I. — Caractère aristocratique de la révolution de 509 ; le consulat.Les rois de Rome n’avaient pas été plus heureux que ne le seront les Césars : sur sept, cinq avaient fini comme finiront tant d’empereurs, de mort violente. C’est que les uns et les autres eurent un même ennemi, un puissant corps aristocratique. Du reste l’abolition de la royauté romaine est un incident d’une histoire très générale. Dans tout le monde gréco-italien, ici plus tôt, là plus tard, les rois de l’âge héroïque firent place aux eupatrides, qui, à Rome, s’appelaient les patriciens Le Superbe ne mérite peut-être pas la réputation que la légende lui a faite ; mais les grands ne voulurent plus d’un chef qui pouvait, comme Servius, préparer à la vie politique la foule sujette des plébéiens, ou, comme Tarquin, abattre les plus hautes têtes. Ils substituèrent au roi deux consuls ou préteurs, choisis dans leur sein et investis de tous les droits, de tous les insignes de la royauté, moins la couronne et le manteau de pourpre broché d’or. À la fois ministres et présidents du sénat, administrateurs, juges et généraux, les consuls eurent le souverain pouvoir, regium imperium[1], mais seulement pour une année. Dans l’intérieur de la ville, les grands ne permirent point qu’ils exerçassent tous deux en même temps les prérogatives de leur magistrature : chacun avait pendant un mois l’autorité et les douze licteurs avec les faisceaux. S’ils différaient d’avis, l’opposition de l’un, intercessio, arrêtait les décisions de l’autre : mesure de conservation, car celui qui interdit l’emporte sur celui qui commande, c’est-à-dire l’ordre ancien sur l’ordre nouveau. Pour un coup de main sur les institutions, il leur aurait fallu une force militaire ; or Rome n’avait d’autres soldats que ses citoyens, et comme aujourd’hui dans la cité de Londres, nul ne pouvait paraître en armes à l’intérieur du pomœrium. Responsables de leurs actes, ils étaient exposés, au sortis de charge, à de redoutables accusations. Ainsi l’autorité royale est divisée, sans être affaiblie ; elle reste forte, sans pouvoir redevenir menaçante, puisqu’elle est annuellement renouvelée ; et, par l’intercessio, et elle se contient elle-même ; mais que survienne un danger qui exige la concentration rapide du pouvoir, et elle reparaîtra tout entière dans la dictature. Les grands ne voulurent pas que la révolution ! s’étendit aux dieux. La coutume exigeait que certains sacrifices fussent offerts par un roi ; ils nommèrent un rex sacrorum pour les accomplir, mais toute ambition lui fut interdite : on le déclara incapable d’exercer aucune charge. Enfin les centuries de Servius furent rétablies et devinrent, pour la première fois, la grande assemblée politique du peuple romain, avec des garanties qui empêchaient tout écart. En souvenir de leur premier caractère, ce fut en dehors du pomœrium, dans le Champ de Mars, qu’elles s’assemblèrent, non pas à l’appel des licteurs, comme les comices par curies, mais au son de la trompette. Pour leur réunion, il fallut prendre les auspices, de sorte que la religion les tenait dans la dépendance des augures patriciens. La convocation devait être annoncée trente jours à l’avance (dies justi), afin que nul n’en ignorât, et, pour prévenir toute surprise de l’ennemi, un drapeau rouge flottait surie Janicule, qu’une troupe armée occupait pendant toute la durée des comices[2]. Au fond, le gouvernement restait aux mains des patriciens. Ils étaient maîtres du sénat, conseil suprême de la cité, où devaient être discutées d’abord la plupart des propositions présentées aux comices, et ils dominaient dans les assemblées centuriates par leurs richesses et par leurs clients. Si des plébéiens, arrivés, grâce à leur fortune, dans les premières classes, menaçaient de rendre le vote des centuries défavorable, le magistrat patricien qui présidait les comices pouvait toujours, par les augures, rompre l’assemblée ou annuler ses décisions ; et, lorsqu’il manquait de mauvais présages, faire rejeter par le sénat une résolution populaire. Rome avait donc une chambre haute qui discutait deux fois la loi, avant et après la présentation aux comices, et une chambre basse, composée de tout le peuple, qui votait et ne discutait pas. C’était en quelque sorte nos trois lectures. Mais la plus large part était faite à la maturité de l’esprit et à l’expérience des affaires, puisque, par l’autorisation préalable, le sénat avait l’initiative des lois et, par le droit de confirmation ou de rejet, le pouvoir d’arrêter les entreprises d’un magistrat qui aurait présenté aux comices et fait voter par eux une proposition révolutionnaire. Tout se passait avec les mêmes précautions dans les comices d’élection : le président proposait au peuple les candidats pour lesquels le sénat et les augures s’étaient montrés favorables, et l’assemblée ne pouvait voter que sur ces noms. Si un flatteur de la foule surprenait une nomination désagréable, l’assemblée curiate composée des seuls patriciens, avait le droit de refuser au magistrat élu l’imperium, c’est-à-dire les pouvoirs nécessaires pour l’exercice de sa charge[3] ; et, de plus, elle formait le tribunal suprême de la cité[4]. C’étaient donc en réalité les patriciens qui faisaient les lois et nommaient aux fonctions, qu’ils remplissaient toutes, jus honorum. Ils avaient le sacerdoce