L’ouvrage connu sous le nom d’Apocalypse, n’a paru jusqu’ici inintelligible que parce qu’on s’est obstiné à y voir une prédiction réelle de l’avenir, que chacun a expliquée à sa manière, et dans laquelle on a toujours trouvé ce qu’on a voulu, c’est-à-dire, tout autre chose que ce que ce livre renfermait. Newton et Bossuet ont eu besoin d’une grande gloire déjà acquise, pour qu’on ne taxât pas de folie les tentatives infructueuses qu’ils ont faites pour nous en donner l’explication. Tous deux partirent d’une hypothèse fausse, savoir, que c’était un livre inspiré. Aujourd’hui qu’il est reconnu par tous les bons esprits, qu’il n’y a pas de livres inspirés, et que tous les livres portent le caractère, soit de la sagesse, soit de la sottise humaine, nous analyserons celui de l’Apocalypse, d’après les principes de la science sacrée, et d’après le génie bien connu de la mystagogie des orientaux, dont cet ouvrage est une production. Les disciples de Zoroastre ou les Mages, dont les Juifs et les Chrétiens, comme nous l’avons vu dans notre chapitre sur la religion chrétienne, empruntèrent leurs principaux dogmes, enseignaient que les deux principes, Oromaze et Ahriman, chefs, l’un de lumière et de bien, l’autre de ténèbres et de mal, ayant chacun sous eux leurs génies secondaires ou anges, et leurs partisans ou leur peuple favori, se combattaient dans ce Monde, et détruisaient réciproquement leurs ouvrages ; mais qu’à la fin le peuple d’Ahriman serait vaincu, que le dieu de lumière et son peuple triompheraient. Alors les biens et les maux devaient retourner à leur principe, et chacun des deux chefs habiter avec son peuple, l’un dans la lumière première, et l’autre dans les ténèbres premières d’où ils étaient sortis. Il devait donc venir un temps, marqué par les destins, dit Théopompe, où Ahriman, après avoir amené la peste et la famine, serait entièrement détruit. Alors la terre, sans inégalité, devait être le séjour d’hommes heureux, vivants sous la même loi, et revêtus de corps transparents ; c’est là qu’ils devaient jouir d’un bonheur inaltérable sous l’empire d’Ormuzd ou du dieu de la lumière. Qu’on lise l’Apocalypse, et l’on se convaincra que c’est
là l’idée théologique qui fait la base de tout cet ouvrage. Tous les détails
mystérieux qui l’enveloppent, ne sont
que l’échafaudage de cet unique dogme, mis en action et comme en spectacle
dans les sanctuaires des initiés aux mystères de la lumière ou d’Ormuzd.
Toute cette décoration théâtrale et merveilleuse est empruntée des images du
ciel ou des constellations qui président aux révolutions du temps, et qui
ornent le Monde visible, des ruines duquel la baguette du prêtre va faire
sortir le Monde lumineux, dans lequel passeront les initiés, ou la terre
sainte et Dans les mystères d’Éleusis, on donnait à l’initié une jouissance anticipée de cette félicité future et une idée de l’état auquel l’initiation élevait l’âme après la mort. On faisait succéder aux ténèbres profondes dans lesquelles on le tenait quelque temps, et qui étaient une image de celles de cette vie, une lumière vive qui tout à coup l’investissait de son éclat, et qui lui découvrait la statue du dieu aux mystères duquel on l’initiait. Ici c’est l’agneau qui est la grande divinité, dont l’image se reproduit dans tout cet ouvrage apocalyptique. Il est placé à la tête de la ville céleste, qui a douze divisions comme le zodiaque, dont Aries ou l’Agneau est aussi le chef. Voilà à quoi se réduit tout l’ouvrage de l’Apocalypse. Pour en comparer les traits avec ceux de la sphère, et analyser dans les détails les divers tableaux qu’il offre, il ne faut rien moins que l’explication que nous en donnons dans notre grand ouvrage, et que le planisphère qui y est annexé. Cependant nous tracerons ici un précis de ce travail, qui suffira au lecteur pour lui donner une idée de la correspondance qui existe entre les tableaux de l’Apocalypse et ceux du Ciel et de ses divisions. Deux choses d’abord frappent tout lecteur attentif, c’est