HISTOIRE DES GRECS

HUITIÈME PÉRIODE — LA LIGUE ACHÉENNE (272-146) – EFFORTS IMPUISSANTS POUR S’UNIR ET SE SAUVER.

Chapitre XXXVIII — Troisième guerre de Macédoine (171-168).

 

 

I. Derniers jours de Philippe ; Persée

La défaite d’Antiochus et la ruine des Étoliens avaient satisfait l’orgueil humilié de Philippe, mais lui avaient enlevé les seuls auxiliaires qui auraient pu le sauver. Il restait seul maintenant en face de Rome ; et, aux outrages qu’elle lui prodiguait, il devait comprendre que sa ruine était résolue. Pour prix de son alliance durant la guerre d’Antiochus, le Sénat lui avait abandonné les conquêtes qu’il pourrait faire ; à peine la victoire des Thermopyles eut-elle été gagnée qu’on arrêta ses progrès. Il allait prendre Lamia, en Thessalie ; Acilius lui ordonna d’en lever le siège ; il avait conquis l’Athamanie, on laissa aux Étoliens le temps de l’en chasser. Trop bien surveillé dans la Grèce, il se détourna sur la Thrace, et y fit à petit bruit des conquêtes importantes. Les villes maritimes d’Ænos et de Maronée reçurent ses garnisons[1]. Mais, de ce côté, Eumène épiait toutes ses démarches et le dénonça à Rome. Dés qu’on sut que les bannis de Maronée et d’Ænos y étaient bien accueillis, des Thessaliens, des Magnètes, des Athamanes, etc., accoururent[2], et le Sénat envoya trois commissaires, qui, pour montrer à tous les Grecs son humiliation et sa faiblesse, forcèrent le roi à comparaître devant eux comme un accusé ordinaire[3]. Il leur avait enlevé, disaient les Thessaliens, cinq cents jeunes gens des premières familles; il avait ruiné le port de Thèbes, en Phthiotide, au profit de Démétriade, et tendu des piéges à tous les députés envoyés par eux à Flamininus. Comme des esclaves tout à coup affranchis, répliqua le roi, ces gens ne savent user de la liberté que pour insulter leur maître ; au reste, ajouta-t-il fièrement, le soleil ne s’est pas encore couché pour la dernière fois[4]. Est-il nécessaire de dire que les commissaires prononcèrent contre lui (185) ? Tite Live et Polybe l’accusent d’une cruauté qui était habituelle à tous ces rois[5], et le premier raconte en preuve une histoire où l’on voit combien la vie de ce temps était dure : Philippe avait fait tuer un des principaux Thessaliens et ses deux gendres. Les veuves avaient chacune un fils en bas âge; l’une refusa de se remarier; l’autre épousa Poris, le plus considérable des citoyens d’Inia en Chalcidique, et mourut après lui avoir donné plusieurs enfants. Sa sœur, Théoxène, afin de veiller de plus près à l’éducation de ses neveux, unit sa destinée à celle de Poris et fut une véritable mère pour tous ses enfants. Survint un ordre du roi prescrivant que les fils de ceux qu’il avait fait périr lui fussent remis. C’était la mort ou l’infamie qui les attendait. Théoxène déclara qu’elle les tuerait plutôt que de les livrer, et Poris essaya de fuir. Il s’embarqua de nuit avec tous les siens pour les conduire à Athènes : mais le vent était contraire; quand le jour parut, ils se trouvaient encore en vue du port, et un navire courut à leur poursuite. Théoxène, prévoyant ce danger et résolue à y soustraire ses enfants, avait emporté des armes et du poison. La mort, leur dit-elle, est notre unique ressource : voici deux moyens d’y arriver. Les uns prennent le poison, d’autres le poignard ; elle les jette mourants à la mer et s’y précipite elle-même avec son époux[6].

Quelque accoutumé qu’on fût à de pareils destins, cette fin tragique d’une famille entière excita l’horreur, et le pieux historien veut que de ce jour les dieux aient marqué Philippe pour être leur victime. Rome allait se charger d’exécuter l’arrêt d’en haut.

L’intervention des dieux n’était pas nécessaire, la politique suffisait, et le roi la mettait contre lui par d’imprudentes démarches que Rome dut regarder comme des provocations. Il était bien d’ouvrir des mines, d’établir de nouveaux impôts, de favoriser le commerce : il ne l’était pas d’essayer d’accroître la population de son royaume par des procédés asiatiques qui soulevèrent contre lui des haines sans lui apporter beaucoup d’avantages. Les villes maritimes lui étaient peu affectionnées; il en transporta les habitants dans la Pæonie et les remplaça par des barbares. Sous prétexte de porter secours aux Byzantins, il fit une incursion dans l’intérieur de la Thrace, battit plusieurs petits rois et ramena de ce pays une colonie nombreuse, où il espérait recruter des soldats. Prusias était en guerre contre le roi de Pergame, il lui envoya des auxiliaires ; et, se souvenant des plans d’Annibal, il excita, par de secrets émissaires, les barbares du Danube à se liguer avec lui pour marcher sur l’Italie. Leur chef promit de donner sa soeur en mariage au fils du roi. En vue d’appuyer ces négociations et d’assurer son influence dans la Thrace, il fonda la ville de Philippopolis sur les bords de l’Hébre, non loin de l’Hæmus. On disait que du haut de cette montagne le regard embrassait le Pont-Euxin, l’Adriatique, le Danube et les Alpes. Philippe voulut la gravir pour reconnaître de là le plus court chemin vers l’Italie, car, comptant peu sur la Grèce, qu’il connaissait bien, il rêvait de recommencer l’expédition d’Annibal. Il mit trois jours à atteindre la cime cachée dans un épais brouillard et y éleva deux autels à Jupiter et au Soleil, mais il ne vit rien que les plaines fécondes de la Mœsie et de la Thrace[7]. Quand il redescendit, la nouvelle de cette étrange expédition, de cette impuissante menace, courait déjà vers Rome. Quelque temps auparavant, Philippe, pour endormir la vigilance du Sénat, lui avait envoyé son fils Démétrius, que son séjour à Rome comme otage et des prévenances calculées avaient rendu tout dévoué aux intérêts romains. Avec son habileté meurtrière, le Sénat, jetant la division et la haine jusque dans la maison royale, répondit qu’il pardonnait au père par considération pour le fils. Démétrius devait payer de sa vie ces perfides égards[8].

Chaque jour Philippe se faisait lire son traité avec les Romains pour nourrir son ressentiment. Ses émissaires étaient revenus des bords du Danube. Une peuplade nombreuse et renommée par son courage, les Bastarnes, acceptait ses offres. Il promettait à ces barbares une route sûre par la Thrace où il avait imprimé la terreur de ses armes, il leur assurait des vivres, une solde de guerre et des terres fécondes dans le pays des Dardaniens. Ce dernier peuple détruit, il comptait pousser les Bastarnes sur l’Italie, tandis que lui-même soulèverait la Grèce et appellerait tous les rois à la liberté.

Mais la sinistre prévoyance du Sénat allait porter ses fruits. Démétrios, de retour en Macédoine, y trouva une faction puissante qui voulait à tout prix la paix et qui plaça à sa tête l’ami des Romains. Les partisans de la guerre avaient pour chef un frère aîné de Démétrius, Persée, qui, né d’une femme de basse naissance, craignait que Philippe ne laissât sa couronne à Démétrius. Pour perdre ce rival, il le peignit au roi comme un traître pressé, par Flamininus et par son ambition, de lui ravir le pouvoir. Le malheureux père hésitait entre ses deux enfants. Mais un jour Persée accourt ; dans un tournoi, son frère, dit-il, a voulu le tuer, et la nuit suivante il a assailli sa demeure avec des gens armés. D’ailleurs il veut fuir chez les Romains pour revenir sans doute avec les légions. Philippe interroge ; le crime semble prouvé ; et le jeune prince ayant tenté de s’enfuir à Rome, le roi se résolut à le faire secrètement périr. Invité par le gouverneur de la Pæonie, dépositaire des ordres du père, à un repas de sacrifice, Démétrius se rendit à Héraclée où se faisait la fête. On mêla du poison aux viandes sacrées, et, comme la douleur lui arrachait de grands cris, on l’étouffa sous des couvertures (182). On dit que plus tard Philippe reconnut son innocence, et que la douleur le conduisit au tombeau (179).

 

II. Persée (177-168)

Les Romains ont voulu déshonorer Persée après l’avoir vaincu. Leurs historiens ont usé contre lui du droit de la guerre, væ victis, et les modernes ont fait comme eux. Mais Tite Live n’accuse-t-il pas Annibal d’impéritie? Cependant il vante dans Persée la pureté des moeurs, la majesté toute royale de sa personne, son habileté dans les exercices et les travaux de la paix et de la guerre[9]. Il l’accuse vaguement d’avoir tué sa femme, et lui reproche le meurtre de Démétrius. Mais, d’après son récit même, Persée devait se croire véritablement menacé. Il le représente comme un avare tenant plus à ses trésors qu’à sa couronne; et quand les villes de Macédoine vinrent spontanément lui offrir des subsides, il les refusa[10] ; quand Cotys l’eut servi six mois avec deux mille auxiliaires, il lui donna pour sa cavalerie 100 talents de plus qu’il ne lui en avait promis. Nous verrons plus loin si rien ne justifie sa conduite avec Gentius et les Bastarnes. Dans son royaume, Persée sut gagner l’affection et le dévouement de ses sujets ; au dehors, il releva si haut la considération de la Macédoine, que pendant dix années il tint les regards du monde fixés sur lui[11]. Quant aux meurtres qu’on lui attribue, ou bien les preuves manquent, comme pour l'histoire de Rammius de Brindes ; ou bien ils rentrent dans cette politique de perfidies et d'assassinats que suivaient alors tous les rois et Rome elle-même. Ceux qui avaient fait tuer Annibal, Philopœmen et Brachyllas étaient mal venus à lui reprocher l'assassinat d'Eumène. On a mis en doute jusqu'à son courage. Mais il se trouva à tous les combats, conduisit toutes les expéditions, en Thrace, en Illyrie, en Épire, contre les Dardaniens et l'Étolie. A Pydna, il avait été blessé la veille, et il se jeta sans cuirasse au milieu de sa phalange rompue. Persée n'était donc ni meilleur ni pire que les principaux personnages de son temps.

