HISTOIRE DES GRECS

PREMIÈRE PÉRIODE — HISTOIRE LÉGENDAIRE (2000-1404 ?) — FORMATION DU PEUPLE GREC.

Chapitre III — Les Éoliens et les Achéens.

 

 

I. Deucalion et les héros éoliens

Lorsqu’on demandait aux Grecs d’où ils venaient, leur réponse était bien simple : Prométhée, disaient-ils, était fils de la Terre et fut père de Deucalion. Celui-ci régnait sur la Thessalie, quand Jupiter, irrité des crimes des hommes, envoya un déluge qui fit périr toute la population. Deucalion échappa seul au fléau, avec sa femme Pyrrha, dans un navire qu’il avait construit d’après les conseils de Prométhée. Au bout de neuf jours, l’arche s’arrêta sur la cime du Parnasse. Lorsque les eaux se furent retirées, Deucalion et Pyrrha consultèrent l’oracle de Thémis, qui leur commanda de jeter derrière eux les os de leur grand’mère en se voilant le visage. Deucalion comprit le sens de        l’oracle : ils ramassèrent les pierres de la terre et les lancèrent par-dessus leurs épaules. Celles de Pyrrha se changèrent en femmes, celles de Deucalion devinrent des hommes, et la Grèce put se repeupler[1]. Ce Deucalion fut l’auteur de la race hellénique, car il eut pour fils Hellen, lequel engendra Doros, qui eut la Grèce centrale; Éolos, à qui échut la Thessalie; et Xuthos, le père d’Ion et d’Achéos, qui posséda le Péloponnèse. La vanité grecque ne se contenta pas de cette descendance. Sans respect pour Deucalion et les mœurs de sa maison, elle fit naître Hellen de Pyrrha et de Zeus ; Pandore, autre femme de Deucalion, eut pareille aventure et fut mère de Graïcos[2]. Une fille de Deucalion reçut le même honneur : des œuvres de Zeus, elle enfanta l’ancêtre des Macédoniens. Les Grecs tenaient à avoir pour auteur de leur race, même des races voisines qui n’étaient qu’à demi hellénisées, celui qu’ils nommaient à bon droit le père des hommes et des dieux.

Sur cette renaissance de l’humanité courait une autre légende, celle de Prométhée formant l’homme. On savait même de quel limon il s’était servi, et, en Phocide, l’on en montra les restes à Pausanias[3] : c’était la vase que les eaux du déluge de Deucalion avait laissée en se retirant.

Les tribus nouvelles dont la Grèce pélasgique devenait le domaine étaient animées d’un esprit plus libre, plus héroïque, accordant moins aux dieux, davantage à l’homme. Le prêtre allait céder la place au guerrier. C’est donc avec justice que les Hellènes mettaient à la tête de leur race, comme père de Deucalion, le Titan qui avait ravi le feu du ciel pour le donner aux hommes et faire, par l’invention des arts, d’une race dégradée la rivale des dieux. Aussi Jupiter foudroie Prométhée, il l’enchaîne au sommet du Caucase, et un aigle lui déchire le foie incessamment ; mais le Titan vaincu espère encore et prédit la victoire. Jupiter tombera, dit-il, du vieux trône des cieux, précipité par un géant indomptable qui trouvera un feu plus puissant que la foudre, des éclats plus retentissants que le tonnerre, et qui brisera dans la main de Neptune le trident dont il soulève l’Océan et fait bondir la terre[4].

Mais si le mythe est d’accord avec le génie national, il l’est peu avec les faits.

Malgré cette généalogie si bien dressée, qui partage la race hellénique en quatre branches et qui la montre submergeant en une seule génération la Grèce entière, nous ne voyons dans la société grecque de l’âge historique que deux groupes bien distincts de population hellénique, les Ioniens et les Doriens, lesquels diffèrent, comme on le verra, par les institutions politiques et sociales, le dialecte et l’art, architecture, musique, poésie, même par leurs doctrines philosophiques. Mais ces peuples laissent, pour les temps anciens, la première place aux tribus éolo-achéennes. Si les Ioniens sont alors un des éléments considérables de la population hellénique, ils n’ont pas un rôle distinct ni une renommée particulière. Les Doriens aussi restent clans l’ombre : les deux autres tribus apparaissent seules au milieu des lueurs trompeuses de l’époque légendaire.

Qu’étaient les Éoliens ? Nous ne savons s’il ne faut pas, comme leur nom l’indique[5], voir en eux un mélange de Pélasges et d’Hellènes fait à des époques inconnues, en divers lieux et dans des proportions différentes. Ceux, en effet, que les anciens appelaient de ce nom, ne paraissent pas avoir été une seule et même tribu, comme le dialecte dit éolien semble moins un rameau distinct de la langue grecque que le mélange de toutes les formes de l’idiome hellénique qui n’étaient ni ioniennes ni doriennes. Il a été en outre reconnu d’une manière certaine que les affinités les plus grandes du latin et du grec se trouvent dans le dialecte éolien, qui, bien plus que les autres, se rapproche de leur type commun et renferme sans doute les éléments de la langue la plus anciennement parlée en Grèce et en Italie.

On voit les Éoliens s’étendre sur une zone presque partout maritime du nord-est au sud-ouest ; on les trouve aux environs du golfe Pagasétique, dans une partie de la Béotie, dans. la Phocide, l’Étolie, la Locride, l’Élide et la Messénie. Podalire, Machaon, Philoctète, Ulysse, Nestor et Ajax, fils d’Oïlée, étaient de cette race ; les légendes y rattachent Jason, le grand chef de mer; le devin Mélampos, qui comprenait le chant des oiseaux et savait guérir les plus cruelles blessures ; le présomptueux Salmonée et son frère, le rusé Sisyphe, fondateur de Corinthe, qui, aux Enfers, doit, en punition de crimes mal définis, poser au sommet d’une montagne un roc énorme, sans cesse retombant ; enfin Athamas, le puissant roi des Minyens, le gendre de Cadmus, qui fut père de Mélicerte, dont le nom rappelle un dieu tyrien. Athamas fut père aussi de Phryxos et d’Hellé, qu’il voulut immoler et que Jupiter sauva en leur envoyant un bélier à la toison d’or pour les transporter hors d’Europe.

Les Achéens ont une physionomie encore moins distincte. Les anciens les rattachaient aux Éoliens[6], avec lesquels ils finirent par se confondre, et il n’est nulle part question d’art ou de dialecte achéen. Ils ne formaient donc pas une tribu particulière. Comme les Éoliens encore, ils préféraient les lieux maritimes ; et leur histoire regarde à l’orient. Teucer, un de leurs héros, a le même nom qu’un roi de la Troade, et on trouve des Achéens en Chypre et dans la Crète. Mais ils s’élevèrent à un plus haut degré de puissance, et c’est par eux, à vrai dire, que l’histoire de la Grèce commença.

 

II. Les héros achéens ; Achille, Bellérophon, Persée, Hercule, Thésée, etc.

Leur premier séjour fut peut-être la Phthiotide, riche vallée entre l’Othrys et l’Œta que le Sperchéios féconde et où leur capitale, attachée comme un nid d’aigle aux rochers, portait un nom pélasgique, Larisse la pendante. Là avait vécu Pélée, le héros chéri des dieux, auxquels il offrait des hécatombes de béliers, et que Thétis, la déesse aux pieds d’argent, aima. Leur fils fut Achille, que le sage centaure Chiron éleva sur les montagnes. Grand cœur, force invincible, courage indomptable, ami tendre et fidèle, il traversa rapidement la vie et fut moissonné dans sa fleur. La poésie a entouré son nom d’une gloire immortelle et a fait de lui l’idéal des héros de la race hellénique. Telle était la ferveur du culte rendu à sa mémoire, telle était l’abondance des monuments qui lui étaient consacrés, qu’on pourrait presque recomposer toute son histoire à l’aide de ceux de ces monuments qui nous restent, quelque faible qu’en soit le nombre, relativement à tout ce que l’antiquité en possédait. Il n’est aucune circonstance de sa vie qui ne puisse être constatée, à défaut d’un témoignage écrit, par quelque ouvrage de l’art ; et, de même qu’on a fait un livre de la seule indication des passages d’écrivains grecs et latins, poètes et prosateurs, qui ont rapport à Achille, on pourrait en faire un autre, au moins aussi considérable, du seul catalogue des monuments qui le concernent[7].

Les circonstances de la vie du héros dont les artistes et les poètes se sont tant occupés, sont surtout : la purification d’Achille par sa mère Thétis, qui essaye de le rendre invulnérable, soit en le plongeant dans les eaux du Styx, qui baignent tout son corps, excepté le talon par où elle le tient, et où la flèche de Pâris le blessera du coup fatal, soit en le plaçant au milieu des flammes, après l’avoir baigné d’ambroisie, pour détruire en lui tout ce qu’il y avait de mortel; son éducation par le centaure Chiron, qui le nourrit, au milieu des forêts du Pélion, de la moelle des lions et des sangliers; son séjour dans l’île de Scyros, où sa mère l’avait caché parmi les filles de Lycomède[8] ; la ruse d’Ulysse qui le découvre en mêlant aux présents qu’il offre aux jeunes filles des armes, qu’Achille saisit aussitôt ; son arrivée à Aulis, où il ne peut empêcher le sacrifice d’Iphigénie ; ses exploits et sa colère sous les murs de Troie ; la vengeance qu’il exerce sur le cadavre d’Hector; sa victoire sur la reine des Amazones, Penthésilée, dont le casque en roulant de sa tête découvre la merveilleuse beauté; les pleurs d’Achille sur ce triomphe funeste; les railleries du lâche Thersite, que le héros assomme d’un coup de poing ; enfin, ses fiançailles avec Polyxène, une des filles de Priam ; la trahison de Pâris, qui le frappe par derrière; et l’immolation expiatoire de Polyxène que l’ombre d’Achille demande aux Grecs.

