HISTOIRE DES ROMAINS

 

CINQUIÈME PÉRIODE — CONQUÊTE DU MONDE (201-133)

CHAPITRE XXX — TROISIÈME GUERRE DE MACÉDOINE (171-168).

 

 

I. — DERNIÈRES ANNÉES DE PHILIPPE ; MORT DE PHILOPŒMEN ET D’ANNIBAL.

Déjà le peuple romain avait promené partout l’univers ses armes victorieuses. Au milieu de tant de bonheur, il n’avait pas oublié la modération, et il dominait les nations moins par la force et la terreur que par la grandeur de son nom et la sagesse de ses conseils. Humain envers les peuples et les rois vaincus, libéral avec les alliés, il ne demandait pour lui-même que l’honneur de la victoire. Il avait laissé aux rois leur majesté, aux peuples leurs lois et leur liberté.

C’est ainsi que Tite-Live commence le récit de la guerre contre Persée. Les faits ont déjà répondu et vont répondre encore à ce magnifique éloge de la modération romaine.

La défaite d’Antiochus et la ruine des Étoliens avaient satisfait l’orgueil humilié de Philippe, mais lui avaient enlevé les seuls auxiliaires qui auraient pu le sauver. Il restait donc isolé en face de Rome, et, aux outrages que lui prodiguait déjà le sénat, il devait comprendre que sa ruine était résolue. Pour prix de son alliance durant la guerre d’Antiochus, le sénat lui avait abandonné les conquêtes qu’il pourrait faire ; à peine la victoire des Thermopyles eut-elle été gagnée, qu’on arrêta ses progrès. Il allait prendre Lamia, en Thessalie : Acilius lui ordonna d’en lever le siège ; il avait conquis l’Athamanie : on laissa aux Étoliens le temps de l’en chasser. Trop bien surveillé dans la Grèce, il se détourne sur la Thrace, et y fit à petit bruit des conquêtes importantes. Les places maritimes[1] d’Ænos et de Maronée reçurent ses garnisons. Mais, de ce côté, Eumène l’épiait et le dénonça à Rome. Dès qu’on sut que les plaintes des bannis de ces deux villes étaient bien accueillies, il accourut au bord du Tibre une foule de Thessaliens, de Magnètes, d’Athamanes, etc.[2] et le sénat envoya trois commissaires qui, pour montrer aux Grecs l’humiliation et la faiblesse de ce roi devant lequel ils avaient si longtemps tremblé, forcèrent Philippe à comparaître devant leur tribunal comme un accusé ordinaire[3]. Il leur avait enlevé, disaient les Thessaliens, cinq cents jeunes gens des premières familles ; il avait ruiné le port de Thèbes, en Phthiotide, au profit de Démétriade, et tendu des piéges à tous les députés envoyés par eux à Flamininus. Comme des esclaves tout à coup affranchis, répliqua le roi, ces gens ne savent user de la liberté que pour insulter leur maître ; au reste, ajouta-t-il fièrement, le soleil ne s’est pas encore couché pour la dernière fois[4]. Est-il nécessaire de dire que les commissaires prononcèrent contre lui (185) ?

Tite-Live et Polybe l’accusent d’une cruauté qui était habituelle à tous ces rois[5], et le premier raconte en preuve une histoire où l’on voit combien la vie de ce temps était dure : Philippe avait fait tuer un des principaux Thessaliens et ses deux gendres. Les veuves avaient chacune un fils en bas âge ; l’une refusa de œ remarier ; l’autre épousa Poris, le plus considérable des citoyens d’Ænia en Chalcidique, et mourut après lui avoir donné plusieurs enfants. Sa sœur, Théoxène, afin de veiller de plus près à l’éducation de ses neveux, unit sa destinée à celle de Poris et fût une véritable mère pour tous ses enfants. Survint un ordre du roi prescrivant que les fils de ceux qu’il avait fait périr lui fument remis. C’était la mort ou l’infamie qui les attendait. Théoxène déclara qu’elle les tuerait plutôt que de les livrer, et Poris essaya de fuir. Il s’embarqua de nuit avec tous les siens pour les conduire à Athènes : mais le vent était contraire ; quand le jour parut, ils se trouvaient encore en vue du port, et un navire courut à leur poursuite. Théoxène, prévoyant ce danger et résolue à y soustraire ses enfants, avait emporté des armes et du poison. La mort, leur dit-elle, est notre unique ressource : voici deux moyens d’y arriver. Les uns prennent le poison, d’autres le poignard ; elle les jette mourants à la mer et s’y précipite elle-même avec son époux[6].

Quelque accoutumés qu’on frit à de pareils destins, cette fin tragique d’une famille entière excita l’horreur, et le pieux historien veut que de ce jour les dieux aient marqué Philippe pour être leur victime. Rome allait se charger d’exécuter l’arrêt d’en haut.

L’intervention des dieux n’était pas nécessaire, la politique suffisait, et le roi la mettait contre lui par d’imprudentes démarches que Rome dut regarder comme des provocations. Il était bien d’ouvrir des mines, d’établir de nouveaux impôts, de favoriser le commerce : il ne l’était pas d’essayer d’accroître la population de son royaume par des procédés asiatiques qui soulevèrent contre lui des haines sans lui apporter beaucoup d’avantages. Les villes maritimes lui étaient peu affectionnées ; il en transporta les habitants dans la Pæonie et les remplaça par des barbares. Sous prétexte de porter se cours aux Byzantins, il fit une incursion dans l'intérieur de la Thrace, battit plusieurs petits rois et ramena de ce pays une colonie nombreuse, où il espérait recruter des soldats. Prusias était en guerre contre le roi de Pergame, il lui envoya des auxiliaires; et, se souvenant des plans d'Annibal, il excita, par de secrets émissaires, les barbares du Danube à se liguer avec lui pour marcher sur l'Italie. Leur chef promit de donner sa sœur en mariage au fils du roi. Eu vue d'appuyer ces négociations et d'assurer son influence dans la Thrace, il fonda la ville de Philippopolis sur les bords de l'Hèbre, non loin de l'Hæmus. On disait que du haut de cette montagne le regard embrassait le Pont-Euxin, l'Adriatique, le Danube et les Alpes. Philippe voulut la gravir pour reconnaître de là le plus court chemin vers l'Italie, car, désespérant de la Grèce, qu'il connaissait bien, il rêvait de recommencer lui-même l'expédition d'Annibal. Il mit trois jours à atteindre la cime cachée dans un épais brouillard et y éleva deux autels à Jupiter et au Soleil, mais il ne vit rien que les plaines fécondes de la Mœsie et de la Thrace[7]. Quand il redescendit, la nouvelle de cette étrange expédition, de cette impuissante menace, courait déjà vers Rome. Quelque temps auparavant, Philippe, pour endormir la vigilance du sénat, lui avait envoyé sort fils Démétrius, qu’un long séjour à Rome comme otage et des prévenances calculées avaient rendu tout dévoué aux intérêts romains. Avec son habileté meurtrière, le sénat, jetant la division et la haine jusque dans la maison royale, répondit qu’il pardonnait au père par considération pour le fils. Démétrius devait bientôt payer de sa vie ces perfides égards[8].

Le sénat, lui aussi, commençait ses préparatifs, en faisant servir la paix à énerver les peuples de la Hellade déjà si faibles ; en travaillant sans bruit et sans relâche à la dissolution des ligues, à l’abaissement des États. Ses commissaires ne quittaient plus la Grèce[9] ; à leur tête se trouvait toujours Flamininus, dont l’influence était encore accrue par la dignité de censeur qu’il avait récemment quittés Deux hommes gênaient en Orient la politique du sénat, Philopœmen en Grèce, Annibal en Asie. Flamininus accepta la honteuse mission de délivrer le peuple-roi de ces deux vieillards. Philopœmen avait alors soixante-dix ans. Il ne se faisait pas illusion sur l’avenir de sa patrie ; il voyait sa liberté périr sans même pouvoir lui donner pour tombeau un champ de bataille. Es-tu donc si pressé, disait le vieux guerrier, avec une triste et amère résignation, à un des plus zélés partisans de Rome, es-tu donc si pressé, Aristénès, de voir le dernier jour de la Grèce ? Cependant il lutta courageusement. Diophanès ayant uni imprudemment les troupes de la ligue à celles de Flamininus pour attaquer Sparte, Philopœmen se jeta dans la place et la défendit contre eux[10]. Une aube fois les Spartiates voulurent s’emparer d’un port, afin de pouvoir envoyer secrètement à Rome des ambassadeurs, il les contraignit à rester dans l’alliance et abattît leurs murailles, pour leur ôter l’envie et la facilité d’une défection. Rome demandait que les Achéens fissent rentrer à Sparte les bannis, Philopœmen s’y opposa ; non par haine coude eux, mais pour qu’ils n’eussent pas cette obligation aux Romains.

La réunion du Péloponnèse en un seul État avançait, et la réputation de la ligue, celle de son général, s’étendaient au loin. Séleucus, Eumène, Ptolémée, lui envoyaient des ambassadeurs avec de riches présents[11]. Le sénat se hâta d’abaisser la fierté de cet État, qui prétendait faire lui-même ses affaires, sans laisser les Romains s’en mêler[12]. Il demanda que Sparte pût se détacher de la ligue ; Philopœmen empêcha que ses envoyés ne fussent admis. Ils revinrent, avec l’ordre d’être entendus toutes les fois qu’ils le voudraient, et ils se rendirent à l’assemblée accompagnés des bannis de Sparte que, la veille, les Achéens avaient condamnés à mort. Quand Flamininus alla demander à Prusias la tête d’Annibal, il passa par Messène. A peine l’eut-il quittée, qu’une sédition éclata contre les Achéens, et en même temps parut un décret du sénat qui permettait à Corinthe, à Argos et à Sparte de se séparer de la ligue. Philopœmen était alors à Mégalopolis. Malgré son âge et une maladie récente, il fit 17 lieues en un jour pour étouffer l’insurrection ; mais, dans une rencontre avec les Messéniens, il tomba de cheval, fut pris et condamné à boire la ciguë (183). Lycortas, son ami, le vengea sur les Messéniens, et la Grèce entière lui fit de magnifiques funérailles ; Polybe portait l’urne qui renfermait les cendres. Comme on dit que les mères aiment plus leurs derniers enfants qu’elles ont dans un âge avancé, la Grèce, comme ayant enfanté Philopœmen dans sa vieillesse et après tous les grands personnages qu’elle avait portés, l’aima d’un singulier amour et l’appela le dernier de ses enfants[13].