Philippe avait, dit-on, voulu laisser le trône au neveu de son ancien tuteur, Antigone. Persée se hâta de faire disparaître un rival dangereux. Mais il se garda de rompre en face avec le Sénat; il mit à ses pieds sa couronne, renouvela le traité conclu avec son père et durant six années ne parut occupé que du soin de détourner de lui l'attention de Rome. Cependant il sentait qu'une menace était toujours suspendue sur sa tête et que les causes qui avaient amené la seconde guerre de Macédoine en préparaient une troisième. L'achèvement de l'œuvre commencée en Grèce par Flamininus exigeait la ruine du royaume macédonien. Les sénateurs romains n'étaient pas hommes à se demander si cela serait une chose honnête. Il suffisait qu'elle parût une chose utile, et ils ont eu l'art, souvent pratiqué depuis, de faire de leur victime l'agresseur. Persée n'a jamais conçu la folle pensée de jouer le rôle d'Annibal ou d'essayer celui d'Antiochus. Il ne disposait même pas des ressources que son père possédait au moment de ses premiers combats contre Rome. Il ne pouvait donc songer qu'à organiser la défense de ses États dans le silence et l'ombre ; mais il la prépara énergiquement[12].

Son père lui avait laissé un trésor bien rempli ; il l'augmenta, et amassa assez de richesses pour soudoyer pendant dix ans dix mille mercenaires. Il n'avait pas de flotte; en créer une eût été une déclaration de guerre : il y renonça; mais il ruina toutes ses villes maritimes qui n'étaient pas en état de se défendre. Dans ses arsenaux il réunit de quoi équiper et nourrir trois armées[13]. Par ses expéditions en Thrace, Philippe avait recruté et aguerri ses troupes ; il les exerça en écrasant les Dolopes, qui voulaient se mettre sous la protection de Rome, et il put compter sur quarante-cinq mille bons soldats. Enfin, pour réunir autour de lui tous les Macédoniens, il ouvrit les prisons, remit les sommes dues au fisc et rappela les bannis; des édits publiquement affichés à Delphes, à Délos et dans le temple de Minerve-Itonienne, leur promirent sûreté pour leur personne et la restitution de leurs biens.

Philippe n’avait jamais pu faire oublier aux Grecs sa cruauté. Persée envoya à toutes les villes des ambassadeurs pour demander l’oubli du passé et une sincère alliance. Prévenant par ses bienfaits leur amitié, il rendit aux Athéniens et aux Achéens ceux de leurs esclaves auxquels Philippe avait ouvert un asile dans son royaume. La Thessalie était incapable de se gouverner; il profita de ses divisions, soutint les pauvres contre les grands, les débiteurs contre leurs créanciers, et des garnisons macédoniennes rentrèrent dans la plupart des villes d’où les Romains les avaient chassées. L’Épire ne s’était tournée qu’à regret contre Philippe ; il la ramena secrètement dans son alliance. Les Béotiens avaient rejeté l’amitié de son père ; ils acceptèrent publiquement la sienne par un traité qu’on afficha à Thèbes, à Délos et à Delphes. Sans quelques avisés et prudents personnages, l’Achaïe faisait de même, et c’est à lui que les Étoliens s’adressaient quand leur pays était troublé. Genthios, petit roi d’Illyrie, qu’effrayaient le voisinage et les menaces des Romains, promit des secours en échange de quelques subsides, et Cotys, roi des Thraces-Odryses, s’engagea à partager tous ses périls. Le roi de Syrie lui donna pour épouse sa sœur qu’une flotte rhodienne lui amena ; Prusias, son beau-frère, n’attendait qu’une occasion d’attaquer en Asie le protégé du sénat, Eumène, qui trouvait bien lourde l’amitié de Rome et tâchait de regagner celle d’Antiochus[14]. Rhodes, mal récompensée de ses services, et qui dans le soulèvement des Lyciens contre elle reconnaissait la main du Sénat, se rapprochait de Persée. Ce prince eut à Samothrace, durant plusieurs jours, une secrète entrevue avec les députés des villes d’Asie[15]. A Carthage, le Sénat reçut la nuit, dans le temple d’Esculape, ses ambassadeurs[16]. Enfin, trente mille Bastarnes approchaient, et le bruit de leur marche jetait l’effroi en Italie.

Ainsi, ce que n’avait pas fait Annibal, Persée semblait prêt à l’accomplir. Encouragé par cette haine universelle que l’ambition de Rome avait soulevée, il marcha plus hardiment. Pour montrer aux Grecs les enseignes macédoniennes, qu’ils n’avaient pas vues depuis vingt ans, il pénétra avec une armée, sous prétexte de sacrifices à Apollon, jusqu’au temple de Delphes. En Thrace, en Illyrie, le Sénat avait des alliés, il dépouilla le Thrace Abrupolis, et fit tuer le chef illyrien Arthétauros.

Deux Thébains voulaient retenir la Béotie dans l’alliance de Rome, ils tombèrent sous les coups de meurtriers inconnus. Eumène, alarmé de cette résurrection de la puissance macédonienne[17], vint la dénoncer à Rome. Il révéla dans le Sénat les préparatifs de Persée, ses intrigues pour s’attacher partout le parti populaire, au détriment des amis de Rome, ses crimes vrais ou supposés. Voyant, dit-il, que vous laissez le champ libre en Grèce et que rien n’a lassé votre patience, il se tient pour assuré de passer en Italie sans trouver un seul combattant sur son chemin. Eumène termina ce discours haineux par l’habituelle invocation aux dieux. A vous, Romains, de décider ce que réclament votre sûreté et votre honneur. Pour moi, il me reste à prier les dieux et les déesses de vous inspirer le désir de défendre nos intérêts et les vôtres.

Persée avait fait suivre Eumène en Italie par ses propres ambassadeurs; ils demandèrent à répondre et le firent avec hauteur, presque avec menace. Le roi, dirent-ils, est fort en peine de se justifier. Il tient à ce qu’on ne voie dans ses paroles ou dans ses actes rien d’hostile ; mais, si l’on s’obstine à chercher un prétexte de guerre, il saura bravement se défendre. Les faveurs de Mars sont à tout le monde et l’issue de la guerre est incertaine.

Eumène, comblé de présents, parmi lesquels étaient les insignes consulaires, la chaise curule et le bâton d’ivoire, retourna par la Grèce dans ses États, et Persée, certain qu’il monterait à Delphes offrir un sacrifice à Apollon, aposta sur le chemin des meurtriers. Pour donner accès à ce temple fameux, les Romains eussent construit une grande et large voie; les Grecs ne s’étaient pas donné ce souci. Au-dessus de Cirrha, la route s’élevait rapidement et, en un certain endroit, prés d’une masure, se réduisait à un sentier qu’un éboulement venait de rétrécir encore. Quatre brigands se cachent derrière les ruines et y attendent le roi, qui arrivait, suivi de ses amis et de ses gardes. A mesure que l’on montait, la suite royale s’allongeait ; près de la masure, Eumène se trouva seul en tête avec le chef étolien, Pantaléon. A cet instant, les bandits font rouler de grosses pierres, dont l’une frappe le roi à la tête, l’autre à l’épaule ; il tombe évanoui, on le croit mort, et tous, d’abord, s’enfuient ; même les assassins, qui ne croient pas avoir besoin de s’arrêter pour achever leur victime. Ils gravissent rapidement les pentes du Parnasse, et l’un d’eux les suivant avec difficulté, ils le tuent pour qu’il ne tombe pas vivant aux mains des gardes qui avaient reconnu leur petit nombre et s’étaient mis à leur poursuite.

Cependant l’Étolien était resté près du roi, le couvrant de son corps; les amis, les serviteurs, reviennent. On porte Eumène, toujours évanoui, à son vaisseau, de là à Corinthe et de Corinthe à Égine, en faisant passer le navire par-dessus l’isthme. On s’arrêta dans l’île et l’on garda un profond silence sur l’événement. Les Pergaméniens, qui avaient bien compris d’où le coup était parti, se trouvaient trop près de la Macédoine pour ne pas cacher les progrès du mal ou de la guérison. La nouvelle de la mort du roi courut à Pergame, et déjà Attale, son frère, réclamait la main de la reine et la couronne.

Un commissaire romain, Valerius, se trouvait alors en Grèce. Il vint rendre compte aux sénateurs de ce nouvel attentat, amenant avec lui deux témoins contre le roi de Macédoine. Le premier était l’hôtesse habituelle de Persée à Delphes, qui, sur une lettre de lui, avait mis à la disposition de ses gens la maison près de laquelle le crime avait été commis. Le second, Rammius de Brindes, chez qui descendaient les Romains de distinction allant d’Italie en Grèce et les députés des nations étrangères, déposa que, invité par Persée à le venir trouver, il en avait reçu les plus magnifiques promesses, à la condition d’empoisonner ceux des Romains logés dans sa maison que le roi lui désignerait. Persée, fort malmené par Tite Live, a naturellement trouvé des apologistes à outrance. Je ne puis lui accorder que l’assassinat d’Eumène ait été une invention des Romains ou une spéculation d’obscurs bandits. Supprimer le roi de Pergame était un coup fort utile où Persée trouvait en outre le plaisir de la vengeance : deux motifs qui, en ce temps-là, suffisaient. Je crois donc qu’il faut laisser à son compte l’aventure manquée de Delphes, sauf à concéder que Rammius, trouvé en Grèce au retour d’un voyage en Macédoine, a imaginé une fable qui expliquait sa présence à Pella, servait les projets de Rome et sa propre fortune. Car, d’après les habitudes romaines, cette délation devait lui rapporter beaucoup[18].

