I. — VICTOIRES DE LUCULLUS SUR LES ROIS DE PONT ET D’ARMÉNIE (74-46).Après son entrevue à Dardanum avec Sylla, Mithridate avait
regagné ses États, où de toutes parts des révoltes éclataient. Les peuples de
Sylla avait assez de guerre et de gloire ; il voulait finir en paix et, pour cela, éviter tout ce qui pourrait causer un ébranlement en Orient. Cette même année 81, un Ptolémée, Alexandre II, avait légué aux Romains deux royaumes, l’Égypte et Chypre[1]. Le dictateur se contenta de réclamer l’argent déposé à Tyr par le prince défunt et laissa deux fils naturels de Ptolémée VIII Lathyros se partager l’héritage. Mithridate aussi avait besoin de la paix pour raffermir
son autorité ébranlée par tant eue défaites, et réparer les pertes qu’une
telle guerre lui avait causées. Pendant quelques années, il ne parut occupé
qu’à soumettre de nouveau le Bosphore Cimmérien, dont il confia
l’administration à son fils Macharès, et à dompter les peuples barbares
établis entre Lucullus était alors consul avec M. Cotta ; il souhaita la
direction de cette guerre. Loin d’avoir passé, comme on l’a dit, dans les plaisirs
et l’étude une jeunesse inutile à l’État, il n’avait pas quitté le harnais
durant plus de dix années. En 90, il servait dans la guerre Sociale ; en 88,
il précéda Sylla en Grèce comme proquesteur et fit frapper, dans le
Péloponnèse, avec une grande intégrité, toute la monnaie dont l’armée eut besoin
durant la guerre Pontique[3]. Son général
n’avait pas de vaisseaux pour disputer la mer aux forces ennemies ; au milieu
de mille dangers, il alla en Crète, à Cyrène[4], en Égypte, en
Chypre, à Rhodes, à Cos, à Cnide, etc., courant ainsi au milieu des pirates
et des flottes royales toute Le sort lui avait assigné pour province consulaire Dans l’antiquité, plus encore qu’aujourd’hui, faire vivre de grandes masses d’hommes était un problème fort difficile. Les Romains savaient à peu près le résoudre ; les barbares ne s’en doutaient pas. Lucullus établit son plan de campagne sur cette donnée : tenir sa petite armée dans l’abondance et empêcher l’armée royale de se nourrir. Dans la péninsule montagneuse dont Chalcédoine occupe
l’extrémité, Mithridate manqua bientôt de vivres. Pour en trouver, il
s’étendit à l’ouest, dans Cependant Mithridate fuyait vers l’Euxin. Un officier à qui le proconsul avait ordonné de fermer le Bosphore de Thrace s’oublia à célébrer des fêtes et à se faire initier aux mystères de Samothrace. Quand le roi parut à l’entrée du détroit, le passage était libre ; mais des tempêtes détruisirent sa flotte, et ce fut à bord d’un pirate qu’il rentra dans Héraclée du Pont. De là il gagna Sinope et Amisos, d’où il sollicita son fils Macharès et son gendre Tigrane de lui envoyer de prompts secours. Dioclès, qu’il chargea d’aller avec de grosses sommes chez les Scythes, passa aux Romains. Lucullus, laissant Cotta soumettre les villes de Bithynie qui tenaient encore, franchit l’Halys, le principal fleuve de l’Asie-Mineure, et pénétra dans le Pont ; trente mille Galates le suivaient portant des vivres pour son armée. Dans l’intention d’attirer le roi à une bataille avant l’arrivée des secours qu’il attendait, le proconsul ravagea le pays et s’arrêta longtemps, malgré les murmures de ses troupes, au siège d’Amisos (73-72). Au printemps, sur l’avis que le roi avait réuni quarante-quatre mille hommes à Cabira, presque aux sources de l’Halys, dans les montagnes qui séparent le Pont de l’Arménie, il l’alla chercher avec trois légions. Un traître lui ouvrit Ies sentiers qui menaient au camp royal. La cavalerie pontique repoussa d’abord celle des Romains, et Lucullus manqua d’être assassiné par un chef scythe qui était passé de son côté comme transfuge. Mais, lorsqu’il eut reconnu les lieux, il recommença la tactique qui lui avait si bien réussi devant