la répétition fréquente que l’auteur a faite dans son livre, des nombres sept et des nombres douze ; nombres sacrés dans toutes les théologies, parce qu’ils expriment deux grandes divisions du Monde, celle du système planétaire, et celle du zodiaque ou celle des signes, les deux grands instruments de la fatalité, et les deux bases de la science astrologique, qui a présidé à la composition de cet ouvrage. Le nombre sept y est répété vingt-quatre fois ; et le nombre douze, quatorze. Le système planétaire y est désigné, sans aucune espèce d’équivoque, par un chandelier à sept branches, ou par sept chandeliers et par sept étoiles que tient dans la main un génie lumineux, semblable au dieu principe de lumière ou à Ormuzd adoré par les Perses. C’était sous cet emblème que l’on figurait les sept grands corps célestes dans lesquels se distribue la lumière incréée, et au centre desquels brille le Soleil son principal foyer. C’est l’ange du Soleil, qui, sous la forme d’un génie resplendissant de lumière, apparaît à Jean et lui découvre les mystères qu’il doit révéler aux initiés. Ce sont les écrivains Juifs et Chrétiens qui nous fournissent eux-mêmes l’explication que nous donnons des sept chandeliers, qui n’expriment ici que la même idée cosmogonique indiquée par le symbole du chandelier à sept branches, placé dans le temple de Jérusalem. Clément, évêque d’Alexandrie, prétend que le chandelier à sept branches, qui était au milieu de l’autel des parfums, représentait les sept planètes. De chaque côté s’étendaient trois branches surmontées chacune d’une lampe. Au milieu était la lampe du Soleil, au centre des six autres branches, parce que cet astre, placé au milieu du système planétaire, communique sa lumière aux planètes qui sont au dessous et à celles qui sont au dessus, suivant les lois de son action divine et harmonique. Josèphe et Philon, deux écrivains Juifs, donnent la même explication. Les sept enceintes du temple représentaient la même chose. Ce sont là aussi les sept yeux du seigneur, désignés par les esprits qui reposent sur la verge qui s’élève de la racine de Jessé, continue toujours Clément d’Alexandrie. On remarquera que l’auteur de l’Apocalypse dit aussi que les sept cornes de l’Agneau sont les sept esprits de Dieu, et conséquemment qu’ils représentent le système planétaire qui reçoit son impulsion d’Aries ou de l’Agneau, le premier des signes. Dans le monument de la religion des Perses ou de Mithra, on retrouve également sept étoiles, destinées à représenter le système planétaire, et auprès de chacune d’elles on voit l’attribut caractéristique de la planète que l’étoile représente. L’auteur de l’Apocalypse n’a donc fait ici qu’employer un emblème reçu, pour exprimer le système harmonique de l’Univers, dans le sanctuaire duquel l’initiation introduisait l’homme, comme on peut le voir dans notre chapitre sur les mystères. On se convaincra encore mieux de cette vérité quand on
réfléchira que ce même emblème désignait sept églises, dont la première était
Éphèse, où l’on adorait la première de ses planètes ou À la suite du système planétaire, le mystagogue nous présente le tableau du ciel des fixes, et les quatre figures célestes qui étaient placées aux quatre angles du ciel, suivant le système astrologique. Ces quatre figures étaient le Lion, le Taureau, l’Homme du Verseau et l’Aigle, qui partageaient tout le zodiaque en quatre parties, ou de trois signes en trois signes, dans les points de la sphère appelés fixes et solides. Les étoiles qui y répondaient, s’appelaient les quatre étoiles royales. Dans les mystères de Mithra, outre les sept portes destinées à représenter les sept planètes, il y en avait une huitième qui répondait au ciel des fixes. Aussi l’auteur de l’Apocalypse dit qu’il vit une porte ouverte dans le ciel, et qu’on l’invita à y monter, pour voir les choses qui devaient arriver à l’avenir. Il suit de là, en partant des principes de l’astrologie ou de la science qui dévoile les secrets de l’avenir, que