Persée devait-il prendre hardiment l’offensive et, dans l’espoir de soulever la Grèce, sortir de ses montagnes macédoniennes qui semblaient d’inexpugnables remparts ? Sans doute l’audace aurait pour quelque temps réussi, et son armée se serait grossie de quelques volontaires[19]. Mais ces rois et ces peuples qui faisaient tant de voeux pour lui n’auraient osé lui donner un soldat. Antiochus, dont le frère était retenu comme otage à Rome, l’oubliait pour disputer à Philométor la Cœlésyrie ; et Masinissa, qui venait d’enlever à Carthage (174) une quatrième province avec soixante-dix villes, achetait le silence complaisant de Rome au prix de secours importants. Eumène avait entraîné Ariarathe ; Rhodes n’osait refuser au Sénat des vaisseaux ; Ptolémée en offrait. Tout manquait à Persée. Si Cotys, roi des Odryses, était pour lui, d’autres chefs thraces étaient pour Rome ; Gentius, prince cruel et débauché, voulait faire payer au poids de l’or une assistance dérisoire[20], et les Bastarnes demandaient pour les fantassins cinq pièces d’or par homme, dix pour les cavaliers, mille pour les chefs de bande. Ces auxiliaires rappelaient par leurs exigences les Galates de l’Asie Mineure dont les rois d’Orient avaient eu tant à souffrir ; Persée en conçut de vives défiances et traîna la négociation en longueur[21]. Ainsi, au moment de la lutte, il se trouvait seul.

 

III. Bataille de Pydna (168)

Le Sénat n’envoya d’abord qu’un préteur avec cinq mille hommes. Mais sept commissaires précédaient l’armée; ils parcoururent la Grèce, où leur seule présence suffit pour détruire l’effet de six années de prudence et de concessions : preuve évidente de la fragilité de l’appui auquel on voudrait que Persée eût confié sa fortune. Dans la Thessalie, toutes les villes non occupées par les Macédoniens donnèrent des otages, que les Romains enfermèrent à Larisse. Dans l’Étolie, où de sanglantes dissensions[22] enlevaient au peuple le peu de force qui lui restait, ils firent nommer stratège un de leurs partisans, et ils déportèrent en Italie tous ceux qu’on leur désigna comme ennemis de Rome; en Béotie, ils rompirent la ligue et regagnèrent toutes les villes à leur alliance ; dans le Péloponnèse, les Achéens, quelque temps incertains, promirent d’envoyer mille hommes à Chalcis pour la défendre ; enfin l’Acarnanie, l’Épire même, montraient un empressement de bon augure. Du haut de ses montagnes, Persée voyait ces courses, ces menées des ambassadeurs romains ; et il se laissait enlever la Grèce sans risquer pour elle un combat, comme si elle ne valait pas même l’honneur d’une bataille. Au lieu d’agir, il négociait ; et, après avoir provoqué son implacable ennemi, il s’arrêtait, perdant volontairement la seule chance qu’il eût, non de triompher, mais de tomber avec gloire, après avoir, quelque temps peut-être, ébranlé le monde.

Tandis que le préteur, avec sa faible armée, prenait position dans la Dassarétie, Persée envoyait deux ambassades en Italie et sollicitait une trêve, que Marcius, le chef de la députation romaine, se hâta de lui accorder, pour que le Sénat eût le temps d’achever ses préparatifs[23]. A Rome, on fit attendre durant cinq mois une réponse à ses députés ; mais dès que le printemps ouvrit la campagne, ils reçurent l’ordre de quitter l’Italie. Derrière eux, le consul Licinius débarqua près d’Apollonie. Il traversa sans obstacle l’Épire, l’Athamanie et les défilés de Gomphi ; Persée l’attendait au pied du mont Ossa, à l’entrée de la vallée de Tempé, le seul chemin pour passer de la Thessalie en Macédoine. Cette gorge étroite et longue où le Pénée se fraye avec effort un passage que lui disputent les derniers rochers de l’Ossa et de l’Olympe était dans l’antiquité le site le plus fameux pour ses beautés pittoresques et sa sauvage grandeur. C’est aux abords de ce lieu poétique, à Sycurion, que se rencontrèrent pour la première fois les soldats de Persée et ceux de Rome. L’avantage ne fut pas pour ceux-ci. Licinius eut le dessous dans une escarmouche qui aurait pu devenir une bataille générale, si Persée avait engagé sa phalange. En repassant durant la nuit le Pénée, le Romain laissa sur l’autre rive plus de deux mille quatre cents des siens morts ou prisonniers.

La Grèce attentive applaudit à ce premier succès[24]. Mais Persée s’arrêta et demanda la paix, offrant le tribut et l’abandon de ses conquêtes[25]. Le consul vaincu exigea qu’il se remit lui-même et son royaume à la discrétion du Sénat. Cependant il ne sut pas justifier cette fierté de langage ; il éprouva un second échec près de Phalana, et alla hiverner en Béotie après la prise de quelques villes thessaliennes. Une victoire navale remportée à la hauteur d’Orée, et des succès en Thrace sur un lieutenant d’Eumène, terminèrent cette campagne en faveur de Persée. L’odieuse conduite du consul et du préteur Lucrétius, qui pillaient sans pudeur les alliés, accrut le mécontentement ; plusieurs cantons d’Épire[26] se déclarèrent ouvertement pour Persée ; l’Étolie, l’Acarnanie, remuèrent.

Un nouveau consul, aussi incapable que le précédent, A. Hostilius, arriva. En traversant l’Épire, il faillit être enlevé par un parti ennemi. La campagne répondit à ces commencements ; Hostilius débuta par un échec, et perdit l’année à chercher un passage pour entrer en Macédoine. Partout Persée faisait face dans des positions inexpugnables. Les deux lieutenants qui attaquaient par mer et du côté de l’Illyrie ne furent pas plus heureux : l’un ne se signala que par le sac d’Abdère ; l’autre, Cassius, posté à Lychnidus, perdit six mille hommes dans une entreprise mal conduite contre Uscana. Dés qu’il sut les Romains retirés prématurément dans leurs quartiers, Persée courut châtier les Dardaniens, auxquels il tua dix mille hommes, et employa l’hiver à enlever plusieurs places de l’Illyrie, dans laquelle il fit six mille Romains prisonniers[27]. Il voulait fermer de ce côté les approches de la Macédoine, et décider peut-être la défection de Gentius. Le roi barbare demandait avant tout de l’argent : Persée refusa. L’Épire paraissait soulevée; il espéra entraîner aussi l’Étolie, et pénétra jusqu’à Stratos avec dix mille hommes. Mais les Romains étaient entrés dans la place.

Cette activité, ces succès, invitaient les peuples irrésolus à saisir l’occasion de se sauver avec lui : et ce fut le moment on les ambassadeurs affluèrent à Rome ! Athènes, Milet, Alabanda, la Crète, renouvelaient leurs promesses de services ou offraient des dons ; Lampsaque sollicitait le titre d’alliée. Les Carthaginois avaient offert un million cinq cent mille boisseaux de blé ; Masinissa en promettait autant, et en outre mille deux cents Numides et douze éléphants ; déjà il avait envoyé vingt-deux éléphants et deux mille auxiliaires[28]. Persée restait seul encore.

Cependant, grâce à l’impéritie des généraux, cette guerre devenait sérieuse ; l’inquiétude gagna Rome ; il fut défendu aux sénateurs de s’éloigner de la ville de plus d’un mille, soixante mille hommes furent levés en Italie, et le nouveau consul Martius emmena de nombreux renforts, afin de combler les vides faits dans l’armée par les congés que les consuls et les préteurs avaient vendus. Pour détruire l’effet des exactions dont les Grecs avaient été victimes, il se fit précéder d’un sénatus-consulte qui défendait de rien fournir aux généraux au delà de ce que le Sénat avait fixé.

Les monts Cambuniens et l’Olympe ferment au sud la Macédoine, où Marcius était décidé à porter la guerre : c’est une barrière formidable. Avant de l’aborder, il interrogea les gens du pars sur les routes, ou plutôt sur les sentiers abrupts qui y courent, s’assura de guides perrhèbes, puis tint un conseil de guerre. Les uns proposaient de passer par Pythion, entre l’Olympe et les monts Cambuniens ; d’autres, de tourner ces montagnes où Persée avait accumulé les moyens de défense et d’entrer dans le royaume par l’Élymée, à la passe des Quarante-Gués (Sarandaporos), que gardait la Vigla ou la Sentinelle. La route de Pythion conduisait au défilé de Pétra, que fermait une forteresse placée sur une aiguille de rocher, au-dessus de laquelle l’Olympe élève des cimes qui montent à 5000 mètres. Il eût été imprudent d’engager l’armée entière dans des gorges si aisées à défendre et qui menaient bien loin des magasins formés en Thessalie. En partant d’Olossona, on arrivait plus vite en Piérie par les Kanalia ; mais c’était un passage difficile à atteindre, pour une armée, et d’où il lui aurait été plus difficile encore de descendre, car elle aurait eu à longer quatre torrents qui avaient creusé, sur le versant oriental, d’impraticables ravines ; vues d’en bas, ces gorges montrent l’immense montagne comme entr’ouverte de la base au sommet. Quant au défilé de Tempé, un voyageur pouvait bien y passer, mais non pas une légion, si la moindre troupe le gardait : sur un espace de 5 milles, une bête de somme y trouve à peine l’espace nécessaire pour elle et son bagage[29].