et les auspices ; ils étaient prêtres, augures, juges, et ils cachaient avec soin aux yeux du peuple les formules mystérieuses du culte public et du droit. Seuls enfin, ils avaient le droit d’images, qui nourrissait l’orgueil héréditaire des familles, en même temps que la défense des mariages entre les deux ordres semblait devoir interdire à jamais au peuple l’accès des positions occupées par les grands et l’entrée dans ce sénat qui était leur forteresse[5]. Mais les plébéiens ont pour eux leur nombre et jusqu’à leur misère, qui les poussera bientôt à une révolte heureuse. Ce n’est plus un peuple étranger, c’est un second ordre dans l’État, qui grandira obscurément et sans relâche en face du premier, et que les patriciens seront forcés d’armer pour résister à Tarquin, aux Èques, aux Volsques, aux Étrusques. Ce concours, il faudra le payer. Déjà on lui a rendu ses juges qui décident dans la plupart des causes civiles, ses fêtes religieuses, où les plébéiens réunis pourront se compter, et c’est aux centuries militaires, où les deux ordres sont réunis, qu’on a demandé, comme Servius, dit-on, l’avait voulu, la nomination des consuls[6]. Désormais, l’assemblée centuriate fera les lois que le sénat propose, les élections que les curies confirment, et elle décidera de la paix ou de la guerre. Ces graves innovations suffisent pour l’heure à l’ambition populaire, parce que les plébéiens voient dans la première classe des gens de leur ordre et dans les dernières des patriciens, comme Cincinnatus, qui, après le procès de son fils, n’aura pour tout bien que 4 arpents[7]. La plèbe romaine n’était pas d’ailleurs cette populace des grandes villes qu’on voit s’irriter, combattre et s’apaiser au hasard, force aveugle qui n’est redoutable que le jour où elle se donne un chef. Les plébéiens avaient aussi leur noblesse, leurs vieilles familles et jusqu’à des races royales, car les patriciens des villes conquises, comme plus tard les Mamilius, les Papius, les Cilnius, les Cæcina, n’avaient pas tous été reçus dans le patriciat romain. D’autres ramilles, patriciennes d’origine, mais que des circonstances pour nous inconnues firent sortir des curies ou empêchèrent d’y entrer, les Virginius, les Genucius, les Menius, les Melius, les Oppius, les Metellus et les Octavius, se plaçaient à la tête du peuple ; et ces hommes, qui pouvaient disputer de noblesse avec les plus fiers sénateurs, attachant leur fortune à celle de l’ordre vers lequel ils étaient repoussés, donnèrent à la plèbe des chefs ambitieux et à ses efforts une direction habile[8]. Comme pris des secours prêtés aux grands contre les Tarquins, ils avaient obtenu la mise en vigueur de la constitution de Servius . ils vont arracher d’autres concessions encore, car l’Étrurie s’arme pour la cause du roi, et, derrière les Véiens et les Tarquiniens, on peut voir déjà les préparatifs de Porsenna. Un malheur commun, en humiliant l’orgueil militaire des grands, rapprochera les deux ordres. Les aristocraties meurent quand elles ne se renouvellent pas, surtout dans les républiques militaires où les nobles doivent se trouver au premier rang sur tous les champs de bataille, et payer leurs privilèges avec du sang. Décimée par les combats et par cette loi mystérieuse du développement de l’espèce humaine qui éteint les vieilles familles[9], toute aristocratie qui ne se recrute pas au dehors est vite épuisée et détruite par la seule action du temps. Les 9000 Spartiates de Lycurgue n’étaient plus que 5000 à Platées, 700 à Leuctres, moins encore à Sellasie. Mais la noblesse de Rome ne ferma jamais son livre d’or. Sous Tullus, les grandes familles d’Albe ; sous le premier Tarquin, cent membres nouveaux, avaient été admis dans le sénat. Après l’abolition de la royauté, les pères sentirent le besoin de se fortifier en attirant à eux tout ce qu’il se trouvait dans la ville d’hommes considérables auxquels la curie avait été jusqu’alors fermée[10]. Brutus, ou Valerius, compléta au chiffre ordinaire de 300 membres le sénat, privé d’une partie des siens par la cruauté de Tarquin et l’exil de ses partisans[11]. En même temps, le sénat distribuait au peuple les ternes du domaine royal, abolissait les douanes et abaissait le prix du sel[12]. Tactique doublement habile, qui, satisfaisant l’ambition des chefs, les séparait de la foule, qui restait sans direction, tout en intéressant celle-ci par l’accroissement de son bien-être, à la cause des grands. On rapporte encore à la première année de la république les lois de Valerius, qui, demeuré quelque temps seul consul après la mort de Brutus, exerça une sorte de dictature et s’en servit, pour faire passer des lois que l’intercession d’un collègue eût peut-être arrêtées. Elles punissaient de mort quiconque aspirerait à la royauté et elles autorisaient le refus d’obéissance au magistrat qui conserverait a charge au delà du terme prescrit. Il fit baisser les faisceaux consulaires devant l’assemblée du peuple et reconnut sa juridiction souveraine en portant la loi de l’appel (provocatio)[13], qui fut pour Rome ce que l’acte d’habeas corpus a été pour l’Angleterre. Afin de bien montrer que le droit de vie et de mort était enlevé aux consuls, il ôta les haches des faisceaux dans l’intérieur de la ville et jusqu’à un mille de ses murs. Au delà, elles étaient rendues aux licteurs, car les