HISTOIRE DES GRECS

PREMIÈRE PÉRIODE — HISTOIRE LÉGENDAIRE (2000-1404 ?) — FORMATION DU PEUPLE GREC.

Chapitre V — Mœurs des temps héroïques.

 

 

I. Organisation sociale

Les Grecs ont de très bonne heure renoncé à la vie nomade, s’ils l’ont jamais pratiquée. La religion domestique qu’ils avaient apportée de l’Asie a dû les ramener toujours à la vie sédentaire et à la propriété privée, puisqu’il fallait à chaque famille un lieu lui appartenant en propre pour y dresser le tombeau des morts et le foyer des vivants. Mais il est difficile de retracer cette première organisation sociale. Ce qui vient d’être dit des événements, il faut le répéter des moeurs. Si l’on doit renoncer à dégager des anciennes traditions une histoire certaine et se contenter d’accepter quelques faits pris dans leur généralité, on ne peut arriver à une précision plus grande pour les institutions politiques et sociales. Cependant, à cet égard, la légende renferme aussi une portion de vérité : c’est l’impression que nous laissent du caractère de ces temps les récits qui en proviennent, et surtout, pour une époque relativement moderne, les deux poèmes de l’Iliade et de l’Odyssée.

Considérée dans son ensemble, la poésie légendaire se rapporte à deux époques. L’une peint la Grèce se débattant dans la vie barbare contre les fléaux physiques et les bêtes des forêts, contre les rapines des forts et les violences des puissants. C’est le temps des héros, des travaux d’Hercule et de Thésée. L’autre montre un état plus civilisé, une vie plus stable, des races royales respectées, et les luttes intestines momentanément suspendues pour une grande entreprise. Au lieu de tribus hostiles, on voit un peuple dont la guerre de Troie a pour jamais rattaché l’une à l’autre les diverses fractions. Évidemment, dans la première période se continue la lutte des Hellènes et des Pélasges, ou des tribus nouvelles contre les peuplades primitives ; dans la seconde, la victoire des Hellènes est assurée, l’unité de la nation établie, quoiqu’elle n’ait encore d’autre nom général dans Homère que celui de Panachéens.

L’indépendance du caractère grec se montre déjà dans ce poème. Point de castes. Les nobles sont les plus forts, les plus agiles et les plus braves ou les plus éloquents. C’est parce qu’ils possèdent ces qualités qu’on les croit fils des dieux et qu’on leur accorde respect et obéissance. Mais cette origine, tous peuvent la revendiquer s’ils la prouvent par leur courage. Entre le peuple et les nobles, il n’y a pas d’infranchissable barrière; personne ne vit paresseusement de la gloire de ses aïeux. Comme il arrivera chez les Scandinaves, tout appartient au brave. Malgré la prétendue descendance des dieux, l’homme se fait à lui-même sa place, pour le moment par la force, plus tard par l’intelligence. A quelle distance sommes-nous déjà de l’immobile Orient ? C’est une civilisation nouvelle qui va naître, une seconde vie de l’humanité qui commence. En Orient, où les dieux régnaient, tout devait rester immuable comme la divinité. Ici l’homme commande, tout sera mouvement, passion, désirs sans bornes, efforts audacieux ; pour lui, Prométhée a dérobé le feu du ciel, et en lui donnant

l’inspiration, en lui enseignant les arts, il a brisé ses chaînes.

Ces nourrissons des dieux[1], qui ont reçu de Jupiter le sceptre et qui le transmettent à leur fils aîné, passent pour coupant les être les intermédiaires entre leur peuple et le ciel. Qu’ils gouvernent bien, et la terre noire produit d’abondantes moissons, les arbres plient sous le poids des fruits, les brebis sont fécondes et la mer est riche en poissons. Que les rois, mangeurs de présents[2], rendent des sentences iniques, et. Jupiter, dans son courroux, déchaîne l’ouragan ; les fleuves débordent, les torrents se précipitent des montagnes et les champs sont dévastés[3]. Voilà l’idéal poétique; en réalité, ces rois ne sont que les chefs militaires et religieux de leur peuple; les plus puissants ont pour palais, où ils s’enferment, au besoin, avec leurs richesses, une de ces enceintes en pierres énormes, que les Pélasges leur ont léguées, ou qu’à leur exemple ils ont construites. En toute affaire, ils consultent les nobles qui les entourent. S’ils jugent, c’est avec le concours des Anciens et des sages; et, par Anciens, il ne faut pas entendre les plus âgés, mais les plus nobles. Ce sont ceux-ci qui, devant Troie, convoqués par Agamemnon, envoient des députés à Achille pour fléchir sa colère. Les revenus des rois sont des dons volontaires, les fruits de leurs domaines, une part plus grande dans le butin, et, dans les sacrifices, une double portion de la chair des victimes[4]. Pour se faire reconnaître, ils n’ont d’autre insigne que le sceptre, d’autres gardes que les hérauts, et aux réunions la place la plus honorable. Nulle trace de cette adoration, de ces formes serviles qu’imposent les rois de l’Orient à ceux qui les approchent.

