ÉCONOMIE POLITIQUE DES ROMAINS

 

LIVRE SECOND — POPULATION

CHAPITRE IX — Extension du droit de cité depuis César et Auguste.

 

Puisque nous avons suivi hors de l’Italie le mouvement de la population de l’empire, qu’on nous permette quelques considérations politiques sur une institution qui dut avoir une grande influence dans la question dont je m’occupe en ce moment. Les différents droits dont jouissaient les sujets de l’empire seront examinés en détail dans le volume suivant, où je traiterai de l’administration romaine ; mais on peut ne pas trouver déplacées ici quelques lignes sur la manière dont les empereurs firent servir à leurs projets le droit de cité, droit qui constituait essentiellement le citoyen libre, et dont la plus ou moins grande extension augmentait ou diminuait le chiffre de la population libre.

Le dernier cens exécuté sous la république, en 683, par les censeurs L. Gellius Poplicola et Cn. Corn. Lent. Clodianus, ne fournit que 450.000 citoyens romains en état de porter les armes, c’est-à-dire depuis dix-sept jusqu’à soixante ans.

En 708, un autre dénombrement fut opéré par César, en qualité de préfet des mœurs. Appien[1] affirme que le nombre des citoyens était réduit à la moitié de ce qu’il était avant la guerre civile. Dion Cassius semble confirmer ce fait, en disant (XLIII, 25) que la population était considérablement diminuée à cause de la multitude de ceux qui avaient péri, comme César s’en convainquit d’après les registres de population, έx τών άπογραφών. Plutarque même, et l’Épitomé de Tite-Live, attribué à Florus, prétendent[2] que César ne trouva dans ce dénombrement que 150.000 citoyens ; c’est une erreur manifeste qui a été combattue par Juste Lipse, Ruaud et Duker[3]. Cicéron fait mention[4] du cens opéré par Jules César comme y ayant fait lui-même sa déclaration. Mais, quant au cens de l’an 683, le nombre de 450.000 exprimé en toutes lettres dans l’abrégé de Tite-Live[5] ne présente aucun doute raisonnable ; il s’accorde avec le cens précédent qu’Eusèbe rapporte à l’an 664, et dans lequel on trouva 463.000 citoyens.

J’ajouterai que ces chiffres ne sont point en contradiction avec le nombre que Polybe nous a transmis pour l’an 529, comme extrait des tables du cens et qui est de 750.000 âmes, car ce chiffre s’applique également à toute l’Italie renfermée entre les deux mers, le détroit de Messine et une ligne parallèle tirée de Luna à l’embouchure du Rubicon ; il comprend par conséquent toute la portion de cette contrée qui acquit le droit de cité en 663 par la loi Julia[6], et l’accord unanime des historiens romains prouve que, depuis cette époque de 529, la population libre de l’Italie suivit longtemps une progression décroissante.

Nous avons vu qu’il ne se trouva que 450.000 citoyens dans le dénombrement de l’an 683 ; cependant le premier cens qu’Auguste exécuta 42 ans après, en vertu de sa puissance censoriale[7] et qui nous a été conservé par l’inscription d’Ancyre[8], nous présente un nombre de 4.063.000 citoyens romains : Et in consulatu sexto censum populi conlega M. Agrippa egi. Lustrum post annum alterum et quadragensimum fec[i]. Quo lustro civium Romanorum censa sunt capita quadragiens centum millia et sexag[i]inta tria millia[9].

Rechercher quels ont été les motifs, quels ont dû être les effets de cette extension prodigieuse du droit de cité dans un laps de temps si court, tel est le but et l’objet de ce chapitre. Ce que je puis affirmer, c’est que la question est extrêmement neuve, et que les chiffres que j’ai rapportés ont été admis par tous les savants qui se sont occupés de cette matière, sans qu’aucun d’eux ait songé le moins du monde à en examiner les conséquences.

C’est le plus grand homme de l’univers et le plus habile politique de l’État romain qui ont osé concevoir et exécuter cette opération, si opposée aux maximes de l’ancien gouvernement, si offensante pour l’orgueil, si contraire en apparence aux intérêts du peuple roi, qui voyait diminuer, en les partageant, ses émoluments, son pouvoir et ses privilèges.

La nécessité, la loi suprême du salut de l’empire, décidèrent César et Auguste à l’adoption de cette mesure, qui dut exercer une puissante influence sur la composition et le recrutement de l’armée, sur le système des impositions et la quantité des revenus de l’État, enfin sur l’action du gouvernement impérial. De l’examen de ces questions importantes il doit, si je ne m’abuse, jaillir de nouvelles lumières sur un grand nombre de faits de l’histoire publique ou privée des empereurs romains.

Les grandes conquêtes de Pompée et de César, en reculant les frontières de l’empire, l’avaient mis, vers l’Orient et le Nord, en contact immédiat avec le puissant royaume des Parthes et les nations libres et guerrières de la Germanie. Les Gaules n’avaient cédé qu’après une lutte opiniâtre, soutenue avec énergie pendant dix années ; leur fidélité devait être longtemps suspecte à leurs vainqueurs. Il fallait nécessairement, pour conserver ces acquisitions nouvelles et se défendre contre les nouveaux États que cet empiétement soudain avait rendus limitrophes de l’empire, de plus fortes armées permanentes, un plus grand nombre de légions tenues constamment sous les drapeaux. Mais ces corps ne pouvaient se composer ni se recruter que des 450.000 citoyens libres de dix-sept à soixante ans qu’avait offerts le cens de 683. Ce nombre même d’hommes libres était diminué quand César commença la guerre civile. Une base plus large était donc indispensable pour la fondation et l’entretien de ces armées nationales, qui, sans un péril extrême pour l’État, ne pouvaient être inférieures en force aux corps auxiliaires.

