HISTOIRE DES ROMAINS

 

SEPTIÈME PÉRIODE — LES TRIUMVIRATS ET LA RÉVOLUTION (79-30)

CHAPITRE XLVIII — POMPÉE, LÉPIDE ET SERTORIUS (79-70).

 

 

I. — RÉSUMÉ DE LA PÉRIODE PRÉCÉDENTE.

La vie des peuples se partage en périodes qu’on peut appeler organiques ou de vie pleine et tranquille, et en périodes inorganiques ou de transformation violente. Les nations sont dans la première époque quand elles ont trouvé la forme de gouvernement qui convient le mieux à leurs intérêts présents, et elles sont dans la seconde lorsque les forces sociales entrent en lutte les unes contre les autres. Le temps des rois avait été, à Rome, autant que nous le connaissons, celui de la formation harmonieuse de la société et de la grandeur de l’État. Il fut suivi d’un siècle et demi de rivalités intestines et de faiblesse extérieure. Après Licinius Stolon, au contraire, la paix se rétablit entre les deux ordres par l’égalité, et la fortune de Rome reprend son cours. Mais aux guerres héroïques d’Italie et d’Afrique, dont on a vu l’enchaînement inévitable, à celles de Grèce et d’Orient, plus politiques que nécessaires, succéda, par l’effet des causes que nous avons longuement étudiées[1], une nouvelle période de déchirements intérieurs.

Ou premier des Gracques à Sella, durant cinquante années, ces hommes, naguère si grands en face de Pyrrhus, d’Annibal et des Macédoniens, redevinrent les fils de la louve ; ils s’égorgèrent entre eux pour savoir à qui resterait le monde. Afin de suivre, au milieu de tant de massacres et de ruines, le double mouvement de destruction et de renouvellement qui s’opère, à cette époque, au sein de la société romaine et qui, sous des formes et des noms différents, se continuera pendant une autre moitié de siècle récapitulons les tragédies que nous avons vues, afin de mieux comprendre celles que nous allons voir.

Deux siècles de guerres, de conquêtes et de pillage avaient eu pour conséquence de concentrer tous les pouvoirs aux mains d’une étroite oligarchie et d’user cette portion moyenne du peuple romain qui jadis remplissait les légions et les tribus rustiques. Deux classes ennemies, les pauvres et les riches, se trouvèrent en présence. Pour les empêcher de se jeter l’une sur l’autre, les Gracques essayèrent de reformer par la loi agraire une population virile de petits propriétaires ruraux, et de constituer dans l’État, par l’attribution du pouvoir judiciaire aux chevaliers, un troisième ordre qui tînt la balance entre les deux autres.

Les Gracques tombent sous les coups des grands, et, avec eux, la cause populaire, qui était celle de la république et de la liberté, semble perdue. Mais, comme elle offre aux ambitieux un moyen de produire au Forum des agitations favorables aux menées ténébreuses, des patriciens, des consulaires, passent au peuple sous prétexte de défendre ses intérêts, et l’État se partage entre deux factions, les conservateurs obstinés et les révolutionnaires à outrance. Au fond, les uns et les autres n’ont plus souci que de pouvoir et d’or ; les idées généreuses qui avaient animé les Gracques sont mortes avec eux.

Marius, qui reconstitue le parti populaire, ne sait pas le conduire, et son associé, Saturninus, le compromet par ses violences. Ce tribun est tué, Marius s’exile, et l’oligarchie triomphe encore.

Scipion Émilien et le second Drusus cherchent une autre solution au problème de la constitution romaine : ils voudraient faire place aux Italiens dans la cité, afin de donner à l’empire une large base qui pût le porter longtemps. L’un est assassiné par les chefs du petit peuple de Rome, qu’il méprise ; l’autre par les chevaliers, qu’il voulait dépouiller de la judicature ; et les Italiens, perdant l’espoir qu’une loi leur fasse justice, recourent aux armes. Une guerre terrible éclate ; le nom seul en dit l’horreur : la guerre Sociale, ou des alliés.

Les Italiens, vaincus, semblent sortir victorieux de cette lutte fratricide : ils obtiennent le droit de cité, mais la noblesse, pour rendre ce droit illusoire, enferme les nouveaux citoyens dans des tribus qui ne voteront jamais, et en même temps elle s’aliène les chevaliers par le retrait des jugements.

Marius, revenu d’exil, et Sulpicius profitent de cette double faute pour associer à leur cause les nouveaux citoyens et l’ordre équestre. L’un est égorgé ; l’autre, qui, dans sa fuite, manque dix fois de l’être, revient avec une armée d’esclaves et d’Italiens, se baigne dans le sang de la noblesse et meurt au moment où le vengeur des grands arrive.

Ainsi chaque parti a du sang sur les mains, mais c’est la noblesse qui en a le plus répandu. Dans ces cinquante années, l’oligarchie compte cinq victoires marquées par le meurtre des principaux adversaires du sénat et couronnées par une dictature inexorable[2].

Sylla croit en finir avec la faction populaire, les Italiens et les chevaliers, par un immense égorgement, et avec toutes les nouveautés par une législation qui ramène la république de trois siècles dans le passé, au temps où les patriciens étaient tout et le peuple rien. Les essais de réforme en avant ont échoué, la réforme en arrière réussira-t-elle ? On le saura en suivant les dramatiques péripéties de la révolution qui conduira Rome à une nouvelle époque organique, où ses destinées seront fixées pour quatre siècles.

 

II. — POMPÉE.

Les dix années que dura la constitution cornélienne furent une des plus désastreuses époques que la république ait traversées, celle où chacun fut le moins assuré d’un lendemain.

La haine du peuple et des Italiens, les ressentiments de l’ordre équestre et quatre guerres dangereuses : telle était la succession de Sylla. Qui allait recueillir ce difficile héritage ? Un sénat où les proscriptions des deux partis n’avaient pas laissé une seule tête qui dépassât le niveau commun de la médiocrité : Metellus Pius, général malheureux ; Catulus, en qui se trouvait de quoi faire plusieurs grands hommes[3], mais qui ne sut pas être, ce qui eut mieux valu pour la république, un grand citoyen ; Hortensius, qui ne vivait que pour le barreau et ses murènes ; Crassus, moins occupé d’affaires publiques que de dénaturer sa fortune mal acquise et d’acheter Rome pièce à pièce ; Philippus, qui avait si bien manœuvré depuis vingt ans au milieu des écueils et qui, arrivé au faite des honneurs, s’y reposait ; enfin le plus capable peut-être de tous ces médiocres personnages, Lucullus, élégant épicurien, Romain d’Athènes, resté jusqu’alors en sous-ordre dans les affaires, et sans goût pour le premier rôle. Échappés à de si longues tourmentes, ces sénateurs ne demandaient qu’à jouir en paix de la vie, de leur beau soleil, de leurs villas dévastées et qu’ils restauraient. Mais autour d’eux se pressait une génération plus jeune, plus ardente lus forte pour le bien comme pour le mal ; Cicéron avait alors vingt-huit ans, César vingt-quatre, Caton dix-sept ; Brutus était plus jeune ; Catilina et Verrès avaient déjà rempli des charges.

Par son âge, Pompée appartenait à cette génération[4] ; mais décoré des noms de Grand, d’Imperator, de Triomphateur, il marchait à part. Et nous sommes si loin de l’égalité, si près de la monarchie, que, sans avoir été régulièrement appelé à aucune fonction, sans être sénateur, sans même pouvoir compter sur un parti politique, Pompée était tout-puissant dans la cité. Ce personnage froid, irrésolu et aussi incapable que Marius d’une conception politique, a été cependant trop maltraité par nos historiens modernes, qui aiment à juger les hommes par les petits côtés, à les peindre par l’anecdote, même apocryphe, à la façon de Plutarque. Un homme ne conserve, durant quarante années, la grande situation que Pompée se fit dès les premiers jours qu’il la condition d’être par quelque côté supérieur à ses concitoyens. Il est vrai que, jusqu’à sa dernière bataille, il mérita mieux que Sylla le surnom de favori de la Fortune. Elle fit beaucoup pour lui : ne fit-il rien pour elle ? S’il rencontra des circonstances propices, il sut aussi en faire naître et tirer d’elles, par audace ou sagesse, les avantages qu’un autre aurait laissé perdre. Ces nuits passées dans les veilles, ces études persévérantes pour préparer et enchaîner d’avance la victoire, ne sont pas d’un homme qui s’abandonne paresseusement à la faveur des dieux[5].

