HISTOIRE DES GRECS

CINQUIÈME PÉRIODE — LUTTE DE SPARTE ET D’ATHÈNES (431-404).

Chapitre XXIV — La guerre du Péloponnèse depuis la mort de Périclès jusqu’à la paix de Nicias (429-421).

 

 

I. Égorgements à Mytilène et à Platée ; Cléon ; massacres à Corcyre ; affaire de Sphactérie (425)

On en était à la quatrième année de la guerre (428), et les prévisions de Périclès s’étaient réalisées. Malgré les ravages annuels d’Archidamos, qui reparut encore cet été dans l’attique, les Athéniens conservaient l’avantage, car ils n’avaient rien perdu, et ils étaient maîtres de Potidée. Mais le grand politique n’avait pu prévoir le terrible mal qui s’était abattu sur la cité et en mourant il emporta la fortune des Athéniens. Peu de temps après éclata une révolte qui pouvait ébranler leur domination.

Mytilène, comme toutes les cités grecques, avait deux partis. Les grands, qui tenaient le peuple dans une étroite dépendance[1], n’avaient accepté qu’avec douleur et par crainte des Perses la suprématie des Athéniens. Bien qu’Athènes fût restée pour Mytilène, comme pour Chios dans les termes de la primitive alliance, ils se rappelaient les jours brillants de Pittacos, et le temps où file entière de Lesbos leur était soumise. On les a vus solliciter secrètement, avant même la guerre de Corcyre, l’appui de Lacédémone. Encouragés par les Béotiens, qui étaient de leur race, ils augmentèrent la force de leurs murs et le nombre de leurs vaisseaux, forcèrent les habitants des petites villes du voisinage à s’établir dans leur cité, et soudoyèrent des auxiliaires. Méthymne et Ténédos dénoncèrent à Athènes ces préparatifs. Une ambassade pacifique envoyée à Mytilène ne rapporta que des paroles de guerre, et en même temps on apprit que Ies Péloponnésiens recevaient les révoltés dans leur alliance. Athènes, disaient ceux-ci, affaiblie et ruinée par la peste et la guerre, ne résistera pas à une vive attaque. Les Spartiates se hâtèrent de rappeler aux armes les alliés à peine de retour de leur troisième invasion dans l’Attique, et ils se disposèrent à traîner une flotte par-dessus l’isthme de Corinthe pour envelopper Athènes de toutes parts.

On ne parle que de la constance romaine ; il faudrait parler aussi de la constance de ce peuple athénien qui, depuis quatre ans ne possédait plus, de son territoire, que l’espace couvert par les murailles de sa ville. Il avait déjà envoyé une escadre devant Mytilène, une autre voguait vers l’Acarnanie ; il semblait que le Pirée fut vide. A la nouvelle du projet des Lacédémoniens, il en sortit cent galères, qui, sous les yeux de l’ennemi étonné, vinrent ravager les côtes du Péloponnèse. En ce moment Athènes avait à la mer 250 navires, une armée devant Potidée, une autre à Mytilène, une troisième en Acarnanie ; et l’on admirera quels sacrifices elle s’imposait, en songeant que, au siège de Potidée, l’hoplite recevait 2 drachmes par jour, une pour lui, l’autre pour l’homme de service qui l’accompagnait, et que, sur la flotte, la solde était la même[2]. Afin de pourvoir à ces dépenses, les citoyens mirent sur eux-mêmes un impôt de 200 talents. Quand, l’été suivant (427), l’armée de la ligue envahit une quatrième fois l’Attique, le courage d’Athènes ne fut pas ébranlé ; pas une galère, pas un soldat ne furent rappelés de Mytilène; et cependant Périclès n’était plus là. Le Spartiate Saléthos avait pris la direction de la défense de cette ville. Mais à peine eut-il, pour une attaque générale des lignes athéniennes, fait distribuer des armes au peuple, que cette multitude longtemps opprimée se souleva contre les grands. Il fallut traiter et livrer la place à Pachès, le général athénien.

Ici se place une tragédie. Les Spartiates avaient, dès le principe, donné à cette lutte le caractère de cruauté féroce que les peuples du midi de l’Europe, Grecs, Romains, Italiens du moyen âge ou Espagnols, ont trop souvent imprimé à leurs guerres. Tous les alliés d’Athènes, tous les marchands, les pêcheurs, même les neutres, qui étaient tombés entre leurs mains, avaient été mis à mort, et leurs cadavres étaient restés sans sépulture[3]. Une flotte péloponnésienne venait tout récemment encore de montrer le long des côtes de l’Ionie cette facilité à tuer sans l’excuse du péril encouru. Les Athéniens n’étaient pas demeurés en reste ; on se souvient de leur décret contre les Mégariens et on a vu que des ambassadeurs envoyés par Lacédémone au grand roi, saisis par eux, avaient été exécutés. Les Platéens n’avaient pas eu plus de pitié pour les Thébains qui avaient essayé de surprendre leur ville. La trahison des Mytiléniens, sans prétexte, puisqu’ils étaient les plus favorisés des alliés, avait mis Athènes dans le plus grand péril, et amené une flotte du Péloponnèse jusque sur les côtes d’Ionie. Ils n’avaient donc pas, d’après l’esprit de ce temps et le caractère de cette guerre, de merci à attendre, pas plus que Capoue n’en eut de Rome après s’être donnée à Annibal. Parmi les prisonniers envoyés par Pachès était Saléthos. Son procès fut court ; malgré ses efforts pour sauver sa vie, on l’exécuta presque à son arrivée. Dans l’irritation où le peuple était encore, il prit, sur les instances de Cléon, l’atroce résolution de faire périr toute la population de Mytilène en âge de porter les armes.

Ce Cléon, l’indigne héritier de Périclès, était, à la grande joie d’Aristophane, qui tire de là d’intarissables plaisanteries, un corroyeur, fort ami des petites gens[4], et grand parleur, violent, impétueux, se démenant sans dignité à la tribune, où il portait non la tenue et la sévère éloquence de Périclès, mais la langue et les gestes du Pirée. Cléon, qui fut, une fois convaincu de vénalité, Cléon, médiocre orateur, mauvais général et flatteur de la populace, avait pourtant de l’énergie. Un jour elle le servira bien ; cette fois elle lui fit faire une mauvaise action. Quand on délibéra sur le sort des Mytiléniens, il soutint qu’un grand et crible exemple était nécessaire ; son opinion passa. Mais le peuple, meilleur que lui, revint le lendemain à des sentiments plus dignes d’Athènes. Le vaisseau à qui était remis l’arrêt de mort avait une avance de vingt-quatre heures. Chargé d’un tel message, il allait lentement. La galère qui portait le contre-ordre fit la plus grande diligence ; Pachès venait de lire sur la place de Mytilène le décret fatal et allait l’exécuter, lorsque la seconde trirème entra dans le port. Les mille partisans de Lacédémone envolés à Athènes n’en furent pas moins exécutés[5]. C’était déjà une assez sanglante boucherie. Quant à Mytilène, ses murs furent rasés, ses vaisseaux confisqués, et toute file, moins le territoire de Méthymne, fut divisée en trois mille parts. On en consacra un dixième aux dieux ; le reste fut donné par le sort à des Athéniens, qui affermèrent ces champs à des cultivateurs de Lesbos, au prix d’une redevance de 2 mines pour chaque lot. Mytilène pourtant ne tarda pas à se relever et à redevenir florissante.