Cyzique, et, par une foule de petits combats, il cerna et affama l’ennemi. Déjà Mithridate songeait à battre en retraite, quand une terreur panique saisit ses troupes : pour mieux fuir, elles renversèrent les murs du camp ; les légions survinrent, et le roi n’échappa qu’en semant ses trésors sur la route pour arrêter la poursuite. Avant de passer la frontière de l’Arménie, où il voulait demander un asile Tigrane, le despote se souvint qu’il avait laissé ses sœurs et ses femmes enfermées dans Pharnacie ; il aima mieux les savoir mortes que tombées aux mains du vainqueur,’et un de ses eunuques alla leur porter l’ordre fatal. De ses deus sœurs l’une prit du poison en maudissant son frère ; l’autre le remercia d’avoir songé à la soustraire aux outrages. La plus chère de ses femmes, cette belle Monime qui, quinze ans auparavant, avait échangé la liberté et les élégances de la vie grecque pour la servitude du harem, voulut s’étrangler avec le diadème que son époux avait placé sur son front ; trop faible, il se rompit ; alors le foulant aux pieds avec mépris : Funeste bandeau ! s’écria-t-elle, à quoi m’as-tu jamais servi ? Aujourd’hui même tu ne peux m’aider à mourir. Et elle se jeta sur l’épée que l’eunuque lui tendait. Après la victoire de Cabira, Lucullus pénétra jusque chez
les peuples voisins de La province avait besoin de sa présence, dévorée qu’elle était par les publicains et les usuriers. Elle n’avait pu encore payer toute la contribution de guerre imposée par Sylla, ou plutôt elle l’avait déjà payée six fois par l’accumulation des intérêts et les exactions des fermiers de l’impôt. La désolation était générale : aussi, quand Lucullus eut fixé la rente de l’argent à un pour cent par mois, défendu de prendre l’intérêt de l’intérêt, a abandonné ait créancier un quart seulement des revenus dit débiteur, les bénédictions du peuple l’empêchèrent d’entendre les violents murmures des publicains. Nous le verrons bientôt expier cette habile et généreuse conduite. Depuis plusieurs mois, il avait envoyé son beau-frère
Appius Clodius[9]
réclamer de Tigrane l’extradition de Mithridate. Maître de l’Arménie,
vainqueur des Parthes, qu’il avait repoussés dans les profondeurs de l’Asie,
et conquérant de Lucullus ne s’effraya point de cette lutte qu’il avait provoquée. Il laissa six mille hommes à la garde du Pont, et ne prit avec lui que trois mille chevaux et douze mille fantassins, vieux soldats des légions fimbriennes, qui suivaient à regret un général, protecteur des indigènes contre leur avidité (69). Il se dirigea vers les provinces de l’Euphrate récemment conquises par Tigrane et où la population, mélangée de beaucoup de Grecs, se voyait avec horreur soumise à un prince qui rendait l’obéissance humiliante. Les intelligences que Clodius avait pratiquées en ce pays profitèrent à Lucullus, qui passa l’Euphrate et le Tigre sans obstacle, en faisant observer partout à ses troupes la plus sévère discipline. Tigrane ne pouvait croire à tant d’audace ; le premier qui lui annonça l’approche des légions paya l’avis de sa tête. Cependant il fallut bien admettre que l’ennemi n’était plus à Éphèse, comme le soutenaient les courtisans ; le grand roi donna l’ordre d’aller châtier ces insolents et de lui amener leur chef mort ou vif. L’avant-garde des légions suffit pour disperser cette première armée. Le roi, enfile inquiet, abandonna en toute hâte sa capitale, et se retira dans les montagnes qui séparent les sources du Tigre de celles de l’Euphrate, en appelant autour de son étendard ses contingents et ceux de ses alliés, depuis le Caucase jusqu’au golfe Persique. Quand il eut réuni plus de deux cent cinquante mille
hommes, et qu’il sut que Lucullus assiégeait sa capitale avec une armée si
faible en nombre, qu’il n’eût pas voulu en faire son escorte ordinaire, il