Les Achéens du Sud se glorifiaient, non d’un chef aussi fameux parmi les hommes, mais de deux héros qui avaient accompli, par l’assistance des dieux, de plus merveilleux exploits, Bellérophon et Persée.

Le premier était petit-fils du roi de Corinthe, Sisyphe, le plus rusé des mortels. Un meurtre que commit Bellérophon l’obligea de quitter Corinthe ; il se rendit à Tirynthe, auprès du roi Prœtos, descendant de Danaüs, qui le purifia du sang versé. La reine se prit d’amour pour lui et, offensée d’un refus, l’accusa auprès de son époux. Prœtos ne voulut point souiller ses mains du sang de son hôte. Il l’envoya auprès de son beau-père Iobate, roi de la Lycie, avec une tablette pliée où il avait tracé des signes de mort : c’était une recommandation à ce prince de se défaire de Bellérophon[9]. Le roi reçut magnifiquement l’étranger. Pendant neuf jours, il lui donna des festins, et chaque matin il immola aux dieux un taureau pour les remercier de sa bienvenue. Le dixième jour seulement il lui demanda son message, et, après en avoir pris connaissance, lui ordonna d’aller tuer la Chimère, qui avait la tête d’un lion, la queue d’un dragon, le corps d’une chèvre, et dont la gueule béante lançait des tourbillons de flammes. Le héros tua le monstre avec l’aide de Minerve, qui lui donna le cheval ailé Pégase, fils de Neptune et de Méduse. Iobate lui commanda ensuite de combattre les Solymes et les Amazones[10] : il les vainquit encore, et le roi, désespérant de réussir par la force ouverte, mit en embuscade les plus braves de son peuple ; mais pas un de ces guerriers ne revit jamais sa demeure. Alors Iobate reconnut le favori des dieux et lui donna sa fille en mariage. Sur la fin de sa vie, le héros voulut, monté sur Pégase, escalader l’Olympe, et se laissa choir. Son corps fut brisé, mais son coursier divin alla former une constellation parmi les étoiles.

Acrisios, roi des Argiens, et, comme Prœtos, descendant de Danaüs, avait une fille, Danaé, que Jupiter aima. De cette union naquit Persée. Un oracle avait prédit à Acrisios qu’il serait privé par son petit-fils de la couronne et de la vie. Dès qu’il apprit sa naissance, dit Simonide dans son ode admirable à Danaé, il l’enferma avec sa mère en un coffre qu’on jeta au milieu des flots.

Dans le coffre artistement façonné grondent et le vent qui souffle et la mer agitée. Danaé, saisie de frayeur et les joues baignées de larmes, entoure Persée de ses bras, et s’écrie : Ô mon enfant, quelle douleur j’endure ! mais toi, tu n’entends rien ; tu dors d’un coeur paisible dans cette triste demeure aux parois jointes par des clous d’airain, dans cette nuit sans lumière, dans ces noires ténèbres. Tu ne t’inquiètes pas du flot qui passe au-dessus de toi sans mouiller ta longue chevelure, ni du vent qui résonne, et tu reposes enveloppé de ta couverture de pourpre, visage de beauté. Ah ! si ce qui m’effraye t’effrayait aussi, tu prêterais â mes paroles ta charmante oreille. Allons, dors, mon enfant ; dorme aussi la mer ; dorme notre immense infortune ; mais, ô Jupiter, puissent mes yeux voir tes desseins me redevenir favorables ! Ce vœu que je t’adresse, il est présomptueux peut-être ; par donne-le-moi, par grâce pour ton fils !

Les vagues les portèrent sur l’île de Sériphos, dont le roi les délivra de leur prison. Persée grandit vite en force et en courage. Sa première entreprise fut dirigée contre les Gorgones qui avaient des serpents entrelacés dans leur chevelure et changeaient en pierres tous ceux que rencontrait leur regard ; mais Pluton donna au jeune héros un casque qui le rendit invisible, Minerve lui céda son bouclier, Mercure ses ailes et une épée de diamant. Il surprit les Gorgones endormies et coupa la tête de Méduse. Du sang de la Gorgone naquit Pégase dont Persée s’empara. Atlas, roi de Maurétanie, lui refusant l’hospitalité, il lui présenta la tête de Méduse qui le changea en montagne. Sur la côte de Palestine, il délivra Andromède exposée à un monstre marin et l’épousa ; mais Phinée, oncle de la princesse, vint troubler, avec ses partisans, le festin nuptial : la tête de la Gorgone les pétrifia. Le roi de Sériphos, qui voulait contraindre Danaé à le prendre pour époux, eut le même sort. Après ce dernier exploit, le héros rendit aux dieux les armes qu’il avait reçues d’eux et attacha sur l’égide de Minerve la tète de Méduse. De retour dans la Grèce, il tua son aïeul d’un coup de disque lancé au hasard et fonda, à la place où tomba son glaive, Mycènes, dont il fit bâtir les murs par les Cyclopes de la Lycie, comme Prœtos leur avait fait construire ceux de Tirynthe. Après un long règne, il mourut de la main d’un fils d’Acrisios qui vengea sur lui son père.

Les Achéens revendiquent un personnage plus fameux, qui devint pour les Grecs le héros national, mieux encore, une divinité siégeant parmi les immortels, Hercule, fils d’Alcmène et d’Amphitryon. Tous deux descendaient de la race divine de Persée, et Amphitryon était le légitime héritier du royaume de Tirynthe. Forcé de fuir, après le meurtre involontaire de son oncle Électryon, il se rendit à Thèbes, où Jupiter prit ses traits pour tromper la tendresse d’Alcmène. Hercule naquit. Junon, qui ne pardonna pas à Alcmène de lui avoir ravi l’amour de son époux, envoya deux serpents pour tuer l’enfant dans son berceau : il les saisit et les étouffa de ses puissantes mains. Adoucie par les prières de Pallas, la déesse consentit à lui donner le sein pour le rendre immortel, mais il la mordit avec tant de violence que le lait jaillit jusqu’à la voûte déleste, où il forma la Voie lactée. L’enfance d’Hercule se passa au milieu des rudes exercices des pâtres du Cithéron. Il commença ses glorieux travaux en délivrant les campagnes de Thespies d’un lion énorme qui les ravageait ; il affranchit Thèbes du joug des Orchoméniens, et, fermant les issues du lac Copaïs, changea la plaine d’Orchomène en un vaste marais. Jupiter s’aida de son bras contre les Titans qui voulaient escalader le ciel, mais n’en laissa pas moins son fils soumis aux capricieuses volontés d’Eurysthée, roi de Mycènes, soit en accomplissement d’un serment imprudemment fait par le dieu, soit en expiation d’un meurtre commis par le héros. Hercule eut à combattre le lion de Némée, l’hydre de Lerne, dont les têtes repoussaient si on ne les coupait que l’une après l’autre, le sanglier d’Érymanthe, les oiseaux gigantesques du lac Stymphale et le taureau de la Crète. Il saisit à la course, après l’avoir poursuivie une année entière, la biche aux pieds d’airain et aux cornes d’or du mont Cérynée, nettoya les étables d’Augias en y détournant l’Alphée, fit manger par ses propres chevaux le roi thrace, Diomède, qui les nourrissait de chair humaine, ravit les pommes d’or dit jardin de Hespérides, malgré le dragon qui les gardait, tua le triple Géryon et enchaîna Cerbère, pour délivrer Thésée retenu chez Pluton.

Ce furent là ses douze travaux, mais il en accomplit bien d’autres dans ses longs voyages à travers l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Il délivra Hésione, sœur de Priam, qu’un monstre marin, envoyé par Neptune, allait dévorer, prit Troie, tua, sur l’Aventin, le brigand Cacus et, dans la Libye, Antée, qu’il étouffa en l’enlevant dans ses bras puissants ; car, chaque fois qu’il terrassait le géant, il l’avait vu retrouver de nouvelles forces en touchant la Terre, sa mère. Il extermina les Centaures, délivra Alceste des mains de la Mort et Prométhée du vautour qui lui rongeait le foie ; il aida Atlas à porter le ciel, et ouvrit le détroit que bornent les colonnes d’Hercule. Exilé pour un meurtre, il fut vendu 3 talents en Lydie par Mercure et fila aux pieds d’Omphale. De retour en Grèce, il secourut les Doriens contre les Lapithes, s’empara des États d’Amyntor, roi d’Orchomène, et tua le roi d’Œchalie avec tous ses enfants, à l’exception d’Iole. A la vue de cette belle jeune fille, Déjanire, femme d’Hercule, comprit qu’elle allait perdre l’amour de son époux ; pour le retenir, elle lui envoya, suivant le perfide conseil de Nessus, une tunique teinte du sang du Centaure et imprégnée du venin de l’hydre de Lerne. Dès que le héros s’en est revêtu, un feu secret et terrible le dévore. Il veut l’arracher, sa chair tombe en lambeaux ; vaincu par le mal, il se fait dresser un bûcher au sommet de l’Œta et y monte, après avoir confié ses flèches à Philoctète. C’était la dernière épreuve. Les dieux reçoivent dans l’Olympe le héros purifié par la douleur et l’amour, et lui donnent la jeune Hébé pour sa compagne immortelle.

Les exploits de Bellérophon et de Persée ont surtout l’Orient pour théâtre ; la légende d’Hercule est plus nationale, bien que le héros porte par tout le monde alors connu sa force invincible, et que le Tyrien Melkarth n’ait pas peu contribué à enrichir son histoire ; celle de Thésée est presque exclusivement grecque.