Sans être Caton, il avait sa frugalité et sa haine des molles coutumes venues de l’Orient[6], avec moins d’affectation et une dignité contenue qui annonçait l’homme fait pour le commandement. Un jour qu’il était malade et dégoûté de toute nourriture, son médecin lui recommanda de manger une grive ; on en chercha partout, et il ne s’en trouva nulle part à vendre. Quelqu’un assura qu’on en aurait chez Lucullus, qui en nourrissait toute l’année : Eh quoi ! dit Pompée, si Lucullus n’était pas un gourmand, Pompée ne saurait vivre ? Et il refusa. Il était éloquent, car à vingt ans, dans un procès difficile, il sauva la mémoire de son père et conquit son juge, qui, au tribunal même, le prit pour gendre. Il était brave[7] : sa vie presque entière se passa dans les camps ; hardi et entreprenant : au milieu de l’Italie couverte des légions de Carbon, il se déclara pour Sylla et lui donna une armée qui peut-être le sauva. Cette armée, Pompée sut la garder à lui, tout en la faisant servir aux intérêts du parti ; il la conduisit où le dictateur voulut, en Cisalpine, en Sicile, en Afrique ; partout vainqueur et imposant par ses succès à Sylla même, qui crut reconnaître, dans ce jeune homme toujours heureux, cette puissance fatale qu’il aimait à voir respecter en lui.

Le terrible dictateur fut comme subjugué ; pour empêcher que ce bonheur ne devînt rival du sien, il fit entrer Pompée dans sa famille, en lui donnant sa petite-fille Æmilia. Cependant il eut un moment de défiance ; quand Pompée eut vaincu Domitius et Hiarbas, il lui ordonna de licencier ses troupes. Les soldats se révoltaient à la pensée de perdre le plaisir et les profits d’une entrée triomphale dans Rome ; Pompée les apaisa et revint seul. Cette confiance le sauva ; Sylla sortit avec tout le peuple à sa rencontre et le salua du nom de Grand. Mais il voulait le triomphe, un triomphé magnifique, car il avait ramené d’Afrique des éléphants pour les atteler à son char ; et il n’était pas même sénateur ! Sylla refusa. Qu’il prenne donc garde, osa dire le jeune victorieux, que le soleil levant a plus d’adorateurs que le soleil couchant. Autour de lui, tout le monde tremblait ; le dictateur, surpris, pour la première fois céda : Qu’il triomphe, s’écria-t-il à deux reprises, qu’il triomphe ! (81) Le peuple applaudissait à cette audace, et déjà regardait avec complaisance ce général qui ne tremblait pas en face de celui devant qui tout le monde tremblait.

Pompée n’avait encore géré aucune charge. Aux faisceaux consulaires il préférait la position qu’il s’était faite sans élection du peuple ni du sénat. Seul aussi de tous les chefs syllaniens, il n’avait pas trempé dans les proscriptions, du moins dans le pillage des biens des victimes. A Asculum, durant la guerre Sociale, il n’avait pris que quelques livres. C’était encore une singularité heureuse, et comme un reproche pour les vainqueurs, une espérance pour les vaincus. Aimé des soldats, respecté du peuple, il avait un crédit dont il refusa de se servir pour lui-même, parce qu’il n’aurait pas voulu d’un consulat obscurément passé, et qu’il comprenait que les temps n’étaient pas venus de se signaler, dans cette magistrature, par quelque acte mémorable. Agé de vingt-huit ans, il n’aurait pu d’ailleurs la demander qu’en violant la loi ; mais il tint à prouver son influence en appuyant une candidature hostile au sénat. Malgré les grands, il fit élire Lépide, qui ne cachait pas sa haine contre les nouvelles institutions (78)[8]. Jeune homme, lui dit Sylla, en le voyant traverser tout fier la place des comices, tu es bien glorieux de ta victoire. En vérité, c’est un bel exploit d’avoir fait arriver au consulat un mauvais citoyen ! Mais veille avec soin, tu t’es donné un adversaire plus fort que toi. Ces mots faillirent être une prophétie. Quand on apprit la mort du dictateur, Lépide voulut empêcher qu’on rendît à sa mémoire des honneurs publics, et déjà il parlait d’abolir ses lois. C’était aller trop vite pour pompée. Malgré la froideur que Sylla lui avait montrée dans les derniers temps[9], Pompée se respectait trop lui-même pour trahir sitôt la cause qu’il avait tant servie ; il s’unit à l’autre consul, Catulus, et Sylla mort triompha encore une fois. Mais, au sortir des funérailles, les deux consuls manquèrent en venir aux mains[10].

 

III. — LÉPIDE, NOUVELLE GUERRE CIVILE (78-77).

Ce Lépide, père du triumvir, appartenait à une illustre maison patricienne, la gens Æmilia. Dans la guerre civile, il se déclara pour Sylla et fit une fortune considérable avec les biens des proscrits. Mis en goût par l’abominable curée, il commit dans sa préture de Sicile, en 81, de telles exactions, que Cicéron lui accorde le premier rang, après Verrès, parmi les spoliateurs des provinces[11]. Aussi fat-il en état de construire le plus beau palais de la ville et de le décorer avec des colonnes en marbre jaune de Numidie, les premières qu’on eût vues à Rome[12]. Riche et de haute naissance, Lépide avait toutes ses attaches dans le parti des grands. Mais, de ce côté-là, les premiers rôles étaient pris ; il passa au parti contraire, conduit à cette résolution par son mariage avec une Apuleia, fille de Saturninus, par la crainte d’un procès en concussion, dont il était menacé, surtout par son ambition ; car les réformateurs désintéressés de la génération précédente n’avaient plus que des ambitieux pour successeurs.

On tue ou l’on proscrit les hommes, mais on ne vient à bout des idées justes et des besoins vrais qu’en leur donnant satisfaction, et, la restauration n’ayant tenu compte d’aucune des nouveautés que le passé avait produites ou que le présent réclamait, il suffit à Lépide de prononcer ces seuls mots : rétablissement de la loi frumentaire et rappel des bannis, pour reconstituer le parti que Sylla pensait avoir étouffé dans le sang[13].

Dès qu’on put croire un des consuls disposé à défaire ce qu’avait fait la dictature, une foule de gens mirent leurs espérances en de nouveaux bouleversements. Les familles des victimes comptèrent y retrouver leurs biens perdus ; la jeunesse dorée, des ressources pour ses ruineuses débauches ; les tribuns, de la puissance ; le peuple, des distractions qui rompraient avec la monotonie de ces journées silencieuses où, durant trois ans, on n’avait pas vu un orage au Forum. Les chevaliers ne pardonnaient pas aux grands la suppression de leur pouvoir judiciaire ; les pauvres, celle des largesses de l’annone ; les fils des proscrits, la perte de leurs droits civiques, et les ambitieux, que l’oligarchie tenait éloignés du pouvoir, se promettaient de tirer parti de ces regrets qui étaient aussi des espérances. Une grande province, l’Espagne, était aux mains de Sertorius ; la Cisalpine avait pour gouverneur un Junius Brutus d’une fidélité douteuse ; partout, les nombreux déclassés qu’avaient faits tant de révolutions en appelaient une nouvelle, et quelques-uns des marianistes les plus en vue osaient rentrer dans Rome. Perperna, le préteur que Pompée avait naguère chassé de Sicile, César, le fils du consul Cinna, etc., y étaient déjà revenus, et, comme il arrive aux proscrits, ils n’avaient rien oublié.

Lépide alla au plus pressé : il remit en vigueur la loi Sempronienne sur les distributions de blé au peuple[14], pour gagner les mendiants de Rome ; et il promit de rendre leurs terres à ceux qui en avaient été dépouillés, afin de s’attacher les Italiens. Aussi, de toutes parts, les expropriés relevèrent la tète, et quelques-uns amassèrent des armes. Prêts les premiers, les gens de Fésules se ruèrent sur les vétérans, dans les postes, castella, où ceux-ci s’étaient établis, et les chassèrent de leur territoire après en avoir tué bon nombre. Ce pouvait être le signal d’un grand incendie. Le sénat, que le dictateur croyait avoir rendu si fort, s’effraya, sans que la peur lui donnât de l’énergie. Entre Catulus et Lépide, qui déjà se menaçaient, il lie sut intervenir que par des prières, pour obtenir d’eux le serment qu’ils ne prendraient pas les armes Pur contre l’autre, et il crut parer à tout péril en décidant que les deux consuls se rendraient dans leurs provinces : Catulus, en Cisalpine ; Lépide, dans la Narbonnaise. On disait que des attaques étaient à craindre de ce dernier côté, et l’on commit l’imprudence d’allouer une grosse somme, pour décider l’avide proconsul qu’on y envoyait à gagner son gouvernement. Comme il devait, en passant, apaiser l’émeute de Fésules, il était autorisé à lever des troupes : rien ne lui manquait donc pour se faire une armée.