Ce fut aussi de la main de Rome que périt Annibal. Abandonné par Antiochus, après Magnésie, il s’était retiré en Crète et de là en Arménie, d’où Prusias l’appela pour qu’il l’aidât de ses talents contre Eumène. Annibal battit le roi de Pergame, mais ses victoires retentirent jusqu’à Rome, et il vit bientôt Flamininus arriver à la cour de Prusias. Il avait fait préparer à sa maison sept issues secrètes : quand il voulut fuir, elles étaient toutes gardées. Délivrons, dit-il, les Romains de leurs terreurs ; et il prit un poison violent qu’il portait toujours sur lui (183)[14]. Ainsi tomba celui que Montesquieu appelle le colosse de l’antiquité.

Ces deux vieillards de moins dans le monde, il semblait que Rome ne dût plus trouver que des haines impuissantes. En Syrie, Antiochus avait péri lapidé par son peuple dont il pillait les temples pour s’acquitter envers le sénat (187) ; et Séleucus, son successeur, passa les onze années de son règne à ramasser l’argent du tribut. Un moment, il voulut tirer l’épée pour défendre Pharnace, roi de Pont, contre Eumène et Ariarathe de Cappadoce : Rome commanda la paix aux quatre rois. L’Égypte, sous la tyrannie d’Épiphane et la minorité de Philométor, allait s’affaiblissant ; Alexandrie, d’ailleurs, semblait un monde assez vaste, assez troublé pour que peuples et rois ne jetassent pas les yeux au dehors. Cartilage travaillait à se faire oublier : Masinissa venait de lui enlever une troisième province ; elle n’avait osé que se plaindre et solliciter du sénat une vague promesse de garantie contre de nouveaux empiétements. En Espagne, la guerre allait cesser ; en Italie, presque tous les Cisalpins s’étaient soumis ; seule la Macédoine restait debout et forte.

Chaque jour Philippe se faisait lire son traité avec les Romains pour nourrir son ressentiment. Ses émissaires étaient revenus des bords du Danube. Une peuplade nombreuse et renommée par son courage, les Bastarnes, acceptait ses offres. Il promettait à ces barbares une route sûre par la Thrace où il avait imprimé la terreur de ses armes, il leur assurait des vivres, une solde de guerre et des terres fécondes dans le pays des Dardaniens. Ce peuple détruit, il comptait pousser les Bastarnes sur l’Italie, tandis que lui-même soulèverait la Grèce et appellerait tous les rois à la liberté.

Mais la sinistre prévoyance du sénat allait porter ses fruits. Démétrius, de retour en Macédoine, y trouva une faction puissante qui voulait à tout prix la paix et qui plaça à sa tête l’ami des Romains. Les partisans de la guerre avaient pour chef un frère aîné de Démétrius, Persée, qui, né d’une femme de basse naissance, craignait que Philippe ne laissât sa couronne à Démétrius. Pour perdre ce rival, il le peignit au roi comme un traître pressé, par Flamininus et par son ambition, de lui ravir le pouvoir. Le malheureux père hésitait entre ses deux enfants. Mais un jour Persée accourt ; dans un tournoi, son frère, dit-il, a voulu le tuer, et la nuit suivante il a assailli sa demeure avec des gens armés. D’ailleurs il veut fuir chez les Romains pour revenir sans doute avec les légions. Philippe interroge ; le crime semble prouvé ; et le jeune prince ayant tenté de s’enfuir à Rome, le roi se résolut à le faire secrètement périr. Invité par le gouverneur de la Péonie, dépositaire des ordres du père, à un repas de sacrifice, Démétrius se rendit à Héraclée où se faisait la fête. On mêla du poison aux viandes sacrées, et, comme la douleur lui arrachait de grands cris, on l’étouffa sous des couvertures (182). On dit que plus tard Philippe reconnut son innocence, et que la douleur le conduisit au tombeau (179).

 

II. — PERSÉE.

Les Romains ont voulu déshonorer Persée après I’avoir vaincu. Leurs historiens ont usé contre lui du droit de la guerre, væ victis, et les modernes ont fait comme eux. Mais Tite-Live n’accuse-t-il pas Annibal d’impéritie ? Cependant il vante dans Persée la pureté des mœurs, la majesté toute royale de sa personne, son habileté dans les exercices et dans les travaux de la paix et de la guerre[15]. Il l’accuse vaguement d’avoir tué sa femme, et lui reproche le meurtre de Démétrius. Mais, d’après son récit même, Persée devait se croire véritablement menacé. Il le représente comme un avare tenant plus à ses trésors qu’à sa couronne, et, quand les villes de Macédoine lui offrirent spontanément des subsides, il les refusa[16] ; quand Cotys l’eut servi six mois avec deux mille auxiliaires, il lui donna pour sa cavalerie 100 talents de plus qu’il ne lui en avait promis[17]. Nous verrons plus loin si rien ne justifie sa conduite avec Gentius et les Bastarnes. Dans son royaume, Persée sut gagner l’affection et le dévouement de ses sujets ; au dehors, il releva si haut la considération de la Macédoine, que pendant dix années il tint les regards du monde fixés sur elle[18]. Quant aux meurtres qu’on lui attribue, ou les preuves manquent, comme pour l’histoire de Rammius de Brindes ; ou ils rentrent dans cette politique de perfidies et d’assassinats que suivaient alors tous les rois et Rome elle-même. Ceux qui avaient fait tuer Annibal, Philopœmen et Brachillas étaient mal venus à lui reprocher l’assassinat d’Eumène. On a mis en doute jusqu’à son courage. Mais il se trouva à tous les combats, conduisit toutes les expéditions, en Thrace, en Illyrie, en Épire, contre les Dardaniens et l’Étolie. A Pydna, il avait été blessé la veille, et il se jeta sans cuirasse au milieu de sa phalange rompue. Persée n’était donc ni meilleur ni pire que les principaux personnages de son temps.

Philippe avait, dit-on, voulu laisser le trône au neveu de son ancien tuteur, Antigone. Persée se hâta de faire disparaître un rival dangereux. Mais il se garda de rompre en face avec le sénat ; il prit à ses pieds sa couronne, renouvela le traité conclu avec son père et durant six années ne parut occupé que du soin de détourner de lui l’attention de Rome. Cependant il sentait qu’une menace était toujours suspendue sur sa tête et que les causes qui avaient amené la seconde guerre de Macédoine en préparaient une troisième. L’achèvement de l’œuvre commencée en Grèce par Flamininus exigeait la ruine du royaume macédonien. Les sénateurs romains n’étaient pas hommes à se demander si cela serait une chose honnête. Il suffisait qu’elle parût une chose utile, et ils ont eu l’art, souvent pratiqué depuis, de faire de leur victime l’agresseur. Persée n’a jamais conçu la folle pensée de jouer le rôle d’Annibal ou d’essayer celui d’Antiochus. Il ne disposait même pas des ressources que son père possédait, au moment de ses premiers combats contre Rome. Il ne pouvait donc songer qu’à organiser la défense de ses États dans le silence et l’ombre ; mais il la prépara énergiquement.

Philippe lui avait laissé un trésor bien rempli ; il l’augmenta encore et amassa assez de richesses pour soudoyer pendant dix ans dix mille mercenaires. II n’avait pas de flotte ; en créer une eût été une déclaration de guerre ; il y renonça : mais il ruina toutes ses villes maritimes qui n’étaient pas en état de se défendre. Dans ses arsenaux il réunit de quoi équiper trois armées et des vivres pour dix ans[19]. Par ses expéditions en Thrace, Philippe avait aguerri son armée ; il l’exerça en écrasant les Dolopes, qui voulaient se mettre sous la protection de Rome, et il put compter sur quarante-cinq mille bons soldats. Enfin, pour réunir autour de lui tous les Macédoniens, il ouvrit les prisons, remit les sommes dues au fisc et rappela les bannis ; des édits publiquement affichés à Delphes, à Délos et dans le temple de Minerve Ithonienne, leur promirent sûreté et la restitution de leurs biens.

Philippe n’avait jamais pu faire oublier aux Grecs sa cruauté. Persée envoya à toutes les villes des ambassadeurs pour demander l’oubli du passé et une sincère alliance. Prévenant par ses bienfaits leur amitié, il rendit aux Athéniens et aux Achéens ceux de leurs esclaves auxquels son père avait ouvert un asile dans son royaume. La Thessalie était incapable de se gouverner : il profita de ses divisions, soutint les petits contre les grands, les débiteurs contre leurs créanciers, et des garnisons macédoniennes rentrèrent dans la plupart des villes d’où les Romains les avaient chassées. L’Épire ne s’était tournée qu’à regret contre Philippe : il la ramena secrètement dans son alliance. Les Béotiens avaient rejeté l’amitié de son père ils acceptèrent publiquement la sienne par un traité qu’on afficha à Thèbes, à Délos et à Delphes. Sans quelques avisés et prudents personnages, l’Achaïe faisait de même, et c’est à lui que les Étoliens s’adressaient quand leur pays était troublé. Gentius, petit roi d’Illyrie, qu’effrayaient le voisinage et les menaces des Romains[20], promit des secours en échange de quelques subsides, et Cotys, roi des Thraces-Odryses, s’engagea à partager tous ses périls. Le roi de Syrie, Séleucus IV, lui avait donné pour épouse sa fille, qu’une flotte rhodienne lui amena[21] ; Prusias, son beau-frère, n’attendait qu’une occasion d’attaquer en Asie Eumène, le protégé du sénat. Ce roi de Pergame n’était as lui-même sans trouver que l’amitié de Rome était quelquefois bien lourde[22], et il tâchait de s’assurer celle d’Antiochus IV. Rhodes, mal récompensée de ses services, et qui, dans le soulèvement des Lyciens contre elle, reconnaissait la main du sénat, se rapprochait de Persée ; il eut même à Samothrace, durant plusieurs jours, de secrètes entrevues avec les députés des villes d’Asie[23]. A Carthage, le sénat reçut la nuit, dans le temple d’Esculape, ses ambassadeurs[24]. Enfin, trente mille Bastarnes approchaient, et le bruit seul de leur marche jetait l’effroi en Italie[25].

Ainsi, ce que n’avait pas fait Annibal, Persée semblait prêt à l’accomplir. Encouragé par cette haine universelle que l’ambition de Rome avait soulevée, il marcha plus hardiment. Pour montrer aux Grecs les enseignes macédoniennes, qu’ils n’avaient pas vues depuis vingt ans, il pénétra avec une armée, sous prétexte de sacrifices à Apollon, jusqu’au temple de Delphes. En Thrace, en Illyrie, le sénat avait des alliés : il dépouilla le Thrace Abrupolis, et fit tuer le chef illyrien Arthétauros[26]. Deux Thébains voulaient retenir la Béotie dans l’alliance de Rome, ils tombèrent sous les coups de meurtriers inconnus.

Eumène, alarmé de cette résurrection de la puissance macédonienne, vint la dénoncer à Rome. Il révéla dans le sénat les préparatifs de Persée, ses intrigues pour s’attacher partout le parti populaire, au détriment des amis de Rome, ses crimes vrais ou supposés. Voyant, dit-il, que vous laissez le champ libre en Grèce et que rien n’a lassé votre patience, il se tient pour assuré de passer en Italie sans trouver un seul combattant sur son chemin. Eumène termina ce discours haineux par l’habituelle invocation aux dieux. A vous, Romains, de décider ce que réclament votre sûreté et votre honneur. Pour moi, il me reste à prier les dieux et les déesses de vous inspirer le désir de défendre nos intérêts et les vôtres.