Ce héros, fils d’Égée ou de Neptune, naquit à Trézène, au milieu des Achéens. Égée avait placé son épée et sa chaussure sous une énorme pierre. A seize ans, Thésée se trouva assez fort pour enlever ces signes qui devaient le faire reconnaître de son père, mais il ne voulut se montrer à Athènes qu’après s’être rendu digne du trône par ses exploits. Des brigands infestaient l’Argolide, l’isthme de Corinthe et l’Attique : Sinnis, qui attachait les étrangers tombés dans ses mains à deux pins courbés en sens contraire, puis laissait les arbres se redresser et déchirer les victimes; Sciron, qui les précipitait du haut des rochers dans la mer[11] ; Cercyon, qui les forçait de lutter avec lui et les tuait quand il les avait vaincus ; Procruste, qui les attachait sur un lit de fer, coupant les extrémités à ceux qui en dépassaient la mesure, allongeant avec des courroies ceux dont les membres étaient trop courts. Thésée les tua, et, arrivé enfin à Athènes, il se fit reconnaître d’Égée, malgré la magicienne Médée, qui, répudiée par Jason, s’était réfugiée dans la cité de Minerve, sur un char attelé de serpents ailés.

Dans l’Attique, le héros trouva encore à montrer sa force et son courage ; il vainquit les Pallantides, qui voulaient dépouiller son père, et prit vivant le taureau qui désolait les plaines de Marathon. Athènes payait à la Crète un tribut de sept jeunes filles et de sept jeunes garçons, que le Minotaure dévorait. Thésée s’offrit à être du nombre des victimes. A l’aide du fil qu’Ariane lui donna, il pénétra dans le labyrinthe de Dédale, tua le monstre[12] et revint, avec Ariane, qu’il abandonna dans l’île de Naxos. Il avait oublié d’ôter à son vaisseau les voiles noires qu’il portait au départ ; Égée, à la vue de ce signe de deuil, crut son fils mort et se précipita dans la mer qui prit son nom. Thésée hérita de son pouvoir et donna de sages lois à l’Attique. Il institua des fêtes en l’honneur de Minerve et d’Apollon, et, chaque année, le navire qui l’avait ramené de la Crète porta des offrandes à Délos. Entretenu avec un soin religieux, ce vaisseau, sans cesse réparé et toujours le même, vécut des siècles. Mille ans plus tard, il conduisait encore à Délos la théorie sacrée.

Cependant le goût des aventures rejeta Thésée dans la vie errante. Il prit part à la chasse du sanglier de Calydon et à la conquête de la toison d’or : il combattit les Amazones sur les bords du Thermodon, enleva Hélène et voulut aider son ami Pirithoüs à ravir Proserpine. Mais Pirithoüs fut mis en pièces par Cerbère, et Thésée, retenu aux Enfers, ne fut délivré que par Hercule. Rentré dans Athènes après deux ans d’absence, il reçut les plaintes de Phèdre contre Hippolyte et prononça sur son fils innocent des malédictions que Neptune entendit : un monstre marin, sorti des flots, effraya les coursiers du jeune prince qui, renversé de son char et embarrassé dans les rênes, expira, déchiré par les rocs où ses chevaux furieux le traînaient. Dès lors tout se tourne contre Thésée. Malgré ses services, le héros perd l’amour du peuple ; les Athéniens le chassent, une tempête le repousse de la Crète sur l’île de Scyros, et le roi de cette île le fait périr en trahison. Cimon rapporta plus tard ses cendres, et les Athéniens l’honorèrent comme un demi-dieu.

II y a peu à prendre pour l’histoire dans les légendes de Bellérophon et de Persée, si ce n’est comme un écho d’anciens rapports entre l’Argolide et les pays à l’orient et au sud de la Grèce. Dans celle d’Hercule, il y a certainement des faits historiques ; mais comment les détacher du merveilleux qui les enveloppe, comment faire la part des temps et des peuples qui, chacun, ont apporté leur tribut pour augmenter la gloire et les travaux du héros par excellence ? Homère le connaît mal, mais les poètes cycliques en savent bien long sur lui. D’abord il faut reconnaître plusieurs Hercules : le héros grec et le dieu phénicien ; celui-ci accomplit les voyages autour de la Méditerranée ; il est le soleil ou le représentant du peuple navigateur dont les comptoirs couvrirent les côtes de l’Afrique, de l’Espagne et de la Gaule. Dans le héros grec il y a plusieurs personnages. L’un, celui qui brise les rochers et qui détourne les fleuves, qui fend les montagnes pour faire écouler les eaux et qui détruit les bêtes féroces, appartient au temps de la civilisation primitive, aux premiers efforts d’une société naissante contre le monde matériel, même à l’imagination de tous les vieux peuples qui, dans leurs théogonies, aiment à placer un dieu exterminateur des monstres. L’autre qui, à la tête de compagnons dévoués, défend le faible contre le fort, punit les tyrans, renverse les oppresseurs et fait don de leurs royaumes aux braves, était d’un âge moins reculé, de l’époque où les tribus helléniques se disputaient la possession de la Grèce. Enfin on pourrait encore distinguer l’Hercule thébain, qui apparaît comme un chef puissant, comme un conquérant invincible, et l’Hercule de Mycènes, soumis, on ne sait pour quelle cause, au capricieux vouloir de son cousin Eurysthée.

Mais pourquoi chercher de l’histoire là où ne se trouve que de la poésie légendaire, enrichie de nouveaux détails à chaque nouvelle génération de poètes, même de philosophes ? Ceux-ci mêlèrent des idées purement mythiques à des récits d’aventures humaines, et Hercule devint la personnification d’agents physiques, de forces morales et d’idées astronomiques[13]. Ainsi il fut le héros sauveur, luttant sans relâche pour le salut du monde. En Béotie, on l’honora comme le dieu qui chasse les maux (άλεξίαxος) et qui donne la santé (σωτήρ). Il fut la source de la vie et de la force, l’air pur et l’atmosphère lumineuse. Tandis que les uns ne voyaient en lui que le vaillant à qui nul et rien ne résistaient ; d’autres, dans l’âge postérieur, firent de lui l’idéal de la perfection humaine et, de sa vie entière, une passion soufferte pour le salut du genre humain[14]. Hercule fut alors l’homme divin sur lequel tous les autres devaient prendre exemple. De là l’allégorie fameuse que Prodicus nous a conservée : cette apparition au fils d’Alcmène, prêt à débuter dans la vie active, de deux femmes, l’une majestueuse et sévère, c’est la Vertu ; l’autre riante et douce, c’est la Volupté. Chacune s’efforce de l’attirer à soi et de lui faire prendre la route qu’elle suit. Il se décide pour la première.

Thésée est resté un homme, un héros. Malgré sa naissance à Trézène et sa jeunesse passée dans l’Argolide au milieu des Achéens, il semble personnifier une époque de puissance que l’Attique aurait eue avant sa grande histoire. La légende qui conduit Hercule dans tous les pays de la Grèce ne lui donne rien à accomplir dans cette province. Les Athéniens s’en dédommagèrent en faisant de Thésée le héros de l’Attique, comme Hercule était celui des peuples de l’Argolide et, de la Béotie, par son origine, et celui des Doriens, qui prirent ses fils pour chefs et eurent toujours des Héraclides pour rois. On verra plus loin, au commencement du chapitre IX, les institutions qu’on attribue à Thésée.

Si l’on voulait passer en revue tous les personnages des temps héroïques, on trouverait encore : à Mycènes, les Pélopides Atrée et Thyeste, et leur sanglant festin ; — à Sparte, Tyndare et Léda, qui fut aimée de Jupiter et donna le jour aux Dioscures Castor et Pollux, fameux par leur amitié fraternelle, et à leurs sœurs Hélène et Clytemnestre, beautés fatales ; — dans Égine, Éaque, le plus juste des mortels, et ses fils Télamon et Pélée, moins illustres l’un et l’autre que leurs enfants, Ajax et Achille ; — à Corinthe, le rusé Sisyphe, qui enchaîna la Mort et trompa Pluton en s’obstinant à vivre une seconde fois, quand le dieu lui eut permis de revenir pour quelques jours sur la terre, et Pirène, la mère inconsolable dont les larmes avaient formé la source de l’Acrocorinthe ; — à Sicyone, la plus antique race royale ; — en Arcadie, Atalante, la hardie chasseresse qui devançait à la course les plus rapides des Grecs et les tuait après les avoir vaincus: Elle fut cependant vaincue elle-même par Hippomène, qui, pour ralentir la course de la vierge indomptable, jeta devant elle trois pommes d’or du jardin des Hespérides, que Vénus lui avait données.

Les traditions plaçaient encore à Pylos le sage Nestor, fils de Nélée, échappé seul au massacre fait par Hercule de tous les siens ; — dans l’Attique, Érechthée, qui, pour obtenir une victoire, immola ses trois filles, victimes volontaires ; — Céphale, l’amant de l’Aurore, et Orithye que Borée enleva, comme elle jouait avec ses compagnes sur les bords de l’Ilissos. Dans l’Étolie, c’est Méléagre, qui tua le sanglier de Calydon envoyé par Diane pour désoler le pays, et Tydée, père de Diomède ; dans la Thessalie, Pirithoüs et la lutte, tant de fois reproduite par les artistes grecs, des Lapithes et des Centaures ; dans la Phthiotide, Pélée, avec son fils Achille, né de Thétis, une des Océanides, et le centaure Chiron, qui connaissait tous les simples des montagnes et savait lire la destinée des hommes dans les étoiles, au milieu desquelles, après sa mort, il alla former la constellation du Sagittaire ; enfin, à Phères, Admète, qui dut offrir à son beau-père Pélias, en présent de noces, un char attelé d’un lion avec un sanglier sauvage[15], et dont la femme, Alceste, se dévoua volontairement à la mort pour lui conserver la vie.

