I. Reprise des hostilités en Grèce ; révolution oligarchique à AthènesLa guerre durait encore en Sicile, que les Spartiates,
suivant le conseil perfide d’Alcibiade, avaient envahi l’Attique et fortifié
Décélie, à Jusqu’alors les Athéniens avaient supporté des incursions de courte durée, qui ne les empêchaient pas, le reste du temps, de tirer parti de leur territoire; mais, à présent que l’ennemi occupait ce fort, ils n’avaient plus de moisson à faire sur leurs champs. Vingt mille de leurs esclaves avaient pris la fuite, et c’étaient presque tous des gens de métier ; leurs bestiaux, leurs bêtes de somme étaient perdus. Comme la cavalerie était journellement sur pied, pour repousser les maraudeurs et surveiller les mouvements de l’ennemi, tous les chevaux furent bientôt ou blessés ou boiteux. L’importation des denrées qu’on tirait de l’Eubée se faisait autrefois d’Orope par terre, en traversant Décélie ; il fallait maintenant les faire venir à grands frais par mer, en tournant Sunion. La ville elle-même était moins une cité qu’une forteresse. Les citoyens se succédaient pendant le jour pour monter la garde sur les remparts; et la nuit, hiver comme été, tous, excepté les chevaliers, se fatiguaient sur les murailles et dans les postes; enfin, au moment où ils avaient plus que jamais besoin de l’affection de leurs alliés, ils furent obligés d’augmenter les charges qu’ils faisaient peser sur eus. Au lieu du tribut ordinaire, ils imposèrent un vingtième sur les marchandises importées ou exportées par un port des villes alliées, se flattant d’en tirer davantage. (Thucydide). Voilà donc ce qu’avait produit cette aventureuse et folle expédition Athènes avait perdu de nombreux défenseurs, épuisé ses ressources, mécontenté ses alliés et attiré sur son territoire dégarni la guerre qu’elle portait naguère au coeur du Péloponnèse ; à tous ces maux il faut ajouter l’inimitié d’Alcibiade. Cependant, sa constance n’en fut pas ébranlée. Au commencement de la guerre, dit Thucydide, les uns pensaient que si les Péloponnésiens entraient dans l’Attique, les Athéniens pourraient bien tenir un an, d’autres disaient deux, quelques-uns trois, personne ne supposait possible une plus longue résistance. Et dix-sept ans après la première invasion, déjà épuisés par cette guerre, ils en avaient commencé une autre en Sicile, aussi périlleuse que celle qu’ils avaient soutenue contre le Péloponnèse ! Le désastre de Sicile était un grand coup : d’abord on n’y voulut point croire; puis, quand on ne put en douter, on s’emporta contre ceux qui avaient conseillé l’expédition. Mais, le premier moment de douleur et d’abattement passé, Athènes redevint digne d’elle-même ; elle laissa les récriminations inutiles, pour ne songer qu’à faire tête aux ennemis anciens et aux ennemis nouveaux que le malheur allait susciter. Des bois de construction furent amassés, des vaisseaux mis sur le chantier, le cap Sunion fortifié pour protéger le passage des denrées étrangères. On rappela les bannis, on réduisit les dépenses pour les fêtes, les sacrifices et les jeux ; et ce qui était encore plus nécessaire, on essaya de supprimer le péril que faisaient courir à l’État les résolutions précipitées de l’assemblée publique. On créa un comité de dix membres, qui furent appelés les πρόβουλοι, ceux qui délibèrent avant les autres, parce qu’ils eurent le droit de ne laisser soumettre au peuple une proposition qu’après qu’ils en auraient autorisé la présentation. En cessant d’être toujours sur la place publique, le gouvernement rentra dans l’ombre discrète qui lui est nécessaire pour prévoir et agir à temps. Le conseil des Dix n’était pas la dictature romaine; mais il était le frein dont une assemblée populaire a besoin pour être défendue contre ses propres témérités. Le moment suprême, celui des grands périls semblait
arrivé. L’Eubée, le grenier d’Athènes avertissait Agis, toujours posté à
Décélie, qu’elle était prête à se soulever, si on lui envoyait quelque
secours ; Lesbos, Chios, Érythrée, sur la côte d’Asie, faisaient la même
demande et la même promesse ; Tissapherne, satrape des provinces
maritimes, et Pharnabaze, gouverneur des provinces de l’Hellespont, s’engageaient
à fournir des subsides pour l’entretien d’une flotte que Sparte réunirait.
Depuis les victoires de Cimon, la cour de Suse n’avait pas levé d’impôt sur
les Asiatiques tributaires d’Athènes. Mais Darius II, à la nouvelle du
désastre des Athéniens en Sicile, crut n’avoir plus de ménagements à garder.
Il refusa de diminuer, du tribut que Tissapherne devait fournir pour l’Ionie
et Alcibiade n’était que traître à sa patrie ; le
général spartiate qui l’accompagnait fut traître à Ainsi la lutte, qui naguère était aux limites occidentales du monde grec, allait avoir l’Orient pour théâtre. Toutes les forces ennemies se portèrent de ce côté. Athènes, qu’on croyait à bout de ressources comme de courage, y envoya successivement jusqu’à cent quatre galères, qui trouvèrent un point d’appui et une excellente station navale à Samos. Le peuple de cette île, averti par la -trahison des nobles de Chios, chassa les siens, pour n’être pas contraint de rompre avec la cité grâce à laquelle le commerce de tous prospérait, et de s’unir à ceux qui venaient de livrer au grand roi la liberté des Grecs asiatiques. La flotte athénienne défendit Samos, recouvra Lesbos, Clazomènes, et vainquit, près de Milet, les Péloponnésiens (septembre 412), mais sans pouvoir empêcher la défection de Cnide et de Rhodes. Des galères de Sélinonte, de Syracuse, de Thurion étaient venues se joindre aux vaisseaux lacédémoniens ; et Tissapherne promettait l’arrivée prochaine d’une grande flotte phénicienne. Athènes était seule contre tous, mais elle ne pouvait soutenir longtemps un tel effort. Un événement inattendu lui donna quelque relâche, la rupture d’Alcibiade avec Lacédémone. Cet homme singulier avait étonné les Spartiates par la souplesse avec laquelle il avait adopté leurs mœurs et leurs usages ; le pain bis et le brouet noir semblaient avoir été toujours son unique nourriture, et les exercices des Spartiates, l’éducation de son enfance. Cependant le débauché n’avait pu s’empêcher de reparaître : il avait outrageusement insulté le roi Agis, qui chercha à le faire assassiner, et le gouvernement, inquiet de l’ascendant que prenait Alcibiade sur les Grecs d’Asie, donna l’ordre de le tuer. C’était de la justice à la façon du grand roi ; Athènes au moins ne frappait qu’après un jugement régulier. Alcibiade, averti des intentions de ceux qu’il avait si bien servis, quitta l’armée et se réfugia près de Tissapherne. Il l’étonna par sa mollesse et le charma par son esprit. Mais ce n’était pas assez pour lui de se faire le compagnon de débauches du satrape : chassé de Sparte, il lui fallait regagner Athènes par ses services Il représenta à Tissapherne le danger de livrer à un seul peuple la terre et la mer ; mieux valait, dans l’intérêt du grand roi, tenir la balance égale entre Sparte et Athènes, et les laisser se ruiner toutes deux. Puisque Sparte avait maintenant l’avantage, il fallait d’abord réduire les subsides que le satrape donnait, et lui refuser le secours qui devait venir de Phénicie. Tissapherne entra dans ces vues, où sa politique et son avarice trouvaient à la fois leur compte. Quelque argent adroitement répandu parmi les chefs de la flotte péloponnésienne leur fit perdre dans l’inaction un temps précieux. Le seul Hermocrate, de Syracuse, garda ses mains pures de l’or du grand roi. Alcibiade se prévalut de ce changement auprès de l’armée athénienne qui campait à Samos. Ses secrets émissaires disaient aux triérarques et à tous les riches, ennemis des institutions populaires, que seul il pouvait changer la fortune depuis quatre ans contraire. Ils le montraient tenant suspendus sur la tête d’Athènes l’alliance et les trésors, ou la colère et les armes du grand