l’auteur, après avoir mis sous nos yeux le système planétaire sous l’emblème de sept chandeliers, a dû attacher ensuite nos regards sur le huitième ciel et sur le zodiaque, qui avec les planètes, concourt à révéler les prétendus secrets de la divination. Le mystagogue n’a rien fait ici que ce que devait faire un astrologue, qui s’annonçait comme devant dévoiler les destinées du Monde, et prédire les malheurs qui menaçaient la terre et qui étaient les avant-coureurs de sa destruction. Il établit la sphère sur les quatre points cardinaux des déterminations astrologiques, et il présente aux yeux les quatre figures qui divisaient en quatre parties égales le cercle de la fatalité. Ces figures étaient distribuées à des distances égales autour du trône de Dieu, c’est-à-dire, du firmament, au dessus duquel on plaçait la divinité. Les vingt-quatre parties du temps qui divisent la révolution du ciel, y sont appelées vingt-quatre vieillards, comme le Temps lui-même ou Saturne a toujours été appelé. Ces heures, prises six par six, sont aussi appelées des ailes, et l’on sait que l’on en a toujours donné au temps. Voilà pourquoi les animaux célestes, divisant le zodiaque de six heures en six heures, sont censés avoir chacun six ailes. Ces figures d’animaux, que nous trouvons placées dans le ciel des fixes et distribuées dans le même ordre, suivant lequel l’Apocalypse les nomme, sont des figures de chérubins, les mêmes que nous voyons dans Ézéchiel. Or, les Chaldéens et les Syriens appelaient le Ciel des fixes, le Ciel des chérubins, et ils plaçaient au dessus la grande mer ou les eaux supérieures et le Ciel de cristal. L’auteur de l’Apocalypse parle donc absolument le même langage que l’astrologie orientale. Les écrivains Chrétiens justifient encore ici nos explications. Clément d’Alexandrie entre autres dit formellement que les ailes des chérubins désignaient le temps qui circule dans le zodiaque : donc les figures du zodiaque, qui répondent exactement aux quatre divisions données par les ailes, ne peuvent être que les chérubins, à qui ces ailes sont attachées, puisque ce sont absolument les mêmes figures d’animaux. Pourquoi les chercher dans un ciel idéal, puisqu’on les trouve dans le ciel réel ou astronomique, le seul où l’on voie des figures d’animaux, appelés communément les animaux célestes ? L’auteur dit souvent, je vis au Ciel ; eh bien ! Regardons avec lui au Ciel. Ces mêmes figures sont celles des quatre animaux affectés aux évangélistes. Ce sont aussi celles des quatre anges qui, chez les Perses, doivent sonner la trompette à la fin du Monde. Les anciens Perses révéraient quatre étoiles principales, qui veillaient aux quatre coins du Monde, et ces quatre étoiles répondaient aux quatre animaux célestes qui ont les mêmes figures que ceux de l’Apocalypse. On retrouve ces quatre astres chez les Chinois ; ils y servent à désigner les quatre saisons, qui, du temps d’Iao, répondaient à ces points du Ciel. L’astrologue qui a composé l’Apocalypse, n’a donc fait que répéter ce qui se trouvait dans tous les anciens livres de l’astrologie orientale. C’est après avoir ainsi assuré sa sphère sur ses points cardinaux, qu’il ouvre le livre des destinées du Monde, appelé ici allégoriquement le livre fermé de sept sceaux, et dont l’ouverture est confiée au premier des signes Aries, ou à l’Agneau. Nonnus, dans ses Dionysiaques, se sert d’une expression à peu près semblable pour désigner le livre de la fatalité ; il l’appelle le livre des sept tablettes où étaient écrites les destinées. Chaque tablette portait le nom d’une planète. Ainsi il est aisé de reconnaître dans le livre aux sept sceaux, le livre de la fatalité, que consulte celui qui se charge d’annoncer ici ce qui va arriver au Monde. Aussi le chapitre VIe jusqu’au XIe inclusivement, contient-il toutes les prédictions qui renferment la série des maux dont l’Univers est menacé, tels que la guerre, la famine, la mortalité, etc. Les traits de tous ces tableaux sont assez arbitraires