consuls, en passant la première borne militaire[14], recouvraient ce pouvoir illimité qui leur était aussi nécessaire à l’armée qu’il eût été dangereux dans la cité. Ainsi les patriciens et les plébéiens restaient deux ordres distincts, profondément séparés par l’inégalité de leur condition : les uns, descendants des premiers conquérants et gardiens de l’ancien culte ; les autres, foule mêlée, hommes de toute origine et de toutes religions, longtemps sujets du peuple souverain des Quirites et placés encore, comme n’ayant ni le même sang ni les mêmes dieux, sous l’outrageante interdiction des mariages. Heureusement l’assemblée centuriate les réunissait en un seul peuple, et cette union les sauva. Elle ne profita d’abord, il est vrai, qu’aux seuls patriciens, qui s’étaient fait dans les dépouilles royales la part du lion. Mais les plébéiens les forceront peu à peu à un partage équitable. L’établissement du tribunat sera leur première et leur plus sûre victoire : car, avant d’attaquer, il fallait pouvoir se défendre. II. - LE TRIBUNAT.A Rome comme à Athènes, comme dans tous les États de
l’antiquité où l’industrie ne nourrissait pas le pauvre de condition libre,
les dettes furent la première cause des révolutions démocratiques, Rome,
étant un État exclusivement agricole, aurait eu besoin, pour profiter des
avantages de cette condition, d’une longue paix ou d’un vaste territoire qui
mit la plus grande partie des terres à l’abri des ravages de la guerre. Or la
guerre durait sans relâche, et, depuis les conquêtes de Porsenna et le
soulèvement des Latins, la frontière était si près de la ville, que du haut
des murs on voyait les terres ennemies[15]. On n’avait donc
ni repos ni sécurité, d’où il résultait qu’il y avait partout gène et
mauvaise culture. Appelé chaque année aux armes, le plébéien négligeait son
petit champ ; en outre, il fallait s’équiper à ses frais, se nourrir en
campagne et encore payer l’impôt qui était proportionnellement plus lourd
pour le pauvre que pour le riche, parce que, établi sur la propriété
foncière, il ne tenait comte ni des dettes de l’un ni des créances de
l’autre. Mais, si la guerre n’était pas heureuse, si l’ennemi, qui pouvait en
un seul jour traverser ; tout le territoire de la république, venait couper
les moissons et brûler les fermes ; si, au pillage des gens du Latium et de Avec le ciel, il était des accommodements ; on vouait un temple, fût-ce à quelque divinité étrangère qu’on se reprochait d’avoir négligée ; on offrait un sacrifice et l’on croyait s’être mis en règle avec les puissances célestes. Ainsi une famine s’étant déclarée durant la guerre, latine, le dictateur Postumius promit un sanctuaire à une divinité grecque, Déméter, celle qui faisait la fécondité des plaines campaniennes, d’où le sénat avait certainement tiré du blé. Elle prit, au bord du Tibre, le nom d’une vieille déité étrusque, Cérès[16], et, pour desservir son autel, on appela une femme de Naples ou de Velia, qui reçut en arrivant le droit de cité, parce qu’une bouche romaine pouvait seule invoquer les dieux en faveur de Rome. Pour les comptes avec l’usurier, l’affaire était plus difficile. Toutes les ressources lentement amassées y passaient d’abord, puis le butin des précédentes campagnes et le patrimoine héréditaire, dernier gage sur lequel le pauvre avait emprunté à un taux énorme. Aussi bon nombre de plébéiens étaient-ils devenus, quelques années après l’expulsion des rois, débiteurs des riches, comme leurs descendants, les paysans de la campagne de Rome, qui, ruinés par l’usure et les accapareurs, vendent la moisson avant les semailles. Mais les riches étaient surtout les patriciens. Possesseurs de vastes propriétés, détenteurs des terres du domaine, qui, laissées ordinairement en prairies, avaient peu à craindre des ravages de l’ennemi, ils pouvaient encore exporter à l’étranger la laine de leurs troupeaux et les produits de leurs terres. Leur fortune dépendait moins d’une saison mauvaise ou d’une incursion ennemie Aussi avaient-ils toujours de l’argent pour ce lucratif métier[17] qui rapportait plus que les meilleures terres et que le plus opiniâtre travail. A Rome comme à Athènes avant Solon, comme dans tous les anciens États de l’Asie et du Nord, la loi livrait au créancier la liberté et la vie du débiteur : c’était un gage, une hypothèque prise sur sa personne. Si le débiteur ne satisfaisait pas à ses obligations dans le délai légal, il devenait nexus[18], c’est-à-dire qu’il engageait sa personne pour payer sa dette par du travail. Il n’était pas esclave, mais son créancier pouvait lui imposer des travaux serviles, même le tenir emprisonné dans l’ergastulum. Ses enfants, quand il ne les avait pas auparavant émancipés, partageaient son sort, car ils étaient sa propriété, et sa propriété, comme sa personne, appartenait à son créancier jusqu’à ce qu’il se fût libéré de sa dette. Il n’était pas nécessaire que beaucoup de plébéiens se
trouvassent sous le coup d’une loi si dure pour que l’irritation fût profonde
: il suffisait qu’elle existât. Le peuple avait vite reconnu que la
révolution s’était bornée à substituer l’autorité patricienne à l’autorité
royale, et il prenait en haine ces maîtres hautains qui avaient four lui les
violences que les rois avaient eues pour eux[19]. D’abord ils