Un exemple, heureusement d’une autre sorte, fut en même temps donné par Athènes à ses alliés. Le conquérant de Lesbos, Pachès, commit contre deux femmes de Mytilène quelques-unes de ces violences qu’on ne pardonne pas. De retour à Athènes, il fut mis en jugement, et, prévoyant une condamnation, se perça de son épée au tribunal même. Athènes disait bien haut qu’elle ne voulait pas plus d’injustices que de révoltes (427).

Le sang des Mytiléniens retomba sur la tête des Platéens. Les Spartiates s’acharnaient contre cette poignée d’hommes qui, depuis deux ans, résistaient héroïquement, haussant et réparant leurs murailles, ruinant les fortifications des ennemis, brisant leurs machines, bravant une ploie de feu, de soufre et de poix que les assiégeants lançaient sur eux, et les flammes qui dévorèrent une partie de leur ville. Enfin, menacés de la famine, ils allaient capituler, quand leur vint l’idée d’une audacieuse entreprise. Il s’agissait de franchir la double enceinte dont le camp lacédémonien s’était enveloppé et le. double fossé qui la couvrait. En comptant Ies briques, ils étaient parvenus à connaître la hauteur des murs et avaient construit des échelles assez longues pour en atteindre le faîte. Au moment de l’exécution, il n’y eut que deux cent vingt hommes, c’est-à-dire la moitié de la garnison, qui se risquèrent à tenter ce coup périlleux. Par une froide et obscure nuit de décembre, tandis que le vent soufflait et qu’il tombait une pluie mêlée de neige, ils sortirent de la ville, silencieux, éloignés les uns des autres, pour ne point entrechoquer leurs armes, tous ayant un pied nu, afin de ne pas glisser. Ils appliquèrent leurs échelles et montèrent. Les premiers n’avaient que leur cuirasse et un poignard ; ceux qui suivaient portaient des javelots, d’autres les bouclier. Une brique en tombant donna l’éveil aux soldats de garde qui coururent de tous côtés dans l’ombre, sans savoir où était le danger, et élevèrent des signaux de feu du côté de Thèbes pour avertir qu’un péril menaçait le camp. Les Platéens de la ville en allumèrent d’autres sur leur muraille, de sorte que la confusion des feux ôtait toute signification aux signaux des assiégeants. Ceux-ci cherchaient partout l’ennemi qui avait causé l’alarme ; mais les torches qu’ils portaient guidaient les coups, et les Platéens, invisibles dans l’ombre, frappaient à coup sûr. Les deux cents étant parvenus à franchir les retranchements et les fossés[6], se dirigèrent du côté de Thèbes pour tromper la poursuite, car ils voyaient, par la lumière des torches, qu’on les cherchait vers le Cithéron. Aspres avoir fait sis ou sept stades dans cette direction, ils tournèrent du côté des montagnes et deux cent douze arrivèrent sains et saufs en Attique.

La garnison de Platée était diminuée, mais ce qui restait de vivres se trouva doublé, de sorte que la résistance se prolongea jusqu’au milieu de l’été suivant. Quand on fut réduit au dernier morceau de pain, il fallut bien capituler. Les Spartiates se vengèrent du temps qu’ils avaient perdu à ce siège par une froide cruauté, d’autant plus odieuse qu’ils y mêlèrent un appareil de justice. Cinq juges furent envoyés de Lacédémone, et les prisonniers comparurent un à un devant eux ; aucune accusation ne fut articulée ; on se bornait à leur demander si, dans cette guerre, ils avaient rendu quelque service aux Lacédémoniens ou à leurs alliés. A cette question dérisoire, les malheureux, interdits, gardaient le silence, et on les égorgeait, Deux cents Platéens et vingt-cinq Athéniens périrent ainsi ; leurs femmes furent réduites en servitude, leur ville rasée et le territoire donné aux Thébains (427).

On s’étonne qu’Athènes n’ait rien fait pour les sauver. Toute la dureté antique avait reparu dans cette guerre fratricide : des deux côtés, on égorgeait, et chacun était d’avance résigné à subir le sort qu’il comptait infliger lui-même au vaincu. Comme ces braves à qui leur chef confie un poste dangereux en leur disant : Faites-vous tuer là, les Platéens, victimes volontaires, avaient, par leur sacrifice, servi la cause commune. On les admirait ; on ne les secourut point, parce qu’il eût fallu risquer un grand combat sur terre et qu’Athènes réservait toutes ses ressources pour la flotte. Cependant nous aurions aimé à citer une témérité héroïque ; ceux-là réussissent quelquefois qui espèrent contre toute espérance.

Sparte avait joué dans cette affaire un rôle odieux : l’appareil mis en jeu, ce tribunal, ces juges, cet interrogatoire, cette dérision enfin de la justice, était plus abominable que le meurtre après le combat. Elle n’en prétendait pas moins avoir agi selon le droit strict. L’alliance avec Athènes était, disait-elle, une trahison envers l’Hellade, et il ne devait pas y avoir de merci pour les traîtres. Résister à Lacédémone devenait un crime inexpiable.

A Corcyre, comme partout, l’aristocratie et le peuple, les riches et les pauvres, ceux-là soutenus par Lacédémone, ceux-ci par Athènes, se disputaient avec fureur le pouvoir. Longtemps ces discordes intérieures n’amenèrent d’autre catastrophe que l’exil du parti le plus faible ; maintenant que les vaincus peuvent appeler l’étranger à leur aide, ces luttes intestines prendront un caractère d’atroce cruauté.

Les riches Corcyréens, faits prisonniers à la bataille de Sybota par Corinthe, avaient été choyés dans cette ville, puis relâchés comme de précieux instruments pour opérer une révolution à Corcyre. Depuis leur retour, ils s’efforçaient de remplir la secrète condition de leur mise en liberté, en entraînant l’île dans le parti des Péloponnésiens. Peithias, chef de la faction populaire, accusé par eux de trahir la patrie, accuse à son tour cinq d’entre eux, qui l’assassinent au milieu du sénat, égorgent soixante de ses partisans, promettent la liberté aux esclaves et appellent la flotte péloponnésienne. Le peuple, d’abord surpris, reprend courage ; douze vaisseaux athéniens accourent de Naupacte et donnent l’avantage au parti populaire. Mais cinquante-trois galères arrivent du Péloponnèse ; les Athéniens, malgré leur petit nombre, balancent la victoire dont le général spartiate ne sait pas profiter. Averti par les signaux de feux que soixante galères athéniennes approchaient, il s’enfuit ; alors commence un horrible massacre. Les nobles et leurs partisans s’étaient réfugiés dans un temple. Pour les en tirer, on leur promet un jugement impartial ; cinquante, qui l’acceptent, sont condamnés à mort et égorgés. Les autres se frappent eux-mêmes dans le sanctuaire.