Si, dans l’Iliade, Agamemnon, le roi des rois, paraît avoir une autorité plus grande, c’est qu’une expédition loin des foyers et une lutte dangereuse exigent une plus grande concentration du commandement. D’ailleurs Agamemnon joignait au titre ce qui, dans ce temps, le faisait surtout respecter, la force; il était parmi les plus vaillants, et ses soldats étaient les plus nombreux. Voyez pourtant comme Achille le brave, et comme Thersite l’insulte; voyez aussi, dans l’Odyssée, en quel état tombaient ces rois de l’âge héroïque, quand ils fléchissaient sous le poids des ans, comme Laërte, et qu’ils n’avaient pas pour retenir le respect des hommes le souvenir de grands exploits ou la parole harmonieuse de Nestor. Bien souvent Ulysse est moins le chef que l’égal de ses compagnons; et le roi des Phéaciens est, comme lui, entouré dans son île de ceux que le poète grec nomme βασιλήες, les rois, ou άναxτες, les maîtres, et qu’on appelle aussi les bons, les justes ; ce sont les membres de certaines familles aimées des dieux, dont elles descendent, et qui d’eux reçoivent, comme par droit héréditaire, la force, la bravoure et l’éloquence, c’est-à-dire des familles qui ont conquis leur noblesse par leur courage, et qui la conservent par leurs exploits[5]. Du reste, ils ne prétendent, sur le champ de bataille, qu’aux postes les plus dangereux, aux combats singuliers avec les plus braves des ennemis ; dans la cité, â quelques prérogatives honorables plutôt qu’utiles. Dans l’intervalle des combats, ils s’exercent aux jeux, image de la guerre. Quelques-uns jouent de la lyre, à l’exemple d’Amphion et d’Orphée, et chantent les hauts faits des braves, ou écoutent les rhapsodes, qui étaient tenus en grand honneur ; car, en conservant la généalogie des héros, ils conservaient la gloire des familles. Cependant ces guerriers ne dédaignent pas plus les travaux manuels que Vulcain, le fils du maître des dieux. Un d’eux, tué devant Troie, est célébré par Homère comme très habile en toutes sortes d’ouvrages, et pour cela particulièrement aimé de Minerve. Ulysse se sert de la hache aussi bien que de la lance. C’est lui qui construit sa couche et son vaisseau. Achille lui-même fait tous les apprêts du festin ; et les charpentiers habiles sont admis à la table des rois, à côté des voyants, des médecins et des chantres inspirés des Muses.

Cependant cette aristocratie vivra des siècles. C’est qu’elle n’a point seulement pour elle la force et le respect traditionnel des peuples, mais aussi la richesse. La massue d’Hercule et sa peau de lion ne suffisent plus aux guerriers ; il leur faut un char de guerre, des chevaux fougueux et une armure, si coûteuse qu’on la croit souvent un don des dieux, si forte que, dans la mêlée, elle assure au chef un immense avantage sur la multitude livrée sans défense â ses coups. Plus que tout cela, ces nobles ont les fonctions religieuses : ils prient, ils sacrifient pour tout le peuple, car leurs dieux domestiques sont les dieux de la cité. La religion consacre leur prééminence, et quand les rois de l’âge héroïque disparaîtront, les Eupatrides seront pour longtemps les maîtres de l’État. Mais leur morale est courte; la vertu est alors la vaillance que Mars accorde, et la piété, la crainte que Némésis inspire.

Au-dessous des nobles, composant le conseil du roi et, dans la bataille, la ligne des chars de guerre, est la foule des hommes libres; plus bas, les mercenaires, θήτες, et un petit nombre d’esclaves. Les premiers forment, dans toutes les occasions importantes, une assemblée qui se réunit autour du cercle de pierres polies où les chefs siègent avec le roi, au milieu de l’agora. S’ils ne prennent point encore part à la délibération, du moins ils entendent discuter devant eux tous les graves intérêts, et ils influent par leurs murmures, favorables ou contraires, sur la décision à prendre. Quand un roi a parlé, l’assemblée émue est comme les grandes vagues de la mer Icarienne, soulevée par l’Eurus et le Notus qui se précipitent des nues, ou comme la vaste moisson dont un vent impétueux agite et courbe les épis. Aussi Homère veut-il que Calliope soit la compagne assidue des rois, pour adoucir par l’éloquence les emportements populaires[6].

Nous trouvons donc, si loin que nous remontions dans l’histoire de la Grèce, l’habitude des assemblées et de la discussion publique. La nécessité de convaincre avant de commander aiguisa l’esprit de ce peuple ; toutes ses facultés furent ainsi tenues en haleine et prêtes pour le plus brillant essor.

Il est encore à noter que la condition de ceux qui forment le peuple, δήμος, est meilleure au temps de la royauté homérique qu’elle ne le sera sous les gouvernements aristocratiques : voyez, dans l’Odyssée, les rapports d’Ulysse avec le pâtre Eumée, un ancien esclave.

Ce peuple, déjà si libre dans sa constitution politique, l’était plus encore dans son organisation religieuse : point de prêtres, ou, pour mieux dire, point de clergé constitué à part, et point de livre saint, comme la Bible, les Védas ou le Zend-Avesta, c’est-à-dire point de corps de doctrines consacrées : double fait fondamental dans l’histoire du développement intellectuel des Hellènes. Comme tout chef de famille est le prêtre de sa maison, le roi est le premier pontife de la cité : Tu veilles sur le foyer de ce pays, disent les filles de Danaüs au roi d’Argos[7]. C’est lui, en effet, qui immole la victime pour son peuple, sans se croire investi d’un caractère sacré[8] ; quand il sacrifie au nom de la ville, il remplit une fonction publique.

