HISTOIRE DES ROMAINS

 

SIXIÈME PÉRIODE — LES GRACQUES, MARIUS ET SYLLA (133-79) - LES ESSAIS DE RÉFORME

CHAPITRE XLII — LA GUERRE SOCIALE.

 

 

I. — CONDITION DES ITALIENS.

Pour dompter les peuples de l’Italie, Rome avait profité de ces haines municipales qui empêchèrent toujours les villes de concerter leur résistance ; pour assurer leur obéissance après la victoire, elle avait encore accru par l’inégalité des conditions qu’elle imposa, les vieilles jalousies nées de la diversité des origines, des idiomes et des cultes. Ce plan réussit, et nous avons vu la fidélité des Italiens résister aux plus dangereuses épreuves. Mais les alliés eurent le sort des plébéiens : tant qu’on les crut nécessaires, on les respecta ; dès qu’ils devinrent inutiles, ils furent méprisés.

Les grands, qui avaient des alliances avec toute la noblesse des cités latines, l’avaient attirée à Rome, en stipulant que celui qui aurait exercé une charge municipale, ou qui laisserait dans sa ville un enfant pour le représenter, acquerrait le jus civitatis en venant habiter Rome[1]. Quand tous les nobles des municipes les eurent ainsi quittés, on s’inquiéta peu de la foule obscure qui y était restée. Les traités qui réglaient leurs privilèges, les distinctions établies entre leurs villes, furent oubliés. Ceux qui n’avaient plus souci, à Rome, du peuple-roi, pouvaient-ils respecter davantage les droits des vaincus ? Une commune oppression effaça donc moralement toute différence ; et, bien que les noms de colonies, de municipes, de préfectures, etc., subsistassent toujours et répondissent à des distinctions réelles, il n’y avait, à vrai dire, au point de vue politique, dans toute la péninsule, que deux grandes divisions, les citoyens romains et ceux qui ne l’étaient pas[2].

Dans l’enceinte de la frontière romaine était la légalité (legitima judicia) ; au delà, l’arbitraire et le despotisme (dominium). Préneste était libre, et les traités lui garantissaient une complète indépendance. Cependant un simple particulier, Postumius, venu dans cette ville pour sacrifier dans le temple de la Fortune, s’irrita de n’avoir pas été reçu par les habitants avec assez d’honneurs et se vengea, étant consul, en leur imposant des corvées onéreuses et humiliantes[3].

Locres était fédérée, et l’on sait quelle conduite y tint Pleminius[4]. Calès, Teanum, Ferentinum, étaient d’anciennes colonies, des villes municipales, et voici ce que Caïus Gracchus racontait du haut de la tribune : Dernièrement notre consul étant à Teanum, sa femme voulut aller aux bains des hommes. Le questeur de la ville chargea Marius de les faire aussitôt évacuer mais il y eut quelque retard. La matrone s’indigna, et le consul ordonna à ses licteurs de saisir Marius, d’arracher ses vêtements, de le lier à un poteau, au milieu de la place publique, et de le battre de verges, lui, le premier citoyen de la ville. À cette nouvelle, les habitants de Calès défendirent par un édit l’entrée des bains, tout le temps qu’un magistrat romain serait dans leur ville. À Ferentinum, pour le même motif, notre préteur ordonna l’arrestation des questeurs. L’un se précipita du haut des murs, l’autre fut pris et battu de verges.

L’usage des légations libres causait aux alliés de grandes dépenses. Tout sénateur voyageant pour son plaisir ou ses affaires obtenait une mission, c’est-à-dire le droit de faire payer aux alliés les frais de son voyage. heureux quand ils n’avaient pas, en outre, a souffrir de ses caprices out de son orgueil. Un homme de Venouse, disait encore Caïus, rencontra, il y a quelques années, un jeune homme voyageant dans une litière. Est-ce que vous portez un mort ? demanda-t-il en riant aux esclaves. Ce mot lui coûta la vie, il périt sous le bâton. Pour un Romain le mot de ce rustre était de mauvais augure, et le voyageur avait détourné le présage, en le, faisant expier par celui qui en était l’auteur involontaire. Dans une ville alliée que Caton ne nomme pas, un consulaire, Q. Thermus, sous prétexte de quelque négligence,, dans le soin des vivres qui lui étaient destinés, fit publiquement battre de verges tous les magistrats, des hommes de bonne maison pourtant et de grande vertu ! Et quel ressentiment, s’écriait le prudent censeur, ne croyez-vous pas qu’ils en gardent, eux et leurs concitoyens, témoins de tant d’outrages ?[5]Mais, dit Cicéron, nous aimons mieux inspirer la crainte que l’affection[6]. — En 183, les habitants de Naples et ceux de Nola se disputaient un territoire : le consul Q. Fabius Labeo, pris pour arbitre, assigna les terres contestées au peuple romain : c’était peut-être juste suivant le droit ; c’était d’une souveraine iniquité suivant la politique[7].

De pareils faits ne se passaient ni en tous lieus ni chaque jour. Sur mille points, au contraire, les rapports entre citoyens et alliés étaient excellents, et les traités onéreux ne s’exécutaient pas à la lettre, d’abord parce qu’aucune autorité n’était expressément chargée de veiller à leur exécution ; ensuite parce que, l’intérêt public qui les avait imposés à l’origine paraissant n’exister plus, les intérêts privés se donnaient libre carrière dans les transactions primitivement interdites. Un jour, entre deux batailles, les troupes italiennes et celles de Rome fraternisèrent un instant comme des parents et amis qui se seraient rencontrés[8]. Mais quelques excès commis çà et là suffisaient à faire comprendre qu’ils pouvaient être commis partout, et beaucoup d’Italiens se disaient que les mieux partagés d’entre eux n’avaient pas de garantie contre l’arbitraire d’un magistrat ou contre l’insolence d’un citoyen. Les pouvoirs publics montraient eux-mêmes qu’ils ne prenaient pas au sérieux l’indépendance des alliés. Le décret du sénat sur les Bacchanales viola leur liberté religieuse, comme les plébiscites de Didius et de Sempronius, sur les dépenses des festins et sur l’usure, violaient leur liberté civile[9]. Pour tous, il était évident qu’il n’y avait en Italie, malgré la diversité des titres, qu’un peuple souverain et un peuple sujet, l’un exploitant l’autre.

Depuis la destruction de la classe moyenne à Rome, c’était en effet sur les Italiens que retombait tout le poids des guerres entreprises par la république ; leurs soldats, doubles en nombre des soldats romains, étaient honteusement exclus des légions, quelquefois du pillage et des distributions qui suivaient les triomphes[10] ; du moins ne leur était-il accordé qu’une part inférieure à celle des légionnaires. Ils avaient l’égalité des sacrifices, du dévouement et de la mort, mais non celle des honneurs et des récompenses. Leurs chefs mêmes étaient Romains, et cependant les plus grands généraux de Rome, Marius et Scipion, les préféraient aux légionnaires Leur sang avait payé la conquête du monde, et dans l’exploitation du monde rien ne leur était laissé. En droit, la plupart d’entre eux ne pouvaient ni commercer ni acquérir hors dut petit territoire de leur municipe. Le préteur refusait de reconnaître à leur propriété le caractère inviolable de la propriété quiritaire[11], à leur qualité de chef de famille la puissance paternelle, à leur titre de citoyen municipal le droit d’appel et celui d’exil volontaire. Celui qui pouvait s’écrier Civis Romanus sum, voyait dans la province s’arrêter la justice, et à Rome la loi perdre sa sévérité. Coupable des plus grands crimes, il en était quitte pour s’exiler aux portes de la ville[12]. L’Italien condamné périssait sous les verges[13]. L’un ne payait pas d’impôt et vivait de son vote, de son témoignage ou des distributions ; l’autre, loin de recevoir, dépensait pour solder et entretenir les contingents alliés[14]. On ne leur laissait pas même la jouissance des biens que la nature leur avait donnés. Défense leur était faite d’exploiter ces mines[15] qui avaient enrichi l’Étrurie, et ils ne pouvaient tirer la pierre ou le marbre de leurs carrières qu’en payant un droit. C’est sur les provinces que pesait surtout l’avidité des publicains ; cependant le portoricain ou droit de péage existait en Italie, et les publicains en étaient les fermiers ; enfin les lois agraires devaient rendre l’aisance aux prolétaires de Rome ; elles dépouillaient l’Italien.

Les alliés, que ni la langue ni les mœurs ne distinguaient des Romains, n’avaient donc pas les profits de la conquête ni les honneurs militaires ; ils n’avaient pas les privilèges politiques ni les droits civils des citoyens. Le descendant d’un affranchi était plus que tel glorieux soldat qui avait aidé un consul à vaincre. Aussi beaucoup d’Italiens aspiraient-ils à ce titre qui libérait d’impôt, ouvrait la carrière des honneurs et faisait monter au rang des maîtres du monde. Cependant toutes les prérogatives du citoyen de Rome n’étaient pas également enviées : qu’importait aux pauvres, même à la bourgeoisie de Venouse ou d’Ariminum, le droit de voter au Champ de Mars et de faire un consul ? Pouvaient-ils, à chaque nundine, couvrir les routes et faire le voyage de Rome ? Les droits politiques n’auraient donc été pour eux qu’un inutile privilège. Il n’en était pas de même des droits civils renfermés dans le jus civitatis.