roi, la victoire ou la ruine. Il avait arrêté les subsides envoyés aux Spartiates, il pouvait les leur rendre ; il avait enchaîné dans leurs ports les cent cinquante vaisseaux phéniciens ; il pouvait faire souffler le vent qui les réunirait à la flotte du Péloponnèse. Mais il n’y avait pas de sûreté pour lui dans Athènes, tant que durerait le gouvernement qui l’avait chassé. Ces paroles trouvaient aisément créance auprès des principaux officiers de l’armée. Depuis la mort de Cimon, l’opposition de la noblesse s’était modestement bornée aux sarcasmes des comiques, et aux machinations qui avaient amené l’exil d’Alcibiade. Le malheur public releva ses espérances et fortifia sa résolution d’en finir. Plus, en effet, la guerre durait et devenait désastreuse, plus les charges de la triérarchie augmentaient. Quand la victoire suivait le drapeau d’Athènes, le butin au moins dédommageait; maintenant les dangers étaient certains, le butin nul, les dépenses sans cesse renouvelées. Le pauvre qui n’avait que sa vie, souvent misérable, la jetait au péril, avec une patriotique insouciance ; le riche avait une mauvaise chance de plus, la ruine. Dans les Chevaliers, Aristophane fait dire par Cléon à un rival que le démagogue voulait ruiner : Je te ferai nommer triérarque ; je mettrai ton nom sur la liste des riches et je m’arrangerai pour qu’on t’assigne un vieux navire, avec des voiles usées, qu’il te faudra réparer sans cesse et à grands frais. On ne comprendrait pas, sans ces explications, les scènes qui vont suivre, ni la tyrannie des Trente. De la part des riches, ce n’était pas haine aveugle pour la liberté, mais haine violente pour des institutions dont l’effet, dans les temps de malheur, était de rendre insupportable la condition de ceux qui pensaient que les sacrifices à l’honneur et à la puissance de fa patrie devaient avoir une limite. Afin de donner plus de force à leur opposition, les nobles s’étaient depuis longtemps organisés en sociétés secrètes ; tous les membres de ces hétéries, agissant de concert, à un moment donné, pouvaient emporter une élection au Pnyx, ou faire échouer devant les héliastes l’accusation dont un d’eux était menacé. C’étaient des hétéristes, ces amis de Cimon qui, à Tanagra, s’étaient fait tuer pour éloigner de lui un soupçon. Mais le temps des beaux dévouements était passé : les hétéries actuelles ne travaillaient plus qu’à renverser le gouvernement, et plusieurs des chefs de l’armée de Samos en faisaient partie. L’homme qui avait tant à se plaindre du peuple leur parut un instrument utile. Le seul Phrynichos comprit qu’Alcibiade ne se souciait pas plus de l’oligarchie que de la démocratie : il insista sur la honte de mettre aux pieds d’un banni les lois de la patrie, sur le danger de rétablir, dans les villes alliées, un gouvernement oligarchique, dont le premier soin serait de traiter avec Lacédémone. liais on ne l’écouta pas, et des députés partirent pour Athènes ; à leur tête était Pisandros. Accueilli d’abord par des cris et des réclamations, il se contenta de demander successivement, à chacun des opposants, sur quelles ressources ils comptaient pour se sauver, et, comme ils étaient forcés d’avouer qu’ils n’en avaient aucune : Eh bien ! reprit-il hautement, nous n’en trouverons qu’en mettant dans notre politique plus de modestie, en donnant l’autorité à un petit nombre de citoyens, pour inspirer au roi de la confiance ; en nous occupant moins, dans les circonstances actuelles, de la forme de notre gouvernement et davantage de notre salut. Il nous sera facile de changer dans la suite nos institutions, si quelque chose nous déplaît ; mais commençons par rappeler Alcibiade, qui seul maintenant peut rétablir nos affaires. Pisandros n’obtint pas sur l’heure ce qu’il demandait. On hésitait à toucher à cette démocratie glorifiée par Aristide et Périclès, et à laquelle se rattachaient toutes les grandes choses accomplies depuis un siècle. La persuasion restant saris effet, les nobles usèrent de la terreur. Les sociétés secrètes dirigées par Antiphon, s’étendirent, et peu à peu une immense conspiration enveloppa la cité. Androclès, le principal orateur du peuple, tomba sous le poignard. D’autres chefs populaires furent assassinés, sans qu’on recherchât les coupables ; et l’assemblée générale, le Conseil des Cinq-Cents, délibéraient sous la crainte inspirée par l’audace des meurtriers. Nul, dit Thucydide, qui fait le plus sombre tableau de cette tyrannie des conspirateurs oligarchiques, nul n’osait élever la voix ; car le moindre signe d’opposition amenait une mort certaine. Les dix πρόβουλοι, créés naguère en vue de diminuer les droits de l’assemblée générale, étaient naturellement favorables aux projets conçus dans cet esprit. Pour prévenir un mouvement contraire, Pisandros avait ramené de Ténos, d’Andros, de Carystos, d’Égine et d’autres cités où il avait rendu l’influence aux riches, 300 hoplites qui servaient de garde à la faction. Quand toute résistance eut été paralysée, il demanda, dans une prétendue assemblée du peuple, tenue hors de la ville afin d’écarter les opposants, que les Dis auxquels on adjoignit vingt autres citoyens fussent chargés de réviser les lois, avec un pouvoir absolu. Le premier décret de cette commission souveraine fut de supprimer le règlement qui interdisait de proposer une résolution contraire aux lois établies et par conséquent d’autoriser chacun à présenter ses vues pour ce qu’il appellerait le bien de la république : c’était un coup d’État (mars 411)[2]. La nouvelle constitution ne sembla pas, à première vue, très différente de l’ancienne. Les Cinq-Cents cédèrent la place à un conseil de quatre cents membres dont le quart fut élu par un comité de cinq citoyens nommés à cet effet, le reste par les premiers élus qui choisirent chacun trois nouveaux conseillers[3]. À l’assemblée générale, on substitua une assemblée de 5000 citoyens, désignés d’après leur fortune et leur condition. Or nous savons que, sous la démocratie, les assemblées populaires s’élevaient rarement à ce nombre. Mais alors tous avaient le droit d’y prendre part ; désormais il n’y eut plus que 5000 élus, dont on ne se hâta pas de publier les noms ; en outre, leur convocation dépendait du bon vouloir du conseil des Quatre-Cents, qui était investi d’une autorité illimitée, et qui, par la manière dont il était formé, donnait toute sécurité aux nobles; enfin, pour éloigner les pauvres des fonctions publiques, il fut décidé que le service militaire serait seul rétribué ; l’indemnité aux juges et aux membres de l’assemblée générale était donc supprimée[4]. II. Opposition entre la ville et l’armée ; rétablissement du gouvernement démocratiqueLe jour où la nouvelle constitution fut mise en pratique, la violence faite au peuple apparut à tous les yeux. Des postes armés furent répandus dans la ville ; une garde de 120 jeunes gens entoura le nouveau conseil, quand il se réunit pour prendre possession du lieu où il devait délibérer ; chacun des membres s’était lui-même armé d’une épée. Ce fut dans ce belliqueux et menaçant appareil qu’ils vinrent chasser les Cinq-Cents encore assemblés. Ils ne trouvèrent point d’opposition; pourtant la tyrannie éclata aussitôt : plusieurs citoyens furent exécutés ; d’autres jetés en prison ou bannis. Le nouveau pouvoir oublia les propositions récemment faites par Alcibiade et se crut assez fort pour se passer de lui : il le laissa dans l’exil ; c’était une première imprudence. Il en fit une autre en mettant Athènes aux pieds de Lacédémone. Rien n’était plus propre à indisposer le parti national, les vrais amis de la patrie, et surtout l’armée de Samos. Il n’y a plus de raison, faisaient-ils dire à Agis, de prolonger la guerre, puisque Athènes est maintenant dirigée par un gouvernement sympathique à celui de Lacédémone ; et ils envoyaient à Sparte Antiphon et Phrynichos pour négocier la paix