LE PASSAGE D'ANNIBAL DU RHÔNE AUX ALPES

 

PAR L'ABBÉ CLAUDE-ANTOINE DUCIS

ANNECY - LOUIS THÉSIO - 1868

 

 

AVANT-PROPOS.

LE PASSAGE D'ANNIBAL DU RHÔNE AUX ALPES.

NOTES.

 

AVANT-PROPOS.

 

L'expédition d'Annibal, d'Espagne en Italie, a été racontée avec des détails très différents par Polybe et Tite-Live. Le premier a fixé son passage des Alpes vers les sources du Rhône ; le second, au Saltus Taurinus.

Les autres auteurs n'ont fait qu'indiquer quelques points de la chaine alpine, sans donner, comme ces deux premiers, un récit détaillé de la marche de l'armée carthaginoise.

Cœlius Antipater, dont l'ouvrage ne nous est pas parvenu, avait parlé, au dire de Tite-Live, du Cremonis jugum, qu'on a cru reconnaître dans le Gramont, de chaque côté duquel se sont frayés les passages du col de la Seigne et du Petit-Saint-Bernard.

Cornelius Nepos nomme les Alpes graies, sans préciser le nom du col qui aurait été traversé.

Strabon énumérant, d'après Polybe, les quatre grands passages des Alpes, celui des Ligures le long de la mer Tyrrhénienne, celui des Tauriniens, celui des Salasses et celui des Rhétiens, glisse, entre le second et le troisième, ces mots : Celui passé par Annibal, que le génie de la langue grecque permet de faire rapporter à l'un ou à l'autre, mais qu'il serait plus rationnel d'appliquer au troisième, puisque Polybe s'est prononcé formellement pour un passage vers les sources du Rhône ; à moins que Strabon n'ait ajouté cette note incidente que pour exprimer son opinion personnelle.

Tite-Live et Pline rapportent la tradition en vigueur a leur époque sur le passage des Carthaginois par les Alpes pœnines, et corroborent ainsi le système de Polybe.

En 1853 je publiai, dans le journal de l'Institut historique de France, une dissertation sur le passage d'Annibal, dans laquelle j'essayais, après MM. de Vi - guet et Replat, de concilier les systèmes de Polybe et de Tite-Live, en cherchant la route du général carthaginois par l'Isère, la vallée de Beaufort les cols du Cormet et de la Seigne et la vallée d'Aoste. C'est une utopie irréalisable. Il n'est pas possible d'accorder le capitaine de Mégalopolis avec l'historien de Padoue. Aussi, au Congrès scientifique de France tenu à Chambéry en 1863, je me bornai, en face d'affirmations contradictoires les unes aux autres, à faire la part de chacun des deux auteurs, c'est-à-dire à revendiquer pour Polybe le passage de la vallée pœnine, et pour Tite-Live celui des Alpes cottiennes, en excluant la Maurienne et le Mont-Cenis, à cause de la mention des Voconces et des Tricoriens, mais sans me prononcer encore en faveur de l'un ou de l'autre système.

Aujourd'hui, après vingt ans d'études continuées avec la persistance qu'inspire la recherche du vrai, je me détermine à livrer mes appréciations au public, persuadé qu'il les accueillera avec l'esprit d'impartialité qui les a dictées. Il sait assez, d'ailleurs, que depuis le Simplon jusqu'à la Turbie sur Monaco, j'ai exploré dés longtemps tous les passages dont j'ai à parler.

Polybe, né l'année même de la dernière défaite d'Annibal en Italie, élevé dans les traditions de l'indépendance grecque contre la domination romaine, exalté par les derniers projets du général carthaginois en Orient, apprit à vingt ans la mort du plus grand adversaire de home. Quinze ans plus tard, il venait dans cette ville partager l'exil des Achéens ; puis, souple comme les habiles de sa nation, il sut gagner la faveur des grandes familles, obtint la liberté de ses compatriotes et accompagna, à travers la Gaule, l'Espagne et l'Afrique, son élève Scipion Emilien, fils de Paul Emile, qui avait succombé à Cannes, petit-fils du grand Scipion qui avait défait Annibal à Zama, arrière petit-fils d'un autre Scipion qu'Annibal avait battu sur les bords du Tessin, après lui avoir échappé en Espagne et dans la Gaule méridionale. En traversant les Alpes, Polybe put entendre le récit de plusieurs vieillards qui dans leur jeunesse avaient vu passer l'armée carthaginoise. Il a pu contrôler leur témoignage et ses propres observations par l'étude de la table de bronze exécutée sur l'ordre d'Annibal à Lacinium. Il était ainsi dans les conditions les plus favorables pour savoir la vérité sur cette campagne extraordinaire, à laquelle sa famille adoptive avait pris tant de part. Nous le suivrons donc de préférence à tout autre, et nous le suivrons complètement. Nous n'irons pas, comme Tite-Live et beaucoup d'auteurs modernes, emprunter de longues tirades à Polybe pour les faire servir à un plan de campagne autre que le sien.

On ne saurait trop déplorer cette improbité littéraire qui passe sous silence, si elle ne dénature pas la pensée fondamentale d'un auteur pour s'emparer de ses richesses descriptives et les appliquer maladroitement à un système préconçu en dehors du sien. C'est plus qu'imiter le geai se parant des plumes du paon, c'est affubler un arlequin de la toge du magistrat. Y a-t-il rien d'affligeant pour un auteur comme de subir ces sortes de plagiats faits à ses convictions pour la justification de thèses qu'il a réprouvées lui-même d'avance sans avoir, d'ailleurs, prêté matière à aucune contradiction ?

Que n'aurait pas à dire Polybe à nombre d'écrivains, tous armés de son nom, chargés de ses dépouilles pour faire traverser à l'armée carthaginoise la Durance, dont il n'a pas dit un mot, pour conduire Annibal, qui au col de la Seigne, qui au Petit-Saint-Bernard, qui au Mont-Cenis, qui au Mont-Genèvre, qui à Barcelonnette ou Queyras, qui ailleurs ; tandis qu'il n'a affirmé lui-même d'autre passage que vers les sources du Rhône, et que tous les détails intéressants de son récit n'ont de valeur et de vérité que dans ce plan, dont ils forment l'ensemble ?

Telle est la raison du respect invariable que nous porterons au texte de Polybe et à l'unité de sa narration. Nous citerons en ligne les chapitres du livre III de son Histoire romaine et nous ne renverrons au bas que les citations étrangères qui lui viennent à l'appui.

 

LE PASSAGE D'ANNIBAL DU RHÔNE AUX ALPES

 

I. — DE L'EMBOUCHURE DU RHÔNE À L'ÎLE DES ALLOBROGES.

Commençons par les distances itinéraires. Polybe dit les avoir tirées des mesures que les Romains ont marquées sur la route suivie par Annibal (XXXIX).

D'Empurias (Pyrénées) au passage du Rhône, 1.600 stades, soit 200 milles romains.

Du passage du Rhône le long du fleuve jusqu'à l'entrée des Alpes, 1.400 stades, soit 175 milles.

Du camp d'Annibal dans Ille des Allobroges jusqu'à l'entrée des Alpes, 800 stades, soit 100 milles (L).

Donc depuis son camp jusqu'au passage du Rhône, il reste 600 stades, soit 75 milles, qui ont été parcourus en quatre jours (XLIX).

Donc depuis le passage du Rhône jusqu'à son embouchure, espace parcouru également en quatre jours, il y aura 600 stades soit 75 milles (XLII).

Donc entre l'embouchure du Rhône et le camp d'Annibal dans l'île, il y avait 1.200 stades, soit 150 milles.

Donc la ligne du Rhône a été suivie sur une longueur de 2.000 stades, soit 250 milles.

Essayons d'en faire l'application aux localités.

Les atterrissements du Rhône ont considérablement reculé les bords de la Méditerranée autour de son embouchure. Au temps d'Ammien Marcellin, vers le milieu du ive siècle, l'embouchure du Rhône se trouvait ad gradus, vers la Grau, à 18 milles, soit plus de 26 kilomètres, d'Arles[1], qui en est aujourd'hui à plus de 40. C'est donc en moyenne un kilomètre d'atterrissement par siècle.

Mais l'échelle proportionnelle a dû perdre en longueur ce qu'elle gagnait en étendue, à mesure que le cercle des dépôts s'élargissait.

En effet, Aigues-Mortes, autour de laquelle l'atterrissement était commencé depuis longtemps, comme l'attestait son nom, quoiqu'elle fût encore un port de mer au XIIIe siècle, n'est séparée aujourd'hui de lainer que par cinq kilomètres.

Les 26 kilomètres et demi comptés plus haut, d'Arles à l'embouchure du Rhône, arrivent à l'étang d'Escamandre qui, au temps d'Ammien Marcellin, faisait donc encore partie de la mer, où s'embouchait le bras droit du fleuve, appelé le petit Rhône.

Annibal venant des Pyrénées a dû longer ce golfe et se diriger, par Montpellier et Lunel, droit à Beaucaire, sans faire le détour d'Arles, qui aurait allongé sa route, dès qu'il ne voulait pas y traverser le Rhône.