Les alliés avaient sans doute leurs lois particulières qui réglaient équitablement leurs rapports entre eux. Mais les citoyens romains formaient alors une partie considérable des habitants de la péninsule. Ils avaient, avec les alliés, de fréquentes relations d’affaires, où se montrait à chaque instant l’infériorité de l’Italien, blessé non seulement dans son amour-propre mais dans ses intérêts. Les ravages de la seconde guerre Punique, la ruine de l’agriculture, la diminution de la classe des petits propriétaires, avaient laissé une grande quantité de terres en friches et sans maîtres. Or celui qui avait légitimement la possession juridique d’une chose (civilis possessio) pouvait, s’il était citoyen, la convertir en propriété quiritaire, par l’accomplissement de certaines conditions déterminées, ou par une possession non interrompue d’une année pour un meuble, de deux ans pour un immeuble. S’il n’était pas citoyen, jamais la possessio ne se changeait en dominium, et il pouvait toujours être expulsé de son fonds : adverses hostem æterna, auctoritas. Par la rei vendicatio, le propriétaire quiritaire revendique son bien ; par la negatoria actio, il peut le défendre contre quiconque met obstacle à son droit, en prétendant user d’une servitude acquise[16]. Mais celui-là seulement qui avait le dominium était placé sous la protection de ces deux actions, et le dominium n’appartient qu’au citoyen. Dans les rapports judiciaires du créancier et du débiteur, le jus civile accordait une action au créancier contre le débiteur, pour obtenir la prestation déterminée entre eux. Mais les obligations naturelles fondées sur le jus gentium, c’est-à-dire en dehors de la protection du droit civil romain, n’assuraient au créancier aucune action contre le débiteur. Entre Romains et Italiens les mariages étaient fréquents ; toutefois les conséquences légales de ces unions ne compétaient pas à ceux des alliés qui n’avaient ni le jus connubii ni le jus commercii ; ils ne pouvaient hériter d’un citoyen ni lui acheter, ou du moins ces actes n’étaient plus couverts de l’énergique protection que leur donnait la loi romaine, quand ils avaient eu lieu de citoyen à citoyen. Leur liberté enfin n’avait pas la garantie de l’appel au peuple, ni leur vie celle des lois Porcia et Sempronia[17].

Longtemps il n’y eut cependant de la part des Italiens, pour l’obtention du droit de cité, que des efforts individuels. En 187, on trouva douze mille Latins qui s’étaient établis à Rome et avaient donné leurs noms aux censeurs[18] : le sénat les chassa. D’autres eurent recours à la fraude : par une vente simulée, ils livraient leurs enfants à un citoyen qui les affranchissait aussitôt. En 477, une nouvelle enquête fit connaître un grand nombre d’étrangers ainsi entrés dans la cité par la baguette du préteur et avec le bonnet d’affranchi. Le sénat les renvoya encore et défendit ces ventes fictives[19], mais sans succès. Fréquemment les villes latines se plaignaient d’être abandonnées de leurs concitoyens : la fuite à Rome laissant retomber sur ceux qui restaient le poids plus lourd de l’impôt et du contingent, que le sénat ne diminuait pas. Ce mouvement des habitants du Latium vers Rome se communiqua au reste de l’Italie. En 177, les Samnites et les Péligniens demandèrent qu’on renvoyât dans leurs foyers quatre mille de leurs compatriotes qui s’étaient établis à Frégelles, ville latine, pour y jouir des privilèges du nom latin et passer de là dans Rome[20].

Ainsi les alliés se glissaient un à un dans la cité ; un événement inattendu généralisa ces dispositions. La plus grande partie de l’Italie était devenue, par le fait de la conquête, domaine publie. De là une immense quantité de terres vagues occupées, autour de Rome et dans les régions les plus fertiles, par les nobles Romains ; mais aussi, dans les contrées éloignées ou écartées des grands chemins, par les Italiens. Quand la reprise de la loi agraire par les Gracques eut effrayé les détenteurs de terres publiques, tous les Italiens se trouvèrent réunis par un même et pressant intérêt, et ils n’eurent d’autre alternative que d’empêcher la loi de passer en réunissant leurs efforts à ceux des riches de Rome ; ou, en obtenant le droit de cité, de contraindre le peuple à partager avec eux. Ce motif, le désir depuis longtemps conçu d’obtenir les droits civils des Quirites et l’égalité avec le peuple souverain, le besoin de se mettre sous ce titre à l’abri du despotisme des magistrats, enfin la légitime ambition d’hommes comme Papius et Pompedius, qui sentaient leurs talents et qu’on enfermait dans les charges obscures d’un municipe marse ou samnite, amenèrent l’explosion longtemps contenue. Elle fut terrible, car ce n’était plus la révolte mal concertée de quelques cités, hier ennemies et qui demain le redeviendront, lisais le réveil d’une nation.

En menant ses alliés à la conquête du monde, en tenant pendant deux siècles réunis sous ses enseignes : Étrusques, Samnites, Grecs et Ombriens ; en opposant, par d’importants privilèges, les habitants du sol italique aux habitants du sol provincial, Rome, à son insu, avait en effet formé ce que la France a contribué à faire des Italiens de nos jours, un grand peuple. — Quatre-vingts colonies répandues dans la péninsule y avaient porté[21] le sang, la langue, les mœurs de la race latine, sans v avoir étouffé cependant les idiomes indigènes ni les anciens souvenirs. Les diversités originelles s’étaient effacées, en même temps que l’oppression effaçait les diversités politiques. Par la communauté des intérêts et des souffrances, Rome avait réuni au-dessous d’elle tous les Italiens ; et, par elle, ils s’étaient reconnus tous frères. L’idée d’une patrie commune s’était peu à peu formée ; Scipion Émilien en avait prononcé le nom, et cette parole avait été entendue : du Pô au détroit de Messine, un long tressaillement y avait répondu.

Nous avons dit quels furent peut-être les secrets desseins de Scipion et quel rôle les Italiens devaient y jouer ; sa mort arrêta tout ; après lui, le patronage des alliés passa aux chefs populaires. Les promesses de Fulvius amenèrent le soulèvement des Frégellans, que ce consul fut contraint d’abandonner pour une guerre dans la Gaule transalpine dont le sénat lui imposa la conduite. Caïus n’eut ni le temps ni le pouvoir de mener à bonne fin le vaste plan qu’il avait conçu. Marius ne proposa aucune réforme, mais il enrôla un grand nombre d’alliés dans ses légions, et il encouragea les espérances de tous, en donnant sur le champ de bataille de Verceil le droit de cité à mille Ombriens et à des habitants d’Iguvium et de Spolète[22]. On lui reprochait cet acte comme un empiétement sur la souveraineté du peuple. Le bruit des armes, dit-il, m’a empêché d’entendre la loi[23]. Autour de Saturninus, des Italiens avaient prononcé le nom de roi ; la mort de ce tribun, la réaction aristocratique qui suivit l’exil de Marius, trompèrent encore une fois leurs espérances, et les consuls de l’année 95 portèrent au comble l’exaspération des alliés, en chassant de la ville tous ceux qui s’y étaient fixés (loi Licinia-Mucia)[24]. Ce décret d’expulsion n’était pas le premier : nous avons parlé de ceux des années 187 et 177 ; plus récemment, le séjour de Ronce avait été interdit aux alliés, et l’on avait vu en l’année 125 le vieux père du consul Perperna repoussé, comme intrus, de la ville où son fils avait envoyé un roi prisonnier. Briser ainsi des habitudes établies, des affaires commencées, c’était vouloir la ruine de beaucoup, la haine de tous. Les Italiens sortirent de Rome en emportant au fond du cœur le besoin de se venger enfin de tant d’humiliations. Drusus essaya de les réconcilier avec Rome ; sa mort les décida à recourir aux armes, et deux historiens latins reconnaissent que leur cause avait pour elle la justice[25]. Les Marses se mirent à la tête du mouvement ; l’âme de la guerre fut leur compatriote, Pompedius Silo.

 

II. — PREMIÈRE ANNÉE DE LA GUERRE SOCIALE (90).

La lutte que nous avons maintenant à raconter est une guerre étrange qua ne ressemble à aucune autre de l’antiquité. Elle fut épouvantable, malgré sa courte durée ; elle versa plus de sang que l’Italie n’en avait encore répandu ; et cependant aucun des deux adversaires ne voulait, suivant l’usage antique, la ruine de l’autre. Les Italiens, quelques chefs mis à part, ne se proposaient pas de détruire Rome, ni Rome d’exterminer les populations italiennes ; et, la guerre finie, les victorieux accordèrent aux vaincus ce que ceux-ci avaient demandé avant la première bataille.