à tout prix, dût Athènes livrer ses villes tributaires, sa flotte même et ses propres murailles[5]. Pour se prémunir contre une réaction démocratique qui commençait à se manifester, ils faisaient construire, à l’entrée du Pirée, un fort qu’ils se proposaient, ils ne le cachaient point, de livrer aux Lacédémoniens dès le premier danger. Agis répondit perfidement à ces ouvertures. Croyant la ville pleine de troubles et de confusion, il appela. des recrues du Péloponnèse, et, de Décélie, il fondit sur Athènes, espérant qu’on lui en ouvrirait les portes, ou qu’il pourrait enlever les Longs-Murs. L’admirable cité ne se manqua pas à elle-même. Le peuple, malgré son indigne gouvernement, courut à l’ennemi, et Agis battu retourna honteusement à Décélie. Suivant les plans de Pisandros, une révolution oligarchique, favorisée par quelques-uns des généraux de l’armée, devait éclater à Samos en même temps que celle d’Athènes, où débuta, comme dans la ville, par des assassinats : Hyperbolos et quelques autres furent poignardés. Mais l’armée, qui formait la meilleure partie du peuple, se prononça pour le maintien de sa vieille et glorieuse constitution. Elle empêcha l’émeute oligarchique tentée à Samos de réussir et, pour donner au gouvernement qu’elle croyait encore debout le courage de se défendre, elle chargea des députés de lui porter ses vœux. Ils arrivèrent trop tard : les Quatre-Cents les firent arrêter ; un d’eux cependant s’échappa et vint raconter à l’armée le sort de ses compagnons et la situation d’Athènes, qu’il peignit sous les plus noires couleurs. Toute l’armée s’émut à ces nouvelles. Thrasybule et Thrasylle, deux des chefs, firent prêter aux soldats le patriotique serment de maintenir le gouvernement démocratique, de poursuivre la guerre contre les Péloponnésiens et de renverser les tyrans. Les Sauriens prirent le même engagement ; Argos offrit son assistance. Ce fut alors, dit Thucydide, une grande division entre la ville et l’armée : celle-ci voulant contraindre la ville à conserver l’état populaire, et celle-là voulant obliger le camp à accepter l’oligarchie. Les soldats formèrent une assemblée, dans laquelle ils déposèrent les généraux, avec ceux des triérarques qui leur étaient suspects. Ils s’encourageaient entre eux, en disant qu’il ne fallait pas s’effrayer si la ville rompait avec eux ; que c’était le plus petit nombre qui se détachait du plus grand et de celui qui avait, à tous égards, les plus puissantes ressources. Maîtres de la flotte, ils pouvaient forcer les villes de leur domination à fournir de l’argent, tout aussi bien que s’ils sortaient d’Athènes pour en exiger. Ils avaient Samos, ville puissante… ; et il leur était bien plus aisé d’ôter à ceux de la ville l’usage de la mer, qu’à ceux-ci de les en priver. Que recevaient-ils d’Athènes ? Pas même de bons conseils ; car, pour de l’argent, loin d’en avoir obtenu d’elle, tétaient eux qui lui en avaient envoyé. A la ville, on avait même poussé le crime jusqu’à violer les lois de la patrie qu’ils allaient eux, rétablir. Il fallait rappeler Alcibiade, qui leur procurerait l’alliance du grand roi ; enfin, quel que fût l’événement, ils avaient toujours une flotte assez puissante, et ils étaient en assez grand nombre, pour aller quelque part conquérir un territoire. Voilà donc l’armée en révolte contre l’État, ou plutôt,
comme disait Thrasybule, l’État en révolte contre l’armée ; car Athènes
n’était plus dans Athènes, mais sur la flotte, où une guerre si longue avait
appelé ses plus braves citoyens. La cité dépendait désormais de l’armée ;
l’armée appartenait an plus habile, et le plus habile était Alcibiade. Les
grands avaient compté sur lui pour obtenir l’alliance de L’armée, fort animée, voulait rentrer tout droit an Pirée et renverser l’oligarchie. C’était le parti le plus sage : Alcibiade tempéra cette fougue et prétendit qu’en quittant Samos on livrait à l’ennemi l’Ionie et l’Hellespont. Ce retard faillit perdre Athènes, menacée à la fois par la trahison des Quatre-Cents et par les attaques des Péloponnésiens. Mais Alcibiade avait intérêt à ne revenir qu’après quelque grand service qui commandât la reconnaissance. Cependant, au sein même des Quatre-Cents, Théramène et Aristarque parlaient vivement contre le nouvel état de choses. Ce n’est pas qu’ils fassent amis de la démocratie, mais on ne leur faisait pas, dans le pouvoir, la part qu’ils ambitionnaient, et ils préféraient les chances d’une nouvelle révolution. D’abord ils demandèrent que l’on constituât l’assemblée des Cinq-Mille qui n’avait été jusque-là qu’un mot. Puis ils alarmèrent le peuple sur cette forteresse qui s’élevait au Pirée. Ceux mêmes qui la bâtissaient la renversèrent. Elle était à peine détruite, que quarante vaisseaux lacédémoniens paraissent en vue du port : on s’écrie que ce sont les ennemis qui viennent prendre possession du fort qu’on leur avait préparé. On court en foule au Pirée, on garnit les murailles, on équipe les vaisseaux, on y monte et on poursuit les Péloponnésiens qui, voyant le coup manqué, prennent route du côté d’Érétrie. Une flotte athénienne de trente-six vaisseaux alla se placer devant cette ville pour la protéger ; mais elle fut surprise par les Lacédémoniens qui s’emparèrent de vingt-deux bâtiments, entrèrent dans Érétrie, firent révolter l’Eubée entière, et pour assurer en tout temps un facile passage aux troupes alliées, jetèrent sur l’Euripe un pont dont les approches furent défendues par deux tours (juin 411). Thucydide atteste que la nouvelle même du désastre de Sicile ne produisit pas à Athènes un aussi profond abattement que celle du soulèvement de l’Eubée. L’attique perdait à la fois son boulevard et son grenier : cernée par Décélie et par l’Eubée, elle était privée de vivres. Point d’espoir du côté de l’armée de Samos, et, à chaque instant, la crainte de voir arriver la flotte victorieuse des ennemis. C’était, l’avis des Syracusains, après ce succès, de voguer droit sur le Pirée : les Lacédémoniens temporisèrent et firent manquer l’occasion. Malgré la consternation où les jetait ce malheur, les Athéniens ne laissèrent pas d’équipes encore vingt navires. Mais ce désastre parut la condamnation de l’oligarchie. Une assemblée fut convoquée : elle déposa les Quatre-Cents et décréta que le gouvernement serait confié aux Cinq-Mille ; que tous ceux qui portaient les armes comme hoplites feraient partie du corps et que personne ne recevrait de salaire pour aucune fonction. Il y eut encore, ajoute Thucydide, d’autres assemblées, où l’on établit des nomothètes et où l’on fit divers règlements utiles. Ce temps est celui de nos jours où les Athéniens semblent s’être le mieux conduits en politique : ils surent tenir un juste tempérament entre la puissance des riches et celle du peuple. Ce juste équilibre ne fut pas établi, comme semblerait l’indiquer Thucydide, par une constitution nouvelle, mélange d’aristocratie et de démocratie, car les anciennes institutions furent remises en vigueur, et la limite du chiffre des votants s’effaça bien vite ; il se trouva dans la modération et le patriotisme de la démocratie renaissante. Le parti oligarchique avait régné quatre mois. Sa fin fut
digne des moyens qu’il avait pris pour usurper le pouvoir : la plupart des
Quatre-Cents se réfugièrent à Décélie, auprès îles Lacédémoniens. Un d’eux,
Aristarque, voulut signaler encore son exil par une trahison. Il s’enfuit à Œnée,
forteresse de l’Attique, que les Béotiens et les Corinthiens tenaient
assiégée. Il persuada au commandant que la paix était faite avec le
Péloponnèse et introduisit l’ennemi dans la place. Tombé quatre ou cinq ans
après aux mains des Athéniens, il fut mis à mort. Antiphon eut le même sort[6]. Cet homme qui
avait commandé on permis, comme chef de la faction, tant d’assassinats,
obtint au moins de ce peuple, qu’il était allé trahir a Lacédémone, un
jugement public[7].
