était pas moins, après l’avoir compromis avec l’aristocratie, de l’en éloigner plus encore en lui faisant décerner des honneurs presque monarchiques. César appuya vivement les propositions de Gabinius et de Manilius. Cette fois il se rencontrait avec Cicéron sur le même terrain, mais avec des intentions bien différentes ; l’homme nouveau ne songeait qu’à gagner un patron et des voix pour sa prochaine candidature au consulat. Le patricien populaire voyait avec plaisir le peuple s’habituant à conférer de grands pouvoirs que lui-même réclamerait peut-être un jour. Cependant il y avait bien de la hardiesse à entasser tant de puissance dans les mains de Pompée ; n’était-ce pas travailler à se donner un maître ? Mais ce rival, a-t-on dit, César le connaissait ; du jour où il avait vu les façons royales de ce héros populaire, il n’avait pas cru à la durée de sa popularité. Pompée n’avait pour lui que ses succès militaires ; mais des victoires, César en gagnera : ces succès, il les effacera par des succès plus grands, et il lui restera l’avantage, immense dans une république qui périt, de savoir dominer et conduire cette foule du Forum dont la souveraineté nominale pouvait toujours être changée par un habile homme en souveraineté réelle. On a trop insisté sur ces patients calculs, et on en a exagéré la subtile profondeur. Si Pompée eût été capable d’un acte de virilité, tout cet échafaudage d’ambition se serait écroulé. Dans les commencements de sa vie politique, César suivit les événements plutôt qu’il ne les domina ; tout au plus les aida- t-il à s’engager dans la voie qu’ils prenaient d’eux-mêmes. Il commanda à l’avenir de la seule manière dont l’homme puisse contraindre l’avenir à servir ses vues, en pressentant, par une nette intelligence du présent, vers quel but éloigné la société s’avance. La phrase suivante de Cicéron citée par Suétone (César, 9) : Dès son édilité il rêva l’empire, et il se l’assura quand il fut consul, est un de ces mots sonores, comme le grand orateur aimait à en faire. César ne rêva pas de dictature dès sa jeunesse. Sa naissance l’avait mis dans le parti populaire, celui qui voulait des réformes, il y resta sans dévier jamais ; consul, il commença ces réformes nécessaires ; dictateur, il les continua en les portant plus loin, et l’empire naquit de la guerre civile. Mais tous les plans pour le présent et l’avenir, ceux de César ou de Pompée, comme ceux du sénat ou des tribuns, faillirent être déjoués par une conjuration sortie des sentines les plus impures de la république. II. — CATILINA (63-62).Sylla croyait avoir fait de ses vétérans des laboureurs paisibles, et de ses sicaires enrichis d’honnêtes citoyens. Mais ces soldats paresseux firent travailler pour leur compte, puis vendirent leurs terres et lie gardèrent que leur épée, dans l’espérance d’une autre guerre civile et de nouveaux pillages. Il avait fallu moins de temps encore à leurs anciens chefs pour dissiper l’or des proscrits. Les classes riches, aisées, virent avec effroi au-dessous d’elles, non plus les pauvres de Rome, populace oisive, résignée maintenant à ses misères, et ne demandant pour vivre dans le repos que quelques mesures de blé, mais une autre populace ayant le goût et le besoin de la débauche, des hommes aux regards sinistres, à la main prompte, ennemis de l’ordre et de la société, quelque gouvernement qui la régît, et vivant à ses dépens de mille industries criminelles. Chaque jour, cette tourbe menaçante augmentait.
Longtemps il ne sortit de là que des crimes individuels ;
mais un homme vint qui voulut se faire de cette classe, en guerre avec la
société, une arme pour son élévation. Catilina avait toutes les qualités d’un
chef de parti : une naissance illustre[15], l’air noble, un
corps de fer qui supportait tous les excès, de grands talents, une audace et
un courage sans bornes, au besoin la tempérance du plus rude soldat. Libéral,
officieux, insinuant, il savait être austère, grave ou enjoué, selon le caractère
et l’âge de ceux qu’il voulait gagner. Toujours prêt à servir ses amis de son
argent, de son crédit et de sa personne, n’épargnant pour eux ni les travaux
ni le crime, il exerçait autour de lui, dans cette sphère de la débauche, un
irrésistible ascendant[16]. Deux siècles
plus tôt, Catilina eût été un grand citoyen, mais l’état social et les mœurs
de Il y avait longtemps qu’il s’était uni à tout ce que Rome renfermait de gens infâmes et coupables. Mais c’était un parti qu’il voulait, et non pas seulement des complices ; il s’étudia donc à gagner les pauvres et la jeunesse ruinée en se faisant le ministre de ses passions. Il avait toujours, pour qui lui en demandait, de beaux chiens de chasse, des chevaux, des gladiateurs, de folles femmes ; puis du plaisir il les faisait passer au crime : il les tenait alors. Cette jeunesse débauchée ne faisait pas encore une armée. De longue main Catilina s’eu était préparé une par ses relations avec les colons militaires, ses anciens compagnons d’armes. Il leur rappelait Sylla et ses dons, leurs terres engagées à des usuriers ; s’il arrivait au consulat, lui, s’il devenait le maître, il saurait bien conserver aux vainqueurs les fruits de leur courage. Une abolition des dettes serait le prélude de nouvelles gratifications. Aussi les vétérans s’étaient-ils tenus prêts à venir en foule voter pour lui. Catilina avait donc déjà de grandes ressources. La sévérité des nouveaux tribunaux lui fournit d’autres alliés. Un jugement venait de condamner les deux consuls désignés pour l’année 65, P. Autronius Pætus et P. Corn. Sylla, comme coupables d’avoir acheté les suffrages ; les accusateurs L. Aurelius Cotta et L. Manlius Torquatus avaient été élus à leur place. Catilina envenima leur ressentiment, et un complot fut formé pour égorger, aux calendes de janvier, les nouveaux consuls, quand ils iraient sacrifier au Capitole. Crassus et César entrèrent, dit-on, dans cette conjuration ; le premier aurait été créé dictateur, et, dans cette charge, aurait réintégré au consulat Autronius et Sylla. Ce doit être une calomnie. Crassus, si riche, avait tout à perdre en s’associant à des gens ruinés, dont le premier soin eût encore été de bouleverser les fortunes. Pour César, sa douceur répugnait aux violences préméditées par les conjurés ; mais tous deux ne voyaient certainement pas cette agitation avec colère, et, sans s’y mêler, ils ont dû en attendre l’issue pour la faire tourner au profit de leur ambition. Ni l’un ni l’autre ne pouvaient donner la main à ces désespérés en révolte contre tout l’ordre social, et ils n’entendaient pas davantage se faire les souteneurs de l’oligarchie. Ils se réservaient donc, laissant les grands et Catilina s’affaiblir mutuellement en un mortel combat. Deux fois le coup manqua, aux calendes de janvier et aux nones de février, par l’attitude des consuls, qui avaient été avertis. Il semble qu’alors un rapprochement ait eu lieu, ou plutôt que le sénat tremblant ait cherché, par des concessions, à désarmer ces furieux. Cn. Pison un des conjurés les plus redoutés, fut envoyé comme préteur en Espagne ; il est vrai que son escorte espagnole l’assassina. Mais lorsque Clodius reprit contre Catilina l’accusation de