C’est sans doute ce puissant motif qui décida J. César, lors de sa dictature, en 705, à donner le droit de cité complet à toute la Gaule transpadane[10]. Un projet de loi semblable avait été proposé seize ans auparavant, sous le consulat de J. César et de Bibulus[11], mais il avait échoué devant l’opposition des tribuns du peuple. Dion dit (XLI, 36), à la vérité, que César donna le droit de cité à la Gaule cisalpine parce qu’elle avait été sous son gouvernement ; mais il me semble que c’est prêter un motif bien faible et bien vulgaire à cette grande résolution d’un homme de génie[12].

J’ose donc l’assurer avec confiance, ce fut la corruption des mœurs et la progression constante de la pratique du célibat ; ce fut la diminution du nombre des citoyens romains, attestée par Tacite, Suétone et Dion[13] comme une conséquence immédiate de ces deux causes, qui obligea d’abord J. César, ensuite les triumvirs et Auguste[14], à étendre le droit de cité dans les provinces. En effet, depuis les guerres civiles de Marius et de Sylla jusqu’à la bataille d’Actium, quelles armées immenses de Romains contre Romains ! Octave et Antoine, Brutus et Cassius avaient, en 711, cinquante-neuf légions[15]. Que de citoyens s’étaient enrôlés dans ce service, où les vingt plus belles années de leur vie s’écoulaient dans le célibat ! Marc-Antoine, pendant son consulat, avait suivi les pensées ou les projets de César en donnant à la Sicile et à des provinces entières le droit de cité complet. Cicéron, qui était alors l’ennemi déclaré d’Antoine, dit à Atticus que cette loi a été portée par César dans les comices : Legem a dictatore comitiis latam, qua Siculi cives Romani[16]. Mais comme elle n’avait pas été publiée du vivant de César, il accuse Antoine, dans cette lette et deus la deuxième Philippique, d’avoir fabriqué la loi et d’avoir reçu des Siciliens de grandes sommes d’argent en échange du droit de cité. Cependant, dans la première Philippique (I, 9), Cicéron avait jugé utile de faire ratifier par le sénat les lois que César avait portées pendant sa vie, et celles qui avaient été promulguées après sa mort comme étant son ouvrage, entre autres celle qui accordait à des nations et à des provinces entières le droit de cité avec l’exemption des impôts.

Je ne prétends point nier, quoique nous n’ayons pour établir ce fait que l’assertion de son adversaire, je ne nierai point, dis-je, qu’Antoine, qui avait besoin d’argent et pour ses profusions et pour accroître les forces de son parti, ne se soit fait payer largement les privilèges politiques qu’il accordait, puisque l’exemption d’impôts suivait nécessairement l’admission au droit de cité complet[17]. Mais le fait lui seul prouve évidemment que César et Antoine jugeaient indispensable d’agrandir et d’affermir la base de l’armée nationale, en augmentant le nombre des citoyens romains, qui alors ne pouvaient plus suffire à sa formation et à son recrutement.

On s’affranchit par cette mesure d’un grave inconvénient auquel, depuis Marius et Sylla, on avait été exposé, celui de faire entrer dans les légions les prolétaires[18] et les affranchis. Les révoltes fréquentes de ces corps, qui menacèrent plusieurs fois l’existence du pouvoir de César et d’Octave[19], révoltes qu’on était forcé d’apaiser momentanément par des distributions d’argent et de terres enlevées de force au parti vaincu ; les vols, les brigandages qui suivaient le licenciement de ces armées, formées en grande partie de l’écume de la société, avaient fait sentir la nécessité de revenir aux anciennes institutions de la république, et de ne confier les armes qu’aux citoyens qui, pour la conservation de leurs propriétés, étaient intéressés à défendre l’ordre établi. Tacite (Ann., XI, 24) approuve cette mesure. On eut, dit-il, un solide repos au dedans et des succès contre les étrangers, lorsque la Transpadane eut reçu le droit de cité et que l’épuisement de nos légions répandues sur toute la terre fut réparé par l’incorporation des plus braves guerriers des provinces.

Il en est ainsi dans tous les temps et dans tous les bons gouvernements. Il faut que l’armée et les corps qui en sont la pépinière ou l’appui, qu’ils se nomment milice, garde nationale, landwehr ou yeomanry, soient composés de propriétaires ayant par cela même un intérêt direct à soutenir le pouvoir, à défendre les libertés, à maintenir l’ordre public.

Il y eut donc alors, non pas deux systèmes, mais deux applications différentes du même système. La première, en ouvrant par une grande extension du droit de cité un champ plus vaste à la pépinière des armées nationales, offrait un élément plus puissant pour les conquêtes futures, une plus grande sécurité contre l’invasion des nations barbares. C’était la pensée de César suivie par Antoine et adoptée ensuite par Mécène (Dion, LII, 19).

La seconde, réalisée par Auguste (Suétone, Aug., 47), en n’admettant au rang et aux droits de citoyens romains que les magistrats des cités, les notables et les grands propriétaires des provinces, assurait davantage le pouvoir impérial contre les soulèvements du peuple et les mutations de gouvernement ; mais elle offrait moins de ressources pour la guerre extérieure. Aussi ce prince, dans son testament politique (Tacite, Ann., I, 11), donna-t-il le conseil de ne plus étendre les bornes de l’Empire, coercendi intra terminos imperii.