Il put plaider sa cause, insulter à ses juges, et laisser un discours dont l’éloquence
a protégé sa mémoire contre le jugement sévère que lui devait la postérité.
Les accusateurs d’Antiphon étaient deux anciens membres du conseil des
Quatre-Cents ; en ce moment, on eut dit des amants passionnés de III. Victoire de Cyzique ; Alcibiade à AthènesPendant qu’Athènes perdait ainsi et recouvrait sa liberté, les opérations militaires continuaient. Les Péloponnésiens avaient compté sur la désorganisation de l’armée de Samos. Elle déjoua ce calcul par sa discipline et son patriotisme, mais ne put empêcher que les nouvelles venues d’Athènes ne décidassent la défection d’Abydos, de Lampsaque et de Byzance. Heureusement Tissapherne fit perdre quatre-vingts jours aux alliés ; et quand le Spartiate Mindaros, n’attendant plus rien du satrape, écouta les propositions de Pharnabaze, qui l’appelait vers l’Hellespont, cinquante-cinq galères athéniennes suivirent de ce côté les soixante-sept trirèmes ennemies, et remportèrent près de Sestos un avantage signalé. C’était le premier qui consolait Athènes depuis le désastre de Sicile (411)[8]. Une seconde action près d’Abydos dura tout le jour. Sur le soir, Alcibiade parut avec vingt-deux galères, et ce secours inattendu donna la victoire aux Athéniens, qui enlevèrent trente vaisseaux (oct. 411). Mais la flotte manquait d’argent : Alcibiade, pour en tirer de Tissapherne, se rendit auprès du satrape, qui, ayant besoin de faire en ce moment des avances aux Lacédémoniens dont la fortune baissait, fit arrêter son ancien ami et le retint trente jours prisonnier à Sardes. Alcibiade trouva moyen de s’échapper ; pour compromettre Tissapherne, il répandit le bruit que c’était par son ordre qu’il avait été relâché et se hâta de rejoindre la flotte. Elle ne comptait que quarante-cinq galères, plusieurs escadres en ayant été séparées pour courir les côtes et y lever des contributions, car l’argent était le nerf de cette guerre : sans lui, les galères restaient inutiles au port ; avec lui on trouvait partout des auxiliaires : rameurs pour les navires, hoplites pour le combat. Quand les vaisseaux détachés eurent rejoint l’armée principale, qui se trouva portée à quatre-vingt-six navires, Alcibiade combina un plan habile, pour surprendre, près de Cyzique, les soixante galères des Péloponnésiens. Toute cette flotte, poussée en désordre à la côte, y fut prise ou détruite ; les hoplites qui la montaient, défaits à terre, malgré l’assistance des troupes de Pharnabaze, et Mindaros tué (févr. 410). Hermocrate, qui le remplaça, écrivit aux éphores : Tout est perdu ! Mindaros est mort ; point de vivres ; que faire ?[9] Dans cette affaire, il n’y avait de spartiate que ce laconique message. Sparte, tombée de ses hautes espérances, offrit de traiter, à condition que chaque ville garderait ce qu’elle possédait. Mais Athènes, voyant revenir la fortune, crut la gagner tout à fait à force de constance. Elle avait trop perdu, l’Eubée, Chios, Rhodes, Milet et tant d’autres, pour déposer les armes. Quelques cités d’ailleurs rentraient d’elles-mêmes dans son alliance. Thasos désolée, depuis sa défection, par la guerre civile, chassa l’harmorte spartiate qui la gouvernait. Alcibiade usait habilement de la victoire de Cyzique. Cette ville avait été récemment prise et rançonnée ; Périnthe, Sélymbrie ouvrirent leurs portes ou donnèrent de l’argent. En face de Byzance, il fortifia Chrysopolis et y laissa trente galères pour lever le tribut d’un dixième sur la valeur des marchandises que tout navire apportait de l’Euxin[10]. L’année 409 fut moins heureuse : Sparte reprit Pylos, les Mégariens rentrèrent dans Nisée, et le général athénien Thrasyllos échoua dans une tentative sur Éphèse. Quelques incursions heureuses d’Alcibiade sur les terres de Pharnabaze n’étaient pas une compensation. Mais, quelques mois après, il reprit Byzance, et ses collègues forcèrent Chalcédoine à rentrer sous la domination d’Athènes : Pharnabaze avait vainement essayé de la sauver. Abandonné de Sparte et sérieusement menacé, le satrape traita : il promit des subsides et s’engagea à conduire une ambassade athénienne au grand roi[11]. Nous rencontrons si rarement un éloge à donner à Sparte, qu’il faut mentionner ici un acte de justice. C’était un homme de Byzance qui, malgré la garnison lacédémonienne, avait ouvert les portes à Alcibiade. Accusé de trahison, à Lacédémone, il répondit qu’il était Byzantin et non Spartiate ; que, voyant en danger non Lacédémone, mais Byzance, où les athéniens ne laissaient plus rien entrer et où la garnison péloponnésienne consommait le peu de vivres qui restaient. tandis que les habitants, leurs femmes et leurs enfants mouraient de faim, il avait moins livré la ville qu’il ne l’avait délivrée des horreurs de la guerre ; qu’en cela il n’avait fait que suivre les maximes des meilleurs citoyens de Lacédémone, qui plaçaient au premier rang des choses belles et justes de faire du bien à sa patrie. Les Lacédémoniens applaudirent à ces paroles et le renvoyèrent absous. Après les grands succès remportés dans Il fit voile vers Athènes. Ses vaisseaux, garnis d’une quantité de boucliers et de dépouilles, traînaient à leur suite beaucoup de galères ennemies, et portaient les étendards d’un plus grand nombre qui avaient été détruites : les unes et les autres ne montaient pas à moins de deux cents. À peine fut-il à terre, que le peuple courut en foule au-devant de lui, poussant des cris de joie. Ils le saluaient ; ils suivaient ses pas; ils lui offraient à l’envi des couronnes; ceux qui ne pouvaient l’approcher le regardaient de loin; les vieillards le montraient aux jeunes gens[12]. Le peuple s’étant assemblé, Alcibiade monta à la tribune, et, après avoir déploré ses malheurs, après s’être plaint légèrement et avec modestie des Athéniens, il rejeta tout sur sa mauvaise fortune, sur un démon jaloux de sa gloire. Il parla ensuite avec assez d’étendue des espérances des ennemis, et exhorta le peuple à reprendre courage. Les Athéniens lui décernèrent des couronnes d’or, le déclarèrent généralissime sur terre et sur mer, le. rétablirent dans tous ses biens, et ordonnèrent aux Eumolpides et aux hérauts de rétracter les malédictions qu’ils avaient prononcées contre lui, par ordre du peuple. Ils les révoquèrent tous, excepté l’hiérophante Théodoros, qui dit : Pour moi, je ne l’ai point maudit, s’il n’a fait aucun mal à la ville (Juin 408). Toutefois les prêtres ne pardonnèrent jamais, au fond du cœur, à celui qui avait tourné en dérision leurs rites sacrés : les Eumolpides s’étaient opposés à son rappel et lui gardèrent une haine implacable. Il était rentré dans Athènes le jour où la déesse protectrice de la cité semblait en sortir, lorsqu’on fermait son