En supposant donc que le camp d'Annibal près de l'embouchure du Rhône, à cette époque, fût aux environs de Vauvert et de Saint-Gilles, l'armée aurait eu 38 milles à parcourir jusqu'à Villeneuve en face d'Avignon, en passant par Beaucaire. De là à Tain, première station de l'ile des Allobroges, les itinéraires d'Antonin et de Théodose donnent 104 milles. Pour compléter les 450 milles nous remonterons jusqu'à Laveyron et Saint-Vallier, dont les plateaux pouvaient recevoir un campement aussi considérable.

Si, maintenant, l'on cherche par la moitié du chiffre de 150 milles le passage de l'armée carthaginoise sur le Rhône, on le trouve entre les mutations ad Lectoce et Novem Craris, c'est-à-dire entre le confluent du Lez et le Pont-Saint-Esprit, et le passage d'Hannon, 95 milles plus haut, entre Baix et Cruaz.

La distance de 150 milles entre les camps d'Annibal à l'embouchure du Rhône et chez les Allobroges, est donc bien justifiée. Pour arriver à Lyon il faudrait ajouter, toujours d'après les itinéraires, 42 milles, ce qui donnerait, entre l'embouchure du Rhône et le camp de l'Ile, une longueur totale de 192 milles. Ce résultat prouve évidemment que l'Ile indiquée par Polybe est, non pas celle formée par le confluent du Rhône et de l'Araris, mais bien celle des Allobroges, formée par le Rhône et l'Isara. La ressemblance de ces noms explique assez la confusion qu'en ont pu faire les copistes.

L'ancien manuscrit de Polybe, consulté à la bibliothèque vaticane par le général Melville, portait Isaras. Les autres exemplaires avaient Scoras. Casaubon est le premier qui ait substitué le mot Araros[2]. Le nom de Skoras qu'on trouve dans quelques éditions n'est que le résultat d'une copie erronée des anciennes majuscules grecques du texte de Polybe. Seule d'ailleurs, et à l'exclusion de File formée par le Rhône et la Saône, l'Ile des Allobroges a son troisième côté fermé par un contrefort des Alpes, qui, partant du massif de la Grande-Chartreuse pour se rattacher aux dernières ramifications du Jura, encaisse la rivière du Guiers avec les deux coudes du Rhône et ide l'Isère, et lui donne la forme triangulaire du Delta égyptien, comme l'atteste l'historien grec (XLIX).

 

II. — TRAVERSÉE DU PAYS DES ALLOBROGES.

Depuis l'embouchure du Rhône, Annibal avait donc remonté pendant quatre jours la rive droite de ce fleuve, puis pendant quatre autres jours la rive gauche et parcouru ainsi 150 milles romains, soit 1.200 stades grecs jusqu'à l'Ile des Allobroges, formée par le confluent de l'Isère et du Rhône.

La guerre civile divisait alors les Allobroges. Deux frères se disputaient le pouvoir. L'ainé avait pour lui le Sénat ou les anciens du pays. Le cadet était soutenu par des chefs inférieurs, le parti de l'agitation, L'ainé, qui tenait probablement encore le territoire de Vienne, leur métropole, se trouvant sur la route d'Annibal, lui demanda secours. Prévoyant l'avantage qui en résulterait pour sa marche, le général carthaginois lui prêta main-forte, et après la défaite du parti adverse, le vainqueur reconnaissant fournit à son allié des armes, des vêtements, des chaussures ferrées et toutes sortes de provisions pour le passage des Alpes. Mais le plus grand service qu'il lui rendit ce fut de le faire accompagner par une arrière-garde armée jusqu'à la montée des Alpes (XLIX).

Annibal avait alors près de 50.000 combattants. Il est tout naturel que, pour les faire subsister pendant son intervention, il les ait échelonnés entre le Rhône, l'Isère et le Guiers. Forcé de reculer devant ce déploiement de troupes, le parti adverse se sera échappé au-delà du Guiers, dans la partie du royaume la plus fortifiée par la nature, bien décidé à se venger de sa défaite sur les corps en marche que la difficulté des lieux forcerait de s'étendre ou de s'isoler.

Annibal eut besoin de toute son habileté et de tout le dévouement de ses alliés pour empêcher la destruction de son armée par les bandes allobroges que commandaient les chefs inférieurs, comme les appelle Polybe. C'est dans ces alternatives de revers et de succès qu'il fit environ 100 milles romains pendant dix jours, on remontant encore le fleuve (L).

Dans l'expression de Potamos il ne peut être question de l'Isère, dont la ligne ne se prêtait qu'aux passages de l'Alpe graie ou à ceux des Alpes cottiennes par les embranchements de l'Arc, du Drac et de la Romanche. Or, Polybe venait d'affirmer qu'Annibal avait longé le Rhône depuis sa traversée, en remontant vers sa source, dans une longueur de 1.400 stades soit 175 milles. 75 milles venaient d'être parcourus en quatre jours jusqu'à son camp chez les Allobroges. Il en restait 100 à compter toujours le long du Rhône ou dans cette direction.

Il n'est pas vraisemblable qu'il ait suivi tous les contours de ce fleuve, qui, en allongeant sa course, l'auraient forcément ramené vers le coude de Cordon où il reçoit le Guiers. Il était plus facile d'y arriver par Bourgoin et Aoste, en suivant un chemin qui est devenu une voie prétorienne et sur un point duquel, appelé encore le Passage, on a trouvé, en 1715, un bouclier votif d'Annibal[3]. Et, puisque Polybe n'a fait que résumer les mesures comptées par les Romains sur la marche d'Annibal, nous la reconnaîtrons facilement dans la voie romaine la plus rapprochée du Rhône.

Du camp de Laveyron à Vienne il y a 26 milles, et de là par Bergusio, Augusta, Etanna, à Condate, confluent du Fier dans le Rhône, il y a 70 milles. L'ouverture des Usses n'en est qu'à 3 milles, qui complètent le chiffre d'environ 100 milles donné par Polybe depuis le camp d'Annibal dans l'Ile jusqu'à la montée des Alpes à l'est du Rhône[4].

Et de fait, dès l'embouchure des Usses dans le Rhône, le parcours n'étant guère possible le long du fleuve, la voie romaine remontait le torrent par un défilé vers Mons, puis Chessenaz. L'occasion était favorable pour le parti vaincu des Allobroges d'anéantir dans ces gorges l'armée carthaginoise dont l'arrivée leur avait été si funeste. Heureusement pour elle, les naturels du pays se contentèrent de la harceler pendant le jour et se retiraient la nuit dans un lieu fortifié du voisinage. Annibal lit allumer le soir beaucoup de feux vers le camp pour simuler le repos de l'armée, et, à la faveur des ténèbres, il occupa avec des corps d'élite les hauteurs qu'avaient abandonnées ses ennemis (L, LI).

A la pointe du jour, ils revinrent, mais durent renoncer à reprendre leurs postes. Toutefois, voyant les embarras que la cavalerie et les bagages avaient de sortir de ce défilé, ils profitèrent d'une ouverture de colline pour les attaquer et y mettre le désordre. Annibal, redoutant pour l'avenir de son armée la perte des bêtes de somme et des provisions, fondit sur ses adversaires ; mais il ne put les mettre en déroute sans causer une perte aussi considérable à son monde. Néanmoins, il demeura vainqueur après avoir fait un carnage des Allobroges, et s'empara du lieu fortifié qui leur servait de refuge. Cette position ne peut avoir été autre que celle de l'ancienne forteresse de Chaumont, dont l'importance militaire et commerciale s'est maintenue jusqu'à sa destruction par François Ier. Les tours de Châtel, d'Usinens et de Mons marquent les points stratégiques du passage des Usses et remontent probablement à la domination romaine. Les antiquités que l'on y trouve viennent à l'appui de ce système et servent comme de jalon historique entre l'époque d'Annibal et le moyen âge.

Une ancienne voie, celtique ou romaine, montait également par Musiége, Contamine, Marlioz, etc., pour aboutir à Genève[5].

Jusqu'à Pile l'armée faisait presque 28 kilomètres par jour. Il n'y a là rien d'exagéré. Végèce nous apprend que les conscrits romains étaient exercés à faire, militari gradu, au pas ordinaire, 20 milles, soit presque 30 kilomètres, en cinq heures d'été, qui valaient 6 heures 40 minutes des nôtres ; et 24 milles, soit plus de 35 kilomètres, pleno gradu, au pas accéléré, dans le même temps, et avec tout le fourniment de guerre qui arrivait au poids de 60 livres[6].

La lutte que l'armée eut à soutenir dans le pays des Allobroges ne lui permit plus de parcourir que 15 kilomètres par jour jusqu'aux Usses.

Lorsque l'armée eut quitté la direction septentrionale le long du Rhône pour s'engager vers le nord-est dans le défilé des Usses, elle crut commencer la montée des Alpes, dont elle pénétrait, en effet, les bas contreforts. Et c'est à la prise du lieu fortifié que Polybe compte les neuf jours d'ascension vers les Alpes, y compris le, jour du combat et un jour de repos (LII).

