Dès l’instant que les hommes eurent donné une âme au
Monde, et à chacune de ses parties la vie et l’intelligence ; dès qu’ils
eurent placé des anges, des génies, des dieux dans chaque élément, dans
chaque astre, et surtout dans l’astre bienfaisant qui vivifie toute la
nature, qui engendre les saisons, et qui dispense à la terre cette chaleur
active qui fait éclore tous les biens de son sein, et écarte les maux que le
principe des ténèbres verse dans la matière, il n’y eut qu’un pas à faire
pour mettre en action dans les poèmes sacrés toutes les intelligences
répandues dans l’Univers, pour leur donner un caractère et des mœurs
analogues à leur nature, et pour en faire autant de personnages, qui jouèrent
chacun son rôle dans les fictions poétiques et dans les chants religieux,
comme ils en jouaient un sur la brillante scène du Monde. De là sont nés les
poèmes sur le soleil, désigné sous le nom d’Hercule, de Bacchus, d’Osiris, de
Thésée, de Jason, etc., tels que l’Héracléide, les Dionysiaques, Il n’est pas un des héros de ces divers poèmes qu’on ne puisse rapporter au soleil, ni un de ces chants qui ne fasse partie des chants sur la nature, sur les cycles, sur les saisons et sur l’astre qui les engendre. Tel est le poème sur les douze mois, connu sous le nom de chants sur les douze travaux d’Hercule ou du soleil solsticial. Hercule, quoi qu’on en ait dit, n’est pas un petit prince
grec, fameux par des aventures romanesques, revêtues du merveilleux de la
poésie, et chantées d’âge en âge par les hommes qui ont suivi les siècles
héroïques. Il est l’astre puissant qui anime et qui féconde l’Univers ; celui
dont la divinité a été partout honorée par des temples et des autels, et
consacrée dans les chants religieux de tous les peuples. Depuis Méroé en
Éthiopie, et Thèbes dans la haute Égypte, jusqu’aux îles britanniques et aux
glaces de C’est sous le nom d’Hercule Astrochyton ou du dieu revêtu
du manteau d’étoiles, que le poète Nonnus désigne le dieu Soleil, adoré par
les Tyriens. Les épithètes de roi du Feu, de chef du Monde et des Astres, de
nourricier des hommes, de Dieu, dont le disque lumineux roule éternellement
autour de Les Égyptiens, suivant Plutarque, pensaient qu’Hercule avait son siége dans le soleil, et qu’il voyageait avec lui autour du Monde. L’auteur des hymnes attribués à Orphée désigne de la manière la plus précise, les rapports ou plutôt l’identité d’Hercule avec le soleil. En effet, il appelle Hercule le Dieu générateur du Temps, dont les formes varient ; le père de toutes choses, et qui les détruit toutes. Il est le Dieu qui ramène tour à tour l’aurore et la nuit noire, et qui de l’Orient au couchant, parcourt la carrière des douze travaux, valeureux Titan, Dieu fort, invincible et tout-puissant, qui chasse les maladies, et qui délivre l’homme des maux qui l’affligent. À ces traits peut-on méconnaître, sous le nom d’Hercule, le Soleil, cet astre bienfaisant qui vivifie la nature, et qui engendre l’année, composée de douze mois et figurée par la carrière des douze travaux ? Aussi les Phéniciens ont-ils conservé la tradition qu’Hercule était le dieu Soleil, et que ses douze travaux désignaient les voyages de cet astre à travers les douze signes. Porphyre, né en Phénicie, nous assure que l’on donna le nom d’Hercule au Soleil, et que la fable des douze travaux exprime la marche de cet astre à travers les douze signes du zodiaque. Le scholiaste d’Hésiode nous dit également que le zodiaque, dans lequel le soleil achève sa course annuelle, est la véritable carrière que parcourt Hercule dans la fable des douze travaux, et que par son mariage avec Hébé, déesse de la jeunesse, qu’il épouse après avoir achevé sa carrière, on doit entendre l’année qui se renouvelle à la fin de chaque révolution. Il est évident que si Hercule est le Soleil, comme nous l’avons fait voir par les autorités que nous avons citées plus haut, la fable des douze travaux est une fable solaire, qui ne peut avoir rapport qu’aux douze mois et aux douze signes, dont le soleil en parcourt un chaque mois. Cette conséquence va devenir une démonstration, par la comparaison que nous allons faire de chacun des travaux avec chacun des mois, ou avec les signes et les constellations qui marquent aux cieux la division du temps, durant chacun des mois de la révolution annuelle. Parmi les différentes époques auxquelles