Mais la superstition est un des instincts les plus naturels de l’homme, et jamais encore le culte ne s’est borné à un acte d’adoration et de reconnaissance envers l’Être souverain. Tous les peuples ont voulu arracher à l’avenir les secrets qu’il gardera toujours, et tous ont eu des sorciers, des magiciens ou, comme les Grecs, des devins qui interprétaient les signes célestes, des hallucinés qui voyaient le monde invisible, des convulsionnaires, comme la Pythie de Delphes, qui sentaient le dieu s’agiter en eux et exprimaient ses volontés. Les Grecs croyaient ces prophètes en relation directe avec la divinité et les consultaient en toute confiance. Ainsi le temple de Dodone avait ses colombes sacrées et ses chênes séculaires que le vent faisait parler en passant dans leur feuillage : trois prêtresses, les Péléiades, interprétaient ces sons confus. Les oracles d’Apollon à Delphes, reçus par la Pythie, étaient traduits par la bouche de ses prêtres ; et Orphée accompagna les Argonautes pour charmer par ses chants leur long voyage, niais aussi pour expliquer les signes célestes. Les plus fameux devins furent Amphiaraos, auprès des sept chefs dans la première guerre de Thèbes, Tirésias et sa fille Manto chez les Thébains, enfin Calchas, qui suivit les Grecs dans la guerre de Troie.

On croyait aussi que les dieux envoyaient aux hommes, dans les songes ou par les éclats de la foudre, des avis salutaires, des menaces ou des espérances[9]. Certaines familles passaient même pour avoir par droit héréditaire l’inspiration divine ou le privilège d’être plus agréables aux dieux dans l’accomplissement des mystères[10]. Elles étaient sans doute les restes survivants d’anciennes races théocratiques que les révolutions avaient dépouillées de leur pouvoir temporel. Dans la croyance des Grecs, quelque dieu se trouvait toujours à l’origine de ces familles respectées. Pindare, célébrant un vainqueur aux jeux Olympiques, qui comptait parmi ses aïeux un devin iamide, raconte comment vint à cette race le don de voir l’avenir : Évadné, la jeune fille aux cheveux couleur de la violette, vivait aux bords de l’Alphée. C’est là qu’aimée d’Apollon elle goûta pour la première lois les douces amours ; là aussi un jour, venue pour puiser de l’eau, elle fut contrainte de déposer sa ceinture de pourpre avec son vase d’argent. Aussitôt le dieu à la blonde chevelure envoya près d’elle Ilithyie qui calme les souffrances, et l’enfant de ses entrailles et de ses chères douleurs, Iamos, parut à la lumière. Brisée par la souffrance, elle le laissa à terre ; mais, par l’ordre des dieux, deux serpents aux yeux verts le nourrirent du suc des abeilles… Quand l’aimable jeunesse eut mis sur son front la couronne d’or, il descendit au milieu de l’Alphée et invoqua son aïeul, le puissant Neptune, ainsi que le dieu à l’arc redoutable qui protège Délos, son sanctuaire. Il leur demandait de ceindre sa tête de la bandelette vénérée des peuples. Son père lui donna un double trésor de science prophétique ; dès lors il entendit la voix qui jamais n’a proféré le mensonge et il put annoncer l’avenir sur l’autel du grand Jupiter[11].

Mais ces devins, même les collèges de prêtres qui exerçaient, à l’exclusion des laïques, certains sacerdoces, comme ceux de Jupiter à Dodone et d’Apollon à Delphes, ne formèrent point un corps séparé du reste des citoyens, et ne jouèrent jamais, comme tels, un rôle politique ; les Grecs, en un mot, n’eurent pas plus de caste sacerdotale qu’ils n’avaient de caste militaire.

 

II. La famille, l’industrie

Comme en toute société barbare, la violence devançait la justice, et les meurtres étaient fréquents. Nos pères, dit Aristote, marchaient toujours armés. A Cumes, la loi sur le meurtre exigeait, pour la condamnation, que l’accusateur produisit en témoignage un certain nombre de ses parents[12]. Ce sont les cojuratores des lois germaniques, et cette coutume atteste que, s’il fallait des témoignages pour obtenir justice, il était nécessaire d’avoir aussi des lances pour se défendre contre la vendetta de la famille du condamné. Naturellement les moeurs étaient simples parce qu’on était pauvre, mais avec une liberté inconnue à l’Orient, parce que chacun avait besoin de tous. Dans la Grèce héroïque, c’est à peine si la classe servile existe ; ceux qu’on a pris à la guerre ou achetés sont moins des esclaves que des serviteurs. Alceste mourante tend la main à ses esclaves pour l’adieu suprême. Eumée espérait qu’Ulysse, rentré dans Ithaque, lui donnerait une maison, un champ et une femme, et, s’il rencontre le fils de son maître, il le baise au front et sur les yeux; mais déjà le vieux pâtre dit le mot que toute la Grèce, même celle des philosophes, répétera : Les dieux ôtent à l’homme la moitié de sa vertu, le jour où ils le font esclave[13].