Persée avait fait suivre Eumène en Italie par ses propres ambassadeurs ; ils demandèrent à répondre et le firent avec hauteur, presque avec menace. Le roi, dirent-ils, est fort en peine de se justifier. Il tient à ce qu’on ne voie dans ses paroles ou dans ses actes rien d’hostile ; mais, si l’on s’obstine à chercher un prétexte de guerre, il saura bravement se défendre. Les faveurs de mars sont à tout le monde et l’issue de la guerre est incertaine.

Eumène, comblé de présents, parmi lesquels étaient les insignes consulaires, la chaise curule et le bâton d’ivoire, retourna par la Grèce dans ses États, et Persée, certain qu’il monterait à Delphes offrir un sacrifice à Apollon, aposta sur le chemin des meurtriers. Pour donner accès à ce temple fameux, les Romains eussent construit une grande et large voie ; les Grecs ne s’étaient pas donné ce souci. Au-dessus de Cirrha, la route s’élevait rapide ment et, en un certain endroit, près d’une masure se réduisait à un sentier qu’un éboulement venait de rétrécir encore. Quatre brigands se cachent derrière les ruines et y attendent le roi, qui arrivait, suivi de ses amis et de ses gardes. A mesure que l’on montait, la suite royale s’allongeait ; prés de la masure, Eumène se trouva seul en tête avec le chef étolien, Pantaléon. A cet instant, les bandits font rouler de grosses pierres, dont l’une frappe le roi à la tête, l’autre à l’épaule ; il tombe évanoui, on le croit mort, et tous, d’abord, s’enfuient ; même les assassins, qui ne croient pas avoir besoin de s’arrêter pour achever leur victime. Ils gravissent rapidement les pentes du Parnasse, et l’un d’eux les suivant avec difficulté, ils le tuent pour qu’il ne tombe pas vivant aux mains des gardes qui avaient reconnu leur petit nombre et s’étaient mis à leur poursuite.

Cependant l’Étolien était resté prés du roi, le couvrant de son corps ; les amis, les serviteurs, reviennent. On porte Eumène, toujours évanoui, à son vaisseau, de là à Corinthe et de Corinthe à Égine, en faisant passer le navire par-dessus l’isthme. On s’arrêta dans file et l’on garda un profond silence sur l’événement. Les Pergaméens, qui avaient bien compris d’où le coup était parti, se trouvaient trop prés de la Macédoine pour ne pas cacher les progrès du mal ou de la guérison. La nouvelle de la mort du roi courut à Pergame, et déjà Attale, son frère, réclamait la main de la reine et la couronne.

Un commissaire romain, Valerius, se trouvait alors en Grèce. Il vint rendre compte aux sénateurs de ce nouvel attentat, amenant avec lui deux témoins contre le roi de Macédoine. Le premier était l’hôtesse habituelle de Persée à Delphes, qui, sur une lettre de lui, avait mis à la disposition de ses gens la maison près de laquelle le crime avait été commis. Le second, Rammius de Brindes, chez qui descendaient les Romains de distinction allant d’Italie en Grèce et les députés des nations étrangères, déposa que, invité par Persée à le venir trouver, il en avait reçu les plus magnifiques promesses, à la condition d’empoisonner ceux des Romains logés dans sa maison que le roi lui désignerait.

Persée, fort malmené par Tite-Live, a naturellement trouvé des apologistes à outrance. Je ne puis lui accorder que l’assassinat d’Eumène ait été une invention des Romains ou une spéculation d’obscurs bandits. Supprimer le roi de Pergame était un coup fort utile où Persée trouvait en outre le plaisir de la vengeance. deux motifs qui, en ce temps-là, suffisaient. Je crois donc qu’il faut laisser à son compte l’aventure manquée de Delphes, sauf à concéder que Rammius, trouvé en Grèce au retour d’un voyage en Macédoine, a imaginé une fable qui expliquait sa présence à Pella, servait les projets de Rome et sa propre fortune. Car, d’après les habitudes romaines, cette délation devait lui rapporter beaucoup[27].

Les hostilités auraient du commencer en l’année 172. Un incident, curieux pour l’histoire constitutionnelle de Rome, les suspendit. Le consul M. Popillius avait, l’année précédente, sans déclaration de guerre, attaqué les Statielles : dix mille périrent, autant furent vendus. Comme en ce moment beaucoup de chefs militaires se croyaient tout permis dans leur province, les sénateurs trouvèrent opportun de donner une leçon à l’un d’eux ; d’ailleurs les circonstances étaient assez graves pour qu’il fût imprudent de provoquer tous les montagnards de la Ligurie. Eu conséquence, ils ordonnèrent à Popillius de rendre à ce qui restait de Statielles la liberté et leurs biens. C’était un affront pour le consul, et les sénateurs n’avaient nul droit de le lui infliger, car s’il avait été cruel, il avait du moins agi dans la limite de son imperium. Aux tribuns seuls appartenait le droit de le citer, au sortir de charge, par-devant le peuple, qui pouvait alors le punir d’une amende ou de l’exil. Le sénatus-consulte était donc un nouvel empiétement des pères conscrits sur le pouvoir consulaire. Popillius le leur reprocha dans une assemblée qu’il vint tenir au temple de Bellone : il condamna à l’amende le préteur qui avait fait la proposition, demanda la suppression du démet eh au lieu d’un blâme, des actions de grâces aux dieux pour sa victoire[28]. L’année se passa sans que le différend fût vidé ; Fan d’après, les nouveaux consuls, dont fun était frère de Popillius, le renouvelèrent, et le sénat, irrité, décida que, pour 172, la province consulaire serait la pauvre Ligurie et non la riche Macédoine. Ce retard donnait aussi le temps d’achever les préparatifs qu’on voulait rendre formidables et les négociations qui devaient isoler la Macédoine. Le monde resta donc, une année encore, dans l’anxieuse attente de cette lutte qui remettait en question ce que la victoire de Zama avait paru décider.

Persée devait-il prendre l’offensive et, dans l’espérance de soulever la Grèce, sortir de ses montagnes macédoniennes qui semblaient d’inexpugnables remparts ? Sans doute l’audace aurait pour quelque temps réussi et son armée se serait grossie de quelques volontaires[29]. Mais ces rois et ces peuples qui faisaient pour lui tant de vœux secrets n’auraient osé lui donner un soldat. Antiochus oubliait son frère, retenu comme otage au bord du Tibre, pour disputer à Philométor la Cœlésyrie, et envoyait à Rome une ambassade avec de somptueux présents pour les temples et d’humbles paroles pour le sénat. Masinissa, qui venait d’enlever à Carthage une quatrième province avec soixante-dix villes, achetait le silence complaisant de Rome au prix de secours importants ; mais, pour ne pas s’exposer au risque d’allumer une guerre en Afrique, au moment où allait commencer celle de Macédoine, on défendit au Numide de pousser à bout les Carthaginois. Eumène avait entraîné Ariarathe[30] ; Rhodes n’osait refuser au sénat des vaisseaux ; Ptolémée en offrait. Si Cotys, roi des Odryses, était pour Persée, d’autres chefs thraces étaient pour Rome ; Gentius, prince cruel et débauché, voulait faire payer au poids de l’or une assistance dérisoire[31], et les Bastarnes demandaient pour les fantassins cinq pièces d’or par homme, dix pour les cavaliers, mille pour les chefs de bande. Ces exigences inspirèrent au roi de justes défiances, et il laissa s’éloigner des auxiliaires dont la fidélité s’achèterait sans doute, comme leur courage, au poids de l’or[32]. Ainsi, au moment de la lutte, Persée se trouvait seul.

Au commencement de l’année 171, le sénat rendit enfin le décret suivant : Pour le salut et la prospérité de la république, les consuls feront à la première assemblée des comices centuriates, la proposition suivante : Considérant que Persée, contrairement au traité conclu avec son père et renouvelé avec lui-même, a porté ses armes contre nos alliés, dévasté leur territoire et occupé leurs villes, qu’il a réuni des aimes, des soldats et des vaisseaux pour entreprendre une guerre contre le peuple romain, plaise au peuple, si ce roi ne donne pas satisfaction, que la guerre lui soit faite. L’assemblée, suivant l’habitude, accepta sans discussion la proposition sénatoriale. On leva aussitôt deux légions dont l’effectif fut porté de cinq mille deux cents hommes à six mille fantassins et trois cents cavaliers. Le contingent des alliés fut, de même, augmenté et fixé à seize mille hommes de pied et quatorze cents chevaux ; c’était donc, pour les deux légions, vingt-huit mille fantassins et deux mille cavaliers. La disproportion entre les deux armées était grande ; mais on devait combattre en pays montagneux où une nombreuse cavalerie n’était pas nécessaire. D’assez nombreux auxiliaires étrangers, Ligures, Crétois et Numides, formaient un corps de troupes légères dont le service pouvait être fort utile. Masinissa envoya même des éléphants. Un sénatus-consulte ratifié par un plébiscite, décida que, pour la guerre de Macédoine, tous les tribuns légionnaires seraient à la nomination du consul[33].

Le recrutement se fit sans difficulté. Depuis qu’on avait vu les soldats revenir avec un gros butin des campagnes de Grèce et d’Asie[34], les guerres d’Orient étaient populaires. Une seule difficulté s’éleva. On voulait donner à cette armée des cadres solides, et un sénatus-consulte avait prescrit d’appeler les anciens centurions qui n’auraient point dépassé cinquante ans. Plusieurs de ces officiers, n’ayant pas obtenu le rang auquel ils pensaient avoir droit[35], réclamèrent auprès des tribuns du peuple ; l’affaire ayant été portée devant une assemblée que le consul présida, un d’eux demanda la permission de parler. Nous résumons son discours qui montre quelle était, depuis un demi-siècle, la vie d’un plébéien. Ailleurs[36] nous indiquerons les conclusions qu’il en faudra tirer, touchant la condition faite au peuple par ces longues guerres.