Avec Drusus, les alliés avaient cru toucher au but ; après l’avortement de ses projets et la réaction sanglante qui, de Rome, allait certainement s’étendre à l’Italie entière, il ne leur restait qu’à combattre. Déjà, au temps de la guerre des Cimbres, ils avaient hésité à fournir le contingent que Rome leur demandait ; il avait fallu les instances de Sylla pour les rappeler au sentiment des dangers que courait l’Italie entière[26]. Huit peuples : le long de l’Adriatique, dans les riches vallées de l’Aternus, du Sagrus et du Tifernus, les gens du Picenum, les Vestins, les Marrucins et les Frentans ; dans la montagne, les Marses, les Péligniens et les Samnites ; au sud, les Apuliens, engagèrent leur foi par des serments solennels ; ils se donnèrent des otages et concertèrent un soulèvement général. Pour la première fois ils songeaient enfin à s’unir. Ils ne devaient tous former qu’une même république organisée à l’image de Rome, ayant un sénat de cinq cents membres, deux consuls, douze préteurs, et pour capitale la forte place de Corfinium, dans l’Apennin, au milieu des pays soulevés. Ils lui donnèrent le nom significatif d’Italica[27], et plus tard ils frappèrent une monnaie où était représenté le taureau sabellien écrasant la louve romaine. C’était, en effet, une nouvelle guerre samnite. Les populations étrangères à la race sabellienne n’y prirent aucune part[28] : les Bruttiens n’existaient plus comme nation ; la Grande-Grèce était déserte, la Campanie toute romaine, sauf quelques localités, Herculanum, par exemple, qui se déclara contre le sénat : dangereuse imprudence que la riche et paisible cité n’eût pas commise, si Minerve, dont on a trouvé dans cette ville une magnifique statue, y avait eu autant d’adorateurs de sa sagesse que de sa beauté. Quant aux Latins et aux peuples du Nord, Étrusques et Ombriens que Rome avait tant de fois sauvés des Gaulois, et qu’elle venait encore de sauver des Cimbres, ils restèrent fidèles.

Le sénat, tardivement averti de tous ces mouvements, avait envoyé partout des agents secrets. Un d’eux dénonça au proconsul Servilius un otage que les Asculans livraient à Corfinium. Servilius accourt : comme il insulte et menace, les Asculans se jettent sur lui, le massacrent lui et son lieutenant[29], puis font main basse avec d’abominables cruautés sur les Romains qui se trouvaient dans leur ville ; ils n’épargnent même pas les femmes[30] : plusieurs matrones furent scalpées. C’était le signal de la guerre. Comptons les forces des deux partis.

Au temps de l’invasion gauloise, les Étrusques, les Latins et les Ombriens avaient promis d’armer plus de cent vingt mille soldats ; les Sabelliens et les Apuliens, deux cent mille. Le rapport est de trois à cinq, et il devait être resté sensiblement le même, malgré les changements survenus depuis cette époque dans la population de l’Italie. Les Italiens demeurés fidèles à Rome, au commencement de la guerre Sociale, pouvaient donc fournir à eux seuls des forces égales aux trois cinquièmes de celles des alliés[31]. Mais le dernier cens avait donné au moins quatre cent mille citoyens[32]. En outre, les Gaulois cisalpins laissèrent Sertorius lever chez eux une armée[33] ; les rois de Numidie fournirent de la cavalerie, Bocchus des fantassins maures, et, si les villes d’Héraclée, sur le Pont-Euxin, de Caryste, de Milet et de Clazomène donnèrent des navires, beaucoup d’autres plus rapprochées durent envoyer aussi des secours, Marseille et Rhodes surtout, si dévouées à la fortune de Rome[34]. Enfin, au milieu même des pays soulevés, Rome conservait presque toutes les grandes villes, ses anciennes colonies, c’est-à-dire toutes les positions militaires importantes, et le trésor public était rempli de près de 2 millions de livres d’or. Le sénat disposait donc de forces et de ressources trois ou quatre fois supérieures à celles des alliés ; ajoutons l’habitude du commandement et des grandes entreprises, l’unité de direction, l’expérience de, ses généraux et la discipline de ses troupes qui venaient de se fortifier dans deux grandes guerres.

Aussi Rome se trouva-t-elle en état de porter encore sans chanceler, au milieu de cette lutte, le poids des troubles et des séditions intestines. Dans la ville, un préteur intègre fut massacré par les créanciers qu’il voulait rappeler au respect des lois[35] ; à l’armée, un légat consulaire fut tué par ses propres soldats[36] ; un consul même, Porcius Caton, périt, peut-être de la main d’un des siens, après avoir échappé à une première émeute[37]. Sa confiance non plus n’en diminua pas ; du Capitole, oit il s’assemblait, le sénat pouvait voir s’élever derrière les monts de la Sabine la fumée des incendies que l’ennemi allumait ; cependant pas un soldat ne fut rappelé des provinces. Et, comme au jour où, suivant la tradition, Annibal, canapé en face de Rome, vit sortir par la porte opposée des troupes à destination de l’Espagne, au plus fort de la lutte le sénat envoya une armée dans la Gaule, au delà des Alpes, pour écraser les Salluviens révoltés. Il fit plus : bravant Mithridate, que les alliés imploraient, il rétablit encore une fois sur leurs trônes deux rois de l’Orient, Nicomède de Bithynie, Ariobarzane de Cappadoce[38].

Ce n’en était pas moins la guerre la plus terrible, car, pour un État formé par agrégations successives et encore mal unies, il y avait danger, dés que quelques parties se détachaient, que l’édifice ne s’écroulât. Les provinciaux allaient-ils rester spectateurs tranquilles de cette lutte ? Les esclaves, auxquels les alliés vont ouvrir leurs rangs ; Mithridate, qu’ils appelleront, la laisseront-ils finir, quand les deux partis fatigués se rapprocheront ? Heureusement elle fut courte.

Les deux consuls italiens, le Marse Pompedius et le Samnite Papius Motulus, s’étaient partagé l’armée et les provinces : l’un devait agir au nord, soulever, s’il était possible, les Ombriens, les Étrusques, et pénétrer pat la Sabine dans la vallée du Tibre ; l’autre, se porter au sud, vers la Campanie, et arriver à Rome par le Latium. Couverts par les deux armées principales, les lieutenants Judacilius, Lamponius, Afranius, Vettius Scato, Marius Egnatius, avaient mission d’enlever les places qui résistaient dans l’intérieur du pays et de chasser les garnisons romaines de la Lucanie et de la Pouille.

Avant que le premier sang fut versé, les généraux alliés firent une dernière tentative et envoyèrent des députés au sénat, promettant que les alliés déposeraient les armes si on leur donnait le droit de cité : on refusa de les entendre[39]. Cent mille hommes, assure-t-on[40], ouvrirent la campagne par le siège d’Albe, chez les Marses ; d’Æsernia, dans le Samnium, et de Pinna, chez les Vestins : trois fortes places qu’il ne fallait pas laisser derrière soi en sortant des montagnes. Le sénat relit aussi sur pied cent mille légionnaires et chercha à cerner l’insurrection dans l’Apennin. Les consuls étaient alors Jules César et P. Rutilius (90) ; l’un garda la Campanie et chercha à pénétrer dans le Samnium ; l’autre, pour couvrir la Sabine, prit position derrière le Tolenus, affluent du Velinus[41], et ferma ainsi la voie Tiburtine, la seule qui pénètre dans l’abrupt pays des Marses, et par laquelle Pompedius comptait sans doute déboucher[42]. Perperna, jeté avec dix mille hommes entre les deux armées consulaires, défendit l’approche du Latium par les montagnes[43] ; Marius et Cépion manœuvrèrent avec deux corps d’armée sur les ailes des légions de Rutilius, pour donner la main, par le sud, à Perperna, par le nord, au proconsul Cn. Pompeius Strabon, le père du grand Pompée, qui menaçait de pénétrer par l’Ombrie dans le Picenum, tandis qu’un autre légat, Sulpicius, entrait dans le pays des Péligniens. Ces deux généraux devaient prendre à revers l’armée de Pompedius Silo, puis attaquer Corfinium, qui osait accepter le rôle de rivale de Rome, et Asculum, d’où le signal de la guerre était parti. Au sud-est, Crassus avait mission d’opérer dans la Lucanie sur les derrières du Samnite Motulus[44]. Des forces considérables furent aussi gardées dans Rome même, des postes placés aux portes et sur les murailles[45], et T. Pison chargé de faire fabriquer des armes[46].

Mais les Romains n’avaient pas encore achevé leurs dispositions, que les Italiens, attaquant partout avec fureur, étonnèrent et firent reculer les légions. Le consul J. César, imprudemment engagé dans le Samnium, fut battu par Vettius Scato et contraint de découvrir Æsernia[47]. Cette ville, qu’arrose un affluent du Vulturne, et Venafrum, assise presque en face, de l’autre côté du fleuve, sur la voie Latine, ferment la longue vallée du Vulturne, qui monte de la Campanie jusqu’au cœur du Samnium. Mal pourvue de vivres, Æsernia n’en fit pas moins une héroïque résistance ; mais la trahison livra Venafrum à Egnatius, qui en massacra la garnison. Une défaite de Perperna acheva de briser cette ligne, dont le sénat avait voulu envelopper le foyer de l’insurrection. Par la brèche qu’il avait ouverte, Papius Motulus, le consul italien, se précipita sur la Campanie, en laissant devant Æsernia, pour masquer la place, un corps de blocus[48].