Taudis qu’il s’éloignait lentement, Catulus continuait la reconstruction commencée par Sylla du temple Capitolin qui dominait majestueusement le Forum[15], travail immense dont il ne reste que les substructions massives qui portent aujourd’hui le palais du Sénateur de Rome, et qui du temps de Catulus portaient le Tabularium ou salle des Archives. Au bas de la façade, il plaça une Minerve d’Euphranor, que le peuple prit l’habitude d’appeler la Catulienne ; mais il réserva pour le temple consacré par son père, après la guerre des Cimbres, à la Fortune du jour, deux statues de Phidias ravies, comme la précédente, à la Grèce[16]. Les Romains, qui ne savaient point faire de ces chefs-d’œuvre, savaient du moins les aimer et surtout les prendre. Le temple fut rempli d’offrandes de toutes sortes envoyées par les cités, les peuples et les rois. II en manqua une, un meuble d’or garni de pierres précieuses que le roi de Syrie destinait au Capitole et que son ambassadeur, en passant à Syracuse, avait eu l’imprudence de montrer à Ferrés, qui le vola : le don royal, destiné à Jupiter Très Grand, était allé décorer le boudoir de l’Hirondelle, une des maîtresses du satrape sicilien[17]. Les fêtes de la dédicace durèrent plusieurs jours et furent marquées par une nouveauté que Caton aurait maudite. Catulus, pour mettre les spectateurs à l’abri du soleil, lit couvrir son théâtre de toiles grossières que remplaceront un jour les immenses et magnifiques velaria de l’empire[18].

Pendant que son collègue était occupé par ces soins pieux et cette sollicitude pour les aises du peuple, Lépide parcourait l’Étrurie, ramassant, au milieu de populations si cruellement traitées par Sylla, des hommes, des vivres, des armes, et appelant à lui les vétérans de Marius et de Carbon. Le gouverneur de la Cisalpine, Junius Brutus, se déclara pour lui. César, qui arrivait d’Asie, était pressé par le frère de sa femme, L. Cinna, de suivre cet exemple ; le caractère du chef, les forces du parti, ne lui parurent pas assez sûrs : il attendit[19]. Cependant, avec la promesse de casser les actes de la dictature, Lépide eut bientôt grossi son armée ; et lorsque le sénat enfin inquiet le rappela sous prétexte de lui faire tenir les comices consulaires, en réalité pour qu’on pût s’assurer de sa personne, il quitta la toge, prit l’habit de guerre et marcha sur Rome, précédé de la déclaration qu’il venait rétablir le peuple dans ses droits et prendre un second consulat, c’est-à-dire la dictature.

Les pères conscrits essayèrent de négocier ; leurs députés furent reçus de telle sorte, qu’il fallut se résigner à combattre. La situation à Rome pouvait avoir ses dangers. Un Cethegus et d’autres jeunes nobles ruinés couraient les mauvais quartiers en parlant de revanche prochaine. Les tribuns de cette année, élus sous l’empire des lois syllaniennes, étaient de minces et timides personnages ; mais, si le brait des armes faisait taire la loi, un d’eux ne retrouverait-il pas, à l’approche de Lépide, assez d’audace tribunitienne pour ameuter la foule et mettre le sénat cornélien entre deux périls ? Un sénateur que nous connaissons depuis longtemps releva les courages par un discours énergique que Salluste nous a conservé, en l’arrangeant moins peut-être que ceux qu’il met ordinairement dans la bouche de ses personnages[20]. Philippus gourmanda les irrésolutions des sénateurs, qui, confiants dans les prédictions des augures, aimaient mieux souhaiter la paix que la défendre. Ne comprenez-vous pas que votre inertie vous ôte toute dignité, à lui toute crainte ? Et cela est juste, puisque ses rapines lui ont valu le consulat ; ses séditieux desseins, une province et une armée. Qu’aurait-il gagné à bien servir, lui qui, pour ses méfaits, a reçu de telles récompenses ? Vos ambassades, vos paroles de paix et de concorde, il les méprise. Naguère ce Lépide n’était qu’un brigand suivi de quelques bandits prêts à donner leur vie pour un morceau de pain. Aujourd’hui c’est un proconsul du peuple romain gui a une charge conférée par vous-mêmes, des lieutenants à qui la loi impose envers lui l’obéissance, et une armée oui se sont réunis les mauvais citoyens de tous les ordres, ceux que tourmente la conscience de leurs crimes. Pour eux, la pais est dans les troubles, le repos dans les séditions, et ils sèment désordre sur désordre, guerre sur guerre. Voilà l’Étrurie en feu, les Espagnes en révolte, les survivants de nos derniers combats en mouvement ; et Mithridate, l’épée suspendue sur nos provinces tributaires, attend le jour où il pourra frapper.

Les injonctions de Lépide vous troublent. Il lui plaît, dit-il, que chacun recouvre son bien, et il retient celui des autres ; qu’on abroge des lois imposées par la force, et il veut nous contraindre par la violence ; que le droit de cité soit rendu, et il nie que personne l’ait perdu ; que pour maintenir la paix on rétablisse l’ancien tribunat, et ce tribunat a été la source de tous les désordres.... Si vous n’opposez aux armes que des paroles, ménagez-vous le patronage de Cethegus et de ses pareils, qui sont toujours prêts à recommencer les pillages et les incendies. Pour moi, je pense que l’interroi Appius, le proconsul Catulus et tous ceux qui ont l’imperium doivent être chargés par vous de veiller à ce que la république n’éprouve aucun dommage[21].

Le décret passa, et Catulus fit, ou renouvela en l’étendant, la loi de vi publica, qui interdisait le feu et l’eau aux auteurs des violences publiques[22] ; et, en même temps, il multiplia des levées que le concours de Pompée rendit promptes et faciles. Trop jeune pour briguer le consulat, trop plein de sa gloire pour consentir à y arriver en passant par les charges inférieures, Pompée saisit cette occasion nouvelle de braver les lois en les servant. Un décret du sénat l’adjoignit à Catulus pour le commandement de l’armée, il en fut le chef véritable. Les troupes proconsulaires, que rejoignirent beaucoup de vétérans menacés de restitution, s’établit au Janicule, sur les collines du Vatican, et au pont Milvius, de manière à défendre le passage du Tibre.

Le médiocre personnage qui se portait l’héritier de Marius n’avait pas su cacher assez longtemps ses projets pour avoir le loisir d’organiser ses forces, et il ne mit pas dans l’exécution assez de rapidité pour surprendre ses adversaires. Campé entre la Crémère et le Tibre, il faisait entrer dans Rome des émissaires qui cherchaient à l’ déterminer une émeute, mais rien ne bougea. Le peuple courut aux remparts et au bord du fleuve, afin de voir un spectacle bien autrement intéressant pour lui que des combats de gladiateurs : les deux armées aux prises, en face du Champ de Mars. La bataille ne dura guère : les vétérans de Sylla et toute la noblesse chargèrent si violemment les recrues de Lépide, que l’armée insurrectionnelle fut rompue et s’enfuit avec son chef du côté de Bolsena. Lépide pensa un moment à faire route par les montagnes pour aller réveiller la guerre samnite ; les manœuvres de ses adversaires l’enfermèrent en Étrurie. Il y subit un second échec qui le rejeta vers la mer, et, tandis que Catulus l’y poussait avec une prudente lenteur, Pompée eut le temps de courir dans la Cisalpine, où M. Junius Brutus s’était enfermé dans Modène. Faute de vivres ou forcé par quelque trahison, Brutus rendit la place en stipulant qu’il aurait la vie sauve ; le lendemain, Pompée le fat tuer. Un fils de Lépide et un Scipion, peut-être le consul de 83 qui durant les proscriptions de Sylla s’était réfugié à Marseille, furent pris dans la ville ligurienne d’Alba et mis à mort. La Cisalpine ainsi pacifiée, à la façon romaine, par des égorgements, Pompée alla rejoindre Catulus, qui venait d’infliger à Lépide un nouvel échec sous les murs de Cosa.