Il paraît que le droit de cité accordé à tous les Siciliens par Antoine leur fut retiré par Auguste, puisque Pline (H. n., III, 14), dans les soixante-huit villes de la Sicile, n’en indique que six qui eussent le droit de cité romaine ; les autres avaient reçu de César les droits du Latium[20].

Enfin, une preuve positive que le nombre des citoyens romains, quoique porté, en 745 de Rome, à 4.203.000, ne pouvait suffire complètement au besoin des armées actives et à la garde de l’intérieur de l’empire, nous est fournie par Suétone et Dion[21].

Ces auteurs rapportent qu’en 760 et 763, Auguste fut contraint d’enrôler des affranchis, et même des esclaves, pour garder les colonies voisines de l’Illyrie et défendre la frontière du Rhin, quoiqu’il eût restreint lui-même par des lois très sévères[22] l’affranchissement des esclaves et les droits civils et politiques des affranchis. Pline (H. n., VII, 46) compte au nombre des infortunes de ce prince la nécessité qui le força d’enrôler des esclaves faute de citoyens propres au service militaire : Servitiorum delectus juventutis penuria.

Il est évident que ces restrictions imposées par Auguste à l’extension du droit de cité lui étaient dictées par la prévoyance, qu’une pareille mesure allait diminuer considérablement les revenus de l’État[23], et, par là même, créer de grands obstacles à l’action et à la durée du gouvernement impérial qu’il venait d’établir.

En effet, le titre de citoyen romain, outre des privilèges civils et politiques très importants, conférait l’exemption totale de l’impôt foncier, des droits de douane, d’octroi et de péage ; et cette immunité, consacrée par une longue possession[24], était devenue, sous Auguste, une prérogative inviolable des citoyens romains, à laquelle il eût été dangereux de porter atteinte.

Dans la guerre contre Antoine, Octave, qui régnait alors par la force, avait mis un impôt sur toutes les terres de l’Italie (Dion, L, 20). Cet impôt avait causé un soulèvement général ; et aussitôt après la bataille d’Actium, il fut supprimé (Dion, LIII, 2).

Il faut lire dans Dion (LV, 25 ; LVI, 28) tout le détail des précautions et des ruses qu’Auguste employa, lorsque, désirant former une caisse permanente pour la retraite et les récompenses des soldats, il voulut établir un impôt pour fournir les fonds de cette caisse. D’abord il consulte le sénat ; le sénat, après de longues délibérations, ne trouve rien qui puisse contenter les esprits, prévenir les reproches d’une nation fière et jalouse à l’excès de ses privilèges ; tous étaient même révoltés du seul projet d’une imposition quelle qu’elle fût. Alors Auguste fait porter, de son propre trésor et de celui de Tibère, des fonds[25] dans une caisse à laquelle il donne le nom de caisse militaire, et dont il confie l’administration à d’anciens préteurs ; il reçoit les souscriptions de quelques rois et de quelques nations. Mais les sénateurs, niais les chevaliers, mais le peuple de Rome s’obstinent à ne point contribuer, et les fonds restent insuffisants pour un objet d’une aussi grande importance, car il ne s’agissait de rien moins que d’assurer les propriétés. Jusqu’alors on avait donné aux soldats les récompenses et les retraites en terres dont on dépouillait les citoyens, et c’était pour prévenir un abus si criant qu’Auguste proposait cette utile mesure. Mais telle était l’ombrageuse jalousie du peuple romain sur tout ce qui pouvait effleurer ses franchises, telle était sa prévention contre tout ce qui pouvait ressembler à un tribut et confondre le peuple roi avec les peuples sujets, que tous se refusaient avec opiniâtreté à la sage innovation d’Auguste. Ce dernier s’adresse de nouveau au sénat, et, pour éviter l’éclat d’une délibération publique qui pleuvait compromettre vis-à-vis de la nation les sénateurs qui auraient ouvert l’avis de l’impôt, il demande à chacun de lui remettre un projet par écrit. Ayant connu par là qu’ils préféraient tout autre impôt au vingtième sur les successions, il déclara qu’il imposerait les terres et les maisons, sans indiquer cependant la quotité de la contribution, et il fit de suite estimer par des classificateurs la valeur des propriétés municipales ou particulières. Alors le sénat, qui abhorrait surtout l’impôt foncier, revint au projet d’Auguste, et ce prince publia la taxe qu’il avait arrêtée depuis longtemps en lui-même (an de Rome 759) : c’était le vingtième sur les legs et les successions collatérales. On exceptait celles des parents les plus proches et les plus pauvres. Il avait choisi cette taxe de préférence, d’abord parce que l’imposition, n’étant payée qu’au moment d’un accroissement de fortune, était moins pénible à supporter, et ensuite parce qu’ayant déjà été établie une fois par Jules César, elle arrivait en quelque sorte protégée par un grand nom, pour lequel le peuple romain conservait de l’admiration et du respect. Mais tant de circonspection, de ménagements et d’adresse, échouèrent contre les préventions enracinées depuis deux siècles dans tous les esprits ; le peuple murmura, des cris séditieux éclatèrent et tout menaçait d’une révolution.

J’ai cru devoir entrer dans ces détails afin de montrer clairement quel était, sur ce point, l’esprit général de la nation.