Il évita les villes fortes du nord et courut au sud, où il avait des intelligences. La trahison lui livra Nole, dont la garnison, deux mille hommes, passa dans ses rangs, moins les chefs qu’il condamna à mourir de faim. Dès lors les généraux italiens établirent comme une règle de faire deux parts des prisonniers : les nobles et les chevaliers qu’on tua ; les soldats et les esclaves qu’on enrôla.

Les cités voisines du golfe de Naples et de Pæstum, Minturnes, Salerne, Stabies, Herculanum, Pompéi et Liternum furent contraintes d’accéder à la ligue ; quelques autres villes cédèrent encore ; il en tira dix mille hommes de pied avec mille chevaux, et il arma tous les esclaves qui vinrent à lui. Mais Naples, qui ne voulut pas du droit de cité romaine, même après la guerre, resta fidèle comme au temps d’Annibal ; Nucérie, au milieu des places qui avaient fait défection, tint ferme, et Acerræ, en avant de Capoue, brava par une héroïque résistance tous les efforts des alliés ; Capoue elle-même, toute remplie de citoyens, servait aux troupes romaines d’arsenal et de retraite[49]. La seconde année de la guerre, un de ses habitants, Magnius, leva à ses frais une légion entière dans le pays des Hirpins[50].

L’entrée du Latium par le sud était donc encore fermée, mais il semble qu’aux portes mêmes de Rome la fidélité des Tiburtins ait un moment chancelé. De leur ville, on voyait le Capitole et l’on dominait la voie militaire qui, après avoir longé l’Anio, s’enfonçait dans les montagnes par où l’on gagnait le pays des Marses. Il était donc de la plus haute importance pour Rome de prévenir cette défection. Elle n’y employa pas la force : un sénatus-consulte, provoqué par le préteur L. Cornelius, assura les gens de Tibur que le sénat comptait toujours sur eux : moyen habile de les faire renoncer à leur dessein s’il avait été formé, en leur montrant qu’il était découvert[51].

Cependant la moitié de la Campanie était conquise, et les villes de la Lucanie et de la Pouille, faiblement secourues, tombaient les unes après les autres aux mains de l’ennemi. La plus forte place de la Lucanie, Grumentum, qu’une défaite de Crassus découvrit, fut prise par Lamponius[52], Canusium et Venouse par Judacilius. Pinna aussi, dans le pays des Festins, succomba — les alliés avaient amené au pied des murs de la place les enfants des assiégés, sommant ceux-ci de se rendre sous peine de voir rouler les têtes des captifs sous la hache, et ils avaient refusé[53].

De plus grands succès encouragèrent encore les alliés. César, en voulant dégager Acerræ, se laissa surprendre par Egnatius dans une gorge étroite et ne put rallier les débris de son armée qu’à Teanum[54], la place dont les Romains avaient fait après Cannes la base de leur résistance. Dans le même temps, l’autre consul, Rutilius, attiré par Vettius Scato dans une embuscade au delà du Tolenus, y périt avec une partie de son monde. Marius était dans le voisinage ; averti par les cadavres que le fleuve lui apportait, il se hâta de passer sur la rive ennemie et courut s’emparer du camp des vainqueurs, encore occupés à ramasser les dépouilles sur le champ de bataille.

Après les défaites essuyées par les consuls, arriva celle de Pompée, contre lequel s’étaient réunis trois généraux que les succès obtenus dans le Sud avaient laissés libres d’aller au nord arrêter ses progrès. Il avait voulu assiéger Asculum, mais, battu par des forces supérieures, il s’était rejeté sur Firmum, où Afranius le tint enfermé. Cette retraite sur l’Adriatique découvrait l’Ombrie ; de nombreux émissaires italiotes y coururent, et bientôt la fidélité des Étrusques et des Ombriens chancela[55]. Dans le Latium même, des symptômes menaçants se montraient, et peut-être savait-on déjà que les alliés parlaient d’envoyer une députation à Mithridate. Aussi, quand ces nouvelles arrivèrent à Rome, quand surtout on y rapporta le corps de Rutilius et de ceux des principaux personnages qui avaient déjà péri, le deuil fut aussi grand qu’après les journées funèbres de la seconde guerre Punique. Afin d’empêcher le découragement de gagner le peuple, qui, indifférent pour ses morts, se laisse frapper par les pompeuses funérailles, le sénat mit un terme aux lamentations et prescrivit qu’à l’avenir on accomplirait les rites funéraires aux lieux où chefs et soldats seraient tombés. Un autre sénatus-consulte ordonna à tous les citoyens de revêtir l’habit de guerre ; on arma jusqu’aux affranchis, dont on forma douze corps, qui furent distribués à Ostie, à Cumes et tout le long de la voie Appienne[56].

Heureusement pour Rome, sa situation géographique, qui dans le passé avait tant contribué à sa fortune, aida beaucoup, dans cette guerre, à son salut. Placée en arrière de la ligne de bataille, dans une position centrale qui lui permettait de recevoir, par son fleuve, tous les approvisionnements nécessaires et de les diriger rapidement, par ses voies militaires, sur les légions, elle nourrissait facilement ses armées et les faisait agir avec ensemble, d’après un plan arrêté d’avance par ses meilleurs généraux. Les Italiotes, au contraire, sans navires et sans ports, étaient gênés pour les munitions et les vivres. Ne communiquant entre eux qu’à travers la masse centrale de l’Apennin, où s’élèvent les plus hautes cimes de la chaîne, ils ne pouvaient combiner leurs mouvements et attaquaient souvent à l’aventure. Pour les sièges, ils manquaient de machines, et, après avoir enlevé quelques villes par surprise ou trahison, ils furent incapables d’en prendre une seule de vive force. Enfin ils n’avaient point d’alliés, et Rome en avait beaucoup que son grand nom maintenait dans la fidélité.

Ce fut seulement quelques mois après le commencement des hostilités que les secours demandés par le sénat aux rois et aux peuples amis arrivèrent. La Sicile se signala par son empressement à fournir tout ce qui était nécessaire aux armées[57]. Dix mille Gaulois cisalpins, amenés par Sertorius au consul J. César après l’échec que lui avait infligé Egnatius et plusieurs milliers de Maures et de Numides, qui lui vinrent d’Afrique, lui donnèrent la confiance de reprendre l’offensive. Il marcha sur Acerræ entre Naples et Capoue, pour en faire lever le siège, et, malgré la désertion qui se mit dans les Numides quand Motulus leur montra, revêtu du manteau royal, un fils de Jugurtha, Oxyntas, que les alliés avaient trouvé relégué à Venouse, César lui tua six mille hommes et fit entrer un secours dans la place. Cette nouvelle, portée à Rome, calma les craintes, et l’on reprit la toge[58].

Au nord, le légat Sulpicius, vainqueur des Péligniens, avait couru au secours de Pompée, enfermé dans Firmum ; une double attaque, concertée entre les deux généraux, finit les alliés en fuite, et Pompée se hâta de leur fermer les approches de l’Ombrie en recommençant le siège d’Asculum[59].

Le sénat avait réuni aux troupes de Marius et de Cépion les débris de Rutilius ; mais, se défiant de Marius, il donna à ces deux chefs des pouvoirs égaux[60], et Cépion, ébloui par un léger succès, se laissa encore attirer dans un piège par Pompedius Silo. Ce général était venu se rendre, amenant comme otages de jeunes esclaves qu’il donna pour ses enfants et des masses de plomb recouvertes d’un peu d’or qu’il fit plisser pour ses trésors ; il voulait, disait-il, livrer l’armée que naguère il commandait. Cépion le prit pour guide ; arrivé près de l’embuscade, Pompedius s’élança sur un monticule sous prétexte de reconnaître les lieux, et de là donna aux siens le signal : nombre de Romains périrent, et avec eux le proconsul. Ce désastre, suivi de la prise d’Æsernia, qui succomba après avoir souffert une horrible famine, força le sénat de donner à Marius, ni lieu de forces insignifiantes, comme il avait fait jusqu’à présent, toute l’ancienne armée consulaire. Le vieux soldat y eut bientôt remis l’ordre, et, en choisissant habilement d’inexpugnables positions, il rendit inutiles les derniers succès des Marses. Si tu es un si grand général, lui disait un chef allié, que ne viens-tu combattre ?Et toi-même, repartit Marius, si tu es si habile, que ne sais-tu m’y forcer ? Il les battit cependant et tua le préteur des Marrucins, Herius Asinius, un des ancêtres peut-être du favori d’Auguste. Mais le paysan d’Arpinum, l’ancien complice de Saturninus, l’homme qui avait fait tant d’Italiens légionnaires et citoyens, ne combattait qu’à regret un parti qu’il avait jadis favorisé et où il comptait encore ses plus nombreux amis. Un jour, son armée et celle de Pompedius se rencontrèrent : dans les rangs opposés chacun reconnaissait des hôtes, des parents ; ils s’appelaient par leurs noms, ils se saluaient de la main ; les deux chefs, aussi sortirent des rangs et causèrent longtemps de la paix que tous souhaitaient. Pendant ce colloque, leurs soldats s’étaient mêlés[61], on eût dit la pacifique assemblée de citoyens d’une même ville.