Ces défenses naturelles accumulées sur la route par où venaient les Romains semblaient devoir leur interdire l’entrée de la Macédoine. En outre, tous les sentiers étaient gardés. Persée, avec une habileté

qu’on a méconnue, avait placé dix mille hommes sur la Volustana, pour commander les deux défilés de Sarandaporos et de Pétra. Il en avait posté douze mille, avec Hippias, au-dessus du marais Ascuris, probablement sur le mont Sipoto, afin d’intercepter, de ce côté, les sentiers de la montagne. Il avait encore jeté des troupes dans la vallée de Tempé, et lui-même s’était établi à Dion, en arrière de ces défenses, pour les soutenir partout on elles faibliraient ; de peur d’être pris à revers par les équipages de la flotte romaine, il couvrit le littoral de sa cavalerie légère.

Marcius hésita quelque temps sur le point où il devait couper cette ligne formidable; il se décida pour une entreprise audacieuse qui, par sa hardiesse même, devait donner de plus grands résultats, si elle réussissait. Il résolut de tourner avec sa cavalerie, ses éléphants, ses bagages et un mois de vivres, le vaste marais Ascuris, et de franchir le plateau d’Octolophe ou des Huit-Sommets, dont un, aujourd’hui appelé mont de la Transfiguration, mesure une altitude de 1481 mètres. De là, dit l’historien, on aperçoit tout le pays, depuis Phila jusqu’à Dion, et toute la côte de la Piérie[30]. Pendant que le consul traverserait les montagnes, le préteur devait, avec sa flotte, menacer la côte et y faire des descentes. Marcius avait trente-sept mille hommes ; il en porta rapidement une partie contre la division d’Hippias, pour l’écraser ou la contenir. Un corps d’élite par lequel il fit tourner le marais Ascuris lui ouvrit, au sud, la route vers Rapsani, que défendait la forteresse Lapathonte ; un autre attaqua, par l’ouest, les Macédoniens sur les hauteurs. Pendant deux jours on s’y battit, sans que le roi osât quitter la côte pour profiter de la dangereuse position où les Romains s’étaient placés. Ceux-ci s’en tirèrent à force d’audace. Tandis qu’Hippias, sous la pression de cette rude attaque, concentrait ses forces pour une résistance désespérée, Marcius, masquant ses mouvements par un cordon de troupes, se jeta à travers rochers et forêts sur le versant oriental de l’Olympe, d’où il descendit avec des dangers et des peines extrêmes dans les plaines de la Piérie[31]. Ses communications étaient coupées, mais il avait forcé le passage et vaincu la nature.

C’était bien d’elle qu’il venait de triompher. Les Romains, dit le savant voyageur qui a suivi pas à pas les traces de l’armée de Marcius dans ces montagnes, sont descendus dans la Macédoine par des précipices. Je n’ai jamais rien vu de plus sauvage et de plus magnifique que les pentes du bas Olympe sur lesquelles ils s’engagèrent : c’est une forêt immense enveloppant de son ombre toute une région d’escarpements et de ravins. Dans des gorges boisées jusqu’au fond passent avec bruit des eaux claires et rapides. La vigueur et la variété de la végétation sont incroyables : les arbres de la plaine, qu’on est étonné de rencontrer si haut, les chênes verts et surtout d’énormes platanes montent le long des torrents jusqu’au milieu des châtaigniers et presque jusqu’aux sapins. On conçoit qu’en traversant ces impénétrables solitudes, toute une armée ait trompé l’ennemi qui la croyait retournée en arrière... Ces bois sont les restes de la forêt Callipeucè de Tite Live.... De Skotina[32] jusqu’au pied de la montagne, je cherchais à me figurer la large trouée ouverte à la hache et tout le désordre de cette armée qui déroulait, nous dit Tite Live, plutôt qu’elle ne descendait. La cavalerie, les bagages, les bêtes de somme, qui étaient le grand embarras, marchaient en avant avec les éléphants, qu’on faisait glisser à grand’peine sur des plans inclinés ; les légions venaient ensuite. De Skotina nous mimes au moins quatre heures pour arriver au pied des dernières pentes. Là, sur le bord de la plaine, s’élèvent quelques mamelons plantés d’oliviers, avec les ruines d’un petit monastère de la Panaghia. Ce sont les collines où le consul romain, après avoir employé trois jours à cette descente, fit enfin établir son camp; l’infanterie occupait ces collines ; la cavalerie campait en avant au bord de la plaine[33].

Une forte arrière-garde laissée sur les hauteurs avait caché au corps d’Hippias cette manoeuvre audacieuse. Ainsi, dix jours après avoir reçu l’armée des mains de son prédécesseur, Marcius avait arrêté ses plans, réuni ses vivres, livré deux combats dans l’Olympe et forcé l’entrée de la Macédoine ; c’est une belle page d’histoire militaire

Durant ces opérations, Persée était à Dion avec la moitié de ses troupes ; effrayé à la vue des légions[34], il abandonna la forte position qu’il occupait et se replia vers Pydna, en commettant l’impardonnable faute de rappeler à lui les corps qui gardaient les défilés. Aussitôt Martius s’en saisit : il était sauvé. Rassuré sur ses communications, le consul avança jusqu’à Dion, mais le manque de vivres et l’approche de l’hiver l’arrêtèrent ; il cessa les hostilités, et prit hardiment ses quartiers dans la Piérie. La Macédoine était enfin entamée.

Pour n’être point troublé sur la position qu’il avait prise, et, en même temps, pour assurer ses communications avec la Thessalie d’où il attendait ses convois, il fit enlever par ses lieutenants les petites places qui gardaient la vallée de Tempé, entre autres Phila, où Persée avait réuni de grands approvisionnements de blé. Se trouvant même trop en l’air à Dion, où la plaine de la Piérie commence à s’élargir, il se concentra derrière l’Énipée, qui lui offrait pour l’hiver une bonne ligne de défense. Ce torrent, dit Tite Live, descend d’une gorge du mont Olympe. Faible en été, les pluies d’hiver en font un torrent impétueux. Il tourbillonne au pied de roches immenses, et dans le ravin où il s’engouffre, entraînant les terres, creusant profondément son lit, il a fait de ses deux rives des précipices. Les habitants l’appellent l’Abîme (Vythos), et il mérite ce nom.

Le bruit de ces succès arrivait à Rome quand les députés rhodiens, se présentant au Sénat, déclarèrent que, ruinés par cette guerre, ils voulaient en voir la fin, et que si Rome ou Persée refusaient d’y mettre un terme, ils aviseraient aux mesures qu’ils auraient à prendre à l’égard de celui des deux adversaires qui s’opposerait à la paix. Pour toute réponse, on leur lut un sénatus-consulte qui déclarait libres les Cariens et les Lyciens, leurs sujets. Eumène aussi, blessé dans son orgueil, venait d’abandonner le camp romain, et Prusias s’interposait comme médiateur. Il était temps d’en finir avec la Macédoine.

Les comices portèrent au consulat Paul Émile, homme d’une vertu antique, lettré cependant, comme l’étaient déjà tous les nobles de Rome, et ami de la civilisation et des arts de la Grèce. Malgré ses soixante ans, il déploya l’activité d’un jeune et prudent capitaine. Il envoya inspecter la flotte, l’armée, la position de l’ennemi et des légions, l’état des magasins, les dispositions des alliés. Genthios, trompé par une promesse de 300 talents, s’était enfin déclaré contre Rome. Eumène avait ouvert avec Persée de ténébreuses négociations; les Rhodiens étaient presque ouvertement passés de son côté, et la flotte macédonienne dominait dans la mer Égée et les Cyclades. Mais Persée venait de se priver de l’appui des vingt mille Gaulois qu’il avait appelés des bords du Danube; il leur refusait la solde promise, au moment où il eût fallu la doubler pour obtenir leur assistance, dût même cette assistance devenir dangereuse après la commune victoire.

Sur ces renseignements, Paul Émile disposa son plan. Avec l’armée de Marcius il devait attaquer de front la Macédoine et pousser le roi devant lui. Octavius, avec la flotte, formerait l’aile droite, et, après avoir balayé la mer Égée, menacerait les côtes et inquiéterait Persée sur ses derrières. Anicius, avec deux légions en Illyrie, formerait l’aile gauche, écraserait Genthios et se rabattrait par la Dassarétie sur la Macédoine. Quatre-vingt mille hommes au moins allaient être aux prises[35], et l’autre consul, Licinius, tenait une armée prête sur les côtes de l’Adriatique pour, au besoin, voler au secours de son collègue.

Au camp, Paul Émile s’occupa de rendre à la discipline romaine son ancienne vigueur[36]. Il remplaça par des travaux les loisirs des soldats et remit en honneur les exercices militaires; il retira aux sentinelles leur bouclier pour augmenter leur vigilance. Le mot d’ordre se donnait tout haut et pouvait être entendu de l’ennemi ; il décida que les centurions se le passeraient à voix basse. Les gardes avancées se fatiguaient à rester tout le jour sous les armes ; il les fit relever le matin et à midi, pour que l’ennemi trouvât toujours aux avant-postes des troupes fraîches et reposées.

Persée campait derrière l’Énipée, dans la forte position que nous avons décrite. Par une fausse attaque qui dura deux jours, le consul essaya de l’y retenir, tandis que Scipion Nasica, avec un corps d’élite de onze mille hommes, rentrait dans la vallée de Tempé et, tournant toute la masse de l’Olympe, arrivait par la route de Pythion au défilé de Pétra. Le roi avait soupçonné cette marche, et douze mille Macédoniens barraient la route. C’étaient de mauvaises troupes, les meilleurs soldats étant restés dans la phalange en face de Paul Émile; elles ne surent pas même prendre de bonnes positions, et Nasica en eut facilement raison. Il poussa vivement les fuyards, enleva la forteresse de Pétra, qu’ils ne cherchèrent point à défendre, et descendit dans la plaine de Katérini. Persée allait être pris entre deux attaques ; il leva son camp de l’Énipée et se retira sur Pydna, au nord de Katérini.