et le fruit d’une imagination exaltée. Il serait peut-être aussi difficile de les analyser d’après les principes de la science, que de rendre raison des rêves d’un malade en délire. Au reste, la doctrine des mages enseignait qu’avant qu’Ahriman fût détruit, la peste, la famine et d’autres fléaux désoleraient la terre. Les devins toscans publiaient aussi, que lorsque l’Univers serait dissous pour prendre une face nouvelle, on entendrait la trompette dans les airs, et que des signes paraîtraient au ciel et sur la terre. Ce sont ces dogmes de la théologie des Perses et des Toscans qui ont fourni la matière de l’amplification du prêtre auteur de l’Apocalypse ; voilà le canevas qu’il a brodé à sa manière dans ces six chapitres. Dans le douzième chapitre l’auteur porte encore ses
regards sur le Ciel des fixes et sur la partie du firmament où est le
vaisseau appelé l’arche ; sur C’est à la suite de ces fléaux qu’arrive le grand jugement, fiction que nous avons trouvée dans Platon, et qui tenait à la mystagogie orientale. Dès là qu’on avait imaginé des récompenses et des peines, il était bien naturel de supposer que la justice présiderait à cette distribution, et que le grand juge traiterait chacun selon ses œuvres. Ainsi les Grecs crurent au jugement de Minos. Les Chrétiens jusqu’ici n’ont rien inventé ; ils ont copié les dogmes des anciens chefs d’initiation. L’effet de ce jugement était de séparer le peuple d’Ormuzd de celui d’Ahriman, et de faire marcher chacun d’eux sous les étendards de son chef, les uns vers le tartare, les autres vers l’Élysée ou vers le séjour d’Ormuzd. C’est là le sujet des derniers chapitres, à commencer au dix-septième. Le mauvais principe y figure, comme dans la théologie des Perses, sous la forme monstrueuse du serpent, que prenait Ahriman dans cette théologie. Il livre des combats au principe de bien et de lumière et à son peuple ; mais enfin il est convaincu et précipité avec les siens dans le séjour affreux des ténèbres où il a pris naissance ; c’est Jupiter qui, dans Nonnus, foudroie Typhon ou Typhée avant de rétablir l’harmonie des cieux. Le dieu Lumière vainqueur amène à sa suite son peuple et ses élus, dans le séjour de la lumière et de l’éternelle félicité ; terre nouvelle dont le mal et les ténèbres qui règnent dans ce Monde, seront à jamais bannis. Mais ce nouveau Monde a encore les divisions de l’ancien, et le nombre duodécimal, qui partageait le premier ciel, s’y trouve aussi affecté aux divisions du nouvel Univers : l’Agneau ou Aries y préside également. C’est surtout dans cette dernière partie de l’ouvrage, que l’on reconnaît l’astrologie. En effet, les anciens astrologues orientaux avaient soumis toutes les productions de la nature à l’influence des signes célestes, et avaient classé les plantes, les arbres, les animaux, les pierres précieuses, les qualités élémentaires, les couleurs, etc. Sous les douze animaux du zodiaque, à raison de l’analogie qu’ils croyaient y avoir avec la nature des signes. Nous avons fait imprimer dans notre grand ouvrage le
tableau systématique des influences, qui exprime le rapport des causes
célestes avec les effets sublunaires dans le règne animal, végétal et
minéral. On y remarque douze pierres précieuses, absolument les mêmes que
celles de l’Apocalypse, rangées dans le même ordre et affectées chacune à un
signe. Ainsi les signes célestes furent représentés par autant de pierres
précieuses ; et comme, dans la distribution des mois, les signes se groupent
trois par trois pour marquer les quatre saisons, dans l’Apocalypse les
pierres précieuses se groupent également trois par trois, dans la ville aux
douze portes et aux douze fondements. Chacune des faces de la ville sacrée
regardait un des points cardinaux du Monde d’après la division astrologique,
qui affectait trois signes à chacun de ces points, à raison des vents qui
soufflent des divers points de l’horizon, que l’on partagea en douze ou en
autant de parties que les signes. Les trois signes de l’est répondaient au
