HISTOIRE DES GRECS

QUATRIÈME PÉRIODE — SUPRÉMATIE D’ATHÈNES (479-434) - GRANDEUR DES LETTRES ET DES ARTS.

Chapitre XXII — Les lettres et les arts hors d’Athènes au cinquième siècle.

 

 

I. Le progrès de la culture intellectuelle dans tout le monde grec

Chaque peuple grec de ce temps n’a pointa sa tête un homme comme Périclès dont on puise, sans trop d’adulation, donner le nom au siècle que nous étudions; niais ceux qui ne cultivent ni les arts ni les lettres, au moins les comprennent, et par leur enthousiasme donnent l’inspiration aux artistes et aux poètes. lux fêtes de Delphes et d’Olympie, en face de la plus belle nature, sur un sol comme imprégné de divinité et de poésie, sous ce ciel transparent qui jamais ne pèse lourdement sur les âmes, voici que se déroule, le long des rampes du Parnasse ou sur les rives de l’Alphée, les théories qui entourent les victimes sacrées, ou l’immense cortège qui suit le poète, le musicien et les athlètes vainqueurs. La foule s’arrête : c’est Hérodote qui récite quelques passages de ses histoires ; ou ce sont les rapsodes qu’un décret publie appelle à chanter les vers d’Homère, d’Hésiode, et d’Empédocle ; ou quelque tableau, une statue nouvelle, qu’un artiste expose aux regards. Car ces fêtes sont la publique exhibition de toutes les sortes d’adresse, de courage et de talent. Si la force et l’agilité, qualités essentielles d’un peuple militaire, y reçoivent des couronnes, la beauté dans toutes ses manifestations, qu’elle vienne du corps ou de l’âme, du travail des mains ou des efforts de l’intelligence, y a obtenu un souverain empire. Mais comme le mal se mêle toujours au bien dans notre fragile nature, le Grec va si loin dans ce culte nouveau, qu’il en pervertit les instincts les plus vrais du coeur. Un adolescent aux formes élégantes lui inspire autant d’amour que la plus belle des vierges[1].

De ces fêtes chacun rapporte dans sa cité natale le goût des belles choses qu’il vient d’admirer. Alors les villes rivalisent de magnificence ; l’architecture et la statuaire multiplient leurs œuvres, que les Grecs, guidés par leur instinct d’artistes, placent presque toujours en des sites admirablement choisis[2]. Platée demande à Phidias un colosse d’Athéna et une statue de Zeus ; Lemnos, une autre Minerve, que l’antiquité appela la belle Lemnienne ; Delphes, une Diane et un Apollon, Olympie, cette statue de Jupiter qui rendit visible la majesté du maître des dieux[3]. Delphes et Corinthe instituent des concours de peinture, où Panénos est vaincu par Timagoras de Chalcis qui, clans un poème, chante lui-même sa victoire ; où Polygnote de Thasos remporte un si éclatant triomphe que les amphictyons lui donnent les droits de l’hospitalité dans toutes les cités grecques. Sicyone, dont l’école de peinture succédera à celle d’Athènes, a déjà Polyclète, l’émule heureux de Phidias qu’il surpassa peut-être par la correction du dessin et les Argiens vont lui demander une statue colossale de Junon, en ivoire et en or, dont ils puissent se glorifier, comme Athènes de sa Minerve. L’artiste réussit, et passa pour avoir aussi bien réalisé le type de la beauté noble et pure de Junon que Phidias avait reproduit l’imposante grandeur du souverain des dieux. Olympie vante son temple, Delphes son sanctuaire, dont deux Athéniens, Praxias et Androsthénès, ont sculpté le fronton. Égine, rocher stérile, a pourtant cinq temples, dont les ruines ont gardé pour nous de précieux débris; Épidaure, le plus magnifique théâtre de l’antiquité; Tégée, le temple le plus vaste du Péloponnèse.

Argos, punie de son isolement par la stérilité de son génie, n’a pas donné de successeur à la poétique et guerrière Télésilla ; tout au plus a-t-elle quelques musiciens et un statuaire, Agéladas, qui eut l’honneur de former les trois plus grands sculpteurs de. ce. temps, Phidias, Myron et Polyclète de Sicyone, les chefs d’une nouvelle école qui, donnant la vie au marbre et au bronze, commença, si l’on peut dire, la sécularisation de l’art. Corinthe a bâti des sanctuaires à tous les dieux de l’Olympe, et les décore avec magnificence; mais il lui a fallu pour les construire la main d’artistes du dehors ; comme si l’art, importation étrangère, n’était, chez elle, qu’un luxe dont ses riches marchands trouvent de bon goût de se parer. N’entrons pas à Sparte ; nous cherchons le génie, il n’y a là que de la force, et trop souvent une théâtrale vertu. Sales Pindare, Thèbes, la Béotienne, ne nous attirerait pas davantage ; encore l’a-t-elle laissé fuir à la cour d’Hiéron.

Les îles et les colonies fournissent aussi leur contingent de grands hommes; Héraclée donne, Zeuxis ; Éphèse, Parrhasios, dignes rivaux qui payèrent l’admiration des Athéniens, l’un en faisant le portrait allégorique de ce peuple violent et doux, humble et glorieux, plein de grandeur et de faiblesse[4] ; l’autre, en peignant pour lui cette Hélène que le peintre Timomachos de Byzance contemplait deux heures chaque jour. Cos produisait un des plus vigoureux esprits dont la Grèce s’honore, Hippocrate, qui ne fut pas seulement le père de la médecine, mais un grand philosophe. Polygnote était de Thasos, mais Cnide l’adoptait en lui faisant peindre pour elle, sur les murs de la Lesché, à Delphes, la prise de Troie et la descente d’Ulysse aux enfers. C’est dans une de ces îles qu’a été trouvée la plus belle statue que notre musée possède, la Vénus de Milo, d’un style large et simple, et si chaste dans sa nullité, si imposante et si noble, sans effort : vera patuit dea[5].

La Grande-Grèce, d’un génie plus sévère, était moins riche d’artistes que de législateurs et de philosophes. Elle avait eu Zaleucos de Locres, dont nous savons peu de chose, Pythagore et son institut fameux, l’école d’Élée d’oie était sorti Zénon, le disciple favori de Parménide et un des maîtres de Périclès. En Sicile, Agrigente et Syracuse rivalisaient d’efforts. L’une répétait avec orgueil les vers d’Empédocle, où Aristote sentait respirer le génie d’Homère ; elle appelait Zeuxis dans ses murs, et faisait poser devant lui les plus belles de ses filles pour que de. leur beauté réunie l’artiste composât la beauté divine de Junon. Déjà aussi elle pensait à bâtir son temple de Jupiter, la plus colossale construction que les Grecs aient élevée[6]. L’autre n’avait pas encore les plus illustres de ses concitoyens, Archimède, Théocrite et Moschos ; mais Hiéron attirait à sa cour brillante les poètes qu’avaient chassés de leur patrie l’orgueil blessé ou l’ambitieux désir des faveurs royales. Simonide de Cos, Pindare et Eschyle y étaient venus. Épicharme, philosophe et poète, y avait joué la première comédie.

De l’autre côté de la Grèce, au fond de l’Euxin, à Sinope, naîtra bientôt Diogène le cynique; à Abdère, sur la côte de Thrace, vivait encore Démocrite, de qui Cicéron disait : C’est à la source de ce grand homme qu’Épicure a puisé pour arroser ses petits jardins[7]. On raconte que, ruiné par de longs voyages, il allait être noté d’infamie comme dissipateur ; pour sa défense, il lut au peuple son Diacosmos, une théorie de l’univers, et ses concitoyens éblouis lui rendirent plus qu’il n’avait perdu à chercher la sagesse. La vie intellectuelle baissait dans les colonies, plus préoccupées à présent des riches cargaisons qui entraient dans leurs ports que de l’art et de la philosophie qu’elles avaient tant aimés. Hérodote s’était éloigné d’Halicarnasse, comme Anaxagore de Clazomène, et Parrhasios d’Éphèse.