Si Marius avait eu sous la main, comme dans la guerre des Cimbres, toutes les forces de la république, sans doute il eût mis fin ce jour-là à la guerre Sociale, sauf à dire encore qu’au milieu du bruit des armes il n’avait pu entendre la loi ; mais le sénat, qui suspectait ses intentions, l’avait bissé dans l’impuissance de décider à lui seul des événements, et, en ce moment même, Sylla, son ancien lieutenant, maintenant son ennemi, le suivait avec une armée.

Sylla s’était fait jour lentement. En 94, il avait échoué aux comices prétoriens et il n’était arrivé, l’an d’après, à la préture qu’à force d’argent. Aussi, comme il menaçait un personnage d’user contre lui du droit de sa charge : Tu as raison, avait répondu le consulaire, elle est bien à toi : car tu l’as achetée. Envoyé en Asie sans armée, pour contenir Mithridate, il l’avait chassé de la Cappadoce et était rentré à Rome avec la réputation d’un de ces hommes énergiques et habiles dont tout gouvernement a besoin. Une offrande de Bocchus au Capitole, qui représentait Jugurtha livré par lui à l’ancien questeur de l’armée de Numidie, avait profondément irrité Marius. Il voulait briser ces statues, et on allait en venir aux mains, quand l’insurrection italienne donna un cours plus

sérieux aux préoccupations des Romains. Marius évitait de s’engager à fond dans cette guerre : un jour il refusa d’achever une victoire dont tout le profit et l’honneur revinrent à Sylla, qui tomba sur l’ennemi, le mit en Jugurtha à Sylla.

désordre et compléta sa défaite. Ainsi Marius était tel que, toute sa vie politique nous l’a montré : tribun, repoussant une loi populaire ; consul, invectivant le sénat ; ami de Saturninus, et le faisant périr ; partisan des Italiens, et les combattant à la tête des légions romaines, mais arrêtant celles-ci au milieu du succès ; toujours, dans ses actes, en désaccord avec sa pensée. Après s’être compromis vis-à-vis du sénat et du peuple dans l’affaire de Saturninus, il s’était volontairement exilé ; après avoir fait assez de mal aux Italiens pour qu’ils vissent en lui un ennemi, pas assez pour que Rome lui en fût reconnaissante, il renonça à son commandement, sous prétexte d’infirmités qui ne lui permettaient plus la vie active des camps, et il se retira, chagrin et rongé d’envie, dans sa maison de Misène. Sylla allait prendre la place que Marius abandonnait, et fonder sa fortune dans cette guerre où son rival avait perdu la sienne.

Pendant ces mouvements des armées dans la Campanie et le pays des darses, deux préteurs étaient allés montrer aux Ombriens et aux Étrusques les enseignes romaines, et châtier deux villes, Fæsules et Ocriculum ; qui s’étaient déclarées pour les Italiotes[62]. Le sénat saisit cet instant de bonne fortune survenante pour faire une concession qui ne parût point arrachée par force : la loi Julia du consul César accorda le droit de cité à tous les habitants des villes restées fidèles qui viendraient à Rome, dans le délai de soixante jours, déclarer devant le préteur qu’ils acceptaient les droits et les charges du jus civitatis (90). Cette concession, qui raffermit la fidélité des uns, qui excita les regrets et les espérances des autres, fut un des coups les plus habiles portés à la confédération italienne. Pour vaincre, Rome divisait ses adversaires : c’était son ancienne et toujours heureuse tactique.

 

III — SECONDE ET TROISIÈME ANNÉES DE LA GUERRE SOCIALE (89-88).

Rome, surprise la première année de la guerre, n’avait eu d’abord que des revers ; dans les derniers mois les succès s’étaient balancés ; la seconde année commença par une offensive générale[63]. Les nouveaux consuls, Cn. Pompée et Porcius Caton, tinrent tête aux confédérés du Nord : Pompée dans le Picenum, Caton près du lac Fucin. Sylla, légat consulaire de Porcius, et J. César, demeuré à la tête de l’armée du Midi comme proconsul, durent chasser Papius Motulus de la Campanie ; les préteurs Cosconius et Lucceius, recouvrer les villes de la Pouille ; Gabinius, celles de la Lucanie. Des forces considérables données à ces généraux les mirent en état de répondre aux espérances de Rome. Porcius pénétra, en effet, dans le pays des Marses et les battit plusieurs fois, mais il tomba mortellement blessé à l’attaque d’un camp, près du lac Fucin[64]. Les darses profitèrent de cet avantage pour envoyer une armée du côté de l’Étrurie et essayer encore d’en soulever les peuples[65]. Pompée, qui bloquait Asculum, sortit de son camp, battit le corps expéditionnaire, et revint serrer plus étroitement la place. Judacilius se fit jour cependant travers ses lignes : Asculum était sa patrie, il voulait la sauver ou périr avec elle. Dans la ville il ne trouva que le découragement ; jugeant alors la cause des alliés perdue il se fit élever devant le temple principal un bûcher, dressa un lit au sommet, et, après un dernier festin, il prit du poison et ordonna à ses amis de mettre le feu. Ces vaillants soldats avaient des mœurs farouches, et les hommes de ce temps aimaient la vengeance. Judacilius avait envoyé devant lui dans la mort tous les habitants de la ville suspects de désirer la paix. Les autres n’eurent pas meilleur sort. Quand Asculum ouvrit ses portes, le vainqueur n’épargna que les femmes et les enfants[66].

Pour sauver ce boulevard de la ligue, Vettius Scato s’en était approché avec de grandes forces. Les deux armées hésitèrent quelque temps à combattre. On parlementa, et Cicéron, qui faisait alors ses premières armes, assista à l’entrevue entre Scato et le frère du consul, qui avait eu avec l’Italiote des liens d’hospitalité. Quel nom te donnerai-je ? dit Sextus Pompée. — Appelle-moi ton hôte, répondit le Marse. D’intention je le suis encore, bien que par nécessité je sois ton ennemi[67]. On ne put s’entendre. L’action fut terrible et la retraite des Italiens désastreuse. Ils fuyaient en plein hiver par la Crète des montagnes. Pompée, qui les suivait l’épée dans les reins, trouva des cohortes entières, tombées de fatigue et de faim sur la neige, qui ne s’étaient pas réveillées. Leur chef, Scato, périt lui-même. On fit courir sur sa fin un récit que Sénèque, le grand déclamateur de sentences philosophiques, a recueilli. Fait prisonnier, il était conduit à Pompée, quand un de ses esclaves qui le suivait, arrachant l’épée d’un soldat de l’escorte, le frappa en s’écriant : J’affranchis mon maître ; à mon tour maintenant ! et il se tua[68]. C’est bien théâtral, mais ce n’est pas impossible.

La défaite de Vettius Scato[69] entraîna la soumission de tous les peuples de cette côte, les Marrucins, les Vestins et les Péligniens, qui se rendirent à discrétion ; les Marses mêmes posèrent les armes[70]. A son retour à Rome, Pompée obtint le triomphe : derrière son char marchait un enfant qui devait être un jour consul, l’Asculan Ventidius. En Apulie, le préteur Cosconius avait aussi battu et tué Egnatius, le plus habile des généraux alliés, et après lui le Samnite Trebatius. La plupart des villes lui ouvrirent leurs portes ; en deus jours il soumit les Peucétiens, au nord de Tarente et de Brindes. Quand Metellus Pius eut repris Venouse[71], la province entière se trouva pacifiée.

César étant mort de maladie dès le commencement de son proconsulat, tout le poids de la guerre ; en Campanie était retombé sur Sylla ; il avait montré dans cette campagne son activité et sa fougue ordinaires : Stabies, sur qui portèrent ses premiers coups, fut détruite ; Herculanum, Pompéi, se rendirent. Près de Pompéi, il força, après un échec, les lignes du Samnite Cluentius et le poursuivit jusque sous les murs de Nole. Là il trouva un périr dans une attaque imprudente, mais il les sauva et reçut d’eux la plus belle des récompenses militaires, la couronne obsidionale[72]. Cluentius avait péri dans la mêlée.

Tite-Live raconte, pour cette campagne, un fait très rare dans l’histoire militaire de Rome : le commandant de la flotte, Postumius Albinus, qui devait combiner ses mouvements avec ceux de Sylla, fut tué par des mutins qui l’accusaient de trahison[73]. L’accusation était certainement fausse, mais ces soldats de marine, recrutés fort bas, n’avaient point, pour la discipline, le respect invétéré des légionnaires[74]. Ces hommes sont à moi, dit Sylla, maintenant qu’ils ont commis un crime ? Et, en expiation, il exigea d’eux une victoire, qu’ils lui donnèrent par la défaite de Cluentius.

Par la triple victoire de Pompée au nord-est, de Sylla au sud-ouest et de Cosconius au sud-est, les alliés étaient, comme dans la première guerre Samnite, chassés des plaines qui s’étendent au pied de l’Apennin. L’Ombrie et le Picenum, la Campanie et la Pouille ne voyaient plus d’ennemis ; la guerre allait se concentrer dans la montagne. Depuis la soumission des Péligniens, les alliés avaient transporté à Bovianum leur sénat et le siége de leur gouvernement[75]. Pompedius Silo fut mis à la tête des forces qui leur restaient, seulement trente mille hommes[76] ; mais il appela de toutes parts les esclaves à la liberté, et il en argua jusqu’à vingt et un mille. Papius Motulus avait eu recours au même expédient dans la Campanie ; Judacilius, dans la Pouille[77], et la dernière armée italienne tâchera de soulever les esclaves siciliens ; Rome elle-même avait armé ses affranchis : c’était une guerre servile autant que sociale. Pompedius voulut la rattacher encore à une guerre étrangère en demandant les secours de Mithridate, qui recevait en même temps les secrètes prières des provinciaux de Grèce, d’Afrique et d’Asie. Il était temps que Rome étouffât cette guerre, car tous les opprimés allaient se lever et s’unir : Sylla en frappa les derniers coups.