En face de cette ville s’élève en mer le mons Argentarius, promontoire escarpé de toutes parts, qui ne tient au continent que par deux bancs de sable enfermant une lagune[23]. Lépide les coupa et se trouva dans une île. Cependant il ne pouvait y tenir longtemps faute de vivres. Une nuit, il s’embarqua pour la Sardaigne, dans la pensée d’en soulever les habitants, tandis que son lieutenant Perperna gagnerait la Sicile ; de là ils tendraient la main à Sertorius et tâcheraient d’affamer Rome, que les deux !les nourrissaient. La fatigue, le chagrin, firent tomber Lépide malade ; une lettre de sa femme l’acheva. Elle lui était arrivée par mégarde et ne pouvait lui laisser de doute ni sur la fidélité d’Apuleia, ni sur l’estime qu’elle nourrissait pour son époux : Ce pauvre homme, écrivait-elle à son amant, n’a pas le sens commun. Quelques jours après, il mourut ; le premier acte de la nouvelle guerre civile était achevé (77).

Cette fois le parti vainqueur s’honora par sa modération, et, quelques années après, le sénat accorda, sur les instances de César, une amnistie aux partisans de Lépide.

Cette levée de boucliers rattacha Pompée au sénat, qui lui rendait son armée. Catulus lui ordonna, il est vrai, de la licencier ; mais il ne tint compte de cet ordre, et le sénat .n’osa insister. Dans le parti des nobles, Pompée ne voyait donc personne au-dessus de lui ; dans le parti contraire, les chefs, s’ils triomphaient, l’admettraient-ils même au partage ? Certainement la réaction démocratique l’eût frappé. Si elle devait s’opérer un jour, il entendait du moins que ce fût par ses mains, et il était assez bon citoyen pour vouloir qu’elle arrivât lentement, sans secousse, sans proscriptions nouvelles. Il accepta donc le rôle d’exécuteur testamentaire de Sylla, et, après Lépide, il alla combattre Sertorius.

 

IV. — SERTORIUS ; CONTINUATION DE LA GUERRE CIVILE (80-75).

Nous connaissons Sertorius, ce Sabin qui fut, comme Marius, sans aïeux et sans postérité, et, comme lui, meilleur général qu’habile politique. Il s’était distingué dans la guerre des Cimbres, et ses longs services en Gaule l’avaient si bien familiarisé avec la langue et les habitudes des barbares, que plusieurs fois il pénétra sous un déguisement dans le camp des Teutons pour observer leurs forces et leurs dispositions. Durant la guerre Sociale, il fut encore l’intermédiaire entre le sénat et les Gaulois italiens, qu’il sut retenir dans la fidélité. Il demanda le tribunat ; les syllaniens l’empêchèrent d’y arriver, et ce refus le rejeta pour toujours dans le parti de son ancien général. Réservé dans ses mœurs, d’une sobriété africaine, mangeant peu et à l’heure qu’on voulait, brave jusqu’à la témérité, ce qui lui valut beaucoup de blessures et la perte d’un œil, fécond en ruses militaires, d’une activité enfile qu’aucune fatigue ne parvenait à lasser, Sertorius avait toutes les qualités nécessaires au chef d’une armée irrégulière, et ses antécédents faisaient de lui la dernière espérance des marianistes[24].

Après l’insurrection des esclaves contre leurs maîtres, des plébéiens contre les grands, des Italiens contre Rome, nous avons vu tous les peuples des parties orientales de l’empire aider de leurs vaux ou de leurs bras Mithridate à renverser une domination odieuse. Pour la fortune de Rome, il se trouva que, s’il y avait unanimité dans la haine, on ne sut pas en mettre dans le conseil ni dans l’action. Elle eût succombé sous le poids de l’univers conjuré, elle triompha d’adversaires qui vinrent successivement frapper le colosse de coups mal concertés.

Après la défection de l’armée de Scipion, Sertorius s’était rendu en Espagne (82), avec le titre de préteur qu’il devait aux marianistes et qui lui donnait l’autorité légale dans ces provinces. Il étudia le pays, ses ressources, l’esprit de cette race vaillante où les filles choisissaient elles-mêmes leur époux parmi les plus braves, le préféré étant celui qui pouvait offrir à sa fiancée la main droite d’un ennemi qu’il avait tué ; et il les gagna par sa douceur, qui contrastait avec la rapacité et l’insolence des gouverneurs ordinaires. Il avait déjà servi dans la péninsule comme tribun militaire et mérité l’estime des Espagnols, en les battant par un adroit stratagème.

Des soldats romains en garnison à Castula (Cazlona) avaient, par leur insolence, exaspéré les habitants, qui appelèrent à l’aide leurs voisins et, une nuit, leur ouvrirent une des portes de la cité. Bon nombre de Romains périrent : Sertorius s’était échappé à temps ; suivi de tous les légionnaires qu’il avait pu rallier, il fit le tour de la ville, y rentra par la porte que les Espagnols n’avaient point fermée, et ceux-ci, surpris à leur tour, furent égorgés. Le jour venu, avec ses soldats, qui avaient revêtu les habits et les armes des barbares, il courut à leur ville, dont la population vint, sans défiance, à la rencontre de ceux qu’elle croyait des amis, et il ne cessa le massacre que pour vendre les survivants. L’affaire fit du bruit, et le nom de Sertorius fut, depuis ce jour, fameux en Espagne. Quand on sut qu’il venait y commander en chef, qu’on le vit diminuer les subsides, dispenser les villes des logements militaires, en vivant lui et les siens sous la tente, de nombreux volontaires accoururent à lui. Faciles à l’illusion, ils croyaient que ce Romain, proscrit à Rome, allait combattre pour eux.

Cependant Sylla ne l’avait pas oublié, et une nombreuse armée arrivait en Gaule, sous les ordres d’Annius. Un des lieutenants de Sertorius, Livius Salinator, chargé ; de garder les passages des Pyrénées, repoussa d’abord toutes les attaques ; mais il fut assassiné par un traître, et, ses troupes s’étant débandées, Annius pénétra dans la province (81). Sertorius, trop faible pour lui tenir tête, recula jusqu’à Carthagène.

Partout Sylla triomphait : la terre lui obéissait et rejetait les proscrits, la mer seule était libre encore. Sertorius s’embarqua avec trois mille hommes, et pendant plusieurs mois erra des côtes d’Espagne à celles d’Afrique : une fois il surprit les îles Pityusæ[25], un autre jour il pilla le pays aux bouches du Buis. Fatigué cependant de cette existence précaire qui l’assimilait aux pirates ses alliés, il songea un moment à renoncer à une lutte impossible et à chercher, loin du monde asservi, un séjour tranquille, dans les îles Fortunées (les Canaries)[26]. Mais ses soldats avaient peu de goût pour les mœurs de l’âge d’or : ils lui firent abandonner ce projet, dont il n’avait sans doute parlé que pour provoquer de leur part la résolution de combattre encore.

Les Marusiens, peuple maure, étaient alors soulevés contre leur roi Ascalis, qu’un lieutenant de Sylla avait secouru ; Sertorius battit ce prince, même ses auxiliaires, et emporta d’assaut la ville de Tingis qui commandait l’entrée de la Méditerranée et d’où l’on voyait l’Espagne. C’est là qu’il voulait retourner. Le bruit de ses succès s’y était déjà répandu, et on y ajoutait des circonstances merveilleuses : il avait, disait-on, découvert le corps du géant Antée et, seul des hommes, vu ces ossements longs de 60 coudées. Les Lusitaniens, opprimés par Annius, l’invitèrent à se mettre à leur tête ; il accepta, et, passant au travers de la flotte romaine, il descendit dans la péninsule avec mille neuf cents Romains et sept cents Africains ; les Lusitaniens lui fournirent quatre raille fantassins et sept cents cavaliers ; ce fut avec mous de huit mille hommes qu’il osa déclarer la guerre au maître du monde romain. Mais ses soldats avaient la plus entière confiance dans celui qu’ils appelaient le nouvel Annibal, dans le général qui savait trouver des ressources où d’autres n’en voyaient pas, tenir son armée dans l’abondance en de pauvres pays, ses alliés dans la fidélité tout en leur demandant beaucoup ; qui inquiétait l’adversaire par la rapidité de ses marches, et reparaissait aussi redoutable le lendemain d’une défaite que la veille d’une victoire.