 

II. Les poètes et les historiens ; les philosophes et les médecins

Après cette course rapide à travers le monde hellénique, revenons à quelques hommes supérieurs, pour mieux marquer leurs traits et montrer la part qui leur revient dans l’œuvre de la civilisation de l’Hellade.

En dehors d’Athènes, la Grèce eut, à la fin du sixième siècle et dans le cours du siècle suivant, cinq poètes renommés et un historien que nous lisons encore : Simonide de Céos, Épicharme de Cos, Empédocle d’Agrigente, Anacréon de Téos, le Béotien Pindare et Hérodote d’Halicarnasse.

J’ai parlé déjà du premier qui, par le charme de ses vers, avait mérité d’être mis à côté de Pindare, dont il avait aussi les croyances religieuses : Zeus, dit-il, tient dans sa main la fin de tout ce qui est, et il dispose de toutes choses selon sa volonté. Mais l’histoire n’a rien à demander à ce grand lyrique, si ce n’est son héroïque épitaphe de Léonidas.

Épicharme était de race dorienne par la langue et par le caractère sentencieux de quelques-uns de ses vers, ruais il ne l’était point par la nature de son esprit, puisqu’il fut poète comique très fécond, fort applaudi des Syracusains et admiré d’Horace, qui le met au-dessus de Plaute. Comme il écrivit à la cour d’Hiéron, où il était en grande faveur, et que ce prince ne se serait pas accommodé de la liberté aristophanesque, Épicharme, ne pouvant s’attaquer aux rois, s’en prit aux hommes et aux dieux. Ses comédies furent des pièces à caractères ou des parodies irrévérencieuses des légendes mythologiques[8].

On sait qu’il inventa, comme personnage comique, le parasite, qui fit, à Rome, si brillante fortune, et nous verrons plus tard comme il traitait les Olympiens. Nous n’avons à peu près rien gardé de lui, et c’est sur des vases peints de la Grande-Grèce qu’il faut aller chercher quelques-uns de ses personnages[9].

Ceux qui veulent faire d’Épicharme un philosophe le rattachent, à l’école pythagoricienne. Il n’a droit sans doute à ce titre que pour quelques sentences graves, telles qu’on en trouve ça et là dans toute œuvre poétique. Théocrite écrivit sur la statue de bronze que Syracuse lui éleva : Il a dit beaucoup de choses utiles à la vie et laissé un trésor de sages préceptes. Platon, oubliant son jugement sur l’auteur des Nuées, fait d’Épicharme le maître des poètes comiques[10].

Empédocle d’Agrigente qui, par certains côtés, se rattache à l’école pythagoricienne et à celle des Éléates, fut un grand poète et un homme d’action[11]. Il donnait des constitutions aux villes, desséchait les marais pestilentiels[12], barrait le haut des vallées pour arrêter les vents funestes et connaissait les remèdes qui sauvent de la mort. Platon et Aristote l’admirent ; Lucrèce l’a chanté. C’était un homme de génie, mais le génie confine parfois à la folie : Empédocle se crut dieu et le fit croire, ce qui, chez les anciens, n’était pas difficile, quand on avait la richesse, le génie ou la puissance. Amis, dit-il en tête de son poème des Purifications, vous qui habitez les hauteurs de la grande ville baignée par le blond Acragas, zélés observateurs de la justice, salut ? Moi qui ne suis pas un homme, mais un dieu, je viens à vous, ceint de bandelettes et couronné de fleurs. A mon entrée dans les villes florissantes, hommes et femmes se prosternent. Tous me suivent implorant ce qui leur est profitable. Les uns me demandent des oracles et le sentier qui conduit au bonheur, les autres les remèdes puissants qui les guériront[13]. Il prétendait avoir des secrets pour arrêter la vieillesse, exciter ou contenir les ouragans et faire sortir les morts des enfers : c’était un illuminé. Il enseigna quelque temps à Athènes et lut aux jeux olympiques, au milieu d’acclamations enthousiastes, son poème des Purifications.

Malgré ces triomphes, il y avait dans son âme un écho de la tristesse d’Hésiode. Il croyait à un péché originel, à une déchéance de l’homme qui expie dans la vie présente des fautes passées[14]. Triste race des mortels, dit-il au commencement de son livre, race malheureuse ! de quels désordres êtes-vous sortis ? Pour moi, je suis tombé d’un comble de bonheur parmi les hommes et j’ai gémi à la vue de cette terre qu’habitent le meurtre, l’envie et les autres maux. Il croyait à l’expiation par la métempsycose. L’âme errait pendant trente mille ans d’un corps dans un autre et descendait jusque, dans les végétaux, où elle devenait la force vitale de la plante : idée singulière, mais qui, réduite à n’être que l’expression d’une ressemblance entre les principales fonctions de la vie dans la nature organisée, a fait de nos jours une brillante fortune[15]. De cette vue doctrinale ! Empédocle concluait que tous lu êtres vivants devaient être respectés, puisque dans l’un d’eux, même dans le plus humble, pouvait se cacher l’âme d’un parent. Ces âmes immortelles finissaient pourtant, lorsqu’elles avaient pratiqué la vertu, par jouir d’un bonheur sans fin.

Empédocle disparut obscurément. Les Agrigentins n’acceptèrent pas cette fia modeste qui ne convenait ni à l’éclat de sa vie ni aux merveilles qu’on lui avait attribuées : on pensa que, pour pénétrer le grand mystère des feux volcaniques, ou pour faire croire par une subite disparition qu’il avait été ravi au ciel, il s’était précipité dans le cratère enflammé de l’Etna. Le volcan garda le téméraire, mais rejeta sa sandale.

Ses doctrines philosophiques, mélange de physique et de théologie, sont confuses. D’où viennent les vicissitudes des choses, la séparation des éléments la formation du monde et tous les phénomènes qui s’y produisent ? De la domination de deux principes contraires, l’Amour et la Discorde, dont l’influence s’exerce par des milliers de bons et de mauvais génies. Et d’où vient cette domination alternante qui pousse, d’un côté, à l’unité absolue, de l’autre, à l’absolue multiplicité ? Qui rend inévitables la naissance et la mort, le mélange des parties et leur dissolution ? Une seule cause produit ces transformations, la Nécessité. Au fond, le dieu suprême d’Empédocle n’est pas l’Intelligence, dont il a parlé une fois après Anaxagore, c’est l’ancien dieu des poètes, le Destin. Mais à cette vieille théologie Empédocle ajoutait la conception dualiste du Bien et du Mal, du Plaisir et de la Douleur, du Juste et de l’Injuste, qui, sous une forme inconsciente ou réfléchie, se trouve au fond de toutes les religions, parce que ce dualisme est dans la nature humaine et dans la vie universelle qui nous enveloppe[16].

Anacréon et Pindare n’intéressent que l’histoire littéraire. En parlant du poète, Platon l’appelait chose légère, ailée et sacrée. De ces trois mots, les deux premiers conviennent au vieillard de Téos, qui aimait à trouver près de lui le jeune Bathylle, et à voir le vin rire dans une coupe d’or[17] ; mais tous trois semblent faits pour Pindare, qui reçut de ses compatriotes des honneurs divins et qu’Alexandre admira presque à l’égal d’Homère. Aujourd’hui, il ne séduit plus que de fins lettrés[18], parce que ses odes n’ont pas, comme les œuvres de Phidias, une beauté de tous les temps : elles charment sans émouvoir, et, pour les comprendre, la connaissance approfondie de la vie grecque est nécessaire. Nous avons déjà noté, pour le compte de l’histoire, qu’il est encore très religieux, tandis qu’Épicharme ne l’est plus, et qu’au sujet de la vie future il en est resté aux idées d’Homère : le séjour des bienheureux réservé aux victorieux et aux puissants[19].