concussion, l’un des consuls qui avaient failli être tués, Torquatus, défendit l’accusé, et nous ne savons pas si Cicéron ne partagea point avec lui cette défense. Du moins il s’y prépara, et, dans une lettre qui nous est restée, il se félicite d’avoir obtenu tons les juges qu’il souhaitait. S’il est acquitté, ajoute-t-il, j’espère m’entendre avec lui pour notre candidature[19]. Voilà une lettre qui donne beaucoup à penser au sujet de la grande journée des nones de décembre 63. Mais il nous faut raconter cette histoire avec les seuls documents que le temps nous a laissés, sauf à faire de discrètes réserves[20]. Catilina fut acquitté, mais ruiné[21]. Tout l’or qu’il avait apporté d’Afrique était passé à ses juges (65). Ce qui disposait le sénat à fermer les yeux sur de tels projets, c’était le sentiment de sa faiblesse et la crainte que lui inspirait César. L’ambition de Catilina paraissait encore n’être que celle d’un seul homme ; derrière César, les sénateurs voyaient tout un parti[22]. Cette année même (65), il avait été nommé édile curule, et n’avait pas perdu cette occasion de faire légalement une brigue plus sûre que celle du jour des comices, en achetant d’un coup le peuple entier par la magnificence de ses jeux et par des prodigalités inouïes. Il décora de tableaux et de statues le Forum, les basiliques, les temples ; et, pour honorer la mémoire de son père, il fit paraître trois cent vingt couples de gladiateurs, couverts d’armures dorées ; jamais le cirque n’avait vu un tel carnage ; jamais le peuple n’avait si bien rassasié ses joies féroces. Le sénat s’alarma de cette boucherie, ou plutôt des facilités que fournissaient pour un coup de main tant de bravi qui formaient une armée ; un décret fixa le nombre de gladiateurs qu’à l’avenir on ne pourrait plus dépasser. Les Mégalésies et les grands Jeux romains furent célébrés avec la même pompe : aux malheureux condamnés a combattre les bêtes, il avait donné des lances d’argent[23]. A ces fêtes, à ces jeux, Bibulus, son collègue, qui faisait alors l’apprentissage de l’abnégation, disait d’un air étonné : Nous nous ruinons tous deux, et il semble que lui seul paye ; le peuple ne voit que lui[24]. César eut bien d’autres applaudissements quand un matin on découvrit de toute la ville, aux portes du Capitole, des statues étincelantes d’or : c’était le vieux Marius qui reparaissait avec ses trophées de la guerre de Jugurtha et des Cimbres[25]. Déjà quelques années auparavant, César avait fait porter l’image de Marius aux funérailles de sa tante Julie, et, du haut de la tribune, il avait prononcé l’éloge de cette femme, veuve du vainqueur des Cimbres[26]. Mais ces trophées, le sénat les avait proscrits, Sylla les avait arrachés, et un édile les rétablissait ! Les grands restèrent muets devant tant d’audace et devant la joie de la multitude, accourue pour saluer l’image de l’homme qui, malgré son égoïste ambition, avait toujours été aimé, comme le plus glorieux représentant du peuple. Catulus eut beau s’écrier : Ce n’est plus par de sourdes menées mais à la face du ciel que César attaque la constitution[27], personne n’osa le soutenir, et les trophées du héros populaire continuèrent de briller au-dessus de la tête des sénateurs tremblants. Cette journée était décisive ; un parti venait de retrouver son vrai chef et son drapeau : dans les affections du peuple, Pompée descendait au second rang, César montait au premier. Le vainqueur de Sertorius, des pirates et de Mithridate peut maintenant revenir, l’édile est en état de le forcer à compter avec lui. Au sortir de l’édilité (64), César essaya de se faire donner la mission d’aller réduire l’Égypte en province, en vertu d’un testament de Ptolémée Alexandre Ier. Ce royaume, par où passait alors tout le commerce de l’Orient avec l’Europe, était le plus riche pays du monde. S’il n’avait pas les trente-trois mille villes que Théocrite lui donne, il est certain qu’il payait, chaque année, un impôt de 14.800 talents. Avec de tels revenus, on pouvait solder bien des dettes, et avec les moissons de l’Égypte faire au peuple bien des largesses. Crassus et César se disputèrent cette riche proie. Ils ne l’eurent ni l’un ni l’autre. L’affaire fut reluise, et le tribun Papius chassa par une loi tous les étrangers que les deux compétiteurs, surtout César, déjà en relation intime avec les Transpadans[28], avaient attirés à Rome pour faire passer leur demande. Au lieu de cette brillante mission, César fut appelé à présider le tribunal chargé de punir les meurtriers, de sicariis. Jusqu’alors il s’était borné à protester contre la dictature de Sylla : il voulut la frapper d’une flétrissure légale. Parmi les affaires qu’il évoqua à son tribunal, fut celle de deux meurtriers des proscrits, L. Bellianus, le centurion qui avait tué Lucretius Ofella, et un autre assassin plus obscur ; il les condamna[29]. Pour frapper le sénat, il remonta plus haut encore. A son instigation, un tribun du peuple, Labienus, accusa, l’année suivante, le vieux sénateur Rabirius d’avoir, prés de quarante ans auparavant, sur un décret du sénat, tué un magistrat inviolable, le tribun Saturninus[30], et il réclama l’application de la vieille loi de perduellion, qui ne laissait pas, comme la loi de majesté, la faculté de l’exil volontaire[31]. Condamné par les duumvirs, Rabirius en appela au peuple. Mais Labienus plaça sur la tribune aux harangues l’image du tribun égorgé ; et n’accorda au défenseur de l’accusé qu’une demi-heure pour son plaidoyer. Malgré les éloquents efforts de Cicéron, malgré les prières, les larmes des principaux sénateurs, Rabirius eût été déclaré coupable, si le préteur Metellus Celer n’eût arraché le drapeau blanc qui flottait sur le Janicule[32]. Ce peuple formaliste céda, en riant de lui-même, au vieil usage ; l’assemblée fut déclarée dissoute, et César, content d’avoir encore une fois prouvé sa force, laissa tomber l’affaire[33] ; mais les sénateurs étaient avertis que, s’ils essayaient un jour des coups d’État, le peuple briserait leurs instruments[34]. Ce même Labienus, qui lui servait de lieutenant dans le tribunat, comme il lui en servira dans la guerre des Gaules, fit encore abroger la loi cornélienne relative aux pontifes, dont la nomination fut rendue aux comices. Le peuple en témoigna aussitôt à César sa reconnaissance en lui donnant le grand pontificat, charge à vie qui le rendait inviolable[35]. Ni ses mœurs ni l’athéisme qu’il professait ouvertement n’avaient été pour lui des obstacles. Ses mœurs et ses opinions étaient celles de la plupart des hommes de son temps ; en ce liement même, Lucrèce écrivait son poème audacieux contre la crédulité populaire. La religion officielle n’était plus qu’une institution d’État. ; mais elle donnait à son chef une brande situation, et César ne voulait pas laisser à d’autres ce moyen d’influence. Catulus, un de ses compétiteurs, le sachant obéré, avait essayé vie le désintéresser en lui offrant des sommes considérables, J’en emprunterai de plus grandes pour réussir, dit-il ; et l’on pourrait croire qu’il s’était préparé à recourir à la force, si sa dernière parole à sa mère, en partant pour les comices, était vraie : Aujourd’hui je serai banni ou