Quirites, dit-il, je suis Spurius Ligustinus, de la tribu Crustumine et originaire du pays des Sabins. Mon père m’a laissé un arpent de terre et une cabane où j’habite encore. Quand j’eus l’âge, il me fit épouser sa nièce, qui m’apporta sa chasteté et une fécondité à combler les vœux d’une riche maison, six fils et deux filles. Embarqué pour la guerre de Macédoine, je servis deux ans comme soldat, et Flamininus me nomma centurion de la dixième compagnie des hastats. Sous Porcius Caton, en Espagne, j’arrivai au commandement de la première, et dans la guerre contre les Étoliens, à celui des princes de la première centurie. Dans mes vingt-deux campagnes, j’ai été quatre fois primipilaire ; il m’a été décerné trente-quatre récompenses pour mon courage et six couronnes civiques. Enfin je compte plus de cinquante années d’âge et je puis donner quatre soldats à ma place. J’ai donc quelque droit à obtenir mon congé ; mais, tant qu’on me trouvera bon pour le service, je n’invoquerai pas l’excuse légale. C’est aux tribuns à voir quel rang je suis capable d’occuper. Et vous, mes camarades, vous qui n’avez jamais rien fait contre l’autorité des magistrats et du sénat, mettez-vous à la disposition des consuls ; toutes les places sont honorables, quand on y défend son pays[37].

Ces patriotiques paroles, dont il n’y a pas lieu de suspecter l’authenticité, du moins quant au fond du discours, avaient sans doute été préparées par le consul ; le moyen réussit : les centurions retirèrent leur demande et les généraux eurent des hommes expérimentés pour conduire leurs cohortes.

Aux préparatifs militaires se joignirent les précautions religieuses. Un des consuls reçut du sénat l’ordre de faire un nouveau traité avec le ciel, en vouant à Jupiter très bon, très grand, dix jours de jeux, et à tous les dieux des offrandes, si la république restait dix ans dans le même état.

Le sénat n’avait d’abord envoyé au delà de l’Adriatique qu’un préteur et cinq mille hommes. Mais sept commissaires précédaient l’armée ; ils parcoururent la Grèce, où leur seule présence suffit pour détruire l’effet de six années de prudence et de concessions : preuve évidente de la fragilité de l’appui auquel on voudrait que Persée eût confié sa fortune. Dans la Thessalie, toutes les villes non occupées par les Macédoniens donnèrent des otages, que les Romains enfermèrent à Larisse. Dans l’Étolie, où de sanglantes dissensions[38] enlevaient au peuple le peu de force qui lui restait, ils firent nommer stratège un de leurs partisans et déportèrent en Italie tous ceux qu’on leur désigna comme ennemis de Rome ; en Béotie, ils rompirent la ligue et regagnèrent toutes les villes à leur alliance ; dans le Péloponnèse, les Achéens, quelque temps incertains, promirent d’envoyer mille hommes à Chalcis pour la défendre. L’Acarnanie, l’Épire même, montraient un empressement de bon augure. Du haut de ses montagnes, Persée voyait ces courses, ces menées des ambassadeurs romains, et il se laissait enlever la Grèce sans risquer pour elle un combat, comme si elle ne valait pas même l’honneur d’une lutte. Au lieu d’agir, il négociait, et, après avoir provoqué son implacable ennemi, il s’arrêtait, perdant volontairement la seule chance qu’il eût, non de triompher, mais de tomber avec gloire, après avoir peut-être quelque temps ébranlé le monde.

Tandis que le préteur, avec sa faible armée, prenait position dans la Dassarétie, Persée sollicitait une trêve, que Marcius, le chef de la députation romaine, se hâta de lui accorder, en se félicitant de l’avoir trompé par cet appât de négociations ; trêve qui ne lui faisait rien gagner et qui donnait aux Romains le temps d’achever leurs préparatifs. C’est de l’astuce punique, disaient de vieux sénateurs. — Non pas, répondaient les jeunes, mais de la politique habile.

Quoi qu’en disent certaines légendes que Tite-Live raconte, ce peuple n’avait jamais été assez chevaleresque pour que Marcius dût lui paraître trop habile. A Rome, on agit comme lui. Durant cinq mois on fit attendre une réponse aux députés du roi. Lorsqu’ils furent admis enfin devant le sénat, dans le temple de Bellone, les députés dirent : Le roi Persée se demande avec étonnement pourquoi ces armées qui se dirigent vers son royaume ? Si le sénat veut les rappeler, le roi donnera toutes les satisfactions qu’on demandera. On leur répondit que le consul Licinius serait bientôt en Macédoine avec une armée ; qu’à lui, devrait s’adresser le roi, s’il avait des satisfactions à offrir ; que, pour eux, ils n’avaient plus de raison de demeurer à Roule et qu’ils devraient, avant onze jours, avoir quitté l’Italie. L’ordre fut en nième temps envoyé d’expulser tous les Macédoniens établis dans la péninsule : on leur donna trente jours pour en sortir. Derrière eux, le consul Licinius débarqua près d’Apollonie. Il traversa sans obstacle l’Épire, l’Athamanie et les défilés de Gomphi ; Persée l’attendait au pied du mont Ossa, à l’entrée de la vallée de Tempé, le seul chemin pour passer de la Thessalie en Macédoine. Cette gorge étroite et longue où la Pénée se fraye avec effort un passage que lui disputent les derniers rochers de l’Ossa et de l’Olympe était dans l’antiquité le site le plus fameux pour ses beautés pittoresques et sa sauvage grandeur. C’est aux abords de ce lieu poétique, à Sycurion, que se rencontrèrent pour la première fois les soldats de Persée et ceux de Rome. L’avantage rie fut pas pour ceux-ci. Licinius eut le dessous dans une escarmouche qui aurait pu devenir une bataille générale, si Persée avait engagé sa phalange. En repassant durant la nuit le Pénée, le Romain laissa sur l’autre rive plus de deux mille quatre cents des siens morts ou prisonniers.

La Grèce attentive applaudit à ce premier succès. Mais Persée s’arrêta et demanda la paix, offrant le tribut et l’abandon de ses conquêtes[39]. Le consul vaincu exigea qu’il se remît lui-même et son royaume à la discrétion du sénat. Cependant il ne sut pas justifier cette fierté de langage : il éprouva un second échec près de Phalana, et alla hiverner en Béotie après la prise de quelques villes thessaliennes. Une victoire navale et des succès en Thrace terminèrent cette campagne en faveur de Persée. L’odieuse conduite du consul et du préteur Lucretius, qui pillaient sans pudeur les alliés, accrut le mécontentement ; plusieurs cantons de l’Épire se déclarèrent ouvertement pour le roi de Macédoine[40], et l’Étolie, l’Acarnanie, remuèrent.

Un nouveau consul aussi incapable que le précédent, A. Hostilius, arriva. En traversant l’Épire, il faillit être enlevé par un parti ennemi. La campagne répondit à ces commencements : Hostilius débuta par un échec et perdit l’année à chercher un passage pour entrer en Macédoine. Partout Persée faisait face dans des positions inexpugnables. Les deux lieutenants qui attaquaient par mer et du côté de l’Illyrie ne furent pas plus heureux : l’un ne se signala que par le sac d’Abdère ; l’autre, Claudius, posté à Lichnydus, perdit six mille hommes dans une entreprise mal conduite contre Uscana. Dés qu’il sut les Romains retirés prématurément dans leurs quartiers, Persée courut châtier les Dardaniens, auxquels il tua dix mille hommes, et employa l’hiver à enlever plusieurs places de l’Illyrie, dans lesquelles il fit six mille Romains prisonniers[41]. Il voulait fermer de ce côté les approches de la Macédoine, et décider peut-être la défection de Gentius. Le roi barbare demandait avant tout de l’argent ; Persée refusa. L’Épire paraissait soulevée ; il espéra entraîner aussi l’Étolie, et pénétra jusqu’à Stratos avec dix mille hommes. Mais les Romains étaient entrés dans la place.

Cette activité, ces succès, invitaient les peuples irrésolus à saisir l’occasion de se sauver avec lui, et c’est le moment où les ambassades affluent à Rome ! Athènes, Milet, Alabanda, la Crète, renouvelaient leurs offres de services ou leurs dons ; Lampsaque sollicitait le titre d’alliée. Les Carthaginois avaient offert 1.500.000 boisseaux de blé ; Masinissa en promettait autant, et en outre douze cents Numides et douze éléphants ; déjà il avait envoyé vingt-deux éléphants et deux mille auxiliaires[42]. Persée restait seul encore.

Cependant, grâce à l’impéritie des généraux, cette guerre devenait sérieuse ; l’inquiétude gagnait Rome ; il fut défendu aux sénateurs de s’éloigner de la ville de plus d’un mille. Soixante mille hommes furent levés en Italie, et le nouveau consul Marcius emmena de nombreux renforts pour combler les vides faits dans l’armée par les congés que les consuls et les préteurs avaient vendus. Pour détruire l’effet des exactions dont les Grecs avaient été victimes, il se fit précéder d’un sénatus-consulte qui défendait de rien fournir aux généraux au delà de ce que le sénat avait fixé.

Les monts Cambuniens et l’Olympe ferment au sud la Macédoine, où Marcius était décidé à porter la guerre : c’est une barrière formidable. Avant de l’aborder, il interrogea les gens du pays sur les routes, ou plutôt sur les sentiers abrupts qui y courent, s’assura de guides perrhébes, puis tint un conseil de guerre. Les uns proposaient de passer par Pythion, entre l’Olympe et les monts Cambuniens ; d’autres, de tourner ces montagnes où Persée avait accumulé les moyens de défense et d’entrer dans le royaume par l’Élymée, à la passe des Quarante-Gués (Sarandaporos), que garde la Vigla ou la Sentinelle. La route de Pythion conduisait au défilé de Pétra, que fermait une forteresse placée sur une aiguille de rocher, au-dessus de laquelle l’Olympe élève des cimes qui montent à 5000 mètres. Il eût été imprudent d’engager l’armée entière dans des gorges si aisées à défendre et qui menaient bien loin des magasins formés en Thessalie. En partant d’Olossona, on arrivait plus vite en Piérie par les Kanalia ; mais c’était un passage difficile à atteindre, pour une armée, et d’où il lui aurait été plus difficile encore de descendre, car elle aurait eu à longer quatre torrents qui avaient creusé, sur le versant oriental, d’impraticables ravines ; vues d’en bas, ces gorges montrent l’immense montagne comme entr’ouverte de la base au sommet. Quant au défilé de Tempé, un voyageur pouvait bien y passer, mais non pas une légion, si la moindre troupe le gardait : sur un espace de 5 milles, une bête de somme y trouve à peine l’espace nécessaire pour elle et son bagage[43].

Ces défenses naturelles accumulées sur la route par où venaient les Romains semblaient devoir leur interdire l’entrée de la Macédoine. Eu outre, tous les sentiers étaient gardés. Persée, avec une habileté qu’on a méconnue, avait placé dix mille hommes sur la Volustana, pour commander les deux défilés de Sarandaporos et de Pétra. Il en avait posté douze mille avec Hippias au-dessus du marais Ascuris, probablement sur le mont Sipoto, afin d’intercepter, de ce côté, les sentiers de la montagne. Il avait encore jeté des troupes dans la vallée de Tempé, et lui-même s’était établi à Dium, en arrière de ces défenses, pour les soutenir partout où elles faibliraient ; de peur d’être pris à revers par les équipages de la flotte romaine, il couvrit le littoral de sa cavalerie légère.