De la Campanie il passa chez les Hirpins, pour couper les communications entre les Samnites et les Lucaniens ; il leur prit Eclanum (à l’est de Bénévent), qu’il livra au pillage parce qu’elle avait hésité une heure à lui ouvrir ses portes ; mais il épargna les autres villes de ce peuple, qui déposa les armes. Il était maintenant résolu à pénétrer jusqu’au cour du Samnium. Trompant Motulus par d’habiles manœuvres, il franchit des montagnes réputées impraticables, et parut soudainement aux environs d’Æsernia. Le consul italien accourut pour sauver cette place importante, mais il fut vaincu et rentra blessé à mort dans la ville. La prise de Bovianum, la seconde capitale de la ligue, termina cette heureuse campagne, oit Sylla avait conquis le consulat. Pompedius Silo recouvra, il est vrai, cette place, à la suite d’un combat heureux, et y fit une entrée triomphale, avec lit pompe déployée clans ces circonstances par les généraux romains ; niais peu de temps après il périt dans une rencontre, en cherchant à soulever encore une fois l’Apulie[78] (fin de l’année 89).

La loi Plautia-Papiria[79], qui étendit le bénéfice de la loi Julia à tous les habitants des villes fédérées, depuis le Pô jusqu’au détroit de Messine, une autre du consul Pompeius Strabon (89), qui accorda le jus Latii à la Transpadane, surtout l’habile modération du sénat à user de la victoire, enlevèrent à ce qui restait encore de cette guerre toute force et tout danger. Les chefs de l’insurrection avaient péri ; le sénat italien, réfugié à Æsernia, s’était dispersé ; seuls les Samnites, les Lucaniens et quelques villes tenaient encore, comme Nole, que Sylla, consul, revint assiéger. De nombreuses bandes couraient aussi l’Apennin. Dans l’espérance de réveiller la guerre servile en Sicile, ces débris essayèrent d’enlever Rhegium. Ayant échoué par la vigilance du préteur C. Norbanus, ils se rejetèrent dans les impraticables forêts de la Sila, d’où ils sortiront pour se mêler à la sanglante rivalité des syllaniens et des marianistes. Alors de nouveaux malheurs, suite des premiers, fondront sur la péninsule italique : proscriptions pour les individus, exécutions militaires pour les villes. Aussi les peuples garderont un long souvenir de cette lutte où le sang de Rome et de l’Italie coula si largement. Sous les empereurs, on en parlait encore comme d’une guerre plus terrible que celle d’Annibal et de Pyrrhus, nec Annibalis nec Pyrrhi fuit tanta vastatio[80]. Et, en effet, jamais pays n’a eu, dans un temps si court, tant de morts d’hommes et de cités.

 

IV. — LE DROIT DE CITÉ DONNÉ AUX ITALIENS.

Quoique vaincus, les Italiens avaient forcé les portes de la cité. Ils ne seront plus maintenant étrangers dans la ville, et un tribun ne pourra plus insolemment les en chasser ; cette gloire, cet empire du peuplé-roi, ils les partagent ; le Forum leur appartient ; le monde est à eux : ils sont citoyens !

Mais, quand, la première joie passée, ils relurent ces lois Julia et Plautia, qui à tant d’entre eux avaient fait tomber les armes des mains ; quand ils virent qu’il fallait dans soixante jours, être à Rome pour donner son nom au préteur, beaucoup trouvèrent le voyage bien long, le terme bien court[81]. Cependant les riches se hâtèrent, la foule vagabonde, que rien ne retenait dans ses foyers, partit aussi ; ce qui restait à l’Italie de gens aisés, d’hommes de la classe moyenne, hésita. Les routes n’étaient pas sures, des bandes armées battaient le pays en tous sens et pillaient, ne pouvant plus combattre ; et puis, dans les villes grecques le plus grand nombre répugnait à la pensée d’abandonner ces lois de leurs pères, appropriées à leurs mœurs, à leurs idées, à leur industrie, pour, prendre celles d’une cité qui n’aimait que la guerre et méprisait le commerce[82]. L’ambition appelait les nobles à Rome, la misère y poussait les pauvres, ils y coururent ; mais le petit propriétaire resta sur son champ, le négociant de Naples, d’Héraclée, de Pouzzoles, dans sa ville. Le terme passa, et le préteur n’enregistra qu’une faible minorité[83], peut-être moins de quatre-vingt mille hommes.

Mais une autre déception attendait à Rome les nouveaux citoyens. Au lieu de prendre rang dans les trente-cinq tribus, on créa pour eux, suivant. l’ancien usage, des tribus nouvelles (huit ou dix[84]), qui votèrent les dernières, de manière que les anciens citoyens conservaient leur influence dans les comices. Au point de vue politique, les Italiens lie recueillirent donc de cette concession qu’un avantage illusoire ; dans l’ordre civil, le règne des lois étant passé, ce titre ne leur donna ni plus de garantie contre l’oppression ni plus de sécurité ; leur admission dans la cité était cependant un des plus grands événements de l’histoire de la république et un pas immense fait par elle dans la voie de l’égalité. Au lieu d’être l’État tout entier, Rome allait bientôt n’en être plus que la capitale ; et puis, si une partie des Italiens devenaient quirites, les provinciaux pourront aussi l’être un jour ; déjà les traités le permettent aux Sardes, aux Espagnols et aux Africains ; les Germains, les Japodes, c’est-à-dire les peuples encore trop barbares, sont seuls formellement exclus[85].

En attendant cette inévitable révolution, les Italiens qui accourent clans leur nouvelle capitale vont y augmenter le bruit, la foule et le désordre. Nous avons dit quels éléments nouveaux s’étaient ajoutés à la population de la ville : quelques riches qui s’uniront à l’aristocratie, comme Asinius Pollion, le petit-fils peut-être d’un chef des Marrucius tué par Marius, et tous les mendiants, qui se hâtent de venir partager les distributions gratuites et vendre au plus offrant les nouveaux droits qu’on leur confère. Sans doute cette guerre n’avait point passé sur la société romaine sans l’ébranler profondément : en bas, il y avait eu rapprochement entre tous les opprimés ; en haut, les nobles avaient reconnu la nécessité d’élargir la cité. Ces deux faits auront plus tard leurs résultats, mais, pour le moment, l’Italien, en réalité, n’a gagné qu’un titre, Rome que des recrues pour les émeutes et pour la guerre civile. Celle-ci presque aussitôt éclate.

 

 

 

 



[1] Hi qui vel magistratum (le duumvirat) vel honorem (l’édilité ou la questure) gerunt, ad cititaiem Romanam perveniunt (Gaius, I, 96 ; et Pline, Panégyrique, 69). Un troisième moyen d’obtenir la cité, accordé plus tard aux Latins, fut de convaincre un magistrat romain de concussion, mais ce n’était pas la noblesse qui avait créé ce privilège.

[2] Salluste (Catilina, 12) dit : Ignavissumi homines, per summum scelus omnia ea sociis adimere qum fortissumi viri victores hostibus reliquerant ; et Cicéron (de Off., II, 21) : Tanta, sublatis legibiis et judiciis, expilatio direptioque sociorum, ut imbecillitate aliorum, non nostra virtute valeamus.

[3] Tite-Live, XLII, 1. Cf. Tite-Live, XLII, 5 ; Valère Max., I, 1, 20. Cicéron combattit cet abus (de Leg., III, 8).

[4] Tite-Live, XXXLV, 41.

[5] Aulu-Gelle, Noct. Att., X, 5.

[6] De Off., II, 8.

[7] Ibid., I, 10 ; Valère Max., VII, 5, 4.

[8] Diodore, XXXVII, 15.

[9] Didius étendit à toute l’Italie la loi somptuaire de Fannius, et Sempronius la loi sur l’usure. Il arrivait souvent que des socii prissent des lois civiles de Rome. (Cicéron, pro Balbo, 8.)

[10] Au triomphe de G. Claudius Pulcher, en 177, les soldats alliés n’eurent que la moitié des gratifications faites aux légionnaires. (Tite-Live, XLI, 15.)

[11] Le legitimum dominium donnait le droit au propriétaire, quand il avait perdu la possession de la chose, d’en exiger, par la rei vendicatio, la restitution gratuite de tout détenteur indistinctement chez qui il la trouvait, et de la lui enlever. La mancipatio assurait à l’acheteur les plus fortes garanties.

[12] On confisquait alors ses biens ; mais, avec un peu de prévoyance, il pouvait se les réserver au moyen d’un prête-nom.

[13] Ainsi Turpilius..., verberatus capite pœnas solvit, nam is civis ex Latio erat (Salluste, Jugurtha, 69).