demandèrent paisiblement l’abolition des dettes ; puis ils se refusèrent à
l’enrôlement contre les Latins. La situation parut assez critique au sénat
pour qu’il fît revivre un moment la royauté avec toute sa puissance. En 501
il créa la dictature, dont les pouvoirs furent illimités. Élu, sur
l’invitation du sénat, par l’un des consuls et choisi parmi les consulaires,
le dictateur (magister populi)[20] eut, même dans
Rome, vingt-quatre licteurs, portant les haches sur les faisceaux en signe de
son autorité absolue ; les magistrats ordinaires passaient sous ses ordres ;
le droit d’appel au peuple était suspendu : c’était notre déclaration de mise
en état de siége. Il était nommé pour six mois, comme son lieutenant, le magister équitum, mais nul ne conserva aussi
longtemps ces redoutables fonctions. Dés que le danger qui avait fait
suspendre les libertés publiques et établir légalement cette tyrannie
provisoire était passé, le dictateur abdiquait[21]. Le sénat eut
ainsi en réserve une magistrature extraordinaire pour ces temps de crise d’où
les États ne sortent souvent qu’au prix de leur liberté. Aussi plus d’une
fois la dictature sauva-t-elle la république : au dehors, de l’ennemi ; au
dedans, des agitations du Forum. Si, durant prés de trois siècles, Rome ne
connut pas l’orageuse existence des républiques de Effrayée de cet appareil menaçant, de cette puissance sans limites, la plèbe étouffa durant quelques années ses murmures, et les consuls purent compter sur elle pour soutenir les guerres royales. Mais en 495 Appius Claudius, le plus impitoyable des patriciens, fut nommé consul avec Servilius. Son orgueil, qui s’irritait même d’une plainte, excitait déjà une sourde colère, lorsqu’un homme parut tout à coup sur le Forum, pâle, effrayant de maigreur. C’était un des plus braves centurions de l’armée romaine ; il avait assisté à vingt-huit batailles. Il raconta que dans la guerre sabine l’ennemi avait brûlé sa maison, sa récolte, et pris son troupeau. Pour vivre, il avait emprunté ; et l’usure, comme une plaie honteuse, dévorant son patrimoine, avait atteint jusqu’à son corps ; son créancier les avait emmenés, lui et son fils, chargés de fers, déchirés de coups ; et il montrait son corps tout saignant encore. A cette vue, l’exaspération fut au comble, et un messager étant venu annoncer une incursion des Volsques, les plébéiens refusèrent de s’armer. Que les patriciens aillent combattre, disaient-ils ; à eux les périls de la guerre, puisqu’ils en ont tout le profit. Ils ne cédèrent que quand le consul Servilius eut promis qu’après la guerre on examinerait leurs plaintes et que, tout le temps qu’elle durerait, les débiteurs seraient libres. Sur cette assurance, le peuple s’arma ; précédemment, les Volsques avaient donné 500 otages, Appius les fit décapiter, puis Servilius marcha sur Suessa Pometia, qui fut prise et dont il distribua le butin à ses soldats. Niais, quand l’armée victorieuse rentra dans Rome, le sénat refusa d’accomplir les promesses du consul. Les pauvres se retrouvèrent à la merci de l’impitoyable Appius, et de nouveau les ergastula se remplirent. En vain le peuple réclama à grands cris ; Appius était inflexible : pour effrayer la multitude, il fit nommer un dictateur. Le choix tomba sur un homme d’une famille populaire Manius Valerius, qui renouvela les engagements de Servilius, et, avec une armée de 40.000 plébéiens, battit les Volsques, les Èques et les Sabins. Le peuple croyait avoir conquis, cette fois, l’exécution des promesses consulaires ; on le trompa encore ; quelques pauvres seulement furent, dit-on, envoyés comme colons à Vélitres. Valerius, indigné, abdiqua en attestant Fidius, le dieu de la bonne foi, que l’on violait. Pour prévenir une révolte au Forum, les consul de l’an 495, s’autorisant du serment militaire prêté à leurs prédécesseurs, forcèrent l’armée à sortir de la ville. Mais, hors des portes, les plébéiens abandonnèrent les consuls et, franchissant l’Anio probablement à l’endroit où fut construit le pont de Nomentum, ils allèrent, sous la conduite de Sicinius Bellutus et de Jutiius Brutus, camper sur le mont Sacré[22] ; ceux de Rome se retiraient dans le même temps, avec leurs familles, sur l’Aventin[23]. La tradition voulait qu’une bonne vieille de Bovillæ leur ait porté chaque matin, tout fumants, des gâteaux qu’elle avait passé la nuit à pétrir : c’était la déesse Anna Perenna[24]. Sous cette légende se cache un souvenir de l’assistance donnée aux plébéiens parles cités voisines. Quelque temps se passa en attente et en négociations infructueuses. À la fin, les patriciens, effrayés de la position menaçante des légions, nommèrent deux consuls amis du peuple et députèrent aux soldats dix consulaires. Parmi eux étaient trois anciens dictateurs, Lartius Postumius, Valerius et le plébéien Menenius Agrippa, le plus éloquent et le plus populaire des sénateurs. Il leur conta l’apologue des Membres et de l’Estomac et rapporta au sénat leurs demandes. Elles ont un remarquable caractère de modération. Tous les esclaves pour dettes seront délivrés ; les dettes elles-mêmes, celles du moins des débiteurs insolvables, seront abolies[25]. Ils n’exigèrent même pas que la loi de sang fût changée : cinquante ans plus tard, nous la retrouverons écrite encore par les décemvirs dans les Douze Tables. Mais ils ne consentirent à descendre du mont