Pour raconter les légendes relatives à tous ces personnages, l’espace me manquerait ; mais deux d’entre eux, Castor et Pollux ont droit à quelques détails, car ils ont joué un grand rôle dans la plastique grecque et romaine. Homère ne voit en eux que des hommes, l’un dompteur de chevaux, l’autre invincible au pugilat, et il ne les amène pas devant Troie, parce que la terre renfermait déjà, dans Lacédémone, les deux héros. Du chantre d’Achille à celui des vainqueurs aux jeux nationaux, la légende s’est développée ; dans sa dixième Néméenne, Pindare donne leur histoire : Castor, né de Tyndare, était mortel ; Pollux, né de Jupiter, pouvait jouir de l’immortalité des dieux. Le premier ayant été tué dans un combat, le second voulut mourir avec lui. Il implore le fils de Saturne : Ô mon père ! fais, dieu puissant ! que la Niort m’enlève avec lui… Le dieu répondit : Je te laisse le choix. Veux-tu habiter l’Olympe avec Athéna et Arès à la sombre lance, ou aimes-tu mieux te dévouer pour ton frère ? Si tu es résolu à partager tout avec lui, tu vivras la moitié du temps sous la terre, l’autre moitié dans les palais d’or du ciel. Pollux accepta ce partage. D’autres légendes représentaient les Dioscures, comme les protecteurs des marins, les gardiens des lois de l’hospitalité et des règles des jeux gymniques : Castor était par excellence le dompteur des chevaux, et Pollux le maître des pugilistes. On leur donnait aussi un caractère guerrier : les rois de Sparte emportaient à la guerre leur image, et les Romains prétendirent les avoir vus dans leurs rangs au grand combat du lac Régille[16]. Ces divinités secourables, θεοί σωτήρες, étaient très populaires, et leurs temples nombreux. Durant l’expédition des Argonautes, ils avaient sauvé les héros en apaisant une tempête; et l’on avait vu, à ce moment, une étoile briller sur leur tête. Aussi mettait-on leur séjour au ciel dans la constellation des Gémeaux.

 

III. Guerres de Thèbes ; les Argonautes

Les poètes ont réuni presque tous les chefs de la Grèce héroïque dans quatre entreprises fameuses, les deux guerres de Thèbes, l’expédition des Argonautes et la guerre de Troie.

Le roi thébain Laïos, effrayé par des oracles sinistres, avait fait exposer son fils Œdipe sur le mont Cithéron. Des pâtres recueillent l’enfant et le portent à Corinthe, où le roi Polybe, dont le mariage a été stérile, l’adopte et l’élève comme s’il était né dans sa maison. Arrivé à l’âge d’homme, Œdipe apprend qu’il doit être fatal à tous les siens. Pour fuir sa destinée, il s’éloigne en toute hâte de Corinthe et de ceux dont il se croit le fils. Dans les montagnes de la Béotie, il rencontre un vieillard qui, d’une voix impérieuse, veut l’écarter de sa route ; une querelle s’engage, et le vieillard tombe mortellement blessé. Œdipe arrive à Thèbes. Un monstre, tête et poitrine de jeune fille, corps de lion, ailes de l’aigle, avec ses puissantes serres, le Sphinx, monstre venu d’Orient, est aux portes de la ville, proposant aux passants ses indéchiffrables énigmes, et mettant en pièces ceux qui ne les peuvent deviner. Créon a promis la main de sa soeur Jocaste, veuve de Laïos, à celui qui débarrasserait la cité de ce terrible voisinage. Œdipe tente l’aventure : il trouve le sens de l’énigme, et le monstre vaincu se précipite du haut des rochers et meurt. Œdipe, époux de Jocaste et roi de Thèbes, devient ainsi le meurtrier de son père, le mari de sa mère,.le frère de ses enfants.

Instrument innocent d’une fatalité implacable, il en est aussi la victime.

Une peste décime la ville ; Œdipe cherche, en consultant les dieux, à savoir quel est le moyen d’apaiser leur colère et de sauver son peuple. Il apprend avec épouvante que les Thébains sont punis à cause de ses crimes, qu’il tonnait alors pour la première fois. Jocaste ne veut pas survivre à l’horrible révélation : elle s’étrangle, et celui qui est à la fois son fils et son époux se condamne lui-même à perdre la lumière. Il s’arrache les yeux, puis abandonne ce palais souillé. Accompagné de sa fille Antigone, qui guide pieusement ses pas, il erre longtemps en divers pays, objet d’effroi pour tous ceux qui le rencontrent et partout repoussé dès qu’il est reconnu. Il arrive enfin, après de longues misères, à Colone, près d’Athènes, la seule ville, dit le poète, qui soit secourable à l’étranger[17].

L’oracle lui avait annoncé qu’il ne trouverait de repos qu’auprès des Euménides, les déesses des vengeances divines. A Colone, un bois leur était consacré. Œdipe pénètre, malgré les larmes de sa fille, dans l’enceinte redoutable et supplie les déesses vénérables et terribles d’accomplir la parole qu’Apollon a prononcée sur lui : Je vous invoque, douces filles des antiques ténèbres, et toi, cité qui porte le nom de Pallas, noble Athènes ; ayez pitié d’Œdipe ou de ce qui reste de lui. Les dieux exaucent sa prière : la foudre éclate et il disparaît. Thésée seul connaît le lieu de sa sépulture, et les chefs du gouvernement athénien se transmettront mystérieusement ce secret redoutable auquel les dieux ont attaché la fortune de la ville[18].

Cependant ses deux fils, Étéocle et Polynice, se disputaient son trône ; le dernier, chassé par son frère, se retira auprès d’Adraste, roi d’Argos, qui lui donna une de ses filles en mariage et le ramena sous les murs de Thèbes, avec une armée commandée par sept chefs illustres (1214 ?). Ménécée, fils de Créon, sauva la ville en se livrant volontairement à la mort, pour offrir à Mars le sang royal que le devin Tirésias demandait en son nom. Tous les chefs, race impie, périrent, à l’exception d’Adraste qui échappa aux Thébains victorieux, grâce à son coursier Arion, que Neptune avait fait sortir de la terre d’un coup de son trident. Capanée, un d’eux, avait osé braver Jupiter, et le dieu l’avait frappé de la foudre ; sa femme Évadné, pour ne pas lui survivre, se jeta, comme une suttie hindoue, sur le bûcher où l’on brûlait le corps de son époux.

Thèbes aussi perdit son roi, victime de la fatalité qui poursuivait la race des Labdacides. Quand le Chœur des jeunes Thébaines avait voulu empêcher Étéocle d’aller au combat, il lui avait répondu : Depuis longtemps les dieux nous ont rejetés. Notre sang est la seule offrande qui leur plaise : le Destin le veut. Pourquoi le tromperai-je par de lâches complaisances ?[19] Il s’était précipité hors des portes, et le double fratricide, préparé par les imprécations d’Œdipe, s’était accompli. Les deux frères s’étant tués en combat singulier, la couronne resta â leur oncle Créon, qui défendit de donner la sépulture aux morts. Antigone osa enfreindre cet ordre barbare; le tyran la fit mourir[20] ; mais Thésée, gardien et vengeur des lois morales, déclara la guerre à Créon et le tua. Plus tard, les fils des sept chefs, les Épigones, marchèrent contre Thèbes (XIIe siècle ?) et la prirent après de sanglants combats. Laodamas, fils d’Étéocle, fut tué, ou s’enfuit en Thessalie avec une partie des Thébains, et Thersandre, fils de Polynice, régna sur Thèbes désolée. La terrible légende s’arrête ici. Tirésias, qui en avait prédit les épouvantables incidents, finit avec elle ; il avait vécu sept âges d’homme.

L’expédition des Argonautes nous mène aux confins, non seulement de la Grèce, mais du monde connu des Hellènes. La renommée avait répandu au loin le bruit des immenses richesses d’Éétès, roi de la Colchide, et la poésie les avait symbolisées sous la forme d’une toison d’or consacrée à Mars et gardée par un dragon ; c’était la dépouille du bélier que Jupiter avait donné à Phrixos et à Hellé pour fuir le courroux de leur père Athamas. En passant, portés par lui, le détroit qui sépare l’Europe de l’Asie, Hellé se laissa choir dans la mer qui garda son nom ; Phrixos parvint en Colchide, immola le bélier à Jupiter et en donna la toison au roi du pays. Elle devint comme le palladium de la Colchide, le gage de sa richesse et de sa grandeur. Jason, fils du roi d’Iolchos, Éson, que son frère Pélias avait privé du trône, se proposa de reconquérir la précieuse toison. Il arma le navire Argo, dont Minerve dirigea la construction ; le mât, fait d’un chêne fatidique de Dodone, rendait des oracles. Cinquante guerriers le montèrent ; les plus illustres furent : Hercule, qui abandonna l’expédition ; Thésée, Pirithoüs, Castor et Pollux, Méléagre, Pélée, le poète Orphée qui, par ses chants aimés des dieux, bannissait la discorde, et le médecin Esculape, fils d’Apollon, à qui aucun mal ne pouvait résister. Le Phénicien Phinéos, qui gardait l’entrée de l’Hellespont, leur révéla la route à suivre : entendez que les Phéniciens avaient précédé les Grecs dans ces mers et qu’ils connaissaient les richesses qu’on pouvait trouver sur leurs bords.

Lorsqu’ils eurent, dit Pindare[21], levé l’ancre qu’ils suspendirent au-dessus de l’éperon du navire, le chef de tant de héros, debout sur la poupe, une coupe d’or dans la main, invoque Jupiter qui brandit la foudre, puis les vents impétueux, les flots rapides, et il leur demande des nuits sereines et les routes de la mer, des jours heureux et la douce destinée du retour. Du sein des nues embrasées, le tonnerre lui répond par des éclats propices, et les héros respirent, confiant dans les signes du dieu. Le devin crie de laisser tomber les avirons ; leurs bras infatigables impriment aux rames un mouvement rapide, et ils se lancent sur les routes humides[22]. Au départ de la flotte athénienne pour la Sicile, les mêmes cérémonies s’accompliront, et Scipion, en quittant Syracuse. pour aller détruire Carthage, les renouvellera.