[14] Cf. Tite-Live, XXIII, 5 ; XXVII, 9. Italia stipendiaria, dit Tacite (Ann., XI, 22).

[15] Pline, Hist. nat., XXXIII, 4. Il y avait près de Volaterra de riches mines de cuivre et des mines d’or près de Verceil.

[16] La formule de cette action était : Jus illi non esse ire, agere, etc. ; de là son nom d’actio negativa ou negatoria. (Gaius, Inst., IV, 5 ; Digeste, VIII, §, 2.)

[17] Cf. Heineccius, Élém. du droit rom. ; Hugo, Hist. du droit rom. ; Laboulaye, Hist. du droit de propriété foncière en occident ; Marezoli, Droit privé des Romains ; Rudorff, Rœm. Rechtsg., Bethmann-Holweg, etc.

[18] Tite-Live, XXXIX, 5.

[19] Tite-Live, XLI, 9.

[20] Tite-Live, XLI, 8.

[21] Dans la région sabellienne, on parlait encore l’osque, et au lieu du mot Italia gravé sur les médailles marses, on lit Vitelia sur celles des Samnites. La ligue sabellienne du Nord était plus romaine que celle du Sud. Le grec était encore la langue du peuple dans une partie considérable de la Grande-Grèce.

[22] L’aqueduc de Spolète, digne des Romains et qui leur a été souvent attribué, paraît avoir été construit au septième siècle par les ducs lombards.

[23] Il semble avoir fait de même en Afrique après la prise de Jugurtha. (César, Bell. Afr., 35.)

[24] Cicéron, de Off., III, 11.

[25] Florus et Paterculus. Cum jus civitatis, dit le premier, solii justissime postularent. Causa fuit justissima, dit le second.

[26] Plutarque, Sylla, 4.

[27] Atque appellarant Italicam (Vellius. Pat., II, 16). Les médailles portent Italica. Cf. Diodore, XXXVII, 1. Ce sénat ne devait très certainement connaître que des affaires de la guerre ; au reste, le peu de durée de cette république fédérative ne laissa rien s’établir d’une manière précise. L’idée de copier Rome était ancienne ; les soldats italiens de Scipion, qui s’étaient révoltés en Espagne, avaient donné à leurs deux chefs le titre et les insignes de consul. (Tite-Live, XXVIII. 24 ; Florus, III, 19.)

[28] Dans l’Étrurie, les descendants des lucumons possédaient tout le pays, et une insurrection populaire devait les effrayer autant que les nobles de Rome.

[29] Cicéron, pro Font., 14 ; Appien, Bell. civ., I, 56.

[30] Dion, fr. 257.

[31] On fait grand bruit des Marses ; mais, en 225, ils n’avaient pu, réunis aux Marrucins, aux Frentans et aux Vestins, mettre sur pied plus de vingt-quatre mille hommes. (Polybe, II, 24.)

[32] Le cens de l’an 125 avait donné trois cent quatre-vingt-dix mille sept cent trente-six citoyens ; celui de 114, trois cent quatre-vingt-quatorze mille trois cent trente-six. (Tite-Live, Épit. LX et LXIII.) Tous les manuscrits s’accordent à donner ce chiffre. Si l’on objectait les pertes faites durant la guerre des Cimbres, il y aurait à répondre que les Italiens avaient autant perdu que la population romaine, et que d’ailleurs celle-ci, même durant la seconde guerre Punique, augmenta.

[33] Aulu-Gelle, Noct. Att., II, 27, d’après Salluste, et Plutarque (dans Sertorius).

[34] Un sénatus-consulte du 22 mai 78 décerna des honneurs à trois capitaines marins de Caryste, de Clazomène et de Milet pour leurs services dans la guerre Italique (C. I. L., t I, p. 103).

[35] Tite-Live, Épit. LXXIV et LXXV. C’est le préteur Sempronius Asellio.

[36] Valère Max., II, VIII, 3.

[37] Diodore, fr. CXIV.

[38] L’Épitomé LXXIV de Tite-Live place le rétablissement des deux rois en l’année 90, et Clinton accepte cette date. (Voyez Fasti Hellen., à l’appendice du volume III, Kings of Bithynia, page 419.)

[39] Appien, Bell. civ., I, 39.

[40] Tite-Live, Épit. LXXII.

[41] Le Velinus tombe dans le Nar, qui se jette lui-même dans le Tibre. Toutes ces vallées aboutissent donc au fleuve qui forme comme la grande route de l’Apennin central sur Rome.

[42] Appien croit que le Liris fut la ligne d’opération de Rutilius. Ovide (Fastes, VI, 565) place le consul sur le Tolenus, qui convient mieux, puisque Carseoli est sur cette rivière et que la vallée où il coule est le débouché naturel du pats des Marses vers la Sabine. Au reste les sources du Liris (Garigliano) et du Tolenus (Turano), séparées par les monts Grani et Carbonario, ne sont éloignées que de 5 milles, et les troupes romaines ont dû se retrancher derrière ces deux fleuves qui couvraient tout le Latium contre les Marses.

[43] La position du corps d’armée de Perperna n’est pas indiquée, mais Appien place sa défaite par Egnatius après la prise de Venafrum, et il ajoute que Rutilius lui ayant retiré son commandement, donna le reste de ses troupes à Marius. Plus loin, il montre Marius à la droite de Rutilius, sur le haut Liris, non loin des lieux où nous plaçons Perperna. Cependant, comme on trouve plus tard Marius à la gauche de Rutilius sur le Tolenus, il serait possible que Perperna eût été placé non entre Rutilius et César, mais entre Rutilius et Pompée.

[44] Ces dispositions ne sont exprimées nulle part dans Appien ni dans Diodore, et c’est là ce qui fait ordinairement de la guerre Sociale un inextricable chaos ; mais elles ressortent, ainsi que le plan de campagne des alliés, de l’étude attentive des faits et des localités.

[45] Appien, Bell. civ., 1, 40.

[46] Cicéron, in Pison, 36.

[47] Cf. Diodore, XXXVII, frag., et Tite-Live, Épit. LXXIII.

[48] On fit sortir de la place les esclaves, que les assiégeants accueillirent ; les deux chefs romains, L. Scipion et L. Acilius, s’échappèrent aussi. On mangea les chiens. (Diodore, Exc. Vat., II, 119, et Appien, Bell. civ., I, 41.)

[49] Cicéron, Agr., II, XXIX.

[50] Micali, II, 18.

[51] .... de iis rebus peccatum non esse. Nous avons encore ce sénatus-consulte : Orelli, n° 3114 ; il est sans date, mais divers motifs tirés de l’examen du texte font penser qu’il est du temps de la guerre Sociale. Avec cette table de bronze, on trouva à Tivoli le buste du préteur Cornelius, Iconographie romaine de Visconti, pl. IV, n° 6.

[52] Un fragment de Diodore paraît commencer le récit d’un combat singulier entre Lamponius et Crassus. (Exc. Vat., II, 121.)

[53] Diodore, fr. XXXVII, 20, et Exc. Vat., II, 114.

[54] Appien place à tort cette défaite après la victoire de César, dont il est parlé plus bas.

[55] Appien, Bell. civ., I, 47.

[56] J’ajoute au texte d’Appien, le long de la voie Appienne qui traverse tout le Latium, alors en grande fermentation. Les alliés n’ayant pas un vaisseau, il était inutile d’échelonner des garnisons le long de la côte. D’ailleurs, de Minturnes à Sinuessa, la voie Appienne suit presque la côte, et ailleurs elle ne s’en éloigne que de quelques milles.

[57] Siciliam nobis non pro penaria cella, sed pro ærario illo majorum vetere ac referto fuisse ; nam sine ullo sumptu nostro, coriis, tunicis, frumentoque suppeditando, maximes exercitus nostros vestivit, aluit, armavit (Cicéron, II, in Ver., II, 2).

[58] Tite-Live, Épit. LXXIII ; Orose, V, 48.

[59] Asculum était sur la via Salaria, la seule route qui, de ce côté, traversât l’Apennin.

[60] Tite-Live, Épit. LXXIII : Æquatum ei cum C. Mario esset imperium.

[61] Diodore, XXXVII.

[62] Florus, III, 18 ; Tite-Live, Épit. LXXIV. Ocriculum, qui dut à sa position sur la voie Flaminienne une durable prospérité, est appelée dans quelques inscriptions splendidissima civitas. On y a trouvé une admirable mosaïque, aujourd’hui au Vatican.

[63] Diodore, XXXVII, 3.

[64] Peut-être fut-il tué par le jeune Marius, parce que Porcius avait mal parlé de son père. (Orose, V, 48 ; Velleius Pat., II, 16.)

[65] Appien, Bell. civ., I, 50 ; Velleius Pat., II, 1.

[66] Tite-Live, Épit. LXXV, LXXVI ; Florus, III, 18.

[67] Cicéron, Philippiques, XII, 11.

[68] De Benef., III, 23.

[69] Tite-Live (Épit. LXXVI) attribue la soumission des Marses, aliquot præliis fracti, à Murena et à Metellus Pius. Velleius Paterculus (II, 21) donne aux alliés, à cette bataille, plus de soixante mille hommes, et soixante-quinze mille aux Romains. Ii y a une évidente exagération. Appien (Bell. civ., I, 50) ne parle que de cinq mille morts.