repoussa les conseils de Mithridate, et, au liera d’envelopper, d’affamer son
adversaire, il courut lui présenter la bataille. Dès que son innombrable
armée couronna les hauteurs d’où l’on découvre Tigranocerte, Lucullus,
laissant à Murena six mille auxiliaires pour empêcher une sortie, marcha,
avec onze mille hommes et quelque cavalerie, à la rencontre du roi. S’ils viennent comme ambassadeurs, dit Tigrane
en voyant leur petit nombre, ils sont beaucoup ;
si c’est comme ennemis, ils sont bien peu. Le général romain, qui
portait dans cette guerre autant d’audace qu’il avait mis de prudence et de
lenteur en face du roi de Pont, commença l’attaque en gravissant lui-même, à
la tête de deux cohortes, une colline que Tigrane avait négligé d’occuper. De
là les Romains se précipitèrent sur les dix-sept mille cavaliers bardés de fer,
qui, n’osant attendre le choc, se rejetèrent sur leur infanterie où ils
portèrent le désordre. Tigrane fut le premier à fuir ; sa tiare et son
diadème tombèrent aux mains du vainqueur. Lucullus prétendit n’avoir eu que
cinq hommes tués et cent blessés, mais compta par cent mille les morts de
l’armée barbare ( Lucullus hiverna dans Artaxata, bâtie, dit-on, par Annibal, s’élevait sur les
bords de l’Araxe, au nord-est du mont Ararat, haute montagne dont la cime
toujours glacée se cache à plus de Il n’avait pas su, comme Scipion ou Sylla, adoucir par l’affabilité des manières la rigueur du commandement, et ses soldats ne pouvaient lui pardonner de les avoir tenus sans relâche sous la tente, depuis huit ans que durait cette guerre, et d’avoir, à leurs dépens, ménagé les villes qu’il recevait à composition, au lieu de les enlever de vive force, ce qui eût autorisé le pillage. Son beau-frère, Clodius, jeune noble plein d’une criminelle audace, les encourageait par de séditieuses paroles. Vous n’êtes, leur disait-il, que les muletiers de Lucullus ; vous ne lui servez qu’à escorter ses trésors. Il pille pour son compte les palais de Tigrane, et il vous force d’épargner ceux que le droit de la victoire vous livre. A Rome, Lucullus avait d’autres ennemis, les publicains, ces harpies qui dévoraient la substance des peuples, et dont ses règlements avaient arrêté les rapines. Depuis qu’il commandait en Asie, la province s’était relevée ; en quatre années toutes les dettes avaient été acquittées, tous les biens-fonds dégagés. Mais il oubliait et Rutilius et cette conjuration permanente que les chevaliers formaient, dit Cicéron, contre ceux qui réprimaient leur avidité. Redevenus tout-puissants, grâce à Pompée, ils avaient hâte de se venger de l’homme qui les forçait à être justes et modérés. Tandis que l’armée de Lucullus retenait son général dans une inaction forcée, les publicains, soutenus par l’ancien tribun Quinctius, alors préteur, lui enlevaient à Rome son commandement et faisaient décréter le licenciement d’une partie de ses troupes (67). II. — POMPÉE SUCCÈDE À LUCULLUS DANS LE COMMANDEMENT DE L’ARMÉE D’ASIE (66).Mithridate et Tigrane mirent à profit ces mésintelligences pour rentrer dans leurs États ; le roi de Pont battit même un lieutenant, à qui il tua sept mille hommes, cent cinquante centurions et vingt-quatre tribuns (67). Un autre aurait eu le même sort sans une blessure que Mithridate reçut dans la mêlée, de la main d’un transfuge. L’arrivée de Lucullus, qui avait une dernière fois réussi à entraîner ses soldats en leur faisant honte d’abandonner leurs camarades, rejeta le roi dans la petite Arménie ; mais ils ne voulurent pas l’y poursuivre. En vain leur général descendit aux prières : plus maîtres que lui dans son camp, ils lui dirent d’aller seul chercher l’ennemi, s’il voulait combattre ; et ils ne consentirent à demeurer sous ses ordres jusqu’à la fin de l’été qu’if la condition de ne point quitter leur camp. Cependant les deux rois avaient repris l’offensive ;