vous me reverrez grand pontife[36]. La même année (63), il fut désigné pour la préture, et, continuant ses bons rapports avec Pompée, il lui fit accorder par un plébiscite le droit d’assister aux jeux avec une couronne de laurier et la robe triomphale[37]. Cicéron était alors consul. La crainte de César et de Catilina avait fait accepter de la noblesse l’homme nouveau[38], le brillant avocat qui avait su gagner tant de causes, et qui répétait tout bas à chaque consulaire : De cœur, j’ai été toujours, avec vous, du parti des grands, jamais du côté du peuple. Si j’ai parfois parlé dans le sens populaire, c’est qu’il me fallait gagner Pompée, dont le crédit est si nécessaire à une candidature[39]. D’ailleurs ceux qui se présentaient ne valaient guère mieux que Catilina. Galba et Cassius, étaient inconnus ; Antonius avait été chassé du sénat, et il n’aurait pu, disait-il lui-même, plaider dans Rome à crédit égal contre un Grec[40]. Rejeter, par un refus, du côté de Pompée ou de César, un homme que sa modération classait naturellement parmi les conservateurs, c’eût été une imprudence et de plus un effort inutile. Soutenu par les publicains et l’ordre équestre qu’il avait tant servis ; par les municipes italiens, qui se souvenaient de son origine ; par la jeune noblesse, enthousiaste de son éloquence, et par les principaux meneurs des tribus, qui lui avaient fait depuis deux ans des promesses formelles, Cicéron serait arrivé au consulat sans le sénat et malgré lui. En l’accueillant de bonne grâce, les nobles gagnaient le dévouement du parvenu, et ils donnaient à leur parti, pour les luttes du Forum, un grand orateur, c’est-à-dire une force considérable. Cicéron fut élu d’une voix unanime, sans même que le peuple
voulût aller au scrutin[41]. Ce succès
blessa César au vif, mais il était facile de mettre cette popularité à
l’épreuve en soulevant une question où il faudrait se prononcer entre le
peuple et le sénat. — Le tribun Rullus proposa une loi agraire, dont les dix
commissaires investis de l’imperium auraient pendant cinq années un
pouvoir absolu pour vendre en Italie, en Sicile, en Espagne, dans Un autre tribun proposa de mettre un terme à la dégradation civique dont Sylla avait frappé la postérité de ses victimes. Ce décret était une cruauté, Cicéron l’avouait[44], et le premier acte de la dictature de César sera la suppression de cette iniquité. Mais, après avoir recouvré leurs droits politiques, les fils des proscrits redemanderaient peut-être aux clients de Cicéron leurs biens confisqués ; il fit encore rejeter cette rogation. Quand le peuple siffla le tribun Roscius, pour avoir donné aux chevaliers des places séparées au théâtre, le consul, qui aimait à monter à la tribune[45], entraîna la foule au temple de Bellone, lui fit honte de céder à une basse envie, magnifia l’ordre équestre, et la ramena repentante au théâtre. Ce fut, dit Quintilien, son plus beau triomphe oratoire. Mais, quand le peuple n’était plus sous le charme de ce beau langage, il retrouvait ses rancunes et sa colère. La popularité de Cicéron ne paraissait plus redoutable. Durant tout ce consulat, César avait harcelé sans relâche Cicéron. Les attaques du parti populaire ne furent cependant pas pour le consul sa plus grande affaire. Catilina l’inquiétait bien davantage. Effrayé des progrès que faisait la conjuration dans Rome et dans toute l’Italie, il commençait à voir que, s’il y avait entre le sénat et César une question d’influence et de pouvoir, entre Catilina et les grands il y avait une question de vie ou de mort. Aux dernières élections consulaires, Antonius ne l’avait emporté sur Catilina que de quelques voix, et celui-ci s’était remis sur les rangs pour l’année 62. Afin de l’écarter, Cicéron et le sénat appuyèrent Silanus et Murena, l’un et l’autre amis de Crassus et de César, afin de gagner ces deux puissants personnages, qu’on soupçonnait de voir avec plaisir les dangers dont Catilina menaçait l’oligarchie[46]. Comme dernière ressource, le cas où ce dernier serait élu, Cicéron fit ajouter aux peines portées par les lois contre la brigue un exil de dix ans pour le coupable[47]. Catilina, à bout de patience, était décidé ; s’il ne réussissait pas cette fois, à jouer enfin le tout. Ses préparatifs étaient achevés ; des armes étaient réunies en divers lieux. Des vétérans de l’Ombrie, de l’Étrurie et du Samnium, depuis longtemps travaillés par ses émissaires, se préparaient sans bruit. La flotte d’Ostie paraissait gagnée. Sittius Nucerinus, en Afrique, promettait de soulever cette province et peut-être l’Espagne. A Rome sans doute Cicéron montrait une fâcheuse vigilance, mais il n’avait pas de forces sous la mails, toutes les légions étant en Asie avec Pompée, et Catilina croyait pouvoir compter sur l’autre consul, Antonius ; enfin un des conjurés, L. Bestia, était tribun désigné, un autre préteur. Il espérait donc qu’il suffirait d’un signal pour que des armées apparussent tout à coup sous les murs de Rome, où d’autres complices allumeraient sur divers points l’incendie, afin d’arriver, au milieu de la confusion ; jusqu’au sénat et aux consuls. Quelques conjurés, surtout le préteur Lentulus Sura[48], homme ruiné et flétri, parlaient d’armer les esclaves qui remuaient dans l’Apulie. Catilina hésita à déchaîner une tourbe qu’il craignait de ne pouvoir ensuite maîtriser. Ses complices ne voulaient qu’échapper à leurs créanciers et à leurs juges ; il avait une ambition plus haute. En plein sénat, il osa dire : Le peuple romain est un corps robuste, mais sans tête ; je serai cette tête. Et une autre fois : On veut porter l’incendie dans ma maison, je l’éteindrai sous des ruines[49]. Moins habile que César et que Pompée, il se plaçait en, dehors de la constitution pour la renverser d’un coup, sûr que les siens, une fois gorgés d’or, lui laisseraient le pouvoir, même ce Lentulus qui se croyait prédestiné à régner sur Rome[50]. Il attendait avec anxiété l’issue des comices consulaires. Cicéron, qui, par les révélations d’un des conjurés[51], tenait déjà tous ses secrets, vint présider l’assemblée avec une cuirasse qu’il laissait voir sous sa toge ; des soldats occupaient les temples voisins, et la foule des chevaliers entourait le consul. Silanus et Murena, les deux candidats du parti sénatorial, l’emportèrent[52]. Le même jour, des émissaires sortaient par toutes les portes de Rome, et, à quelque temps de là, le sénat apprenait que des rassemblements armés avaient été vus dans le Picenum et l’Apulie ; que la place forte de Préneste avait failli être surprise ; que dans Capoue l’on redoutait un soulèvement d’esclaves ; qu’un ancien officier de Sylla, Mallius, campait devant Fésules avec une armée de soldats tirés des colonies militaires et de paysans ruinés ; qu’enfin, à Rome, deux conjurés avaient essayé de pénétrer au point du jour chez Cicéron pour l’assassiner[53]. Par bonheur, deux proconsuls, Marcius Rex et Metellus Creticus, venaient d’arriver d’Orient, et attendaient aux portes de la ville, avec quelques troupes, le triomphe qu’ils sollicitaient. Le premier fut aussitôt dirigé contre Mallius, le second sur l’Apulie ; un autre préteur alla dans le Picenum, et Pompeius Rufus courut à Capoue