L’histoire est née dans l’Ionie. La Grèce continentale, trop occupée de ses légendes, se contentait des chants de ses poètes et des drames puissants d’Eschyle et de Sophocle. Nais, dans les commerçantes cités de la côte d’Asie, retentissaient les grands coups que les conquérants frappaient en Égypte ou en Asie, et ils éveillaient une curiosité intéressée. Cadmos de Milet n’avait raconté, au sixième siècle, que la fondation de sa ville ; mais son compatriote, Hécatée, qui florissait au temps où les Ioniens songeaient à braver la puissance persique, fut un grand voyageur. Il rédigea un Tour du monde dont les deux livres étaient intitulés l’un l’Europe, l’autre l’Asie, et il écrivit les généalogies de quelques familles illustres, sans accepter le merveilleux dont la légende avait enveloppé certains noms : pour lui, Cerbère était un serpent qui hantait le cap Ténare. Ce scepticisme naissant ne l’empochait pas de croire que lui-même descendait des dieux[20]. Hécatée fut, comme historien et géographe, le précurseur d’Hérodote, qui le laissa bien loin derrière lui.

Hérodote était citoyen de la ville dorienne d’Halicarnasse en Carie ; mais, après ses grands voyages, il vint à Athènes, aima les Athéniens et célébra leurs exploits. On dit qu’après une lecture publique de certains passages de son histoire, qu’il fit à la fête des grandes Panathénées, un décret du peuple lui accorda 10 talents. Il a gardé près de nous sa popularité, car, sans lui, nous n’aurions de la grande lutte entre la Grèce et l’Asie que les échos sonores de Marathon et des Thermopyles. Ses récits ressemblent si bien à un poème épique, que les Grecs lui donnèrent les noms des neuf Muses. Il regarde partout, jusque dans les coins ténébreux où se cachent les légendes domestiques, de sorte qu’il mile souvent le roman à l’histoire, et c’est le charme de son livre. Comme Pindare, il représente, avec une curiosité toute nouvelle, les anciens temps où les dieux et leurs oracles étaient respectés, où dominait encore la divinité fatale, la Némésis jalouse qui, sans raison apparente, ou par des raisons qui n’en sont pas, abat les fortunes les plus hautes, anéantit les races royales et asservit les peuples ou les délivre[21]. Par ce caractère de son livre, Hérodote fait penser à Bossuet. Rapprocher ces deux noms paraîtra singulier, le puissant orateur semble n’avoir rien de commun avec le conteur charmant. Mais tous deux croient à un gouvernement du monde par l’action divine. C’est elle qui élève et renverse les empires. Rois et grands de la terre sont à leurs yeux dans la main de ce qui est, pour les Grecs, le Destin, pour Bossuet, la Providence, et pour la philosophie, l’expiation des fautes, ou le succès conquis par la sagesse et l’héroïsme. Cependant une pointe de l’esprit nouveau perce dans les paroles d’Hérodote, lorsque, racontant la peste qui décima l’armée persique, il l’attribue à la famine et non pas à la colère d’Apollon (VIII, 115) ; ou lorsqu’il explique la formation de la vallée de Tempé par un tremblement de terre, et non point par un coup du trident de Neptune (VII, 129). II annonce l’ère nouvelle qui approche, celle de la politique raisonnée, dans le débat qu’il suppose, entre les meurtriers des Mages, sur l’avantage et les inconvénients de la royauté, de l’oligarchie et du gouvernement populaire (III, 80). Il serait même de ce temps si, en écrivant que le succès est réservé aux résolutions prises conformément à la raison, la défaite à celles qui lui sont contraires, il n’ajoutait : car le dieu n’aime pas à aider aux résolutions humaines (VIII, 60). Ces dernières paroles le replacent dans l’époque où régnait la Némésis divine.

Thucydide et Hérodote sont contemporains, car l’un n’a précédé l’autre au tombeau que de quelques années[22], mais, par leur esprit, ils appartiennent à deux âges différents de la Grèce. Les explications commodes de l’écrivain d’Halicarnasse ne suffisent plus à la curiosité virile de l’historien de la guerre du    Péloponnèse, et Thucydide dédaigne cet esprit qui se tient à la surface des choses. La postérité, plus juste, partage entre eux sa reconnaissance.

Anaxagore, Démocrite, le Crétois Diogène et surtout Socrate, commencent, au cinquième siècle, la grande époque de la philosophie. J’ai dit pourquoi je ne m’occuperai pas en ce moment du maître de Platon, mais je dois parler de deux hommes supérieurs, Anaxagore et Démocrite, qui ont engagé l’esprit hellénique dans des voies nouvelles.

Anaxagore, né vers l’an 500 à Clazomène, vécut trente ans é Athènes, dans l’intimité de Périclès, qui le sauva en 431 d’une accusation d’impiété, mais non de l’exil. Il enseignait que le soleil n’était qu’une pierre enflammée et il donnait le même caractère aux astres. C’était bien irrévérencieux pour Apollon, Hélios et toutes les divinités que la piété populaire confondait avec les étoiles. Le surnaturel était du coup frappé au cœur, et, jusqu’alors, la Grèce en avait vécu. Il prévint le jugement et ses conséquences en se réfugiant à Lampsaque, où il mourut vers 424.

Comme tous les philosophes de l’école ionienne, il chercha une explication du monde sensible, et les anciens l’ont appelé le grand physicien, ce qui lui valut les dédains de Platon. Pour lui, la matière est éternelle, mais variable dans ses éléments. Rien ne naît, disait-il, rien ne périt ; ce qui est se mêle ou se sépare, se confond ou se distingue. La naissance est une composition, la mort une décomposition. Un moderne ne parlerait pas autrement. La force qui impose ces modifications à la matière n’est ni le destin, qui a trop longtemps régné dans les croyances, ni le hasard, mot commode pour cacher notre ignorance ; c’est l’Esprit. Empédocle, qui était poète, explique le mouvement par l’action contraire de deux puissances mythiques, l’Amour et 1a Haine. Les atomistes ne voyaient dans l’univers que des effets mécaniques produits par la pesanteur des atomes ; Anaxagore enseigna l’existence d’une force incorporelle, immuable, pensante et active, qui ne crée pas la matière, mais qui la coordonne. Toutes choses étaient confondues, dit-il, l’Intelligence, cause formatrice et principe de mouvement, mit l’ordre dans le chaos. La matière étant agitée par elle circulairement, les parties pesantes se réunirent au centre, les parties légères à la circonférence. C’est pourquoi la terre est au milieu de l’univers. Au-dessus d’elles sont les eaux, puis l’air, dont le tourbillon la soutient à la place qu’elle occupe; plus haut, enfin, le feu, qui a enflammé certaines parties solides, détachées de la terre par la violence de la rotation, telles que le soleil et les étoiles. Sur la pluie, le vent, les éclipses, etc., ses idées se rapprocheraient des nôtres, et l’on trouverait encore une certaine ressemblance doctrinale entre lui et les penseurs modernes qui admettent l’uniformité du plan dans la création des êtres du règne organique. L’Intelligence d’Anaxagore, qui est l’âme du monde, se répand en tout et forme les âmes particulières de l’homme, de l’animal, de la plante. Elle est en tous identique à elle-même, mais elle agit en eux, selon que l’organisation du corps qui l’enferme le lui permet. Ainsi l’homme est supérieur à l’animal parce qu’il a des mains et une voix ; l’animal l’est à la plante parce qu’il a plus d’organes, conséquemment plus de fonctions. Privée, de ses instruments nécessaires, l’Intelligence reste inactive, et les âmes particulières, parcelles de l’âme universelle, meurent avec le corps qui se dissout, ou tout au moins perdent leur individualité spirituelle.

L’impression produite par cette doctrine fut très vive. Un siècle plus tard, Aristote parlait encore du philosophe de Clazomène avec admiration. Quand un homme vint proclamer que c’est une Intelligence qui, dans la nature aussi bien que dans les êtres animés, est la cause de l’ordre et de la régularité qui éclatent partout dans le monde, ce personnage fit l’effet d’avoir seul sa raison, et d’être en quelque sorte à jeun après les ivresses extravagantes de ses devanciers[23].