Une plaine faite à souhait pour la phalange s’étendait en avant de la ville ; Persée, qui ne pouvait plus reculer sans honte ni dommage, résolut d’y livrer bataille. Dans la nuit qui précéda l’action, une éclipse de lune alarma les Macédoniens ; par l’ordre de Paul Émile, le tribun Sulpicius Gallus expliqua aux légionnaires la cause physique de ce phénomène (22 juin 68)[37]. Quelques jours auparavant, l’armée souffrait de la soif ; le consul, guidé par la direction des montagnes, avait fait creuser dans le sable, et on avait trouvé de l’eau en abondance. Les soldats croyaient leur chef inspiré des dieux, et demandaient à grands cris le combat. Mais, enfermé entre la mer, une armée de quarante-trois mille hommes et des montagnes impraticables pour lui s’il était vaincu, Paul Émile ne voulait rien donner au hasard; ce ne fut que quand il eut fait de son camp une forteresse qu’il se décida à risquer une affaire décisive[38]. Les Macédoniens attaquèrent avec fureur. La plaine étincelait de l’éclat des armes; le consul même ne put vair sans un certain effroi ces rangs serrés et impénétrables, ce rempart hérissé de piques. Il dissimula ses craintes, et, pour inspirer confiance aux troupes, affecta de ne mettre ni son casque ni sa cuirasse. D’abord la phalange renversa tout ce qui lui était opposé ; mais le succès l’entraînant loin du terrain que Persée lui avait choisi, les inégalités du sol et le mouvement de la marche y ouvrirent des vides où Paul Émile lança ses soldats. Dès lors ce fut comme à Cynocéphales : la phalange ébranlée, désunie, perdit sa force ; au lieu d’une lutte générale, il y eut mille combats partiels; la phalange entière, c’est-à-dire vingt mille hommes, resta sur le champ de bataille; un ruisseau qui le traversait roulait encore le lendemain des eaux sanglantes. Les Romains n’avouèrent qu’une perte de cent hommes, ce qui est invraisemblable, et firent onze mille prisonniers. Pydna fut mise à sac et à pillage; ses ruines mêmes ont disparu, mais, comme il convenait à un pareil endroit, des tombeau marquent la place où s’élevait la florissante cité, et le souvenir de la journée où la Macédoine succomba vit encore confusément dans une légende demi gracieuse demi terrible que l’on raconte à Palæo-Kitros. Au lieu qui fut certainement le théâtre de l’action principale, des liliacées d’une espèce particulière tapissent le sol ; les gens du pays l’appellent le vallon des fleurs, Louloudia, et disent que ces fleurs sont nées du sang humain répandu là dans un grand combat.

Du champ de bataille Persée s’enfuit à Pella. Cette capitale, située sur une hauteur dont l’approche est couverte par des marais impraticables l’été comme l’hiver, était de facile défense ; mais il n’avait plus d’armée, et les habitants cédaient au découragement général. On lui conseilla de se retirer dans les provinces montagneuses qui touchent à la Thrace et d’essayer d’une guerre de partisans ; il fit sonder les dispositions des Bisaltes et engagea les citoyens d’Amphipolis à défendre leur ville, afin de se conserver pour lui-même un accès vers la mer[39]. Partout il essuya des refus ou de dures paroles, et il apprit que toutes les places ouvraient leurs portes, avant même d’être attaquées. Abandonné, sans ressources, il demanda la paix au consul, et, en attendant sa réponse, se réfugia, avec sa famille et ses trésors, dans le temple sacré de Samothrace.

Dans sa lettre Persée prenait encore le titre de roi; Paul Émile la renvoya sans la lire; une seconde où ce titre était effacé obtint pour toute réponse qu’il devait livrer sa personne et ses trésors. Il essaya de fuir pour rejoindre Cotys, en Thrace. Mais la flotte du préteur Octavius cernait l’île, et un Crétois qui lui promit de l’enlever sur son navire disparut avec l’argent porté d’avance à son bord. Enfin un traître livra au préteur les enfants du roi, et Persée lui-même vint se remettre avec l’aîné de ses fils. Paul Émile, touché d’une telle infortune, l’accueillit bien[40], le reçut à sa table et l’invita à mettre espoir dans la clémence du peuple romain (168).

Avant même la bataille de Pydna, Anicius avait assiégé Genthios dans Scodra, sa capitale, et forcé ce prince à se rendre : trente jours avaient suffi pour cette conquête, qui n’avait pas conté même un combat.

En attendant l’arrivée des commissaires du Sénat, Paul Émile parcourut la Grèce pour en visiter les merveilles. Il monta à Delphes, où il fit élever sa statue sur le piédestal destiné à celle de Persée ; il vit l’antre de Trophonios, Chalcis et l’Euripe, avec ses phénomènes étranges de marée ; Aulis, le rendez-vous des mille vaisseaux d’Agamemnon ; Athènes, où il offrit un sacrifice à Minerve, comme, à Delphes, il avait sacrifié à Apollon ; Corinthe, encore riche de tous ses trésors ; Sicyone, Argos, Épidaure et son temple d’Esculape, Mégalopolis, la ville d’Épaminondas, Sparte et Olympie, évoquant partout les glorieux souvenirs et rendant hommage par son admiration à cette Grèce maintenant si abaissée. A Olympie, il crut voir Jupiter en contemplant la statue de Phidias, et il sacrifia avec la même pompe qu’au Capitole. Il voulut vaincre aussi les Grecs en magnificence. Celui qui sait gagner des batailles, disait-il, doit savoir ordonner un festin et une fête. Il fit préparer à Amphipolis des jeux grecs et romains, qu’il annonça aux républiques et aux rois de l’Asie et auxquels il invita les principaux chefs de la Grèce. Il y vint de toutes les parties du monde les acteurs les plus habiles, des athlètes et des chevaux fameux. Autour de l’enceinte des jeux étaient exposés les statues, les tableaux, les tapisseries, des vases d’or, d’argent, d’airain, d’ivoire et toutes les curiosités, tous les chefs-d’œuvre trouvés dans les palais de Persée. Les armes des Macédoniens avaient été réunies en un immense monceau, Paul Émile y mit le feu, et la fête se termina aux lueurs sinistres de l’incendie. Cet holocauste annonçait à la Grèce et au monde la fin de la domination macédonienne, comme l’incendie du palais de Persépolis, par Alexandre, avait, un siècle et demi plus tôt, annoncé à l’Asie la destruction de l’empire de Cyrus.

Cependant les commissaires du Sénat étaient arrivés ; Paul Émile régla avec eux le sort de la Macédoine, et, ayant réuni à Amphipolis, devant son tribunal qu’entourait une foule immense, dix des principaux citoyens de chaque ville, il leur déclara les volontés du peuple romain. Il s’exprimait en latin, le vainqueur devant parler sa langue aux vaincus ; mais le préteur Octavius répétait en grec ses paroles. Les Macédoniens seront libres et conserveront leurs villes avec des magistrats annuels, leurs territoires, leurs lois, et ils ne payeront au peuple romain que la moitié des anciens tributs; mais la Macédoine, réduite en province romaine et gouvernée par un proconsul, sera divisée en quatre districts, avec interdiction aux habitants de contracter mariage, de vendre ou d’acheter hors de leur territoire. Les cantons voisins des barbares pourront seuls armer quelques troupes. Ceux du troisième district approvisionneront de sel les Dardaniens, à un prix convenu d’avance[41]. Les amis et les courtisans du roi, ses généraux, ses commandants de flotte, ses gouverneurs de places, tous ceux qui ont exercé quelque emploi, suivront le consul en Italie avec leurs enfants; et il les désigna tous par leurs noms. Puis il donna aux Macédoniens un code de lois appropriées à leur nouvelle situation, et dans chaque district l’administration locale fut confiée à un sénat, c’est-à-dire à un petit nombre d’hommes choisis parmi les partisans de Rome, de peur que le peuple ne fît dégénérer en licence la liberté réglée qu’il devait aux Romains[42], puis il partit pour l’Épire. Anicius appliqua les mêmes dispositions à l’Illyrie, qui fut partagée en trois cantons.

La Macédoine était trop riche pour être abandonnée au pillage des soldats; on ne leur avait livré que quelques villes qui, après Pydna, avaient hésité à ouvrir leurs portes. Le consul avait cherché d’ailleurs à séparer la cause du roi de celle du peuple ; il fallait paraître n’avoir combattu que Persée, et ne vouloir que ses dépouilles, pour ébranler d’avance, par cette politique, tous les trônes qui restaient encore debout. La Macédoine et l’Illyrie furent donc épargnées; mais les soldats murmuraient : on leur livra l’Épire. La politique des assemblées nombreuses est souvent impitoyable, parce que, de tous ceux, qui concourent à leurs actes, aucun n’en est personnellement responsable. Les Épirotes avaient fait défection ; le Sénat, pour effrayer à jamais ses alliés, voulut les traiter ainsi qu’il faisait des transfuges toujours frappés de la hache : il se contenta cependant de les vendre comme esclaves. Mais quelle exécution : celle d’un peuple tout entier ! Paul Émile versa, dit-on, des larmes en lisant le décret. Des cohortes envoyées dans les soixante-dix villes de l’Épire[43] reçurent l’ordre, au même jour, à la même heure, de les livrer au pillage et d’en abattre les murailles. Le butin fut si considérable, que chaque fantassin, après qu’on eut mis à part pour le Trésor l’or et l’argent, reçut 200 deniers, chaque cavalier 400. Cent cinquante mille Épirotes furent vendus.