On m'accuserait de faire de l'histoire du moyen âge si j'ajoutais qu'Annibal y fit des provisions pour deux ou trois jours de route, et c'est pourtant ce que Polybe assure, sans se douter probablement que d'autres chefs d'armée auraient la même facilité quelques siècles plus tard (LI). Et, pour ne rappeler que le premier, Jules César, on sait que le mur qu'il fit élever de Genève à l'alignement de Jura, s'arrêtait au Vuache, à deux pas de Chaumont.

Après ce jour de repos, pendant lequel l'armée put se déployer sur Chessenaz ou Minzier, Annibal continua sa marche sans trop d'obstacles pendant deux jours. La leçon donnée au parti inférieur des Allobroges avait modéré leurs attaques. Pour éviter l'oppidum de Genève, l'armée a probablement suivi la direction d'Annemasse et de Machilly jusqu'aux bords de la Dranse, qu'il ne faut pas confondre avec la Druentia de Tite-Live, bien qu'elles aient le même radical.

Quant au passage de la Durance, Polybe n'avait pas à en parler, puisque, comme on l'a vu, Annibal avait passé de la droite à la gauche du Rhône à près de 40 kilomètres en amont de l'embouchure de la Durance.

 

III. — DU LEUCOPETRON AU SOMMET DES ALPES.

Il n'est point prouvé que notre Dranse fût la limite du territoire allobroge. Toutefois ce doit être h cette distance que les députés d'une peuplade voisine, probablement des Nantuates, sont venus au-devant du général carthaginois avec des rameaux verts, symbole de paix Chez les anciens, l'assurer de leurs intentions bienveillantes en même temps que du sentiment de leur dignité nationale. Sans se fier entièrement à leurs démonstrations, le cauteleux Africain fit bonne contenance en acceptant leurs gages et surtout une grande quantité de bestiaux pour la nourriture de l'armée.

Il avait eu jusque-là l'escorte allobroge. Il avait encore Magile, l'un des chefs insubriens, venu des bords du Tessin pour lui servir de guide. Mais, entrainé par l'abandon avec lequel ces députés vivaient au milieu de son armée, il avait fini par leur en laisser diriger la marche, lorsque, au deuxième jour, les troupes armées de cette peuplade cernent son arrière-garde au moment où son armée entrait dans un défilé rocailleux le long d'une roche très escarpée (LII).

Annibal, pour épargner les convois, les fait marcher en avant sous la protection de la cavalerie, et range en bataille le gros de l'infanterie, qui, en repoussant le premier choc, sauva les munitions. Mais les ennemis s'étant emparés des hauteurs, précipitaient des blocs sur toute la ligne carthaginoise. Obligé de diriger la défense, Annibal dut passer la nuit, séparé de sa cavalerie et de ses bagages, près d'un roc coupé à pic, que Polybe appelle Leucopetron, pierre blanche, parce qu'il n'y avait peut-être pas très longtemps que les blocs rocailleux du chemin s'en étaient détachés (LIII).

Il est facile de reconnaître ici les accidents de la route de Meillerée à Saint-Gingolph, qui portent les noms de Tailletaz, de Mappas (mauvais pas) et surtout le roc de Leucon. J'ai établi ailleurs l'existence d'une voie romaine entre Genève et le Vallais par le Chablais[7]. Les Romains l'auront tracée, comme toute la suite, sur le passage d'Annibal, d'après Polybe, ou peut-être sur les traces d'un Hercule quelconque ; car cette extrémité du Chablais s'appelait finis hercolana[8]. Saint-Gingolph est au pied du Grammont, à l'extrémité nord de la chaîne alpine contournée par Annibal ; peut-être le Cremonis Jugum indiqué par Cœlius Antipater.

Néanmoins, le silence de Polybe sur le lac Léman, dans lequel il y avait danger d'être précipité sous les grêles de pierres et les roulades de blocs, peut soulever quelque doute, comme aussi la distance itinéraire, qui ne représenterait pas assez rigoureusement les deux jours de marche avec les députés de cette peuplade.

Quelque séduisante que soit l'étymologie du Macon, nous n'y tenons pas absolument. Les accidents topographiques ne manquent pas sur cette route pour justifier la description du Leucopetron. A quelques kilomètres de là, le passage de Porte de Saix, Porta de Saxo, en remplit toutes les conditions. Nam locatim recisus mons, quit disrupto jugo Vallis hiatu patescit, portas..... secundum locum qualis fuerit, facit, vix tamen plaustro meabilis, lateribus in altitudinem utrinque directis[9].

Cette expression, qui était très commune en Arménie et en Espagne — Portœ Caspiœ, Armeniœ, Cilicœ, Hispaniœ, Rusciœ, etc. —, l'est encore dans nos contrées, où les noms de Portods et de Portettes désignent toujours un passage étroit et dangereux.

A quelques kilomètres plus loin, le défile qui s'étend entre Massonger et Saint-Maurice répondrait également au récit de Polybe pour la longueur et même pour les distances. La position de Saint-Maurice a toujours été formidable. Les Romains avaient une station de leur itinéraire à Tarnade ou Tarnaias, et le moyen âge y avait élevé des châteaux. Il ne serait point invraisemblable que les Nantuates y eussent dirigé les Carthaginois vers la tombée de la nuit pour les anéantir. Pendant les quatre jours de marche entre les combats des deux défilés, l'armée ne rencontra pas d'opposition sérieuse ; elle a donc pu faire 25 kilomètres par jour et arriver vers Massonger le soir du quatrième jour, où se serait passée l'affaire du Leucopetron. Les ennemis s'étant éloignés, le reste de la nuit fut employé à faire écouler l'infanterie à travers le défilé, probablement du côté de Verolliez, et c'est au jour seulement qu'Annibal put rejoindre la cavalerie et les bagages (LIII).

Après cet incident, qui avait failli anéantir l'armée carthaginoise, celle-ci n'eut plus à repousser que quelques escarmouches de moins en moins violentes. La stature des éléphants en imposait à ces montagnards pour qui ce spectacle était tout à fait nouveau.

Enfin, le neuvième jour après l'affaire de la vallée des Usses, l'armée arriva au sommet des Alpes qu'elle trouva couvertes de neiges, c'était à la fin de septembre, et s'y reposa deux jours avant de descendre sur le versant italien (LIV).

Quant au discours d'Annibal, montrant du haut des Alpes l'Italie à son armée, il n'a rien que de très vraisemblable. Avant d'entreprendre cette gigantesque expédition, le chef carthaginois s'était procuré, par de nombreux émissaires d'Italie, toutes sortes de renseignements sur la fertilité des contrées qu'il se proposait de parcourir et spécialement sur les régions subalpines et circumpadanes, dit Polybe, comme aussi sur le nombre des habitants de chacune, leur valeur militaire, leurs dispositions à l'égard de Rome, etc. (XXXIV).

Arrivé au bord du versant italien, il lui était facile de dire à ses capitaines, qui venaient là pour la première fois : Voilà l'Italie ; là-bas sont les campagnes arrosées par le Pô ; plus loin, s'élèvent les murs de Rome, etc.

Alors même qu'il lui était littéralement impossible, sur aucun plateau des Alpes, de montrer autre chose que le commencement d'un autre pays, il a dû néanmoins, avec le ton assuré de l'affirmation, indiquer à distance tous les points racontés dans son discours, et même Rome ; puisque tout homme qui sait s'orienter peut dire : Rome est dans telle direction.

Cette assurance donne aux paroles un cachet de conviction et de certitude qui impose la confiance et l'obéissance. Annibal savait la force du prestige indispensable pour retenir sous son commandement tant de chefs de bandes de toutes nations ramassés de l'Afrique aux Alpes.

Mais il faudrait être bien naïf pour chercher dans ce discours, tout de pose et d'apparat, la base d'une situation géographique ; tandis qu'il n'avait pour but que de constater aux yeux de l'armée un premier succès de la campagne, la traversée des Alpes, malgré tous les obstacles des hommes st de la nature.

Nous avons des données plus certaines sur le col des Alpes passé par Annibal, nous avons le texte formel de Polybe, les mesures itinéraires, les inscriptions et les traditions romaines concernant le nom même des Carthaginois laissé au point le plus important de la discussion sur leur passage.

 

IV. — LE VALLAIS ET LE GRAND SAINT-BERNARD.

Polybe avait préludé à l'histoire du passage d'Annibal par une description de toute la chaine des Alpes. L'Italie, dit-il, est circonscrite de trois côtés : c'est d'une part la Méditerranée de l'autre l'Adriatique, et de la troisième les Alpes, qui sont comme la base du triangle, surtout la partie septentrionale, dont j'ai à parler.

Il rappelle ensuite que les Gaulois transalpins habitaient le versant qui incline au Rhône vers le nord. Evidemment il s'agit ici des peuplades du Vallais et peut-être du Chablais.

Dans un autre chapitre on voit que les Boïens et les Insubres (Isombras), qui occupaient les campagnes situées entre le Pô et les Alpes du nord, appelèrent à leur secours les Gaulois transalpins qui habitaient entre le Rhône et les Alpes[10]. Il s'agit encore ici de la vallée du haut Rhône, dont les habitants étaient les plus rapprochés des Insubres par la vallée d'Aoste.