Marcius hésita quelque temps sur le point où il devait couper cette ligne formidable ; il se décida pour une entreprise audacieuse qui, par sa hardiesse même, devait donner de plus grands résultats, si elle réussissait. Il résolut de tourner avec sa cavalerie, ses éléphants, ses bagages et un mois de vivres, le vaste marais Ascuris, et de franchir le plateau d’Octolophe ou des Huit-Sommets, dont un, aujourd’hui appelé mont de la Transfiguration, mesure une altitude de 1481 mètres. De là, dit l’historien, on aperçoit tout le pays, depuis Phila jusqu’à Dium, et toute la côte de la Piérie[44]. Pendant que le consul traverserait les montagnes, le préteur devait, avec sa flotte, menacer la côte et y faire des descentes. Marcius avait trente-sept mille hommes ; il en porta rapidement une partie contre la division d’Hippias, pour l’écraser ou la contenir. Un corps d’élite par lequel il fit tourner le marais Ascuris lui ouvrit, an sud, la route vers Rapsani, que défendait la forteresse Lapathonte ; un autre attaqua, par l’ouest, les Macédoniens sur les hauteurs. Pendant deux jours on s’y battit, sans que le roi osât quitter la côte pour profiter de la dangereuse position où les Romains s’étaient placés. Ceux-ci s’en tirèrent à force d’audace. Tandis qu’Hippias, sous la pression de cette rude attaque, concentrait ses forces four une résistance désespérée, Marcius, masquant ses mouvements par un cordon de troupes, se jeta à travers rochers et forêts sur le versant oriental de l’Olympe, d’où il descendit avec des dangers et des peines extrêmes dans les plaines de la Piérie[45]. Ses communications étaient coupées, mais il avait forcé le passage et vaincu la nature.

C’était bien d’elle qu’il venait de triompher. Les Romains, dit le savant voyageur qui a suivi pas à pas les traces de l’armée de Marcius dans ces montagnes, sont descendus dans la Macédoine par des précipices. Je n’ai jamais rien vit de plus sauvage et de plus magnifique que Ies pentes du bas Olympe sur lesquelles ils s’engagèrent : c’est une forêt immense enveloppant de son ombre toute une région d’escarpements et de ravins. Dans des gorges boisées jusqu’au fond passent avec bruit des eaux claires et rapides. La vigueur et la variété de la végétation sont incroyables : les arbres de la plaine qu’on est étonné de rencontrer si haut, les chênes verts et surtout d’énormes platanes montent le long des torrents jusqu’au milieu des châtaigniers et presque jusqu’aux sapins. On conçoit qu’en traversant ces impénétrables solitudes, toute une armée ait trompé l’ennemi qui la croyait retournée en arrière.... Ces bois sont les restes de la forêt Callipencè de Tite-Live.... De Skotina[46] au pied de la montagne, je cherchais à me figurer la large trouée ouverte à la hache et tout le désordre de cette armée qui déroulait, nous dit Tite-Live, plutôt qu’elle ne descendait. La cavalerie, les bagages, les bêtes de somme, qui étaient le grand embarras, marchaient en avant avec les éléphants, qu’on faisait glisser à grand’peine sur des plans inclinés ; les légions venaient ensuite. De Skotina nous mimes au moins quatre heures pour arriver au pied des dernières pentes. Là, sur le bord de la plaine, s’élèvent quelques mamelons plantés d’oliviers, avec les ruines d’un petit monastère de la Panaghia. Ce sont les collines où le consul romain, après avoir employé trois jours à cette descente, fit enfin établir son camp ; l’infanterie occupait ces collines ; la cavalerie campait en avant au bord de la plaine[47].

Une forte arrière-garde laissée sur les hauteurs avait caché au corps d’Hippias cette manœuvre audacieuse. Ainsi, dix jours après avoir reçu l’armée des mains de son prédécesseur, Marcius avait arrêté ses plans, réuni ses vivres, livré deux combats dans l’Olympe et forcé l’entrée de la Macédoine ; c’est une belle page d’histoire militaire.

Durant ces opérations, Persée était à Dium avec la moitié de ses troupes ; effrayé à la vue des légions[48], il abandonna la forte position qu’il occupait et se replia vers Pydna, en commettant l’impardonnable faute de rappeler à lui les corps qui gardaient les défilés. Aussitôt Marcius s’en saisit : il était sauvé. Rassuré sur ses communications, le consul avança jusqu’à Dium. Mais le manque de vivres et l’approche de l’hiver l’arrêtèrent ; il cessa les hostilités, et prit hardiment ses quartiers dans la Piérie.

Pour n’y être point troublé et en même temps pour assurer ses communications avec la Thessalie d’où il attendait ses convois, il fit enlever par ses lieutenants les petites places qui gardaient la vallée de Tempé, entre autres Phila, où Persée avait réuni de grands approvisionnements de blé. Se trouvant trop en l’air à Dium, où la plaine de la Piérie commence à s’élargir, il se concentra derrière l’Énipée, qui lui offrait pour l’hiver une bonne ligne de défense. Ce torrent, dit Tite-Live, descend d’une gorge du mont Olympe. Faible en été, les pluies d’hiver en font un torrent impétueux. Il tourbillonne au pied de roches immenses, et dans le ravin où il s’engouffre, entraînant les terres, creusant profondément son lit, il a fait de ses deux rives des précipices. Les habitants l’appellent l’Abîme (Vythos), et il mérite ce nom.

Mais au sud de ce torrent furieux, une place, Héracléion, restait aux Macédoniens. Les Romains la prirent par un procédé qu’ils employèrent souvent et que nous n’avons pas encore eu l’occasion de faire connaître. Dans les jeux du cirque, des jeunes gens se livraient à des exercices militaires dont l’un consistait à former une voûte de boucliers portée par soixante ou quatre-vingts d’entre eux. Les derniers rangs mettant le genou en terre, ceux du milieu se baissant et les premiers restant debout, l’ensemble représentait un plan incliné sur lequel des hommes armés s’élançaient et combattaient : c’était la testudo. Les murs d’Héracléion étaient peu élevés ; le chef romain fit former la tortue, en commandant aux légionnaires du premier rang de porter le bouclier devant eux ; aux hommes qui se trouvaient sur les côtés de s’en couvrir, ceux-ci le flanc gauche, ceux-là le flanc droit, et la vivante machine de fer sur laquelle les traits glissaient sans pénétrer permit à de vaillants soldats d’atteindre le rempart et d’en chasser l’ennemi[49].

Le bruit de ces succès arrivait à Rome, quand des députés rhodiens, se présentant au sénat, déclarèrent que, ruinés par cette guerre, ils voulaient en voir la fin, et que, si Rome ou Persée refusaient d’y mettre un terme, ils aviseraient aux mesures qu’ils auraient à prendre, à l’égard de celui des deux adversaires qui s’opposerait à la paix. Pour toute réponse, on leur lut un sénatus-consulte qui déclarait libres les Cariens et les Lyciens, leurs sujets. Eumène aussi, blessé dans son orgueil, venait d’abandonner le camp romain, et Prusias s’interposait comme médiateur. Il était temps d’en finir avec la Macédoine. Les comices portèrent au consulat Paul-Émile.

C’était un homme d’une vertu antique, lettré cependant, comme l’étaient déjà tous les nobles de Rome, et ami de la civilisation et des arts de la Grèce, quoique religieux observateur des anciennes coutumes ; sévère avec les soldats et avec le peuple, peu désireux de la popularité acquise au Forum, et, ce qui devenait chaque jour plus rare, sobre et désintéressé. Personne, dit un ancien, qui, par ce seul mot, fait à ses contemporains un bien dur reproche, personne n’eut osé lui offrir de l’argent. A la guerre, il n’avait pas été toujours heureux : les Lusitaniens l’avaient battu, et, après son premier consulat (132), les Ligures avaient failli détruire son armée. Mais il s’était vengé des premiers par une victoire, où il tua dix-huit mille hommes[50], et il avait contraint les autres à venir jurer à Rome qu’ils ne prendraient plus les armes que sur l’ordre du sénat : ces deux campagnes avaient établi sa réputation militaire. Depuis, ayant brigué vainement un second consulat, il avait abandonné les affaires publiques pour se livrer tout entier à l’éducation de ses enfants. Cette fois, on l’élut sans qu’il eût sollicité, et, malgré ses soixante ans, il déploya une activité de jeune et prudent général. Il envoya inspecter la flotte, l’armée, la position de l’ennemi et des légions, l’état des magasins. Il étudia les dispositions publiques ou secrètes des alliés. Gentius, trompé par une promesse de 300 talents, s’était enfin déclaré contre Rome ; Eumène avait ouvert avec Persée de ténébreuses négociations ; les Rhodiens étaient presque ouvertement passés de son côté, et la flotte macédonienne dominait dans la mer Égée et les Cyclades. Mais Persée venait de se priver de l’appui de vingt mille Gaulois qu’il avait appelés des bords du Danube : il leur refusait la solde promise, au moment où il eût fallu la doubler pour obtenir leur assistance, dût même cette assistance devenir dangereuse après leur commune victoire.

Sur ces renseignements, Paul-Émile disposa son plan. Avec l’armée de Marcius, il devait attaquer de front la Macédoine et pousser le roi devant lui ; avec la flotte, Octavius formerait l’aile droite et, après avoir balayé la mer Égée, menacerait les côtes pour inquiéter Persée sur ses derrières ; Anicius, avec les deux légions d’Illyrie, formerait l’aile gauche, et, après avoir écrasé Gentius, se rabattrait par la Dassarétie sur la Macédoine. Quatre-vingt mille hommes au moins allaient entrer en ligne[51], et l’autre consul, Licinius, tenait une armée prête sur les côtes de l’Adriatique, pour, au besoin, voler au secours de son collègue.

Avant de quitter la ville, Paul-Émile avait réuni le peuple pour lui donner des conseils qui nous montrent, dans cette vieille Rome, les habitudes de nos capitales modernes.

Je ferai tous mes efforts pour justifier votre confiance, leur avait-il dit[52], mais je vous demande de ne point accueillir avec crédulité les vaines rumeurs qui circulent et de n’ajouter foi qu’à ce que j’écrirai au sénat et à vous-mêmes. Dans toutes les réunions et, que les dieux me pardonnent à toutes les tables, il y a des gens qui se mettent à la tête de nos armées, qui savent où il faut asseoir le camp, placer les postes et par quel défilé on doit entrer en Macédoine ; quelle route faire suivre aux convois par terre et par mer et quels magasins établir ; quand il convient d’attaquer et quand il vaut mieux attendre l’attaque. Après avoir décidé quelles seraient les meilleures opérations, ces habiles personnes critiquent ce qui n’est pas conforme à leur plan : le consul est un accusé qu’ils citent à leur tribunal. Toutes ces paroles causent de grands embarras à ceux qui agissent pour vous : Fabius en a fait l’expérience. Si quelqu’un d’entre vous pense avoir à me donner d’utiles conseils, qu’il ne refuse pas ses services à la république, qu’il vienne en Macédoine ; je lui fournirai tout, navire, chevaux, tente et provisions. Pour ceux qui ne se soucient point de prendre cette peine, qui préfèrent le repos de la ville aux périlleux labeurs des camps, je les prie de ne pas s’ériger en pilote qui, de la terre, commanderait la manœuvre à exécuter sur les flots.