Sertorius défit d’abord le propréteur de la Bétique, et un de ses lieutenants vainquit et tua le gouverneur de la Citérieure (80). Metellus, chargé par le dictateur d’arrêter ces dangereux succès, ne put amener son adversaire à une bataille (79). Sertorius, qui connaissait les passages des montagnes aussi bien que le plus habile chasseur du pays, avait adopté la manière de combattre des habitants ; ses soldats étaient prompts à la retraite comme à l’attaque. Habitués à profiter de tous les accidents du terrain, ils menaçaient l’ennemi presque en même temps, malgré leur petit nombre, en tête, en flanc et sur les derrières. Avec, sa grosse et lourde armée, Metellus ne pouvait atteindre ces agiles montagnards qui faisaient campagne sans tentes ni chariots, qui mangeaient à l’aventure, dormaient sous les étoiles, qu’on trouvait partout et qu’on n’arrêtait nulle part. Il pouvait promener sa pesante infanterie fun bout à l’autre de sa province, car les Espagnols n’osaient attaquer ses retranchements toujours construits à l’ancienne mode romaine, avec fossé et palissades ; mais, en réalité, il ne possédait rien au delà de l’enceinte de son camp et avait peine à nourrir ses troupes. Les attaques imprévues de son adversaire, ses rapides mouvements, ses bravades, déconcertaient le général méthodique. Assiégeait-il une ville, ses convois étaient coupés, et il se trouvait lui-même comme prisonnier dans ses lignes ; traversait-il un défilé, de derrière chaque rocher se levait un soldat qui lançait ses traits, puis fuyait plus léger que le vent. Sertorius donnait aux siens l’exemple de l’audace : magnifiquement armé,, on le voyait toujours aux avant-postes, se réservant les coups les plus hardis ; un jour, il provoqua Metellus en combat singulier. Les Espagnols croyaient aussi voir revivre le grand adversaire de Rome que Carthage avait envoyé à leurs pères.

Malgré l’assurance qu’il avait d’abord montrée, Metellus fut contraint d’appeler à son aide le proconsul de la Narbonnaise, L. Manlius. Il dépêcha au-devant de lui son questeur avec une division pour recevoir les trois légions et les mille cinq cents cavaliers qui allaient arriver. Sertorius prévint cette jonction : le questeur et sa division furent enlevés, et quand Manlius déboucha des Pyrénées, il fut si complètement battu, qu’il se sauva presque seul à Ilerda (Lérida). La route de la Gaule était ouverte à Sertorius, une attaque de Metellus sur Lacobriga, dans la Lusitanie, vers l’embouchure du Douro, le rappela en arrière. Le proconsul croyait avoir bien pris cette fois toutes ses mesures ; la place n’en fut pas moins secourue et les légions forcées de sortir de la province.

Malgré la présence de cette grande armée, Sertorius était véritablement maître de toute l’Espagne : il réglait les contestations des peuples et des particuliers, levait des troupes, qu’il cantonnait dans des casernes pour ne pas les rendre à charge aux habitants ; il fortifiait les villes et les passages des montagnes, exerçait les indigènes à la tactique romaine et surtout s’appliquait à gagner leur confiance. Il avait su leur persuader qu’il était en rapport avec les dieux ; une biche blanche qui toujours le suivait était l’intermédiaire : lui arrivait-il secrètement une nouvelle importante, la biche s’approchait de son oreille et lui communiquait le mystérieux message, qu’il répétait tout haut et que l’événement bientôt confirmait. Ce manège suffisait à la crédulité de ces peuples enfants.

Du reste il commandait leur respect par son attention à ne souffrir de la part des soldats romains aucune licence : un jour, il fit tuer toute une cohorte qui s’était rendue odieuse par des excès ; aussi leur dévouement à sa personne était sans réserve. Comme les chefs aquitains, il était entouré d’une troupe fidèle prête à mourir pour lui.

Ce n’était pas pourtant une armée facile à tenir en ordre, mais il y employait tous les moyens. Un jour, ses Espagnols impatients de combattre engagent l’action malgré ses ordres et sont repoussés. Le lendemain, il les réunit et fait amener deux chevaux conduits l’un par un vieillard débile, l’autre par un robuste soldat, et il commande à ces deux hommes que chacun arrache la queue de son cheval. Le soldat la saisit de ses deux mains et s’épuise en vains efforts, tandis que le vieillard tirant les crins l’un après l’autre réussit sans peine. Vous voyez, leur dit-il, que la patience vaut mieux que l’impétuosité ; les choses dont on ne saurait venir à bout tout à la fois se peuvent faire l’une après l’autre. L’armée romaine est invincible quand vous l’attaquez de front et en masse, aisée à détruire si vous l’affaiblissez en détail. Cette éloquence en action, dont Annibal s’était déjà servi, frappa l’esprit des barbares bien plus que de longs discours ; les Espagnols trouvaient à leur chef autant de sagesse qu’il avait de vaillance.

La défaite de Lépide en Étrurie valut à Sertorius un secours important (77) : Perperna passa en Espagne avec les débris considérables encore de cette armée ; il voulait agir seul, les soldats le forcèrent à se placer sous les ordres du plus glorieux des chefs marianistes. Avec lui étaient venus plusieurs sénateurs et des Romains de distinction. Sertorius en forma un sénat de trois cents membres, et, pour bien montrer qu’il était resté Romain au milieu des barbares, il n’admit aucun Espagnol dans cette assemblée, de mime qu’il leur refusait les grades élevés dans ses troupes[27]. C’était une faute, car les Espagnols avaient cru que ce Romain exilé combattrait pour eux, et ils commençaient à comprendre que marianistes et syllaniens, parti populaire et parti des grands, ne voulaient que la même chose : maintenir à leur profit la domination de Rome sur les provinces. Sertorius avait réuni à Osca (Huesca) les enfants des meilleures familles pour les instruire dans les lettres grecques et latines ; il se plaisait à suivre leurs travaux et à distribuer aux plus habiles les bulles d’or qu’on donnait à Rome aux fils des nobles. Ils avaient regardé ces soins comme un honneur, comme une promesse d’élever un jour leurs enfants aux charges de la république ; ils en vinrent à penser qu’on pouvait bien les tenir à Osca à titre d’otages de leur fidélité, et leur zèle en eût été refroidi, si Metellus n’avait débuté par des menaces et par l’établissement de nouveaux impôts. Corneille fait dire à Sertorius :

Rome n’est plus dans Rome ; elle est toute où je suis.

Le vers est beau et ce pouvait être la pensée du banni, mais il était imprudent de la trop montrer.

A la suite de ses derniers succès, Sertorius avait soulevé les Aquitains, qui battirent un proconsul et tuèrent un préteur. Il lui fut aisé d’entraîner aussi la Narbonnaise, qui récemment avait fourni des recrues à Lépide[28] et dont tous les peuples n’étaient pas encore façonnés à l’obéissance. Un de ses lieutenants alla même garder les passages des Alpes, et, de Rome, il reçut des sollicitations pressantes pour descendre en Italie, car plus d’un, jusque parmi les nobles, souhaitaient le renversement d’un ordre de choses qui, tout en servant l’oligarchie, embarrassait de trop lourdes entraves l’avidité personnelle des oligarques.

Le sénat tenait une flotte dans les eaux d’Espagne, mais elle avait fort à faire avec les pirates dont nous parlerons bientôt et qui, dans cette dissolution apparente du colosse romain, avaient pris la mer pour leur part. Alliés naturels des ennemis de Rome, ils rendaient à Sertorius tous les services réclamés d’eux. Il leur avait ouvert à la pointe la plus avancée de l’Espagne vers l’est, au triple promontoire de Diane, une forteresse qui leur servait de comptoir pour acheter les prisonniers et remiser leurs prises, de vigie[29] pour explorer au loin la mer, et courir sus aux vaisseaux de transport, de repaire où ils cachaient leurs légers navires à l’approche des gros bâtiments militaires. La situation devenait donc inquiétante : la guerre civile grondait aux portes de Rome, et l’œuvre de Sylla menaçait ruine. Malgré sa répugnance à demander de nouveaux services à Pompée, le sénat l’envoya au secours de Metellus, avec les pouvoirs proconsulaires et le gouvernement de l’Espagne Citérieure, violant ainsi la constitution syllanienne en croyant la sauver.