La condition de l’esclave est douce[14], celle de la femme est honorée. Ici la société domestique, la famille, est mieux constituée que chez les peuples orientaux, les Juifs exceptés[15], gage certain que la société politique aura aussi une constitution meilleure, plus juste et plus libre[16]. La polygamie est interdite, mais non le concubinat.. Si la femme grecque est, encore achetée[17], elle n’est. plus condamnée à l’obscurité et à la solitude du harem ; elle vit ait grand jour, du moins dans les premiers temps ; plus tard, son existence semblera plus sévère : à Athènes, on l’enfermera dans le gynécée, et elle restera dans une condition juridique inférieure à celle de son mari[18]. Exclue de l’héritage de son époux, pupille de ses fils, elle sera toujours mineure. Les anneaux de la chaîne qu’avait nouée autour d’elle l’ancienne servitude n’étaient pas tous brisés. Cependant il y aura, même alors, progrès pour elle, car la dot qui deviendra sa propriété assurera son avenir. A l’époque où nous sommes, quelques-unes ont déjà la dignité sévère de la matrone romaine et ne souffrent point de rivales[19]. Laërte achète Euryclée, mais, dit Homère, quoiqu’elle fût très jeune, il n’en fit point sa compagne, craignant son épouse[20]. Comme le héros ne dédaigne point les travaux manuels, la femme a pour sa part les soins domestiques. Les filles des rois vont elles-mêmes puiser l’eau aux fontaines, comme la belle Nausicaa, comme Polyxène, fille de Priam. Andromaque donne leur nourriture aux chevaux d’Hector ; Hélène travaille à de merveilleuses broderies, et Pénélope ne dompte l’impatience des prétendants qu’en leur montrant le dernier vêtement qu’elle prépare pour le vieux Laërte, ce voile qu’elle tisse le jour et qu’elle défait la nuit : Que diraient les femmes de la Grèce si je laissais ce héros sans linceul, quand la Parque cruelle l’aura livré à la mort ? Et quelle scène que celle des adieux d’Andromaque et d’Hector !

Cependant, dans cet âge oit la force et l’audace sont honorées, l’infidélité s la foi promise n’est pas un crime impardonnable[21] : le mot νόμος, qui signifie la loi morale, ne se trouve pas dans Homère et pas davantage celui d’Éros. Du moins les contemporains du poète ne connaissent pas les ardeurs dépravées que l’Asie et les institutions gymniques communiqueront plus tard à la Grèce. La femme est le seul objet des affections de l’homme ; mais, pour elle, l’amour se borne aux désirs que Vénus fait naître avec sa ceinture, où se trouvent tous les attraits et les mots qui captivent même l’âme du sage[22]. Les passions violentes que l’amour allume sont d’un autre âge, et ce seront d’autres poètes qui les chanteront. Hélène, revenue à Sparte, dans la demeure de Ménélas, y est traitée en épouse et en reine. Si Andromaque et Pénélope sont pour Homère des modèles de piété conjugale, il ne tonnait pas Alceste, Laodamie, Évadné qui meurent pour leur époux ou ne veulent pas lui survivre. Clytemnestre, Antée, Phèdre, Alcmène et toutes les femmes enlevées ou séduites par les héros et par les dieux, montrent l’indulgence des hommes de ce temps pour des faiblesses qu’ils avaient tant de fois provoquées[23]. Une amende était le châtiment du coupable, et l’on avait déjà peu de compassion pour l’époux malheureux. En voyant Arès et Aphrodite pris au piège, artificieux dont Héphaïstos les enveloppes, dit le poète irrévérencieux, un rire inextinguible s’élève parmi les immortels, et ils se disent entre eux : Héphaïstos obtiendra l’amende que pour l’adultère[24].

L’époux ne promettait pas une fidélité rigoureuse; les captives formaient pour les chefs une sorte de harem. Il s’en trouvait beaucoup dans le palais de Priam, quoique l’auguste Hécube eût seule, comme Pénélope à Ithaque, le titre et les honneurs d’une épouse et d’une reine. En sa demeure, Ulysse avait cinquante captives, et il y a de la jalousie dans sa colère contre celles qui se sont abandonnées aux prétendants. Lorsque, avant de s’être fait reconnaître, il entend leurs rires et leurs cris de joie, son cœur murmure, et il voudrait les tuer sur l’heure ; mais ce serait compromettre son entreprise. Se frappant la poitrine, il dit sourdement : Patience, ô mon coeur ! n’as-tu pas supporté des maux plus cruels ?[25] Les prétendants morts, il fait pendre douze des coupables : c’est une scène de sérail.

Malgré ces trop fameux exemples, les liens de la famille étaient forts, l’autorité du père respectée, même par les fils arrivés à l’âge mûr, car sa malédiction entraînait des malheurs inéluctables. Prêtre de la maison, il faisait les libations au tombeau des aïeux et il entretenait au foyer domestique le feu qui ne devait s’éteindre que si la famille disparaissait dans la ligne mâle. Les enfants partagent également entre eux l’héritage, car la propriété individuelle, principe de tout progrès social, était reconnue dès ces vieux âges. Si un meurtre est commis, le prix du sang, τά ύποφόνια, est payé, même par le roi ; et quand les parents de la victime refusent de le recevoir, le meurtrier n’a plus qu’à fuir devant la vengeance conjurée de la famille ou de la tribu, car tous les membres sont solidaires de l’offense[26].