Paul Émile rentra à Rome en remontant le Tibre sur la galère du roi ornée des boucliers d’airain de la phalange. La solennité du triomphe dura trois jours, tant le butin était immense. Le premier, passèrent les statues et les tableaux sur deux cent cinquante chariots : le second, une longue file de voitures chargées d’armes, et trois mille hommes portant sept cent cinquante vases, dont chacun contenait 5 talents en argent monnayé ; d’autres avec des cratères et des coupes d’argent remarquables par leur grandeur et leurs ciselures. Le troisième jour, des soldats portant l’or monnayé dans soixante-dix-sept vases qui renfermaient chacun 3 talents; quatre cents couronnes d’or données par les villes de Grèce et d’Asie ; une coupe du poids de 10 talents d’or incrustée de pierreries ; et les antigonides, les séleucides, les thériclées et les autres coupes d’or qui ornaient la table des rois de Macédoine ; puis le char du roi chargé de ses armes et de son diadème. La foule des captifs suivait ; parmi eux le fils de Cotys et les enfants de Persée, auxquels leurs gouverneurs apprenaient à tendre vers la foule des mains suppliantes. Derrière ses enfants marchait Persée vêtu de deuil et l’air égaré comme si l’excès de ses maux lui avait fait perdre tout sentiment. Il avait demandé à Paul Émile de le soustraire à cette ignominie. C’est une chose qui a toujours été et qui est encore en son pouvoir, avait durement répondu le Romain. Jeté dans un cachot de la ville d’Albe, il comprit ce qu’était la clémence de Rome, que Paul Émile lui avait vantée; et, dans l’année qui suivit le triomphe, il se laissa mourir de faim ou périt sous les lentes tortures de ses geôliers. Son fils aîné, Philippe, mourut avant lui ; l’autre, pour gagner sa vie, apprit le métier de tourneur ; plus tard cet héritier d’Alexandre parvint à la charge de greffier !

Quant à Genthios, après avoir paru au triomphe du préteur Anicius, il avait été emprisonné à Iguvium, au milieu des montagnes de l’Ombrie.

Une fin plus triste fut celle de ce glorieux peuple qui avait conquis la Grèce et l’Asie. Jamais la Macédoine ne remonta au rang des nations, et, jusqu’à nos jours, durant vingt siècles, l’histoire n’a plus prononcé son nom.

 

IV. Fin de la ligue achéenne ; réduction de la Macédoine et de la Grèce en provinces romaines

Le peuple romain n’avait encore rien pris, cette fois, si ce n’est les 45 millions versés par Paul Émile dans le Trésor, et les tributs imposés à la Macédoine, qui permirent au Sénat de ne plus demander d’impôt aux citoyens ; mais il n’avait pas besoin de réunir de nouveaux territoires à son empire pour étendre sa domination. La Macédoine avait paru le dernier boulevard de la liberté du monde; maintenant qu’il était tombé, tous couraient au-devant de la servitude, les rois en tête.

Les Rhodiens, qui avaient voulu imposer leur médiation, redoutaient la guerre, bien qu’ils eussent mis à mort les partisans avoués de Persée et apporté à Rome de riches présents. Le Sénat n’envoya pas d’armée contre eux, mais la Lycie et la Carie leur furent définitivement enlevées, et on leur imposa le titre d’alliés, qui faisait si rapidement tomber au rang de sujets. Ils n’en dressèrent pas moins dans leur principal temple la statue colossale du Peuple romain[44] ; plus tard, Smyrne éleva un temple à la ville de Rome. Dans l’île de Lesbos, Antissa fut rasée pour avoir fourni quelques vivres à la flotte de Persée. En Asie, toutes les villes s’empressèrent de bannir ou de mettre à mort les anciens partisans du roi. Dans la Grèce, il ne restait d’autre État libre que la ligue achéenne, elle aussi destinée à périr. Philopœmen n’avait pu lui-même croire sérieusement à sa durée. Quand les Romains, dit Polybe, demandaient des choses conformes aux lois et aux traités, il exécutait sur-le-champ leurs ordres ; quand leurs exigences étaient injustes, il voulait qu’on fit des remontrances, puis des prières, et, s’ils demeuraient inflexibles, qu’on prit les dieux à témoin de l’infraction des traités et qu’on obéît. Je sais, ajoutait-il, qu’un temps viendra où nous serons tous les sujets de Rome[45] ; mais ce temps, je veux le retarder. Aristénès, au contraire, l’appelle, car il voit l’inévitable nécessité, et il préfère la subir aujourd’hui plutôt que demain. Cette politique d’Aristénès, que Polybe ose appeler sage[46], Callicratès la suivit, mais dans le seul intérêt de son ambition et avec un hideux cynisme de servilité. La faute en est à vous, pères conscrits, osa-t-il dire dans le Sénat, si les Grecs ne sont pas dociles à vos volontés. Dans toutes les républiques il y a deux partis : l’un qui prétend qu’on doit s’en tenir aux lois et aux traités, l’autre qui veut que toute considération cède au désir de vous plaire ; l’avis des premiers est agréable à la multitude : aussi vos partisans sont-ils méprisés ; mais prenez à coeur leurs intérêts, et bientôt tous les chefs des républiques, et avec eux le peuple, seront pour vous. Le Sénat répondit qu’il serait à désirer que les magistrats de toutes les villes ressemblassent à Callicratès, et, comme pour justifier ses paroles, les Achéens l’élurent stratège à son retour de Rome.

Cela se passait quelques années avant la guerre de Persée. Ce prince rendit l’espoir aux partisans de l’indépendance hellénique : aussi les Achéens voulurent-ils d’abord garder une exacte neutralité ; mais, quand Marcius eut forcé les défilés de l’Olympe, Polybe accourut lui offrir le secours d’une armée achéenne[47] : il était trop tard ; les Romains voulaient vaincre seuls, pour n’être point gênés par la reconnaissance. Polybe lui-même fut du nombre des mille Achéens détenus en Italie, et il aurait eu pour prison quelque ville obscure, loin de ses livres et des grandes affaires qu’il aimait tant à étudier, si les deux fils de Paul Émile n’avaient répondu de lui au préteur.

Pendant les dix-sept années que dura cet exil, sur lequel le Sénat ne voulut jamais s’expliquer, Callicratès resta à la tête du gouvernement de son pays. Il y faisait bien mieux les affaires de Rome que si le Sénat eût envoyé à sa place un proconsul. Laisser aux pays vaincus ou soumis à l’influence romaine leurs chefs nationaux, gouverner par les indigènes, comme les Anglais le font dans l’Inde, fut une des maximes les plus heureuses de la politique romaine. Content de cette apparente indépendance, de ces libertés municipales qui s’accordent si bien avec le despotisme politique, les peuples tombaient sans bruit, sans éclat, à la condition de sujets, et le Sénat les trouvait tout façonnés au joug, quand il voulait serrer le frein et faire sentir l’éperon. Ainsi la Grèce allait devenir, sans qu’elle s’en aperçût, comme tant de cités italiennes, une possession de Rome, lorsque, à la mort de Callicratès, Polybe, appuyé de Scipion Émilien, sollicita le renvoi des exilés d’Achaïe. Es n’étaient plus que trois cents : le Sénat hésitait. Caton s’indigna qu’on délibérât si longtemps sur une pareille misère ; le mépris lui donna de l’humanité. Il ne s’agit, disait-il, que de décider si quelques Grecs décrépits seront enterrés par nos fossoyeurs ou par ceux de leur pays. On les laissa partir (150)[48]. Caton avait raison : c’était bien au tombeau qu’après un dernier combat la Grèce allait descendre, et, elle aussi, polir vingt siècles.

Chez quelques-uns de ces exilés, l’âge n’avait ni glacé l’ardeur ni calmé le ressentiment. Diéos, Critolaos et Damocritos rentrèrent dans leur patrie, le coeur ulcéré, et parleur audace imprudente précipitèrent sa ruine.

Les circonstances leur paraissaient, il est vrai, favorables. Un aventurier, Andriscos, se donnant pour fils naturel de Persée, venait de réclamer l’héritage paternel (152). Repoussé par les Macédoniens dans une première tentative, il s’était réfugié auprès de Démétrius, roi de Syrie, qui l’avait livré aux Romains. Ceux-ci, contre leur habitude, le gardèrent mal; il s’échappa, recruta une armée en Thrace, et se donnant cette fois pour Philippe, ce fils de Persée qui était mort chez les Marses, il souleva la Macédoine et occupa une partie de la Thessalie. Scipion Nasica le chassa de cette province (149) ; mais il y rentra, battit et tua le préteur Juventius, et fit alliance avec les Carthaginois, qui commençaient alors leur troisième guerre Punique. L’affaire devenait sérieuse. Rome combattait en ce moment dans l’Espagne et l’Afrique ; on pouvait craindre que le mouvement ne s’étendît de proche en proche à la Grèce entière et à l’Asie. Une armée consulaire fut donnée au préteur Metellus, qui gagna une nouvelle victoire de Pydna et conduisit à Rome Andriscos chargé de chaînes (148).

Une année avait suffi pour terminer cette guerre, au fond peu redoutable, qu’un second imposteur tenta vainement de renouveler quelques années plus tard (142). Le Sénat, croyant enfin mûrs pour la servitude les États que depuis un demi-siècle il avait vaincus et enlacés dans ses intrigues, réduisit la Macédoine en province (146).

La nouvelle province s’étendit de la Thrace à l’Adriatique, où les deux florissantes cités d’Apollonie et de Dyrrachium lui servirent de ports et comme de points d’attache avec l’Italie. Son impôt resta fixé à 100 talents, moitié de ce que la Macédoine payait à ses rois et qu’elle leva elle-même ; ses villes conservèrent leurs libertés municipales, et, au lieu des guerres civiles et étrangères qui l’avaient si longtemps désolée, elle allait jouir, durant quatre siècles, d’une paix et d’une prospérité qui ne fut que de loin en loin troublée par les exactions de quelque proconsul républicain.