Pendant sept jours on tua dans Corcyre, et les passions déchaînées profitèrent de cet affreux désordre pour se satisfaire : des débiteurs tuèrent leurs créanciers ; des inimitiés personnelles se couvrirent du prétexte de la vengeance publique. Cinq cents de ces malheureux s’étaient échappés ; ils se fortifièrent sur le mont Iston et s’y défendirent deux années. Forcés par les Athéniens de se rendre, ils furent transportés sur un îlot pour y attendre le jugement d’Athènes. Jusque-là leur vie était sauve, mais à condition que pas un ne tenterait de fuir. Les chefs du parti démocratique leur tendirent un piège odieux. De faux amis les engagèrent à s’échapper et leur en offrirent les moyens. Quelques-uns acceptèrent ; aussitôt la sentence fut portée. On les retira vingt par vingt de leur prison, et on les fit passer, les mains attachées, entre deux haies d’hoplites qui frappaient et perçaient : des hommes armés de fouets hâtaient leur marche. Soixante furent ainsi emmenés et exécutés, sans que ceux qu’ils avaient laissés derrière eux s’en doutassent ; enfin, instruits de la vérité, ils refusèrent de sortir. Les Corcyréens enlevèrent le toit de l’édifice où ils s’étaient réfugiés et les accablèrent de projectiles. Les malheureux se tuaient eux-mêmes avec les flèches qu’on leur lançait, se pendaient aux lits de leur prison, ou s’étranglaient de leurs propres mains (425). — La même année, les Corinthiens, chassés d’Anactorion, à l’entrée du golfe d’Ambracie, furent remplacés dans ce poste important par des Acarnanes, leurs ennemis, et Athènes put désormais promener librement ses galères sur la mer d’Ionie sans qu’une voile corinthienne osât s’y montrer.

Il en coûte à le dire : ce ne fut qu’après ces massacres que Corcyre retrouva la tranquillité. Il n’avait pas fallu moins, tant la haine des deux côtés était féroce, que l’extermination de tout un parti par l’autre pour que le calme se fit dans la ville épuisée de sang. Mais le signal de ces perfidies et de ces violences, qui l’avait donné ? Ceux qui, sans cause, voulurent détacher Corcyre d’Athènes et qui poignardèrent Peithias en plein sénat : la faction des grands.

Dans cette guerre de Corcyre, dit Thucydide, il se commit toutes les horreurs qui arrivent ordinairement en de telles circonstances ; elles furent même surpassées : car un père tua son fils ; des suppliants furent arrachés des asiles sacrés ; d’autres égorgés au pied des autels, tant fut cruelle cette sédition ! Elle le parut encore davantage parce qu’elle était la première. En effet, la Grèce fut dans la suite presque tout entière ébranlée, et comme partout y régnait la discorde, les chefs du parti populaire appelaient les Athéniens, et la faction des grands les Spartiates. Les villes étaient en proie à la sédition, et celles qui s’y livraient les dernières, instruites de ce qui s’était fait ailleurs, s’abandonnaient à de plus grands excès, jalouses de se distinguer par la gloire de l’invention, soit dans l’art qu’elles mettaient à nuire aux ennemis, soit dans l’atrocité jusqu’alors inouïe de leurs vengeances. Dans la paix, les esprits ont plus de douceur ; la guerre donne des leçons de violence et rend les moeurs des citoyens conformes à l’âpreté des temps. Ces égorgements à Corcyre, à Mytilène, à Platée et bientôt à Mélos (Milo), étaient doublement malheureux, parce que l’iniquité se retourne contre ceux qui la commettent, de sorte qu’elle fait deux victimes. Par ces retours à l’ancienne barbarie, le sentiment du droit, du juste, s’affaiblira partout, jusqu’à disparaître.

Comme si la nature eut voulu concourir à ce bouleversement général, des tremblements de terre ébranlèrent l’Attique, l’Eubée, toute la Béotie, surtout Orchomène. La peste n’était jamais entrée dans le Péloponnèse ; elle recommença à décimer pendant une année entière les Athéniens. Depuis sa première apparition, elle leur avait enlevé 4300 hoplites, 300 cavaliers, et d’innombrables victimes dans le reste de la population. Ce furent les derniers coups du fléau. Pour apaiser le dieu que toute souillure offensait, les Athéniens purifièrent l’île d’Apollon, comme l’avaient fait une première fois les Pisistratides. Les restes des morts ensevelis à Délos furent exhumés ; il fut défendu d’y naître ou d’y mourir : les malades étaient transportés dans l’île voisine de Rhénée[7]. Enfin on institua, en l’honneur d’Apollon, des jeux et des courses de chevaux qui durent se célébrer tous les quatre ans[8] : les Grecs comme les Romains croyaient gagner ainsi la protection du dieu, présent à ces fêtes par son image qu’on y portait. Les Ioniens, exclus des solennités du Péloponnèse, accoururent à celles de Délos, où Nicias se signala par la magnificence de ses dons, la première fois qu’on les célébra. En une nuit, il fit jeter sur le détroit qui séparait Délos de Rhénée un pont long de 700 mètres, décoré de guirlandes, couvert de tapis, sur lequel passa la procession des morts religieusement exilés de l’île sainte (425).

Une preuve qu’il faut faire au peuple d’Athènes sa part dans les grandes choses accomplies par Périclès, c’est que, depuis quatre années qu’il avait perdu ce guide éclairé, il avait montré, contre le double fléau de la peste et de la guerre, la constance que lui recommandait le grand orateur : point de troubles dans la ville, point d’esprit étroit dans le choix des chefs. Cléon pouvait bien monter à la tribune ; c’étaient les généraux éprouvés par de bons services, fussent-ils nobles, riches et amis de la paix, comme Démosthène et Nicias, qui commandaient les armées. À Mytilène, à Corcyre, ceux qui avaient mis leur confiance dans Lacédémone avaient péri ; la ruine de Platée était le seul échec qu’Athènes crut subi. Déjà elle tournait les yeux vers la Sicile : vingt galères y furent envoyées pour secourir les Léontins contre Syracuse. Le prétexte était la communauté d’origine avec les Léontins ; en réalité, elle voulait empêcher l’importation des blés siciliens dans le Péloponnèse.

Démosthène était un vrai général, entreprenant et habile ; pour lui la guerre était une science qui exigeait des combinaisons et pas seulement du courage. Laissant son collègue Nicias opérer dans les mers voisines d’Athènes, il reparut dans les eaux occidentales, pour détruire l’influence de Corinthe jusque dans le golfe qui porte son nom. Assisté des Acarnanes, il avait vaincu, l’année précédente (426), sur terre, par une tactique supérieure, les Péloponnésiens qui perdirent tant de morts à la bataille d’Olpée, que le général consacra dans les temples d’Athènes trois cents panoplies, sa part du butin. Mais cette guerre d’Acarnanie, que Thucydide raconte longuement, ne pouvait avoir de sérieux résultats. Une audacieuse entreprise de Démosthène parut un moment devoir tout terminer. Il avait été frappé, en naviguant autour du Péloponnèse, de la position remarquable de Pylos, promontoire de la côte de Messénie, qui domine la rade actuelle de Navarin, le meilleur port de la péninsule, et que les Spartiates avaient laissé désert depuis les guerres de Messénie. Il lui sembla que s’il pouvait l’occuper et y établir des Messéniens, il attacherait comme une torche enflammée au flanc du Péloponnèse. Il obtint du peuple la permission de tenter quelque chose ; mais lorsque la flotte qui allait à Corcyre et en Italie fut arrivée devant Pylos, les généraux qui la commandaient s’effrayèrent de son projet et refusèrent de l’exécuter. Les vents se mirent du côté de Démosthène ; en poussant les Athéniens à la côte, ils les forcèrent de relâcher. Dès qu’on fut à terre, les soldats, avec cette activité industrieuse qui caractérisait les Athéniens, improvisèrent d’eux-mêmes des fortifications et construisirent des murs, sans outils pour tailler les pierres, sans auges pour porter le ciment. Au bout de six jours le rempart était à peu près achevé ; Démosthène y resta avec cinq galères (425)[9].   