Pompée n’avait pas encore licencié ses troupes ; en quarante jours il eut achevé ses préparatifs, et il s’achemina vers les Alpes avec trente mille fantassins et mille cavaliers (76). Pour éviter les passages que gardaient les détachements de Sertorius et signaler les commencements de son expédition par une marche hardie, il s’ouvrit une route nouvelle probablement à travers les Alpes Cottiennes. Les cohortes espagnoles, tournées, se replièrent sur les Pyrénées, abandonnant la Narbonnaise, qui expia cruellement sa révolte : elle fut mise à feu et à sang ; l’ancien lieutenant de Sylla semblait animé de son esprit. Jusqu’à Narbonne, dit Cicéron, sa route fut marquée par des massacres. Ensuite vinrent les confiscations : des populations entières furent chassées ; les Helves et les Arécomiques perdirent une partie de leurs terres, qui servirent à récompenser la fidélité de Marseille, les Ruthènes (Rouergue) furent réunis à la Province, et quand il entra enfin en Espagne, il laissa aux Gaulois, pour les gouverner, l’homme le plus dur et le plus avide, le proconsul Fonteius[30].

Sertorius ne défendit pas les passages, il assiégeait alors Lauron (Liria ?)[31], non loin de Valence ; Pompée se vanta de le chasser aisément de ses positions, et marcha sur la ville : J’apprendrai à cet écolier, dit Sertorius, qu’un général doit regarder autant en arrière qu’en avant. Il lui enleva d’abord une légion, et l’affama dans son camp, puis battit tous ses détachements, emporta Lauron sous ses yeux, et le contraignit à retourner prendre ses cantonnements au pied du Monserrat, dans le pays des Laletans et des Indigètes, qui occupaient l’angle nord-est de la péninsule. Tels étaient les tristes résultats de la campagne si pompeusement annoncée (76).

Sertorius passa l’hiver à refaire ses troupes, qu’il exerçait sans cesse selon la vieille méthode de nos pères[32], et à fortifier sa position sur l’Èbre, pour empêcher la réunion des deux armées du sénat, celle du nord sous Pompée, celle du sud sous Metellus. Après avoir soumis quelques villes celtibériennes, dont une, Contrebia[33], l’arrêta quarante-quatre jours, il appela dans son camp les députés des villes qui soutenaient sa cause, leur exposa ses plans et obtint d’eux les moyens de renouveler son matériel et d’habiller ses soldats. Au retour du printemps, il envoya Perperna chez les Ilercaons, vers les bouches du fleuve, afin d’ôter à Pompée le moyen de s’approvisionner par mer ; lui-même remonta la vallée, pour que son adversaire ne pût tirer des vivres par le haut du pays, et il chargea deux autres de ses lieutenants, Herennius et Hirtuleius, échelonnés le long de la côte, de contenir Metellus, qui campait dans la Bétique. Malheureusement Hirtuleius fut défait par Metellus, près d’Italica[34], Perperna par Pompée, et la jonction des deux généraux devint possible. Ils se rapprochaient l’un de l’autre en suivant la côte orientale, afin de se tenir à portée de la flotte qui les approvisionnait. Pour se placer entre eux, Sertorius se jeta dans le pays difficile d’où le Xucar (Sucro) et le Guadalaviar (Turia)[35] descendent dans la riche plaine de Valence et d’Elche. Pompée, attaqué le premier, fut vaincu sur les bords du Sucro ; Sertorius comptait le lendemain l’accabler, quand Metellus parut : Sans cette vieille femme, dit-il, j’aurais renvoyé ce petit garçon à Rome, châtié comme il le mérite ; et, assignant à ses troupes un lieu de réunion, il les dispersa. La bataille de la Turia était donc moitié victoire, moitié débit, et il aurait fallu à Sertorius un grand succès pour conjurer le péril où le mettait la réunion de ces deux puissantes armées ; en réalité il était battu, puisqu’il avait échoué dans la tentative de séparer ses adversaires.

Les deux généraux se rencontrèrent près de Sagonte. À l’approche de celui qui lui était supérieur en âge et en dignités, Pompée fit abaisser ses faisceaux ; mais le vieux consulaire, connaissant la vanité de son jeune collègue, ne le voulut souffrir. La seule prérogative qu’il se réserva fut de donner le mot d’ordre quand les armées camperaient ensemble. La difficulté de faire vivre leurs troupes allait les obliger à se séparer, quand Sertorius attaqua. Sa biche, présent de Diane, avait disparu depuis la dernière bataille : des soldats la lui ramenèrent ; il acheta leur silence, et, annonçant que le retour de la messagère des dieux était le présage d’une victoire, il s’avança en couvrant sa marche pour enlever les détachements que l’ennemi enverrait au fourrage. Il tomba en effet sur une division de Pompée, assez près du camp pour que ce général pût envoyer au secours toute son armée, qui perdit six mille hommes ; mais, toujours malheureux dans ses lieutenants, il apprit que dans le même moment Perperna, attaqué par Metellus, laissait cinq mille morts sur le champ de bataille. Une attaque, essayée le lendemain sur les lignes de Metellus, prés de Sagonte, ne réussit pas. Il renvoya encore la plus grande partie des siens, en leur fixant un rendez-vous, ce qui le dispensait d’avoir un trésor et des magasins ; avec le reste, il regagna les montagnes et se porta sur le flanc droit de I’armée combinée, pour gêner ses mouvements, en la menaçant toujours, tandis que les pirates ses alliés couperaient les convois qui pouvaient lui arriver par mer. L’hiver approchait, Metellus alla prendre ses quartiers dans la Bétique[36].

Pompée, plus confiant, marcha sur Sertorius, mais ses légions, épuisées par le froid, par la faim et par des combats continuels, ne gagnèrent qu’en désordre le pays des Vaccéens (75).

Le monde romain était alors singulièrement troublé. Laguerre faisait rage partout, sur terre et sur mer, en Asie, en Thrace[37], en Espagne, tout la long des côtes, où l’on redoutait à chaque instant de voir arriver les pirates et, avec eux, le pillage, l’incendie, le rapt. La nature même était pleine de menaces. Une peste sortie d’Égypte frappait les animaux ; la ruine du bétail et des attelages avait amené celle de l’agriculture, durant trois années la famine décima les populations. Le sénat épuisait les ressources du trésor à combattre ces misères, sans venir à bout de nourrir ses armées, et, dans la ville, le peuple, qui avait faim, faisait des émeutes ; le consul Cotta, un honnête homme, faillit y périr. Il avait osé leur dire : Eh pourquoi donc seriez-vous à l’aise dans Rome, pendant que les armées souffrent ? Celle de Pompée était sans solde depuis deux ans, et elle était menacée d’être bientôt sans pain. Il écrivit au sénat une lettre menaçante et fière où on lisait : J’ai tout épuisé, mon bien et mon crédit, et vous, dans ces trois campagnes, vous nous avez donné à peine la subsistance d’une année. Pensez-vous donc que je puisse suppléer au trésor ou entretenir une armée sans vivres et sans argent ?... Vous connaissez nos services et, dans votre reconnaissance, vous nous donnez l’indigence et la faim. C’est pourquoi je vous avertis et je vous prie d’y réfléchir, ne me forcez pas à ne prendre conseil que de la nécessité... Je vous le prédis, mon armée et avec elle toute la guerre d’Espagne passeront en Italie. Malgré le ton de cette lettre, le consul Lucullus, qui craignait que Pompée ne vint lui disputer le commandement de la guerre contre Mithridate, se hâta de lui envoyer du blé, de l’argent et deux légions.

Mithridate suivait d’un œil attentif tous ces mouvements. Depuis la mort de Sylla, il était décidé à reprendre les armes ; les succès de Sertorius lui promettant une utile diversion, il envoya offrir à ce général quarante navires et 3.000 talents : il demandait la cession de l’Asie. Sertorius ne consentit qu’à l’abandon de la Cappadoce et de la Bithynie. Nos victoires, disait-il à ses conseillers, doivent agrandir et non diminuer l’empire de Rome. — Que nous commandera donc Sertorius, répondit le prince, quand il sera à Rome, si, proscrit, il nous fait de telles conditions ? Cependant il accepta, et Sertorius lui envoya un de ses officiers, Varius, avec quelques troupes. Les pirates devaient servir de lien entre les deux alliés. Heureusement pour la république, tout se borna à ces ambassades. Les pirates étaient une force indisciplinable, et, à cette distance de 1000 lieues, Sertorius et Mithridate ne pouvaient rien concerter.