Après maintes aventures, Jason arrive en Colchide et gagne l’affection de la fille du roi, Médée, puissante magicienne, pour qui les plantes n’ont point de secret. Elle lui révèle tous les périls qui l’attendent, mais lui enseigne les moyens d’en triompher. Aidé de son art redoutable, il saisit et dompte sans peine deux taureaux aux pieds et aux cornes d’airain qui vomissaient des flammes ; il les attelle à une charrue d’acier, enfonce dans leurs vastes flancs l’aiguillon douloureux et laboure quatre arpents d’un champ consacré à Mars. Des dents d’un dragon, qu’il sème, naissent des hommes armés qui l’attaquent ; mais il jette une pierre au milieu d’eux, et ils tournent leurs armes contre eux-mêmes. Jason s’approche alors du monstre qui gardait la toison merveilleuse ; il l’endort à l’aide d’un breuvage magique, le tue et ravit le trésor. Médée le suit sur son navire; mais, pour échapper à l’ardente poursuite d’Éétès, les Argonautes prennent une route nouvelle ; ils remontent par le Phase jusqu’au fleuve Océan qui enveloppe comme un anneau immense le disque de la terre, côtoient les rivages de l’Orient, et, par le Nil, rentrent dans la Méditerranée.

D’autres récits conduisaient les hardis navigateurs au nord et à l’ouest dans la région fortunée où les Macrobiens vivaient douze mille siècles sans infirmités ; dans celle des Cimmériens qu’enveloppaient des ténèbres éternelles ; enfin dans la mer de glace et l’Océan occidental jusqu’aux colonnes d’Hercule. Ceux qui s’efforçaient de rapprocher la légende de l’histoire leur faisaient seulement remonter le Danube, d’où, en traînant leur navire, ils passaient dans l’Adriatique, puis dans le fleuve Éridan, dans le Rhône et la mer de Toscane. Circé, l’enchanteresse, si fatale plus tard aux compagnons d’Ulysse, secourt, au contraire, ceux de Jason ; les Néréïdes soulèvent de leurs mains le vaisseau pour lui faire traverser le dangereux détroit de Charybde et de Scylla. Les Sirènes les appellent de leurs voix harmonieuses, mais Orphée détruit l’enchantement fatal par les accords de sa lyre. Une tempête les jette sur la côte d’Afrique ; ils visitent le jardin des Hespérides, dont Hercule vient d’enlever les pommes d’or, traversent encore la mer de Crète et rentrent enfin dans la Grèce, que Médée épouvante de ses fureurs.

Durant le voyage, prés d’être atteinte par son frère, elle l’avait livré aux coups de Jason, puis, mettant son corps en pièces, elle avait semé les chairs livides et les ossements brisés le long de la route que suivait son père pour arrêter sa poursuite. A Iolchos, elle rajeunit par son art le vieil Éson et fait déchirer Pélias par ses filles, en leur promettant que ses membres, mêlés dans une chaudière bouillante à des herbes magiques, retrouveront une vie nouvelle. Cependant Jason la délaisse; alors elle égorge ses propres enfants, donne à Créuse, sa rivale, une tunique empoisonnée, et, s’élevant dans les airs sur un char traîné par des dragons ailés, elle se réfugie dans l’Attique où elle devient l’épouse d’Égée.

Dans cette légende, qui en renferme deux mal fondues l’une dans l’autre, la grande magicienne éclipse les héros sur qui se portait d’abord l’attention. En racontant la lointaine expédition de ceux-ci, les poètes avaient voulu résumer les diverses entreprises des Grecs vers la mer Noire, comme les courses de l’hercule de Tyr résumaient tous les voyages des Phéniciens vers l’Ouest. Quant aux détails du retour, on vient de voir qu’ils se multiplièrent à mesure que s’étendirent les connaissances et les hypothèses des Grecs sur les régions du Nord et de l’Occident.

Il est remarquable que les Grecs aient eu deux cycles de légendes nationales sur les contrées lointaines : l’Odyssée et les Argonautiques. Les Romains ne montrèrent jamais une curiosité si ardente. Loin de s’enfermer dans les bornes étroites de leur horizon, les Grecs cherchèrent à en reculer les limites et en sondèrent sans relàche les profondeurs inconnues. Cette passion est bien celle du peuple voyageur par excellence, qui rechercha sur les flots de la mer d’Ionie les traces d’Ulysse, sur les vagues de l’Euxin celles de Jason, et dont on retrouve les colonies sur tous les rivages.

 

IV. Guerre de Troie (1193-1184 ?)

La guerre de Troie laissa de plus grands souvenirs dans la mémoire des Grecs et exerça sur l’art et la poésie une plus durable influence. Cet événement est certainement historique ; il marque le moment où la Grèce, après avoir souffert durant des siècles l’invasion qui s’opérait d’Orient en Occident, réagit à son tour et commença le mouvement en sens contraire. Quelques-unes des circonstances qu’on rattache à cette guerre ont même un degré de certitude plus grand qu’aucun des faits de l’expédition des Argonautes ou des guerres de Thèbes. Mais la poésie a recouvert tous les incidents de détails merveilleux que l’Iliade a pour jamais consacrés[23].

De l’ensemble des traditions il résulte qu’un État puissant s’était formé en face de la Grèce, sur la côte orientale de la mer Égée. Aux temps primitifs, le premier besoin est la sécurité. Troie, la capitale de ce royaume, n’était pas sur le rivage dépourvu de ports, mais que l’île de Ténédos protège contre les tempêtes de l’ouest. Comme Athènes, Argos et Corinthe, elle était assez loin de la mer pour n’avoir pas à craindre une attaque subite des pirates. Comme ces villes encore, elle s’adossait à un roc abrupt haut de 400 pieds, dont les escarpements sont souvent à pic, et qui portait sa citadelle, Pergame, où le peuple, en cas d’alarme, pouvait se réfugier. Le Simoïs, descendu de l’Ida, l’entourait, à l’est, de ses replis, et le Scamandre, formé par les sources nombreuses qui sortent du rocher de Bounarbachi, fécondait la vallée où paissaient les troupeaux des rois. Différents peuples ou des dominations différentes s’y succédèrent; la dernière fut celle des Dardaniens, dont l’empire s’étendit jusqu’au Caïcos, vers les frontières de la Lydie, et qui avaient pour alliés plusieurs peuples de la péninsule. Priam y régnait alors ; sa capitale, Troie ou Ilion, était célèbre pour la force de ses murailles, les richesses et le luxe de ses habitants, dont les moeurs et la religion étaient, comme la langue, les mêmes que celles des Hellènes, mais à un degré plus avancé de développement. Apollon était leur dieu protecteur ; c’était sur l’Ida que trois déesses avaient remis à Pâris le droit de décerner le prix de la beauté et qu’Aphrodite avait donné pour fils à Anchise le pieux Énée.

Cependant une haine nationale invétérée séparait les Grecs des Troyens et les arma, un jour, les uns contre les autres.

De mutuels outrages ne suffisent pas à expliquer cette rivalité mortelle. Hérodote y a vu une première lutte de la Grèce pauvre et guerrière contre l’Asie riche et civilisée. D’autres ont représenté la cité de Priam comme une ville pélasgique, et sa ruine, par la main des Hellènes, comme le dernier terme d’une lutte de deux races qui, après avoir eu la Grèce pour champ de bataille, avait fini d’une éclatante manière sur un plus vaste théâtre. Hérodote, plus près des événements, paraît aussi plus près de la vérité.

Pour la légende, la haine des deux peuples n’est plus que celle de deux familles : les fils de Priam soutenus par Apollon, le dieu asiatique, et ceux de Pélops que protège la déesse d’Argos, Héra ou Junon, dont

le culte ne fut jamais populaire sur la côte d’Asie. Cette haine datait de loin, du temps où les deux royaumes de Troade et de Phrygie se disputaient la prépondérance dans l’Asie Mineure.

En Phrygie régnait Tantale ; un jour qu’il reçut les dieux à sa table, il voulut éprouver leur puissance : il immola son fils Pélops dont il leur servit les membres déchirés. Jupiter voit le crime et cette audace sacrilège ; il précipite le coupable aux Enfers où, au milieu de l’abondance, il souffrira éternellement d’une soif et d’une faim cruelles.

Les Grecs ne craignaient pas de prêter à leurs êtres divins de mauvaises passions qui les rapprochaient de l’humanité : dans la légende de Niobé, les dieux punissent la fille de Tantale pour un noble sentiment, l’orgueil maternel. Mais les artistes surent gré aux poètes de leur avoir fourni un magnifique sujet de groupe sculptural. Fière des douze enfants qu’elle avait donnés au roi de Thèbes, Amphion, Niobé blessa Latone en opposant son heureuse fécondité à la couche stérile de la déesse, qui n’avait mis au jour que les deux jumeaux nés dans l’errante Délos, Apollon et Artémis. Pour venger leur mère irascible, le dieu destructeur des monstres et la vierge farouche lancèrent contre les Niobides ces flèches qui jamais ne manquaient leur but. Tous périrent, et Niobé fut changée, sur le mont Sipyle, en une source formée de ses larmes, que les rayons du Soleil tarissaient avant qu’elle arrivât dans la plaine, comme les traits d’Apollon avaient tari les sources de la vie dans le sein des Niobides.

Au festin de Tantale, Cérès, absorbée dans la douleur que lui causait la perte de sa fille Proserpine, avait mangé une épaule de Pélops, sans reconnaître ce mets détestable. Jupiter ranima l’enfant et lui donna une épaule d’ivoire, dont le seul contact devait guérir tous les maux, mais qui n’assura pas la victoire au nouveau roi de Phrygie, lorsqu’il attaqua les Troyens. Vaincu par Tros, roi d’Ilion, Pélops est contraint de fuir en Grèce. Il emporte d’immenses trésors et emmène de braves compagnons. En Élide, il veut obtenir la main d’Hippodamie, fille du roi de ce pays. Treize prétendants ont déjà péri, car Œnomaos, averti par l’oracle que son gendre causerait sa mort, défie à la course ceux qui prétendent â la main de sa fille ; il est sûr de les vaincre avec ses chevaux rapides, et il les tue après les avoir vaincus. Pélops gagne le cocher d’Œnomaos, qui ôte la clavette des roues; le char se renverse dans la lice, Œnomaos meurt, et Pélops lui succède. Selon d’autres, Neptune lui avait donné un char d’or et des chevaux ailés. Son autorité ou son influence s’étendit sur les îles voisines et sur la péninsule Apia qui prit son nom : le pays de Pélops avec ses îles, νήσος, ou Péloponnèse.