Dans le troisième livre de son histoire, Polybe, résumant le tableau de la ligne des Alpes dont le contour part de l'Adriatique pour courir à l'ouest, continue ainsi : Le Rhône a ses sources à l'occident du nœud septentrional de cette chaîne. Il coule ensuite au nord-ouest, puis va se jeter dans la mer de Sardaigne. Il est formé de plusieurs cours d'eau dans une vallée dont les Ardues habitent le flanc septentrional. Tout le côté méridional est enfermé par la ligne des Alpes dont les extrémités fléchissent vers le nord. Le bassin du Rhône est séparé des campagnes qui entourent le Pô par la chaîne des Alpes qui de Marseille remonte pour contourner jusqu'à l'Adriatique. (XLVII).

On ne peut méconnaître ici le massif de Saint-Gothard, les sources du Rhône dans le haut Valais, puis son retour vers le lac Léman, et enfin sa descente vers la Méditerranée. Après ce tracé sommaire, l'auteur reprend les détails. La mention des Ardues, dont le nom s'est conservé dans celui d'Ardunum, aujourd'hui Ardon, entre Martigny et Sion sur la rive droite du Rhône, nous fixe parfaitement sur le côté opposé, c'est-à-dire l'horizon des Alpes pœnines, qui forment un équerre autour du coude du Rhône à Martigny. Ce tableau, si conforme à la configuration locale, n'a pu être fait que de visu, comme l'affirme Polybe, en rappelant les voyages qu'il avait entrepris en Afrique, en Espagne et en Gaule pour savoir la vérité (XLVIII, LIX).

Le cours du Pô n'étant point parallèle à celui du Rhône, Polybe n'a pu indiquer à l'opposite de celui-ci que les vallées arrosées par les rivières qui alimentent le Pô. La plus parallèle de ces rivières avec le Rhône est la Doire-Baltée qui coule à travers une vallée subalpine, mentionnée ailleurs par Polybe.

Revenant à son point de départ, cet auteur précise ainsi le sujet de tant de controverses. Annibal ayant surmonté ces Alpes par l'endroit qui longe le Rhône, descendit en Italie. Apo tôn kata ton Rodanon topôn (XLVII). A locis secundum Rhodanum.

Or, nulle part ailleurs qu'en Vallais le Rhône ne baigne le pied des Alpes. Polybe venait de l'assurer, quelques lignes plus haut, précisément pour la rive méridionale du fleuve, celle dont il s'agit dans ce passage mémorable.

Plusieurs auteurs, dont j'avais partagé l'opinion, ont rendu par les sources du Rhône le texte que j'ai cité. La traduction est inexacte, mais l'idée n'est pas loin du vrai, au moins pour cette époque. Car Ammien Marcellin disait encore, au IVe siècle, que le Rhône venait des Alpes pœnines par plusieurs sources[11].

C'est précisément dans cette direction que Ptolémée place les sources du Rhône, à un degré sud-est du Léman. On jugera de la valeur de cette distance par celle du Mont-Adulas (le Saint-Gothard ou le Mont-Furca) qu'il fixe à un degré nord-est des sources du Rhône[12]. Peu importe l'imperfection actuelle de ces données géographiques ; elles sont les témoins de la science de leur temps, et leur accord nous rassure suffisamment sur le point des Alpes qu'elles ont voulu désigner.

Il s'agit maintenant de déterminer celui des passages menant du Vallais en Italie qui a marqué la route du plus hardi capitaine de l'antiquité. Les deux plus célèbres sont le Simplon et le Grand-Saint-Bernard. Le premier est moins élevé que le second de 367 mètres ; mais la descente en Italie en est plus longue et plus difficile. D'ailleurs cette ligne s'écarte tout à fait de Turin. Et cependant Annibal a pris cette ville avant de se diriger vers le Tessin.

L'évaluation des distances données par Polybe nous aidera à préciser le passage qu'il avait en vue dans sa description. On se rappelle que du camp de Pile des Allobroges l'armée avait remonté le Rhône dans l'espace de 100 milles romains et qu'elle avait pris sa direction vers les Alpes par la vallée des Usses, où elle se reposa un jour (XXXIX, L, LI).

Du plateau de Minzier à Porte-de-Saix en Vallais il y a près de 85 kilomètres, et de là à Massouger 15 autres kilomètres. Quelle que soit celle des deux localités à laquelle on s'arrête pour le Leucopetron, l'armée carthaginoise a pu y atteindre en quatre jours en faisant de 20 à 25 kilomètres par jour sans obstacle sérieux, d'après Polybe[13]. L'affaire du Leucopetron a eu lieu sur le soir, et la nuit a été employée à sortir du défilé pour s'étendre vers Vouvry ou vers Verolliez. Le jour suivant Annibal a pu rejoindre sa cavalerie et ses bagages et aller camper prés du bourg de Martigny pour prendre la montée le lendemain. Et, de fait, ce n'est qu'après avoir réuni ses corps séparés par cet incident qu'Annibal entreprit définitivement l'ascension de la montagne (LIII).

Les 37 kilomètres qui distancent le plateau du Grand-Saint-Bernard, sans autre obstacle que la rapidité de la montée, ont pu exiger deux jours. On sait que les retardataires rejoignirent le gros de l'armée pendant les deux jours de repos qu'elle prit au plateau de l'Alpe pœnine (LIII).

Le parcours du haut Vallais jusqu'à Brig, soit prés de 60 kilomètres de plus, sans compter la montée du Simplon, aurait exigé au moins deux jours de plus que n'en marque Polybe. Ceci est concluant en faveur du Mont-Joux ou Grand-Saint-Bernard, que l'armée a pu atteindre le neuvième jour après avoir quitté le Rhône au confluent des lisses.

Un peuple habitait le sommet de la vallée où le Rhône prend sa source. C'était les Viberi, branche des Lépontiens, de l'émigration grecque ou taurisque, et conséquemment antérieure au passage des Carthaginois[14]. Si Polybe ne les a pas nommés, c'est qu'Annibal n'a pas traversé le Simplon.

On voit par tout ce qui précède combien est douteux l'appui demandé par Strabon au prétendu témoignage de Polybe sur le passage des Tauriniens. Nous n'avons pas besoin de Strabon pour savoir ce que pensait Polybe. Nous préférons son texte formel à une citation contradictoire qu'il est impossible de justifier dans aucune partie de ses œuvres.

il ne serait pas invraisemblable que Strabon, citant Polybe de mémoire, eût confondu le nom des Tauriniens avec celui des Taurisques, qui, d'après Caton, habitaient les sources du Rhône et du Tessin. Les Tauriniens passaient pour être de la même race, et Appien d'Alexandrie appelle leur capitale Taurasia.

Ce qui a pu induire également en erreur dans l'indication de ces passages, c'est que les torrents qui arrosent les flancs des deux Alpes pœnines et cottiennes, portent des noms semblables ou ayant le même radical. Ainsi les Alpes pœnines ont, au versant italien, la Doire, Duria, et, au versant suisse, la Durance et la Dranse, au bout de laquelle se trouvait la station Octodurus ou Iunctodorus. Les Alpes cottiennes ont également, au versant italien, une Doire, Durias, et, au versant français, la Durance, Druentia. La station d'Ictodurum, qui n'en était pas très éloignée, a pu augmenter encore la confusion des localités pour ceux qui écrivaient à distance sans les avoir parcourues.

Quant à Polybe, qui les avait étudiées sur place (XLVIII, LIX), il enchaîne d'une logique inflexible la suite de son récit. Réfutant l'objection des auteurs contemporains tirée de l'impossibilité de passer les Alpes qu'il venait de décrire, il rappelle les expéditions des Gaulois transalpins, dont il avait parlé dans le chapitre précédent, par les mêmes Alpes que l'armée d'Annibal. Or, on a vu plus haut que ces Gaulois, surnommés Gésates, n'étaient autres que les habitants de la vallée du haut Rhône.

 

V. — LA VALLÉE ET L'ALPE PŒNINE.

Polybe a donné le motif pour lequel il s'est abstenu le plus souvent d'articuler les noms des lieux généralement inconnus à ses lecteurs, pour s'en tenir simplement à une exacte description (XXXVI, XXXVII, XXXVIII). On dirait qu'il avait prévu les changements de cette nomenclature géographique. Nous ne savons pas, en effet, comment s'appelaient à cette époque la vallée du haut Rhône ni le col traversé par son héros. Aucun autre auteur ne les avait mentionnés avant lui. Mais la renommée s'est chargée de combler cette lacune. Les faits ont eu un tel retentissement que les localités ont été qualifiées du nom national de ceux qui les avaient illustrées.

L'effet produit par le passage des Pœni, et peut-être la colonisation des bandes retardataires de l'armée carthaginoise, a été si considérable qu'une contrée en a gardé le nom de VALLIS PŒNINA, reproduit dans les inscriptions de Villette, de Saint-Maurice et de Vérone. Ce nom s'appliquait à toute la vallée ; car la seconde rappelle les quatuor civitates Vallis Pœninœ ; c'étaient les Nantuates, les Veragri, les Seduni et les Viberi[15]. Par abréviation on les appela Vallenses, leur centre, Forum Claudii Vallensium Octodorus (Martigny)[16]. Il en est resté au moyen âge le nom de Valleys, aujourd'hui Vallais.