[70] Appien, Bell. civ., I, 52 — Tite-Live, Épit. LXXVI).

[71] La prise de Venouse est peut-être de l’année suivante, 88. Cf. Diodore, fragm. XXXVII.

[72] Appien (I, 50), pour la première fois depuis le commencement de la guerre, donne ici de gros chiffres, trente mille hommes tués dans la déroute, et vingt mille dans le second combat.

[73] Épit., LXXV.

[74] Cependant cet esprit de discipline s’affaiblissait. Mous en avons eu déjà plusieurs preuves. On en trouve mie autre dans cette guerre : Porcius Caton aurait été lapidé par ses soldats soulevés si, raconte Dion Cassius (fr. 100), ils avaient trouvé des pierres dans les champs labourés où ils campaient ; ils se contentèrent de lui jeter des mottes de terre qui ne lui firent aucun mal.

[75] Diodore, XXXVII, 2.

[76] Diodore (ibid.) appelle μεγάλην δύναμεν cette armée de trente mille hommes qu’on avait réunie à grand’peine en rappelant tous ceux qui avaient déjà servi ; les armées, dans cette guerre n’étaient donc pas si fortes que les rhéteurs l’ont dit. Florus (III, 18) estime cette guerre, plus terrible que celle d’Annibal, et Velleius Paterculus affirme qu’elle conta à l’Italie trois cent mille hommes ; mais ne porte-t-il pas les forces de Cinna, en 84, a trente légions, et les pertes des deux guerres serviles à un million d’esclaves. Une seule fois exceptée, Appien ne parle que de pertes peu considérables. César, en avant d’Æsernia, perd deux mille hommes, Perperna quatre mille, Crassus huit cents, Motulus six mille, les Marses, dans la double bataille gagnée par Marius et Sylla, six mille. César, proconsul, ayant vingt mille hommes, en tua huit mille à l’ennemi ; Pompée, cinq mille, ou le tiers de l’armée italienne. Appien ne parle pas des cent quarante-cinq mille hommes que Velleius Paterculus met en présence sous Pompée et Scato.

[77] Appien, Bell. civ., I, 42.

[78] Tite-Live (Épit., LXXV) dit qu’il fut tué dans une rencontre avec Mamercus Æmilius, et place seulement après sa mort la prise d’Asculum. Évidemment c’est trop tard.

[79] En voici le texte rapporté par Cicéron dans le pro Archia, 4 : Data est civitas,... si qui fœderatis civitatibus adscripti fuissent ; si tum, cum lex ferebatur, in Italia domicilium habuissent, si sexaginta diebus apud prætorem essent professi. Ce plébiscite avait été proposé par les deux tribuns M. Plautius Silvanus et C. Papirius Carbo. Trois préteurs reçurent les déclarations Appius Claudius Pulcher, P. Gabinius Capito et Q. Cœc. Metellus Pius. Appius, dit Cicéron, tint ses registres avec négligence ; et la légèreté de Gabinius ôta aux siens toute créance. (Ibid., 5.) La loi Julia avait donné le jus civitatis à tous les alliés fidèles ; la loi Plautia l’accorda à toutes les villes fédérées, mais quelques-unes de ces villes, comme on le verra, aimèrent mieux garder leurs coutumes particulières ; la loi Plautia-Papiria, pour créer, même dans ces cités, un parti romain, permit qu’on vint prendre à Rome, individuellement, le titre de citoyen.

[80] Florus, III, 18.

[81] L’usage, réglementé plus tard, d’accepter à Rome le cens fait chez les fundani, par les magistrats municipaux, existait peut-être déjà, ce qui aurait diminué le nombre des déplacements, ce nombre put encore être réduit par la faculté qui parait avoir été accordée en d’autres circonstances de se faire représenter (Varron, de Ling. Lat., VI, 86) ; mais tous n’en avaient pas le moyen, et beaucoup crurent que le plus sûr était d’obéir strictement à la loi, en se rendant à Rome dans les soixante jours. La désignation de trois préteurs pour recevoir tes déclarations prouve que l’on eut besoin de prendre des mesures extraordinaires pour suffire à l’enregistrement des nouveaux citoyens.

[82] Le jus civitatis devait être formellement accepté par le peuple qui l’obtenait : ce peuple devenait alors fundus (Cicéron, pro Balbo, 8), et ses habitants étaient fundani. Mais on ne pouvait être citoyen de Rome et d’une autre ville : il fallait opter. (Cf. Corn. Nepos, Att., 3.) Cicéron le dit formellement : Ex nostro jure duarum civitatum nemo esse possit, tum amittitur hæc cviitas,... cuva is.... receptus est.... in aliam civitatem (Pro Cæcina, 34 ; cf. pro Balbo, 13).

[83] C’est une opinion généralement adoptée que toute l’Italie eut alors le droit de cité. Cependant Cicéron, clans le pro Balbo, ne parle que de certains peuples associés à la cité romaine ; il cite une concession de ce droit faite par Crassus à un habitant d’Alatrium, et la loi Papia, qui chassa encore une fois de la ville, en l’an 66, les peregrini, comme l’avait fait déjà la loi Licinia-Mucia. Enfin le cens, qui, avant la guerre, accusait trois cent quatre-vingt quatorze mille trois cent trente-six citoyens, n’en indique, en 86, que quatre cent soixante-trois mille. Il est vrai que cette guerre coûta, dit Velleius Paterculus (II, 13), trois cent nulle hommes aux Italiens et autant aux Romains, c’est-à-dire, en deux ans, plus du double de la seconde guerre Punique, mais j’ai déjà montré l’exagération de ces chiffres, en additionnant les nombres que donne Appien pour les morts laissés sur les champs de bataille et en rappelant que, si, à une époque où l’Italie était plus peuplée que durant la guerre Sociale, les mêmes peuples n’avaient pu lever deux cent mille hommes, ils n’ont pu en perdre trois cent mille dans cette guerre. La raison tirée des pertes faites par l’Italie dans cette guerre ne petit donc rendre compte du faible chiffre du cens. Il n’y a qu’une explication possible, c’est que toute l’Italie n’eut pas le droit de cité. Plusieurs villes fédérées, comme Naples, Héraclée (Cicéron, pro Balbo, 8), hésitèrent à l’accepter, ou le refusèrent, comme Pouzzoles (Cicéron, de Leg. apr., II, 31), comme l’avaient déjà refusé trois cités Herniques en 506. (Tite-Live, IX, 43.) Brindes ne l’eut pas ; car Sylla, à son retour d’Asie, έδωxιν άτέλειαν, (Appien, Bell. civ., I, 79). Bien d’autres étaient comme Brindes, puisque, à l’approche de Sylla, Cinna demande des secours à toutes les villes d’Italie, surtout à celles qui venaient de recevoir le droit de cité (Appien, Bell. civ., I, 76). Aussi son armée était-elle divisée non en légions, mais en cohortes, parce qu’elle renfermait beaucoup plus d’alliés que de citoyens, Plutarque (Mar., 35) dit : Les italiens étant soumis, on ne parla plus de la concession du droit de cité. Velleius Paterculus (II, 17) : Victis adflictisque.... quam integri universis civitatem dare maluerunt. Nous verrons Sulpicius le vendre à qui voudra l’acheter, et Carbon, en 84, en faire encore des gratifications (Tite-Live, Épit., LXXXIV). L’Épitomé de Tite-Live dit expressément des Marses, Vestins et Péligniens : in deditionem accepti, c’est-à-dire réduits à la condition de sujets ; des Hirpins, domili, les Lacaniens restés encore en armes sous Lamponius et Cleptius, les Samnites sous Pontius Telesinus, ne pouvaient avoir reçu ce droit. Après ces explications, on comprendra combien sont erronés tous les calculs de statistique qu’on a déduits de cette donnée, que, toute l’Italie ayant ce droit, le chiffre du cens à Rome permettait d’établir exactement celui de la population même de l’Italie. Niebuhr a dit (t. I, p. 387), dans ses leçons publiées à Londres : It is a very common but erroneous opinion that the lex Julia conferred the privilege of Roman citizens upon the Italians, who, in fact, nover acquired those privileges by any one law, but gained them successively one by one.

[84] Velleius Paterculus (II, 20) dit huit ; Appien (Bell. civ., 1, 49), dix. Après Sylla, on ne trouve que les trente-cinq anciennes tribus. Cf. Cicéron, de Leg. agr., II, 7 ; Verrés, I, 5 ; Philippiques, VI. Cette suppression fut salis doute opérée par Cinna, qui répartit les nouveaux citoyens dans les anciennes tribus. L’Italie n’eut plus alors que trois sortes de villes : des municipes, des colonies et des préfectures. (Cicéron, pro Sextio, 14, 32 ; in Pison., 22, 51 ; Philip., IV, 3, 7.)

[85] Cicéron, pro Balbo, 14 et 18. Les Insubriens, les Helvètes et quelques barbares de la Gaule étaient aussi exclus. En même temps que cette concession était faite aux alliés, le tribun Plautius Silvanus (89) fit passer un plébiscite qui enleva le jugement des cas de haute trahison aux tribunaux des chevaliers.