Au camp, Paul-Émile s’occupa d’abord de rendre à la discipline romaine son ancienne vigueur. Il remplaça par des travaux les loisirs des soldats et remit en honneur les exercices militaires ; il retira aux sentinelles leur bouclier, pour augmenter leur vigilance. Le mot d’ordre se donnait tout haut et pouvait être entendu de l’ennemi ; il décida que les centurions se le passeraient à voix basse. Les gardes avancées se fatiguaient à rester tout le jour sous les armes ; il les fit relever le matin et à midi, pour que l’ennemi trouvât toujours aux avant-postes des troupes fraîches et reposées.

Persée campait derrière l’Énipée, dans la forte position que nous avons décrite. Par une fausse attaque qui dura deux jours, le consul essaya de l’y retenir, tandis que Scipion Nasica, avec un corps d’élite de onze mille hommes, rentrait dans la vallée de Tempé et, tournant toute la masse de l’Olympe, arrivait par la route de Pythion au défilé de Pétra. Le roi avait soupçonné cette marche, et douze mille Macédoniens barraient la route. C’étaient de mauvaises troupes, les meilleurs soldats étant restés dans la phalange en face de Paul-Émile ; elles ne surent pas même prendre de bonnes positions, et Nasica en eut facilement raison. Il poussa vivement les fuyards, enleva la forteresse de Pétra, qu’ils ne cherchèrent point à défendre, et descendit dans la plaine de Katérini. Persée allait être pris entre deux attaques ; il leva son camp de l’Énipée et se retira sur Pydna, au nord de Katérini.

Une plaine faite à souhait pour la phalange s’étendait en avant de la ville ; Persée, qui ne pouvait plus reculer sans honte ni dommage, résolut d’y livrer bataille. Dans la nuit qui précéda l’action, une éclipse de lune alarma les Macédoniens, et, par l’ordre de Paul-Émile, le tribun Sulpicius Gallus expliqua aux légionnaires la cause physique de ce phénomène (22 juin 68)[53]. Quelques jours auparavant l’armée souffrait de la soif ; le consul, guidé par la direction des montagnes, avait fait creuser dans le sable, et on avait trouvé de l’eau en abondance. Les soldats croyaient leur chef inspiré des dieux, et demandaient à grands cris le combat. Mais, enfermé entre la mer, une armée de quarante-trois mille hommes et des montagnes impraticables pour lui s’il était vaincu ; Paul-Émile ne voulait rien donner au hasard ; ce ne fut que quand il eut fait de son camp une forteresse, qu’il se décida à risquer une affaire décisive[54] Les Macédoniens attaquèrent avec fureur. La plaine étincelait de l’éclat dés armes, et le consul lui-même ne put voir sans une surprise mêlée d’effroi ces rangs serrés et impénétrables, ce rempart hérissé de piques. Il dissimula ses craintes, et, pour inspirer confiance aux troupes, affecta de ne mettre ni son casque ni sa cuirasse. D’abord la phalange renversa tout ce qui lui était opposé ; mais le succès l’entraînant loin du terrain que Persée lui avait choisi, les inégalités du sol et le mouvement de la marche y ouvrirent des vides où Paul-Émile lança ses soldats. Dès lors ce fut comme à Cynocéphales : la phalange ébranlée, désunie, perdit sa force ; au lieu d’une lutte générale, il y eut mille combats partiels ; la phalange entière, c’est-à-dire vingt mille hommes, resta sur le champ de bataille ; un ruisseau qui le traversait roulait encore le lendemain des eaux sanglantes. Les Romains n’avouèrent qu’une perte de cent hommes, ce qui est invraisemblable, et firent onze mille prisonniers. Pydna fut mise à sac et à pillage ; ses ruines mêmes ont disparu, mais, comme il convenait à un pareil endroit, des tombeaux marquent encore la place où s’élevait la florissante cité, et le souvenir de la journée où la Macédoine succomba vit encore confusément dans une légende demi-gracieuse demi-terrible que l’on raconte à Palæo-Kitros. Au lieu qui fut certainement le théâtre de l’action principale, des liliacées d’une espèce particulière tapissent le sol ; les gens du pays l’appellent le vallon des fleurs, Louloudia, et disent que ces fleurs sont nées du sang humain répandu là dans un grand combat[55].

Du champ de bataille Persée s’enfuit à Pella. Cette capitale, située sur une hauteur dont l’approche est couverte par des marais impraticables l’été comme l’hiver, était de facile défense ; mais il n’avait plus d’armée, et les habitants cédaient au découragement général. On lui conseilla de se retirer dans les provinces montagneuses qui touchent à la Thrace et d’essayer d’une guerre de partisans ; il fit sonder les dispositions des Bisaltes et engagea les citoyens d’Amphipolis à défendre leur ville, afin de se conserver pour lui-même un accès vers la mer[56]. Partout il n’essuya que des refus ou de dures paroles, et il apprit que toutes les places ouvraient leurs portes, avant même d’être attaquées. Abandonné et sans ressources, il fit demander la paix au consul, et, en attendant sa réponse, se réfugia, avec sa famille et ses trésors, dans le temple sacré de Samothrace.

Dans sa lettre, Persée prenait encore le titre de roi ; Paul-Émile la renvoya sans la lire ; une seconde où ce titre était effacé obtint pour toute réponse qu’il devait livrer sa personne et ses trésors. Il essaya de fuir pour rejoindre Cotys en Thrace. Mais la flotte du préteur Octavius cernait l’île, et un Crétois qui lui promit de l’enlever sur son navire disparut avec l’argent porté d’avance à son bord. Enfin un traître livra au préteur les enfants du roi, et Persée lui-même vint se remettre avec l’aîné de ses fils. Paul-Émile, touché d’une telle infortune, l’accueillit bien[57], le reçut à sa table et l’invita à mettre espoir dans la clémence du peuple romain (168).

Avant même la bataille de Pydna, Anicius avait assiégé Gentius dans Scodra, sa capitale, et forcé ce prince à se rendre : trente jours avaient suffi pour cette conquête, qui n’avait pas coûté même un combat.

En attendant l’arrivée des commissaires du sénat, Paul-Émile parcourut la Grèce pour en visiter les merveilles. Il monta à Delphes, où il fit élever sa statue sur le piédestal destiné à celle de Persée ; il vit l’antre de Trophonios, Chalcis et l’Euripe, avec ses phénomènes étranges de marée ; Aulis, le rendez-vous des mille vaisseaux d’Agamemnon ; Athènes, où il offrit un sacrifice à Minerve, comme, à Delphes, il avait sacrifié à Apollon ; Corinthe, encore riche de tous ses trésors, Sicyone, Argos, Épidaure et son temple d’Esculape, Mégalopolis, la ville d’Épaminondas, Sparte et Olympie, évoquant partout les glorieux souvenirs et rendant hommage par son admiration à cette Grèce maintenant si abaissée. A Olympie, il crut voir Jupiter en contemplant la statue de Phidias ; et il sacrifia avec la même pompe qu’au Capitole. Il voulut vaincre aussi les Grecs en magnificence. Celui qui sait gagner des batailles, disait-il, doit savoir ordonner un festin et une fête. Il fit préparer à Amphipolis des jeux grecs et romains, qu’il annonça aux républiques et aux rois de l’Asie et auxquels il invita les principaux chefs de la Grèce. On y réunit de toutes les parties du monde les acteurs les plus habiles, des athlètes et des chevaux fameux. Autour de l’enceinte des jeux, étaient exposés les statues, les tableaux, les tapisseries, des vases d’or, d’argent, d’airain, d’ivoire et toutes les curiosités, tous les chefs-d’œuvre trouvés dans les palais de Persée. Les armes des Macédoniens avaient été réunies en un immense monceau, Paul-Émile y mit le feu, et la fête se termina aux lueurs sinistres de l’incendie. Cet holocauste annonçait à la Grèce et au monde la fin de la domination macédonienne, comme l’incendie de Persépolis, par Alexandre, avait un siècle et demi plus tôt annoncé à l’Asie la destruction de l’empire de Cyrus.

Cependant les commissaires du sénat étaient arrivés ; Paul-Émile régla avec eux le, sort de la Macédoine, et, ayant réuni à Amphipolis, devant son tribunal qu’entourait une foule immense, dix des principaux citoyens de chaque ville, il leur déclara les volontés dis peuple romain. Il s’exprimait en latin, le vainqueur devant parler sa langue aux vaincus ; mais le préteur Octavius répétait en grec ses paroles. Les Macédoniens seront libres et conserveront leurs villes avec des magistrats annuels, leurs territoires, leurs lois, et ils ne payeront au peuple romain que la moitié des anciens tributs ; mais la Macédoine sera divisée en quatre districts, avec interdiction aux habitants de contracter mariage, de vendre ou d’acheter hors de leur territoire. Les cantons voisins des barbares pourront seuls armer quelques troupes. Ceux du troisième district approvisionneront de sel les Dardaniens, à un prix convenu d’avance[58]. Les amis et les courtisans du roi, ses commandants de flotte, ses gouverneurs de places, tous ceux qui ont exercé quelque emploi, suivront le consul en Italie avec leurs enfants ; et il les désigna tous par leurs noms. Puis il donna aux Macédoniens un code de lois appropriées à leur nouvelle situation, et il partit pour l’Épire. Anicius appliqua les mêmes dispositions à l’Illyrie, qui fut partagée en trois cantons.

La Macédoine était trop riche pour être abandonnée au pillage des soldats ; on ne leur avait livré que certaines villes qui, après Pydna, avaient hésité à ouvrir leurs portes. Le consul avait cherché d’ailleurs à séparer la cause du roi de celle du peuple : il fallait paraître n’avoir combattu que Persée et ne vouloir que ses dépouilles, pour ébranler d’avance, par cette politique, tous les trônes qui restaient encore debout. La Macédoine et l’Illyrie furent donc épargnées ; mais les soldats murmuraient : on leur livra l’Épire.