temple, qu’on dépouillait son image des voiles sacrés et que les ornements de sa statue portés à la mer étaient lavés dans l’onde pour être purifiés. C’était la coutume que la vie publique fût suspendue durant ces heures ou Minerve Poliade n’était plus au milieu de son peuple. De ce jour de deuil, Alcibiade avait fait un jour de réjouissance ; cette fête, disaient les dévots d’Athènes, avait courroucé la déesse, et l’on devait s’attendre à de prochains malheurs. Cependant Alcibiade ne s’attardait pas à recevoir les flatteries des courtisans de la fortune. Cent galères déjà prêtes l’attendaient, dans le Pirée, avec quinze cents hoplites et cent cinquante chevaux. Avant de partir, il fit une de ces expéditions brillantes qu’il aimait, et qui allait d’ailleurs le montrer comme un pieux et zélé défenseur des dieux. C’était une ancienne coutume, à la fête des grands mystères, de porter à Éleusis, par la voie Sacrée, la statue d’Iacchos. Mais, depuis huit ans que les Lacédémoniens couraient la campagne, on était réduit à se rendre par mer au temple : un petit nombre seulement faisaient le voyage, et quelques-uns des rites consacrés ne pouvaient être accomplis. Alcibiade voulut que la procession passât de nouveau par la voie Sacrée et avec l’éclat accoutumé. Lui-même l’escorta avec son armée ; les Lacédémoniens de Décélie, retenus par la crainte de ses armes ou par le respect religieux, n’osèrent pas l’attaquer. Alcibiade gagna tellement par cette conduite l’affection des pauvres et des gens de la dernière classe du peuple, qu’ils conçurent le plus violent désir de l’avoir pour roi, et que quelques-uns allèrent même jusqu’à lui dire qu’il devait abolir les décrets et les lois, écarter tous les hommes frivoles qui troublaient l’État par leur babil, et disposer de tout à son gré, sans s’embarrasser des calomniateurs. On ne sait pas quelle pensée il avait sur la tyrannie., mais les plus puissants d’entre les citoyens, craignant les suites de cette faveur populaire, pressèrent vivement son départ, en lui accordant tout ce qu’il voulut avec les collègues qu’il demanda. Je ne sais si ces rumeurs ont un fond historique ;
mais il est certain qu’Alcibiade semblait alors devoir tout terminer et
promptement. Toutefois les difficultés étaient grandes : des cités ouvertes
ou mal défendues avaient été facilement soumises dans les précédentes
campagnes, il n’en pouvait être de même de villes bien fortifiées et
puissantes, comme Rhodes, Cos, Chios et Milet. Une tentative sur Andros ne
réussit pas. Cet échec était sans conséquence; ce qu’Alcibiade apprit à son
arrivée sur les côtes d’Asie était autrement grave et paralysa tous ses
mouvements. Darius venait de donner à son jeune fils Cyrus le gouvernement
des provinces maritimes, jusque-là exercé par Tissapherne, avec les satrapies
de Lydie, de Phrygie et de Cappadoce (408). Tissapherne avait soutenu tour n tour les deux peuples
rivaux, afin de les ruiner l’un par l’autre, au profit de son maître; Cyrus
conçut d’autres plans, il songeait à disputer un jour la couronne à son
frère; et, au nombre des ressources qu’il voulait se préparer, il comptait
sur l’assistance du peuple le plus renommé de IV. Lysandre ; bataille des Arginuses (406) et d’Ægos-Potamos (405) ; soumission d’AthènesLes Péloponnésiens avaient alors pour chef un digne rival d’Alcibiade, brave, mais adroit, insinuant et flexible, sachant, au besoin se détourner du grand chemin pour arriver au but par les sentiers obscurs, doué enfin de qualités dont avaient habituellement manqué les généraux de Sparte et qui font quelquefois des politiques heureux, sans faire toujours des politiques estimables : c’était Lysandre. Par son père, il était Héraclide ; mais sa mère était étrangère, peut-être une hilote, de sorte qu’il n’était pas môme pleinement citoyen. Cette tache de sa naissance, qui l’écartait des premiers postes, l’obligea à plus d’efforts; pour parvenir il dut apprendre à coudre la peau du renard à celle du lion et il crut trop à l’adresse pour s’en tenir à la probité. On amuse les enfants avec des osselets, disait-il ; les hommes avec des serments ; et il ne désespérait pas de se faire reconnaître, un jour, comme né du vrai sang des Héraclides, digne, par conséquent, du titre de roi. Lysandre ne laissa pas refroidir le zèle de Cyrus ; il courut à Sardes, où le prince résidait, et lui arracha un subside qui élevait la solde de ses matelots à 4 oboles. Athènes n’en donnait que 3. Il comptait amener ainsi de nombreuses désertions qui, en effet, se produisirent, et il put armer en peu de temps quatre-vingt-dix galères. Cette force renaissante aurait du être écrasée d’un coup hardiment frappé. Alcibiade, qui aimait trop les courses aventureuses, où, sous prétexte de piller pour le compte d’Athènes, il pillait pour le sien, au lieu de rester à la tête de sa flotte, s’occupa à ramasser de l’argent, même aux dépens des alliés, comme à Cymé, dont il ravagea le territoire. Le lieutenant qu’il avait laissé à Notion, avec défense expresse de combattre, désobéit et fut tué; quinze galères furent perdues (407). En même temps, on apprit à Athènes la perte de Téos, celle de Delphinion, le seul fort que les Athéniens occupassent dans l’île de Chios. Plus on avait attendu d’Alcibiade, plus, à ces nouvelles, la colère éclata. Un de ses ennemis vint, de l’armée à Athènes, l’accuser de livrer le commandement à ses compagnons de débauche. On lui reprochait aussi son luxe, ses exactions; on l’accusait d’avoir fait bâtir en Thrace des forts pour s’y retirer, ce qui semblait une preuve de trahison. Malgré la confiance récemment montrée au vainqueur de Cyzique, le peuple n’avait que trop de motifs de soupçonner l’homme qui avait fait envoyer Gylippos à Syracuse et occuper Décélie par les Spartiates, qui avait soulevé Chios et Milet, et rallumé une guerre terrible. Mais, avec une légèreté bien imprudente, on crut aussitôt à une nouvelle trahison, et dix généraux, parmi lesquels était Conon, lurent nommés à sa place. Alcibiade n’avait même plus l’armée pour lui. Ne sachant à qui se fier, il rassembla quelques troupes étrangères et alla guerroyer en Thrace à son profit. Thrasybule, enveloppé dans sa disgrâce, fut privé de son commandement, mais le vertueux citoyen ne se crut pas autorisé à punir ses compatriotes de leur erreur ; il continua de servir sur la flotte, au rang qu’il leur plut de lui donner (407). Ce fait honore un citoyen; en voici un autre qui honore la
cité : à quelque temps de là, un proscrit d’Athènes et de Rhodes, un
mortel ennemi de la cause populaire, l’entremetteur le plus actif entre