Mais ce favori des dieux a une abominable postérité : Thyeste souille la couche de son frère ; Atrée renouvelle le festin de Tantale, en servant à Thyeste les membres de ses enfants ; Agamemnon et Ménélas furent ses petits-fils. Égisthe, né de l’inceste de Thyeste avec sa fille Pélopée, égorgea Agamemnon et tomba sous les coups d’Oreste, qui frappa aussi sa mère Clytemnestre. Telle est la famille des Atrides dont les crimes et les malheurs ont si longtemps défrayé la poésie et l’art.

Après avoir conquis ou obtenu le pouvoir sur les côtes occidentales du Péloponnèse, les Pélopides avaient, à la suite d’événements que nous ignorons et que la tradition présente sous la forme de conventions pacifiques, transporté sur les côtes orientales le siège de leur puissance, et remplacé dans l’Argolide la race royale des fils de Persée. Atrée, Thyeste et Agamemnon régnèrent successivement à Mycènes, alors la capitale du pays, Ménélas à Sparte et dans la Laconie, par son hymen avec Hélène, fille de Tyndare. Leur influence s’étendit sur toute la péninsule Apia, et nombre d’îles leur furent soumises. C’étaient de grands chefs sur terre et sur mer. Les découvertes faites à Mycènes prouvent leur richesse et leur puissance.

Pâris, fils de Priam, venu en Grèce pour sacrifier à Apollon Daphnéen, s’arrêta à Sparte ; il y vit Hélène, une de ces victimes de Vénus pour qui les Grecs avaient tant d’indulgence[24], et l’enleva. Une fable postérieure à Homère, comme à Hésiode, contait que Vénus lui avait promis la plus belle des femmes, lorsqu’il lui avait adjugé la pomme d’or, prix de la beauté que cette déesse, Junon, et même la sage Minerve, se disputaient. Ce rapt insolent réveilla la haine des Atrides, ils la firent partager à la Grèce entière, et de la Crète à la Macédoine tous les chefs s’armèrent et se réunirent sur la presqu’île pierreuse qui portait la petite ville béotienne d’Aulis. Onze cent quatre-vingt-six vaisseaux furent rassemblés dans son port[25] ; mais des vents contraires les y retinrent longtemps, et Calchas déclara qu’on n’en obtiendrait de favorables qu’après que la fille du roi d’Argos aurait été immolée sur l’autel d’Artémis. L’armée exigea que le sacrifice fût accompli, et le prêtre frappa, mais à ses pieds tomba une biche blanche qu’Artémis avait substituée à la royale victime. Iphigénie, transportée dans la Tauride et consacrée au service de la farouche déesse, n’oublia pas, au milieu de ses tristes honneurs, sa famille et sa patrie. Oiseau qui, sur les falaises escarpées, chante la douleur et l’éternel regret de l’époux perdu, Alcyon, comme toi, je chante ma peine; mais, oiseau saris ailes, je ne puis prendre l’essor dans la voie resplendissante du soleil et arrêter mon vol au-dessus de la maison paternelle, où, vierge destinée à un noble hymen, je me mêlais à la troupe joyeuse des jeunes filles pour leur disputer le prix de la grâce et des riches parures[26].

La flotte grecque, délivrée par le sacrifice d’Iphigénie, conduisit en Asie plus de cent mille guerriers, résolus, dit le sage Nestor, à punir le crime de Pâris en infligeant à tous les Troyens la honte de Ménélas[27]. Priam put à peine leur opposer la moitié de ce nombre, bien qu’il lui fût venu des secours de la Thrace, de la Macédoine, et jusque de l’Éthiopie[28].

Les Grecs avaient accepté pour chef l’Atride Agamemnon. Près de lui était son frère Ménélas, roi de Sparte, l’époux outragé d’Hélène ; Achille, qu’Ulysse avait découvert dans l’île de Scyros, caché par Thétis parmi les filles du roi ; Patrocle, son ami ; Diomède ; les deux Ajax, l’un roi des Locriens, l’autre roi de Salamine et, après Achille, le plus beau et le plus brave des Grecs ; le sage Nestor ; Ulysse, le rusé roi d’Ithaque ; Philoctète, le possesseur des flèches d’Hercule ; l’Étolien Thersite, aussi lâche qu’insolent railleur. Parmi les Troyens, le vaillant Hector éclipsait tous les chefs ; Énée ne venait qu’après lui.

Le premier des Grecs qui mettrait le pied sur le sol troyen devait périr : les dieux l’avaient ainsi décidé. Protésilas, pour faire cesser l’indécision des chefs, se jeta le premier au rivage. Le destin s’accomplit : il tomba sous les coups d’Hector. Cependant les Grecs, débarqués, gagnèrent une bataille qui leur permit de se construire un camp, qu’une partie de leurs troupes garda, tandis que le reste alla piller les villes du voisinage ou cultiver la Chersonèse pour fournir des vivres à l’armée. Cette division des forces grecques et les querelles qui, plus d’une fois, éclatèrent permirent aux Troyens de faire une longue résistance. Leurs ennemis restèrent dix ans en face des murs de l’imprenable cité.

C’est dans la dixième année seulement que l’Iliade commence, car Homère n’a chanté que la colère d’Achille et les incidents qu’elle amène. Irrité qu’Agamemnon lui ait enlevé Briséis sa captive, le héros se retire sous sa tente et appelle la colère des dieux sur le chef qui lui ravit celle qui, après avoir été sa part de butin, est devenue sa compagne bien-aimée. Jupiter écoute sa prière; les Grecs sont battus et rejetés dans leur camp, qu’ils sont réduits à fortifier d’un mur et d’un fossé pour mettre leurs navires à l’abri d’Hector. Alors ils cherchent à apaiser Achille et lui envoient des députés pour réclamer le secours de son bras ; il reste inexorable.

Cependant le combat recommence avec fureur. Junon protège les Grecs, et le maître des dieux, assis au sommet de l’Ida, d’où il contemple la bataille, encourage les fils de Priam. Ils vont triompher, lorsque Junon, empruntant à Vénus sa ceinture, vient charmer et séduire son époux. Une nuée d’or les enveloppe; les fleurs parfumées s’épanouissent autour d’eux, et le Sommeil, qui dompte les dieux et les hommes[29], endort Jupiter dans les bras de la déesse. Cependant les Troyens tombent en foule ; mais Jupiter se réveille ; il reproche à Junon sa ruse et verse au cœur des Troyens une ardeur nouvelle ; ils franchissent le fossé, le mur, qui défendent le camp des Grecs et font tomber nombre de chefs sous leurs coups. Les Achéens cherchent un refuge sur leurs vaisseaux, où Hector veut porter l’incendie.

A cette vue, Achille s’émeut. Patrocle, son ami le plus cher, le supplie de secourir les Achéens, ou tout au moins de lui prêter ses armes. Il n’accède qu’à la dernière prière ; mais, après maint exploit, Patrocle rencontre celui qui n’a de rival qu’Achille et périt de sa main. Cette nouvelle rend Achille furieux de douleur. Il ne peut se précipiter dans la mêlée, puisqu’il n’a plus d’armes ; il s’avance, du moins, jusqu’au rempart et pousse par trois fois un cri terrible. Les Troyens ont reconnu la voix du héros, et trois fois ils reculent épouvantés. Les Grecs peuvent ressaisir le corps de Patrocle.

Achille implore sa mère, Thétis, qui accourt du fond des grottes marines avec le cortège éploré des Néréides, afin d’adoucir la douleur de son fils ; il lui demande des armes pour remplacer celles que Patrocle a perdues, et la déesse obtient de Vulcain qu’il forge une armure complète et un bouclier merveilleux[30]. Revêtu de ces armes divines, le fougueux Éacide, court aux Troyens, qui fuient devant lui comme un troupeau timide. Les dieux se jettent encore dans la mêlée : Junon descend près de la flotte des Grecs, avec Minerve, Neptune, qui entoure la terre de ses flots, Mercure, à l’esprit subtil, et le robuste Vulcain. Les Troyens ont pour eux Mars, au casque étincelant, Phébus-Apollon, à la longue chevelure, Diane, fière de ses flèches, Latone, Xanthos, Vénus, qui aime les sourires. Sous leurs pas, la terre tremble, les cimes des monts s’agitent, et Pluton craint que son royaume souterrain ne s’entrouvre pour montrer aux mortels les demeures ténébreuses et redoutables, dont les dieux eux-mêmes ont horreur[31].

Cependant l’action s’engage, Énée est sur le point de périr ; Neptune le sauve en l’enveloppant d’un nuage. Le fleuve Xanthos a beau gonfler ses ondes, il ne peut arrêter le héros. Mais il s’unit au Simoïs et inonde la plaine. Achille va reculer enfin devant les deux divinités, lorsque Junon envoie Vulcain et ses flammes puissantes qui tarissent les deux fleuves, et la poursuite recommence. Hector veut couvrir la retraite des Troyens ; Achille l’atteint, et un mémorable combat s’engage. La lutte est longtemps incertaine. Déjà, pour la quatrième fois, ils reviennent près des fontaines, lorsque le père des dieux et des hommes, pesant dans la balance d’or les jours des deux héros, voit que le Destin a condamné le fils de Priam[32]. Achille le frappe de sa lance à la gorge et l’étend mort à ses pieds. Il le dépouille de ses armes, lui perce les talons, attache le cadavre par une courroie à son char, puis le traîne trois fois autour de la ville. Rentré au camp, il fait à Patrocle de magnifiques funérailles, immole douze jeunes captifs sur son bûcher et célèbre en l’honneur de son ami des jeux funèbres. Il avait juré de laisser aux chiens et aux oiseaux de proie les restes d’Hector ; mais la nuit suivante, Priam, le vieux roi, paraît dans sa tente : Il s’arrête près d’Achille ; il embrasse ses genoux ; il baise les mains terribles qui lui ont tué plus d’un fils et le supplie en ces termes : Souviens-toi de ton père, Achille égal aux dieux. Il a mon âge ; il est, comme moi, sur le seuil funeste de la vieillesse. Peut-être qu’en ce moment des voisins l’attaquent et que personne n’est là pour écarter de lui la guerre et la mort. Du moins il sait que tu vis ; il espère chaque jour te revoir. Moi malheureux, je n’espère plus rien. J’avais engendré, dans la grande Troie, de vaillants fils. Et pas un ne me restera. Ils étaient cinquante, quand arrivèrent les Achéens, dix-neuf nés du même sein ; des femmes m’avaient donné les autres dans mes palais. L’impétueux Mars a brisé leurs genoux. Celui qui défendait la ville et nous-mêmes, voilà que tu l’as tué. Et moi je viens maintenant vers les vaisseaux des Achéens apportant une immense rançon pour racheter son corps. Respecte les dieux, Achille ; aie pitié de moi, au souvenir de ton père. Je suis bien plus que lui misérable, car j’ai eu le courage de faire ce que nul autre mortel n’a jamais fait : j’ai approché de ma bouche la main de l’homme qui a tué mes enfants.