Mais l’Intelligence d’Anaxagore qui, afin de pourvoir à l’organisation du monde, avait l’omniscience et la pensée, n’avait pas la connaissance du bien et du juste. Elle était une force intelligente de la nature ; elle n’était pas le dieu personnel de la conscience ; il lui manquait le gouvernement moral du monde. Du moins l’architecte du cosmos était trouvé et une route venait de s’ouvrir qui conduira l’humanité à la conception de l’unité divine. Ce sera aux écoles socratiques à donner au principe immatériel d’Anaxagore les attributs que la raison imaginera pour constituer une Providence, sans que les efforts de Socrate et de Platon aient réussi à rendre inutile la révélation qu’un jour saint Paul fera aux Athéniens du Dieu inconnu.

La date de la naissance de Démocrite flotte entre 494 et 460 ; il la faut mettre, parait-il, plus prés de la dernière année que de la première. La date de sa mort est aussi incertaine, et on le fait vivre cent neuf ans, ce qui est un bien grand âne. Il voyagea beaucoup, de l’Égypte à la Grande-Grèce, où il étudia les doctrines des écoles d’Élée et de Pythagore, dont il combattit les principes. On suppose aussi qu’il alla dans la Perse et dans la Chaldée pour interroger les mages. C’était un voyage que les Grecs aimaient à faire accomplir par leurs grands hommes, comme si la source de toute sagesse se trouvait en Orient, et on lui donne pour maître Leucippe, sans que nous puissions distinguer dans la doctrine atomistique la part du maître et celle de l’élève. On prétend même que, perdu au milieu de la foule des auditeurs, il écouta, dans Athènes, les enseignements de Socrate et d’Anaxagore. Nous ne parlerons pas des anecdotes qui racontent les sévérités des Abdéritains à son égard, quand ils le crurent dissipateur et insensé, ni leur admiration pour lui, après qu’il eut fait lecture publique de son Μέγας διάxοσμος ; et le rire qu’on voyait souvent sur ses lèvres nous paraîtra ne marquer que la dédaigneuse indifférence du philosophe pour les vains plaisirs ou les inutiles tristesses des hommes. Le souverain bien étant pour lui la tranquillité de l’âme, il ne mettait pas le bonheur dans les choses périssables, comme la richesse, les honneurs, le pouvoir. Conclusion : le sage ne doit s’étonner ni s’émouvoir de rien ; et cette indifférence philosophique est, en vérité, une partie de la sagesse. Démocrite ajoute : Respecte ta raison et ne lui demande jamais rien d’injuste. Grande parole, car toute la morale peut tenir en deux mots : le respect de soi-même, qui éloigne de tout acte dégradant, le sentiment du devoir, qui impose au besoin tous les sacrifices.

Les anciens attribuent à Démocrite soixante-douze ouvrages, qui sont perdus, sauf de rares fragments, et ils le rapprochaient de Platon pour l’éclat du style, du Stagyrite pour la curiosité scientifique. Aristote même disait de lui : Il semble avoir porté sur toutes choses ses puissantes méditations[24].

La théorie des atomes a surtout fait sa renommée. Ce n’est pas ici le lieu de parler de cette doctrine des indivisibles, qui, entraînés par la pesanteur ou le mouvement, flottent éternellement dans l’espace infini, se heurtent, se combinent pour former le monde et les êtres particuliers qu’il contient, puis se séparent pour revenir à d’autres combinaisons ; de sorte que tout se transforme et que rien ne périt. La vie elle-même résulte de la rencontre d’atomes plus subtils qui donnent à l’homme sa supériorité. L’histoire, moins habituée que la philosophie à pénétrer dans ces ténèbres, se borne à constater que le système atomistique qui          n’admet qu’un seul        être, le corps, une seule force, la pesanteur, est une doctrine naturaliste, comme l’avaient été celles des Ioniens, d’Héraclite et d’Empédocle, qui ne reconnaissent point d’êtres incorporels; que Démocrite, en contestant la vérité de la perception sensible, préparait le scepticisme de Protagoras et de Pyrrhon ; qu’en recommandant de fuir tout souci et en particulier le mariage, pour arriver au bonheur, sa morale ouvrait la porte à celle d’Épicure ; qu’enfin il ôtait aux âmes un appui dont beaucoup avaient besoin, lorsqu’il enseignait que les dieux étaient une création de l’imagination des hommes effrayés par les convulsions de la nature. Riais Démocrite ne fut pas le seul coupable; pareil reproche peut être fait à toute l’ancienne philosophie. Du gour où la Grèce se prit à interroger la. raison, les dieux furent en péril. C’est la marche ordinaire. L’imagination et le sentiment avaient fondé le polythéisme ; la science le ruina.

La théorie des atomes est encore en honneur parmi nos savants. Lorsqu’ils cherchent en quels éléments la matière se résout, ils ne peuvent aller ni à l’unité numérique des pythagoriciens, ni à l’unité panthéiste des éléates; l’atome leur fournit l’unité corporelle nécessaire à leurs combinaisons. Les philosophes, eux, demandent à ce système comment, du monde matériel soumis aux lois mécaniques du mouvement, on passera au monde de la pensée où règne la volonté libre. Mais qui a dévoilé ce secret ?

Envoyant partout des lois physiques, Démocrite rendait le surnaturel inutile. Cependant il admit l’existence de génies aériens, bons et mauvais, mais mortels, qui pouvaient révéler l’avenir, ce qui supposait un gouvernement du monde par les dieux. Cette contradiction provenait-elle de ce qu’il subsistait en lui un reste de la croyance populaire aux démons, qu’il n’avait pu arracher de son esprit ; ou fût-ce un acte de prudence envers la religion établie pour sauver la divination si chère à tous ces superstitieux ? Il faut plutôt admettre que ce grand logicien qui voulait trouver, derrière chaque idée, un objet réel, se rallia à la doctrine des démons pour expliquer les rêves, les hallucinations, les avertissements donnés par ces êtres supérieurs à l’homme en intelligence.

Reconnaissons à notre philosophe un mérite d’une nature particulière : il a été l’inspirateur du grand poème de Lucrèce.

Diogène d’Apollonie en Crète, contemporain de Démocrite, suivit une voie bien différente, qui le rapprocha de celle où Anaxagore avait marché : il regarda l’univers comme le produit d’un principe intelligent qui l’avait vivifié et ordonné; mais il n’osa constituer ce principe rationnel et sensible en un être distinct du monde. C’en fut cependant assez pour que les dévots lui aient fait courir risque de la rie.

On fait de Diagoras de Mélos un affranchi de Démocrite. II fut poète et toujours tête légère. D’abord fervent adorateur des dieux, il les abandonna, lorsqu’ils se refusèrent à punir les parjures d’un dépositaire qui l’avait trompé. Il se moqua des mystères de Samothrace, bafoua, dans Athènes, ceux d’Éleusis et n’échappa que par la fuite à la ciguë ou du Barathron.

Comme il arriva en France, il y a un siècle et demi, on voit, dans la Grèce des derniers jours de Périclès, s’avancer par toutes les routes de la pensée, les hardis mineurs qui sapent les temples. La religion populaire se défendra longtemps, parce que, pour les peuples aussi bien que    pour les individus, les habitudes sont très lentes à mourir. Mais la cognée est aux racines de l’arbre.

On veut que Démocrite ait été un des maîtres d’Hippocrate. S’ils se sont rencontrés, le philosophe d’Abdère lui aura parlé de ses études sur les animaux et les plantes. Mais le grand Asclépiade était de ces hommes qui se font tout seuls ; et nous avons une autre raison pour le rapprocher des philosophes. N’a-t-il pas écrit, dans son traité De la Bienséance : Le médecin philosophe est égal aux dieux ?