Pompée, qui venait d’en finir avec les pirates, se
trouvait à la tête de forces considérables dans Lorsqu’il en reçut la nouvelle, Pompée se plaignit hypocritement de la fortune qui l’accablait de travaux et lui refusait la paisible existence d’un citoyen obscur. Ses actes démentirent bientôt ses paroles ; il se hâta de se montrer dans son nouveau gouvernement, multipliant les édits, appelant à lui toutes les troupes, tous les alliés, et prenant a tâche d’humilier Lucullus en cassant ses actes. Les deux généraux se rencontrèrent en Galatie ; la conférence commença par les compliments d’usage et finit par des injures. Comme un oiseau de proie lâche et timide qui suit le chasseur à l’odeur du carnage, Pompée, disait Lucullus, se jette sur les corps abattus par d’autres et triomphe des coups qu’ils ont portés. Des amis communs les séparèrent (66). Quand Lucullus prit la route de l’Italie, son rival ne lui permit d’emmener que mille six cents hommes pour son triomphe, et cet honneur, il sut l’empêcher, pendant trois ans, de l’obtenir. Justement irrité de l’injustice du peuple et de la faiblesse du sénat, qui l’avait abandonne Lucullus se retira d’un gouvernement dont il prévoyait sans doute l’inévitable chute, et il alla vivre dans ses villas des immenses richesses qu’il avait rapportées du pillage de l’Asie. Son luxe, sa magnificence, lui valurent le surnom de Xerxès romain[12]. Ses jardins, dit Plutarque, sont encore comptés parmi les plus beaux du domaine impérial. Il avait construit près de Naples d’énormes voûtes sous lesquelles la mer entrait, de manière à lui former des réservoirs à poissons. Aux environs de Tusculum, on admirait ses palais, disposés en résidence d’été et résidence d’hiver, avec d’immenses salons, de larges promenades et de délicieuses perspectives. Chaque pièce avait son ameul4ement particulier et son service spécial. Cicéron et Pompée, voulant un jour le surprendre, lui demandèrent à dîner a la condition qu’il ne donnerait aucun ordre. Il se contenta de dire à son affranchi : Nous souperons dans la salle d’Apollon, et ses deux convives eurent le plus magnifique festin, mais, dans cette salle, la dépense ne devait jamais être au-dessous de 50.000 drachmes. La protection éclairée qu’il accorda aux lettres demande grâce pour cette élégante mollesse qui, au milieu de tant de corruption, n’était plus un danger[13]. On n’avait donné à Lucullus qu’une petite armée et
quelques navires ; Pompée eut soixante mille hommes et une flotte immense
dont il enveloppa toute l’Asie Mineure, depuis Chypre jusqu’au Bosphore de
Thrace. Mithridate était encore à la tête de trente-deux mille soldats ;
mais, fatigué à la fin de cette lutte sans repos, il fit demander au nouveau
général à quelles conditions on lui accorderait la paix. Qu’il s’en remette à la générosité du peuple romain,
répondit le proconsul. Finir comme Persée après avoir combattu comme Annibal
! Mithridate avait un trop grand cœur pour s’y résoudre. Eh bien ! dit-il, combattons
jusqu’à notre dernière heure ; et il jura de ne jamais faire la
paix avec Rome. Pompée marchait déjà vers la petite Arménie. Dès la première
rencontre, dans un combat de nuit sur les bords du Lycus, l’armée pontique
fut détruite, et Mithridate ne s’échappa que, lui quatrième, avec deux
cavaliers et une de ses femmes, qui, en costume d’homme, le suivait partout
et combattait à ses côtés. Arrivé à une de ses forteresses, il distribua à
ceux qui l’avaient rejoint tout l’argent qu’il y trouva et aussi du poison
pour que chacun restât maître de sa liberté et de sa vie. Ces précautions
prises, il voulut fuir vers Tigrane, mais ce prince avait rais à prix la tête
du vaincu ; alors il remonta vers les sources de l’Euphrate et gagna Dans les cours despotiques de l’Orient, le prince n’est ni