Sacré qu’après avoir nommé deux tribuns, Sisinnius et Brutus, auxquels le sénat reconnut le droit de venir en aide au débiteur maltraité[26] et d’arrêter par leur veto l’effet des sentences consulaires. Ainsi ceux des Romains qui, restés en dehors des clientèles patriciennes, n’avaient personne pour les défendre auront désormais deux patrons officiels avec lesquels il faudra compter[27]. Ces représentants des pauvres n’avaient ni le laticlave bordé de pourpre ni les licteurs armés de faisceaux. Aucun signe extérieur ne les distinguait de la foule, et ils n’étaient précédés que d’un simple appariteur. Mais, comme les faciaux sur le territoire ennemi, leur personne était inviolable ; on dévouait aux dieux celui qui les frappait, sacer esto[28], et ses biens étaient confisqués au profit du temple de Cérès. Nul patricien rie pouvait devenir tribun (493). Par cette création de deux chefs du peuple (bientôt après cinq, plus tard dix), la révolte, purement civile, si je puis dire, dans son principe, se changeait presque en révolution, et devenait le plus grand événement de l’histoire intérieure de Rome. Ce fut, dit Cicéron[29], une première diminution de la puissance consulaire, que l’existence d’un magistrat qui n’en dépendait pas. La seconde fut le secours qu’il prêta aux autres magistrats et aux citoyens qui refusaient d’obéir aux consuls. Les riches plébéiens adoptèrent les chefs des pauvres comme ceux de l’ordre entier. Ainsi soutenu, ce pouvoir protecteur deviendra bientôt agressif, et nous verrons les tribuns, d’une part, étendre leur veto à tous les actes contraires aux intérêts populaires[30], de l’autre, organiser le peuple politiquement, en dehors de l’auctoritas patrum, et faire reconnaître aux concilia plebis le droit de délibérer, de voter et d’élire. Plus tard, ils effaceront la distinction des ordres en proclamant le principe que la souveraineté réside dans le peuple entier, et un temps viendra où nul ne sera si puissant dans Rome qu’un tribun populaire. Ce pouvoir commettra sans doute bien des excès. Mais, sans lui, la république, soumise à une oligarchie oppressive, n’aurait jamais rempli ses grandes destinées. Ou Rome devait rester une monarchie, disait encore Cicéron[31], qui avait tant à se plaindre du tribunat, ou il fallait accorder aux plébéiens une liberté qui ne consistât pas en de vaines paroles. Cette liberté, voici qu’elle commence pour eux, puisqu’il n’y a de libre que ce qui est fort, et qu’il n’est de force pour les sociétés que dans la discipline. Disciplinée par ses nouveaux chefs, la commune populaire pourra maintenant soutenir une lutte régulière contre les grands, et conquérir, l’une après l’autre, toutes les magistratures. La cité patricienne, forcée de les recevoir, s’ouvrira aussi pour les Italiens, plus tard pour le monde, et un rand empire sera le prix de cette union demandée et arrachée par les tribuns[32]. Ce fut avec les cérémonies les plus solennelles, par des sacrifices et le ministère des féciaux, comme s’il s’agissait d’un traité entre deux peuples différents, que la paix fut conclue et célébrée. Chaque citoyen jura l’éternelle observation de ces lois saintes, leges sacratæ[33], et un autel, élevé à Jupiter Tonnant sur l’emplacement du camp plébéien, consacra la montagne où le peuple avait conquis ses premières libertés. La vénération publique entoura jusqu’à son dernier jour l’homme qui avait réconcilié les deux ordres, et quand Agrippa mourut, le peuple lui fit, comme à Brutus et à Poplicola, de splendides funérailles. Comme les consuls avaient deux questeurs, les tribuns eurent au-dessous d’eux, pour veiller aux intérêts matériels de la commune plébéienne, deux édiles dont les droits s’augmenteront en même temps que ceux des tribuns et qui finiront par avoir la garde de tous les édifices publics (ædes), notamment celle du temple de Cérès où furent conservés les sénatus-consultes, et le devoir de veiller aux approvisionnements de Rome[34]. Au second siècle avant notre ère, l’édilité était, pour Polybe, une charge très illustre[35], et Cicéron appelait le grand Architecte du monde l’Édile de l’Univers. On sait que les plébéiens avaient déjà leurs juges particuliers, judices decemviri, et leur assemblée publique, consilium plebis ; les patriciens en étaient naturellement exclus, ou pour mieux dire, dédaignaient d’y entrer[36]. Nous terminerons par deux remarques : le tribunat est la plus originale des institutions de Rome, car rien de pareil n’a existé chez les anciens ni chez les modernes ; et la révolution d’où il sortit ne coûta pas une goutte de sang. III. -
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[1] Uti consules potestatem haberent.... regiam (Cicéron, de Rep., II, 32). Tite-Live (I, 60) dit que les consuls furent élus ex Commentariis Servi Tulli.
[2] Tite-Live, XXXIX,15 :.... nisi quum vexillo in arec posito comitiorum causa exercitus eductus esset. Cf. Aulu-Gelle, XV, 27 ; Denys, VII, 59 et Macrobe, Saturnales, I, 16. Les comices ne pouvaient être tenus que les jours fastes, durant lesquels il était permis de s’occuper des affaires de l’État. Ces jours étaient d’environ 190 dans l’année. Les jours néfastes ou fériés étaient ceux où la religion fermait les tribunaux et interdisait toute transaction publique. Varron, de Ling. Lat., VI, 29 ; Festus, s. v. Dies comitiales.