Mais parmi les cols qui ouvrent à cette vallée l'entrée en Italie, il y en a un qui a gardé spécialement le nom d'Alpe pœnine ; c'est le Summum pœninum des Itinéraires romains, appelé ensuite Mont-Joux, surtout au moyen âge.

Le nom de Mons Jovis n'est venu qu'à la longue, ensuite du culte de Jupiter que Térentius Varro avait inauguré sur cette montagne après l'extermination des Salasses. Le nom d'Alpis pœnina était plus ancien et a été employé exclusivement par les géographes Strabon, Pline, Ptolémée, et par tous les historiens.

Tite-Live avoue que l'opinion publique attribuait au passage des Carthaginois, Pœni, le nom de l'Alpe pœnine : Vulgo credere Pœnino transgressum, atque indé nomen et jugo Alpium inditum[17]. Il essaie de la réfuter en disant que le nom de Pœninus était celui du génie local qu'adoraient les habitants de race semi-germanique. Il est vrai que les Gaulois et les Germains rendaient un culte aux accidents de la nature. Pen signifie pointe, extrémité ; nous retrouvons ce radical celtique dans la station de Pen-loch, à l'extrémité orientale du lac Léman. Il ne serait point invraisemblable que l'amont de cette vallée en eût gardé l'épithète de pennine, c'est-à-dire vallée extrême ou élevée. Mais, comme on l'a vu, il y a loin de cette orthographe à celle de VALLIS PŒNINA et du titre de PŒNINO, que reproduisent seize inscriptions du Grand-Saint-Bernard, à celle de PHŒNINO, qui rappelle l'origine phénicienne des Carthaginois, à celle de PVŒNINO, qui n'en est qu'une variante, réunissant l'u de punicus et l'œ de pœnus[18].

Soixante ans après Tite-Live, Pline, qui était né au versant méridional des Alpes lépontiennes, qui avait exploré en savant la Gaule et l'Espagne, rappelait encore la même tradition, en énumérant les Alpes graies et pœnines, Geminas Alpium fauces, graias atque pœninas ; his Pœnos, graiis Herculem transisse memorant[19].

Le chef carthaginois, Pœnus, a laissé son nom à l'Alpe pœnine comme le chef de bande grec, Graius, l'a laissé à l'Alpe graie, comme César, le héros de la famille des Jules, a laissé le sien aux Alpes Juliennes.

Le héros grec était honoré à l'Alpe graie[20] ; peut-être le héros carthaginois l'a-t-il été à l'Alpe pœnine, C'est, du moins, ce qui parait résulter de dix-huit votifs, dont l'un à Phœnino, le second à Puœnino et sept autres à Pœnino, sans addition d'aucun nom de divinité grecque ou italienne. Mais lorsque la conquête romaine imposa la mythologie du peuple-roi, le culte de Jupiter fut porté à la plupart des sommités, comme sièges de la foudre, à côté du génie local : Jovi optimo maximo, Genio loci, Fortunœ reduci, disait l'inscription votive de Térentius Varro après la soumission des Salasses, l'an 728 de Rome. Puis le Maitre suprême finit par absorber le patron local. Neuf inscriptions s'adressent à Jovi pœnino. A l'Alpe graie, Hercule dut subir l'œil de Jupiter, que l'on y adorait dans une escarboucle portée sur une colonne, columna Jovis. Le chef de l'Olympe se laissa partout affubler du nom national des héros subalternes qu'il supplantait : ici pœninus, là graius.

Pline dit ailleurs que les Alpes ont été passées par Annibal, puis par les Cimbres, Alpes superatas ab Annibale dein à Cimbribus[21]. Or, les Alpes pœnines étaient la voie la plus directe du pays des Helvètes, où avaient guerroyé les Cimbres[22], pour venir à Verceil où ils furent exterminés par Marius. Ces deux témoignages de Pline se complètent parfaitement sur le passage des Alpes pœnines.

Ammien Marcellin, après avoir décrit les Alpes cottiennes, dont Julius Cottius avait réparé les chemins, puis les Alpes maritimes traversées par Hercule le thébain, dont le temple de Monaco était un souvenir, passe aux Alpes pœnines et en attribue formellement l'appellation à la seconde guerre punique, dont il donne un résumé succinct. Jusque-là il était l'écho de l'opinion publique avec Pline et Tite-Live. Mais, par une contradiction inexplicable, il copie dans ce dernier les noms des Voconces et des Tricoriens, puis la fable du vinaigre pour l'itinéraire d'Annibal ; il confond même la Durance avec la Doire pour le faire arriver en Etrurie. Ammien savait pourtant où étaient les Alpes menines, puisque, d'après lui encore, le Rhône en descendait avant de traverser le lac Léman[23].

Fils du préfet de Carthagène, Isidore de Séville, à la fin du VIe siècle de notre ère, continuait la tradition classique du passage d'Annibal par les Alpes pœnines : Alpes pœninœ, quia Hannibal veniens ad Italian easdem Alpes aperuit[24]. Elle se maintenait encore au Xe siècle ; Luitprand, de Crémone, secrétaire et ambassadeur des empereurs d'Allemagne, raconte un passage d'armée, per Hannibalis viam quam Bardum dicunt et montem Jovis, par le Mont-Joux et le fort de Bard[25]. Et comme pour répondre d'avance au reproche d'ignorantisme fait à cet auteur du Xe siècle, deux écrivains de la Renaissance, Merula et Paul Jove, viennent appuyer son témoignage sur les inscriptions de Bard et de Donas relatives au passage d'Annibal.

 

VI. — DU GRAND SAINT-BERNARD À TURIN.

Annibal arrivé au cours supérieur du Rhône, a donc laissé à sa gauche les Ardyes, et, remontant une autre Dranse, il a traversé l'Alpe qui, du passage des Pœni, a été appelée Pœnine ; d'où il a suivi la vallée d'Aoste ou de la Doire-Baltée, un des affluents du Pb.

Les difficultés de la descente dépassèrent bien celles de la montée. La neige nouvellement tombée sur la vieille, qu'on appelle névé, et même sur des tronçons glacés, rendait le pas glissant au point de faire précipiter hommes et chevaux. Le corps des Numides fut obligé de tracer un chemin à travers un éboulement de terre de 900 pieds. C'est peut-être ce qui a fourni à Tite-Live le thème de la fable du rocher calciné par le vinaigre. On reconnaît dans le récit de Polybe les accidents de la localité et spécialement le défilé de La Clusaz (LIV, LV).

Tous ces obstacles ne permirent pas à l'armée d'arriver à la plaine d'Aoste avant trois jours. La voie romaine y a mesuré 38 milles, soit 56 kilomètres. Le texte de Strabon, sur la différence des routes qui bifurquaient à Aoste, ne détruit point, comme on l'a prétendu, la possibilité de ce passage. Cet auteur avance qu'ensuite des travaux dirigés par Agrippa, la voie qui continuait par l'Alpe graie vers les Ceutrons, pouvait être parcourue par le plaustrum romain ; tandis que l'embranchement de l'Alpe pœnine n'était pas praticable aux attelages, ce qui ne l'empêchait point d'être accessible aux bêtes de somme, puisque l'expédition gésate s'était faite déjà dans ces conditions (XLVIII)[26].

Polybe avait compté de l'entrée des Alpes jusqu'au bas de la descente 1.200 stades, soit 150 milles, que l'armée parcourut en onze jours, non compris le jour de repos après la prise du lieu fortifié et les deux jours au sommet des Alpes, qui font quatorze. C'est probablement pour les retardataires que l'auteur résume en quinze jours cette traversée (LVI).

Or, nous connaissons par les itinéraires la distance de Condate à Genève, 30 milles. Nous savons également qu'il y avait 26 milles de Pennolucos à Octoduro, Martigny, 25 milles jusqu'à Summo pœnino, 38 jusqu'à Augusta prætoria. Mais comme le reste de l'itinéraire, soit celui de la rive gauche du Rhône et du lac, ne nous est pas parvenu, et que d'ailleurs Annibal aura vraisemblablement évité Genève et suivi la ligne la plus droite par Sierne et en remontant le Foron pour arriver au versant de la Dranse du Chablais, nous évaluerons la distance de 130 kilomètres entre la vallée des Usses et Martigny en 87 milles, qui, ajoutés aux 25 et aux 38 milles de Martigny à Aoste, compléteront le nombre de 150 milles donné par Polybe.

Les Salasses, refoulés par les Tauriniens, remontaient alors la Doire[27]. La riche plaine d'Aoste, qui a plus tard alimenté le camp de Térentius Varro, était un vrai confortable pour l'armée carthaginoise après toutes ses souffrances et toutes ses pertes (LX).

Réduite à l'effectif de 26.000 hommes, elle a pu, dans cette étape, s'étendre jusqu'à Villefranche ou Quart, ad quartum lapidem des itinéraires. De là à Ivrée il y avait 42 milles romains, que l'armée a pu parcourir presque en deux jours, privée qu'elle était d'un grand nombre d'éléphants, qui jusque-là avaient ralenti la marche.

On a déjà vu un témoignage de la tradition du passage d'Annibal par Bard. Le même auteur, Luitprand, assure avoir lu sur le roc de Donas l'inscription : Transitus Annibalis.