Ces haines que le sang seul apaise nous reportent au fond des forêts de la Germanie et du nouveau monde. Mais les guerriers farouches d’Odin et du Grand-Esprit n’ont rien à faire avec les héros d’Homère, avec ce peuple grec qui se fait toujours aimer malgré ses fautes, ses ruses et ses violences, parce que nul autre n’a mieux développé les sentiments affectueux et poétiques de notre nature. Lorsque la nourrice d’Ulysse, à la vue des prétendants étendus morts, éclate en cris de joie, son maître l’arrête et lui dit : Réjouis-toi dans ton cœur, mais contiens-toi. Il est impie de se glorifier sur des morts. Même le froid et austère Aristote s’écrie : Est-il un plaisir plus pur que de secourir ses semblables et de répandre des bienfaits sur ses amis, ses compagnons et ses hôtes ?[27] Avec cette vive imagination qui leur fit créer si tôt une poésie enchanteresse, avec ce cœur ouvert aux plus nobles sentiments, les Grecs semblent doués d’une éternelle jeunesse. Comme chacun de nous à ce moment de l’existence, ils aiment passionnément toute belle chose et jettent aux quatre vents du ciel la vie et le sentiment, si pleins en eux qu’ils débordent sur la nature entière et l’animent. Point de longs repas et de grossiers plaisirs, comme chez les peuples du Nord ; point d’ivresse[28]. Comme dans leurs banquets que charment la lyre d’Apollon et le chant des muses, ses dieux ne goûtent qu’au nectar et â l’ambroisie qui font couler dans leurs veines un sang pur et immortel, le Grec n’aime qu’une nourriture sobre et légère. A peine l’a-t-il donnée au corps qu’il veut des jeux, des exercices, des danses, des bardes pour lui chanter la gloire des héros ainsi que les nouveaux aèdes lui chantent aujourd’hui les exploits des Klephtes[29]. Que l’étranger frappe â sa porte, et il sera

fêté sans curiosité indiscrète, même le banni, même l’homicide, car l’hôte et le mendiant sont envoyés par Jupiter ; la religion lui en fait une loi : Le misérable qu’on repousse, dit Alcinoos, cache peut-être un dieu[30]. Sa colère est terrible. Sur le champ de bataille il n’épargne pas l’ennemi abattu, et livre son cadavre aux outrages et aux vautours. mais il n’a point de haine qu’on n’apaise, point de vengeance qu’on ne détourne arec des présents et des prières, ces filles boiteuses mais infatigables du grand Jupiter, qui suivent l’injure, pour guérir les maux qu’elle a faits et qui savent toujours fléchit’ le mur des vaillants. Avec sa nature expansive, le Grec a besoin d’amis ; chaque guerrier a un frère d’armes, Hercule et Iolaos, Thésée et Pirithoüs, Oreste et Pylade, qui veulent mourir l’un pour l’autre, Achille et Patrocle, Idoménée et Mérion, Diomède et Sthénélos formaient ces indissolubles amitiés dont le dévouement est la première loi. Dix ans après son retour à Lacédémone, Ménélas s’enfermait encore dans son palais pour pleurer les amis qu’il avait perdus sous les murs d’Ilion.

Plus tard se développeront deux traits fâcheux du caractère hellénique, la vénalité et la ruse. Dans tout Achille, il y aura du Sinon ; jamais au moins du Thersite.

Dans les funérailles, on plaçait une obole entre les dents du mort, pour qu’il pût payer son passage à Charon, le sombre nocher du Styx, et parfois, dans ses mains, un gâteau de miel pour apaiser Cerbère[31]. Le corps, bien lavé et enduit de parfums, était revêtu de ses plus beaux habits, la tête couronnée de fleurs, et exposé sur un lit de parade, les pieds tournés vers la porte, restée ouverte, puisque le mort allait partir pour le grand voyage. Alors commençaient les lamentations funèbres, θρήνοι[32], usage qui subsiste encore chez bien des peuples.

A l’entrée de la maison, on plaçait un vase rempli d’eau lustrale dont s’aspergeaient ceux qui sortaient, usage que nous avons aussi gardé, comme tant d’autres de ces rites antiques que le christianisme n’a pu ou n’a pas voulu enlever aux populations. Le matin du troisième jour, le corps, toujours assis sur son lit de parade, était porté par les proches au lieu de sa sépulture ; en avant marchaient les joueurs de flûte, faisant entendre des airs lugubres sur le mode phrygien; derrière eux les pleureuses volontaires ou gagées. L’usage d’enterrer les morts précéda l’incinération que Lycurgue interdit à Sparte, et qui, étant plus coûteuse, resta toujours moins générale[33]. A côté du mort, on mettait, sans doute aux temps anciens, de grossières idoles pour le protéger dans sa vie d’outre-tombe, plus tard de gracieuses figurines rappelant ses jeux d’enfance ou les serviteurs qu’il avait aimés et qui devaient le distraire ou le servir encore[34] ; et l’on suspendait aux tombeaux les couronnes et les guirlandes que nous aussi nous y mettons. Souvent, aux funérailles des morts illustres, il était célébré des jeux funèbres. Au retour, un repas était pris dans la maison du mort ou chez le plus proche parent, comme cela a lieu dans nos campagnes et compte on le voyait à Paris même il n’y a pas bien longtemps[35]. Le deuil durait trente jours à Athènes, moins longtemps à Sparte ; le troisième, le neuvième et le trentième, il était fait des sacrifices et des libations au mort ; de même à l’anniversaire du décès. Eschyle donne aux Perses les coutumes de la Grèce, lorsqu’il fait raconter par Atossa aux vieillards de Suse les rites qu’elle est venue accomplir au tombeau de Darius : Je partis de ma maison pour porter au père de mon fils un breuvage sacré, le lait, le miel transparent, rosée de l’amie des fleurs, l’eau d’une fontaine virginale et le suc de vieilles grappes de raisin. Allons, amis, entonnez l’hymne solennel et appelez l’ombre majestueuse de Darius, tandis que la terre boira lentement mes offrandes.