époux ni père. Tigrane, rendu par ses défaites soupçonneux et cruel, avait
fait tuer deux de ses fils ; le troisième se révolta, peut-être à
l’instigation de Mithridate, et chercha un refuge chez les Parthes. Phraate
avait enfin compris qu’il était temps pour lui de se décider à prendre sa
part des dépouilles de son voisin, et il venait de conclure avec Pompée un
traité d’alliance. Le jeune Tigrane lui offrait les moyens de faire une
puissante diversion, il lui donna une de ses filles et le ramena avec une
armée dans les États de son père. Le vieux roi se retira d’abord dans les montagnes,
laissant les deux princes perdre leur temps et leurs forces devant les
murailles d’Artaxata. Phraate se lassa le premier ; il regagna son royaume de
peur qu’une trop longue absence n’y excitât des troubles, et le jeune Tigrane
vaincu par son père fut réduit à s’enfuir dans le camp romain. Pompée
s’acheminait de son côté vers Artaxata, il n’en était plus qu’à quinze
milles, quand parurent des envoyés de Tigrane, et bientôt le roi lui-même.
Aux portes du camp, un licteur le fit descendre de cheval ; dès qu’il aperçut
Pompée, il détacha son diadème et voulut se prosterner à ses genoux. Le
général le prévint, le fit asseoir à ses côtés et lui offrit la paix à
condition de renoncer à ses anciennes possessions de Syrie et d’Asie Mineure,
de payer 6000 talents et de reconnaître son fils pour roi de Tigrane avait craint un plus fâcheux traitement ; dans sa joie, il promit aux troupes romaines une gratification de 50 drachmes par soldat, de 1000 par centurion et d’un talent par tribun. Mais son fils, qui avait espéré prendre sa couronne, ne put cacher son mécontentement ; de secrètes menées avec les Parthes et les grands d’Arménie ayant été découvertes, Pompée, au mépris du droit des gens, le fit charger de chaînes, quoiqu’il fût son hôte et le réserva pour son triomphe. Quelques troupes furent laissées cri Arménie pour veiller sur les mouvements des Parthes, qui venaient de rappeler à Pompée que la limite des deux empires devait être l’Euphrate. Avec le reste de l’armée, partagée en trois divisions, le général hiverna sur les bords du Cyrus. Il comptait aller air printemps chercher Mithridate jusque dans le Caucase pour se vanter à Rome d’avoir porté ses aigles du fond de l’Espagne et de l’Afrique aux dernières limites du monde habitable, et jusqu’aux rocs où Jupiter avait enchaîné Prométhée[14]. Le Cyrus borne l’Albanie par le sud. Au milieu de décembre quarante mille Albaniens franchirent le fleuve dans l’espoir de surprendre les trois camps ; partout ils furent repoussés, et Pompée, passant lui-même le Cyrus au retour de la belle saison (65), pénétra, en traversant I’Albanie, chez les Ibériens que ni les Perses ni Alexandre n’avaient domptés. Plutarque veut que, dans ces expéditions, Pompée ait vaillamment payé de sa personne ; c’est plus probable que ce qu’il conte des amazones : Elles descendirent, dit-il, des montagnes voisines pour combattre avec ces peuples chez lesquels, chaque année, elles venaient passer deux mois. En allant au Caucase, Pompée était sorti des terres historiques de la république romaine pour entrer dans la région des légendes. Ces peuples vaincus, il touchait au Phase, dont un de ses
lieutenants occupait l’embouchure avec la flotte du Pont, lorsqu’une révolte
des Albaniens le rappela sur ses pas. Il les écrasa et voulut pousser jusqu’à
la mer Caspienne ; le défaut de guides, la difficulté des lieux et la
nouvelle d’une tentative des Parthes sur Au printemps de 64, après avoir organisé le Pont en
province, comme si Mithridate eût été déjà mort, et laissé une croisière sur
l’Euxin, il passa le Taurus. Dans Un questeur de Pompée, Æm. Scaurus, était alors à Damas ;
les deux prétendants offrirent de lui payer son assistance 400 talents.