Sparte et Cependant l’année du commandement de Lysandre expirait. On lui envoya un successeur, Callieratidas, vrai Spartiate, celui-là, sans artifice, sans ambition, incorruptible et ne sachant qu’aller droit devant lui, partout où sa patrie lui commandait d’aller, fût-ce à la mort. Avant qu’il arrivât, Lysandre, pour rester nécessaire, avait ruiné toutes les ressources de la flotte et organisé, dans les villes de l’Ionie, une faction qui rêvait le rétablissement des anciennes tyrannies. Il prévoyait bien que cette oligarchie aurait besoin d’un appui étranger, et il comptait que Sparte le chargerait de soutenir ce qu’il venait d’élever (406). Callieratidas trouva un armement de cent quarante voiles, mais il manquait d’argent. Il se rendit à Sardes dans l’espoir d’en obtenir de Cyrus. Lysandre avait prévenu le prince contre lui, et la patience du Spartiate fut mise à une rude épreuve ; tout un jour il attendit une audience, qu’on lui refusa. Il quitta Sardes en déplorant la triste dépendance où les Grecs s’étaient mis vis-à-vis de l’insolence persique, et en jurant d’employer tous ses efforts, à son retour dans sa patrie, pour ménager une paix entre Sparte et Athènes. Appelé par un parti à Méthymne, il surprit cette place, qu’il laissa piller par ses soldats, mais refusa d’en vendre les habitants. Tant que je commanderai, disait-il, pas un Grec ne sera réduit en esclavage. Conon, arrivé trop tard pour sauver Méthymne, fut enfermé dans Mytilène, par une défaite qui lui coûta trente galères. Il ne lui en restait que quarante, et l’ennemi en avait cent soixante-dix. Il put cependant faire passer un avis à Athènes. Par un effort suprême, et en épuisant ses dernières ressources, le peuple mit en trente jours cent dix vaisseaux à la mer. Tous les hommes qui n’étaient pas absolument indispensables à la garde des murs les montèrent, avec beaucoup de métèques et d’esclaves : aux premiers, on promit le droit de cité, aux seconds l’affranchissement et, après la victoire, des terres, qu’ils reçurent en effet comme clérouques. Quarante-cinq navires restés à Samos rejoignirent l’escadre athénienne. Les Péloponnésiens, remplis à présent de confiance, laissèrent cinquante galères pour continuer le blocus de Mytilène et, avec les cent vingt qui leur restaient, allèrent chercher l’ennemi. Les deux flottes, 275 galères, l’armement le plus considérable qu’on eût vu dans cette guerre, se rencontrèrent aux Arginuses, trois petites îles sur la côte d’Éolide (sept. 406). La supériorité était maintenant du côté des Athéniens. On conseillait à Callieratidas de battre en retraite ; des présages, disaient les devins, annonçaient sa mort ; il répondit : Si nous sommes vaincus, Sparte retrouvera aisément une flotte ; mais si je fuis, où retrouverai-je, moi, mon honneur ? Il fut défait et périt un des premiers. 70 galères furent prises ou coulées. Les Athéniens en avaient perdu 25, mais il y avait peu de morts, et beaucoup des hommes qui les montaient auraient pu se sauver sur les débris, si l’action ne s’était passée trop loin du rivage. Les généraux chargèrent deux de leurs lieutenants, Théramène et Thrasybule, de recueillir les naufragés et les morts pendant qu’eux-mêmes poursuivraient l’ennemi. Une tempête, descendue soudainement du mont Ida, bouleversa la mer et rendit le sauvetage impossible; beaucoup de malheureux périrent, dont les corps ne purent être recueillis pour recevoir les honneurs funèbres. Dans les idées des Grecs, laisser des morts sans sépulture était une impiété dont on évitait soigneusement de se rendre coupable, car les dieux seuls ne se chargeaient pas de la punir. Naguère Nicias avait renoncé à l’honneur d’ériger un trophée de victoire, en réclamant aux Corinthiens vaincus par lui deux morts qu’il n’avait pu retrouver, plutôt que de rentrer à Athènes sans les ossements de tous ceux qui avaient péri[14]. Plus tard, Chabrias laissera fuir une flotte lacédémonienne, qu’il aurait pu détruire, s’il n’avait été retenu par le soin de chercher ses morts. Sans doute, durant cette longue guerre maritime, beaucoup de soldats avaient eu l’Océan pour linceul. Du moins, le devoir de recueillir ceux que les flots rendaient avait été rempli ; aux Arginuses, il ne le fut pas. Les généraux avaient cru que compléter leur victoire et délivrer Conon bloqué dans Mytilène était mieux servir la patrie que s’attarder à accomplir eux-mêmes un office qu’ils pouvaient laisser à d’autres. Mais les familles sacerdotales jetèrent les hauts cris et l’oligarchie, qui aimait à couvrir d’un zèle religieux ses rancunes et ses espérances, exploita dans l’intérêt de sa politique un sentiment respectable de pieuse et aveugle dévotion. Un homme pouvait se croire plus que tout autre exposé à ces saintes colères, celui qui avait eu la charge expresse de sauver les équipages dont les galères avaient été brisées. Pour détourner l’orage de sa tête, Théramène se fit l’accusateur de ses anciens chefs : six d’entre eux, déposés de leur commandement, étaient revenus à Athènes; on les mit en jugement, et ils allaient gagner leur cause, quand un homme s’avança : J’étais, dit-il, à la bataille ; ma galère brisée, je me suis réfugié sur un mât de navire, et j’ai vu périr, l’un après l’autre, mes compagnons. Ils m’ont chargé, si j’échappais, de dire à Athènes qu’ils avaient été lâchement abandonnés par les généraux. A ces paroles, le peuple croit entendre le cri même des naufragés ; les parents demandent vengeance, et l’assemblée vote la mort. Contre cette condamnation s’éleva en vain la voix d’un juste, celle de Socrate[15]. Un des six condamnés était le fils de Périclès : son nom ne le sauva pas. Un autre, Diomédon, qui avait voulu que la flotte entière se mit, après le combat, à la recherche des naufragés, accepta la sentence avec une virile résignation : Je souhaite, dit-il au peuple, que ce jugement ne porte pas malheur à la cité. Quant à vous, Athéniens, n’oubliez pas d’offrir aux dieux les sacrifices d’actions de grâces que nous leur avons promis pour notre victoire. Nobles paroles dont la foule aveuglée par la passion politique et religieuse, ne comprit pas la sanglante ironie. Athènes se repentit, mais trop tard[16] ; elle allait bientôt expier, par l’incapacité de ses généraux à Ægos-Potamos, cet injuste emportement d’un sentiraient honorable contre les vainqueurs des Arginuses (406). Vers ce temps-là, Sophocle mourut plein de jours et de gloire : heureuse vie commencée avec la libération de la patrie, terminée au bruit de sa dernière victoire et honorée même par les Lacédémoniens qui ne troublèrent point le cortège funèbre, quand il s’avança vers Colone sur la route de Décélie. Son Antigone, éclatante consécration du devoir des vivants à l’égard des morts, avait laissé des souvenirs qui ne furent peut-être pas sans influence sur la terrible sentence. En cette même année un autre poète, Aristophane, voyant cette fois clairement le véritable