La mention préalable des campagnes subalpines et leur distinction des campagnes circumpadanes que fait Polybe en parlant des renseignements pris par Annibal avant son expédition, fait assez pressentir la traversée d'une vallée adjacente au Pd avant d'arriver à ce fleuve (XXXIV). La suite de son récit explique parfaitement la raison de ce détour.

Les Tauriniens étaient amis des Romains, et il est probable que le Saltus Taurinus n'aurait été abordable aux Carthaginois que par une lutte désespérée, l'avantage devant demeurer, dans les prévisions ordinaires, aux premiers occupants des hauts plateaux les plus fortifiés naturellement. Ce qui était vrai du Saltus Taurinus, pouvait l'être aussi des autres passages voisins. N'a-t-on pas vu plus tard les Ceutrons, les Graiocèles et les Caturiges confédérés pour défendre l'accès de leurs montagnes depuis le Mont-Blanc jusqu'au Mont-Viso ? Il est vrai que c'était contre Jules César. Mais, à l'époque d'Annibal, les Gaulois de ce versant occidental des Alpes n'avaient pas encore eu à lutter contre les Romains. L'armée carthaginoise, venant affamer leurs vallées, était un ennemi dont il fallait ou essayer de tirer parti individuellement, comme le firent avec des chances diverses les Allobroges et les Nantuates, ou arrêter la marche en se fortifiant d'une confédération, comme ils l'ont fait plus tard contre Jules César, lorsque déjà les Allobroges étaient de la Province romaine[28], et qu'ils étaient menacés de perdre leur indépendance. Il en était autrement des peuples d'Italie.

Les Insubres milanais étaient en guerre avec les Tauriniens et les Romains (XL, LX). Ces deux derniers ont repoussé plus tard les Salasses jusqu'au nord d'Ivrée[29]. Il est donc probable que déjà à cette époque les Salasses faisaient cause commune avec les Insubres. Si Polybe n'a nommé que ces derniers, c'est que leur extension et leur prépondérance politique étaient bien plus considérables et qu'Annibal n'avait, pour ainsi dire, à traiter qu'avec eux ; l'un de leurs chefs, Magile, était venu avec une députation jusqu'en Espagne pour servir de guide et, au besoin, d'otage au général et à l'armée carthaginoise pendant la traversée des Gaules et des Alpes (XLIV). En partant de l'Espagne Annibal savait d'avance son pays et son monde par les nombreuses députations italiennes (XXXIV, XLVIII) ; il était sûr d'un bon accueil sur la ligne de la Doire-Baltée au Tessin et ne pouvait entrevoir qu'une opposition formidable autour des Alpes cottiennes. Aussi le général romain, ne soupçonnant pas le détour qu'allait tenter Annibal, avait peine à croire que cette armée cosmopolite pût passer les Alpes (XLIX, LXI) ; et c'est en dissimulant sa marche derrière le massif du Mont-Blanc qu'Annibal put arriver en Italie contre toute attente. A Rome ce fut une épouvante, car on venait d'envoyer contre lui un consul en Espagne.

Arrivé à Ivrée avec l'escorte des Insubres, appuyé sur sa gauche par leur confédération armée, ne voulant pas laisser à sa droite leur ennemi, qui refusait d'entrer dans son alliance, Annibal dut infliger aux Tauriniens une sanglante défaite pour détruire le prestige de l'appui des Romain ; entraîner les peuplades dont les sympathies lui étaient connues, mais qui n'osaient se prononcer sous la menace des légions romaines.

 

VII. — LES ALPES COTTIENNES ET POMPÉE.

Les partisans du passage des Alpes cottiennes viennent confirmer, à leur insu probablement, les motifs qu'avait le général africain de déférer à la politique insubrienne en débouchant en Italie par la vallée d'Aoste.

Il était tellement improbable que les députés des Insubres dirigeassent l'armée carthaginoise par les Alpes cottiennes qu'Ammien Marcellin, ayant suivi l'opinion de Tite-Live sur le fait principal, a dû, pour être, au moins cette fois, d'accord avec lui-même, faire accompagner Annibal par des Tauriniens ; ce qui, d'ailleurs, était inexplicable dans leur alliance avec les Romains. Conçoit-on, en effet, ces bons alliés introduisant en Italie un ennemi qu'il était de leur intérêt suprême de voir anéanti avant qu'il pût pénétrer les Alpes ?

Le système de Tite-Live n'est guère plus rationnel. Il attribue aux députés boïens et au roi Matale qui accompagnaient Annibal, la décision prise par celui-ci de no pas combattre les Romains avant d'avoir passé en Italie, et cependant il les conduit par le passage des Tauriniens le plus dangereux à affronter dans ces conjonctures, puisque les Romains étaient leurs alliés et que toute cette ligne devait ètre gardée. L'armée carthaginoise passe sans coup férir, sans que ni Tauriniens ni Romains aient l'air de se douter que les Alpes étaient leur plus formidable rempart. D'ailleurs, tout est à l'avenant. Le départ du pays des Allobroges, indiqué ad lœvam, à main gauche, n'aurait pu s'effectuer que sur la droite, dès qu'il s'agissait de rebrousser chemin jusqu'à la Durance et surtout à un point où le tableau imagé qu'en fait Tite-Live y acquerrait quelque vraisemblance. Assurément l'auteur n'avait pas vu les vallées alpines. Ce n'est plus l'historien subissant la logique des faits avec la configuration locale : c'est le romancier aux ordres duquel généraux et armées passent outre, comme par enchantement, aux obstacles de la nature et de la politique.

Et l'on ose opposer de pareilles fantaisies, imaginées à loisir dans les salons de Rome, à la discussion pratique de Polybe, qui s'était imposé tant de fatigues pour étudier l'histoire sur les lieux mêmes (LIX) !

Si les Alpes cottiennes n'ont pas été traversées par Annibal, elles l'ont peut-être été par Asdrubal, son frère, dix ans plus tard, et c'est ce qui a pu induire en erreur quelques historiens ; car il s'agissait toujours d'une armée carthaginoise, conduite par Fun des deux enfants d'Amilcar. Mais ce qui paraît certain, c'est qu'un général romain les a passées en sens inverse de la marche des généraux africains, et cette étude vient appuyer les conclusions précédentes.

Servius Munis rappelant, d'après Varron, les cinq passages des Alpes gauloises, énumère celui des Ligures le long de la mer, celui d'Annibal, celui de Pompée allant en Espagne, celui d'Asdrubal et celui des Alpes graies[30].

Il faut donc écarter de la discussion le premier et le dernier de ces passages, et chercher ailleurs ceux des trois généraux nommés. La découverte de celui de Pompée nous éclairera sur celui d'Annibal.

Pompée écrivait lui-même au Sénat de Rome qu'il avait trouvé un chemin plus facile que celui d'Annibal. Appien le circonscrit entre les sources du Rhône et de l'Eridan[31]. Excluons donc de la discussion les Alpes pœnines et le Mont-Viso. Les Alpes graies le sont déjà, d'après Servius et Varron. Le Mont-Cenis n'étant pas connu à cette époque, restent pour le passage de Pompée le col d'Amas, qui mène de Maurienne à Usseglio, Viu, Lanso et le cours de la Stura à Turin, et le Mont-Genèvre entre Briançon et Suze.

Sur ces deux lignes, on a découvert des vestiges authentiques de voies romaines[32]. Mais on n'a conservé l'itinéraire que de la dernière. Elles appartiennent toutes les deux aux Alpes cottiennes, où Pline signale effectivement la soumission de plusieurs peuplades par Pompée[33].

Quant à la plus grande commodité qu'offrait à Pompée l'une ou l'autre de ces deux ouvertures des Alpes, Iter aliud atque Hannibal nobis opportunius patefeci, elle doit s'entendre de sa brièveté. Il fallait gagner da temps pour surprendre Sertorius en Espagne. Les corps de son parti gardant les passages des Alpes maritimes, Pompée dut remonter aux Alpes cottiennes pour redescendre dans la Narbonnaise et passer les Pyrénées. Mais ce détour ne fut pas aussi grand que celui d'Annibal, qui, voulant éviter les Romains et les Tauriniens aux Alpes cottiennes, avait dû remonter plus au nord ; non pas même aux Alpes graies, puisque Servius et Varron les distinguent, comme on l'a vu, des passages d'Annibal et de Pompée, mais bien aux Alpes pœnines.

Et si Appien, au lieu de circonscrire aux sources de lisère l'étendue alpine qu'il avait en vue, indique comme extrême limite les sources du Rhône, c'est qu'évidemment ces dernières marquaient le passage d'Annibal, et que leur mention comme limite exclusive affirmait plus formellement la distinction du passage de Pompée, d'après son propre témoignage.

Il résulte des précédents que l'ordre dans lequel Servius a énuméré les cinq passages, n'a aucune signification ; puisque, si la route de Pompée était plus courte que celle d'Annibal, c'est parce qu'elle était plus rapprochée de la Méditerranée et qu'elle aurait dû être ainsi nommée avant cette dernière, dès. que la liste commençait par le chemin des Ligures.

