ÉCONOMIE POLITIQUE DES ROMAINS

 

LIVRE TROISIÈME — AGRICULTURE - PRODUITS

CHAPITRE V. — Du mode de fermage.

 

Le mode de fermage chez les Romains était excessivement vicieux, même du temps de Caton ; on doit lui attribuer une grande part dans la décroissance des produits et la décadence de l’agriculture italienne. L’extrême division des propriétés et le maintien des lois agraires étaient de nécessité absolue arec une culture pareille. Du temps de Caton, toutes les propriétés rurales que le maître ne faisait pas valoir, soit par lui-même, soit par un régisseur, étaient affermées à un politor ou colon partiaire, partiarius, qui recevait, pour prix de ses soins et de son travail, une portion de la récolte en nature. Le maître fournissait tout, le sol, les esclaves ou journaliers, les bestiaux, les semences, les outils, vases ou instruments, enfin tout le mobilier nécessaire à l’exploitation. Cette coutume existe encore dans la moitié de la France où elle a passé, de même que le système des jachères, avec les usages, les lois, les institutions, les connaissances et la langue des Romains. C’est une des causes principales qui mettent la culture et les produits des provinces de l’intérieur, de l’ouest et du midi de la France, si fort au-dessous de celles du nord et de l’est du royaume. Voici la part que Caton assigne au colon partiaire ou politor[1] : Dans les terres de Casinum et de Vénafre, et dans un bon terrain, il aura la huitième corbeille ; dans un sol assez bon, la septième ; dans tin sol de troisième qualité, la sixième ; si l’on partage le grain au modius[2] (boisseau de 6 kilogr. 50), il en aura le cinquième. Dans le Vénafre, les meilleures terres se partagent à la neuvième corbeille. Si l’on écrase ou broie le blé en commun, les frais de mouture sont supportés par le politor, au prorata de sa portion dans la récolte des grains ; l’orge et les fèves se partagent au cinquième boisseau[3].

Si vous confiez au colon partiaire l’administration d’un ferme bâtie, avec une vigne, un plant ou des terres à blé, et qu’il en ait bien soin, le colon partiaire prélèvera, sur le foin et le fourrage qui y croissent, une quantité suffisante pour nourrir ses bœufs ; tout le reste sera partagé également.

On voit que le métayer romain n’avait que le cinquième au plus, et souvent le neuvième du produit des grains pour payer son travail, celui de sa famille, et subvenir à sa nourriture. En France, le métayer à cheptel a la moitié de tous les produits en grains et en bestiaux, pour sa nourriture, le prix de son travail et de celui de sa famille. Cependant le bénéfice du métayer est regardé généralement comme insuffisant, et la preuve positive en est que, dans toute la France, cette classe de cultivateurs sobres et économes vit dans un état voisin de la misère, ne peut amasser aucun capital, et que, de plus, le sol ne gagne point en valeur et en fertilité. Il y a donc perte à la fois pour le propriétaire et pour le métayer.

Dans les provinces de France où les terres sont affermées par des baux fixes, sans que le fermier puisse être évincé s’il remplit ses engagements, et où celui-ci fournit tout le mobilier mort ou vif, en calcule que trois neuvièmes du produit brut paient le fermage de la terre ; quatre neuvièmes, les frais de culture, impôts, nourriture des hommes et des animaux nécessaires à l’exploitation, et deux neuvièmes, le travail, l’industrie du fermier, l’intérêt du capital avancé par lui, et le profit légitime dû à ses soins et à son intelligence.

On conçoit qu’avec une rétribution aussi faible accordée au colon partiaire du temps de Caton, il était impossible que les terres fussent cultivées avec zèle et avec fruit. L’activité du colon n’était pas éveillée par un intérêt personnel assez actif, et son sort n’était guère au-dessus de celui des esclaves ; pour la nourriture, pour les vêtements, pour l’aisance personnelle enfin et pour celle de sa famille, il devait être souvent inférieur à cette classe imprisée de la société.

 

 

 



[1] Chap. CXXXVI, CXXXVII.

[2] Voyez Dickson, Agriculture des anciens, tom. I, page 98, not. 9, tr. fr. Il explique bien la différence du partage au panier ou au modius. Le poids moyen du modius de froment est de 13 livres 28498, un peu plus de 13 livres ¼.

[3] Chez les Romains on partageait d’ordinaire le grain non battu à la corbeille. Il y avait néanmoins deux manières de moissonner le blé ; dans l’une on séparait l’épi de la tige ; alors, on mesurait les épis à la corbeille ; dans l’autre on coupait une partie de la paille avec l’épi, et on transportait le tout sur l’aire, où il était battu ; alors le grain se mesurait et se partageait au modius. Voyez Mongée, Second mémoire sur les instruments d’agriculture employés par les anciens, Académie des Inscriptions, t. III, p. 37 et suiv.