Hyrcan avait déjà promis beaucoup au chef nabatéen, et il ne pourrait
s’acquitter qu’après la victoire ; Aristobule payait comptant ; Scaurus se
prononça pour lui et écrivit à Arétas qu’il serait déclaré ennemi du peuple
romain, s’il ne se retirait aussitôt. Le roi arabe recula devant la colère de
Rome (64). Quand
Pompée arriva, il voulut examiner lui-même l’affaire et cita les deux frères
à comparaître devant lui à Damas (64-63). Aristobule essaya avec, le général du moyen qui lui
avait si bien servi avec le lieutenant ; il envoya à Pompée une vigne d’or de
la valeur de 500 talents et du plus précieux travail, mais, cette fois, sans
gagner sa cause. Pompée, qui voulait aller jusqu’à Jérusalem où pas un
général romain n’était encore entré, renvoya les deux compétiteurs, remettant,
disait-il, à leur rendre réponse après qu’il aurait châtié les Nabathéens.
Cette apparente impartialité ne faisait pas le compte d’Aristobule, qui avait
cru mieux placer son argent. Il se retira dans ses châteaux et quelques jours
après consentit à les livrer ; il leva des troupes, puis il les congédia et
alla enfin se jeter dans Jérusalem d’où Pompée le tira sous prétexte, d’une
conférence. Les partisans d’Hyrcan ouvrirent les portes de la cité au
proconsul, qui assiégea ceux d’Aristobule dans le temple pendant trois mois.
Un dernier assaut, où Cornelius Sylla, le fils du dictateur, monta le premier
sur la muraille, lui livra la place. Les Romains ne firent point de quartier
; douze mille Juifs périrent autour de leur sanctuaire. Pendant le massacre,
les prêtres officiaient à l’autel, sans négliger une seule prescription de
leurs antiques lois[17] ; leur sang se
mêla à celui des victimes. Pompée pénétra dans le Saint des saints, où le
grand prêtre seul entrait une fois par an, mais il respecta les vases sacrés,
même les trésors du temple, qui montaient à 2.000 talents. Hyrcan, rétabli
dans la souveraine sacrificature, à la condition de renoncer au titre de roi
et au diadème, fut encore obligé de payer un tribut annuel et de restituer à Durant ces opérations, la fortune travaillait pour Pompée
dans le Bosphore Cimmérien. Mithridate, qu’on avait cru mort ou réduit à vivre
en aventurier, avait reparu avec une armée à Phanagorie, dans le Bosphore, pour
demander compte à son fils Macharès d’une couronne, du prix de 1000 pièces d’or,
qu’il avait envoyée à Lucullus en sollicitant d’être mis au nombre des alliés
de Rome. Macharès savait son père implacable ; il voulut fuir, déjà il était
entouré : il se tua. Mithridate avait donc encore un royaume ; ni l’âge ni
les revers n’avaient brisé cette haute ambition. La flotte des Romains lui
fermait la mer, et l’Asie leur était soumise ; mais une route lui restait ;
jusque dans Pompée était sous les murs de Jéricho quand il apprit que le plus grand ennemi de Borne, après le héros de Carthage, avait, comme Annibal et Philopœmen, péri par la trahison. Dès que Jérusalem fuit prise, il retourna dans le Pont, à Amisos, où Pharnace, par une dernière et honteuse trahison, lui envoya, avec de magnifiques présents, le corps de son père couvert d’un riche costume, suivant la mode du Bosphore. Il était défiguré ; mais on put le reconnaître aux cicatrices qui sillonnaient son visage. Le Romain le fit ensevelir avec honneur, à Sinope, dans le tombeau de ses aïeux. III. — RÉORGANISATION DE L’ASIE ANTÉRIEURE (63).Dans l’Asie Mineure, la vie est aux rivages. Le long du