pour en faire sortir les gladiateurs, qu’il distribua par petites bandes dans les municipes voisins. Rome même fut mise, comme nous dirions, en état de siége. Les consuls, investis par le sénat d’un pouvoir discrétionnaire, provoquaient des révélations par des promesses ; ils levaient des troupes, plaçaient des gardes aux portes, sur les murailles, et ordonnaient des rondes dans tous les quartiers. Cet appareil militaire, ces craintes contre un ennemi invisible, augmentaient l’effroi : tous les riches se sentaient menacés d’un grand péril, qui n’était pas aux frontières, mais autour d’eux, sur leurs tètes, et ils ne savaient où le combattre. Cicéron comprenait que, au milieu de cette terreur, il suffirait du plus léger incident pour déranger tous les calculs, mais il ne voulait rien précipiter : on n’était plus au temps de Servilius Ahala ; la violence n’eût peut-être pas réussi ; et il savait qu’un acte d’énergie qui échoue tue un gouvernement débile le sénat devait couvrir sa faiblesse de son respect pour la légalité. Il avait bien d’autres ennemis : quel parti prendraient Crassus et César ? A coup sûr, ils s’opposeraient à une justice qu’il serait facile d’appeler proscription et tyrannie. Pour isoler les conjurés, il fallait donc les contraindre à démasquer leurs projets incendiaires ; et Catilina restait dans Rome, Catilina venait au sénat ! Le 8 novembre, le consul avait réuni les sénateurs dans le temple de Jupiter Stator. Catilina s’y présente ; à sa vue, Cicéron éclate : Jusques à quand abuseras-tu, Catilina, de notre patience ? Quoi ! ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les troupes réunies dans la ville, ni la consternation du peuple, ni ce concours des bons citoyens ni ce lieu fortifié où le sénat s’assemble, ni les regards indignés que tous ici jettent sut : toi, rien ne t’arrête !... Ô temps ! ô mœurs ! Tous ces complots, le sénat les connaît, le consul les voit et Catilina vit encore ! Que dis-je, il vit ? Il se rend au sénat, il désigne aux poignards ceux de nous qu’il veut immoler et nous, qui avons reçu du sénat le décret dont Opimius frappa Caïus Gracchus, nous le laissons inutile, comme un glaive qu’on n’ose tirer du fourreau !... Oui ! j’attends encore, car je veux que tut ne périsses que quand tu ne pourras plus trouver quelqu’un d’assez pervers pour te plaindre et te défendre. Jusque-là tu vivras, mais tu vivras comme tu vis maintenant, entouré, assiégé d’hommes qui à ton insu te gardent et te surveillent ; des yeux toujours ouverts, des oreilles toujours attentives, suivront et recueilleront tes paroles.... Renonce, crois-moi, à tes desseins ; tu es enveloppé, tes projets nous sont connus. Veux-tu que je te les dise ? Rappelle-toi que le 20 octobre j’avais annoncé pour le 27 la prise d’armes de Mallius : me suis-je trompé ? Pour le 28, le massacre de toute la noblesse : n’est-ce pas ma vigilance qui ce jour-là t’a arrêté ? Et le 1er novembre, quand tu as voulu surprendre la colonie de Préneste, n’était-elle pas bien gardée ? Va, tu ne fais pas une action, tu n’as pas un projet, pas une pensée, que je n’entende, que je ne voie, que je ne comprenne. Je te dirai encore ce que tu as fait la nuit dernière : tu as été chez Læca ; tu as partagé l’Italie entre tes complices ; tu as désigné ceux qui partiraient avec toi, ceux qui resteraient à Rome ; à ceux-ci tu as marqué les lieux où ils devaient allumer l’incendie ; aux autres tu as demandé quelques instants encore, jusqu’à ce que j’aie été assassiné, et deux chevaliers sont venus dans ma maison pour te débarrasser de ce dernier souci ; mais déjà je savais tout.... Quoi donc t’arrête encore ? Achève tes desseins, sors de Rome, les portes te sont ouvertes. Si j’ordonnais ta mort, la lie impure que tu as soulevée resterait dans notre ville ; pars, et qu’avec toi elle s’écoule hors de nos murs. Dans cette enceinte même, plusieurs ne paraissent pas convaincus ; si je te frappais, ils diraient que je fais le roi. Mais, quand tu sens dans le camp de Mallius, qui doutera encore ? Alors d’un coup nous écraserons nos ennemis, et ce mal qui a tant grandi sera enfin arraché du sein de la république. Écoute, je crois entendre la patrie elle-même qui te crie : Catilina, depuis quelques années, il ne s’est pas commis un forfait dont tu ne sois l’auteur, aucun scandale où tu n’aies trempé ; contre, toi les lois sont muettes et les tribunaux impuissants. Ne me délivreras-tu pas des terreurs que tu causes ? Et en disant ces mots Cicéron se hâtait, pour empêcher que Catilina ne les regardât comme une faiblesse, de lui montrer les chevaliers romains qui entouraient la curie en frémissant, prêts à frapper, sur un signe, l’ennemi de tous les riches. Mais le consul voyait la populace favorable au rebelle[54] ; il craignait que le sang du coupable ne retombât un jour sur sa tête comme celui d’une victime, et il le poussait de toutes ses forces à la guerre ouverte, afin de pouvoir le déclarer légalement ennemi publie. Il se rappelait Scipion Nasica et Opimius morts misérablement pour avoir servi une oligarchie bien autrement forte que celle qu’il défendait maintenant, et il se serait contenté de l’exil volontaire de Catilina. Chassé par l’éloquente parole du grand orateur, Catilina sortit du sénat, la menace à la bouche La nuit venue, il quitta Rome, et, après quelques hésitations, il alla se mettre à la tête des troupes de Mallius, leur portant, comme gage de victoire, une aigle d’argent sous laquelle les soldats de Marius avaient combattu à Aix et à Verceil[55]. En partant, il avait mis sa femme Orestilla sous la protection de Q. Catulus par une lettre où il disait : Poussé à bout par l’injustice qui me prive des récompenses méritées par mes services, tandis qu’on les accorde à des hommes indignes, j’ai embrassé la cause des malheureux. C’était le seul parti qui me restât à prendre pour sauver mon honneur[56]. Aux yeux de ces patriciens, un échec électoral était un outrage, parce qu’il diminuait leur dignité. Catilina n’avait peut-être pas le droit de parler ainsi, mais le sentiment de ce qui était dû à un Romain de grande race remplissait l’âme de ces nobles, lors même qu’ils étaient tombés dans le mépris public. Avant de s’éloigner, Catilina avait mandé aux conjurés qu’il laissait dans la ville, de compter toujours sur lui, et que bientôt il serait aux portes de Rome. Cicéron essaya de se débarrasser d’eux, comme il avait fait du chef, en dévoilant dans une assemblée du peuple leurs projets, en les accablant tour à tour de ses sarcasmes et de ses menaces[57]. Enfin, Quirites, cet audacieux est sorti de nos murs ; Catilina a fui ; sa frayeur ou sa rage l’a emporté loin de nous. Les coutumes de nos ancêtres, la sécurité de l’État, demandaient son supplice. Mais combien parmi vous refusaient de croire à ses crimes ! Combien les traitaient de chimères ou les excusaient ! Maintenant personne ne doutera, et vous le combattrez face à face, puisqu’il se déclare publiquement votre ennemi. Que n’a-t-il emmené avec lui ses dangereux complices ! Pour son armée, pour cette tourbe de vieillards désespérés, de paysans sans ressources et de débiteurs fugitifs, j’ai le plus profond mépris : ce n’est pas devant