On pourrait tracer encore, à l’aide d’Homère et d’Hésiode, le tableau des connaissances et des arts que les Grecs possédaient dans ces vieux âges. Ils n’avaient qu’une charrue de bois pour ouvrir le sein de la terre, et ne demandaient à celle-ci qu’une abondante moisson d’orge, quelques légumes : pois, fèves et oignons ; un peu de blé, de vin, d’huile et de miel ; des fruits : figues, olives, poires, pommes et grenades. Les gerbes étaient foulées par des bœufs : le grain écrasé à la main par les femmes entre deux larges pierres : les grappes de raisin, séchées au soleil ou mises au pressoir ; l’huile ne servait que dans les aliments ou pour oindre le corps. La nourriture ordinaire était des gâteaux d’orge, des légumes et des poissons frais ou salés ; on ne mangeait guère du pain de froment et de la viande fraîche que les jours de fête et dans les sacrifices. Ils savaient tondre les brebis et tisser la laine ; ils travaillaient l’or, l’argent, le cuivre, plus rarement le fer, dont l’exploitation est difficile[36] ; leurs armes étaient de bronze, et le bronze était à l’or comme neuf est à cent[37]. Des emblèmes ornaient les encore boucliers des chefs[38], et c’est avec la lance, qui frappe de près, qu’ils ont vaincu les porteurs d’arcs d’Asie. La monnaie était encore inconnue : un taureau servait de terme de comparaison pour les échanges. Une captive, habile aux travaux d’aiguille, en valait quatre[39] ; la jeune et belle Euryclée en coûta vingt à Laërte[40], et Lycaon se racheta au prix de cent bœufs[41]. Ils pouvaient élever de vastes et solides constructions, mais ils ne savaient point tailler le marbre[42]. Dans leurs temples, une pierre informe ou un tronc d’arbre à peine façonné représentaient même l’Amour et les Grâces ; les tableaux du bouclier d’Achille ne sont qu’un rêve du poète. La musique naissait : les temps héroïques avaient entendu, disait-on, les sons harmonieux de la lyre d’Amphion et d’Orphée ; Achille, sur son vaisseau, charme ses longs loisirs par les sons de la phorminx.

Le centaure Chiron avait découvert ou appris les propriétés médicales de certaines plantes : toute la science de Podalire et de Machaon consistait en des incisions et une médicamentation externe. Esculape lui-même, pour adoucir la douleur, croyait moins aux médicaments qu’aux chants harmonieux et aux paroles mystiques. Par ce côté, la médecine était une partie de la religion, et les médecins une sorte de corporation religieuse.

Malgré la guerre de Troie et l’expédition des Argonautes, la navigation et l’art de construire les vaisseaux étaient dans l’enfance. Quelques constellations avaient été nommées : la Grande et la Petite Ourse, les Pléiades, les Hyades, Orion, l’étoile du Chien et Hespéros (Vénus), le plus brillant des astres qui parcourent le ciel. Mais le navigateur n’osait s’éloigner des côtes, et tirait chaque soir son navire au rivage. La terre était toujours un corps immense que Jupiter tenait suspendu à une chaîne d’or au-dessus de l’abîme, et qui, pour ceinture, avait l’Océan. De grandes colonnes appuyées à la terre et soutenues par Atlas portaient le ciel. Cependant les connaissances géographiques s’étendaient à chaque poème qui chantait les courses vagabondes d’un héros, de Jason, d’Ulysse ou de Ménélas. Le rhapsode, vivant écho de la muse populaire, recueillait tous les bruits, y ajoutait ses fictions, et par ses chants où tout se mêlait, morale, art et religion, il était à la fois et le produit et le peintre de cette société sauvage, mais non grossière, pleine de violences, mais aussi de poésie, parce que, retenue encore près de la nature, elle y trouvait l’inspiration des jeunes années. Chez cette race, la nature humaine ne perd jamais tous ses droits : çà et là on en retrouve les bons côtés. Quels honnêtes sentiments que ceux d’Eumée ! quelle charmante figure que celle de Nausicaa !

Homère et Hésiode, ou les ouvrages réunis sous leur nom, résument la poésie des anciens bardes, mais reflètent deux faces de cette société et comme deux âges différents de la vie du peuple grec; aussi chacun d’eux semble-t-il n’avoir rien connu de l’autre. Cette différence était si bien sentie, qu’elle se montrait jusque dans la récitation de leurs œuvres ; le dialecte qu’ils parlaient est le même; mais on lisait gravement les vers de l’un ; on chantait joyeusement ceux de l’autre sur la cithare. Hésiode, le poète aimé du laboureur et de l’artisan, le poète des hilotes, comme l’appelait dédaigneusement Cléomène, qui le chassait de Sparte où il ne laissait entrer qu’Homère, le chantre des héros et de la guerre, commence son poème des Œuvres et des Jours par l’éloge du travail, et fait découler de là toutes les vertus. Comme cette morale pratique nous met loin du brahmanisme hindou, qui fait consister la dignité et la puissance de l’homme, non dans les oeuvres, mais dans la méditation oisive et stérile des perfections de la divinité ! L’Orient, tout en donnant quelques-uns de ses dieux aux Hellènes, n’a pas réussi à faire pénétrer son mysticisme dans la Grèce, où une civilisation nouvelle va commencer avec un peuple ami du travail et de l’effort humain.

 

 

 



[1] Δμτρεφέες ou διογενίες

[2] Βxσιλήας δωροφάγους (Hésiode, Les travaux et les jours, I, 38).

[3] Odyssée, XIX, 109-114 ; Iliade, XVI, 384-392.

[4] Ce dernier usage se reproduit dans toute l’histoire de la Grèce et de Rome, même dans les premiers siècles du christianisme.