L’armée de Metellus le Macédonique était encore cantonnée au milieu de sa conquête, quand un des bannis achéens, de retour dans le Péloponnèse, Diéos, fut élu stratège. Durant sa magistrature, l’éternelle querelle entre Sparte et la ligue, quelque temps assoupie, se renouvela, grâce aux secrètes intrigues de Rome ; Sparte voulut encore sortie de la commune alliance. Aussitôt les Achéens armèrent, mais les commissaires romains arrivèrent, apportant un sénatus-consulte qui séparait de la ligue Sparte, Argos et Orchomène : lés deux premières comme peuplées de Doriens, l’autre comme étant d’origine troyenne, toutes trois, par conséquent, étrangères par le sang aux autres membres de la confédération. A la lecture de ce décret, Diéos souleva le peuple de Corinthe ; les Lacédémoniens trouvés dans la ville furent massacrés, et les députés romains n’échappèrent au même sort que par une fuite précipitée. Ce peuple, qui depuis quarante ans tremblait devant Rome, retrouva enfin quelque courage dans l’excès de l’humiliation ; il entraîna dans son ressentiment Chalcis et les Béotiens ; et, quand Metellus descendit de la Macédoine avec ses légions, les confédérés marchèrent à sa rencontre jusqu’à Scarphée, dans la Locride (146). Cette armée fut taillée en pièces ; mais, en armant jusqu’aux esclaves, en prenant l’argent des riches et les bijoux des femmes, Diéos réunit encore quatorze mille hommes, et acheva ses préparatifs de défense ; posté à Leucopétra, à l’entrée de l’isthme de Corinthe, il attendit le nouveau consul Mummius. Sur les hauteurs voisines, les femmes, les enfants, s’étaient placés pour voir leurs époux et leurs pères vaincre ou mourir : ils moururent. Corinthe, abandonnée des Achéens, fût prise sans combat, et, pour épouvanter la Grèce par une exécution féroce, le consul fit égorger les hommes, vendre les enfants et les femmes, après quoi il livra la ville au pillage et à l’incendie[49] ; Thèbes, Chalcis et le territoire des trois cités furent réunis au domaine public du peuple romain. Les ligues achéenne et béotienne furent dissoutes; toutes les villes qui avaient pris part à la lutte, démantelées, désarmées, soumises au tribut et à un gouvernement oligarchique, qu’il était plus aisé au Sénat de tenir dans la dépendance que des assemblées populaires[50]. Les territoires sacrés, Delphes et Olympie, dans l’Élide, gardèrent leurs privilèges ; mais le crédit de ces dieux qui ne savaient plus sauver leurs peuples baissait, et l’herbe allait pousser autour de leurs parvis.

Encore un peuple rayé de la liste des nations ! Les Grecs, par la main de Rome, étaient arrivés à la fin de leur existence politique, et ils n’avaient pas même le droit d’en accuser la fortune. Il en coûte de le dire, à nous surtout, mais ceux qui ont tort, sans que les vainqueurs aient toujours raison, sont le plus souvent les vaincus. Qu’on se reporte au tableau que nous avons tracé de la Grèce, avant que les Romains n’y missent le pied, et l’on reconnaîtra que ce peuple avait, de ses mains, creusé son tombeau. Qui ne peut se gouverner obéira, qui n’a point de prévoyance sera exposé à tous les hasards : c’est la loi universelle. L’anarchie fit justement esclaves ceux qu’en des temps meilleurs le patriotisme et la discipline avaient faits glorieux et forts.

En vérité, cette race dégénérée ne méritait pas que Rome dépensât tant de prudence pour l’amener insensiblement sous son empire. Comme si le Sénat avait eu toujours présents à l’esprit les exploits jadis accomplis par la Grèce, comme s’il avait redouté qu’en précipitant les choses, quelque beau désespoir ne renouvelât les lauriers de Marathon et de Platée, il avait mis un demi-siècle à agir et à parler en maître. La guerre contre les Illyriens terminée, il avait fait savoir aux Grecs que c’était pour les délivrer de ces pirates que les légions avaient traversé l’Adriatique, et, clans la lutte avec la Macédoine, il avait prétendu combattre pour leur indépendance. Après Cynocéphales, Flamininus transforma doucement cette amitié des premiers jours en protectorat; et ce ne fut qu’après que toute force eut été détruite en Macédoine, en Asie, en Afrique, que Mummius fit du protectorat une domination. Même alors, la Grèce ne fit pas formellement réduite en province[51]. Ce grand nom imposait. D’ailleurs les cités les plus glorieuses, Athènes, Sparte, d’autres encore, étaient restées étrangères à la lutte engagée par les Achéens, et beaucoup de ceux-ci l’avaient soutenue avec mollesse : Si nous n’eussions été perdus promptement, disaient-ils, nous n’aurions pu nous sauver[52]. Ils entendaient par là qu’une résistance opiniâtre aurait rendu les Romains implacables, tandis qu’une facile victoire avait désarmé leur colère. Une fois, en effet, les exécutions des premiers jours accomplies, et les auteurs, les complices de la guerre, punis de manière à ôter l’envie de recommencer, les Grecs furent traités en vaincus dont home voulait gagner l’amitié. Ils perdirent la liberté, mais ils en conservèrent l’apparence, en gardant leurs lois, leurs magistrats, leurs élections, même leurs ligues qu’au bout de quelques années le Sénat leur permit de renouer. Point de garnison romaine dans leurs villes, point de proconsul dans leur pays. Seulement, du fond de la Macédoine, le gouverneur écoutait tous les bruits, surveillait tous les mouvements, prêt à descendre sur l’Hellade avec ses cohortes et à renouveler par quelque mesure rigoureuse l’effroi laissé dans les âmes par la destruction de Corinthe. En réalité, Rome n’ôtait aux Grecs que le droit de dévaster leur pays par la continuité des guerres intestines.

Metellus avait enlevé de Pella vingt-cinq statues en bronze qu’Alexandre avait commandées à Lysippe pour consacrer la mémoire de ses gardes tombés sur les bords du Granique. Il les plaça en face de deux temples qu’il bâtit à Jupiter et à Junon et qui furent les premiers édifices de marbre que Rome posséda. Après ces constructions, il lui resta, sur la part de butin qu’il s’était faite, assez d’argent pour élever encore un magnifique portique.

Mummius était un Romain de vieille roche ; il avait conservé toute la rusticité antique et ne comprenait rien aux élégances de la Grèce. Afin d’obéir à la coutume, bien plus que par goût pour les chefs-d’œuvre de l’art, il enleva de Corinthe, avant l’incendie et le pillage, les statues, les vases[53], les tableaux, les ciselures, et ce qu’il n’avait pu vendre au roi de Pergame[54], il le fit transporter à Rome, où ce butin de guerre servit à décorer les temples et les lieux publics. Pour lui-même, il ne garda rien et resta pauvre, de sorte que la république fut obligée de doter ses filles. Jamais il ne se douta qu’il avait commis un crime en détruisant la plus belle ville de la Grèce, après un combat sans péril et par conséquent sans gloire. Il crut toujours avoir accompli un exploit mémorable, et, dans son inscription consulaire, qu’on a retrouvée, on lit ces mots, où il mettait l’honneur de son consulat : deleta Corintho. Ce barbare eut bien raison de consacrer, après son triomphe, un temple au dieu de la force, à Hercule vainqueur.

Quant aux auteurs de la guerre d’Achaïe, l’un, Critolaos, avait disparu à Scarphée ; l’autre, Diéos, s’était donné la mort, qu’il n’avait pu trouver sur le champ de bataille. De Leucopétra il s’était enfui à Mégalopolis, avait égorgé sa femme et ses enfants, mis le feu à sa maison et s’était lui-même empoisonné. En suscitant une lutte insensée, ces hommes avaient appelé bien des maux sur leur patrie, mais ils tombèrent avec elle et pour elle. Le dévouement absout de l’imprudence, et nous aimons mieux que la Grèce ait ainsi fini, sur un champ de bataille, que dans le sommeil léthargique on tant d’autres victimes de Rome se sont éteintes. Pour les nations comme pour les individus, il faut savoir bien mourir. Les Achéens, restés seuls debout au milieu des peuples grecs abattus, devaient ce dernier sacrifice à la vieille gloire de l’Hellade.

Politiquement la Grèce est morte. A l’Agora, plus de luttes orageuses et de sentences d’exil contre la faction vaincue ; au Pirée, plus de galères chargées de soldats; au Parthénon, plus de chants de triomphe ; au Céramique, plus d’éloges funèbres : Rome commande la paix. Et pourtant quelques restes du génie grec vivent encore. Si l’élan donné par les grands hommes des siècles précédents s’est ralenti jusqu’à paraître s’arrêter, partout des rhéteurs dissertent, des grammairiens subtilisent, des philosophes disputent et, dans Athènes, les plus distingués des Romains viennent achever ou refaire leur éducation : un d’eux, un ami de Cicéron, y prend le nom d’Atticus. Pergame fonde une nouvelle école de sculpture; Rhodes croit enseigner les secrets de l’éloquence ; Alexandrie est une fabrique de poésie, et les villes de la côte asiatique s’emplissent de praticiens qui, à beaux deniers comptants, copient les chefs-d’œuvre consacrés, pour décorer les villas des proconsuls. Par la science, l’art et la philosophie des anciens maîtres, la Grèce va conquérir l’Occident qu’aux jours de sa puissance, son génie n’avait point entamé, et elle y règne toujours.

Græcia capta ferum victorem cepit.

Mais cette seconde vie de la Grèce, cette action exercée par elle sur Rome appartiennent à l’histoire de la nouvelle capitale du monde ; je l’ai déjà racontée et j’y renvoie[55].

 

 

 



[1] Le commissaire Fabius Labéo avait eu soin, en marquant, après Cynocéphales, la limite de la Macédoine du côté de la Thrace, de suivre l’ancienne voie royale, qui jamais ne se rapprochait de la mer (Tite Live, XXXIX, 27). Cet écrivain, qui copie souvent Polybe, sans le dire, peut dans une certaine mesure tenir lieu de bien des pages de l’historien grec que nous avons perdues.