l’épée qu’ils fuiront ; il suffira de leur montrer l’édit du préteur. Mais il en est d’autres qui, parfumés d’essences et habillés de pourpre, courent çà et là dans le Forum, assiégent les portes du sénat, entrent même dans la curie. Voilà ceux de ses soldats que j’aurais voulu voir partir avec lui. Les portes sont ouvertes, les chemins sont libres. Qu’attendent-ils ? Ils se trompent étrangement, s’ils croient que ma longue patience ne se lassera pas. Qui remuera dans la ville, qui entreprendra contre la patrie apprendra que Rome a des consuls vigilants, un sénat courageux, des armes, une prison, où nos ancêtres ont voulu que les crimes manifestes fussent expiés. Un petit nombre seulement de conjurés s’effrayèrent et partirent. Parmi eux était le fils d’un sénateur ; son père, averti, le fit poursuivre et tuer par ses esclaves[58]. Mais Lentulus, Cethegus, Bestia, restaient à Rome, tantôt parlant d’accuser Cicéron pour avoir exilé un citoyen sans jugement, tantôt s’arrêtant au projet d’un massacre général des magistrats pendant les Saturnales. Cicéron, servi par de nombreux espions, suivait tous leurs mouvements ; il n’osait cependant frapper, parce qu’il manquait de preuves écrites ; l’imprudence des conjurés lui en donna. Il y avait alors à Rome des députés allobroges, qui depuis
longtemps réclamaient vainement, justice pour leur peuple, ruiné par les
exactions des gouverneurs. Lentulus les fit sonder par Umbrenus, comptant
exploiter lent mécontentement au profit de sa cause. Ils cédèrent, promirent
l’assistance de leur cavalerie ; puis, réfléchissant aux dangers d’une telle
alliance, ils allèrent tout révéler à Fabius Sanga, leur patron. Celui-ci se
hâta de les conduire au consul, qui leur commanda d’exiger de Lentulus un
engagement écrit, sous prétexte que leurs compatriotes ne pourraient, sans
cela, croire à leurs paroles. Lentulus, Cethegus et Statilius scellèrent de
leurs sceaux les lettres demandées, et donnèrent leurs pleins pouvoirs à
Volturcius qui partit en même temps que les députés. Le pont Milvius, par où
ils devaient passer, était cerné : on les saisit avec leurs dépêches, et,
avant que la nouvelle s’en fût répandue, Cicéron manda les principaux
conjurés, qui, n’ayant aucun soupçon, se rendirent à son appel. Sans les
interroger, sans décacheter leurs lettres, il les mena au temple de Il se hâta de porter au peuple ces révélations[60], et la taule, jusque-là indifférente aux dangers de l’oligarchie, s’émut de cette alliance des conjurés avec un peuple barbare, de cet appel fait à Catilina d’accourir sur Rome, fût-ce avec une adnée d’esclaves, tandis que ses complices mettraient le feu en divers endroits de la ville et commenceraient le massacre. Chacun, même le plus pauvre, se sentit menacé, et le consul, rassuré du côté du peuple, précipita les choses au sénat. Le 5 décembre[61], ce jour des nones qu’il célébra si souvent, Cicéron ouvrit la délibération sur le sort des conjurés. Plusieurs songeaient à profiter de cette circonstance pour faire envelopper leurs ennemis personnels dans la proscription qu’on allait prononcer. Catulus, Pison surtout, fatiguèrent Cicéron de leurs instances pour qu’il fit parler les Allobroges contre César. D’autres suscitèrent des accusateurs contre Crassus[62]. Mais Cicéron savait bien qu’en les attaquant le sénat aurait affaire à trop forte partie. C’était bien assez de Catilina à vaincre, d’une guerre civile à terminer, d’une exécution illégale à accomplir. Le sénat n’avait pas le pouvoir judiciaire ; à l’assemblée du peuple seule était réservé le droit de prononcer une sentence capitale. Le sénat allait donc commettre une usurpation, et la responsabilité devait en retomber sur celui qui s’en faisait honneur, sur le consul. Aussi la conduite de Cicéron était-elle à la fois pleine de réserve et d’audace. Il poursuivait la tâche qu’il s’était donnée pour le repos de L’État, pour sa propre gloire et pour sa fortune politique ; hais, s’il ne reculait pas devant les périls du moment, il tâchait, à force de prudence, de conjurer ceux de l’avenir. Tout en violant l’esprit de la constitution, il suivait scrupuleusement les formes : il ne faisait pas arrêter les conjurés dans leurs maisons, afin de respecter le domicile des citoyens ; il ne livrait pas Lentulus aux licteurs : il le conduisait lui-même par la main au milieu du sénat, parce qu’un consul seul pouvait contraindre un préteur ; enfin il faisait déclarer les conjurés ennemis publics, perduelles, pour qu’on pût procéder contre eux comme s’ils n’étaient plus citoyens. Mais il semblait craindre d’augmenter le nombre des accusés, et, au milieu de tant de coupables, il ne demandait que cinq têtes. Dans la curie, s’il disait hautement qu’il prenait tout sur lui, il n’oubliait pas de montrer la solidarité qui unissait le sénat à son consul. Pendant prés de deux mois il avait laissé inutile le décret qui lui donnait toute puissance ; aujourd’hui encore il voulait que la sentence fût portée par cette assemblée, afin qu’il ne parût qu’un instrument, et que sa cause devînt celle du sénat. Il n’avait, du reste, négligé aucun moyen de rassurer les
sénateurs par un déploiement de forces inusité. Tous les citoyens avaient dès
la veille prêté le serment militaire[63] ; beaucoup
étaient enrôlés et gardaient en armes le Capitole et les principaux édifices
; de fortes patrouilles parcouraient les rues, et l’escorte ordinaire du
consul, les jeunes chevaliers, entouraient le temple de Déjà la plupart des sénateurs, ébranlés, passaient à son avis, même Quintus, le frère du consul, et Silanus expliquait ses propres paroles dans le sens de César. Cicéron alors se leva, fit voir le danger de s’arrêter après être allé si loin ; mais, quoiqu’il eût encore, dans et, discours, courageusement assumé sur lui seul la responsabilité à force de la montrer terrible et menaçante, pour agrandir son rôle, il avait effrayé ses collègues, qui l’eussent peut-être abandonné si Caton ne fût venu à son aide avec sa rude éloquence et d’amères récriminations contre César[67]. L’assemblée, entraînée, vota la mort[68]. Cicéron, pour compromettre César, voulut l’ faire joindre la confiscation des biens qu’il avait proposée ; la discussion recommença, mais pleine de colère et de violence. Il est odieux, disait César, de rejeter ce que mon avis avait d’humain et de n’en prendre que la disposition rigoureuse. Le consul, pressé de terminer l’affaire, consentit à ce que le sénatus-consulte ne parlât point de confiscation. Un moment le tumulte avait été si grand, que les chevaliers qui entouraient le temple avaient envahi la curie ; ils cherchaient César, pour l’égorger ; des sénateurs lui firent un rempart de leur corps[69]. Cicéron ne perdit pas un instant, pour ne pas laisser à
César le temps de faire intervenir les tribuns, ni au sénat, qu’il avait
enchaîné à sa cause, celui de se rétracter. Il alla prendre lui-même Lentulus
dans la maison où il était détenu au Palatin, et le conduisit au Tullianum,
où les préteurs amenèrent les autres conjurés. Les triumvirs capitaux les
attendaient. Lentulus fut étranglé le premier. Sur son cadavre, Cethegus,
Gabinius, Statilius et Ceparius subirent l’un après l’autre la même mort.