Au souvenir de son père, Achille s’attendrit ; il relève doucement le vieillard et tous deux pleurent, l’un sur Hector, l’autre sur Patrocle et son père[33].

L’Iliade ne va pas plus loin, mais la tradition continue. Avec Hector, Troie avait perdu son plus ferme boulevard ; cependant, secourue par Penthésilée, reine des Amazones, et par l’Éthiopien Memnon, elle résista encore. Achille, à son tour, tomba percé au talon d’une flèche partie de l’arc de Pâris et qu’Apollon avait dirigée. Ajax et Ulysse se disputèrent ses armes ; l’assemblée des Grecs les adjugea au second, et Ajax, à la fois furieux et désespéré, se jeta sur son épée.

Troie ne pouvait être prise que si une statue, le Palladium, que Jupiter avait donné à Dardanos, lui était enlevée, et si Philoctète, le possesseur de l’arc d’Hercule, était amené au camp des Grecs. Le héros, blessé au pied par une des flèches dont la pointe avait été trempée dans le sang de l’hydre de Lerne, avait été abandonné par les Grecs dans l’île de Lemnos, à cause de l’insupportable odeur qui s’échappait de sa blessure. Pyrrhus, fils d’Achille, vainquit sa résistance ; Machaon le guérit, et Pâris tomba sous une de ses flèches. Mais le Palladium était enfermé dans la citadelle de la ville, et les Troyens, pour qu’on ne pût le ravir, en avaient fait plusieurs images semblables. Ulysse, déguisé en mendiant, pénétra dans la cité et, malgré tous les obstacles, rapporta au camp des Grecs la statue fatale.

Cette guerre héroïque finit pourtant par une ruse. Les chefs, cachés dans les larges flancs d’un cheval de bois, perfide offrande qu’ils avaient laissée en faisant embarquer leurs soldats, furent, avec lui, introduits dans la place par les Troyens eux-mêmes, malgré les sinistres prévisions de Laocoon. Les dieux, résolus. à perdre Troie, avaient puni sa patriotique prudence en envoyant contre lui deux serpents qui l’étouffèrent, avec ses deux fils, dans leurs replis tortueux, au pied même de l’autel où il sacrifiait. La nuit suivante, les cent chefs enfermés dans les flancs du colosse en sortirent pour ouvrir les portes à leurs compagnons revenus en toute hâte. Troie fut détruite, Priam égorgé, Hécube et ses filles emmenées en captivité ; une d’elles, Polyxène, immolée sur le tombeau d’Achille ; Andromaque, la veuve d’Hector, donnée à son fils Pyrrhus, et Cassandre, autre fille de Priam, à Agamemnon. Énée, fils de Vénus et d’Anchise, et Anténor échappèrent seuls au carnage ou à la captivité (1184 ?).

Troie cependant n’avait pas été détruite, ou elle se releva une seconde fois ; car le vieil historien Xanthos[34] racontait qu’elle était tombée longtemps après sous les coups des Phrygiens. Alors ce fut pour toujours. Ses ruines mêmes disparurent[35], et le voyageur, les cherchant en vain, put aisément remplir cette solitude des grandes scènes que le poème immortel y déroule. La puissante cité est effacée de la surface de la terre, et la voix d’un poète aveugle et mendiant brave les siècles.

Mais de terribles expiations attendaient les vainqueurs de Troie. Ulysse erra dix ans sur les flots avant de revoir son Ithaque. Ménélas fut pendant huit années battu par les tempêtes. Agamemnon périt assassiné par Égisthe et par sa femme Clytemnestre, qui, à leur tour, tomberont sous les coups d’Oreste dont Apollon conduira la main. Diomède, menacé à Argos d’un sort pareil, s’enfuit en Italie. Minerve, poursuivant de sa colère Ajax, fils d’Oïlée, brisa son vaisseau. Réfugié sur un rocher, il s’écriait: J’échapperai malgré les dieux. Neptune fendit le roc d’un coup de son trident et précipita le blasphémateur dans l’abîme. Teucer, repoussé par la malédiction paternelle pour n’avoir pas vengé la mort d’Ajax, son frère, alla fonder, dans l’île de Chypre, une nouvelle Salamine. La tradition conduisait encore Philoctète, Idoménée et Épéios sur les côtes de l’Italie, qui offrit aussi un asile au Troyen Anténor et au fils d’Anchise. Les poètes avaient chanté ces malheurs des héros, et leurs récits formaient tout un cycle épique, dont il ne reste que l’Odyssée qui ne semble ni de la même époque ni de la même main que l’Iliade. En voici l’analyse succincte.

Depuis bien longtemps déjà Troie avait été prise, et Ulysse, roi d’Ithaque, n’avait pu voir encore s’élever la fumée de son île natale. Pénélope n’a pas cessé un jour de pleurer son époux, et elle ne sait plus comment résister aux obsessions des prétendants ; ils lui demandent impérieusement de choisir parmi eux celui qui régnera sur elle et sur Ithaque, et, en attendant, établis dans le palais d’Ulysse, ils dévorent ses richesses.

Elle a un fils qui arrive à l’âge d’homme, Télémaque. Minerve, reportant star lui l’affection qu’elle a toujours eue pour son père, lui conseille d’assembler le peuple, de lui dénoncer les indignités que les prétendants commettent, puis d’aller lui-même chercher à Pylos et à Lacédémone, auprès de Nestor et de Ménélas, des nouvelles de son père.

Ulysse languissait dans file d’Ogygie, où le retenait la déesse Calypso[36], fille du farouche Atlas, qui soutient les colonnes du ciel. Le souvenir de la patrie lui fait enfin, avec l’aide des dieux, rompre le charme. Il construit un radeau et se lance sur les flots. Mais une tempête brise son frêle navire ; il lutte deux jours et deux nuits contre les vagues  furieuses qui le jettent, mourant de faim et de fatigue, sur l’île des Phéaciens. Il y voit la belle Nausicaa qui, entourée de ses compagnes, leur faisait laver au fleuve les riches vêtements de son père Alcinoos, le puissant roi des Phéaciens. La vierge accueille le héros comme un envoyé des dieux, et Minerve, sous la figure d’une enfant, le conduit elle-même au palais du roi, où Ulysse paye la somptueuse hospitalité d’Alcinoos en lui racontant ses longs malheurs. Il lui dit comment, poursuivi par la colère du dieu qui ébranle la terre, il a été poussé tour à tour sur les côtes inhospitalières des Lotophages et des Cyclopes. Un de ceux-ci, Polyphème, fils de Neptune, a enfermé le héros et ses compagnons dans l’antre qui lui sert de demeure et il les mange l’un après l’autre. Ulysse l’enivre avec du vin, lui crève son œil unique avec un pieu durci au feu et s’échappe en s’attachant à la laine du ventre des moutons énormes que, chaque jour, le géant mène paître dans la montagne. Il arrive chez Éole, le dieu des vents, qui lui donne enfermés dans une outre ceux qui seraient contraires à sa navigation. Ses compagnons veulent savoir ce que renferme cette outre précieuse et l’ouvrent; il en sort d’affreuses tempêtes qui rejettent leur navire bien loin de sa route. Ulysse échappe pourtant encore. Mais c’est pour aborder dans l’île de Circé, l’enchanteresse qui se plait à changer les hommes en bêtes, par certains breuvages dont le rusé roi d’Ithaque se garantit. Dans la contrée des ténèbres, il évoque les âmes des morts ; prés des rochers des Sirènes, il se fait attacher au mât de son vaisseau, après avoir pris soin de boucher les oreilles de ses compagnons pour qu’ils n’entendent pas leurs chants séducteurs et homicides ; il évite Charybde et, Scylla et leurs gueules dévorantes, et il aborde à l’île du Soleil, dont ses compagnons égorgent imprudemment les bœufs. Le dieu, dans sa colère, soulève la tempête qui le jette seul sur l’île des Phéaciens.

Alcinoos, charmé de ces longs récits où les Grecs retrouvaient toutes les traditions merveilleuses qui avaient cours parmi eux touchant les pays de l’Occident, comble le héros de présents et lui donne un de ses vaisseaux rapides qui, sous la main de ses pilotes, n’avaient jamais dévié de leur route. Les Phéaciens le déposent endormi sur les rivages d’Ithaque et s’éloignent. A son l’éveil, il se croit encore abandonné, et il maudit les perfides ; peu à peu l’image de la patrie se révèle, il se rend chez Eumée, le gardien de ses troupeaux, et apprend de ce fidèle serviteur tout ce qui s’est passé en son absence.

A ce moment même, Télémaque revenait de Lacédémone. Il échappe aux embûches des prétendants qui veillaient sur son retour pour le faire périr. Ulysse s’ouvre à lui, puis se rend à son palais sous les haillons d’un mendiant. Nul ne le reconnaît, excepté son vieux chien mourant et sa nourrice.