littoral de l’Euxin, les villes étaient moins pressées qu’aux bords de la mer
Égée ; mais il s’y trouvait des terres aussi fertiles. Pompée laissa la
partie montagneuse et aride de Il organisa aussi la province de Cilicie qui fut divisée
en six districts : Le vaste pays compris entre le mont Amanus au nord et le désert d’Arabie au sud forma la nouvelle province de Syrie ; mais elle renfermait trop de peuples, de dynastes et de cités, qui, à la chute des Séleucides et après la défaite de Tigrane, s’étaient crus indépendants, pour que Rome fit autre chose cette région que d’y prendre les droits de suzeraineté, sans toucher aux libertés locales. Elle laissa de grands privilèges à ces populations dont l’affection lui était nécessaire sur cette frontière lointaine qui, d’un jour à l’autre, pouvait être menacée. Après la part du peuple souverain, celle des rois clients
: en récompense de son parricide, Pharnace garda le Bosphore, et partagea
avec Castor de Phanagorie le titre d’ami et d’allié du peuple romain. Le
tétrarque des Tolistoboïes, dans Ces dynastes restaient suspects, alors même qu’on les récompensait ; il n’en était pas ainsi des villes. Rome aimait le régime municipal, et favoriser les cités asiatiques parut à son général un acte de bonne politique dans ces pays de la servilité. Pompée fonda ou repeupla jusqu’à trente-neuf villes dont le site fut si bien choisi que quelques-unes subsistent encore. Il déclara libres la grande cité d’Antioche sur l’Oronte et près d’elle Séleucie qui avait repoussé toutes les attaques de Tigrane ; sur la côte de Palestine, Gaza ; sur l’Euxin, Phanagorie ; sur la mer Égée, Mitylène. Cyzique, qui avait si vaillamment résisté à Mithridate reçut un vaste territoire, et Héraclée du Pont, Sinope, Amisos, malgré leur longue résistance aux Romains, furent relevées de leurs ruines. Assisté des commissaires du sénat, Pompée écrivit la formule des nouvelles provinces, Pont et Bithynie, Syrie, Cilicie, et il le fit avec tant de sagesse, que, deux siècles plus tard, ces règlements étaient encore observés. Jamais vainqueurs n’avaient fait oublier leurs victoires par plus de bienfaits et l’on ne saurait trop admirer ce génie de gouvernement qui prévoyait de si loin les besoins des sujets et les nécessités de l’empire. De l’Euxin à la ruer Rouge, toute l’Asie antérieure était reconstituée, sans qu’on l’eût soumise à cette uniformité d’administration qui provoque les résistances, parce qu’elle contrarie les mœurs. Villes sujettes de tous les degrés, princes vassaux, libres républiques, toutes les formes politiques subsistaient sur ce continent et se faisaient équilibre. Le royaume de Pont si longtemps menaçant n’existait plus, et l’Arménie, tombée du haut rang où elle était un instant montée, n’était plus qu’une barrière contre le grand empire oriental, celui des Parthes, que Rome laissait debout parce qu’elle ne pouvait l’atteindre. Venu sur ce continent après Sylla et Lucullus, Pompée n’avait pas eu de grands coups à frapper, mais il y organisa la domination de Rome, il y fixa les limites que l’empire ne put jamais franchir, et volontiers nous le laisserons se vantera en étalant sa robe triomphale, d’avoir achevé le long enfantement de la grandeur romaine. |
[1] Cicéron, de Lege agrar., II, 16 ; cependant il
ajoute : Dicitur
contra, nullum esse testamentum. A Rome, le droit de tester était
absolu, l’art de capter un testament était devenu une industrie fort à la mode.