[3] Ut pauca per populum, pleraque senatus auctoritate.... gererentur.... Populi comitia ne essent rata, nisi ea patrum approbavisset auctoritas (Cicéron, de Rep., II, 52). Ergo.... nec centurialis, nec curiatis comitiis patres auctores fiant (Tite-Live, VI, 41).
[4] On verra plus loin que ce furent les XII Tables qui donnèrent aux centuries la haute juridiction criminelle.
[5] ... Servili imperio patres plebem exercere, de vita algue tergo regio more consulere, agro pellere ci celeris expertibus soli in imperio agere (Sall., Hist. fr., I, 11).
[6] Denys, V, 2.
[7] Valère Maxime, IV, IV, 7.
[8] Les Metellus prétendaient descendre de Cæculus, fils de Vulcain et fondateur de Préneste ; ils étaient plébéiens, et cependant Tite-Live les nomme patriciens (IV, 4). Au contraire, la gens Furia était patricienne, il nomme les Furius plébéiens (IX, 42, et XXXIX, 7) ; les Melius et les Menius étaient plébéiens, il les nomme patriciens (V, 12) ; les Virginius (V, 29) et les Atilius (IV, 7) sont patriciens, il en fait des plébéiens (V, 13, et X, 25) ; les Cassius, les Oppius, les Genucius, sont de même tour à tour nommés patriciens et plébéiens, consuls et tribuns. Une branche de la gens Sempronia, les Atratinus, sont patriciens ; une autre branche, les Gracques, sont plébéiens. L’explication de cette singularité, qui se répète trop souvent pour être due à une erreur de Tite Live, se trouve peut-être dans la supposition que, par respect pour les nombres, il sera resté en dehors du sénat primitif quelques familles aussi considérées cependant que celles dont les chefs, devenus sénateurs, donnèrent à leurs descendants le nom de patriciens. Dans ce cas, les curies auraient renfermé des familles qui avaient les auspices, tous les droits de la bourgeoisie souveraine et l’accès aux charges, sans être patriciennes, mais qui n’étaient pas non plus plébéiennes. Quand on ne connut plus que deux ordres dans la ville, quelques-unes de ces familles rentrèrent dans le corps aristocratique, d’autres auront été rejetées dans le peuple, dont elles firent la force. Des membres de ces familles incertaines auront, même pu être placés par les censeurs sur la liste du sénat. Cela expliquerait cette phrase de Tite-Live (V, 12) sur le plébéien Licinius Calvus, avant l’année 367 : vir nullis ante honoribus usus, velus tantum senator. Dion (fragm. XLVI) prétend que c’était par crainte des accusations tribunitiennes que des patriciens s’étaient fait inscrire parmi les plébéiens. La raison est mauvaise, car il fallait une adoption pour changer de famille, et dans ce cas l’adopté prenait le nom de l’adoptant. Du reste, quelque explication que l’on admette, ce qui est certain, et nous n’insistons que sur ce point important, c’est que, soit entre les patriciens et le peuple, soit à la tête du peuple, il y avait des familles nobles et riches intéressées à renverser toute distinction entre les deux ordres.
[9] Les pestes fréquentes à Rome contribuaient aussi à renouveler les familles. Après la peste de 462, qui enleva les deux consuls, plusieurs familles patriciennes disparaissent Depuis cette époque, il n’est plus question des Lartius, des Cominius et des Numicius, et dans les fastes on ne rencontre plus, ou rarement, de patriciens du nom de Tullius, de Sicinius, de Volumnius, d’Æbutius, d’Herminius, de Lucretius et de Menenius.
[10] Il m’est impossible d’admettre l’étrange thèse venue d’Allemagne sur la constitution, après 509, d’un sénat plébéio-patricien. Toute l’histoire intérieure de Rome jusqu’en 567 proteste contre cette supposition.
[11] Les émigrés étaient si nombreux, qu’ils combattirent en corps. (Denys, V, 6.) Un passage de Cicéron (de Rep., I, 40) montre qu’il y eut une réaction violente contre les amis du dernier roi.
[12] Tite-Live, II, 9. Pour ces opérations, Brutus avait rétabli ou fait confirmer par les curies, les questeurs établis par les rois. (Tacite, Ann., XI, 22.) Plutarque rapporte leur création à Valerius.
[13] Neque enim provocationem longius esse ab urbe mille passuum (Tite-Live, III, 20). Ce fut, dit Cicéron (de Rep., II, 31), la première loi votée par les centuries. L’appel interdisait de cum qui provocasset virgis cædi securique necari (Tite-Live, X, 9. Cf. Valère Maxime, IV, 1 ; et Cicéron, de Rep., II, 31). Denys (V, 19) étend l’interdiction jusqu’aux amendes. Mais, si cela eut lieu, ce ne peut être qu’après le décemvirat. On attribue encore à Valerius une loi qui aurait rendu libre la candidature au consulat. (Plut., Popl., 11). Il est bien entendu qu’il s’agit seulement des patriciens qui pourront demander au sénat ou aux consuls à être inscrits sur la liste des candidats.
[14] Le mille romain vaut en mètres 1481m,75. Sur les voies qui sortaient de Rome, chaque mille était marqué par une borne numérotée, et l’on comptait les distances à partir des portes de l’enceinte de Servius. La borne représentée par la gravure, d’après une restauration de Canina, était la première sur la voie Appienne. Elle est très postérieure à l’époque on nous sommes, puisqu’elle porte les noms de Vespasien et de Nerva. L’usage de ces bornes doit être beaucoup plus ancien que. Gracchus, qui passe pour l’avoir établi (Plut., C. Gracchus, 6-7). La borne ne fut d’abord qu’une pierre dégrossie qui, peu à peu, au voisinage de Rome et des grandes villes, prit figure de monument.