[2] Polybe, XXIV, 4. II y en eut de tant de peuples, qu’il fallut trois jours pour les entendre.

[3] Tanquam reus (XXXIX, 25).

[4] Nondum omnium dierum solem occidisse (Tite Live, XXXIX, 26).

[5] Polybe, XXIV, 6. Naturellement, Tite Live est très prolixe sur les débauches et la cruauté de Philippe.

[6] Tite Live, XL, 4.

[7] Tite Live, XL, 22.

[8] Polybe, XXIV, fr. 1 et 5. On fit entendre à Démétrius que les Romains le mettraient bientôt sur le trône de Macédoine.

[9] Tite Live, XLI, 2: nihil paternæ lasciviæ, etc. Il copie ici Polybe (XVI, fr. 5), comme dans presque tout ce qu’il dit de la Grèce et de l’Orient, mais en recouvrant de son style éclatant la phrase souvent terne de l’écrivain grec.

[10] Legationes civitatum venerant ad pecunias.... et frumentum pollicendum, ad bellum (XLII, 55). A son avènement, il remit à ses sujets tout ce qu’ils devaient au fisc, restitua aux bannis leurs biens confisqués, et jusqu’aux revenus touchés en leur absence (Polybe, XXVI, fr. 5).

[11] Ipsius Persei.... celebrari nomen (XLII, 48).

[12] Tite Live, XLI, 15.

[13] Tite Live, XLII, 12 ; Plutarque, Æmil., 8.

[14] Les progrès de Philippe et de Persée en Thrace l’avaient rattaché à la cause de Rome. Cependant il offrit à Persée de lui vendre sa neutralité 500 talents, ou ses secours 1500. Après une belle et sainte lutte d’avarice, dit Polybe, ils se séparèrent à avantage égal, comme deux vaillants athlètes (XXIX, 2, 5 et 9). Mais j’ai peine à croire à cette affirmation de Polybe qui répète un bruit, plus qu’il ne raconte un fait.

[15] Tite Live, XLII, 25. Cependant elles n’eurent pas le courage de se déclarer; en 170, les députés d’un grand nombre d’entre elles vinrent à Rome. Pour les Rhodiens, le Sénat leur avait déclaré qu’il ne leur avait pas donné les Lyciens comme sujets, mais comme amis et alliés (Polybe, XXVI, 5).

[16] Tite Live, XLI, 22.

[17] Abdère, Œnos, Maronée, et, au delà du détroit, Lampsaque, appartenaient à Persée; la domination macédonienne reprenait donc pied en Thrace et dans l’Asie Mineure (Tite Live, XLIII, 6).

[18] Tite Live, XLII, 15-17. Persée fit déclarer au Sénat que la dénonciation de Rammius était calomnieuse.

[19] In liberis gentibus plebs ubique onmis... erat ad regem Macedonesque inclinata. Mais le parti aristocratique, partout soutenu par Rome, était aussi partout le plus fort.

[20] Polybe, XXIX, 7. Ce petit roi, dont on a étrangement grossi les forces, ne livra pas même un combat pour sauver sa province, qu’Anicius conquit en quelques jours. Quant à Cotys, il donna mille cavaliers et mille fantassins.

[21] Plutarque, in Æmil. Tite Live, XLIV, 26.

[22] Voyez dans Tite Live, XLI, 25, le massacre de quatre-vingts des principaux citoyens : idem furor et Cretenses lacerabat.

[23] Voyez dans Tite Live, XLII, 47, combien Marcius se félicite d’avoir trompé Persée par l’appât de cette trêve, d’avoir dissous la ligue béotienne, etc. Les vieux sénateurs blâmèrent cette politique punique.

[24] Tite Live, XLII, 63.

[25] Tite Live, XLII, 56-63.

[26] On a dit l’Épire entière, mais les Molosses arrêtèrent Persée sur les bords de l’Aoüs, eu 170, et Claudius leva six mille auxiliaires thesprotes et athamanes (Tite Live, XLIII, 3, 21). Marcius acheta aux Épirotes, en 169, les vivres nécessaires à l’armée de Macédoine.

[27] Tite Live, XLIII, 3.

[28] Rhodes, Samos, Chalcédoine, et du fond de la mer Noire, Héraclée du Pont avaient envoyé des vaisseaux (Tite Live, XLII, 55).

[29] D’après Polybe, qui avait suivi l’armée comme député des Achéens et à qui Tite Live (XLIV, 6) a emprunté son exacte description des lieux.

[30] M. Heuzey, qui a refait la route suivie par Marcius et qui croit avoir retrouvé l’emplacement de son camp au plateau de Livadhi, confirme les paroles de Tite Live. De cette hauteur, dit-il, on voit à ses pieds tout le rivage de la mer, dans le lointain on découvre le vaste tour du golfe Salonique au fond duquel la ville se dessine avec ses murailles, puis les longues pointes de la Chalcidique et, par un beau temps, le mont Athos (Le Mont Olympe, p. 71).

[31] Inenarrabilis labor.

[32] M. Heuzey pense que la descente s’effectua dans la direction des villages actuels de Skotina et de Pandéléimone. Ce dernier est comme suspendu, au milieu des châtaigniers, au-dessus de la forteresse turque de Platamona, l’ancien Héracléion de Piérie.

[33] Heuzey, le Mont Olympe, p. 75 et suiv.

[34] Tite Live prétend que, dans sa frayeur, il envoya deux de ses amis à Pella et à Thessalonique pour brûler ses vaisseaux et jeter ses trésors dans la mer. Sa situation n’était pas désespérée à ce point, et, comme Tite Live ajoute que, honteux de sa peur, il fit disparaître ceux auxquels il avait donné cet ordre, on peut ranger cette histoire à côté de toutes celles que les Romains firent courir sur sa lâcheté, son avarice et sa cruauté.

[35] Trente-sept mille pour l’armée romaine et quarante-trois mille Macédoniens ou auxiliaires de Persée. Polybe et Plutarque (in Æmil., 12) disent cent mille. Mais il y avait des garnisons.

[36] Tite Live, XLV, 2.

[37] Cette éclipse n’a pas été, comme on le répète toujours, prédite la veille ; elle a été expliquée le lendemain (Cicéron, de Rep., I, 15). Le grand astronome Hipparque, contemporain de Paul Émile, aurait pu faire cette prédiction, mais non pas Gallus.

[38] D’après M. Heuzey, Nasica, descendant la vallée du Mavronéri, rejoignit, la veille de la bataille, le consul qui arrivait par la route de Sphigi. Paul Émile établit son camp sur la partie haute de la plaine, entre le Mavronéri et le Pélikas. Ce fut sur cette rivière que l’action commença, et les fuyards de la première ligne se retirèrent sur le mont Olocros ; mais la bataille remonta au nord et se termina vers Aïani (Op. cit., p. 152 et suiv).

[39] Ces faits, rapportés par Tite Live (XLIV, 45), démentent le lâche désespoir de Persée après Pydna.

[40] Persée était si peu gêné dans le camp romain qu’il put une fois s’en éloigner librement de plus d’une journée de chemin sans qu’on s’en aperçut (Tite Live, XLV, 28).

[41] Plusieurs villes, qui avaient favorisé les Romains, furent exemptées du tribut (Tite Live, XLV, 26).

[42] Tite Live, XLV, 18.

[43] Presque toutes dans le pays des Molosses (Polybe, XXX, 9). Tite Live, en faisant combattre les Molosses contre Persée, les aura pris pour une autre peuplade épirote.

[44] Polybe, XXXI, 16.

[45] Tite Live fait aussi dire par Lycortas à Appius : Je sais que nous sommes ici comme des esclaves qui se justifient devant leurs maîtres (XXXIX, 37).

[46] Livre XXV. 8. Cependant Polybe et son père Lycortas étaient les chefs du parti opposé aux Romains. Durant la guerre contre Persée, ils faillirent être accusés par les commissaires, et, après Pydna, Polybe fut déporté en Italie. Mais, voyant la Grèce si faible, si divisée, couverte depuis deux siècles de sang et de ruines, et privée de véritable liberté, Polybe se résignait à la voir calme et prospère sons cette domination romaine qui laissait aux villes tant de liberté intérieure. Il faut, quoi qu’on ait dit, revenir au bon sens et à l’impartialité de l’ami de Philopœmen.

[47] Polybe, XXVIII, 10 sqq.

[48] Polybe voulait demander au Sénat qu’on les rétablit dans les charges et les honneurs qu’ils avaient avant leur exil. Caton, qu’il sonda à ce sujet, lui répondit : Il me semble, Polybe, que tu ne fais pas comme Ulysse ; étant une fois échappé de la caverne du géant. cyclope, tu veux y retourner pour aller quérir ton chapeau et ta ceinture que tu y as oubliés (Plutarque, Caton, 9).

[49] Cf. Strabon, VIII, 381 ; Tite Live, Epit., 52.

[50] Pausanias, VII, 16. Athènes et quelques autres villes ne furent pas soumises au tribut.

[51] On n’est pas sûr qu’il y ait eu avant Actium des proconsuls en Achaïe, mais le gouverneur romain de la Macédoine avait la haute main sur la Grèce.

[52] Polybe, XL, 5, 12.

[53] L’airain de Corinthe était fameux, mais nous n’en possédons pas. Nous avons, au contraire, un grand nombre de ses vases peints qui étaient célèbres dans tout le monde grec. Il se peut que Mummius en ait enlevé quelques-uns, car ils étaient très recherchés en Italie.

[54] Ce prince offrit 600.000 sesterces d’un seul tableau d’Aristide de Thèbes, son Bacchus (Strabon, VIII, 381 ; Pline, Hist. nat., XXXV, 8).

[55] Voyez Hist. des Rom., chap. XXXV, l’Hellénisme à Rome.