printemps, ceux de l’ouest à l’automne, ceux du Il y a, dit un astrologue, douze vents à cause des douze portes du Soleil, par lesquelles sortent ces vents, et que le Soleil fait naître. C’est pour cela qu’Homère donne à Éole ou au dieu des vents, douze enfants. Quant aux douze portes du Soleil, ce sont elles qui sont désignées ici sous le nom des douze portes de la ville sacrée du dieu de la lumière. à chacune des portes l’auteur place un ange ou un génie, celui qui présidait à chaque vent en particulier. On voyait, à Constantinople, une pyramide surmontée d’une figure qui, par son mouvement, retraçait les douze vents représentés par douze génies ou douze images. Ce sont aussi des anges qui, dans l’Apocalypse, président au souffle des vents. On en voit quatre qui sont chargés des quatre vents qui partent des quatre coins de l’horizon. Ici l’horizon est partagé en douze vents ; voilà pourquoi on y place douze anges. Il n’y a, dans tout cela, que de l’astrologie liée au système des anges et des génies, adopté par les Chaldéens et les Perses, dont les hébreux et les Chrétiens ont emprunté cette théorie. Les noms des douze tribus, écrits sur les douze portes, nous rappellent encore le système astrologique des hébreux, qui avaient casé chacune de leurs tribus sous un des signes célestes ; et l’on voit en effet, dans la prédiction de Jacob, que les traits caractéristiques de chacun de ses fils conviennent à celui des signes sous lequel les hébreux placent la tribu dont il est chef. Simon Joachitès, après avoir fait le dénombrement des intelligences, qu’il distribue suivant les rapports qu’elles doivent avoir avec les quatre points cardinaux, place au centre un temple saint qui soutient tout. Il a douze portes, sur chacune desquelles est sculpté un signe du zodiaque ; sur la première est le signe d’Aries ou de l’Agneau. Ce sont là, continue ce rabbin, les douze chefs ou modérateurs qui ont été rangés suivant le plan de distribution d’une ville et d’un camp ; ce sont les douze anges qui président à l’année et aux douze termes ou divisions de l’Univers. Psellus, dans son livre des génies ou des anges qui ont la surveillance du Monde, les groupe aussi trois par trois, de manière à faire face aux quatre coins du Monde. Mais écoutons les docteurs Chrétiens et les Juifs eux-mêmes. Le savant évêque d’Alexandrie nous dit du rational appliqué sur la poitrine du grand-prêtre des Juifs, qu’il est une image du Ciel ; que les douze pierres qui le composent et qui sont rangées trois par trois sur un quadrilatère, désignent le zodiaque et les quatre saisons, de trois en trois mois. Or, ces pierres, disposées comme celles de l’Apocalypse, sont aussi les mêmes, à quelques-unes près. Philon et Josèphe donnent une semblable explication. Sur chacune des pierres, dit Josèphe, était gravé le nom d’un des douze fils de Jacob, chef des tribus ; et ces pierres représentaient les mois ou les douze signes figurés dans le zodiaque. Philon ajoute que cette distribution, faite trois par trois, indiquait visiblement les saisons, qui, sous chacun des trois mois, répondent à trois signes. D’après ces témoignages, il ne nous est pas permis de douter que le même génie astrologique qui a présidé à la composition du rational, n’ait dirigé le plan de la ville sainte, resplendissante de lumière, et dans laquelle sont introduits les élus et les fidèles disciples d’Ormuzd. On trouve aussi dans Lucien une pareille ville destinée à recevoir les bienheureux, et dans laquelle on voit briller l’or et les pierreries qui ornaient la ville de l’Apocalypse. Il n’y a aucune différence entre ces deux fictions, si ce n’est que dans Lucien c’est la division par sept, ou le système planétaire que l’on a représenté ; et que dans l’Apocalypse on a préféré la division par douze, qui est celle du zodiaque, à travers lequel les hommes passaient pour retourner au Monde lumineux. Les Manichéens, dans leurs fictions sacrées sur le retour des âmes à l’air parfait