Sparte fut justement effrayée à cette nouvelle, car c’était, à l’occident du Péloponnèse, une excellente station pour les flottes ennemies ; et de Pylos, les Athéniens allaient remuer toute la Messénie, peut-être même provoquer quelque, nouveau soulèvement des hilotes. Elle rappela en toute hâte son armée de l’Attique, où elle n’était entrée que depuis quinze jours, et sa flotte des eaux de Corcyre, afin de bloquer Pylos par terre et par mer. La rade de cette ville se trouvait barrée, à son entrée, par une île de 15 stades de long (2 kilom. 7), appelée Sphactérie. Les Lacédémoniens y jetèrent quatre cent vingt hoplites et fermèrent de chaque côté de file les passages qui donnaient accès dans la rade, avec des vaisseaux ayant la proue tournée en dehors. Du côté de la mer, Pylos n’avait guère d’autre défense que les difficultés d’un débarquement. Ce fut pourtant de ce côté, que l’attaque commença : elle dura deux jours sans succès. Brasidas, qui s’y était conduit avec le plus grand courage, y fut couvert de blessures et perdit son bouclier, que les flots portèrent aux Athéniens. Cependant rien n’était désespéré pour Lacédémone ; mais quarante galères athéniennes arrivèrent de Zacynthe, assaillirent la flotte ennemie, et, après un furieux combat, forcèrent les vaisseaux de s’échouer à terre. Aussitôt Sphactérie fut enveloppée par une croisière qui, nuit et jour, fit bonne garde autour de l’île.

Sparte, à ces nouvelles, fut dans la consternation. Le nombre des Spartiates n’avait en effet cessé de décroître depuis Lycurgue. Au temps du législateur, ils étaient 9000 ; au moment de la bataille de Platée, 5000 ; avant un quart de siècle, on n’en comptera plus que 700 ; la perte de ceux qu’Athènes tenait assiégés eût été irréparable. Les éphores se rendirent eux-mêmes à Pylos pour examiner l’état des choses, et ne virent d’autre moyen d’échapper à ce malheur que de conclure un armistice avec les généraux athéniens. Il fut convenu que des ambassadeurs partiraient de Lacédémone pour Athènes ; que, jusqu’à leur retour, Lacédémone livrerait tous les vaisseaux qu’elle avait dans la rade, soixante galères ; que les Athéniens maintiendraient le blocus de Sphactérie, mais qu’ils laisseraient passer aux quatre cent vingt, chaque, jour, deux chœnices attiques (2lit,6) de farine par homme, deux cotyles (0lit,54) de vin et un morceau de viande ; la moitié pour les valets.

Les députés lacédémoniens parurent dans l’assemblée d’Athènes où, contre leur habitude, ils firent un long discours, offrant la paix en échange de leurs prisonniers et ajoutant que, dès qu’ils auraient traité, toute cité, à leur exemple, poserait les armes. Que devenaient donc les griefs tant reprochés à Athènes, au commencement de la guerre ? Pour sauver quelques-uns de leurs concitoyens, les Spartiates abandonnaient leurs alliés et ce qu’ils trouvaient naguère une cause si juste ! Mais, l’année précédente, n’avaient-ils pas trahi les Ambraciotes après la défaite d’Olpée ? Malheureusement Périclès n’était plus là pour imposer au peuple un désintéressement utile. Cléon poussa l’assemblée à exiger la restitution des places cédées lors de la trêve de trente ans. Les députés ne pouvaient accepter de telles conditions ; ils revinrent sans avoir rien fait.

L’armistice cessa à leur arrivée, mais les Athéniens, prétextant la violation de quelque condition, refusèrent de rendre les vaisseaux. C’était se donner gratuitement le tort d’un manque de loyauté, car ces vaisseaux n’auraient pu être d’aucune utilité aux Spartiates. La famine était le plus grand péril que les assiégés eussent à craindre ; l’île, en effet, couverte de bois, était difficile et dangereuse à enlever de vive force. On promit la liberté à tout pilote qui parviendrait à y porter des vivres. Beaucoup tentèrent l’entreprise et réussirent. Les quatre cent vingt purent tenir jusqu’aux approches de l’hiver.

Il était à craindre que, dans cette saison, les Athéniens de Pylos n’eussent eux-mêmes la plus grande peine à trouver des subsistances. Déjà l’armée souffrait; on le sut à Athènes. Cléon, qui avait fait rejeter les propositions des Lacédémoniens, s’en prit aux généraux. Si les hostilités traînaient en longueur, c’était, disait-il, qu’ils manquaient de résolution. Et il avait raison, car les Athéniens étaient à Pylos dix mille hommes contre quatre cent vingt. Nicias, toujours alarmé, croyait, même avec de telles forces, le succès impossible; et, pour mettre le démagogue au pied du mur, il lui dit d’aller à Sphactérie. Cléon d’abord hésita ; mais le peuple, pressé, lui aussi, d’en finir, le prit au mot. Il fallut s’exécuter. Cléon promit que dans vingt jours tout serait terminé. Il n’en fallait pas davantage, du moment qu’on était résolu à tenter sérieusement la descente. Prudemment il demanda qu’on lui adjoignit Démosthène pour collègue, et il eut la sagesse de ne rien faire sans consulter cet habile homme. Peu de jours avant sou arrivée à Pylos, un feu allumé pour cuire des aliments et mal éteint avait gagné le bois, et l’incendie, excité par un vent violent, avait dévoré la forêt. Cet accident faisait disparaître le principal danger de la descente. Démosthène la préparait ; il la fit avec Cléon. Une nuit ils assaillirent l’île avec toutes leurs forces. Ils avaient beaucoup de troupes légères. Elles gagnèrent rapidement les points les plus élevés, et de là harcelèrent les Lacédémoniens, qui n’étaient pas habitués à ces cris, à ces attaques d’ennemis fuyant dès qu’ils avaient frappé. Les cendres de la forêt nouvellement consumée s’élevaient dans l’air et les aveuglaient ; étourdis, ne distinguant plus rien, immobiles à la même place, ils recevaient de toutes parts des projectiles dont leurs cuirasses de feutre les garantissaient mal. Pour rendre le combat moins inégal, ils se retirèrent en masse vers un fort élevé à l’extrémité de l’île. Déjà ils étaient plus heureux dans cette position et commençaient à repousser les assaillants, lorsqu’ils virent paraître sur les rochers, au-dessus de leurs tètes, un corps de Messéniens qui les avait tournés. Il fallut se rendre. Ils obtinrent du moins la permission de consulter auparavant les Lacédémoniens qui se trouvaient sur la côte voisine ; ceux-ci répondirent : Les Lacédémoniens vous laissent libres d’agir comme vous l’entendrez, à condition que vous ne ferez rien de honteux. Ils se rendirent avec leurs armes. Apparemment, ce qui était jadis honteux pour Sparte ne l’était plus. Cent vingt-huit étaient morts dans l’attaque. Sur les deux cent quatre-vingt-douze survivants, il y avait cent vingt Spartiates appartenant pour la plupart aux premières familles. Quelqu’un vantait devant un des prisonniers le courage de ceux de ses compagnons qui avaient été tués. On ne saurait, répondit-il, avoir trop d’estime pour les flèches, si elles savent discerner le brave da lâche. C’est une réponse bien athénienne pour un Spartiate; Léonidas en avait d’autres (425). Le blocus avait duré cinquante-deux jours.