Quand le consul traversa pour la seconde fois le Forum, en descendant de la
prison, il ne dit que ces mots : ils ont vécu
; et la foule, frappée de stupeur, s’écoula en silence ( Les succès des généraux du sénat avaient sans doute donné
à Cicéron la confiance d’accomplir ce qu’il regarda comme l’honneur de son
consulat et un grand service rendu à son pays. Partout les mouvements avaient
été réprimés par la seule présence des troupes. Il n’y avait eu de résistance
sérieuse qu’en Étrurie. Cicéron, qui avait acheté, par la cession du gouvernement
lucratif de A voir ce facile succès et le peu de sang qu’il fallut verser, à home celui de cinq personnages obscurs ou décriés, sur le champ de bataille celui d’une troupe, plutôt que d’une armée, de vieux soldats que tout le monde abandonnait, on est contraint de penser que l’éloquence de Cicéron a fait illusion sur l’importance véritable de cette affaire. II croyait avoir étouffé une grande faction, il n’avait tué qu’une conspiration vulgaire. Les éléments impurs que Catilina réunissait n’avaient pu prendre, en effet, la consistance d’un parti politique. De ces conciliabules pouvaient bien sortir le meurtre et l’incendie, mais non une révolution : car les révolutions sont faites par les idées et par les besoins d’une classe nombreuse qui est ou qui va être la majorité. Les passions égoïstes n’enfantent que des complots stériles. III. — TROUBLES DANS ROME JUSQU’À
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[1] Une loi plus importante du même tribun astreignit les magistrats à publier, dés leur entrée en charge, les règles d’après lesquelles ils jugeraient, et à ne jamais s’écarter de leur édit, comme ils le faisaient auparavant, par un édit nouveau, edictum repentinum. (Dion, XXXVI, 38-39 ; Cicéron, pro Murena, 23.)
[2] Dion, XXXVI, 21, et Asconius, in Ciceronis pro C. Cornelio, fragm. I, 19, 31.
[3] L’affaire fut reprise en 65 ; Cicéron, qui voulait gagner Pompée et se rendre populaire, défendit l’accusé. Ce discours, que Quintilien (VIII, 3) appelle un chef-d’œuvre, est perdu, sauf quelques fragments.
[4] Cicéron dit qu’au commencement de son consulat novœ dominationes, extraordinaria non imperia, sed regna, quæri putabantur (de Lege agraria, II, 5).
[5] Quintus dit à son frère (de Petitione consulatus, 19, 51) qu’il s’est acquis sa popularité en défendant des amis de Pompée, Manilius et Cornelius.
[6] Cicéron, ad Fam., VIII, 15. Il portait sur son anneau l’empreinte d’une Vénus armée double emblème des faiblesses et de la gloire de ce grand homme (Chateaubriand, Itinéraire). Le musée Borbonico de Naples a un buste colossal de César qui passe pour authentique. Ses traits nous ont été aussi conservés par d’autres bustes, des statues, des monnaies et des pierres précieuses ; malheureusement toutes ces images ne se ressemblent pas. Cicéron dit de lui : Forma magnifica et generosa quodam modo (Brutus, 75).
[7] Pour la formation des hommes supérieurs la nature fait les trois quarts, l’éducation le reste. Notons que César eut pour maître de philosophie et d’éloquence le Gaulois Gniphon. (Suétone, de Grammaticis, 7.)
[8] Suétone, J. César, 45 : Usum enim lato claro ad manus fimbriato nec umquam aliter quam ut super eum cingeretur.
[9] Au dire de Plutarque (César, 1), Sylla confisqua la dot de Cornélie. Pompée et Pison avaient été moins rebelles aux volontés du dictateur.
[10] Suétone, J. César, 45 : Ut male praecinctum puerum caverent. Je ne suis pas assuré de l’authenticité de ce mot de Sylla. Ces mots ont été faits après la fortune de César.
[11] Voici la chronologie de l’histoire de César jusqu’à son consulat : le 12 juillet de l’an 100, ou de l’année 102, sa naissance ; 87, il est désigné flamine dial par l’influence de Marius ; 83, il épouse Cornélie, fille de Cinna ; 81, il sert sous Minucius Thermus, au siége de Mitylène ; 80, il y mérite une couronne civique ; 78, il sert en Cilicie sous P. Sulpicius et retourne à Rome à la nouvelle de la mort de Sylla ; 77, il accuse Dolabella ; 76, il accuse Antonins ; 75, il séjourne à Rhodes pour suivre les leçons du rhéteur Molon ; 74, il recouvre la dignité de flamine et est élu tribun lésionnaire par le peuple, qu’il a gagné en faisant des distributions de blé ; 70, son oncle, Aurelius Cotta, enlève Ies jugements aux sénateurs, et lui-même fait rappeler les complices de Lepidus ; 68, sa questure ; il suit le préteur 4ntistius dans l’Espagne citérieure ; 67, il épouse Pompeia, petite-fille du consulaire Pompeius Rufus ; il soutient la loi Gabinia, en faveur de Pompée et est chargé de veiller aux réparations de la via Àppia ; 65, son édilité curule ; 64, il est judex quæstionis de sicariis ; 63, il est élu grand pontife et préteur ; 62, sa préture ; 61, son gouvernement dans l’Espagne ultérieure ; 60, son retour à Rome ; 59, son consulat.
[12] César lui disputait une mission en Égypte, et il l’aurait obtenue du peuple si les grands n’avaient arrêté le plébiscite par le veto des tribuns.
[13] Plutarque, César, 4 ; Cicéron, pro Plancio, 26.
[14] Plutarque, ibid., 5. Il avait peut-être moins de dettes qu’on ne le dit. Ses emprunts étaient un moyen d’attacher des personnages influents à sa fortune politiques il emprunta dans ce but à Crassus, à Pompée, à Atticus. (Cicéron, ad Atticum, VI, 1, et Plutarque, ibid.)
[15] La maison Sergia était patricienne et avait donné son nom à une des tribus.
[16] C’est, du moins, le portrait que Cicéron trace de lui dans le pro Cœlio et dans la seconde Catilinaire, cependant il fut un instant lié avec lui : Me ipsum, me inquam, quondam pæne ille decepit. Catilina s’était distingué à l’armée de Curion en Macédoine, et dès qu’il avait eu l’âge prescrit pour la préture, il l’avait obtenue.
[17] Son père avait été condamné pour un meurtre. (Cicéron, pro Cluentio, 7.)
[18] Cicéron, Catilina, I, 6 ; Val. Maxime, IX, 1, 9 ; Appien, Bell. civ., II, 2. Salluste ne parle pas du meurtre de Gratidianus que Cicéron lui attribue.
[19] Ad Atticum, I, 2.
[20] Cicéron, dans le de Officiis (II, 24), ne faisait plus tard de la conjuration de Catilina qu’un complot de débiteurs contre leurs créanciers : nunquan nec majus æs alienum fuit, nec melius, nec facilius dissolutum est ; et la lettre de Mallius à Marcius Rex (Salluste, Cat., 33) prouve que ce fut la vraie cause qui donna une armée à Catilina. Mais si les soldats ne demandaient que l’abolition des dettes, le chef ne voulait-il pas autre chose ? Certainement le consulat d’abord, puis une province à piller, des charges pour ses complices et, après, une grande autorité dans l’État, une dictature au jour le jour : tabulas novas, proscriptiones locupletium, magistratus, sacerdotia, rapinas (Salluste, ibid., 21). Les documents montrent un ambitieux voulant prendre la première place ; rien n’indique un réformateur.