Cependant, malgré toute la prudence qu’Auguste avait mise dans l’extension du droit de cité, le nombre des citoyens romains s’était accru des neuf dixièmes dans le cours de vingt années. On y avait admis, dans l’intérêt de l’État, les plus riches propriétaires de l’empire. Cette admission, toute nécessaire qu’elle fait alors, avait diminué la quotité de matière imposable, et néanmoins les dépenses, soit pour l’administration civile, soit pour l’entretien de l’armée, soit pour la retraite et les récompenses dues aux vétérans, dépassaient de beaucoup le taux ordinaire des derniers temps de la république et même de la dictature de Jules César.

Il parait certain que ce fut la nécessité de ramener l’équilibre dans le budget des recettes et des dépenses de l’empire, qui contraignit Auguste à entreprendre et à terminer cette opération gigantesque du cadastre de tout l’empire romain, qui avait été admise comme un fait extraordinaire, quoique incontestable, mais dont jusqu’ici on n’avait pas même soupçonné la cause et le motif.

Quel pouvait être le but de ce cadastre et de cette estimation si difficile et si dispendieuse, sinon l’augmentation, alors indispensable, du taux de la contribution foncière sur les tributaires qui n’avaient pas obtenu le droit de cité, et, pour en alléger le poids, une répartition plus égale de l’impôt, d’après la valeur mieux connue des diverses propriétés. Je puis même ajouter que cette explication peut prendre place au nombre des faits les mieux avérés, puisque nous voyons, sous Auguste, plusieurs États, plusieurs royaumes ou provinces, soumis à un cens, à un cadastre, à des impôts qu’ils ne connaissaient pas auparavant[26].

Depuis la fin du règne d’Auguste jusqu’à l’empire de Vespasien, le nombre des citoyens romains s’était accru très probablement de moitié. Le chiffre du dénombrement fait en 827 par Vespasien et Titus nous manque ; mais Tacite et Eusèbe nous ont transmis le nombre des citoyens romains que fit connaître le cens opéré par Claude, l’an 801 ; il montait, selon Tacite (Ann., XI, 25), à 5.984.072 ; selon Eusèbe[27], à 6.844.000. Or, nous savons positivement par les récits de Suétone, de Pausanias, de Philostrate[28], que le droit de cité fut prodigué par Néron avec la même imprévoyance qu’il l’avait été sous le règne de Claude ou de ses affranchis[29], et à ce privilège était attachée encore l’exemption, pour le titulaire, d’une grande partie des impôts. Il dut en résulter une diminution considérable dans les revenus de l’État.

Mais Caligula, Claude et Néron, quand ils avaient épuisé le trésor par des largesses inconsidérées, savaient le remplir par des meurtres et des confis. cations.

C’est sous Galba seulement, qui voulait suivre une autre marche dans l’administration de l’empire, que s’introduit une restriction importante dans le privilège du droit de cité.

Tacite[30] nous apprend que la Gaule, qui avait, presque tout entière, suivi le parti de Vindex contre Néron, avait obtenu le droit de cité avec l’exemption seulement du quart de ses impôts. Ainsi, depuis le règne de Galba jusqu’à celui de Trajan, il exista une différence marquée de privilèges entre les anciens et les nouveaux citoyens. Pline le Jeune[31] a pris soin de consigner ce fait curieux. Les premiers ne payaient pas le 20e sur les legs et les successions, pour les héritages en ligne directe ; les seconds, soit qu’ils fussent devenus citoyens romains par l’exercice des magistratures dans les villes jouissant du droit latin, soit qu’ils eussent obtenu ce titre par la faveur du prince, étaient soumis à cet impôt lorsqu’ils héritaient d’un citoyen romain, et ne pouvaient même, s’ils n’obtenaient en même temps le jus cognationis, hériter gratuitement de leurs ascendants ou de leurs descendants, même les plus proches. Cependant on mettait alors, ajoute Pline, tant de prix à acquérir le titre de citoyen romain que ces grands désavantages ne pouvaient pas décourager les poursuivants. On allait pour cela jusqu’à se mettre dans l’esclavage, afin de se faire affranchir et de devenir citoyen romain. Les Latins et les Italiens, au VIe siècle de la république, fraudaient ainsi la loi, dit Tite-Live (XLI, 8) ; et il en était de même sous les Antonins, comme le prouve ce dialogue de Pétrone[32] : Quare ergo servisti ? — Quia ipse me dedi in servitutent ; malui enim civis Romanus esse quam tributarius.

Le rapprochement de plusieurs passages de Suétone, de Pausanias, de Dion et de Spartien, combinés avec le texte de Pline dont j’ai donné l’analyse, peut fournir, ce me semble, l’induction très probable qu’à compter de Vespasien, les provinciaux admis au droit de cité[33] ne jouissaient plus de l’exemption d’impôts attachée auparavant à ce titre. Car Vespasien (Suétone, Vesp., 8) enleva ce privilège, qui était un droit acquis, à toute la Grèce, à la Lycie, à Rhodes, à Byzance et à Samos, Libertatem adamit ; et la preuve qu’à ce don de la liberté était jointe l’exemption de tribut nous est fournie par Pausanias, qui dit formellement (Achaïc, p. 222) que Néron avait accordé la liberté à toute la Grèce, mais que Vespasien l’abolit et soumit de nouveau la Grèce au tribut : Καί σφάς (Έλληνας) ύποτελεϊς τέ αΰθις ό Ούεσπασιανός εζναι φόρων. Enfin nous savons qu’Adrien[34] et Antonin[35] accordèrent avec beaucoup de libéralité le droit de cité, que Marc-Aurèle en fit de même[36]. Cependant Antonin laissa en mourant, dans l’œrarium, 748.000.000 (Dion, LXXIII, 8) de francs, et Marc-Aurèle légua à son fils Commode un trésor bien rempli, que celui-ci épuisa par au profusions insensées[37].