Le succès de Sphactérie accrut considérablement la faveur de Cléon auprès du peuple. Un décret lui donna le droit d’être nourri au Prytanée par la République et, pour éterniser la mémoire de son succès, une statue de la Victoire fut dressée sur l’Acropole. Aristophane s’en vengea en faisant jouer, six mois après, sa comédie des Chevaliers[10] où Cléon, le Paphlagonien, est l’esclave qui s’insinue dans la faveur du vieux Dèmos pour le voler, fait accabler de coups les bons serviteurs Nicias et Démosthène, et sert au maître ce gâteau de Pylos que Démosthène seul a préparé. Bornons-nous à remarquer que si tout l’honneur de cette affaire revient réellement à Démosthène, Cléon y apporta une énergie qui ne fut pas inutile ; qu’il ne parait pas, même dans le récit de Thucydide, s’être mal comporté comme soldat ou comme capitaine ; et qu’enfin, ce qu’il avait promis, il l’exécuta.

 

II. Nicias, Démosthène et Brasidas ; paix de 421

L’équilibre était donc rompu ; la fortune penchait du côté des Athéniens. Nais, tandis que Lacédémone promettait économiquement son armée de terre de la Laconie en Attique, Athènes se ruinait pour entretenir des flottes dans toutes les mers de la Grèce et recruter à prix d’argent les rameurs qui les montaient. Ses dépenses annuelles s’élevaient en moyenne à 2500 talents ou à prés de 45 millions de francs. En 425, les ressources amassées ou préparées par Périclès étant épuisées, il fallut accroître le tribut des alliés et l’impôt sur le revenu des citoyens. L’une de ces mesures causera plus tard des défections ; l’autre, qui pèse sur les riches, suscitera des complots contre le gouvernement populaire : germes redoutables que l’avenir va faire éclore[11].

Les Athéniens n’en souffraient pas encore ; ils poursuivirent leurs succès avec une rare vigueur. Nicias, à la tâte d’un armement considérable, débarqua sur l’isthme, battit les Corinthiens, puis alla prendre Méthana, sur la péninsule qui, entre Trézène et Épidaure, s’allonge vers Égine. Un mur ferma l’isthme où une garnison fut laissée et, de ce poste qui, par des signaux de feu, communiquait avec le Pirée, les Athéniens firent de continuelles incursions dans l’Argolide (425). L’année suivante, Nicias enleva l’île de Cythère, voisine de la côte méridionale du Péloponnèse, commode, par conséquent, soit pour arrêter les navires qui en approchaient, soit pour y faire des, descentes. D’ailleurs elle regarde la mer de Crète et celle de Sicile, où Athènes, à ce montent même, avait une flotte pour soutenir les cités en guerre avec Syracuse. L’importance de la position de Cythère fit accorder à ses habitants de douces conditions. Nicias leur donna une garnison d’Athéniens, mais ne leur imposa qu’un tribut de 4 talents.

Après avoir impunément ravagé pendant sept jours la Laconie, Nicias revint sur Thyrée, dans la Cynurie, où les Spartiates avaient établi les Éginètes. Il enleva la ville malgré le voisinage d’une armée lacédémonienne, qui n’osa la défendre, et ses prisonniers, envoyés à Athènes, y furent mis à mort. Le nouveau droit, si ce retour à la vie sauvage peut mériter un tel nom, s’affermissait, l’ennemi devenait un coupable, et la défaite équivalait pour le vaincu à une sentence tic mort. Il semble que ce soit aussi vers ce temps qu’il faille placer une tragédie, à laquelle on refuserait de croire si Thucydide ne l’affirmait, le meurtre des cieux mille hilotes les plus braves, pour affaiblir le corps tout entier par cette saignée abominable, et effrayer ceux de leurs compagnons que les succès d’Athènes auraient pu porter à la révolte. Jetés dans la stupeur par tant de revers et inquiets de voir la guerre établie en permanence autour de la Laconie, à Pylos, à Cythère et dans la Cynurie, les Spartiates étaient hésitants. Ils redoutaient quelque nouveau désastre, comme celui de Sphactérie, et n’avaient plus la même assurance. A chaque pas, ils croyaient commettre une faute et restaient irrésolus, craintifs, parce qu’ils n’avaient pas eu les leçons du malheur. Les Athéniens, par la raison contraire, étaient pleins de confiance dans leur fortune. Les Grecs de Sicile, ayant mis fin à leurs guerres par une réconciliation, les généraux qu’Athènes tenait dans ces quartiers acceptèrent d’être compris au traité. A leur retour, le peuple en condamna deux à l’exil et un à l’amende, sons prétexte qu’ils auraient put soumettre la Sicile et qu’ils s’étaient laissés gagner par des présents. Ce peuple prétendait que rien ne pouvait lui résister et, dans l’exaltation de ses espérances, il entendait que toute entreprise, praticable ou non, réussit[12]. C’était l’annonce de l’esprit de vertige dont il sera saisi quand Alcibiade fera décider la fatale expédition de Sicile.

Pour le moment, Démosthène, plus sage, ne proposait qu’une conquête qui aurait dû être faite ou tentée depuis longtemps. La discorde régnait à Mégare ; une faction à la fin chassa l’autre, mais les proscrits, retirés à Pagées, infestaient de là toute la Mégaride, que les Athéniens, de leur côté, venaient régulièrement ravager chaque année[13]. Une partie du peuple se lassa de cette situation et conspira pour ouvrir les portes aux Athéniens. Le complot échoua. Démosthène du moins en profita pour franchir les Longs durs, s’emparer de Nisée cet occuper l’île de Minoa à l’entrée de ce port. Brasidas, accouru dans Mégare, en ouvrit les portes aux exilés. On leur avait fait jurer l’oubli du passé : ils mirent à mort cent de leurs adversaires, et Mégare resta depuis ce temps soumise à la plus ombrageuse oligarchie.

Ainsi Athènes prenait partout l’offensive, et Sparte, paralysée, n’agissait plus; elle recourut encore au grand roi, avec de plus vives instances que parle passé, pour obtenir de lui des secours, trahissant  ainsi la cause de la Grèce entière et sa vieille gloire des Thermopyles. Les Athéniens arrêtèrent en Thrace le Perse Artaphernès. Dans la lettre dont il était porteur, le roi se plaignait de ne pouvoir comprendre les intentions des Spartiates, pas un de leurs envoyés ne lui disant la même chose, et, afin de s’entendre, il leur adressait un député. Athènes essaya de neutraliser ces efforts de Lacédémone, peut-être de la supplanter dans les bonnes grâces du roi. Elle renvoya honorablement Artaphernès en le faisant accompagner d’une ambassade. La Grèce allait donc avoir, dès ce temps, le honteux spectacle qui ne lui fut pas épargné dans la suite : les fils des vainqueurs de Salamine et de Platée aux pieds du successeur de Xerxès. Mais les députés apprirent, à Éphèse, la mort du grand roi et n’allèrent pas plus loin. Athènes n’en avait pas moins trahi par cette pensée malheureuse son histoire et ses destinées. Elle l’expia presque aussitôt par odes revers.