et à la colonne de lumière, figuraient ces mêmes signes par douze vases attachés à une roue qui, en circulant, élevait les âmes des bienheureux vers le foyer de la lumière éternelle. Le génie mystagogique a varié les emblêmes par lesquels on a désigné le Monde et le zodiaque ; cette grande roue est le zodiaque appelé par les hébreux la roue des signes. Ce sont là les roues qu’Ézéchiel voit se mouvoir dans les cieux ; car les orientaux (observe judicieusement Beausobre) sont fort mystiques, et n’expriment leurs pensées que par des symboles et des figures. Les prendre à la lettre, ce serait prendre l’ombre pour la réalité. Ainsi les Mahométans désignent l’Univers par une ville qui a douze mille parasanges de tour, et dans laquelle il y a douze mille portiques, c’est-à-dire, qu’ils emploient la division millésimale dont les Perses font usage dans la fable de la création, pour représenter le temps ou la fameuse période que se partagent entre eux les deux principes. Ces fables se retrouvent partout. Les peuples du nord parlent aussi de douze gouverneurs chargés de régler ce qui concerne l’administration de la ville céleste. Leur assemblée se tient dans la plaine nommée Ida, qui est au milieu de la résidence divine. Ils siégent dans une salle où il y a douze trônes, outre celui que le père universel occupe. Cette salle est la plus grande et la plus magnifique du Monde : on n’y voit que de l’or au dehors et au dedans ; on la nomme séjour de la joie. à l’extrémité du ciel est la plus belle de toutes les villes : on l’appelle Gimle ; elle est plus brillante que le Soleil même. Elle subsistera encore après la destruction du ciel et de la terre ; les hommes bons et intègres y habiteront pendant tous les âges. On remarque dans les fables sacrées de ces peuples, comme
dans l’Apocalypse, un embrasement du Monde actuel, et le passage des hommes à
un autre Monde dans lequel ils doivent vivre. On voit, à la suite de plusieurs
prodiges qui accompagnent cette grande catastrophe, paraître plusieurs
demeures, les unes agréables, les autres affreuses. La meilleure de toutes,
c’est Gimle. L’Edda parle, comme l’Apocalypse, d’un ciel nouveau et d’une
terre nouvelle. Il sortira, dit-il, de la mer, une autre terre belle et agréable, couverte de
verdure et de champs où le grain croîtra de lui-même et sans culture. Les
maux seront bannis du Monde. Dans Nous avons un morceau précieux de cette théologie dans le
vingt-quatrième discours de Dion Chrysostome, où le système de l’embrasement
du Monde et de sa réorganisation est décrit sous le voile de l’allégorie. On
y remarque le dogme de Zénon et d’Héraclite, sur la transfusion ou sur la
métamorphose des éléments l’un dans l’autre, jusqu’à ce que l’élément du feu
vienne à bout de tout convertir en sa nature. Ce système est celui des
Indiens, chez qui Vichnou fait tout rentrer dans sa substance, pour en tirer
ensuite un nouveau Monde. Dans tout cela on ne voit rien de surprenant ni d’inspiré,
mais tout simplement une opinion philosophique comme tant d’autres. Pourquoi
la regarderait-on chez nous comme une vérité révélée ? Est-ce parce qu’elle
se trouve dans un livre réputé sacré ? Cette fiction, dans Dion Chrysostome,
est revêtue d’images aussi merveilleuses que celles de l’Apocalypse. Chacun
des éléments est représenté par un cheval qui porte le nom de cheval du dieu
qui préside à l’élément. Le premier cheval appartient à l’élément du feu
éther, appelé Jupiter ; il est supérieur aux trois autres, comme le feu, qui
occupe la place la plus élevée dans l’ordre des éléments. Ce cheval est ailé,
et le plus rapide de tous ; il décrit le cercle le plus grand, celui qui
embrasse tous les autres ; il brille de la lumière la plus pure, et sur son corps