L’ensemble de ces faits nous porte donc à croire que, depuis Vespasien jusqu’à Caracalla, ceux qui obtinrent le droit de citoyen romain ne jouirent pas plus de l’exemption des diverses natures d’impôts qu’ils n’avaient joui, avant Trajan, de l’exemption du 20e sur les successions en ligne directe. Sans cela l’extension prodigieuse du droit de cité aurait presque entièrement tari la source des revenus de l’État. Un passage d’Ulpien appuie cette déduction ; on y voit Antonin donner le titre de colonie romaine sans exemption de tribut[38].

C’est par là aussi que s’explique l’intention fiscale de Caracalla en donnant le droit de cité à tous les sujets de l’empire (Dion, LXXVII, 9). Par cette faveur apparente il les soumit à l’impôt du 20e sur les successions qui n’atteignait pas les citoyens romains. Son avarice doubla même le droit ; et certes il n’eût pas renoncé gratuitement, dans une telle pénurie d’argent, aux revenus qu’il tirait des autres impôts, si, à cette époque, l’admission au droit de cité en eût impliqué l’exemption.

On vit alors s’accomplir, mais deux cents ans trop tard, lange mesure que Mécène avait conseillée à Auguste lors de l’établissement de l’empire. Cette opinion de l’un des plus habiles politiques de l’ancienne Rome, les motifs qui engagèrent Auguste à la rejeter, me semblent mériter un examen et une discussion qui rentrent d’ailleurs dans l’objet et le but de ce chapitre.

Mécène, dans le discours que Dion (LII, 14-40) nous a transmis presque tout entier, proposait à l’empereur d’augmenter le nombre des sénateurs et des chevaliers, d’ouvrir l’entrée de l’ordre équestre ou sénatorial aux principaux notables de toutes les provinces, enfin de conférer le droit de cité à tous les sujets libres de l’empire (Dion, LII, 19).

Pour subvenir aux dépenses obligées de l’État, dans la paix ou dans la guerre, il conseillait de vendre tous les domaines publics, d’instituer, avec les capitaux provenant de cette vente, une banque qui prêtât, moyennant un intérêt modéré et des garanties suffisantes, des fonds à tous ceux qui en feraient un emploi utile, soit dans l’agriculture, soit dans l’industrie. Il proposait, en outre, de soumettre, sans distinction, à un léger impôt tous les sujets libres de l’empire, de répartir également cette contribution sur toutes les matières imposables, d’après une estimation précise, et de diviser par petites portions le recouvrement annuel.

Ces vues sur la politique, l’administration et les finances sont, à ce qu’il me semble, d’un ordre si élevé, qu’on s’étonne à la fois de les rencontrer au Ier siècle de l’ère chrétienne, et de voir que, jusqu’au XIXe siècle, on n’ait pas songé à les apprécier.

Les motifs apparents, exposés par Mécène à l’appui de son projet d’admettre au sénat et dans l’ordre équestre les principaux notables des provinces, sont que ces hommes influents, fixés à Rome par leurs emplois, deviendront des otages de l’empereur, des instruments de sa puissance, attachés à sa conservation par leur intérêt, et lui répondront de la fidélité des provinces, qui, privées de leurs chefs, n’oseront plus tenter de révoltes ni de soulèvements[39].

Le but de ce grand homme d’état, en conférant le droit de cité à toutes les provinces, était d’abolir les privilèges, d’effacer ces distinctions odieuses de maîtres et de sujets, de consolider la force et l’unité de l’empire, d’intéresser tous les citoyens à sa durée, et de faire enfin de Rome la patrie commune de tout le monde romain (Dion, LII, 19).

La vente des domaines publics et l’institution de la banque devaient, selon Mécène, améliorer la culture, augmenter la richesse publique et rendre plus facile la perception de l’impôt. Cet impôt, assis également sur tous les hommes libres, leur semblerait moins dur à payer, parce que, tous étant admissibles aux fonctions rétribuées, les uns en recouvreraient une partie à titre de salaire, et les autres sacrifieraient sans peine une petite portion de leur revenu pour jouir avec plus de sécurité du reste de leur fortune (Dion, LII, 28-29).

Tels étaient les motifs apparents de Mécène, que Dion nous a conservés. Mais cet habile politique, en proposant ces innovations, avait, je n’en doute pas, une vue plus profonde, plus étendue, que peut-être il avait exprimée formellement dans la partie de son discours aujourd’hui perdue, mais qu’on peut facilement déduire de l’ensemble de ses propositions (Dion, LII, 14-16,30).