[15] Voyez pour l’histoire militaire de cette époque le chapitre suivant.
[16] Servius, ad Æn., II, 525. Le nom de Cérès n’a pas de sens en latin.
[17] L’usure était à Rome un vice national. Polybe le savait si bien qu’il fait grand honneur à Scipion de ne l’avoir point connu (XXXII, fr. 8). On sait que Caton le Censeur exerçait la plus décriée des usures, l’usure maritime, et l’on voit dans Plutarque la parcimonie de Crassus, malgré son immense fortune.
[18] Le nexum était l’engagement oral pris par le débite, en présence de témoins, de restituer le prêt.
[19] Propter nimiam dominationem potentium. (Cicéron, pro Corn. fr. 24) Salluste parle de même (Hist. fragm., I, 11).
[20] Lars, en étrusque, signifie seigneur et maître. (Plut., Quæst. Rom. , 51.) Le mot magister populi a le même sens, et la dictature fut probablement une imitation de ce que faisait l’Étrurie, quand, dans les circonstances graves, elle nommait un lars, comme Porsenna ou Tolumnius.
[21] Varron, de Ling. Lat., V, 82 ; Festus, s. v. Optima lex. Une tradition, rapportée par Tite-Live, donnerait une autre cause à la création de cette magistrature ; les deux consuls étaient partisans du roi. Les Grecs traduisaient le mot de dictateur par μόναρχος et αύτεxράτωρ. Zonare (VII, 13) dit : τήν δ’ έx τής μοναρχίας ώφέλειαν θέλοντες.... έν άλλω ταύτην ύνόματι είλοντο. Machiavel faisait cette remarque, confirmée par Montesquieu (Esp. des lois, II, 3) : a Sans un pouvoir de cette nature, il faut perdre l’État en suivant les voies ordinaires, ou s’en écarter pour le sauver. Mais si les moyens extraordinaires opèrent le bien pour un moment, ils laissent un mauvais exemple, ce qui est un mal réel... — Les dictatures de Sylla et de César n’ont, bien entendu, rien de commun avec l’ancienne dictature.
[22] Le mont Sacré est une colline allongée qu’une prairie sépare de l’Anio où existe encore le pont antique que surmonte une construction pontificale du quinzième siècle.
[23] Cicéron, de Republica, II, 57 ; Tite Live, II, 32 ; Appien, Bell. Civ., I, 1.
[24] Ovide, Fastes, III, 651.
[25] Denys, VI, 85.
[26] A l’origine le tribun ne pouvait protéger que le plébéien insulté ou frappé en sa présence. (Aulu-Gelle, XIII, 12.)
[27] Zonare, VII, 15 : ... προστάτας δύο, et Tite-Live, II, 33 ; III, 55. Les tribuns ne pouvaient, excepté durant les féries latines, s’éloigner de Rome la nuit, et leur porte restait toujours ouverte. Leur pouvoir cessait à un mille des murs où commençait l’imperium des consuls.
[28] Zonare (ibid.) explique cette expression qui revient si souvent dans la législation romaine : La victime conduite à l’autel pour un sacrifice était consacrée, c’est-à-dire vouée à la mort ; de même l’homme déclaré sacer.
[29] De Leg., III, 7. La question du mode de nomination des tribuns entre les années 495 et 474 est fort obscure. Je ne doute cependant pas qu’elle n’ait été dès l’origine réservée au concilium plebis.
[30] Valère Maxime, II, 7 ; Denys, V, 2.
[31] De Legibus, III, 10 :...re non verbo.
[32] Sur les accroissements successifs du pouvoir des tribuns, voyez Zonare, VII, 15.
[33] Tite-Live, II, 33 ; Denys, VI, 89.
[34] Denys, VI, 90.
[35] Polybe, X, 4.
[36] Tite-Live, III, 55 et II, 56, 60 ; Denys, IX, 41.
[37] Pour remplir l’intervalle vide de faits qui s’écoule entre les années 493 et 486, on place d’ordinaire, immédiatement après l’établissement du tribunat, le procès de Coriolan et les démêlés des tribuns avec les consuls au sujet des colonies de Norba et de Vélitres, c’est-à-dire la conquête pour les tribuns du droit de parler devant le peuple sans être interrompus, de convoquer les comices par tribus, de rendre des plébiscites, de juger et de condamner à mort des patriciens. C’est méconnaître les humbles commencements de cette magistrature, qui, la première année de son existence, n’était certainement pas assez forte pour braver le sénat, les patriciens et les consuls. Outre cette considération, plusieurs circonstances du récit sont matériellement fausses. Ainsi Norba et Vélitres n’étaient pas mors des colonies romaines, mais des cités latines indépendantes, comme le prouve le traité de Cassius avec les Latins ; Corioles n’était pas une ville volsque prise par les Romains, mais une des trente républiques latines. Enfin Coriolan est dit avoir fait fort jeune ses premières armes à la bataille du lac Régille, en 496, et en 492 il demande le consulat et est père de plusieurs enfants. La tradition relative à Coriolan a sans doute un fond historique ; mais cette proscription d’un des plus illustres patriciens, cette vengeance d’un chef de bannis, doivent appartenir à l’époque qui vit la condamnation de Menenius et d’Appius, l’exil de Cœson et la tentative d’Herdonius. Niebuhr croit aussi la loi Icilia postérieure à celle de Volero, et Hooke l’avait déjà prouvé. C’était, en effet, un plébiscite, et le peuple ne put en faire qu’après l’adoption de la loi Publilia, en 476. La première application de la loi Icilia ne fut faite d’ailleurs qu’en 491, à propos de Cœson (hic primus vades publico dedit), les tribuns seraient donc restés plus de trente ans sans s’en servir.