Bien que les Hellènes eussent élevé Esculape à la dignité d’un dieu et qu’Homère ait célébré la science de ses fils, Podalire et Machaon, du devin Mélampos et de son descendant Amphiaraos, qui lisait dans l’avenir, la médecine grecque ressembla longtemps à celle des sorciers d’Afrique. Elle se pratiquait dans les asclépions, à l’aide de quelques simples et de beaucoup de sortilèges, de longs jeûnes, d’apparitions nocturnes, de rêves provoqués qui agissaient sur l’imagination des malades et, de temps à autre, en guérissaient un[25]. La foi, qui transporte les montagnes, ne peut-elle déterminer des actions nerveuses dont les effets semblent opérer des miracles sans confondre l’incrédulité[26] ? Avec la curiosité croissante des esprits dans toutes les directions de la science, les Asclépiades ou prêtres d’Esculape arrivèrent à trouver des moyens plus rationnels, sans renoncer toutefois aux pratiques superstitieuses qui servaient à gagner la confiance du malade et assuraient sa docilité.

Ces cures étant lucratives, les dieux se firent concurrence ; Apollon ouvrit boutique contre son fils Esculape, et avec tant de succès, que, pour reconnaître ses services, un temple fut élevé à Phigalie, en Arcadie, à l’Apollon Épikourios, ou le Secourable. Dans la suite des temps, les dieux guérisseurs se multiplièrent. Diane, Cérès, Bacchus, Mercure, Hercule, Vulcain, même Vénus, qu’on ne s’attendait pas à voir occupée de pareils soins, et l’égyptien Sérapis, donnèrent des consultations[27]. Minerve n’attendit pas si longtemps. Elle révéla en songe à Périclès les propriétés d’une herbe qui sauva Mnésiclès, tombé dit haut des Propylées ; en récompense, elle eut une nouvelle statue et un autel nouveau, celui d’Athéna-Hygia. Après les dieux, les héros : un d’eux, Amphiaraos, obtint un tel succès, qu’il ruina les asclépions de la Béotie[28].

Ces choses sont très humaines et de tous les temps; aussi n’y a-t-il pas lieu de s’en étonner. Mais au milieu de ces recettes de bateleurs se rencontrèrent des conseils avisés, dont le nombre augmenta à chaque génération. Le temple d’Esculape, dit Strabon, est toujours plein de malades ; des tableaux y sont suspendus qui portent l’indication du traitement suivi. Ces renseignements datent de loin, puisque les Sentences cnidiennes sont antérieures à Hippocrate, et ils devaient constituer un fond d’expérience qui, peu à peu, s’accroissait. La médecine se sécularisa ; il se forma des médecins qui étudièrent le corps humain, comme les philosophes étudiaient l’univers ; et si les travaux anatomiques ne pouvaient se faire alors que sur les animaux[29], ils n’en profitaient pas moins à la science, ainsi qu’il arrive de nos jours, où ces expériences renouvellent la médecine. Dans chaque ville importante, il s’organisa un service médical, même gratuit pour les pauvres, et les médecins trouvèrent des élèves qui payèrent leurs leçons[30], des administrations municipales qui les subventionnèrent et de riches clients qui les firent arriver souvent à la fortune.

Tel, par exemple, cet Apollonidès, compatriote et prédécesseur d’Hippocrate, qui guérit un seigneur persan et fut en grand crédit à la cour de Suse, mais s’oublia dans une intrigue de harem qui le conduisit à une fin terrible ; tels encore Démocède de Crotone et Ctésias de Cnide, l’un médecin de Darius, l’autre d’Artaxersés-Mnémon[31].

Au cinquième siècle, cieux écoles rivales étaient célèbres en Grèce : celle de Cnide et celle de Cos. Ce fut de celle-ci qu’Hippocrate sortit. Il naquit vers 460 d’un Asclépiade qui prétendait descendre d’Esculape en ligne directe, d’Hercule par les femmes, et il mourut à Larissa en Thessalie, dans un âge très avancé. Sa légitime renommée a fait courir sur lui, dans l’antiquité, des anecdotes fameuses : il aurait refusé les présents d’Artaxerxés, guéri les Athéniens de la peste, et le fils d’un roi de Macédoine du mal d’amour dont souffrit le fils de Séleucus Nicanor. La critique moderne regrette d’être contrainte à rejeter ces histoires ; mais la gloire d’Hippocrate est assez grande pour qu’il puisse se passer d’elles. Son principal honneur est de n’avoir voulu croire qu’aux faits bien observés. Il n’aime pas les hypothèses ; dans ses Aphorismes, il fonda l’art de guérir sur l’expérience et sa vie fut un continuel effort pour tirer du chaos de l’empirisme des règles médicales. Il voyagea beaucoup, étudiant l’homme, le milieu où il vivait, les stèles votives laissées par les malades dans les asclépions, les notes conservées dans les temples et les traitements qui avaient été pratiqués.

L’école de Cnide, en faisant autant de maladies distinctes qu’elle constatait de symptômes différents, créait une foule d’espèces pathologiques pour chacune desquelles le traitement variait. On risquait donc à Cnide de s’égarer en cherchant le mal où il n’était pas. A Cos, on suivait Ies phases diverses de la maladie constatée, afin de s’attaquer toujours à l’ennemi véritable; on réduisait les remèdes au lieu de les multiplier, comme on simplifiait les maladies en les ramenant à un petit nombre d’affections morbides. Niais en portant toute son attention sur les développements du mal, l’école de Cos n’en étudiait suffisamment ni le siège ni la condition anatomique : c’était là sa faiblesse.

Il n’est pas de notre ressort d’entrer dans le détail de la médecine hippocratique ; mais il nous appartient de citer au moins le traité Des airs, des eaux et des lieux. Il est court, excellent, et l’idée qui l’a inspiré est acceptée aujourd’hui non seulement par le médecin, mais par l’historien philosophe : l’influence du milieu sur l’homme, par l’air qu’il respire, le froid ou le chaud qui l’enveloppe et le pénètre, le sol qu’il habite, les aliments dont il se nourrit. Quand une haute culture de l’esprit n’a pas encore égalisé les conditions de la vie morale, l’homme des montagnes ne peut avoir les mêmes habitudes d’existence ni les mêmes idées que l’habitant des plages marines, des sables brûlants ou des plaines que recouvrent une végétation luxuriante. En des lieux si différents, les constitutions médicales diffèrent comme le développement social. Il faut, disait Hippocrate, étudier le corps humain dans ses rapports avec toute chose ; et il avait bien raison de donner son attention à cette partie de la science, où l’hygiène doit régner souverainement.

La médecine a un double devoir : étudier ces influences extérieures et pénétrer par la science dans l’intimité des tissus, pour y connaître ce qu’Hippocrate appelait les humeurs, dont il a fait la théorie, et, ce qui intéresse davantage la médecine moderne, l’état des organes. Hippocrate a bien rempli la première de ces obligations et aine partie de la seconde, mais il ne pouvait remplir celle-ci tout entière, puisque l’anatomie du corps humain était interdite. Faire prévaloir l’observation de tout l’organisme sur l’observation d’un organe, l’étude des symptômes généraux sur l’étude des symptômes locaux, l’idée des communautés de maladies sur l’idée de leurs particularités, telle est la médecine de l’école de Cos et d’Hippocrate[32]. C’est ce qu’il appelait la prognose, ou l’étude de l’état passé, présent et futur du malade. Niais cette étude patiente ne conduisait pas à une médecine très active. Un adversaire l’appelait avec autant de méchanceté que d’esprit : Une méditation sur la mort.

Lorsqu’on cherche, dans ces vieilles doctrines hippocratiques, ce qui a pu traverser les siècles, on y trouve l’animisme de, Van Helmont et de Stahl, le vitalisme qu’enseignèrent longtemps diverses écoles, la théorie enfin qui ne sépare point ce qui fait vivre de ce qui fait penser. On est plus étonné encore d’y rencontrer une thèse qui se rapproche d’une éclatante doctrine tout récemment imposée à la science : la maladie vient d’un principe morbifique qui est entré dans l’organisme, et c’est ce principe qu’il faut expulser[33].