[5] Aristote (Pol., IV, 6) regarde comme l’attribut essentiel de la noblesse la possession héréditaire de la richesse et de la vertu. Mais on sait ce que les anciens appelaient vertu. Pour les Grecs, άρετή vient d’Αρης, comme chez les Romains vitus, vir, vis, ont le même radical.

[6] Dans la description du bouclier d’Achille, Homère montre un jugement rendu par les Anciens. On voyait, dit-il, le peuple se pressant dans l’agora où s’était élevée une querelle, à la suite d’un meurtre. Deux hommes se disputaient pour le prix du sang. L’un prétendait avoir tout payé et le déclarait au peuple, l’autre niait avoir rien reçu. Ils se décident à aller devant des arbitres pour y terminer leur différend. Le peuple acclamait, ceux-ci l’un, ceux-là l’autre, car chacun d’eux avait ses partisans. Des hérauts contenaient le peuple. Les Anciens étaient assis sur des pierres polies, dans l’enceinte consacrée, et leurs bâtons étaient dans les mains des hérauts dont la voix faisait retentir les airs. Ils se levaient ensuite en prenant ces bâtons et prononçaient à tour de rôle leur sentence. A terre, au milieu d’eux, étaient deux talents d’or, pour donner à celui d’entre eux qui rendrait le jugement le plus droit. (Iliade, XVIII, 497-508.) Voyez, dans l’Annuaire de la Société pour l’encouragement des études grecques, année 1884, p. 90, le commentaire juridique de M. Dareste sur ce passage. — Le bâton ou sceptre que prenaient les Anciens avant de parler était le signe qu’ils remplissaient à ce moment une fonction publique. Cet usage se conservera en se transformant : Athènes aura aussi des orateurs officiels.

[7] Eschyle, les Suppliantes, 370 et suiv.

[8] Il faut faire une exception pour le grand prêtre des Cabires de Samothrace, qui était en même temps souverain de l’île, comme peut-être aussi celui d’Apollon à Délos, au moins dans les anciens temps. Mais ceux qui avaient même des sacerdoces héréditaires n’en étaient pas moins, pour tout le reste, citoyens. Une plus grande pureté de moeurs leur était imposée. Beaucoup de sacerdoces étaient remplis par des femmes : la prêtresse de Cérès avait la tète couronnée de pavots et d’épis; celle de Minerve, à Athènes, portait l’égide, la cuirasse et le casque. Le temple de Bacchus au Marais, aussi à Athènes, était desservi par quatorze vierges, comme les Vestales de Rome. Beaucoup de ces prêtresses étaient astreintes à faire voeu de chasteté, comme le montrent vingt endroits de Pausanias. Les prêtres de Diane, à Éphèse, étaient des eunuques. Du reste, ces privations, comme quelques autres abstinences, n’avaient aucun rapport avec l’idée chrétienne de la macération de la chair. Sur cette question, voyez Maury, tome II, chap. XIV. Plus tard, il exista beaucoup de confréries religieuses dont il sera parlé aux chapitres XV et XXVII.

[9] Le tonnerre tombant à droite était un signe favorable (Iliade, II, 355).

[10] Ainsi chez les Éléens, les Telliades, les Clytiades et les Iamides ; à Éleusis, les Eumolpides et les Céryces ; à Athènes, les Étéobutades ; à Thèbes, les Ægides ; à Sparte, à Sicyone, les prêtres d’Apollon Carnien ; à Delphes, les descendants de Deucalion.

[11] Olympiques, VI, 50-117.

[12] Aristote, Polit., II, 6.

[13] Odyssée, XVII, 322.

[14] Voyez dans l’Odyssée la condition des serviteurs d’Ulysse ; il promet à ceux qui lui resteront fidèles de les traiter comme s’ils étaient les frères de Télémaque.

[15] Il faudrait aussi faire une exception pour l’Égypte où, selon M. Paturet (La condition juridique de la femme dans l’ancienne Égypte, 1885), la femme était l’égale du mari.

[16] Aristote, Polit., liv. II, 5, 44 : Nos pères trafiquaient entre eux de leurs femmes. Agamemnon dit à Achille qu’il lui donnera en mariage une de ses filles sans exiger de présents, άνάεδνον (Iliade, IX, 446), et Hector donna à Andromaque μυρία ξδνα (ibid., XXII, 472). Cf. Pausanias, liv. III, chap. XII.

[17] Je note, d’après l’Hymne à Vénus, que l’usage des nourrices chargées d’enseigner aux enfants une langue étrangère était déjà pratiqué au temps où vivait l’auteur inconnu des Hymnes homériques.

[18] Euripide, s’inspirant des coutumes de son temps, dit, au contraire (Médée, 232), que la femme achète son mari χρημάτων ύπερβολή, c’est-à-dire avec sa dot.

[19] Voyez dans les Sept chefs d’Eschyle, les dures paroles d’Étéocle aux jeunes Thébaines. A Athènes, les femmes n’assistaient à aucun repas, et Solon mit des conditions à leur sortie par la ville. Il y avait des magistrats chargés de veiller à leur conduite et elles ne pouvaient paraître en public que vêtues d’une certaine manière.

[20] Athénée, XIII, 2. Il n’est pas bon, dit Euripide (Andromaque, v, 672), qu’un homme ait deux femmes.

[21] L’adultère ne fut même jamais puni très sévèrement. La femme coupable était seulement. notée d’infamie; elle ne pouvait porter certaines parures ni assister aux sacrifices publics. Si elle n’observait pas ces défenses, on pouvait arracher sa parure, déchirer ses vêtements, la frapper même, mais non la blesser (Eschine, Adv. Timarch., 74). Quant à l’homme adultère, le châtiment était plutôt humiliant et grotesque que pénal.