La politique des assemblées nombreuses est souvent impitoyable, parce que, de tous ceux qui concourent à leurs actes, aucun n’est personnellement responsable. Les Épirotes avaient fait défection : le sénat, pour effrayer à jamais ses alliés, voulut les traiter comme les transfuges, qu’il faisait frapper de la hache. Paul-Émile versa, dit-on, des larmes en recevant ce décret, mais il l’exécuta. Des cohortes envoyées dans leurs soixante-dix villes[59] reçurent l’ordre au même jour, à la même heure, de les livrer au pillage, d’en abattre les murailles et d’en vendre les habitants : cent cinquante raille Épirotes passèrent en un jour de la liberté à l’esclavage. Le butin fut si considérable, que chaque fantassin, après qu’on eut mis à part pour le trésor public l’or et l’argent, reçut 200 deniers, chaque cavalier 400 ; et cependant les soldats n’étaient point satisfaits. Dans leur avidité, que surexcitait le souvenir des riches dépouilles ravies par leurs prédécesseurs en Sicile, en Afrique, en Asie, ils s’indignaient que leur général eût mis en réserve la meilleure partie du butin de la Macédoine. Paul-Émile avait pillé pour la république, ils entendaient qu’on ne pillât que pour eux. Aussi, quand il eut remonté le Tibre sur la galère royale, ornée des boucliers d’airain de la phalange, et qu’il sollicita le triomphe, ils essayèrent de faire rejeter sa demande.

Nous sommes à l’époque où les mœurs de Rome commencent à subir la transformation que nous étudierons plus tard ; où les chefs militaires mettent les provinces au pillage ; où les soldats, partis pour l’armée, non plus par devoir patriotique, mais dans l’espoir du gain, maudissent ceux qui les condamnent à la discipline ancienne et à l’ancien désintéressement. Cet incident est donc le symptôme d’un mal dont il faut marquer l’origine, parce que, après être allé croissant durant un siècle, il aboutira aux guerres civiles d’où sortira l’empire.

Le sénat avait décerné le triomphe à Paul-Émile, mais il fallait que le peuple, par une loi, lui conservât son imperium, pour qu’il pût passer les portes de la ville en costume de guerre et conduire son armée par la voie Sacrée jusqu’au Capitole.

Il ne nous a pas donné d’argent, disaient ses soldats, nous ne lui donnerons pas d’honneur ; et quand le tribun du peuple appela les citoyens à voter sur le triomphe, un ennemi personnel de Paul-Émile, Servius Galba, tribun de la seconde légion qui avait poussé les soldats à servir ses rancunes, demanda que la délibération fût remise au lendemain, parce qu’il avait besoin d’un jour entier pour développer ses motifs d’opposition. Sommé par le tribun de parler sur-le-champ, il fit un discours qui dura quatre heures jusqu’au coucher du soleil, et, comme l’assemblée devait se, séparer dès que la nuit arrivait, il fallut s’ajourner au lendemain. Dès le matin les soldats encombrèrent le Forum, et les premières tribus appelées rejetèrent la loi. Refuser le triomphe à celui qui faisait de Rome l’héritière d’Alexandre, c’était une de ces indignités dont la populace est coutumière, quand elle s’abandonne à ses mauvais instincts. Les principaux personnages se jettent au milieu de la foule, criant qu’on sacrifiait le consul à la licence et à l’avidité des soldats ; que c’était faire de ceux-ci les maîtres, des généraux, les serviteurs, et un consulaire, qui avait été lieutenant d’un dictateur, hi. Servilius, supplie les tribuns de remettre l’affaire en délibération en l’autorisant à haranguer le peuple. Les tribuns se retirent à l’écart pour se consulter, et, comme l’opposition ne venait pas d’eux, mais d’un intrus, ils déclarent qu’ils rappelleront les tribus au suffrage, après qu’elles auront entendu les citoyens qui voudront parler. M. Servilius raconte les services de Paul-Émile, sa juste sévérité, à laquelle est due la victoire, et s’adressant à Galba : Oseras-tu, s’écrie-t-il, dire au peuple romain, comme autant de chefs d’accusation, que les tribuns ont surveillé les postes avec trop d’exactitude ; fait des rondes avec trop de rigueur, imposé aux soldats trop de travaux ; que, le même jour, l’armée a dû faire une longue marche, livrer bataille et poursuivre l’ennemi ; que le butin, au lieu d’être gaspillé, a été réservé pour le trésor public ? Et vous, soldats, qu’avez-vous à dire ? Comment, il y a dans Rome un autre que Persée qui ne veut pas qu’on triomphe des Macédoniens, et cet homme, vous ne le mettez pas en pièces avec les mêmes mains qui ont abattu vos ennemis ? Mais c’est à vous qu’on refuse le triomphe, à vous qu’on interdit d’entrer dans la ville, couronnés de lauriers, parés de vos récompenses militaires et passant sous les yeux de vos concitoyens dans la pompe de la victoire. Qu’on renvoie alors les dépouilles que vous avez conquises, les armes prises aux soldats tombés sous vos coups. Ces vases d’argent et d’or, toutes ces richesses royales, il faudra donc les porter de nuit à l’ærarium comme le produit d’un vol honteux ? Et Persée et ses deux fils, qui ont ces noms fameux de Philippe et d’Alexandre, le peuple ne les verra point passer captifs sous ses yeux ? Mais le triomphe n’est pas dû seulement à ceux qui ont vaincu, il appartient aux dieux qui ont donné la victoire ; voulez-vous en frustrer Jupiter ? Méprisez ce que vous a dit Galba, cet homme qui n’a étudié l’art de la parole que pour en faire un instrument de médisance, et écoutez-moi. J’ai soutenu vingt-trois combats singuliers et j’ai rapporté les dépouilles de tous ceux qui m’avaient défié. Mon corps est couvert de blessures, toutes reçues par devant : que Galba découvre le sien, et l’on n’y verra pas une cicatrice. Maintenant, décidez si le général, pour obtenir la faveur de ses soldats, doit se rendre l’esclave de leurs caprices[60]. Les trente-cinq tribus retournèrent aux urnes et, à l’unanimité, décernèrent le triomphe. Félicitons-les de leur justice tardive, mais gardons mémoire de ce double symptôme : l’avidité croissante du soldat, qui commence à laisser voir dans le légionnaire de la république celui de l’empire, et la facilité du peuple à s’associer aux rancunes envieuses d’un mauvais citoyen contre un des meilleurs serviteurs de l’État.

Cette solennité, à laquelle assista le peuple entier vêtu de toges blanches, dura trois jours. Le premier, passèrent les statues et les tableaux, sur deux cent cinquante chariots ; le second, une longue file de voitures chargées d’armes, dont le fer ou l’airain récemment poli jetaient un vif éclat. Elles semblaient entassées plutôt que rangées avec art, et présentaient en avant Ies pointes menaçantes des glaives, sur les côtés le fer aigu des sarisses. Quand elles s’entrechoquaient dans la marche, elles rendaient un son martial. Venaient ensuite trois mille hommes portant sept cent cinquante vases, dont chacun contenait 3 talents en argent monnayé ; d’autres avaient des cratères et des coupes d’argent remarquables par leur grandeur et leurs ciselures. Le troisième jour, dès le matin, les trompettes, au lieu d’airs joyeux, sonnèrent la charge : le triomphe commençait. Cent vingt bœufs, les cornes dorées, couverts de bandelettes et de guirlandes, ouvraient la marche, conduits par des jeunes gens ceints d’écharpes brodées, que des enfants accompagnaient avec des coupes d’argent et d’or ; derrière eux, des soldats portaient l’or monnayé dans soixante-dix-sept vases renfermant chacun 3 talents. Quatre cents couronnes d’or données par les villes de Grèce et d’Asie, une coupe sacrée du poids de 10 talents d’or et incrustée de pierreries, que Paul-Émile avait fait exécuter, puis les antigonides, les séleucides, les thériclées et les autres coupes d’or qui ornaient la table des rois de Macédoine, précédaient le char de Persée où l’on voyait ses armes et son diadème.

La foule des captifs suivait : parmi eux le fils de Cotys, que son père avait envoyé comme otage en Macédoine, et les enfants du roi, deux fils et une fille, qui, trop jeunes pour comprendre leur malheur, se croyaient à une fête et souriaient, tandis que leurs gouverneurs essayaient de leur apprendre à tendre vers la foule des mains suppliantes. Derrière marchait Persée vêtu de deuil et l’air égaré, comme si l’excès de ses maux lui avait ôté le sentiment de la réalité. Pour ne rien perdre des plaisirs de la vengeance, on avait forcé la reine à suivre son époux et ses enfants, qu’elle pouvait croire destinés au supplice : durant cette marche funèbre, elle était aux côtés du roi. Persée avait demandé à Paul-Émile de le soustraire à tant d’ignominie et de douleur. C’est une chose qui a toujours été et qui est encore en son pouvoir, avait durement répondu le Romain, qui ne comprenait pas qu’on pût ainsi se survivre à soi-même. Enfin paraissait le triomphateur suivi de ses cohortes pressées ; mais, des deux fils qui devaient être sur son char à ses côtés, l’un venait de mourir, l’autre expira trois jours après. Dans sa mâle douleur, Paul-Émile se félicitait encore de ce que la fortune l’avait choisi pour expier la prospérité publique. Mon triomphe, disait-il, placé entre les deux convois funèbres de mes enfants, aura suffi aux jeux cruels du sort. A soixante ans je retrouve mon foyer solitaire, après y avoir vu une nombreuse postérité ; mais le bonheur de l’État me console : j’ai payé pour lui. Il vécut quelques années encore, fut censeur en l’an 100, et mourut dans cette charge.

Pour avoir pris Persée dans Samothrace, le préteur Octavius avait obtenu le triomphe naval ; l’autre préteur, Anicius, avait eu le même honneur et y avait traîné le roi d’Illyrie, Gentius, qui fut ensuite emprisonné à Iguvium, au milieu des montagnes de l’Ombrie[61]. Quant à Persée, jeté, après la cérémonie, dans un cachot infect, au milieu de malfaiteurs, il y aurait souffert de la faim, si ses compagnons de captivité n’avaient partagé avec lui leur triste nourriture. Au bout de sept jours, les instances de Paul-Émile firent cesser cette honte, qui aurait déshonoré Rome si les anciens n’avaient cru que tout était permis contre un vaincu. Il fut relégué dans la ville d’Albe, au pays des 1larses, et le silence se fit si complet sur ce roi, qui avait été un moment l’espérance du monde, qu’on ne sait s’il vécut dans sa nouvelle prison deux ou cinq ans, ni comment il y finit : en se laissant mourir de faim ou sous les lentes tortures de ses geôliers. Son fils aîné, Philippe, ne lui survécut que peu d’années ; l’autre, pour gagner sa vie, apprit le métier de tourneur ; plus tard, cet héritier d’Alexandre parvint à la charge de greffier ?

Une fin plus triste fut celle de ce glorieux peuple qui avait conquis la Grèce et l’Asie. Jamais la Macédoine ne remonta au rang des nations, et, jusqu’à nos jours, durant vingt siècles, l’histoire n’a plus prononcé son nom.

 

 

 

 



[1] Le commissaire romain Fabius Labeo avait eu soin, en marquant après Cynocéphales la limite de la Macédoine du côté de la Thrace, de suivre l’ancienne voie royale qui, jamais, ne se rapprochait de la mer. (Tite-Live, XXXIX, 27.)