Ces vues de génie justifient le mot qu’a prononcé sur Hippocrate. un maître, qui avait le droit d’être difficile en fait de grandeur humaine : Quand on dit le grand Hippocrate, ce n’est pas de l’homme qu’il s’agit, c’est du médecin[34].

On pourrait réclamer aussi ce titre pour l’homme qui a écrit : Le médecin s’accommodera toujours à la fortune de ses clients. Lorsqu’il y aura des étrangers ou des pauvres à secourir, c’est à eux qu’il ira d’abord et il les assistera non seulement de ses remèdes, mais de son argent. Le Serment hippocratique est encore aujourd’hui, pour ce qui concerne la dignité de la profession, la loi du corps médical.

 

III. Les artistes

Le cinquième siècle est l’âge d’or pour l’art grec. Nous avons dit quels artistes Athènes avait fournis, voyons ceux qui se sont produits dans le reste de l’Hellade, ceux du moins dont les noms sont venus jusqu’à nous avec l’indication de leurs œuvres.

Chersiphron et son fils Métagénès, de Knossos en Crète, sont en dehors de la période qui nous occupe, puisqu’ils commencèrent au sixième siècle la construction du grand temple d’Éphèse. Pour qu’ils aient été chargés d’un ouvrage qui s’exécutait aux frais de l’Ionie entière, il fallait qu’ils fussent les architectes les plus renommés de leur temps ; et comme le temple ne fut achevé qu’au bout de 220 ans, Éphèse a dû être une école féconde pour l’art architectural. Nous avons déjà parlé d’Hippodamos de Milet, le constructeur du Pirée. Mais nous ne savons qui construisit le temple d’Égine, d’où l’art semble être parti pour arriver, par le Théseion, au Parthénon.

La statuaire eut un grand artiste que les anciens ont placé à côté de Phidias, Polyclète de Sicyone ou d’Argos[35]. Les artistes du siècle de Périclès ne se cantonnaient pas dans un coin du domaine de l’art; ils le cultivaient tout entier. Polyclète fut aussi habile architecte que grand sculpteur. Il construisit, à Épidaure, un monument circulaire, le Tholos, et un théâtre qui fut très admiré des anciens; à Argos, sa Junon était la rivale de la Minerve du Parthénon, quoique moins grande et moins riche. Phidias virait en esprit parmi les dieux, Polyclète habita davantage parmi les hommes. Il écrivit même sur les proportions du corps humain et il en appliqua les préceptes dans son Doryphore qui fut appelé le canon ou la réale. Les anciens partageaient le prix de ta statuaire entre les deus: grands artistes : à l’un pour ses dieux, à l’autre pour ses Canéphores, que Verrès vola aux Siciliens, son Amazone, qui l’emporta sur celle de Phidias dans le concours fameux d’Éphèse[36], et ses statues d’athlètes vainqueurs, comme le Diadumène et les deux άστραγαλίζοντες ou joueurs d’osselets. Myron, que nous aurions pu comprendre parmi les artistes athéniens[37], alla plus loin dans l’imitation de la nature ; sa vache de bronze était fameuse et plus encore son Discobole dont l’attitude a dû être si difficile à rendre. D’Alcaménès, d’Agoracritès, de Colotès, les collaborateurs de Phidias, d’Onatas d’Egine, dont deux statues de bronze étaient renommées, l’une représentant un Hermès criophore, l’autre un Héraklès, nous connaissons peu de chose ; de dix autres, moins encore, mais nous savons que, dans la croyance des Grecs, la statue d’Artémis d Éphèse, était tombée du ciel.

Polygnote de Thasos, que Cimon ramena de cette ville, en 465, vécut longtemps au bord de l’Ilissus et reçut à Athènes le droit de cité, en récompense de ses travaux pour la décoration du temple de Thésée et de l’Anacéion, du Pœcile et d’une partie des Propylées. A l’Anacéion, le sanctuaire des Dioscures, il représenta les noces des Leucippides[38] avec Castor et Pollux. Plusieurs bas-reliefs de sarcophages qui reproduisent cette légende sont peut-être une imitation du tableau de Polygnote. Le Pœcile, portique où l’on venait s’abriter du soleil, était formé, d’un côté, par une longue colonnade qui supportait le toit, de l’autre, par un mur que les peintres couvrirent de scènes rappelant les hauts faits du peuple athénien. De là son nom : le portique peint. A Platée, Polygnote peignit, dans le temple d’Athéna, Ulysse vainqueur des prétendants et, dans la Lesché des Cnidiens, à Delphes, la prise d’Ilion, la descente d’Ulysse aux Enfers et la glotte grecque quittant la Troade. Il y avait encore de la raideur dans le dessin de Polygnote : c’était de la peinture sculpturale qui, cependant, avec des moyens très simples, obtenait de grands effets. Les anciens vantaient l’expression et la beauté de ses figures, mais elles n’avaient ni la grâce ni le caractère dramatique que les peintres de l’âge suivant donneront à leurs œuvres. La peinture et la statuaire sont deux soeurs qui se ressemblent et qui suivent l’une et l’autre les variations du goût : la première avec une vivacité quelquefois imprudente ; la seconde avec plus de réserve.

Zeuxis d’Héraclée du Pont et Parrhasios d’Éphèse, son rival, étaient plus jeunes que Polygnote. Leur peinture est déjà plus savante, moins idéale et plus près de la réalité : Aristote reproche à Zeuxis de céder trop à la mollesse ionienne. A en croire des anecdotes souvent racontées, ce qui ne les rend pas plus authentiques, ils auraient fait jusqu’à des trompe-l’œil : l’un, une grappe de raisin que des oiseaux vinrent becqueter ; l’autre, un rideau que Zeuxis voulut tirer croyant qu’il cachait le tableau véritable. Ce serait des tours de force plutôt que de l’art. Dotons que tous deux puisaient encore à pleines mains dans le fonds si riche de l’ancienne poésie. Zeuxis peignit, en combinant harmonieusement la lumière et les ombres, une Hippocentauresse, dont Sylla fit son butin, mais qui fut perdue dans une tempête, prés du cap Malée, un Hercule enfant, un Jupiter entouré des autres dieux, un Marsyas, une Pénélope, image, dit Pline, de la chasteté, et une Hélène qui semblait faire revivre celle d’Homère, etc. De Parrhasios, on vantait le combat des Lapithes et des Centaures, la Dispute d’Ajax et d’Ulysse, un Achille, un Agamemnon, un Prométhée enchaîné, un Ulysse feignant la folie, et aussi des scènes licencieuses. L’un et l’autre arrivèrent à une grande renommée et à l’opulence. Malgré le malheur des temps, la Grèce eut de l’or pour ses peintres favoris. Le roi de Macédoine, Archélaos, paya les peintures de Zeuxis dans son palais 400 mines, et Parrhasios ne paraissait en public que vêtu d’une robe de pourpre frangée d’or. Il se croyait le maître des élégances, comme il se croyait le maître dans son art, et il n’y a pas à. s’étonner qu’il ait incliné à la grâce efféminée. Son Thésée, disait Euphranor, est nourri de roses, le mien l’a été de chair.

Dans la Grèce continentale, Sicyone et Thèbes eurent quelques peintres renommés : Timanthe qui l’emporta sur Parrhasios, dans un concours, par son Ajax disputant les armes d’Achille ; Pausias, talent plus gracieux que puissant, et le Béotien Aristidès, qui donnait à ses figures l’expression morale qu’Aristote reproche à Zeuxis de n’avoir pas su reproduire sur les siennes, τό έθος. Mais c’est plus tard, avec Lysippe et Pamphile, que l’école de Sicyone aura tout son éclat.