Le sénat fit comme les particuliers, et des testaments habilement obtenus lui
valurent trois royaumes, l’Asie Pergaméenne,
[2] Conquête d’une
partie de
[3] Plutarque, Lucullus, 2. Lorsque Sylla eut frappé
l’Asie d’un impôt de 20.000 talents, il chargea encore Lucullus d’en faire de
la monnaie (ibid., 4). Sur les
monnaies luculliennes et, en général, sur les monnaies romaines frappées dans
les provinces par les généraux, en vertu de l’imperium, voyez Lenormant,
[4] Tiré de l’outrage de Rob. Pashley, Travels in Crete, t. I, p. 1.
[5] Plutarque, Lucullus, 3 et 4 ; Appien, Mithridate, 52-53.
[6] Salluste, Hist. fragm. ; Asconius in Ciceronis in Cæcilium, 3 ; Plutarque, Lucullus, 5.
[7] Ils s’étaient révoltés contre le proconsul Val. Flaccus et avaient abandonné Fimbria.
[8] A propos de ce combat, Salluste disait dans sa grande Histoire, aujourd’hui perdue, que les Romains virent alors pour la première fois des chameaux. Plutarque lui répond (Lucullus, 11) qu’ils en avaient vu, un siècle auparavant, à la bataille de Magnésie.
[9] Ce personnage était membre de la gens Claudia, mais son nom est habituellement écrit Clodius. D’autres membres de cette famille signaient ainsi. (Orelli, 579.)
[10] On a cherché les ruines de Tigranocerte à Sert sur le Chabûr, à Mejafarkin et à Amid ou Amadiah. Cf. S. Martin, Mém. sur l’Arménie, I, p. 973 ; Ritter, die Erdkunde, t. X, p. 87.
[11] Des ruines appelées le Trône de Tiridate, Takt-Tiridate, près du confluent de l’Aras et du Zengue, passent pour marquer la place d’Artaxata.
[12] Velleius Paterculus, II, 25. Voyez, dans Plutarque, Lucullus, 39-41, les anecdotes tant répétées sur ses soupers, ses constructions, ses viviers, dont Varron parle aussi.
[13] Il rassembla une riche bibliothèque, qui il ouvrit au public, et vécut entouré de gens de lettres. (Plutarque, Lucullus, 59). Il mourut quelque temps avant l’explosion de la guerre civile.
[14] Appien, Mithridate, 103. Pompée, accompagné du Grec Théophane, chercha sérieusement le rocher où Eschyle avait placé la scène de sa belle tragédie.
[15] Cet Antiochus
était le dix-septième des rois Séleucides qui avaient régné deux siècles et
demi sur
[16] Les Pharisiens avaient jusqu’à présent assez mauvais renom. M. Cohen (Pharisiens, 2 vol. 1877) a entrepris leur justification. Les Pharisiens du Nouveau Testament n’étaient que les exagérés ou les hypocrites du parti.
[17] Josèphe, Ant. Jud., XIV, 4, 3.
[18] Josèphe dit, en
effet (Ant. Jud., XIV, 8), que Pompée
laissa à Scaurus le gouvernement de
[19] Racine, Préface de Mithridate.
[20] Cilicia Campestris, et C. Aspera.
[21] Strabon, XII, 367.