[38] Un passage de Cassius Remina, dans Nonius (II, s. v. Plebitas), ferait croire que les plébéiens ne pouvaient être admis à l’occupation du domaine ; il a die en être certainement ainsi dans le principe, quand les plébéiens étaient considérés comme un peuple étranger. Mais le même passage prouve qu’il y avait aussi des plébéiens détenteurs du domaine : quicumque propter plebitatem agro publico ejecti sunt ; et Salluste (Hist. frag., 11) dit aussi. que, quelque temps après l’exil des Tarquins, on les chassa des terres publiques, agro pellere. Nous verrons Licinius Stolon en posséder 4.000 arpents.
[39] Cf. Aggenus Urbicus, de controv. agror., ap. Goes., Rei agrariæ scriptores, p. 69. Negant illud solum, quod solum populi Romani esse cœpit, ullo modo usicapi a quoquam mortalium posse....
[40] Cicéron, de Republica, II, 14.
[41] Cette loi n’est pas celle de Cassius, mais celle de Sempronius Atratinus, qui ne fit très probablement que reproduire les principales dispositions de Cassius, en excluant toutefois les Latins que Cassius, pour consolider l’alliance de Rome avec eux, admettait au partage des terres qu’ils avaient récemment conquises de concert avec les Romains. (Denys, VIII, 38, 69 ; Tite-Live, II, 41.)
[42] Dion Cassius (fragm., 79) le regarde comme une victime des grands.
[43] Tite-Live, II, 43-44.
[44] Tite-Live, II, 41 ; Denys, IX, 6.
[45] Non patrum magis quam plebis studiis.... consul factus (Tite-Live, II, 48).
[46] Cum familiis suis.... (Aulu-Gelle, XVII, XII).
[47] Denys, IX, 15 ; Tite Live ; II, 50 ; Ovide, Fastes, II, 195 sqq. Denys dit quatre mille clients et έταϊροι ; Festus cinq mille clients. Les Vitellius prétendaient aussi avoir, seuls avec leurs clients, défendu contre les Æquicoles une ville qui prit leur nom Vitellia. (Suétone, Vitellius, 1.)
[48] Denys, IX, 21.
[49] Dion, fr. 21.
[50] Des textes de Denys (LX, 44, 46) et de Lydus (I, 34, 44) on pourrait conclure qu’une loi conféra aux tribuns ce droit d’accuser les conseils, mais on ne comprend pas comment cette loi put être faite. Il faut se résigner à ignorer beaucoup de choses pour ces vieux âges et ne pas prétendre tout expliquer.
[51] Denys, IX, 41. Plebeius magistratus nullus auspicato creatur (Tite-Live, VI, 42).
[52] Menenius et Servilius (Tite-Live, II, 52) ; les consuls de l’an 473 (II, 54) ; Appias (II, 56) ; Cœson (III, 12) ; les consuls de l’an 455 (III, 59). Cf. Denys, X, 42. Il dit ailleurs (VII, 65) : Ένθένδε άρξάμενος ό δήμος ήρθη μέγας, ή δέ άριστοxρατία πολλά τοΰ άρχαιου άξιώματος άπέβλε. Tite Live (II, 54) dit la même chose.
[53] D’après Dion Cassius, il y eut encore d’autres meurtres.
[54] Cicéron (pro Corn., 19) et Denys (VI, 89) font nommer les premiers tribuns par les curies. Mais on ne saurait comprendre comment la plèbe victorieuse aurait consenti à recevoir ses nouveaux chefs des mains des patriciens.
[55] Denys, IX, 43 ; Zonare, VII, 17. Comme on ne consultait pas le ciel pour la tenue des assemblées par tribus, et qu’elles n’étaient point précédées, comme les assemblées centuriates, par de solennels sacrifices, elles étaient soustraites à l’influence des augures. (Denys, IX, 41, 49.) On les tenait les jours de marché (nundinæ), pour que les citoyens des tribus rustiques pussent s’y trouver ; si l’affaire agitée n’était pas terminée avant le coucher du soleil, elle ne pouvait être reprise qu’au troisième marché suivant. Les patriciens ayant dans les curies l’assemblée particulière de leur ordre, au sénat et à l’assemblée centuriate, toute l’influence, ne votaient pas dans les comices par tribus.... Patribus ex concilio submovendis.... (Tite-Live, II, 60.)
[56] Prepugnatorem senatus, majestatisque vindicem suœ, ad omnes tribunicios plebeiosque oppositum tumultus (Tite-Live, II, 61).
[57] Denys, IX, 48.
[58] Ces plébiscites n’étaient pas encore obligatoires pour les deux ordres ; mais, en formulant les désirs du peuple, ils leur donnaient une force à laquelle fil était difficile de résister longtemps. Légalement, il fallait à ces plébiscites la sanction du sénat et des curies.
[59] Denys, VII, 17 ; on met ordinairement cette loi Icilia à l’époque du procès de Coriolan. Nous nous conformons, en la plaçant ici, à l’opinion de Niebuhr et à l’enchaînement logique des faits.
[60] Du moins, il ne reparaît plus.
[61] Denys, IV, 51 ; Tite-Live, II, 61.