Cette alliance avec un ennemi de Rome servit de prétexte à Metellus pour mettre à prix la tête de Sertorius : il promit au meurtrier 100 talents et 2.000 jugera sans ébranler la fidélité d’un seul des gardes du proscrit. Après la bataille de Sagonte, fier d’avoir vaincu là oui son jeune rival avait éprouvé un revers, il avait pris le titre d’imperator, demandé aux villes des couronnes d’or et à tous les poètes de la province des chants pour célébrer ses hauts faits.

Dans le sud et l’est de la péninsule presque tous les peuples reconnaissaient l’autorité, des généraux de la république ; mais rien n’était décidé tant que ceux-ci n’avaient pas abattu le grand homme de guerre qui, avec Annibal et César ; résume en lui toute la science militaire de l’antiquité. Les deux proconsuls se décidèrent à pénétrer dans la vallée de l’Èbre supérieur, pays difficile, population à la tête aussi dure que ses montagnes et attachée à celui qui, malgré tout, semblait être le défenseur de l’indépendance espagnole. Metellus et Pompée refoulèrent Sertorius devant eux et crurent un jour l’avoir cerné au bord du Bilbilis grossi par les orages. Mais il y trouva un passage, fit, en avant du gué, un grand abatis d’arbres disposé en demi-cercle et y mit le feu pendant que sa troupe passait[38]. Les Romains, quelque temps arrêtés par cet obstacle d’un genre nouveau, continuèrent la poursuite sur l’autre bord et si vivement, que Sertorius faillit être pris à la porte de Calagurris (Calahorra). Les Espagnols l’enlevèrent sur leurs épaules et se le passèrent de l’un à l’autre jusqu’à la muraille[39], tandis qu’en arrière les dévoués, qui formaient sa garde, se faisaient tuer en contenant l’ennemi.

Au bout de quelques jours, Sertorius sortit de la ville, malgré la vigilance des assiégeants, retrouva ses bandes au lieu qu’il leur avait fixé pour rendez-vous, et recommença ses continuelles attaques sur les derrières et sur les flancs des légions romaines toujours présent et insaisissable. Les proconsuls, ne pouvant plus nourrir leurs troupes, furent contraints de se retirer, Metellus sur l’Ultérieure, Pompée jusqu’en Gaule, où il prit ses quartiers d’hiver (74).

De sérieux périls étaient à craindre de ce côté. Les Gaulois de la province ne voyant pas finir la guerre d’Espagne avaient repris les armes et s’étaient jetés sur Marseille et Narbonne que Fonteius avait eu peine à sauver. Il fallut que Pompée employât l’hiver à étouffer une révolte qui coupait ses communications avec l’Italie et empêchait la Narbonnaise d’approvisionner ses légions.

Les événements militaires des années 73 et 72 sont inconnus. S’il faut en croire des récits propagés par ses adversaires, Sertorius aurait perdu dans la mollesse et les débauches cette activité qui jusqu’alors avait fait sa force. L’envie et la haine veillaient autour de lui. Les sénateurs qu’il avait recueillis se voyaient, avec dépit, forcés d’obéir à un parvenu. Ils prirent à tâche de le rendre odieux en accablant, sous son nom, les Espagnols d’exactions. Tout cela est peu vraisemblable. Cette mollesse, ces débauches qui apparaissent tout à coup dans la vie de ce rude soldat sont suspectes, et il n’était pas homme à laisser commettre des dilapidations dont ses projets eussent souffert. Mais quelques-uns de ces bannis, trouvant qu’ils avaient fait assez de sacrifices à leur cause, cherchaient une occasion de conclure leur accommodement, fut-ce aux dépens du vaillant chef qui les avait sauvés. Et puis, la guerre finissait par lasser, même les Espagnols ; la charge de nourrir et d’habiller l’armée libératrice paraissait bien lourde ; des signes de mécontentement se montrèrent : Sertorius les réprima avec dureté, et, aigri par cette résistance inattendue, rendu soupçonneux, parce qu’il se crut entouré d’invisibles ennemis, il se laissa aller à des actes qui lui aliénèrent davantage les esprits. Plusieurs des enfants retenus à Ossa tirent vendus ou égorgés. Un chef proscrit qui se défend par des supplices est à demi vaincu. Une conspiration se forma, Perperna en était le chef : ils l’assassinèrent ait milieu d’un festin.

Perperna, qui prit sa place, n’avait ni ses talents ni la confiance des troupes : il n’éprouva que des revers et tomba entre les mains de Pompée. Pour racheter sa vie, il offrit de livrer les lettres des grands de Rome qui avaient invité Sertorius à passer en Italie. Pompée pensait déjà à rompre avec le sénat ; il ne voulut pas abandonner à ses vengeances des hommes dont il allait faire ses amis, il brûla les lettres sans les lire et fit égorger le traître ; les autres assassins finirent de même, un seul excepté, qui, caché dans un village barbare, y vécut misérablement, haï et méprisé de ses hôtes. Plutarque aime ces histoires de vengeance divine, et il a raison : le crime trame après lui son châtiment bien plus souvent qu’on ne pense.

Cependant il coula encore beaucoup de sang avant que le repos fût rendu à l’Espagne. Les chefs indigènes, qui, en s’associant à Sertorius n’avaient combattu que pour eux-mêmes, se jetèrent dans les plus fortes places, et s’y détendirent une année avec l’acharnement, que, dans les sièges, les Espagnols ont de tout temps montré : à Galagurris ils égorgèrent les femmes, les enfants et se nourrirent des cadavres conservés dans le sel[40].

Après la mort de Sertorius, Metellus avait regagné l’Italie, les dernières opérations de cette guerre furent donc conduites par Pompée, qui parut seul l’avoir achevée et qui en retira toute la gloire. Dans la réorganisation des deux provinces, il fonda l’influence qu’il eut depuis en ce pays où il existe encore plusieurs ares de triomphe auxquels la tradition a attaché son nom. Il accorda à beaucoup d’Espagnols qui l’avaient servi le droit de cité ; chez les Vascons, il bâtit une ville de son nom, Pompelon (Pampelune) ; et, dans la vallée supérieure de la Garonne, il fonda pour les débris des bandes de Sertorius celle de Lugdunum Canvenarum (Saint-Bertrand de Comminges)[41]. Enfin sur la dernière crête des Pyrénées, il éleva un trophée fastueux dont l’inscription portait que, depuis les Alpes jusqu’au détroit d’Hercule, il avait pris huit cent soixante-seize villes.

Une nouvelle guerre attendait en Italie le vaniteux général ; Crassus l’appelait contre les gladiateurs, comme Metellus l’avait appelé contre Sertorius.

 

 

 

 



[1] Aux chapitres XXXV et XXXVI.

[2] Meurtre de Tiberius, 133 ; de Caius, 121 ; de Saturninus, 100 ; de Drusus, 91 ; de Sulpicius et des amis de Marius, 88 ; proscriptions de Sylla, 82.

[3] Le mot est de Cicéron ; mais il avait l’éloge aussi facile que l’invective : Catulus refusa à Caton la condamnation d’un greffier coupable et voulut acheter à César la candidature au grand pontificat. Cf. Plut., dans Cato minor et dans Cæsar.

[4] Né le 99 septembre 106, Pompée avait l’âge de Cicéron. On place ordinairement la naissance de César en l’année 100. Dans ce cas, nommé, en janvier 86, flamine de Jupiter, il n’aurait eu alors que treize ans et quelques mois : ce qui est bien peu pour un pontificat. Son édilité est de l’année 65, et, d’après la lex annalis, on ne pouvait y arriver qu’à trente-sept ans. César aurait eu cet âge, s’il était né en 102. En plaçant sa naissance à cette date, il se serait trouvé dans les conditions requises pour la préture, qu’il eut en 62, à quarante ans, et pour le consulat, qu’il géra en 59, à quarante-deux ans révolus. Or, de 82 à 49, la loi de Sylla sur les magistratures fut rigoureusement observée, excepté pour Pompée en 70 et en 52 ; on verra plus loin les motifs de cette double exception. Lorsque César rentra dans Rome, en avril 49, il se donna lui-même sur les monnaies cinquante-deux ans révolus. Cf. Cohen, Monn. consul., pl. XX, gens Julia ; les pièces numérotées 14, 15 et 16 portent le chiffre 52.

[5] Diodore, XXXVIII, 9.

