ÉCONOMIE POLITIQUE DES ROMAINS

 

LIVRE PREMIER — VUES GÉNÉRALE - SYSTÈME MÉTRIQUE - VALEUR ET RAPPORT DES MÉTAUX - CENS ET CADASTRE.

CHAPITRE III — Des monnaies romaines

 

 

Les Romains eurent d’abord de la monnaie de bronze coulé très lourde. L’unité monétaire était l’as de bronze d’une livre, d’où les expressions œs grave, emere per œs et libram. Une livre de bronze était ce qu’on appelait un as. Servius Tullius, ou plutôt Numa, selon MM. Tessieri et Marchi[1], fut le premier qui marqua d’une effigie l’as libral. Servius fut-il aussi le premier qui frappa de la monnaie d’argent ? C’est une question que nous tacherons d’éclaircir dans les chapitres suivants.

Un texte positif de Pline nous apprend qu’en l’an 485 de Rome, on frappa des deniers d’argent valant 10 as libraux de bronze[2], et les monuments prouvent que ces deniers devaient être de 40 à la livre[3].

En 510, on taillait 75 deniers à la livre, et chaque denier valait encore 10 as, mais 10 as de 4 onces.

En 513, l’as fut réduit à 2 onces, et le denier, qui valait toujours 10 as, n’était plus que 1/84e de la livre d’argent.

Ce nombre de 84 à la livre se maintint au moins jusqu’à la fin de la République ; mais en 537 le denier valut 16 as d’une once, et enfin, en 665, 16 as d’une ½ once.

Le denier se partageait en 2 quinaires et le quinaire en 2 sesterces. Dans des temps fort anciens, et, à ce qu’il paraît, dès l’établissement de la monnaie d’argent, les Romains eurent encore la libella = 1/10e du denier, la sembella = 1/20e du denier, et le teruncius = 1/40e du denier. Ces petites monnaies d’argent valaient respectivement à cette époque 1 livre, ½ livre et ¼ de livre ou 3 onces de cuivre. La division du denier en quinaires et en sesterces subsista sans modifications, malgré les changements nombreux qu’éprouva le denier, tant sous le rapport de sa valeur en monnaie de bronze que sous celui du nombre de pièces que le monétaire devait tailler dans une livre d’argent.

Il ne faut pas confondre le sesterce dont nous venons de parler, qui est le petit sesterce, sestertius, avec le sestertium, monnaie fictive ou de compte qui valait 1.000 sesterces. Souvent sestertium seul, génitif contracté de sestertia pour sestertiorum, signifie 10.000 sesterces, et alors le nombre des centaines de mille est déterminé par les adverbes semel, bis, ter, quinquies, decies, centies, etc. C’est ainsi que bis sestertium équivaut à 200.000 sestertius. Ou trouve dans les auteurs deux sigles différents pour le sestertius ; ce sont IIS et HS, expressions abrégées de 2 as ½.

Pline rapporte que, l’an de Rome 547, les Romains frappèrent de la monnaie d’or, à raison du scrupule pour 20 sesterces, et il ajoute, sans désigner l’époque, que plus tard on tailla 40 deniers ou aureus à la livre : Aureus nummus percussus est ita ut scrupulum valeret sestertiis vicenis... Post hœc placuit X[4] XL signari ex auri libris[5].

Ainsi la monnaie d’or fut d’abord rapportée au scrupule, puis à la livre.

Dans ses Considérations sur les monnaies grecques et romaines (page 71, sqq.), M. Letronne établit que la monnaie d’or fut rapportée au scrupule jusque vers l’an 700 ou 705 de Rome. A cette époque, on commença à la rapporter à la livre, dont l’aureus fut d’abord la quarantième partie. Mais, à partir d’Auguste, son poids diminua par degrés insensibles jusqu’à n’être plus que la 45e partie de la livre. C’est ce qu’attestent les monuments, d’accord en cela avec la suite du passage de Pline déjà cité. Paulatimque principes imminuere pondus, minutissime vero ad XLV. En même temps, le denier d’argent diminuait à peu près dans la même proportion.

César, en établissant que la taille de l’aureus serait de 40 à la livre, en fixa la valeur à 25 deniers. Tite-Live (XXXVIII, 55), qui écrivait son histoire peu de temps après la création de l’aureus, évalue une livre d’or ou 40 aureus à 4000 sesterces, c’est-à-dire à 1000 deniers. L’aureus était donc de 25 deniers.

Si maintenant nous considérons les monnaies romaines sous le rapport du titre, les essais à la pierre de touche que, sur ma demande, a bien voulu faire M. Gay-Lussac fils, le 31 août 1839, à la Bibliothèque royale, ont donné pour l’or au moins 23/24e de fin.

Quant aux monnaies d’argent, leur titre, sous les empereurs, est très variable et souvent très faible, surtout depuis Gordien jusqu’à Dioclétien. Nous avons donc eu recours aux lumières et à l’obligeance de M. d’Arcet. Les médailles que nous lui avons confiées ont été essayées à la coupelle, mais en rectifiant les titres par le moyen de la compensation. Il résulte du rapport qui nous a été remis, et dont une copie, certifiée par M. d’Arcet., a été déposée par nous à la Bibliothèque du roi, que les monnaies de la république étaient presque pures de tout alliage. Leur titre moyen, résultant de six opérations, est de 0,973 et même de 0,983, si nous négligeons une pièce de beaucoup inférieure aux cinq autres. Le titre reste le même sous Auguste et sous Tibère ; il s’affaiblit un peu sous leurs successeurs immédiats. Mais l’abaissement du titre, qui est quelquefois très considérable, ne présente pas une marche constante, et son accroissement subit vient souvent révéler les vues probes et judicieuses d’un prince sage et économe.

 

 

 

 



[1] Voy. ci-dessous.

[2] Hist. nat., XXXIII, 3.

[3] Pour les deniers antérieurs, à la taille de 84 à la livre, voir le chapitre sur le rapport du cuivre à l’argent.

[4] C’est-à-dire denarios.

[5] Pline, XXXIII, 3, t. II, p. 612, l. 6, éd. Hard.