Le plan habile de Démosthène avait réussi ; le Péloponnèse était enveloppé d’un cercle de postes ennemis. Il restait à fermer l’isthme pour emprisonner les Spartiates dans leur presqu’île. On pouvait le faire en occupant Mégare, mieux encore en entraînant la Béotie dans l’alliance d’Athènes. La tentative sur Mégare ayant échoué, Démosthène se tourna vers la Béotie. Il avait des intelligences avec des habitants de Chéronée qui promirent de livrer la ville à un corps d’Athéniens parti sans bruit de Naupacte et que les Phocidiens seconderaient ; lui-même se chargeait de surprendre Siphées, sur le golfe de Crissa ; du côté de l’Eubée, le général athénien Hippocratès avait ordre de s’emparer de Délion. Ces trois coups de main devaient s’exécuter le même jour ; s’ils réussissaient, la Béotie serait comme le Péloponnèse enveloppée d’un cercle ennemi, et Thèbes séparée de Lacédémone. Mais trop de gens étaient clans le secret pour qu’il fiât bardé; l’ennemi eut le temps de se mettre sur ses gardes, et les trois corps athéniens, combinant mal leurs mouvements, perdirent l’avantage d’une attaque simultanée. L’entreprise sur Siphées et sur Chéronée manqua, et Hippocratès, en retard de quelques jours, vit accourir à lui toutes les forces béotiennes que le plan convenu avait pour objet de diviser. Il put toutefois occuper et fortifier le temple d’Apollon à Délion. Pour les Béotiens, changer un temple en forteresse était une profanation et parut l’être à beaucoup d’Athéniens qui en allèrent moins résolument au combat. Mille hoplites, avec leur chef, périrent dans l’action; contrairement aux usages consacrés, Thèbes laissa durant dix-sept jours, jusqu’à la prise de Délion, leurs cadavres sans sépulture, elle les traitait en sacrilèges dont l’âme errante devait trouver sa punition dans le monde infernal.

Socrate avait pris part à cette bataille. Avec son ami Lachès et quelques autres braves, il s’était retiré pas à pas devant la cavalerie thébaine; pendant qu’il montrait cette froide bravoure, Aristophane écrivait sa comédie des Nuées.

Sparte n’avait qu’un homme, celui qui avait sauvé Mégare, menacé le Pirée et failli faire échouer Démosthène à Pylos, Brasidas. Intelligent et brave jusqu’à l’audace, il possédait de plus une arme capable de faire, surtout en Grèce, de cruelles blessures, et que les Spartiates maniaient mal, l’éloquence. La mer lui était fermée ; il pensa que, sans quitter la terre, on pouvait atteindre Athènes dans sa fortune et dans sa renommée. Ce qu’elle avait fait contre Sparte à Pylos, à Cythère, à Méthana, Brasidas conseilla de le faire contre elle dans la Chalcidique et la Thrace. Ce n’était pas la même chose. Athènes avait réellement mis le Péloponnèse eu état de siège, et l’on ne pouvait, par des succès sur un point quelconque du continent grec, la tenir à son lotir assiégée. La mer était sa force ; c’est là qu’elle avait gagné l’empire ; là, qu’il fallait le lui enlever. Cependant, du côté de la Thrace, il y avait des coups sensibles à lui porter. Au commencement de la guerre, elle avait contraint le roi de Macédoine, Perdiccas, à entrer dans son alliance, et elle avait gagné l’amitié de Sitalcès, le puissant roi des Odryses, dont le territoire s’étendait de la mer Égée au Danube, et de Byzance aux sources du Strymon, sur une longueur de trente journées de chemin. A l’instigation d’Athènes, Sitalcès avait même envahi, en 429, la Macédoine avec une immense cohue d’hommes. Mais, depuis, son zèle s’était refroidi. Quant à Perdiccas, il n’avait jamais perdu une occasion de nuire en secret aux Athéniens. En ce moment même, il sollicitait Sparte d’envoyer une expédition sur les côtes de Thrace et dans la Chalcidique. Enlever à Athènes ces pays, d’où elle tirait des bois de construction, était l’attaquer dans sa marine et, en portant la guerre vers le nord, on l’éloignerait du Péloponnèse, qui souffrait depuis quelque temps bien des maux. Brasidas fait chargé de l’entreprise où Sparte ne s’engagea pas. On lui laissa lever sept cents hilotes qui furent armés en hoplites et mille Péloponnésiens qu’attirèrent les promesses de Perdiccas. C’était peu, mais il tenait en réserve, pour la politique, le mot magique et si souvent trompeur de liberté, qui allait lui ouvrir beaucoup de portes (424).

Sa petite armée devait traverser la Thessalie, pays rattaché à Athènes par un lien fragile, car les riches, qui y étaient très puissants, répugnaient à cette alliance. Brasidas, avec une souplesse de génie rare chez un Lacédémonien, se tira de toutes les difficultés, calma toutes les défiances, et, avançant pendant qu’on délibérait pour savoir si le passage lui serait accordé, il arriva sur les terres de Perdiccas. Ce prince voulait qu’il l’aidât à renverser Arrhabée, roi des Lyncestes ; Brasidas craignit de rendre le Macédonien trop fort. Entretenir des divisions dans ces contrées était le seul moyen d’y trouver des alliés. Il refusa son concours, tout en ménageant un traité entre les deux adversaires et se hâta d’entrer en Chalcidique. Dans la première ville qu’il rencontra, Acanthe, les sentiments étaient partagés. Brasidas demande à être introduit seul dans la ville ; il rappelle le désintéressement de Lacédémone, dont les magistrats lui ont promis, dit-il, par des serments solennels, de laisser sous leurs propres lois les peuples qui entreraient dans son alliance. À ces promesses de liberté, il joint des menaces : Nous n’aspirons pas à la domination ; mais quand nous travaillons à réprimer ceux qui veulent l’usurper, nous serions injustes envers le plus grand nombre si, en apportant à tous la liberté, nous vous laissions, avec indifférence, mettre obstacle à nos desseins. Les Acanthiens hésitaient à se séparer d’Athènes, dont ils n’avaient pas à se plaindre ; mais leurs raisins étaient mûrs et la vendange courait le risque d’être faite par Brasidas ; ils lui ouvrirent leurs portes.

Il s’empara de la même façon de Stagire ; Amphipolis elle-même tomba en son pouvoir. Il s’était introduit par surprise dans un des faubourgs de la ville ; comme elle se montrait disposée à résister, il gagna les habitants par la douceur des conditions qu’il leur offrit : il permettait à tous, Amphipolitains ou Athéniens, de rester, en conservant leurs droits et leurs biens; il accordait à ceux qui voudraient sortir, cinq jours pour emporter ce qui leur appartenait. Depuis longtemps la guerre ne s’était pas faite avec autant d’humanité, et c’était un Spartiate qui en donnait l’exemple ! Remarquons aussi le peu d’empressement des alliés d’Athènes à secouer un joug qui, d’après les faits, se montre moins odieux et moins dur que les réclamations des rhéteurs ne l’ont représenté.

L’approche d’un ennemi aussi actif que Brasidas et les coups qu’il avait déjà frappés auraient dû engager les généraux d’Athènes, dans cette région, à concentrer toutes leurs forces sur le continent et non loin d’Amphipolis, le principal établissement d’Athènes de ce côté. L’un d’eux était alors avec sept galères à Thasos, où il n’y avait rien à garder, puisque l’île n’était et ne pouvait être menacée ; accouru trop tard, il sauva cependant Éion, le port d’Amphipolis. Sur la proposition de Cléon, le peuple punit cette négligence d’un exil qui dura vingt années. La postérité doit a cette sentence un chef-d’œuvre où de fortes pensées sont exprimées dans un style d’une âpre concision : cet exilé était Thucydide, qui employa ses loisirs à écrire l’histoire de la guerre du Péloponnèse. Le vrai coupable, Euclès, le commandant d’Amphipolis, s’était laissé, surprendre.