[21] Q. Cicéron, de Petit. cons., 3. Il fut encore accusé l’année suivante (64) de violence publique par Lucullus, et acquitté. (Dion, XXXVII, 10.)
[22] Suétone, J. César, 10 ; Dion, XXXVIII, 8.
[23] Pline, Hist. nat., XXXIII, 16 :.... Omni apparatu arenæ argenteo usus est.
[24] Beneficiis ac munificentia magnus habebatur (Salluste, Cat., 54).
[25] Plutarque, César, 6 ; Velleius Paterculus, II, 53 ; Val. Maxime, VI, IX, 14.
[26] En 68, durant sa questure, contrairement à l’usage qui n’autorisait pas les oraisons funèbres pour les jeunes femmes, il avait fait l’éloge de sa femme, Cornélie, fille de Cinna.
[27] Marius avait ordonné la mort du père de Catulus.
[28] Dion, XXXVII, 9 ; Cicéron, de Lege agrar., I,1 ; pro Archia, 5. En revenant d’Espagne, après sa questure, il avait promis aux Transpadans, qui avaient déjà le jus Latii (Asconius in Pison, p. 5, éd. d’Orelli), de leur faire accorder le jus civitatis, qu’il leur donna plus tard. Cf. Suétone, J. César, 8 ; Dion, XLI, 50.
[29] Suétone, J. César, 19 ; Dion, XXXVII, 10 ; Cicéron, pro Cluentio, 99.
[30] Il n’est pas prouvé que Rabirius ait été le meurtrier de Saturninus.
[31] Aliæ leges condemnatis civibus non animant eripi sed exilium permitii jubent (Salluste, Cat., 51. Cf. Cicéron, II Ver., V, 60). La lex de crimine majestatis de Sylla semble avoir aboli le crimen perduellionis, qui se retrouvait encore dans les lois tabellaires de Cassius (137) et de Cœlius (107).
[32] Roseum bellorum, album comitiorum fuisse tradunt (Servius ad Æneid., VIII, 1). Du temps de Dion (XXXVII, 23) la coutume était encore observée.
[33] Cette même année, il accusa C. Pison pour ses concussions dans ta Narbonnaise, et pour avoir fait injustement décapiter un Transpadan ; Cicéron défendit l’accusé, qui fut absous ; mais, par cette accusation, César avait renoué ses vieilles relations avec les Transpadans, dont il était comme le patron.
[34] Cicéron reconnut lui-même que c’était le seul but de ce procès : Ut illud summum auxilium majestatis atque imperii, quod nobis a majoribus est traditum, de re publica tollereiur (Pro C. Rabario perd. reo, 1), et Ego in G. Rabirio.... senatus auctoritatem sustinui (in Pison, 2).
[35] Dion, XXXVII, 37. Marius, son oncle, l’avait fait nommer (87) flamine dial, à la place de Corn. Merula. (Velleius Pater., II, 45 ; Suétone, César, 1.) Sylla lui retira ce titre, qu’il recouvra à la mort de son oncle C. Aurelius Cotta, en 71.
[36] Plutarque, César, 7.
[37] Velleius Paterculus, II, 40 ; Dion, XXXVII, 21.
[38] Cicéron décrit (de Lege agraria, II, 2) l’espèce de proscription qui frappait alors les hommes nouveaux. Il n’avait pas, dit-il, au commencement de son consulat l’appui de la noblesse. Salluste parle de même (Catilina, 23).
[39] Je ne fais ici que traduire les conseils que son frère Quintus lui donnait : Minime populares, etc. voyez au traité de Petitione consulatus, où la position de Cicéron est bien marquée, de curieux et, il faut le dire, de honteux détails sur les candidatures.
[40] Q. Cicéron, de Petit. cons., 5.
[41] Non tabellam.... sert vocem vivam (de Lege agraria, II, 9).
[42] Il ne nous en reste que trois, mais Cicéron (ad Att., II, 1) en annonce quatre. Trois ans plus tard il écrivait à Atticus (I, 19) : Confirmabam omnium privatorum possessiones, is enim est noster exercitus hominum, ut tute scis, locupletium. On voit que ses idées politiques se bornaient à sauvegarder les intérêts des riches, même contre les plus légitimes revendications.
[43] Cf. de Lege agraria, I, 7 : Hi quos multo magis quam Rullum timetis ; et ch. 24 : Eis quibus ad habendum, ad consumendum nihil satis esse videatur.
[44] Cicéron, ad Atticum, II, 1 ; in Pisonem, 2 ; Plutarque, Cicero, 12.
[45] De Lege agraria, II, 5. Il n’imitera pas, dit-il, l’exemple de ses prédécesseurs, qui évitaient avec soin la tribune : aditum hujus loci conspectumque vestrum.
[46] ... Res publica in paucorum jus atque ditionem concessit. Voyez le discours que Salluste prête à Catilina (Cat., 20). C’est l’œuvre de l’historien, mais c’est aussi l’opinion d’un contemporain et d’un témoin oculaire. Salluste avait 26 ans à la mort de Catilina et il avait vécu à Reine. Salluste ne croit pas à l’atroce serment par lequel Catilina aurait voulu lier ses complices ; il a raison de n’y pas croire ; mais Flous, Plutarque et Dion ont ramassé ces abominations dont Cicéron n’aurait pas manqué de se prévaloir, si elles eussent été vraies.
[47] Cette loi exigeait aussi de tout candidat qu’il n’eût pas donné de combats de gladiateurs dans les deux années qui précédaient sa candidature. Une autre loi Tullia réduisit à une année la plus longue durée des légations libres.
[48] Parmi les conjurés, outre Lentulus, qui avait été consul en 71, et que les censeurs de 70 avaient chassé du sénat, Salluste nomme P. Autronius, L. Cassius Longinus, Cethegus, membre, comme Lentulus, de la gens Cornelia, deux neveux du dictateur, Publius et Servius Sulla, L. Varguntelus, ancien questeur également flétri par un jugement, Q. Annius, M. Porcius Læca, L. Bestia et Q. Curius, tous sénateurs ; parmi les chevaliers, M. Fulvius Nobilior, L. Statilius, P. Gabinius Capito et C. Cornelius. Lentulus, étant questeur, avait volé les deniers publics ; mis en jugement, il fut absous à deux voix de majorité : J’en ai acheté une de trop, disait-il (Plutarque, Cicéron). Durant sa préture, il présida le tribunal on se plaida l’affaire de Varron, gouverneur d’Asie. Hortensius, le défenseur, acheta le président et les juges ; mais, pour être sûr que ceux-ci gagnaient bien leur argent, il leur donna des tablettes de couleurs différentes (Cicéron, in Ver., I, et Asconius). Afin de rentrer au sénat, Lentulus brigua de nouveau la préture (64). Les livres sibyllins disaient que C C et C devaient régner à Rome : déjà la prophétie s’était réalisée pour Cinna et Cornelius Sylla, le troisième était évidemment Cornelius Lentulus. Le prince sibyllin, comme l’appelle Porcius Latro, se jeta tout entier dans la conspiration qui comptait trois autres membres de la même maison, tant le succès de Sylla avait exalté les ambitions les plus vulvaires. P. Autronius, consul désigné pour l’année précédente, avait été destitué ; Cassius Longinus avait aussi inutilement brigué cette charge en 64. Bestia était alors tribun, Gabinius avait été condamné pour ses concussions en Achaïe.