[2] Polybe, XXXIV, 4. Il y en eut de tant de peuples, qu’il fallut trois jours pour les entendre.

[3] Tanquam reus (Tite-Live, LXXIX, 25).

[4] Nondum omnium dierum solem occidisse (Tite-Live, XXXIX, 26).

[5] Polybe, XXIV, 6. Naturellement, Tite-Live est très prolixe sur les débauches et la cruauté de Philippe.

[6] Tite-Live, XL, 4.

[7] Tite-Live, XL, 22.

[8] Polybe, XXIV, 1 et 5. On fit entendre à Démétrius que les Romains le mettraient bientôt sur le trône de Macédoine.

[9] Il en alla jusqu’en Crète. (Polybe, XXIII, 9).

[10] Il refusa le titre de roi à Sparte. (Polybe, XX, 14.)

[11] Polybe, XXIII, 6.

[12] Polybe, XXIV, 10.

[13] Rollin, d’après Plutarque (Philopœmen, 1).

[14] Tite-Live, XXXIX, 51 ; Plutarque, Flam., 28. La même année, dit-on, Scipion mourut dans son exil volontaire à Liternum.

[15] Tite-Live : nihil paternœ lasciviœ, etc. Il copie ici Polybe, comme dans presque tout ce qu’il dit de la Grèce et de l’Orient. Persée avait alors trente et un ans.

[16] Legationes civitatum venerant ad pecunias.... et frumentum pollicendum ad bellum. (Tite-Live.) À son avènement, il remit à ses sujets tout ce qu’ils devaient au fisc, restitua aux bannis leurs biens confisqués et jusqu’aux revenus touchés en leur absence. (Polybe, XXVI, 3.)

[17] C’est-à-dire 200 talents pour mille cavaliers. (Tite-Live, XLII, 67.)

[18] Ipsius Persei.... celebrari nomen. (Tite-Live).

[19] Tite-Live, XLII, 12 ; Plutarque, Æmilius, 8.

[20] Voyez, dans Tite-Live (XL, 42), les accusations du préteur Duronius contre lui.

[21] Polybe, XXVI, 5.

[22] Tite-Live dit de lui et d’Attale : Jam enim suspectos habebat Romanes. Il assura à Antiochus le trône que voulait usurper Héliodore, assassin de Séleucus. Les progrès de Philippe et de Persée en Thrace le rattachèrent seuls à la cause de Rome. Cependant il offrit à Persée de lui vendre sa neutralité 500 talents, ou ses secours 4500. Après une belle et sainte lutte d’avarice, dit Polybe (XXIX, 2, 5 et 9), ils se séparèrent à avantage égal, comme deux vaillants athlètes. Mais j’ai peine à croire à cette affirmation de Polybe, qui répète un bruit, mais ne raconte pas un fait public.

[23] Tite-Live, XLII, 25. Cependant elles n’eurent pas le courage de se déclarer ; en 470, les députés d’un grand nombre d’entre elles vinrent à Rome. Pour les Rhodiens, le sénat leur avait déclaré qu’il ne leur avait pas donné les Lyciens comme sujets, mais comme amis et alliés. (Polybe, XXVI, 5.)

[24] Tite-Live, XLI, 27.

[25] Une députation des Dardaniens vint demander contre eux des secours.

[26] Tite-Live, XLII, 13, et Polybe, XXVII.

[27] Tite-Live, XLII, 15-17. Persée fit déclarer au sénat que la dénonciation de Rammius était calomnieuse.

[28] Tite-Live, XLII, 7-9.

[29] Id., XLII, 25. Omnes reges civitatesque _ converterant animos in curam.... belli (ibid., 9). In liberis gentibus plebs ubique omnis.... erat ad regem Macedonasque inclinata (ibid., 30). Mais le parti aristocratique, partout soutenu par Rome, était aussi partout le plus fort.

[30] Tite-Live, XXXVIII, 39 ; XLII, 19. Ariarathe de Cappadoce envoya de lui-même son second fils en otage. Notons, comme trait des mœurs diplomatiques du temps, que le sénat fit présent à l’ambassadeur de 100.000 as, qu’une maison fut affectée à son logement et qu’il fut défrayé de tout pendant son séjour en Italie. C’était l’obligation qui résultait de l’hospitium publicum ; des envoyés de Rome auraient été traités de même en Cappadoce.

[31] Polybe, XXIX, 7. Ce petit roi, dont on a étrangement grossi les forces, ne livra pas même un combat pour sauver sa province, qu’Anicius conquit en quelques jours. Quant à Cotys, il donna mille cavaliers et mille fantassins.

[32] Plutarque, Æmilius,12 sq. ; Tite-Live, XLIV, 26.

[33] Tite-Live, XLII, 31.

[34] Quia locupletes videbant qui.... stipendia fecerant (Tite-Live, XLII, 32).

[35] Entre les soixante centurions d’une légion, il y avait une hiérarchie qui assignait à chacun un rang déterminé ; les primipilaires, par exemple, étaient regardés comme ayant un poste bien plus honorable que ceux des simples centurions.

[36] Au chap. XXXVI.

[37] Tite-Live, XLII, 34.

[38] Voyez, dans Tite-Live (XLI, 25), le massacre des quatre-vingts principaux citoyens. Idem furor et Cretenses lacerabat.

[39] Tite-Live, XLII, 47-65.

[40] On a dit l’Épire entière, mais les Molosses arrêtèrent Persée sur les bords de l’Aoüs, en 170, et Claudius leva six mille auxiliaires thesprotes et athamanes. (Tite-Live, XLIII, 21.) Marcius acheta aux Épirotes, en 169, les vivres nécessaires à l’armée de Macédoine. (Tite-Live, XLIV, 16.)

[41] Tite-Live, XLIII, 20.

[42] Rhodes, Samos, Chalcédoine et, du fond de la mer Noire, Héraclée du Pont, avaient envoyé des vaisseaux. (Tite-Live, XLII, 56.)

[43] Tite Lire, XLIV, 6, d’après Polybe, qui avait suivi l’armée comme député des Achéens et à qui Tite-Live a emprunté son exacte description des lieux.

[44] M. Heuzey, qui a refait la route suivie par Marcius et qui croit avoir retrouvé l’emplacement de son camp au plateau de Livadhi, confirme les paroles de Tite-Live. De cette hauteur, dit-il, on voit à ses pieds tout le rivage de la mer, dans le lointain on découvre le vaste tour du golfe Salonique au fond duquel la ville se dessine avec ses murailles, puis les longues pointes de la Chalcidique et, par un beau temps, le mont Athos.

[45] Inenarrabilis labor.

[46] M. Heuzey pense que la descente s’effectua dans la direction des villages actuels de Skotina et de Pandéléimonè. Ce dernier est comme suspendu, au milieu des châtaigniers, au-dessus de la forteresse turque de Platamona, l’ancien Héracléion de Piérie.

[47] Heuzey, le Mont Olympe, p. 75 et suiv.

[48] Tite-Live prétend que, dans sa frayeur, il envoya deux de ses amis à Pella et à Thessalonique pour brûler ses vaisseaux et jeter ses trésors dans la mer. Sa situation n’était pas désespérée à ce point, et, comme Tite-Live ajoute que, honteux de sa peur, il fit disparaître ceux auxquels il avait donné cet ordre, on peut ranger cette histoire à côté de toutes celles que les Romains firent courir sur sa lâcheté, son avarice et sa cruauté.

[49] Tite-Live, XLIV, 9.

[50] On a trouvé en 1867, prés de Gibraltar, une inscription gravée le 21 janvier 188, peu de temps après cette victoire, et qui est la plus ancienne des inscriptions sur bronze, ayant quelque importance, que Rome nous ait laissées. Cf. L. Renier, Comptes rendus de l’Acad. des inscr. et belles-lettres, 1867, p. 267.

[51] Polybe et Plutarque, (Æmilius,12) disent cent mille. Mais il y avait des garnisons.

[52] Tite-Live, XLIV, 22 sq.

[53] Cette éclipse n’a pas été, comme on le répète toujours, prédite la veille ; elle a été expliquée le lendemain. (Cicéron, de Rep., I, 15.) Le grand astronome Hipparque, contemporain de Paul-Émile, aurait pu faire cette prédiction, mais non pas Gallus.

[54] D’après M. Heuzey, Nasica descendant la vallée du Mavronéri rejoignit la veille de la bataille le consul qui arrivait par la route de Sphigi. Paul-Émile établit son camp sur la partie haute de la plaine, entre le Mavronéri et le Pélikas. Ce fut sur cette rivière que l’action commença, et les fuyards de la première ligne se retirèrent sur le mont Olocros ; mais la bataille remonta au nord et se termina vers Mani. (Op. cit., p. 352 et suiv.)

[55] Heuzey, Mission de Macédoine, p. 242. Auprès du lieu où s’élevait Pydna, à Kourino, on voit aujourd’hui de grands tumulus dont l’un fut, peut-être, élevé à des soldats romains tombés dans la bataille ou en leur honneur, comme les Athéniens en avaient élevé aux héros de Marathon. Dans un d’eux M. Heuzey vit un bas-relief en marbre blanc représentant un soldat romain couvert de son armure. Pour arriver à la chambre sépulcrale, on suit un couloir voûté qui s’enfonce sous terre. Une porte à jambages inclinés, selon les règles de l’architecture dorique, donne accès à une petite pièce, puis à une seconde dont la porte est décorée d’un encadrement en marbre blanc. Celle que la gravure représente en chromolithographie conduit à la dernière chambre qui a 3m,98 de long sur 5 mètres de large et est voûtée en berceau. Elle avait été fouillée avant que M. Heuzey la visitât, et il n’y a rien trouvé. Mais, dans un autre tumulus, il vit un lit funéraire en marbre blanc qui a dû recevoir le corps de quelque personnage considérable de Pydna avant la conquête romaine ou après la défaite de Persée ; car la ville se releva après le sac, sans toutefois recouvrer jamais son ancienne importance. (Heuzey, le Mont Olympe, p. 972 et suiv., et Mission de Macédoine, pl. 20.)

[56] Ces faits, rapportés par Tite-Live (XLIV, 45), démentent le lâche désespoir de Persée après Pydna.

[57] Persée était si peu gêné dans le camp romain qu’il put une fois s’en éloigner librement de plus d’une journée de chemin sans qu’on s’en aperçût. (Tite-Live, XLV, 28.)

[58] Plusieurs villes, qui avaient favorisé les Romains, furent exemptées du tribut. (Tite-Live, XLV, 26.)

[59] Presque toutes dans le pays des Molosses. (Polybe, XXX, 15.) Tite-Live, en faisant combattre les Molosses contre Persée, les aura pris pour une autre peuplade épirote.

[60] Tite-Live, XLV, 35-39.

[61] Tite-Live, XLV, 43.