[22] Iliade, XIV, 216-217.

[23] On montra à Pausanias (VIII, XII, 5 et 6), prés de Mantinée, un tombeau que la tradition locale disait être celui de Pénélope. Chassée d’Ithaque par Ulysse, elle serait venue là cacher son déshonneur et terminer sa vie. N’écoutons pas ces mauvaises langues et croyons le poète.

[24] Odyssée, VII, 545 et suiv.

[25] Odyssée, XX, 18.

[26] Cf. Iliade, IX, 632, discours d’Ajax, fils de Télamon, à Ulysse.

[27] Politique, II, 3.

[28] C’est encore aujourd’hui, comme il y a trois mille ans, un des traits des mœurs grecques que la religion a fortifié. Il n’y a que cent trente jours dans l’année où l’un ne fasse pas abstinence par prescription religieuse.

[29] Voyez au chant XXIII de l’Iliade les jeux qu’Achille fait célébrer aux funérailles de Patrocle et dans l’Odyssée, VIII, ceux qu’ordonne Alcinoos pour fêter l’arrivée d’Ulysse : le pugilat, la lutte, le saut et la course.

[30] A Delphes, tous les neuf ans, se célébrait le Stepierion, ou fête commémorative de Charila. Pendant une disette, les Delphiens, avec leurs femmes et leurs enfants, étaient venus eu suppliants à la porte du roi, qui avait distribué à la foule de la farine et des légumes. Malgré les instances et les cris, il n’avait pu en donner à tous, faute d’une provision suffisante, et il avait repoussé durement une orpheline, nommée Charila ; même, irrité de ses importunités, il lui avait jeté sa chaussure au visage. Humiliée de cet affront, abandonnée de tous, la jeune fille s’était retirée dans la montagne et, avec sa ceinture, s’était pendue. Les dieux la vengèrent : une peste survint et ne cessa qu’après qu’on eut, sur l’ordre de la Pythie, apaisé, l’ombre de Charila par un sacrifice, et l’institution d’une fête où il était fait à tous, aux étrangers comme aux citoyens, une distribution de farine et de légumes (Plutarque, Questions grecques, 12).

[31] Aristophane, dans Lysistrata, 600-607, énumère les cérémonies des funérailles.

[32] Voyez dans Homère, les funérailles d’Hector (XXIV, 799 et suiv.).

[33] Cicéron, de Legibus, II, 22.

[34] Bien des opinions ont été émises au sujet des figurines trouvées dans les tombeaux. Aucune explication absolument satisfaisante n’a encore été donnée.

[35] Du moins en ai-je vu encore dans mon enfance, aux portes de Paris.

[36] Iliade, VI, 48.

[37] Iliade, VI, 236. Ces armes d’airain se faussaient facilement (Ibid., III, 348, 363; XI, 247). Au IXe chant de l’Odyssée (392), il est question de la trempe du fer.

[38] Voyez dans les Sept contre Thèbes, le récit de l’espion et la description des boucliers. Étéocle parle aussi de devises qui se lisent sur le bouclier de Polynice, où le métal bouillant les a tracés en lettres d’or. Cet usage est attesté par Homère, Pindare, Eschyle, Euripide, etc. ; des Grecs il a passé aux Romains. Cf. Hist. des Rom., t. VII.

[39] Iliade, XXIII, 704-705.

[40] Odyssée, I, 429-431.

[41] Iliade, XXI, 79.

[42] Parmi les outils, Homère cite le vilebrequin, le rabot, la hache, le niveau, mais il ne parait pas connaître la scie, l’équerre, le compas. Nos Kabyles de l’Algérie étaient moins avancés, le rabot et la scie leur étaient inconnus. Sur le bouclier d’Achille (Iliade, XVIII, 490-572), Vulcain a représenté quelques-unes des connaissances industrielles et des habitudes de la vie civique dans les temps homériques. Il est une autre industrie qui commença de bonne heure, comme l’ont montré nos gravures des premières pages, celle de la céramique. M. Heuzey en a résumé l’histoire d’après la Céramique grecque d’Albert Dumont. D’abord l’ancien ornement géométrique associe ses combinaisons ingénieuses au style oriental, caractérisé par la représentation des animaux et des divinités fantastiques, comme on le voit principalement à Rhodes. Puis, le décor asiatique devient de plus en plus envahissant : c’est le caractère des premières poteries corinthiennes, des vases à reliefs de l’Étrurie, et aussi, dans une proportion différente, de la céramique chypriote.

Enfin, les progrès de l’art grec, qui adopte résolument pour thème favori la figure humaine, introduisirent dans la décoration des vases un élément nouveau et original, qui commence par s’associer aux deux autres classes d’ornements, par exemple dans les poteries de l’île de Milo. Sous l’impulsion de la poésie héroïque des Hellènes, ce principe fécond se développe rapidement. Avec la seconde époque de la céramique corinthienne, la peinture des vases est devenue comme une illustration populaire de l’épopée nationale. Le caractère, en quelque sorte littéraire de cette décoration, se marque davantage encore par l’introduction des inscriptions qui expliquent les scènes légendaires. Une nouvelle imagerie se trouve ainsi constituée, vraiment digne de la brillante imagination de la race grecque : elle s’étend non seulement à la céramique, mais à l’art décoratif tout entier.