[6] Id., ibid. Cf. Plutarque, Pompée, 2. Lucullus avait rapporté de Cérasonte le cerisier ; Pompée rapporta d’Orient l’usage des moulins à vent et des moulins à eau, qui remplacèrent les moulins à bras, seuls connus en Italie, et il fit traduire en latin par un de ses affranchis les ouvrages des Grecs sur la médecine.

[7] A l’assaut du camp de Domitius, il voulut combattre sans casque. (Plutarque, Pompée, 11.)

[8] Voyez dans les fragments de Salluste, un discours violent que cet historien prête à Lépide et qui se termine par un véritable appel aux armes ; s’il n’est pas de Lépide, on peut le regarder comme répondant à ses sentiments.

[9] Il ne le nomma point dans son testament.

[10] Appien, Bell. civ., I, 107.

[11] II in Verrès, III, 91.

[12] Sa maison, dit Pline, était alors la plus belle de Rome ; mais si rapides furent les progrès du luxe, que, trente-cinq ans après, plus de cent la dépassaient en magnificence. (Hist. nat., XXXVI, 24, 4.)

[13] Lépide fit, durant son consulat, une de ces inutiles lois somptuaires que la jalousie démocratique imposait et qu’on n’exécutait pas. Il défendit de servir dans les repas ni coquillages ni oiseaux étrangers, et fixa les choses qu’il serait permis de manger, aussi bien que la manière de les apprêter. (Pline, Hist. nat., VIII, 27 ; Aulu-Gelle, Noct. Att., II, XXIV, 12 ; Macrobe, Saturnales, III, XVII, 13.)

[14] Granius Licinianus, Fr. ex lib. XXXVI, ad ann. 78 : nullo resistente, ut annonæ quinque modii populo darentur. Cette loi fut sans doute abolie, quand il eut été déclaré ennemi public, car le rétablissement de la distribution des 5 modii date de l’an 73. Cf. Salluste, Fragm., et Cicéron, II in Ver., III, 70.

[15] L’inscription que le sénat y fit graver existe encore : Q. Lutatius. Q. F. Q. N. Catulus Cos. substrudionem et tabularium ex sen. cons. faciundum curavit.

[16] Pline, Hist. nat., XXXIII, 18, et XXXIV, 19.

[17] Cicéron, II in Ver., IV, 33. Elle s’appelait Chelidone, qui est le nom grec de l’hirondelle.

[18] Val. Maxime, II, 46 ; Pline, Hist. nat., X, 6.

[19] Cependant, en 77 et 76, il commença la guerre contre les syllaniens en accusant deux d’entre eux, Cn. Dolabella, ancien gouverneur de la Macédoine, et Antonius, qui avait horriblement foulé la Grèce. En prenant ce rôle d’accusateur, César ne faisait que suivre l’exemple des jeunes nobles, qui débutaient toujours ainsi ; mais le chois de ses victimes montre ses rancunes.

[20] L’ordonnance générale de ce discours n’est pas aussi savante que celle des harangues de Salluste, on y voit un certain désordre naturel à l’improvisation, mais on y trouve aussi des phrases sentencieuses et concises qui doivent être des interpolations de l’historien.

[21] Ce discours convient parfaitement à la situation de Rome avant la première bataille ; les mots exercitu rursus admolo le font mettre d’ordinaire après le combat du pont Milvius. Mais il se comprend mal alors, et rursus doit être une interpolation. Quant à la mention qui y est faite de l’interroi, cela prouve seulement que l’année consulaire était révolue et que, les élections n’ayant pu se faire par suite du refus de Lépide de venir à Rome pour les comices, il avait fallu recourir à des interrois.

[22] C’est la loi dont Cicéron se servira contre Catilina. (Pro Cælio, 29.)

[23] Ce roc, qui a 7 milles de long sur 4 de large, doit son nom à des mines d’argent anciennement exploitées.

[24] Aulu-Gelle, Noct. Att., XV, XXII ; Suétone, César, 5.

[25] Aujourd’hui Iviça et Formentera, sur la côte d’Espagne, à 700 stades du promontoire de Diane. (Pline, Hist. nat., III, 5.)

[26] Plutarque, Sertorius, 8 ; Florus, III, 22.

[27] Nous faisons de même en Algérie avec les indigènes qui servent sous nos drapeaux.

[28] César, Bell. Gall., III, 20, et Fragm. de Salluste. Il y avait de fréquentes agitations dans cette province : vers 90, soulèvement des Salluvii (Tite-Live, Épit., LXXIII) ; en 83, il est question de Gaulois battus par Val. Flaccus. La date de la défaite et de la mort du préteur Valerius Præconinus est incertaine. M. Desjardins (op. laud.) la met avec raison vers ce temps.

[29] C’était un ancien établissement des Massaliotes, qui avaient construit trois tours dont la plus élevée était justement appelée τό Ήμεροσxοπεϊον, mot qui signifie le lieu où est placée ta sentinelle de jour. (Strabon, III, 159.)

[30] Un fragment de Salluste, le n° 569, cite, à l’occasion du séjour de Pompée dans la Narbonnaise, la réunion de l’assemblée provinciale. Nous retrouvons partout cette institution dont nous avons signalé l’importance.

[31] On a trouvé près de Liria un Nymphée et une inscription portant qu’un Sertorius et sa femme Sertoriana Festa ont contribué à la construction de ce Nymphée in honorera Edetanorum et patronorum suorum (C. I. L., t. II, n° 3786). Ce Sertorius Euporistus Sertorianus était l’affranchi de quelque Espagnol, dont un des aïeux avait pris le nom du grand général qui lui avait donné la cité romaine. Il est question, au n° 3744, d’un affranchi d’un autre Sertorius. La concession du jus civitatis était une prérogative du souverain, c’est-à-dire du peuple romain ; mais les généraux s’étaient attribué le droit de disposer dans les provinces de cette récompense, comme nos généraux dans les expéditions lointaines peuvent, par délégation spéciale, conférer certains grades et décorations. Ainsi avaient fait Marius et Pompée, dont les actes furent ratifiés par une loi. (Cicéron, pro Balbo, 8.) Après la pacification de l’Espagne, certaines concessions de Sertorius auront été confirmées ou l’usage les fit accepter.

[32] Salluste, Fragm., 250.

[33] Le récit d’une partie de ce siège se trouve dans un fragment du livre XCI de Tite-Live retrouvé, au dernier siècle, sur un palimpseste du Vatican.

[34] Les hommes de ce temps, même les meilleurs, faisaient bon marché de la vie des autres. Sertorius tua d’un coup de poignard le courrier qui lui apportait la nouvelle de la défaite d’Hirtuleius, pour l’empêcher d’en répandre le bruit dans le camp. (Frontin, Strategem., II, 7, 5.)

[35] La Turia ou Guadalaviar, qui se jette à la mer près de Valence, traverse, à quelques lieues de cette ville, une brèche dont les murailles à pic ont 600 pieds de haut sur 30 de large.

[36] Plutarque (Sert., 21) fait hiverner Metellus dans la Narbonnaise, ce qui est invraisemblable. La lettre de Pompée, qu’il a mal comprise, dit seulement que cette province fournit à Metellus du blé et la solde de son armée. Metellus en tira aussi d’Afrique, d’où Balbus lui ramena un convoi. (Cicéron, pro Balbo, 2.)

[37] Pendant toute la durée de la guerre de Sertorius, le sénat eut à entretenir, dans la péninsule orientale, jusqu’à cinq légions contre les Dalmates, les Thraces et les montagnards de l’Hæmus (Balkans). Ces luttes meurtrières, sans profit, et sans gloire, furent momentanément terminées par un frère de Lucullus, qui poussa jusqu’au Danube et à l’Euxin (72-71). La Macédoine y gagna un peu de repos sur la frontière du nord et de l’est, et la via Egnatia, que Cicéron appelle notre voie militaire, plus de sécurité pour les convois allant d’Europe en Asie.

[38] Frontin, I, 5, 1.

[39] Plutarque (Sert., 14) cite le fait sans nommer la ville où il eut lieu.

[40] Quoque dudius armata juventus sua viscera visceribus suis aleret, infelices cadaverum reliquias sallire non dubitavit (Val. Maxime, VII, VI, 3).

[41] Les limites de la Narbonnaise peuvent donc être marquées par Lugdunum Convenarum, Toulouse, le pays des Ruthènes provinciaux et le cours du Rhône jusqu’à Genève. Cicéron témoigne dans le pro Fonteio que les Italiens accoururent en foule en ces riches pays, où César trouvera de grandes ressources.