intérêt d’Athènes, osa demander en plein théâtre le rappel d’Alcibiade que beaucoup de ses auditeurs réclamaient. Athènes, dit le Bacchus des Grenouilles, Athènes le regrette, le hait et veut l’avoir. Euripide s’y oppose parce qu’Alcibiade fut un mauvais citoyen, et Eschyle lui répond : Le mieux serait de ne pas élever de lionceau dans la république ; mais si le lion a grandi, il faut se soumettre à ses caprices ; et Aristophane finit par revenir au conseil de Périclès : La flotte est notre richesse, la seule sur laquelle il faille compter[17]. Malheureusement le poète ne fut pas mieux écouté que lorsqu’il recommandait des mesures impraticables. Le désastre que les Péloponnésiens avaient subi aux Arginuses était grand. Sur la demande de tous les alliés de la côte d’Asie et sur celle de Cyrus, Lysandre fut chargé de le réparer (405). Un Spartiate ne pouvait être deux fois amiral ; Aracos, investi de cette charge, demeura à Lacédémone, et Lysandre, son lieutenant, eut pleins pouvoirs. Cyrus, qui voyait la mort de son père approcher, donna au Spartiate tout l’or qu’il voulut, et Lysandre put reconstituer une flotte respectable, avec laquelle il courut audacieusement toute la mer Égée ; il vint même faire une descente dans l’Attique. Pour détruire, s’il était possible, la séduction de l’or persique, qui entraînait tant de transfuges, on dit que le peuple d’Athènes décréta que tout prisonnier fait à la mer serait mutilé. Philoclès, un des nouveaux généraux, fut encore plus dur que l’assemblée : deux galères de Corinthe et d’Andros étant tombées entre ses mains, il en égorgea les équipages. La guerre qui approchait de sa fin devenait sans merci. Lysandre avait fait route vers l’Hellespont. Il venait de
saccager Lampsaque, et était à l’ancre sous cette ville, quand cent
quatre-vingts galères d’Athènes réunies pour le poursuivre arrivèrent en face
de lui à Ægos-Potamos, le ruisseau de Le cinquième jour, les Athéniens vinrent comme de coutume présenter la bataille ; le soir, quand ils se furent retirés avec cet air de négligence et de mépris qui leur était ordinaire, Lysandre ordonna aux commandants des vaisseaux envoyés en observation de revenir en toute hâte lorsqu’ils auraient vu débarquer les Athéniens, et, arrivés au milieu du détroit, d’élever sur leur proue, au bout d’une pique, un bouclier d’airain, ce serait le signal du départ de la flotte. Lui-même, sur sa galère, parcourant toute la ligne, animait les pilotes et les capitaines, les exhortait à tenir leurs équipages en bon ordre, et, dès que le signal serait donné, à forcer de rames pour atteindre l’ennemi. Dès qu’on put voir le bouclier élevé sur les galères d’observation, la trompette du vaisseau amiral donna le signal, et toute la flotte s’ébranla en bon ordre. Le détroit qui sépare les deux continents n’a de largeur en cet endroit que 15 stades ; les rameurs firent diligence, et on les eut vite franchis. Conon fut le premier des généraux athéniens qui, de la terre, vit cette flotte s’avancer. Saisi de douleur à la pensée du désastre qui se prépare, il appelle les uns, conjure les autres, et force tous ceux qu’il rencontre de monter sur les vaisseaux ; zèle inutile ! Les soldats, dispersés sur la côte, étaient allés acheter des vivres ou se promenaient dans la campagne; quelques-uns dormaient dans leurs tentes, d’autres préparaient le souper. Les Péloponnésiens, tombant sur la ligne ennemie, enlèvent les galères qui sont vides, brisent de leur choc les rames de celles qui commençaient à s’emplir de soldats, poussent au rivage et y égorgent sans peine les Athéniens qui accouraient isolément et sans armes. Lysandre fit trois mille prisonniers, au nombre desquels étaient les généraux. Il s’empara de toute la flotte excepté de la galère paulienne et de huit vaisseaux que Conon put emmener (août 405). C’était le renard et non pas le lion qui, cette fois,
avait vaincu; il n’y avait même pas eu de lutte : Athènes méritait de mieux
finir. Une heure avant cette grande ruine toutes les chances étaient pour
elle. L’or des Perses, la ruse habile de Lysandre, la négligence de ses
généraux, firent en un instant ce que n’avait pu faire pendant vingt-six années
Abrégeons le douloureux récit des derniers moments de la noble et malheureuse cité. Il n’y avait pas eu de combat, mais il y eut un massacre. Sparte voulut terminer cette guerre ainsi qu’elle l’avait commencée : les trois mille captifs furent traités comme les Platéens. Lysandre demanda à Philoclès quel sort méritait l’homme qui avait mis à exécution le décret récemment porté par Athènes touchant les prisonniers. Il refusa de répondre à un accusateur qui était en même temps son juge et son bourreau. Vainqueur, lui dit-il, fais ce que tu aurais souffert si tu avais été vaincu. Lysandre, vêtu en sacrificateur, comme s’il était le ministre des vengeances divines, tua lui-même Philoclès. Ce fut le signal de l’immense égorgement. Nulle cité ne tenta de résister. Byzance, Chalcédoine, toutes celles devant lesquelles Lysandre se montra, ouvrirent leurs portes. Partout il abolissait la démocratie, et donnait le pouvoir à un harmoste lacédémonien et à dix archontes tirés des sociétés secrètes qu’il avait formées. Maintenant il relâchait les athéniens qu’il prenait et les renvoyait à Athènes, sous peine de mort s’ils n’y rentraient pas : la ville allait être obligée de les nourrir ; c’était lui envoyer la famine. Bientôt il parut lui-même devant le Pirée avec cent cinquante galères, et Pausanias vint camper dans les jardins de l’Académie avec toutes les forces du Péloponnèse. Cependant la galère paralienne, échappée à Lysandre, avait atteint de nuit l’Attique. La nouvelle désastreuse se répand ; des gémissements la portent du Pirée dans la ville ; elle passe de bouche en bouche ; en un instant tout le monde la connaît. Cette nuit personne ne dormit : ils pleuraient sur les morts, ils pleuraient sur eux-mêmes, sur leur puissance tombée, sur leur liberté qui allait périr sous les coups de Lacédémone ou sous le joug d’une faction détestée. Le jour venu, l’assemblée se réunit : on y arrête qu’on fermera toutes les portes, une exceptée; qu’on réparera les brèches, qu’on fera partout bonne garde, qu’enfin on se disposera à soutenir un siège. Sous le coup même de la plus désastreuse défaite, les
athéniens ne perdaient donc pas entièrement courage. Es se détendirent au
milieu de discordes intestines jusqu’à ce que la famine leur fit tomber les
armes des mains. Sparte exigea la démolition des Longs-Murs ; on refusa.
Théramène s’offrit alors à essayer de l’influence qu’il prétendait avoir sur
les éphores. Il mit trois mois à ce voyage, et les Athéniens attendirent, au
milieu de la famine, déjà grande à son départ, la fin de ce retard inexplicable.