sont les images du Soleil et de Il en est un second qui vient immédiatement après lui, et qui le touche de plus près. C’est celui de Junon, c’est-à-dire, de l’air ; car Junon est souvent prise pour l’air, auquel cette déesse préside. Il est inférieur en force et en vitesse au premier, et décrit un cercle intérieur et plus étroit : sa couleur est noire naturellement ; mais la partie exposée au Soleil devient lumineuse, tandis que celle qui est dans l’ombre, conserve sa teinte naturelle. Qui ne reconnaît pas à ces traits l’air, qui pendant le jour est lumineux, et ténébreux la nuit ? Le troisième cheval est consacré à Neptune ou au dieu des eaux. Il est encore plus pesant, dans sa marche, que le second. Le quatrième est immobile. On l’appelle le cheval de Vesta. Il reste en place, mordant son frein. Les deux plus voisins s’appuient contre lui en s’inclinant dessus. Le plus éloigné circule autour comme autour de sa borne. Il suffit de remarquer ici que Vesta est le nom que Platon donne à la terre et au feu central qu’elle contient. Il la représente aussi immobile au milieu du Monde. Ainsi la terre, placée au centre, voit s’élever au dessus d’elle trois couches concentriques d’éléments, dont la vitesse est en raison inverse de leur densité. Le plus subtil, comme le plus rapide, c’est l’élément du feu, figuré par le premier cheval ; le plus pesant est la terre, stable et fixe au centre du Monde, et figurée par un cheval immobile, autour duquel tournent les trois autres dans des distances et des vitesses qui vont en croissant à proportion de leur distance au centre. Ces quatre chevaux, malgré la différence de leur tempérament, vivent en bonne intelligence ; expression figurée qui énonce ce principe si connu des philosophes, que le Monde se soutient par la conduite et par l’harmonie des éléments. Cependant, après bien des tours, le souffle vigoureux et chaleureux du premier cheval tombe sur les autres et surtout sur le dernier : il brûle sa crinière et toute la parure dont il semblait s’enorgueillir. C’est cet événement, disent les Mages, que les Grecs ont chanté dans la fable de Phaéton : nous l’avons expliquée dans notre grand ouvrage. Plusieurs années après, le cheval de Neptune, s’agitant très fortement, se couvrit d’une sueur qui inonda le cheval immobile attelé près de lui. C’est le déluge de Deucalion, que nous avons aussi expliqué. Ces deux fictions expriment un dogme philosophique des anciens, qui disaient que l’incendie du Monde arrivait quand le principe du feu était dominant, et le déluge, quand le principe de l’eau devenait surabondant. Ces désastres néanmoins n’entraînaient pas la destruction totale du Monde. Il était une autre catastrophe bien plus terrible, et qui amenait la destruction universelle de toutes choses : c’était celle qui résultait de la métamorphose ou de la transmutation des quatre chevaux l’un dans l’autre, ou, pour parler sans figure, de la transfusion des éléments entre eux, jusqu’à ce qu’ils se fondissent tous dans une seule nature, en cédant à l’action vigoureuse du plus fort. Les Mages comparent encore à un attelage de chars ce dernier mouvement. Le cheval de Jupiter, étant le plus vigoureux, consume les autres, qui sont, à son égard, comme s’ils étaient de cire, et il fait rentrer en lui toute leur substance, étant lui-même d’une nature infiniment meilleure. Après que la substance unique s’est étendue et raréfiée de manière à reprendre toute la pureté de sa nature primitive, elle tend alors à se réorganiser et à reproduire les trois autres natures ou éléments, d’où se compose un nouveau Monde d’une forme agréable, et qui a toutes les grâces et la fraîcheur d’un ouvrage neuf. Voilà le précis de cette cosmogonie, dont nous donnons une explication détaillée dans notre manuscrit des cosmogonies comparées, qui est depuis longtemps prêt à être imprimé. Il n’est donc pas étonnant de voir reproduit sous d’autres formes, dans les diverses sectes religieuses, ce dogme philosophique d’un Monde détruit et renouvelé, et remplacé par un meilleur ordre de choses. C’est ce dogme qui fait la base de la quatrième églogue de Virgile et des fictions des Indiens sur le retour de l’âge d’or. On le retrouve dans le troisième livre des questions naturelles de Sénèque. Dans