Un auteur moderne fait une exception tout à fait désespérée pour sa cause, lorsqu'il prétend que les Alpes pœnines n'auraient pas fait partie des Montium gallicorum mentionnés par Servius. Polybe, dans une description raisonnée de toute la chaîne des Alpes depuis la Méditerranée jusqu'à l'Adriatique, affirme que le versant de ces Alpes, incliné vers le Rhône au nord, est habité par les Gaulois transalpins[34].

Si ces vallées avaient été annexées d'abord à la Gaule cisalpine pour conserver à l'Italie la défense des Alpes, ces habitants ne cessaient pas d'être Gaulois, ni leurs passages de faire communiquer les deux Gaules cisalpine et transalpine. D'ailleurs, toute cette zone fut attribuée au prétoire des Gaules dès Constantin et elle l'était encore au temps de Servius.

La situation géographique des douze peuplades cottiennes qui n'ont point été hostiles sous Auguste et qui avaient été organisées en municipes par Pompée[35], induit à présumer le passage de ce général par le Mont-Genèvre. Il ne serait point improbable qu'Asdrubal eût passé le col d'Amas. On expliquerait peut-être ainsi le nom de là Maurienne, Mauriana, Vallis Morigenica, civitas Morigennensium, qu'elle portait bien longtemps avant les invasions sarrasines du moyen âge[36].

 

VIII. — L'ISÈRE ET LE RHÔNE.

L'armée d'Annibal se composait d'Africains, d'Espagnols ou Ibéro-ligures (XXXIII, XXXV, LXI). Sauf le parti des Allobroges qui recourut à son intervention, la race gallique lui a plutôt fait résistance. Ce n'est guère qu'en Italie que les corps gaulois apparaissent dans son armée ; c'étaient d'abord les Insubres et les Boïens, puis les autres Gaulois cisalpins entraînés par ses succès et la haine des Romains (de LIX à LXVI).

De ce qu'Annibal avait des Ligures dans son armée, on a supposé qu'il les avait recrutés à son passage en Provence, d'où on le conduisait tout naturellement aux Alpes cottiennes. Or, l'attitude des Romains vers l'embouchure du Rhône n'a pu lui permettre d'y recruter aucun corps, puisqu'il a été obligé de remonter la droite du Rhône pendant quatre jours de marche (XLI, XLII).

Il est d'ailleurs bien établi que le corps des Ligures faisait partie de l'armée d'Annibal longtemps avant qu'elle passât les Pyrénées pour cette grande expédition (XXXIII).

Les quatre jours de marche, avant le passage du Rhône, écartent définitivement la ligne de la Durance ; celle de l'Isère, avec ses embranchements, devient le point de mire de tous les commentaires. Toutes les ouvertures des Alpes qui convergent à ce bassin offrent des accidents topographiques tels qu'ils pourraient justifier la description du combat du premier défilé, lorsque l'armée prit la direction des Alpes. Les partisans des Alpes cottiennes ne manqueraient pas de présenter le détroit de Séchillienne le long de la Romanche, ou celui d'Aiguebelle le long de l'Arc. Les partisans des Alpes graies auraient les détroits de Briançon ou de Pont-Seran le long de l'Isère. Les tenants du col de la Seigne auraient également le défilé qui ouvre la vallée de Beaufort le long du Doron.

Quant au second défilé ou Leucopetron, il n'y pas de vallée alpine qui ne puisse en offrir plusieurs bien ressemblants à celui de Polybe ou de Tite-Live.

Les descriptions ne suffisent donc pas à l'histoire. Il faut localiser les faits au moyen des noms et des distances précises.

Si, du fond ou du centre de l'ile des Allobroges on avait à prendre la route la plus facile pour atteindre les Alpes, le choix tomberait certainement sur la ligne de l'Isère, abstraction faite de tout autre obstacle que ceux de la topographie.

Mais connaissons-nous bien toutes les circonstances qui s'imposaient à Annibal et à son armée ! Il n'est pas le cas de conjecturer ce qu'il pourrait faire aujourd'hui, d'après les règles de la stratégie moderne et dans des suppositions qui peuvent varier indéfiniment. Il s'agit de savoir ce qu'il a fait réellement, il y a bientôt vingt-un siècles !

Qui nous dira la vérité ? Les documents les plus contemporains écrits par des hommes compétents. Or, le plus ancien et le plus complet est bien certainement le récit de Polybe, où l'on admire une connaissance approfondie de l'ai t militaire, qu'il avait pratiqué dès sa jeunesse. Cet auteur affirme s'être renseigné pour les chiffres à la table de Lacinium, qu'Annibal avait fait exécuter pendant son séjour en Italie (XXXIII) ; il dit avoir lu et discuté tout ce qui avait été écrit avant lui sur cette question (XXXVI, LVIII), parcouru la même route qu'Annibal et vu encore les témoins du passage des Carthaginois (XLVIII, LIX). Il ajoute que c'est grâce à cette connaissance pratique des localités qu'il peut réfuter les erreurs de ceux qui, jusqu'alors, avaient raconté cette expédition comme on compose un poème.

Polybe avait, en outre, les traditions de la famille des Scipions, la plus mortelle ennemie d'Annibal, celle qui, pendant quatre générations, a, personnifié presque à elle seule la lutte entre Rome et Carthage.

Or, selon cet auteur, l'armée, après le passage du Rhône, a longé quatre jours le même fleuve, para ton potamon, dont il décrit ensuite les sources et le parallélisme avec les Alpes (XLVII). Après son intervention chez les Allobroges, Annibal remonta encore pendant dix jours le même fleuve, para ton potamon, comme pour aller vers sa source (L). C'était donc dix-huit jours de marche le long du Rhône, sans compter les temps d'arrêt.

On a vu avec quelle exactitude mathématique les distances données par Polybe, soit 1.400 stades mesurés depuis le passage du Rhône (XXXIX), soit 800 stades mesurés de l'île des Allobroges (L), correspondent aux 175 milles et aux 100 milles que les Romains ont marqués plus tard dans les mêmes sections de routes, et aboutissent rigoureusement au confluent des Usses dans le Rhône, au-dessus de Seyssel.

En allant directement de Vienne à Aoste-sur-Guiers, l'armée évitait le coude du Rhône de Lyon, comme en suivant les Usses par Chaumont ou Marlioz, elle évitait le coude du Rhône à Bellegarde. Ces deux directions, obliquant à l'est sans abandonner la ligne du Rhône, ont été signalées par Polybe, lorsqu'il dit qu'Annibal, en s'éloignant de la région de la Méditerranée, remontait le fleuve du Rhône dans la région centrale de l'Europe comme s'il eût fléchi vers l'orient (XLVII).

Ce passage a embarrassé bien des commentateurs, qui, n'ayant pas étudié l'orographie du Rhône à l'aide des mesures itinéraires, ont trouvé plus facile de décerner à Polybe un brevet d'ignorance géographique sur l'orientation de ce fleuve et des Alpes, et ont revendiqué pour la Durance ou l'Isère le bénéfice de sa narration.

Je l'ai dit déjà : tout se lie dans Polybe, la géographie et l'histoire. Tous les incidents trouvent leur place dans ses données générales, comme les propositions particulières d'un syllogisme sont renfermées dans un principe. Description du Rhône, combats et marches, distances locales, tout forme un tableau d'une concordance parfaite avec la région qui nous occupe.

Poursuivons.

Après l'intervention chez les Allobroges, Annibal avait continué sa marche le long du Rhône dans leur pays, et après dix jours il avait encore battu le parti inférieur, en révolte, de cette nation et s'était emparé d'un lieu fortifié au bout du premier défilé, dans lequel l'armée s'était engagée pour tourner vers les Alpes. Après cette affaire, Annibal a marché deux jours encore au milieu des Allobroges avant de rencontrer les députés d'une autre peuplade.

Qui ne voit que cet ensemble de faits écarte complètement de la zone stratégique d'Annibal et le détroit de Séchillienne, qui appartenait aux Voconces ou aux Uceni, ceux de l'Oisans ; et les détroits d'Aiguebelle et d'Hermillon en Maurienne, qui étaient aux Médulles ; et ceux de Briançon, de Pont Seran et de Beaufort qui appartenaient aux Ceutrons ; tout autant de peuplades qui n'ont point figuré dans cette affaire et dont le nom n'apparaît jamais dans le récit de Polybe.

Seul les Allobroges sont en cause dans ce combat. Peut-on supposer qu'il ait eu lieu après la sortie de leur territoire, alors qu'ils n'avaient plus intérêt à poursuivre l'armée carthaginoise, à moins de servir bénévolement les intérêts de leurs voisins, qui n'y ont pris aucune part ?

Quant au combat du second défilé, soit du Leucopetron, il a eu lieu hors du pays des Allobroges, le quatrième jour depuis le départ du lieu fortifié pris au bout du premier défilé. Polybe n'a pas donné le nom de la peuplade qui l'a provoqué par sa fourberie. Il a, toutefois, indiqué comme point de repère du passage des Alpes, trois jours après cette affaire, non le cours de la Durance, ni de l'Isère, ni du Drac, ni de la Romanche, ni de l'Arc, ni du Doron, ni de l'Arly ; mais le cours du haut Rhône, c'est-à-dire la localité où ce fleuve, encore encaissé par les arêtes des montagnes qui abritent ses sources, baigne réellement le pied de l'Alpe qu'Annibal a traversée.