Pour cela il faut se bien représenter ce qu’était l’empire romain et comment il s’était formé ; je ne puis en donner une idée plus juste qu’en reproduisant la belle analyse qu’en a donnée M. Guizot[40]. Rome, dit-il, n’était, dans son origine, qu’une municipalité, une commune. Le gouvernement romain n’a été qu’un ensemble d’institutions municipales. C’est là son caractère distinctif ; il a survécu même à la destruction de l’empire. Quand Rome s’est étendue, ce n’a été qu’une agglomération de colonies, de municipes, de villes libres, de petits États faits pour l’isolement et l’indépendance. Ce caractère municipal du monde romain rendait évidemment l’unité, le lien social d’un grand empire, extrêmement difficile à établir et à maintenir. Aussi, quand l’œuvre parait consommée, quand tout l’Occident et une grande partie de l’Orient sont tombés sous la domination romaine, vous voyez cette prodigieuse quantité de cités, de petits États, formés, je le répète, pour l’isolement et l’indépendance, se désunir, se détacher, s’échapper, pour ainsi dire, en tout sens. L’empire essaya vainement de porter de l’unité et du lien dans cette société éparse.

La pensée fondamentale de Mécène, en donnant le droit de cité à tous les sujets, en consacrant l’admission de tous à toutes les fonctions et l’égale répartition de l’impôt, en abolissant les assemblées délibérantes des villes, en établissant l’unité des monnaies, des poids et des mesures (Dion, LII, 30), eut évidemment pour but de dissoudre l’élément municipal, de créer un nouveau système, d’accord avec le principe monarchique qui surgissait sous Auguste, et qui, soutenu par l’unité vigoureuse du pouvoir central, par la forte organisation de la discipline militaire, de l’administration civile et religieuse, eût lutté avec succès contre la corruption des mœurs, la dissolution intérieure de l’État et l’invasion des Barbares.

Le caractère politique d’Auguste, envisagé d’une manière générale, se distingue plus par l’adresse et la ruse, par l’emploi judicieux des précautions et des ménagements, que par une volonté ferme, que par des moyens d’action énergiques et décisifs.

Il est probable que les vaines tentatives essayées par lui dans son triumvirat, pour soumettre à l’impôt cette noblesse privilégiée qui portait le nom de peuple romain, l’empêchèrent d’adopter les idées de Mécène ; qu’il n’osa heurter de front les préjugés et les répugnances d’une nation fière et jalouse à l’excès de ses prérogatives.

C’est par ces motifs sans doute qu’il resserra dans des limites plus étroites l’extension du droit de cité, et qu’il refusa son assentiment aux autres innovations proposées par Mécène.

Mais cependant le nombre des citoyens romains s’était accru des neuf dixièmes, depuis la première année de la dictature de César jusqu’à l’établissement de l’empire.

Ce nouvel état de choses dut exercer une influence notable sur l’agglomération des fortunes, et sur la conduite des empereurs qui se succédèrent depuis Auguste jusqu’à Vespasien.

C’est dans cette période que la concentration des propriétés s’augmente de plus en plus[41], qu’on voit s’élever en un clin d’œil les fortunes énormes de quelques affranchis, que la richesse commence à changer de mains, et, au lieu d’être l’apanage des grandes familles patriciennes, se répartit entre des hommes obscurs qui, soue le nom du prince, distribuaient, pour de l’argent, les distinctions, les récompenses, les faveurs et les privilèges.

La vente du droit de cité, qu’on achetait à un haut prix, parce qu’il donnait de grands profits et de superbes prérogatives, cette vente dont Marc-Antoine, dans son triumvirat, avait tiré tant d’argent, fut, sans aucun doute, la source principale de l’énorme fortune des affranchis de Claude, Pallas, Calliste et Narcisse, de ceux de Néron, Doryphore, Polyclète, Hélius et Halotus, et même de ceux de Galba et de Vitellius, Icelus et Asiaticus, dont la richesse, selon Pline (XXXIII, 47) et Tacite[42], n’était pas moins exorbitante.

De plus, ces six ou sept millions de citoyens romains, choisis parmi les plus riches propriétaires de l’empire, avaient accru leur fortune par l’exemption d’impôts attachée à ce titre, par l’usure, par des acquisitions successives.

Pline, témoin oculaire de la distribution des richesses à cette époque, affirme positivement que la concentration des propriétés a perdu l’Italie et même les provinces. Il cite à l’appui de cette assertion la province d’Afrique, dont la moitié appartenait à six individus, que Néron fit périr pour s’emparer de leurs dépouilles. Latifundia perdidere Italiam, jam vero et provincias. Sex domini semissem Africæ possidebant, cum interfecit eos Nero princeps (H. n., XVIII, VII, 3).

Cette concentration monstrueuse de la propriété dans la classe des citoyens romains, l’impossibilité de lever des impôts sur cette caste privilégiée, et de subvenir par des emprunts au déficit des ressources ordinaires donnent l’explication des crimes des empereurs. Lorsque, par des profusions insensées, ils avaient épuisé le trésor public, pour en combler le vide il rie leur restait d’autres ressources que les condamnations, les meurtres et les confiscations ; car on ne peut s’expliquer chez les empereurs cette rage aveugle, cette cruauté absurde, dont l’infaillible effet devait être de soulever contre eux toutes les haines, et de compromettre tôt ou tard leur vie et leur pouvoir, si l’on ne suppose qu’ils étaient poussés à ces affreuses extrémités par une nécessité impérieuse, par ce besoin d’argent qui renaissait sans cesse, et qu’il leur était impossible de satisfaire par des voies légales.