la théologie des Indiens, écrite absolument dans le même style que ce morceau de la théologie des mages, on suppose qu’après la destruction totale de l’Univers, Dieu, qui était resté comme une flamme ou même une lumière, voulut que le Monde reprît son premier état, et il procéda à la reproduction des êtres. Nous ne suivrons pas plus loin le parallèle de toutes ces opinions philosophiques que chacun des mystagogues a rendues à sa manière. Nous nous bornons à cet exemple, qui suffit pour nous donner une idée du génie allégorique des anciens sages de l’Orient, et pour justifier l’usage que nous avons fait des dogmes philosophiques qui nous sont connus, pour découvrir le sens de ces fictions monstrueuses de la mystagogie orientale. Cette manière d’instruire les hommes, ou plutôt de leur en imposer sous prétexte de les instruire, est aussi éloignée de nos mœurs, que l’écriture hiéroglyphique est différente de notre écriture, et que le style de la science sacrée l’est de celui de la philosophie de nos jours. Mais tel était le langage que l’on tenait aux initiés, dit l’auteur de la cosmogonie phénicienne, afin d’exciter par-là l’étonnement et l’admiration des mortels. C’est ce même génie, comme nous l’avons vu, qui a présidé à la rédaction des premiers chapitres de la genèse, et qui a créé la fable de l’arbre des deux principes, ou de l’arbre de la science du bien et du mal, et celle du fameux serpent, qui introduit dans le Monde un mal qui ne peut être réparé que par l’Agneau. Le but de la fiction apocalyptique était non seulement d’exciter l’étonnement des initiés aux mystères de l’Agneau, mais encore d’imprimer la terreur dans le cœur de tous ceux qui ne seraient pas fidèles aux lois de l’initiation ; car toutes les grandes fables sacerdotales, celles du Tartare, des déluges, de la fin du Monde, etc. Ont eu ce but. Les prêtres ont voulu gouverner le Monde par la peur. On a armé toute la nature contre l’homme : il n’y a aucun phénomène qui n’ait été un signe ou un effet de la colère des dieux. La grêle, le tonnerre, l’incendie, la peste, etc. Tous les fléaux qui affligent notre triste humanité, ont été regardés comme autant de coups de la vengeance divine, qui frappe les générations coupables. L’incendie de Sodome est présenté comme une punition des crimes de ses habitants. Les Arabes ont des tribus qu’ils appellent perdues, parce qu’elles n’ont pas obéi à la voix des prophètes. La fameuse Atlantide, qui n’a peut-être existé que dans l’imagination des prêtres d’Égypte, ne fut submergée que parce que les dieux voulurent punir les crimes de ces insulaires. Les japonais ont aussi la fiction de leur île Maury, également submergée par une suite de la vengeance divine. Mais c’est surtout du dogme philosophique sur la transmutation des éléments, dont on a le plus abusé, sous le nom de fin du Monde ; car tout a paru bon aux prêtres pour effrayer les hommes et pour les tenir dans leur dépendance. Quoique jamais cette menace ne dût se réaliser, on la craignait toujours, et c’était assez. Il est vrai que les hommes n’en devenaient guère meilleurs. Si par hasard on osait fixer l’époque de cette catastrophe, on en était quitte pour la remettre à un autre temps, et le peuple n’en était pas moins dupe ; car tel est toujours son sort quand il s’abandonne aux prêtres : de là ces frayeurs perpétuelles, dans lesquelles on le tint durant les premiers siècles de l’église, et ces funestes craintes de la fin du Monde, que l’on croyait toujours prochaine : on la remit ensuite au onzième siècle ou à l’an mille de l’ère des Chrétiens. On a jusques dans les derniers siècles, réveillé cette chimère qui n’effraie plus personne, pas même sous la forme de comète, que de nouveaux charlatans lui ont donnée. C’est à la philosophie, aidée de l’érudition, à dévoiler l’origine de ces fables, à analyser ces récits merveilleux, et à en marquer surtout le but. C’est ce que nous avons fait dans cet ouvrage. FIN DE L'ABRÉGÉ DE L'ORIGINE DE TOUS LES CULTES |