Brasidas employa l’hiver à parcourir deux des trois péninsules rocheuses de la Chalcidique. Il y trouva de petites villes mal fortifiées, où il entra aisément. Une d’elles ayant essayé de se défendre, malgré le délabrement de ses murs, il égorgea ceux des Athéniens qu’il y prit. La presqu’île occidentale, celle de Pallène, lui échappa ; c’était la plus importante pour Athènes. Brasidas, en laissant à ces villes leur liberté, enlevait des sujets à Athènes; il n’en donnait pas à Lacédémone, qui n’avait d’ailleurs que faire de conquêtes en si lointaines régions. Aussi les succès de l’aventureux général étonnèrent la Grèce sans causer beaucoup de joie à Sparte, dont ils ne changeaient pas la situation dans le Péloponnèse, ni beaucoup d’ennui à Athènes. passé le moment de colère dont Thucydide avait été la victime. Privée de quelques cités sans importance, Athènes gardait son empire insulaire ; seule, la défection d’Amphipolis était un échec sérieux. Mais, utile pour opérer clans l’intérieur du continent, Amphipolis ne l’étain plus pour agir sur nier, tant qu’elle ne tenait pas le port d’Éion et, de cette place, les Athéniens pouvaient continuer pour leur compte l’exploitation des bois et des mines du mont Pangée, ou, du moins, gêner celle des Amphipolitains[14].

Le roi Pleistonax, exilé de Sparte depuis 445, pour avoir écouté les propositions de Périclès, s’était réfugié sur le mont Lycée en Arcadie, auprès du temple vénéré de Zeus, afin d’y trouver au besoin un asile. Il avait vécu là dix-neuf ans. La Pythie de Delphes, gagnée par lui, ajoutait, à toutes ses réponses aux députés spartiates qui la venaient consulter : Rappelez le rejeton d’Hercule, fils de Jupiter, si vous ne voulez être contraints de labourer vos champs avec des socs d’argent, ce qui, en style d’oracle, voulait dire : Ramenez Pleistonax si vous ne voulez être réduit à entreprendre ce qu’il vous sera impossible d’exécuter. Les partisans de la paix provoquèrent le rappel de l’exilé, qui revint avec l’idée de finir l’interminable guerre.

Athènes n’était pas pour le moment plus belliqueuse. Elle tenait prisonniers les Spartiates de Pylos, mais elle venait de perdre : à Délion, mille de ses citoyens ; à Amphipolis, les clefs de la Macédoine et de la Thrace, pays d’où lui arrivaient des matières premières pour ses arsenaux, des archers pour ses troupes, des rameurs pour ses navires. Les riches, qui portaient les principales charges de la guerre, trouvaient que la forteresse du Strymon donnait an peuple la dangereuse tentation d’intervenir dans ces régions barbares ; et, en vérité, l’empire d’Athènes devenait plus vulnérable, à mesure qu’il s’étendait en des lieux où sa flotte ne pouvait aller le défendre. Aristophane, l’ami des grands, faisait alors représenter ses sanglantes satires de la politique guerroyante des démagogues qui conduisaient la démocratie athénienne. Ce n’est pas faire, une hypothèse téméraire de supposer que, parmi les assistants, le rire moqueur se continua sur la place publique, après avoir éclaté au théâtre. La comédie corrige bien rarement, mais quelquefois elle éclaire et, en voyant naître, vers ce temps-là, des dispositions pacifiques, on serait tenté de croire qu’elle avait réussi.

Athènes et Sparte, en effet, semblèrent, à cette heure, d’accord : l’une pour diminuer ses dépenses, l’autre pour recouvrer ses captifs qui appartenaient aux plus influentes familles de la cité. Une trêve d’un an (mars 423) suspendit les hostilités, à la condition que chacun conserverait ce qu’il possédait. Les peuples de la ligue péloponnésienne furent autorisés à naviguer sur les mers qui baignaient leurs côtes et sur celles de leurs alliés; mais il leur était interdit d’employer des vaisseaux longs c’est-à-dire des galères de combat. Les signataires du traité devaient garantir à tous le libre accès du temple et de l’oracle d’Apollon Pythien ; ne point recevoir les transfuges, libres ou esclaves, protéger les hérauts et députés qui voyageraient par terre ou par mer pour accommoder des différends ; enfin, faciliter par tous les moyens la conclusion d’une paix définitive.

Tandis que ce traité se concluait à Athènes, Brasidas entrait à Scioné, dans la presqu’île de Pallène, reçu à bras ouverts par les habitants, qui lui décernèrent une couronne d’or et lui ceignirent la tête de bandelettes, comme un athlète victorieux. Cette conquête avait suivi de deux jours la conclusion de la trêve ; elle devait être restituée ; Sparte s’y refusa, et la guerre recommença. Nicias, arrivé avec des forces considérables, reprit Scioné, puis Mendé, que le peuple lui livra, et ramena Perdiccas dans l’alliance d’Athènes, tandis que Brasidas échouait dans une tentative sur Potidée. L’année suivante Cléon fut nominé général. Il voulait qu’Athènes fit un vigoureux effort de ce côté, comme naguère à Pylos, et il avait raison ; car il fallait arrêter les progrès de Brasidas. Il s’empara d’abord, avec quelque habileté, de Toroné et de Galepsos, puis s’établit à Éion, pour y attendre des auxiliaires qui lui venaient de Thrace et de Macédoine. Mais ses soldats l’entraînèrent jusqu’en face d’Amphipolis. Brasidas était dans la ville ; il surprit les Athéniens dans un faux mouvement, et remporta une victoire complète qu’il paya de sa vie. Cléon périt aussi dans l’action. Selon Thucydide[15], il prit un des premiers la fuite ; selon Diodore, il mourut en homme de cœur. Brasidas, pleuré de tous les alliés, qui suivirent en armes son convoi, eut les funérailles des anciens héros. Son tombeau fut entouré d’une enceinte consacrée, et l’on institua en son honneur des jeux et des sacrifices annuels (422).

La mort de ces deux hommes rendait la paix facile. Brasidas entretenait la guerre par son activité et ses succès, Cléon par ses discours. Si Athènes, qui venait d’éprouver un grave échec, perdait de sa confiance, Sparte n’en gagnait point, car la victoire d’Amphipolis avait été remportée, non par des troupes nationales, mais par des mercenaires sur lesquels on ne pouvait compter, et elle voyait durer, depuis dix ans, une guerre qu’elle avait entreprise avec l’espoir de renverser, en se jouant, la puissance athénienne ; une autre allait peut-être éclater à ses portes, la trêve de trente ans conclue avec les Argiens étant sur le point d’expirer ; enfin ses places maritimes étaient toujours occupées par l’ennemi, ses meilleurs citoyens toujours captifs. Dans les deux villes, l’influence revenait aux pacifiques : à Athènes, au prudent Nicias ; à Lacédémone, au débonnaire Pleistonax. Tous deux conseillèrent la paix ; elle fut conclue en avril 421. Il y eut deux traités.