l’année a commencé autrefois, celle du solstice d’été a été une des plus remarquables. C’était au retour du Soleil à ce point, que les Grecs fixaient la célébration de leurs fêtes olympiques, dont on attribuait l’établissement à Hercule ; c’était l’origine de l’ère la plus ancienne des Grecs. Nous fixerons donc là le départ du Soleil, Hercule, dans sa route annuelle ; le signe du Lion, domicile de cet astre, et qui lui fournit ses attributs, ayant autrefois occupé ce point, son premier travail sera sa victoire sur le Lion ; c’est effectivement celui que l’on met à la tête de tous les autres. Mais avant de comparer mois par mois la série des douze travaux avec celle des astres, qui déterminent et marquent la route annuelle du soleil, il est bon d’observer que les anciens, pour régler leurs calendriers sacrés et ruraux, employaient non seulement les signes du zodiaque, mais plus souvent encore des étoiles remarquables, placées hors du zodiaque, et les diverses constellations qui par leur lever ou leur coucher annonçaient le lieu du soleil dans chaque signe. On trouvera la preuve de ce que nous disons dans les fastes d’Ovide, dans Columelle, et surtout dans les calendriers anciens que nous avons fait imprimer à la suite de notre grand ouvrage. C’est d’après ce fait connu que nous allons dresser le tableau des sujets des douze chants, comparés avec les constellations qui présidaient aux douze mois, de manière à convaincre notre lecteur, que le poème des douze travaux n’est qu’un calendrier sacré, embelli de tout le merveilleux dont l’allégorie et la poésie, dans ces siècles éloignés, firent usage pour donner l’âme et la vie à leurs fictions.
Voilà le tableau comparatif des chants du poème de douze travaux,
et des aspects célestes durant les douze mois de la révolution annuelle
qu’achève le soleil, sous le nom de l’infatigable Hercule. C’est au lecteur à
juger des rapports, et à voir jusqu’à quel point le poème et le calendrier
s’accordent. Il nous suffit de dire que nous n’avons point interverti la
série des douze travaux. Qu’elle est ici telle que la rapporte Diodore de
Sicile. Quant aux tableaux célestes, chacun peut les vérifier avec une
sphère, en faisant passer le colure des solstices par le lion et le verseau,
et celui des équinoxes par le taureau et le scorpion, position qu’avait la
sphère à l’époque où le lion ouvrait l’année solsticiale, environ deux mille
quatre cents ans avant notre ère. Quand même les Anciens ne nous auraient pas dit qu’Hercule était le Soleil ; quand même l’universalité de son culte ne nous avertirait pas qu’un petit prince grec n’a jamais dû faire une aussi étonnante fortune dans le Monde religieux, et qu’une aussi haute destinée n’appartient point à un mortel, mais au dieu dont tout l’Univers éprouve les bienfaits, il suffirait de bien saisir l’ensemble de tous les rapports de ce double tableau, pour conclure avec la plus grande vraisemblance, que le héros du poème est le dieu qui mesure le temps, qui conduit l’année, qui règle les saisons et les mois, et qui distribue la lumière, la chaleur et la vie à toute la nature. C’est une histoire monstrueuse qui ne s’accorde avec aucune chronologie, et qui offre partout des contradictions quand on y cherche les aventures d’un homme ou d’un prince ; c’est un poème vaste et ingénieux, quand on y voit le Dieu qui féconde l’Univers. Tout y est mouvement, tout y est vie. Le Soleil du solstice y est représenté avec tous le attributs de la force qu’il a acquise à cette époque, et que contient en lui le dépositaire de la force universelle du Monde ; il est revêtu de la peau du lion et armé de la massue. Il s’élance fièrement dans la carrière qu’il est obligé de parcourir par l’ordre éternel de la nature. Ce n’est pas le signe du Lion qu’il parcourt, c’est un lion affreux qui ravage les campagnes, qu’il va combattre ; il l’attaque, il se mesure avec lui, il l’étouffe dans ses bras, et se pare des dépouilles de l’animal vaincu ; puis il s’achemine à une seconde victoire. L’hydre céleste est le second monstre qui présente un obstacle à la course du héros. La poésie la représente comme un serpent à cent têtes, qui sans cesse renaissent de leurs blessures. Hercule les brûle de ses feux puissants. Les ravages que fait cet animal redoutable, l’effroi des habitants des campagnes voisines des marais qu’habite le monstre ; les