[49] Cicéron, pro Murena, 9.5 ; Salluste, Catilina, 31 : Incendum meum ruina restinquam.
[50] Cicéron, in Catilina, III, .1 ; Plutarque, Cicero, 17.
[51] Voyez, dans Salluste, le rôle de ce Curius, ancien questeur chassé du sénat liait ans auparavant, et de sa maîtresse Fulvia.
[52] Murena fut accusé de brigue par Sulpicius, que soutint Caton, au grand déplaisir de Cicéron, car une condamnation aurait rendu toutes ses chances à Catilina ; aussi se chargea-t-il, avec Hortensius et Crassus, de le défendre. Murena fut acquitté.
[53] Salluste, Catilina, 27, 30 ; Appien, Bell. civ., II, 2. Voyez dans
[54] Nam semper in civitate, quibus opes nullæ sunt, bonis invident, malos extollunt ; vetera odere, nova exoptant (Salluste, Catilina, 37) ... qui probro.... præstabant.... Romam sicut in sentinam confluxerant (Ibid.)
[55] Cicéron, in Catilina, I et II. Catilina quitta
Rome le
[56] Salluste, Catilina, 35.
[57] C’est le sujet de la seconde Catilinaire.
[58] Val. Maxime, V, VIII, 5 ; Dion, XXXVII, 36.
[59] On avait trouvé chez lui beaucoup d’armes.
[60] Troisième Catilinaire, prononcée le 3 décembre.
[61] Répondant au
[62] On vient de voir que Catulus avait été le rival malheureux de César dans la candidature au pontificat et que César avait accusé Pison criminellement. Crassus fut dénoncé en plein sénat par un des conjurés. Salluste (Cat., 48) prétend avoir entendu dire é Crassus que c’était à Cicéron qu’il devait cet outrage.
[63] L’année précédente, Rabirius, condamné comme perduellis, en avait appelé au peuple, et Cicéron avait déclaré que, depuis la loi de majesté, on ne pouvait plus recevoir le crimen perduelliotis. Dans le pro Rabirio, il avait rappelé la loi de Caïus Gracchus : Ne de capite civium Romanorum injussu vestro judicaretur et il répète dans le de Legibus, III, 1, de capite civis, nisi per maximum comitiatum.... ne ferunto.
[64] Plutarque, Cicéron, 27.
[65] Dion, XXXVII, 55.
[66] Voyez son discours dans Salluste (Cat., 51). C’est dans ce discours que lui, le grand pontife, déclare que la mort est la fin de toute peine, qu’au delà il n’est ni joie ni chagrin.
[67] Voyez, dans Plutarque (Cat., 24), un trait qui peint à la fois le caractère soupçonneux de Caton et les mœurs de César à l’occasion du billet de Servilia, sœur de Caton, billet que celui-ci prit pour une lettre des conjurés.
[68] Suétone, César, 14.
[69] Dix huit ans plus tard, Cicéron se vantait encore d’avoir rendu l’arrêt, avant d’avoir recueilli les voix : ante quam consulerem, ipse judicaverim (ad Att., XII, 21). — The execution of the Catilinarians was an act of sanguinary panic, such as provokes and may sometimes compel retaliation. (Merivale, History of the Romans..., t. I, p. 190, n. 2.)
[70] Cette bataille eut
lieu quelques jours après l’entrée en charge des nouveaux consuls, par
conséquent au commencement de 62 (milieu de mars de l’année véritable). (Dion,
XXXVII, 39 ; Tite Live, Épit., CIII.)
L’affaire ne finit pas là : pendant près d’une année il y eut des accusations
et des exils. Cf. Cicéron, pro Sulla,
et Dion, XXXVII, 41. Quant au vainqueur, Antonius, gouverneur, l’année
suivante, de
[71] Cicéron, pro Flacco, 38.
[72] Malespini, Istor. Fiorent., cc. 13-21. On a trouvé prés de Fiesole des monnaies dont la plus récente date du consulat de Cicéron. Quelque paysan effrayé par la guerre civile avait caché là son trésor et ne put revenir le prendre.
[73] Cicéron, ad Att., I, 14. Crassus ne le loua qu’après le retour de Pompée, et pour faire pièce à celui-ci, en exaltant d’autres services que les siens.
[74] Ad Fam., V, 7.
[75] Aulu-Gelle, Noct. Att., XII, 12. Les grands avocats de Rome avaient la prétention de ne rien recevoir de leurs clients ; c’étaient des amis auxquels ils prêtaient le secours de leur éloquence. Cicéron le dit en vingt endroits, et reproche à Hortensius, dans les Verrines par exemple, que son zèle ne soit pas désintéressé. Les clients devaient payer les jours d’élection ; d’ailleurs les cadeaux remplaçaient les honoraires.
[76] Il reste cependant de lui une lettre adressée à Cicéron qu’on ne s’attendrait pas à voir signée de son nom et où il se moque très Finement du grand moqueur. (Ad Fam., XV, 5.)
[77] Distortissimi (pro Murena, 29).
[78] Plutarque, Cato minor, 21.
[79] Id., ibid.,
26. Dans
[80] Proposé en 60 par le préteur Metellus Nepos. (Dion, XXXVII, 51.)
[81] Suétone, César, 15 ; Dion, XXXVII, 44. Catulus, chargé de relever le temple brûlé au mois de juillet 85, en avait fait la dédicace en 69, quoiqu’il fut loin d’être achevé, et il continuait à diriger les travaux de reconstruction.
[82] Plutarque, Cato minor, 26.
[83] Suétone, César, 16.
[84] Suétone, César, 17 ; Dion, XXXVII, 41.
[85] Salluste affirme avoir souvent entendu Crassus se plaindre vivement de Cicéron. Velleius Paterculus rend hommage aux mœurs de Crassus : Vir cetera sanctissimus immunisque voluptatibus (II, 46).
[86] On a vu sa conduite dans l’armée de Lucullus, son beau-frère. Pour Ies années suivantes, voyez sa biographie dans Cicéron (de Har. resp., 20), qui naturellement le peint avec les plus noires couleurs.
[87] Ad Atticum, I, 16.
[88] Pompée n’arriva à Rome qu’à la fin de l’an 62. (Clinton, Fasti Hellen., III, 181.)
[89] Prima concio Pompeii.... non jucunda miseris, inanis improbis, beatis non grata, bonis non gravis : itaque frigebat (Cicéron, ad Atticum, I, 14).
[90] 85 millions de drachmes,
au lieu de 50 millions, ou environ 79 millions de francs, au lieu de
46.500.000. (Plutarque, Pompée, 47.)
Le triomphe fut célébré le 28 et le
[91] Pline, Hist. nat., XXXVII, 6. Après la délivrance de Modène, en 43, le sénat en promit 10.000, et les triumvirs les donnèrent. Les donations de l’empire ne montèrent pas habituellement si haut. Quant à la médaille représentant un globe couronné de laurier, on n’en connaît pas d’exemplaire, et il n’était pas dans les usages des monétaires romains de frapper de pareils types.
[92] Nihil habet amplum, excelsum, nihil non suminissum alque populare (ad Atticum, I, 20).
[93] L’argent donné pour sa nomination avait été distribué dans les jardins mêmes de Pompée ; le sénat ordonna une enquête. (Cicéron, ad Atticum, I, 16.)
[94] Dion, XXXVII, 50.