En voyant les statuaires et les peintres demander à Homère leurs inspirations, on est conduit à dire que l’Iliade a été la Bible de la Grèce autant pour l’art que pour la religion. Comme nos églises du moyen âge étaient, par leurs vitraux, un grand livre d’enseignement religieux, sur les murailles et au fronton des temples grecs furent reproduites les légendes qui parlaient aux -eux des divinités et des héros de la race hellénique. Aussi, tandis que l’art ne sera dans Rome qu’une importation étrangère, en Grèce il est sorti du cœur même du pays; et ce fut le secret de sa grandeur[39].

 

IV. Conclusion

Dans le long voyage que nous venons de faire à travers la Grèce, nous avons vu que, sauf une ombre qui s’étend sur la côte d’Asie, naguère si brillante, le mouvement est partout. Les têtes pensent ; les bras travaillent ; les chefs-d’œuvre se multiplient. Le Aède et le Carthaginois ont été vaincus. Plus de terreur ; confiance extrême ; ardeur infatigable. La victoire a élevé ce petit peuple au-dessus de lui-même ; son activité se déploie dans toutes les directions ; son esprit plane dans les plus hautes régions, tandis que ses temples, ses statues, ses peintures donnent à la terre une décoration nouvelle et font à l’homme comme une seconde nature, au milieu de laquelle se promène un esprit libre et hardi.

Le centre et comme le foyer d’où cette vie rayonne est Athènes, la ville où tant de cités envoyaient, pour le temple d’Éleusis, les prémices de leurs moissons[40] et à qui Platon était forcé de rendre cet hommage que, par rapport à la Grèce, elle était le Prytanée de la sagesse[41]. D’elle aussi sortit la plus grande pensée politique de ce temps, une pensée de Périclès qui fit un dernier effort pour unir fraternellement les différents rameaux de la race hellénique. Par ses soins, vingt vieillards furent choisis ; cinq allèrent vers les Grecs de l’Asie et des Iles, cinq vers ceux de l’Hellespont et de la Thrace, cinq autres encore dans la Grèce centrale et le Péloponnèse, les cinq derniers dans l’Eubée et la Thessalie. Ces vieillards, ministres de pais, avaient emporté un décret qui convoquait à Athènes les députés de la Grèce entière pour délibérer sur la reconstruction des temples brûlés par les barbares, sur les sacrifices qu’on avait voués aux dieux durant la guerre, enfin sur les moyens de garantir la sécurité des mers et d’établir la concorde entre tous les Hellènes[42]. C’eût été un imposant spectacle que celui de la Grèce assemblée à l’ombre du Parthénon, discutant avec Périclès les plus grands intérêts, unie dans une même et sainte pensée, religieuse et patriotique. Jamais le soleil n’eût éclairé une plus belle fête, car elle eût été celle de la paix et de la civilisation. Si Marathon et Salamine avaient enfanté Eschyle, Sophocle, Hérodote et Phidias, peut-on douter que de nouveaux génies, que de nouveaux chefs-d’œuvre ne fussent nés de cette heureuse union de tout le monde hellénique ?

Sparte fit honteusement rejeter ce projet. Elle eut craint qu’Athènes n’apparût comme la métropole de la Grèce et qu’à force de grandir par ses services et son éclat, elle ne fit oublier l’envieuse et stérile cité cachée dans les roseaux de l’Eurotas. Au lieu donc de recevoir les États généraux de la Grèce, c’est la guerre qu’Athènes verra s’avancer jusqu’à ses portes. Et cette guerre ne s’arrêtera qu’après avoir accompli, contre tous et partout, son œuvre de destruction ; après avoir dégradé le caractère grec et brisé cette civilisation, si féconde pourtant, que ses débris semés au loin auront la vertu de ranimer un moment le vieil Orient épuisé, et d’appeler à la vie l’Occident plus jeune et barbare encore.

 

 

 



[1] Voyez le Phèdre de Platon.

[2] La plupart des promontoires du Péloponnèse, de l’Attique, de l’Ionie et des îles de l’Archipel, étaient marqués par des temples, des trophées ou des tombeaux. Ces monuments, environnés de bois et de rochers, vus dans tous les accidents de la lumière, tantôt au milieu des nuages et de la foudre, tantôt éclairés par la lune, par le soleil couchant, par l’aurore, devaient rendre les côtes de la Grèce d’une incomparable beauté : la terre, ainsi décorée, se présentait aux yeux du nautonier sous les traits de la vieille Cybèle, qui, couronnée de tours et assise au bord du rivage, commandait à Neptune, son fils, de répandre ses flots à ses pieds (Chateaubriand, Itinéraire, p. 182).

[3] Le masque de Jupiter olympien qui nous reste est-il une réduction de l’original ou une copie d’un Zeus de Lysippe ?

[4] Parrhasios, dit Pline, XXXV, 69, avait voulu représenter le peuple à la fois mobile, colère, inconstant, clément, miséricordieux, humble et fier.

[5] Je n’hésite pas à la préférer à l’Apollon du Belvédère et à la mettre à côté de ce que l’antiquité nous a laissé de plus beau.

[6] Si toutefois l’on accepte la correction de Winckelmann (Lettres, t. I, p. 282) qui change les 60 pieds que donne Diodore (XIII, 82) pour la largeur du temple, en 160. Le premier chiffre est évidemment trop faible, puisque la largeur n’eût été que 1/6 de la longueur, quand, au Parthénon, à Olympie, elle était environ le 1/3 ; mais le second est peut-être trop fort, car la largeur eût alors été 1/2 de la longueur. Le temple de Jupiter Olympien, à Athènes, avait 4 stades de circuit (Pausanias, I, 18, 6).

[7] De nat. deor., I, 43.

[8] Épicharme était né vers 559 d’un Asclépiade de Cos ; il vécut longtemps à Syracuse, où il se rencontra avec Eschyle, et parait être mort vers 454, ou même plus tard. Il nous reste les titres de 35 de ses pièces et 168 fragments qui ne nous donnent que 319 vers. — On a fort exagéré les différences de race entre Doriens et Ioniens. La gravité spartiate n’existait qu’à Lacédémone où les circonstances historiques l’avaient imposée. On sait que la dorienne Mégare disputait à Athènes l’invention de la comédie à gros sel.

[9] Dans sa comédie intitulée l’Espérance ou Plutus, Épicharme fait dire à un de ses personnages : Je dîne avec qui veut : il n’y a qu’à m’inviter, et aussi avec qui ne veut pas : nul besoin d’invitation. A table, je suis plein d’esprit ; je fais beaucoup rire et je loue le maître de la maison. Si quelqu’un s’avise de me contredire, j’accable d’injures le contradicteur. Et puis, après avoir bien mangé et bien bu, je m’en vais. Un esclave ne m’accompagne pas avec une lanterne, mais je marche tout seul, en trébuchant dans les ténèbres. Si je rencontre la garde, je mets sur le compte de la bonté divine d’en être quitte pour quelques coups de fouet. Et quand je suis arrivé chez moi tout moulu, je dors par terre sans m’inquiéter de rien, tant que le vin pur engourdit mes sens (Jules Girard, Étude sur Épicharme). Avant d’aller à Rome le parasite passa par Athènes, où on le trouve dans le Banquet de Xénophon.

[10] Dans le Théétète, ό άxρος [τής xωμψδίας] dit plus que le créateur, d’autant plus que Platon donne le même titre à Homère pour la tragédie.

[11] Il florissait vers 444.

[12] Des médailles ont conservé ce souvenir. L’une le montre assis sur le char d’Apollon et arrêtent le dieu prêt à lancer ses flèches fatales. Voyez Annali dell’ Instit. di corresp. archeol., 1845, p. 265. Une autre monnaie rappelle ses travaux dans le lit du Sélinous.

[13] Diogène Laërte, VIII, 61.

[14] Suivant la légende, Jupiter envoya le déluge de Deucalion pour punir les crimes des hommes.

[15] C’est le fond de la nouvelle école physiologique.