horribles sifflements des cent têtes ; d’un autre côté, l’air d’abord assuré du vainqueur du lion de Némée, ensuite son embarras lorsqu’il voit renaître les têtes qu’il a coupées, tout y est peint à peu près comme Virgile nous a décrit la victoire de ce même héros sur le monstre Cacus. Tous les animaux célestes mis en scène dans ce poème y paraissent avec un caractère qui sort des bornes ordinaires de la nature ; les chevaux de Diomède dévorent les hommes ; les femmes s’élèvent au dessus de la timidité de leur sexe, et sont des héroïnes redoutables dans les combats ; les pommes y sont d’or ; la biche a des pieds d’airain ; le chien Cerbère est hérissé de serpents ; tout, jusqu’à l’écrevisse, y est formidable ; car tout est grand dans la nature, comme dans les symboles sacrés qui en expriment les forces diverses. On sent quel développement un poète a pu donner à toutes
ces idées physiques et astronomiques, auxquelles durent s’en joindre
d’autres, empruntées, soit de l’agriculture, soit de la géographie, soit de
la politique et de la morale ; car tous ces buts particuliers entraient dans
le système général des premiers poètes philosophes qui chantèrent les dieux,
et qui introduisirent les hommes dans le sanctuaire de On lui donnait plusieurs femmes, des enfants, et on le faisait chef d’une famille d’Héraclides, ou de princes qui se disaient descendre d’Hercule, comme les Incas du Pérou se disaient descendants du Soleil. Partout l’on montrait des preuves de l’existence d’Hercule, jusque dans les traces de ses pas, qui décelaient sa taille colossale. On avait conservé son signalement, comme les chrétiens ont la sainte face de leur Dieu Soleil, Christ. Il était maigre, nerveux, basané ; il avait le nez aquilin, les cheveux crépus ; il était d’une santé robuste. On montrait en Italie, en Grèce et dans divers lieux de la terre, les villes qu’il avait fondées, les canaux qu’il avait creusés, les rochers qu’il avait séparés, les colonnes qu’il avait posées, les pierres que Jupiter avait fait tomber du ciel pour remplacer les traits qui lui manquaient dans son combat contre les liguriens. Des temples, des statues, des autels, des fêtes, des jeux solennels, des hymnes, des traditions sacrées, répandus en différents pays, rappelaient à tous les Grecs les hauts faits du héros de Tirynthe, du fameux fils de Jupiter et d’Alcmène, ainsi que les bienfaits dont il avait comblé l’Univers en général, et en particulier les Grecs. Et néanmoins nous venons de voir que le grand Hercule, le héros des douze travaux, celui-là même à qui les Grecs attribuaient tant d’actions merveilleuse, et qu’ils honoraient sous les formes d’un héros, vêtu de la peau du lion et armé de la massue, est le grand dieu de tous les peuples ; ce soleil fort et fécond qui engendre les saisons, et qui mesure le temps dans le cercle annuel du zodiaque, partagé en douze divisions que marquent et auxquelles se lient les divers animaux figurés dans les constellations, les seuls monstres que le héros du poème ait combattus. Quelle matière à réflexions pour ceux qui tirent un grand argument de la croyance d’un ou de plusieurs peuples, et de plusieurs siècles, pour établir la vérité d’un fait historique, surtout en matière de religion, où le premier devoir est de croire sans examen ! La philosophie d’un seul homme, en ce cas, vaut mieux que l’opinion de plusieurs milliers d’hommes et de plusieurs siècles de crédulité. Ces réflexions trouveront leur application dans la fable solaire, faite sur le chef des douze apôtres, ou sur le héros de la légende des chrétiens, et dix-huit siècles d’imposture et d’ignorance ne détruiront par les rapports frappants qu’a cette fable avec les autres romans sacrés faits sur le soleil, que Platon appelle le fils unique de Dieu. Le bienfaiteur universel du Monde, en quittant la peau du lion solsticial pour prendre celle de l’agneau équinoxial du printemps, n’échappera pas à nos recherches sous ce nouveau déguisement, et le Lion de la tribu de Juda sera encore le Soleil, qui a son domicile au signe du lion céleste, et son exaltation dans celui de l’agneau ou du bélier printanier. Mais ne devançons pas l’instant où les chrétiens seront forcés de reconnaître leur dieu dans l’astre qui régénère la nature tous les ans, au moment de la célébration de leur pâque. Passons aux fictions sacrées faites sur la lune. |