Le premier commençait, selon l’usage, par garantir à tous les Grecs la faculté d’offrir des sacrifices à Delphes, d’y consulter l’oracle, d’y envoyer des théories. Il fut convenu que chacun rendrait ce qu’il avait pris dans la guerre ; excepté que les Thébains garderaient Platée, et qu’en échange les Athéniens conserveraient Nisée, dans la Mégaride, Anactorion et Sollion, dans l’Acarnanie. On stipula que ce qui aurait été décrété par la majorité des alliés les engagerait tous, à moins qu’il n’y eût empêchement de la part des dieux et des héros. Tous les alliés, sauf Corinthe, Mégare et les Éléens, acceptèrent ces conditions. Enfin il fut réglé que la paix serait confirmée par un serment renouvelé chaque année, et inscrit sur des colonnes à Olympie et à Delphes, sur l’isthme au temple de Poséidon, à Athènes dans la citadelle, à Lacédémone dans l’Amycléon.

Un des articles du traité portait que, de part et d’autre, les prisonniers seraient rendus. Quand ceux de Sphactérie arrivèrent, on les dégrada de leurs droits de citoyens, afin de relever le renom du courage spartiate, en montrant que Lacédémone n’avait pas compris qu’ils eussent pu composer avec, le devoir, même en face de la mort. Il est vrai que, peu de temps après, on les rétablit élans leur première condition.

Les Argiens, en voyant le mécontentement des alliés de Sparte, crurent le moment favorable pour réclamer la Cynurie. Sparte, qui les redoutait peu, tant qu’ils seraient seuls, les empêcha de s’unir à Athènes, en signant avec cette ville un second traité, particulier cette fois aux deux États, et qui stipulait entre eux, pour cinquante ans, une alliance offensive et défensive, et une mutuelle assistance en cas d’attaque ou de révolte des esclaves. Ce dernier point ne regardait que Lacédémone, et révèle sa constante anxiété.

Le premier de ces traités, qui vint mettre un terme passager aux maux que les peuples souffraient depuis plus de dix années, porta le non, de l’homme honorable qui avait contribué à sa conclusion : on l’appela la paix de Nicias. Mais à qui avait profité tant de sang répandu ? Sparte n’avait accru ni sa gloire ni ses forces : Athènes gardait son empire, et les peuples n’avaient renoncé que pour un moment aux haineuses passions qui les avaient. armés les uns contre les autres. Personne n’y avait gagné, et la civilisation y avait perdu ce que dix années de paix eussent ajouté d’éclat au siècle de Périclès.

 

 

 



[1] L’oligarchie de Mytilène interdisait à ses sujets d’enseigner à leurs enfants les lettres et la musique. Élien, du moins, le dit (Histoires variées, IX, 17).

[2] Thucydide, III, 17. Dans sa première Philippique, Démosthène parle d’une drachme par jour pour la nourriture de chaque cavalier et de 10 drachmes par mois pour celle d’un fantassin.

[3] Thucydide, II, 67.

[4] Il paraît, d’après le scholiaste d’Aristophane, que ce fut Cléon qui fit porter l’indemnité des juges à 3 oboles. Il a dû contribuer aussi au vote de la loi de 425 qui doubla le tribut des alliés, élevé alors à 12 ou 1300 talents. Andocide, Sur la Paix, 69 : πλέον ή διαxόσια xαί χίλια τάλαντα. Plutarque (Aristide, 40) dit aussi 1300 talents.

[5] Thucydide (III, 50) dit un peu plus de mille.

[6] Thucydide (III, 23) parle de glace qui, couvrant les fossés que la pluie avait remplis d’eau, se brisait sous les pieds.

[7] Les dieux ne devaient pas voir un mort. Apollon, l’hôte d’Admète, s’éloigne lorsque Alceste va mourir ; Artémis quitte Hippolyte avant qu’il expire : Adieu, lui dit-elle, reçois mon dernier salut ; il ne m’est pas permis de voir un mort. La Junon de l’Énéide abandonnera de même Turnus à l’approche de sa dernière heure. Chez les Romains, la rencontre d’un mort causait une souillure qui exigeait une purification.

[8] Délos est aujourd’hui déserte et complètement dévastée. Depuis mille ans et plus, les habitants des îles voisines, Mykonos, Ténos et Syros, ont considéré ses monuments comme nue carrière. Ils ont brûlé les marbres les plus précieux pour en faire de la chaux (Lebègue, Recherches sur Délos). Cependant MM. Homolle, Hauvette, S. Reinach, etc., viennent d’y exécuter d’heureuses fouilles qui ont fait découvrir beaucoup d’inscriptions, de nombreuses sculptures et reconnaître les assises de plusieurs temples, celles aussi des magasins qui furent construits, quand, sous la domination romaine, Délos devint le grand emporium de la mer Égée.

[9] Dans l’Andromaque d’Euripide, jouée en 425, on trouve, contre Sparte, une explosion de colère ou le poète répondait à celle de ses auditeurs.

[10] Les Chevaliers furent joués au commencement de 424 ; les Acharniens avaient été représentés l’année précédente.

[11] Dès l’année 428, les trésors des dieux et les réserves de l’État, moins les 1000 talents gardés pour un cas extrême, étaient dépensés, et il fallait déjà que les administrateurs des liens religieux fissent, à la République, des avances sur le revenu annuel des temples. L’είσφορά, ou impôt mis sur les riches pendant le siège de Mytilène, donna 200 talents. Le tribut des alliés, à peu près doublé en 425, produisit alors 12 à 1300 talents.

[12] Thucydide, IV, 55 et 65.

[13] Aristophane montre dans les Acharniens (v. 760 et sq.), la profonde misère des Mégariens. Un d’eux vient vendre à Dicéopolis ses deux enfants pour une botte d’ail et un peu de sel.

[14] Ces mines d’or et d’argent étaient très riches, mais ne rendaient pas tout ce qu’une exploitation paisible aurait pu eu tirer à cause du voisinage des tribus belliqueuses des Besses et des Satres (Cf. Hérodote, VII, 142 ; Appien, B. C., IV, 106 ; Heuzey, Mission arch. de Macédoine). Celles qui étaient en exploitation régulière appartenaient à des villes ou à des particuliers ; Thucydide en possédait à Scapté-Hylé, et l’île de Thasos, qui n’est qu’à 7 kilomètres de la terre ferme, en avait sur le continent ; aussi le tribut qu’elle payait à Athènes était-il de 30 talents, comme celui que Paros donnait, à cause de ses carrières de marbre. Pline (XXI, 10) note que, sur les pentes du mont Pangée, la rose à cent feuilles poussait naturellement.

[15] N’oublions pas que, d’après un des biographes de Thucydide, Cléon était l’auteur du bannissement de ce général. Quant à Aristophane, il avait eu de nombreux démêlés avec lui. Dans la comédie des Grenouilles, représentée bien longtemps après, en 405, il laisse échapper un mot qui expliquerait les animosités du parti oligarchique contre Cléon. Hercule avait volé les provisions de deux cabaretières ; l’une dit à l’autre : Va, appelle Cléon, notre protecteur, et Hyperbolos, que nous perdions ce misérable. Ainsi Cléon prenait, à Athènes, la défense des petits, système habituel aux démagogues. Un riche, dit M. Grote, sollicitait l’éloquence vénale d’Antiphon ; le pauvre implorait l’assistance gratuite de Cléon.