Lisez l’histoire de Caligula, de Néron, de Domitien, de Commode, de tous les mauvais princes ; vous verrez que les commencements de leurs règnes n’ont point été odieux, parce que, dans cette période, l’argent ne leur manquait pas. Le bon ordre établi par Tibère, la sage administration de Burrhus et de Sénèque, la rigide économie de Vespasien et de Marc-Aurèle avaient laissé à Caligula, à Néron, à Domitien, à Commode, un trésor bien garni, des finances en bon état, et une surabondance de richesses qui subit quelque tempe à leurs folles dissipations. La cruauté ne vint qu’à la suite de la prodigalité. Ce fut lorsque Caligula, lorsque Néron, lorsque Domitien et Commode eurent prodigué les trésors de l’empire, soit dans leurs constructions extravagantes, soit dans ces fêtes insensées où, chaque jour, ils jetaient dans le cirque et dans l’arène les revenus de trois ou quatre provinces, ce fut alors qu’on vit commencer et se succéder sans relâche les accusations, les condamnations, les confiscations, les massacres, uniques expédients praticables dans un État qui n’avait que des revenus et point de ressources, où, dès le temps de Claude, il v avait six initiions d’hommes qui concentraient toutes les richesses, qui échappaient à toute imposition, et qui, loin de contribuer aux dépenses de l’État, formaient eux-mêmes la plus onéreuse et la plus forte de toutes.

L’énorme agglomération des fortunes, dont Pline nous fournit un exemple si frappant, offrait un appât irrésistible à l’avidité nécessiteuse des empereurs. Aussi Caligula (Suétone, Cal., 49) avait-il formé une liste des chevaliers, des sénateurs riches, destinés à être accusés successivement et condamnés pour que leurs dépouilles subvinssent aux besoins du fisc. Ces princes ne connaissaient pas d’autres ressources de finances.

La même nécessité contraignit aux mêmes crimes et l’empire Ottoman et ce régime de 93 qui battait monnaie sur la place de la Révolution.

Dans la gêne extrême où les dépenses énormes du peuple et des soldats tenaient continuellement les empereurs romains, il n’y avait qu’une extrême parcimonie qui prit maintenir leurs vertus et conserver la fortune de l’État. Aussi les princes sages, Vespasien, Trajan, Adrien, les Antonins, &’imposèrent-ils la loi de l’économie la plus sévère. Ils n’avaient qu’une ligne infiniment étroite sur laquelle ils pussent marcher ; s’ils s’écartaient d’un seul pas de la plus rigide vertu, de la plus extrême modération, de la plus stricte économie, il fallait qu’ils tombassent dans le crime.

La discussion à laquelle nous nous sommes livrés dans ce chapitre nous semble avoir mis hors de doute plusieurs faits importants. D’abord le nombre des citoyens romains fut augmenté des neuf dixièmes en vingt-quatre ans, depuis l’an 701 jusqu’en 725 de Rome.

Cette mesure fut nécessitée par l’agrandissement de l’empire et l’accroissement des armées permanentes ; 450.000 citoyens n’offraient plus une base assez large pour la formation et l’entretien de forces aussi considérables.

Cette grande extension du droit de cité et l’exemption d’impôts attachée à ce privilège forcèrent Auguste de surcharger les tributaires, et d’exécuter le cadastre général de l’empire, afin d’alléger l’accroissement de leur fardeau par use répartition plus égale.

L’exemption d’impôts cessa pour les nouveaux citoyens, du moins en partie, à compter du règne de Vespasien.

Enfin l’extension du droit de cité, avec les privilèges qui en résultaient, est un nouvel élément qu’il faudra désormais introduire dans l’appréciation de l’histoire des premiers siècles de l’empire romain, puisqu’il donne une explication juste et précise de plusieurs faits importants de cette époque, tels que la concentration des fortunes, leur élévation subite, la pénurie du trésor, les crimes et les spoliations des empereurs.

 

 

 



[1] Bell, civ., II, 102.

[2] PLUTARQUE, in César, c. LV. Tite-Live, Épit., CXV, et vid. Duker, Comment. h. l.

[3] Juste Lipse, Elect., I, 27. Ruaud, in Plutarque, Duker, l. c.

[4] Ad Attic., XIII, 33, init.

[5] Censa sunt civium capita quadringenta quinquaginta millia. Tite-Live, Épit. XCVIII.

[6] Cf. SIGON., De ant. jur. Ital. III, I, et SPANN., Orb. Rom. Exerc., I, 10.

[7] Censoria potestate. Cf. PIGNI, an 725.

[8] Monum. Ancyr. a GRONOV. restit., tab. 2. Voyez l’extr. du mém. du docteur Front sur l’inscr. grecque et latine d’Ancyre, lu en 1839 à l’Acad. roy. des Sciences de Berlin, dans le journal l’Institut, quatrième année, août 1839, p. 118-120.

[9] Et pendant mon sixième consulat, j’ai mené le recensement des citoyens romains avec mon collègue M. Agrippa (28 av. J.-C.). J’ai procédé à ce lustre pour la première fois depuis quarante et un ans. Lors de ce lustre, on a recensé quatre millions soixante-trois mille citoyens romains. Traduction d’Alain Canu sur son site Noctes Gallicanae.

[10] Dion, XLI, 36. Cicéron, Philipp., XII, 4, et Manutii not. César fit même entrer au sénat quelques notables de la Gaule transalpine. Suétone, César, c. LXXVI, 8.

[11] Dion, XXXVII, 9.

[12] César donna aussi, en 705, le droit de cité à tous les habitants de la ville de Cadix, et ce privilège fut ratifié par un plébiscite. Dion, XLI, 24.

[13] Tacite, Ann., XIV, 27. Suétone, Auguste, 34. Dion, XLIII, 25. Cf. Aulu-Gelle, II, 15.