Cependant Pénélope a soumis les prétendants à une dernière épreuve : celui qui pourra tendre l’arc d’Ulysse sera son époux. Aucun n’y réussit. Ulysse demande à essayer ; on se rit du mendiant ; on l’outrage, et sa colère est près d’éclater: mais il se contient, tend sans peine l’arc qu’on lui a remis par dérision, avec le carquois plein de flèches, et, répandant à ses pieds les traits rapides, il frappe tous les prétendants qui tombent sous ses coups.

Le favori de Minerve a expié par ses longs malheurs le supplice qu’il a infligé au fils de Neptune ; maintenant arrive la récompense : il redevient maître de sa femme, de ses biens et de son île, malgré les divinités ennemies, les hommes contraires et presque malgré le Destin, dont il triomphe par sa persévérance indomptable et la souplesse ingénieuse d’un esprit qui n’est jamais à court de bonnes paroles ni d’expédients utiles. Ulysse est le symbole de la sagesse rusée des Grecs, comme Achille était pour eux le type de la force invincible et de la bravoure éclatante. Dans les siècles historiques, l’un s’appellera Thémistocle, l’autre Alexandre, et à toutes les époques il y aura de l’Ulysse et de l’Achille dans les héros de ce peuple.

C’est là une des raisons qui ont rendu immortelles l’Iliade et l’Odyssée.

 

 

 



[1] Homère, que l’on fait vivre vers l’an 900, et qu’Éphore fait naître à Smyrne de parents originaires de Cyme, ne fait aucune allusion à cette tradition et ne nomme même ni Deucalion ni Ogygès. Aristote (Météorol., 1, 14), qui connaît Deucalion, place le déluge en Épire, où se trouvait, près de Dodone, une Hellas. Mais la légende de Deucalion, que Pindare rapporte (Olymp., IX, 66), était bien vieille en Grèce ; elle faisait partie de la tradition générale que tant de peuples de race aryane et sémitique ont conservée sur un grand cataclysme, et qu’ont pu raviver en Grèce quelques faits particuliers, comme un débordement du lac Copaïs pour Ogygès, et pour Deucalion un mouvement des eaux qui, selon Hérodote, couvraient primitivement toute la Thessalie. Plus tard, la tradition chaldéenne, que la Bible a gardée, se mêla à la légende grecque, comme on peut le voir dans Plutarque et Lucien. Sur l’ensemble des traditions relatives au grand cataclysme, dont le souvenir se retrouve dans le nouveau monde comme dans l’ancien, et jusque dans l’Océanie, voyez l’ouvrage de M. Renan, Histoire générale et système des langues sémitiques, t. I, p. 458 et suivantes.

[2] Hellanieus, fr. 10, dans les Fragm. Hist. Græc. de Didot, et Hésiode, fr. 23 et 26.

[3] X, 4, 4.

[4] Eschyle, Prométhée, 916-925. Prométhée fut, pour les Grecs, la personnification des débuts de la civilisation hellénique. Le premier, lui fait dire Eschyle, j’ai mis les bêtes de somme sous le joug pour décharger les hommes des plus durs travaux et j’ai construit les chars aux voiles de lin qui courent sur la mer. (Vers 462-468.)

[5] Éolien, Αίολεύς, du mot αίόλος, nuancé de diverses couleurs.

[6] Strabon le dit expressément (liv. VIII, 1, 2).

[7] Raoul-Rochette, Monuments inédits d’antiquité figurée, p. 2. Homère donne le nom d’Hellènes aux seuls guerriers qui Achille amena devant Troie, et toute la Thessalie est, pour lui, la plaine pélasgique .

[8] Voyez dans Roux, Herculanum et Pompéi, t. II, pl. III et LXXII ; t. III, pl. XCV, etc. Ces peintures, dues à des artistes grecs, sont d’une trop basse époque pour que nous les reproduisions ici.

[9] Iliade, VI. On a conclu de ce passage que du temps d’Homère on ne connaissait pas encore l’écriture. Un autre du chant VII confirme cette opinion. Aux reproches de Nestor, neuf guerriers se lèvent ; … tous veulent combattre Hector, mais Nestor leur dit : Agitez les sorts… Chacun des héros trace un sort et le jette dans le casque d’Agamemnon. Ces textes peuvent être discutés ; ceux de Strabon (VI, 1) et de Servius (ad Aen. I, 507), portant qu’il n’y eut pas de lois écrites avant celles de Zaleucos (environ 664 av. notre ère), ne sont pas encore une preuve décisive. Lorsqu’on trouve sous les laves de Santorin des mesures et, dans les localités préhistoriques de la Grèce, tant de preuves de communications avec les pays orientaux, où l’écriture fut très anciennement employée, on est conduit à penser que les Grecs ont dû là connaître de bonne heure, quoiqu’elle soit restée longtemps chez eux d’un usage très restreint.

[10] Ces femmes guerrières ne sont, bien entendu, qu’une conception mythologique qui eut son point de départ dans le culte homicide de l’Artémis Taurique ; la Chimère parait être la personnification d’une région volcanique, celle qu’on appelait la Phrygie brûlée.

[11] Les Mégariens, loin de faire de Sciron un brigand, l’honoraient comme un bienfaiteur. Mais le passage des roches Scironiennes fut toujours chose dangereuse. Naguère encore il était bon de s’y faire accompagner. Lorsque, en janvier 1870, je traversai l’isthme de Corinthe, avec des voyageurs venus d’Athènes, des soldats étaient échelonnés de loin en loin, le long de la route, pour protéger contre de fâcheuses surprises la caravane qui passait là à jour fixe.

[12] Cette légende et celle d’Hercule, tuant le lion de Némée, sont un souvenir de scènes souvent représentées sur les cylindres et les monuments de l’Assyrie et de la Chaldée.

[13] Ses douze travaux rappelaient la marche du soleil à travers les douze signes du zodiaque.

[14] Voyez, par exemple, l’Hercule curieux de Sénèque, vers 762 et suiv., et mon Histoire des Romains.

[15] Voyez, sur ce sujet, la belle mosaïque trouvée à Nîmes en 1885 (Hist. des Rom.).

[16] Hist. des Romains.

[17] Sophocle, Œdipe à Colone, 261. Voyez ci-dessous, au chapitre IX.

[18] Sophocle, Œdipe à Colone, 1518-19.

[19] Eschyle, les Sept contre Thèbes, 702-704. Pour la croyance au Destin, voyez ci-dessous, chap. VI, § II.

[20] Voyez au chapitre XXIX, l’Antigone de Sophocle.

[21] Pythiques, IV, 340 et suiv.

[22] Hymne à Apollon.

[23] Les chants des anciens poètes, n’ayant été confiés qu’assez tard à l’écriture, se sont long temps transmis par la tradition orale avec de nombreuses variantes. Un de ces chantres, Homère, émule heureux de Démodocos et de Phémios dont il est parlé dans l’Odyssée, aura pris pour sujet particulier de ses vers un des épisodes du Cycle troyen, la Colère d’Achille, et cet épisode nous est parvenu augmenté par des retouches successives. Un autre, ou plusieurs autres, car on a distingué, dans l’Odyssée, plusieurs parties, le Nosios ou Retour d’Ulysse, la Télémachie, etc., aura composé l’Odyssée ; ces deux œuvres sont la dernière forme d’une poésie populaire bien autrement vaste qui avait célébré les hauts faits des héros de la Grèce. (Sur la 1ère l’édition des poèmes homériques, voyez le chap. X) Quant à Hésiode, on n’est même pas assuré que la Théogonie soit de lui. Mais ce sont là affaires de philologues; ce ne sont pas les nôtres. Il nous suffit que l’ouvrage soit fort ancien, et personne n’y contredit. La thèse de F. A. Wolf reprend faveur ; M. G. Christ (Homeri Iliadis carmina sejuncta, etc.) croit que l’Iliade est un groupe de chants, plutôt qu’un poème conçu du commencement à la fin par Homère, et M. M. Croiset (Ann. de la Soc. des Études grecques, 1884, p. 66) pense de même. Sur la littérature de cette question, voyez S. Reinach, Man. de philol., t, I, p. 168, n. 2.

[24] Ainsi Médée, Ariane, Pasiphaé et toutes celles que Jupiter aima.

[25] Remarquons que, dans Homère, il n’est pas encore question d’un seul combat naval.

[26] Euripide, Iphigénie en Tauride, 1089-1152. Voyez ci-dessous, au chap. XI, § III, des extraits de l’Iphigénie à Aulis.

[27] Iliade, II, 355-356.

[28] La date la moins improbable pour la prise de Troie, mais sans qu’elle ait la moindre certitude, est celle que donne Ératosthène, 407 années avant la première olympiade, ou 1184 avant J.-C. Pour Homère, il y avait dix-huit traditions sur la date de sa naissance, qui varie de 24 à 400 ans après cette guerre.

[29] L’Océan seul échappe à sa puissance : Il n’oserait, dit Homère (Iliade, XIV, 245), tenter d’endormir son courant éternel.

[30] Ce n’est pas ici le lieu de répéter la description d’Homère (Iliade, XVIII, 478-608). J’y note un seul trait : Arès et Athéna, qui conduisent une troupe de soldats, ont une taille plus haute que celle des hommes. Les artistes ont reproduit cette différence qui aide souvent à distinguer, sur les vases et dans les bas-reliefs, les êtres divins des mortels ou des ombres conduits par Hermès aux Champs élyséens. Hésiode, ou plutôt un véritable poète qui avait le génie épique, a fait aussi une description du bouclier d’Hercule.

[31] Iliade, XX, 1-66.

[32] Iliade, XXII, 208-213.

[33] Iliade, chant. XXIV, v. 477-512.

[34] Strabon, liv. XII, 8, 3, et XIV, 2, 14.

[35] …… Etiam periere ruinæ (Lucain, Pharsale, IX, 969).

[36] De xαλύπτω, cacher.