Quand il revint, sans avoir rien obtenu, la misère était au comble. On le
renvoya avec des pouvoirs illimités pour conclure A Sparte, les alliés
étaient réunis ; plusieurs, Thèbes et Corinthe surtout, ne voulaient pas
de merci. Sparte craignit de livrer Plusieurs voulaient résister encore, bien que la famine
fit chaque jour de nouvelles victimes. La faction oligarchique, dont l’influence
croissait en proportion des malheurs publics, fit jeter en prison ces
partisans désespérés de l’honneur d’Athènes, et une assemblée accepta le
fatal arrêt. On remit tous les vaisseaux à Lysandre,
a l’exception de douze, et il prit possession des murs le 16 du mois de
munychion, jour auquel les Athéniens avaient remporté sur les barbares la
victoire de Salamine (juin 404). À peine entré dans la ville, il proposa de changer
la forme du gouvernement. Les Athéniens y ayant témoigné la plus grande
opposition, il leur dit qu’ils avaient manqué à la capitulation, que les
jours accordés pour détruire les mitrailles étaient passés, sans qu’on eût
exécuté cet article du traité ; il allait donc assembler le conseil pour
arrêter des conditions plus dures. On ajoute qu’il fut proposé dans cette
assemblée de réduire en servitude tous les Athéniens, et qu’un Thébain
demanda qu’on rasât la ville et qu’on fit de tout le pays un lieu de pâturage
pour les troupeaux. Le conseil fut suivi d’un festin où se trouvèrent les
généraux; pendant que les coupes circulaient, un musicien de Phocée chanta
ces vers du premier chœur de l’Électre d’Euripide : Ô fille d’Agamemnon, je suis venu vers ta demeure
rustique !... Les convives, attendris par ce rapprochement de deux
grandes infortunes, s’écrièrent qu’il serait horrible de détruire une ville
si célèbre et qui avait produit de si grands hommes. Lysandre réunit
un grand nombre de musiciens et fit raser les mitrailles, brûler les
vaisseaux, au son des instruments, en présence des alliés qui, couronnés de
fleurs, chantaient sur ces ruines la liberté de Thucydide a judicieusement exposé les causes de la perte d’Athènes. Tout le temps que Périclès fut à la tête de l’État, il gouverna avec modération, et Athènes fut puissante. Quand la guerre éclata, il eut le juste sentiment de la force des Athéniens et leur dit que, s’ils donnaient leurs soins à la marine, s’ils s’abstenaient de conquêtes et ne précipitaient pas la république dans les aventures, ils seraient victorieux. Sur tous ces points, ils firent le contraire de ce qu’il conseillait. Pour satisfaire leurs ambitions et des intérêts privés, ils se jetèrent dans des entreprises inutiles au but de la guerre, qui, en cas de succès, auraient été profitable qu’à des particuliers, et, en cas de revers, ébranleraient l’État. Les hommes vinrent après lui, désirant tous le premier rang, abandonnèrent les affaires aux caprices du peuple, ce qui conduisit à beaucoup de fautes que l’étendue de la domination athénienne rendit désastreuses. La principale fut l’expédition de Sicile, où il y eut à blâmer, moins encore la folie d’une entreprise commencée contre des ennemis dont on avait mal apprécié la force, que la conduite de ceux qui, après l’avoir fait décider, ne s’occupèrent pas de venir en aide à leurs concitoyens dans cette campagne lointaine. Tout entiers à leurs querelles au sujet de la prééminence dans l’État, ils laissèrent, faute de secours, les opérations languir et dans Athènes ne s’occupèrent qu’à se déchirer entre eux. Cependant, quoique le peuple, eût perdu en Sicile beaucoup de ses forces militaires, avec la plus grande partie de sa marine, et que l’État fût livré aux dissensions intestines, il résista encore dix ans aux ennemis contre lesquels il avait engagé la guerre, à la plupart de ses alliés qui abandonnèrent sa cause, et plus tard à Cyrus, fils du grand roi, qui aida les Péloponnésiens en leur donnant de l’argent pour leur marine. Si enfin il céda, ce ne fut qu’après s’être lui-même détruit par ses querelles intérieures. Par où l’on voit que, à l’origine de la lutte, Périclès était autorisé à croire que les Péloponnésiens seuls seraient incapables de disputer à Athènes la victoire ![18] |
[1] Thucydide, VIII, 9, 14 et 24. — Au reste, même remarque peut être faite à propos de la défection de Lesbos, d’Acanthe, de Toroné, de Mendé, d’Amphipolis, etc. Partout le peuple s’oppose aux changements que les grands provoquent et accomplissent. L’empire d’Athènes n’était donc impopulaire qu’auprès d’une faction, et non dans la masse générale des alliés. Je l’ai dit déjà vingt fois, mais je ne puis trop le répéter : la révolution démocratique de Samos, dont il est question un peu plus loin, prouve la même chose. La prospérité des alliés d’Athènes était telle, que Thucydide appelle les habitants de Chios les plus riches des Hellènes (VIII, 45). C’était, après sparte, la ville qui avait le plus d’esclaves (Wallon, t. I, p. 319).
[2] Sur l’agitation du
parti oligarchique, après l’expédition de Sicile, voir Aristophane, Lysistrata, v.
[3] Thucydide, VIII, 68.
[4] Elle ne fut rétablie qu’après la victoire de Cyzique.
[5] Thucydide, qui admire tant le chef de cette faction odieuse, Antiphon, homme recommandable, au reste, dans sa vie privée, reconnaît formellement que toutes ces imputations étaient fondées (VIII, 91).
[6] Dans tout ce récit, je reste bien loin de la sévérité de Grote pour Antiphon et ses complices. Il termine la comparaison de la conduite modérée et patriotique de l’armée de Samos avec les violences, la perfidie et la trahison du parti aristocratique par ces paroles : Had their dominion lasted, no sentiment would have been left to the Athenian multitude except fear, servility or, at best, a tame und dumb sequacity to leaders whom they neither et chose nor controled. To those who regard différent forme of government as distinguisbed from each other mainly by the feelings which each tends to inspire in magistrates as well as citizens the contemporaneous scenes of Athens and Samos twill suggest instructive comparisons between Grecian oligarchy and Grecian democracy (History of Greece, t. VIII, p. 125). Curtius est du même sentiment.
[7] Condamné, il se vengeait de ses juges en les appelant une foule de hasard, πολλοϊς τοϊς υγχάνουσιν. Aristote, Ethic. Eudem., III, 5, § 57.
[8] Avec le récit de ces événements se termine le huitième et dernier livre que nous possédions de Thucydide. Xénophon lui succède avec ses Helléniques, mais ne le remplace pas. Déjà, dans ce VIIIe livre, le génie de Thucydide semble fléchir, à moins qu’il n’ait pu y mettre lui-même la dernière main.
[9] Plutarque, Alcibiade, 28.
[10] Xénophon, Hellén., I, 1, 21 sqq.
[11] Je note qu’en cette année 409-408, on fit graver à nouveau sur un marbre, retrouvé en 1843, la loi de Dracon sur le meurtre, que Démosthène rappelle dans son discours contre Macartatos.
[12] J’omets beaucoup de détails remplis d’une sentimentale et fausse exagération, et que Plutarque se plait à rapporter. Le récit de Xénophon, plus simple et plus vrai, montre Alcibiade arrivant avec vingt galères seulement, et ne se risquant à débarquer qu’au milieu d’une escorte d’amis.
[13] Xénophon, Hellén., I, 5, 10 ; Pausanias, VI, 7, 2.
[14] Thucydide, IV, 44.
[15] Xénophon, Hellén., I, 7, 55.
[16] Cinq des accusateurs furent même accusés d’avoir trompé le peuple, et mis en jugement. Onosander, dans son traité des devoirs d’un général, Στρατηγιxός λόγος, 36, écrira encore, au milieu du et siècle après J.-C. : Que le général s’occupe du soin des morts, sans prétexter ni le temps, ni la saison, ni la crainte de gagner ou de perdre la bataille. La piété envers les morts est un devoir sacré. Platon pensait de même et toute l’antiquité pensa comme lui. Dans l’Hippias Major, 25, il dit : On ne peut estimer parfaitement heureux le mortel, même comblé de tous les dons, qu’après qu’il aura obtenu la sépulture, parce qu’alors seulement on sera sûr que son ombre n’erre pas inquiète et malheureuse comme celles à qui les derniers honneurs n’ont pas été rendus. La privation de sépulture passant pour condamner les ombres des morts à des maux cruels, on ne l’infligeait qu’aux plus grands criminels.
[17] Les Grenouilles, ad finem.
[18] Thucydide II, 65.