[16] G. Bréton, Essai sur la poésie philosophique en Grèce, p. 294. L’auteur cite, à ce propos, p. 227, le passage suivant de la Métaphysique d’Aristote : L’homme vit que, à côté du bien, le contraire du bien se montrait aussi dans la nature ; que, à côté de l’ordre et de la beauté, s’y trouvaient le désordre et la laideur ; que le mal semblait l’emporter sur le bien, et le laid sur le beau. Un philosophe introduisit l’Amitié et la Discorde, causes opposées de ces effets contraires ; car si l’on pousse à leurs conséquences les opinions d’Empédocle, et qu’on s’attache au fond de sa pensée et non à la manière dont il la bégaye, on verra qu’il fait de l’Amitié le principe du bien et de la Discorde celui du mal. De sorte que si l’on disait qu’Empédocle a proclamé, et qu’il a proclamé le premier, le bien et le mal comme principes, peut-être ne se tromperait-on pas, puisque dans son système le bien en soi est la cause de tous es biens, et le mal, celle de tous les maux.

[17] Il y a cependant sur lui un témoignage qui lui donnerait un autre caractère. Julien, dans le Misopogon, parle de poésies graves d’Anacréon. Il n’en reste rien.

[18] Voyez Villemain, Essai sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique ; A. Croiset, La poésie de Pindare et les lois du lyrisme grec ; J. Girard, Étude sur Pindare.

[19] On peut cependant trouver dans ses vers des traces de l’influence des idées pythagoriciennes et des enseignements orphiques.

[20] Je me contente de relever les noms de quelques autres logographes, comme Thucydide les appelle : Phérécyde de Léros, Charon de Lampsaque, Xanthos de Sardes, qui précédèrent Hérodote, comme les chantres de l’époque héroïque précédèrent Homère. Hellanicos de Mytilène vécut assez tard, puisqu’il parlait dans son livre de la bataille des Arginuses, 408 ; quoiqu’il ait pu connaître Thucydide, il ne fut encore qu’un chroniqueur se plaisant plus aux légendes qu’à l’histoire.

[21] Il dit (I, 52) : La divinité n’est que jalousie ; elle se plait aux bouleversements ; et, d’un bout à l’autre de son livre, il s’applique à montrer le φθόνος τών θεών.

[22] Hérodote est mort en 406, et Thucydide peu de temps après la fin de son exil ; il fut rappelé avec les autres bannis, en 404.

[23] Métaphysique, I, ch. III, § 28, trad. de M. B. Saint-Hilaire, t. I, p. 35.

[24] De la Génération, I, 2.

[25] Mon savant confrère, M. Perrot, m’a dit qu’aujourd’hui encore, à Lesbos, des malades vont dormir dans les églises pour qu’un songe leur révèle le remède nécessaire. — Une très longue inscription, trouvée à Épidaure en 1883, contient le récit de vingt guérisons miraculeuses par visions, songes, etc. Cf. Revue archéologique d’août 1884.

[26] Voyez dans le Plutus d’Aristophane, vers 641-801, le singulier collyre qu’Esculape en personne prépare pour Néoclidès et la guérison de Plutus, le dieu aveugle, dont deux serpents viennent, à l’appel d’Esculape, lécher les paupières. On sait par des inscriptions récemment découvertes que, dans certains asclépions, des chiens étaient chargés de cet office, et cela se comprend mieux. On vient tout récemment de découvrir à Bath, en Angleterre, un monument votif en l’honneur d’Esculape, sur lequel est sculpté un chien. Sur les divers moyens de guérison dont quelques-uns étaient singuliers, voyez P. Girard, l’Asclépéion d’Athènes (Cf. Revue archéologique de 1884, t. II, p. 129).

[27] Dans le temple de Sérapis, à Canope, on trouvait même des gens que les malades payaient afin qu’ils eussent des songes pour eux (Strabon, XVII, 47 ; Pausanias, II, 27).

[28] Cf. Revue archéologique de 1886, p. 168 et suiv.

[29] On dit qu’Hippocrate, à son arrivée à Abdère, trouva Démocrite disséquant des animaux.

[30] Témoin ce passage du Protagoras de Platon : Dis-moi, Hippocrate, si tu allais trouver ton homonyme de Cos en lui portant une somme d’argent et qu’on te demandât pourquoi, que répondrais-tu ? — Que je lui remets cet argent parce lui il est médecin. — Dans quel but ? — Pour devenir médecin moi-même. Au IVe livre des Lois, Platon parle des médecins comme exerçant une profession régulièrement établie dans toutes les villes.

[31] Démocède, qui guérit Darius d’une violente entorse, employa sans doute des moyens orthopédiques ; du moins, Aristote (Politique, VIII, 4) dit qu’on se servait de certains instruments mécaniques pour maintenir le corps droit.

[32] Littré, Œuvres d’Hippocrate, t. I, p. 456. Platon allait plus loin qu’Hippocrate ; il dit dans le Lachès : Si les médecins échouent dans la plupart des maladies, c’est qu’ils traitent le corps sans l’âme ; le tout n’étant pas en bon état, il est impossible que la partie se porte bien. Mais je suis sûr que le médecin de Cos aurait signé cette pensée.

[33] Cette thèse est juste pour les maladies infectieuses, même pour quelques-unes de celles qui proviennent de l’altération d’un organe.

[34] Aristote, Politique, VII, 4.

[35] On a pensé qu’il était né a Sicyone et qu’il avait été fait citoyen d’Argos. Quintilien (XII,10) dit de Polyclète : Personne ne l’égala pour la finesse des détails et la dignité de l’ensemble, mais il ne sut pas donner la majesté. Si, en représentant la forme humaine, il s’est élevé au-dessus de la réalité, il n’a pas aussi bien reproduit le caractère imposant des dieux. Sur ce point, Phidias et Alcaménès le surpassent : Phidias diis quam hominibus efficiendis melior artifex creditur (Instit. orat., XII, 10). On incline à croire qu’une Junon de marbre, de la villa Ludovisi est une copie de la Junon de Polyclète, dont Pausanias (II, 17, 4) donne la description.

[36] Pline, XXXIV, 8.

[37] Il était né à Éleuthérai, bourg béotien, mais allié d’Athènes sans avoir jamais été un dème de l’Attique. La vache de Myron est le sujet d’une trentaine d’épigrammes grecques dont une a été traduite par Martial :

Pasce greges procul hinc, ne, quæso, bubulce, Myronis

Aes veluti spirans cum bubus exagites.

[38] Leucippides ou filles du chef messénien Leucippe, que les Dioscures ravirent et épousèrent, après avoir tué leurs fiancés (Pausanias, I, 18, 1).

[39] Nous avons marqué l’influence de l’Orient sur le génie grec ; nous pourrions montrer aussi la réaction de l’art grec sur l’art asiatique. Télèphanès de Phocée ne fut sans doute pas le seul statuaire de la Grèce que Darius et Xerxès aient appelé pour la décoration de Persépolis. Pline dit que, par son talent, il méritait d’être mis à côté de Myron et de Polyclète. Voyez l’Art antique de la Perse de M. Dieulafoy et la Perse, la Chaldée et la Susiane de Mme Jane Dieulafoy. Suivant ces courageux voyageurs, dans la vallée de Poulvar-Roud, qui aboutit à Persépolis, se trouvent les ruines de monuments élevés par Cyrus après la conquête de l’Asie Mineure. On y reconnaît l’influence des artistes grecs, qui se voit aussi, a Persépolis même, dans les constructions de la seconde dynastie akhéménide (Darius, Xerxès, Artaxerxés Ochus). Mais ces monuments révèlent un art composite, grec, assyrien et égyptien.

[40] Isocrate, Panég., 5.1, et Bull. de Corr. hellén., IV, p. 225.

[41] Dans le Protagoras. Périclès, dans l’oraison funèbre (Thucydide, II, 37), dit que bien des Grecs imitaient les lois d’Athènes, et Démosthène (Contre Timocr.) : Beaucoup de villes ont adopté vos lois.

[42] Plutarque, Périclès, 17.