[14] Suétone, Auguste, 47.

[15] 295.000 hommes, sans compter la cavalerie romaine, en supposant chaque légion de 5.000 soldats.

[16] Ad Attic., XIV, 12. Cf. Philipp., II, 36. Civitas non jam singillatim, sed provinciis totis dabatur. Itaque si hæc manent quæ stante republica manere non possunt, provincias universas, P. C., perdidistis, neque vectigalia solum, sed etiam imperium. — Le droit de cité se donnait, je ne dis pas individuellement, mais en masse, à des provinces : c'est à tel point que si on laisse s'établir ces abus, qui ne peuvent subsister avec la république, des provinces entières, Pères conscrits, seront perdues pour vous.

[17] Antoine donna mime au rhéteur Sextus Clodius, qui écrivait ses discours, 2.000 jugères du domaine public, exempts de dîme et de tout impôt. Ces biens étaient situés en Sicile, dans le fertile territoire des Léontins. Cicéron, Philippiques, II, 17.

[18] Capite censi. Salluste, Bell. Jug., c. XCI. Suétone, Auguste, XVI, 1.

[19] Suétone, César, 70 ; Auguste, 17, 32. Dion, XLII, 52.

[20] Cicéron, ad Att., XIV, 12.

[21] Dion, LV, 31 ; LVI, 23. Suétone, Auguste, XXV, 9. Dans la guerre contre Sextus Pompée, Octave avait été forcé d’affranchir 20.000 esclaves pour en faire des rameurs. Suétone, Auguste, XVI.

[22] Suétone, Auguste, XL, 8. Justinien, Inst., I, 5 et 6.

[23] Voyez dans Dion, LII, 6, le discours d’Agrippa, qui affirme que les revenus de l’État, en 725, ne peuvent plus suffire à ses dépenses obligées. Vespasien estime à 40.000.000.000 de sesterces (10.000.000.000 de francs) la somme nécessaire pour réparer les désastres des guerres civiles et remettre sas bon état l’empire romain : Ut Retpublica spare posset (Suétone, Vespasien, c. XVI). M. Jacob, après avoir discuté si cette somme représentait le revenu annuel, ou la réserve du trésor public, ou la masse des métaux monnayée en circulation, s’arrête à cette dernière supposition (Precious metals, t. I, p. 223).

[24] Pour l’impôt foncier, depuis 585, pour les autres, depuis 694 de Rome. Dion, XXXVII, 51. Un passage de l’Agrimemor Simplicius, extrait, suivant Niebuhr (Hist. rom., t. IV, p. 454) de Frontin, qui vécut sous Trajan et Vespasien, confirme ce droit immunitaire de l’Italie : Per Italiam nullus alter tributarius, sed sut colonicus, sut municipalis, sut alicujus castelli, aut conciliabuli, sut saltus privati. (Goes., p. 76.) Néanmoins la république ou l’empire était regardé comme propriétaire du sol ; l’usufruit seul, mais presque perpétuel, appartenait aux particuliers. Simplic., ibid. Niebuhr, Hist. rom., t. IV, p. 423, ss.

[25] 170.000.000 de sesterces, environ 42.000.000 de francs. Inscr. Ancyre, tab. 3.

[26] Voyez liv. I, ch. IX, Cadastre de l’empire ; et Perizon., Dissert., IV, p. 330, sqq.

[27] In Chronica, ad an. MMLXI.

[28] Suétone, Néron, XXIV, 6. Philostrate, Apollon., V, 41. Pausanias, Achaïc., p. 222.

[29] Sénèque, Apocolokynthos., t. II, p. 846, éd. Var.

[30] Hist., I, VIII, 51. — Plutarque, in Galba, c. VI et XVIII, éd. Reisk.

[31] Panegyr., c. 37-40. Cf. Schwarz, ad. h. l., et P. Burmann, de Vectig. P. R., ch. XI et ibid., p. 172, sur le droit de cité donné par Caracalla à tous les sujets de l’empire.

[32] Satiricon, c. 57. Pourquoi, alors, j'ai été esclave ? Parce que ça m'a plu de me mettre moi-même en esclavage : j'aime mieux être un citoyen romain qu'un roi, tributaire.

[33] C’est de Galba que date sans doute la distinction entre le droit quiritaire, l’optimum jus, et le droit de cité. Giraud, Droit de propr., p. 212-213, et les notes. M. Laboulaye, Droit de propr., p. 92-93, identifie le jus Quiritum de la république et du premier siècle de l’empire avec le jus Italicum du troisième siècle de l’empire romain.

[34] Spartien, in Adrian, c. XXI.

[35] Justinien, Novelle, 78, cap. V.

[36] Aurelius Victor, de Cœsar, c. XVI.

[37] Dion, l. c. Spartien, Pertinax, c. VII.

[38] Divus Antoninus Anticchenses colonos fecit salvis tributir. (Dig., de Censibus, L, XV, 8, § 5.)

[39] Il est à remarquer que Napoléon, qui avait si fortement organisé la concentration du pouvoir impérial, a réalisé sur ce point la pensée de Mécène.

[40] Voyez le Cours d’hist. mod. de M. Guizot, en 1828 deuxième leçon, p. 13-16. Cette idée est parfaitement développée.

[41] Voyez le liv. III, le chap. sur la diminution de la population et des produits de l’Italie.

[42] Ann., XIV, 65 ; Hist., I, 37. Pallas était riche de cent millions. Dion, LXII, 14.