Et, pour ne laisser aucun doute sur le flanc de cette Alpe, dans lequel l'armée carthaginoise s'est engagée en quittant définitivement la rive méridionale du Rhône, Polybe mentionne sur la rive septentrionale la peuplade des Ardues, dont le nom s'est conservé dans celui du village d'Ardunum, aujourd'hui Ardon, dans celui de la montagne d'Arduas, soit Ardevaz, située également sur la droite du Rhône, au sud-ouest d'Ardon. On a découvert à côté des ruines du château du Crest les restes d'un temple à Isis[37]. Il n'est point étonnant que ce coteau ait eu la préférence des premiers colons ; car c'est encore aujourd'hui le grenier du Vallais, célèbre également par ses fers et ses vins.

Polybe n'a nommé aucune autre peuplade.

Quant aux Gésates, qui allaient du Vallais en Italie au service des Insubres et des Boïens, ils ne représentaient point une nationalité distincte ; c'étaient des bandes mercenaires ; leur surnom de Gésates vient, selon Polybe, de la solde qu'ils recevaient ; selon Servius, de la forme de leurs armes ; selon d'autres, du celtique ghœs, qui signifierait combattants ou valeureux[38]. Il y en avait probablement dans le pays des Helvètes et dans celui des Allobroges. J'ai recherché dans un autre opuscule leur origine[39]. Polybe n'a pu mentionner que ceux du haut Rhône parce qu'il avait à faire un rapprochement entre leur passage, et celui de l'armée carthaginoise. II est remarquable que les corps mercenaires suisses ont continué de suivre la même route des Alpes pœnines pour les guerres d'Italie, au moyen âge.

Henri IV d'Allemagne, en 1077, le premier consul, en 1800, ont passé tous les deux avec leurs armées les mêmes Alpes pœnines et dans une saison bien plus défavorable que celle que rencontrait Annibal.

 

IX. — L'ARVE ET LE LÉMAN.

Une objection se présente ici : comment Polybe n'a-t-il pas signalé le lac Léman ou Accion sur le passage d'Annibal ? Cette omission nous oblige à discuter les autres lignes qui pouvaient mener à l'Alpe pœnine, en évitant la vue du lac.

En supposant qu'Annibal ait remonté l'Isère après son intervention chez les Allobroges, les 400 milles de marche le long du fleuve peuvent arriver à Albertville. Le passage n'a pu présenter quelques difficultés contre les débordements de l'Arly que sous les côtes abruptes des anciens châteaux de Pallud et des Lavoëx, et le lieu fortifié au bout du défilé aurait été le plateau d'Ugines. La féodalité y a laissé les ruines de cinq châteaux. De là il faut quitter toute trace de voie romaine par Megève jusqu'à Saint-Gervais. En continuant par Chamonix, Vallorcine, jusqu'à Martigny, il y a près de 100 kilomètres, qu'il eût été bien difficile de franchir en cinq jours par la montée excessivement rapide d'Héry, de Flumet, la descente de Combloux, la montée de Chède ou du Chatellard et des louches, celle d'Argentière, puis la descente de Salvant ; tout autant d'incidents dont Polybe ne dit pas le mot.

D'ailleurs il eut été bien irrationnel d'aller affronter ces obstacles pour retomber sur le coude du Rhône à Martigny, recommencer l'ascension du Grand-Saint-Bernard pour redescendre à Aoste, lorsqu'on pouvait atteindre plus facilement cette dernière, soit par la vallée de Beaufort, Roselenc et le col de la Seigne au nord du Cramont[40], soit en remontant encore l'Isère jusqu'au Bourg-Saint-Maurice pour passer le Petit-Saint-Bernard, ou jusqu'à Sainte-Foy pour passer le col du Mont et le val de Grisanche. Et ce détour suffisait à Annibal pour camper en Italie avant de rencontrer les Tauriniens au bas des Alpes cottiennes.

Mais le Jugum Cremonis (Cramont) cité isolément de Cœlius Antipater, mais les Alpes graies indiquées par Cornelius Nepos d'une manière presque aussi vague, sans antécédent ni subséquent pour compléter l'ensemble du passage, ne peuvent être opposés sérieusement comme propositions historiques au système de Polybe développé par un récit descriptif et raisonné dans une suite de vingt-huit chapitres de son histoire.

Il faut donc en revenir à la ligne du Rhône et chercher un passage intermédiaire par la vallée de l'Arve, en s'y rattachant par le cours du Fier ou celui des Usses.

Le Val-de-Fier représenterait assez le défilé où le parti vaincu des Allobroges tenta un dernier effort pour détruire l'armée carthaginoise, si cette gorge avait pu être praticable avant que les Romains y eussent tracé une voie, dont j'ai pu constater les dimensions, il y a vingt ans[41]. Les antiquités trouvées à Syon et Hauteville établissent l'importance de cette station, qui aurait pu être le lieu fortifié pris par Annibal. Mais le parcours par Nonglard, Sillingy, l'un des flancs de Mandallaz[42], Villy-le-Pellouz, Groisy, jusqu'à La Roche, présente assez de difficultés. La montée des Bornes est un obstacle ajouté gratuitement à tant d'autres ; on l'évite en prenant de Seyssel la direction des Usses comme elle est indiquée plus haut.

D'Annemasse l'armée pouvait remonter facilement l'Arve, le long de laquelle on trouve encore quelques vestiges de voie romaine[43]. Du bassin de Sallanches on pourrait remonter le Bonnant, passer les cols du Bonhomme et de la Seigne et on serait en Italie. Mais cette ligne nous écarte du haut Rhône. Il faut nécessairement traverser la vallée de Chamonix pour redescendre à Martigny, avec les obstacles signalés plus haut.

Le Leucopetron serait parfaitement topographié par le défilé entre Cluses et Magland. On le trouverait plus conforme aux mesures itinéraires entre Chedde et les Houches et plus encore à la Joux, au bas d'Argentière. Mais je me garderai d'établir un rapprochement entre le Mont-Blanc, appelé dans les chartes Rupes alba, roche blanche à cause de la neige ou de la glace, et le Leucopetron, qui n'était une roche blanche que parce qu'elle était coupée à pic[44].

Quant à la distance de 135 ou de 140 kilomètres, qui sépare soit Minzier, soit Hauteville, de Martigny par la vallée de l'Arve, il était de toute impossibilité â l'armée d'Annibal de la parcourir en cinq jours.

Seule la ligne du Chablais est possible. Seule elle ne présente, sur un parcours légèrement ondulé, que les accidents signalés par Polybe et les distances rigoureuses de son itinéraire.

D'ailleurs Polybe, en faisant prendre à Annibal la direction des Alpes, après dix jours de marche le long du Rhône chez les Allobroges, n'affirme point qu'il ait quitté la ligne du Rhône. Au contraire, il le suppose encore aux bords du Rhône, lorsqu'il a commencé la dernière ascension, celle du col qu'il a traversé.

Quant au silence de cet auteur sur le Léman, il est facile de l'expliquer. Lorsqu'on arrive des bords de la Méditerranée, qu'on a contemplé le delta du Rhône et les marais salants que ses atterrissements ont presque isolés de la mer, qu'on a contourné les larges débordements de ses branches, qui semblent former des lacs sur plusieurs points de son parcours, alors le lac Léman, qui n'a pu être aperçu dans sa grande largeur que pendant une journée de marche, n'a plus l'apparence que d'un vaste étang, comme l'appelaient au IVe siècle Ammien Marcellin, Rhodanus paludi sese ingurgitas nomine Lemano, et Festus Avienus, inserit semet vastam in paludem quam velus mos Grœciœ vocitavit Accion[45]. C'est un marais du Rhône, mara Rhodani, comme il est encore appelé dans une donation de 839 par Louis-le-Débonnaire[46]. Polybe n'a pas plus parlé des lacs marins que des lacs alpestres.

Il n'a mentionné que ce qui avait trait directement à la marche de l'armée, sans entrer dans des détails, d'ailleurs intéressants, mais qui auraient compliqué son récit et divisé l'attention, ainsi qu'il le dit lui-même. Ne lui demandons pas ce qu'il a omis volontairement (LVII, LVIII).

Mais lorsqu'il appuie sur un renseignement topographique, on peut être sûr de son importance (XXXVI, XXXVII), comme, par exemple, celui des sources du Rhône, de son retour vers le Léman, de la paroi méridionale des Alpes qui enserre ce contour, et dont les extrémités partent de l'Alpe pœnine pour diverger au nord ; c'est qu'il s'agissait du point capital de la grande question qu'il avait à traiter.

Enfin l'accord des mesures itinéraires avec les monuments et les documents historiques, la facilité du parcours, la précision topographique des points incidentiels de la marche de l'armée forment en faveur de la ligne que je propose un ensemble de preuves qui me parait devoir exclure toute hésitation.

 

NOTES.

 

Note A

L'extrémité orientale du Chablais s'appelait encore au IXe siècle de notre ère le Finage d'Hercule. On sait que la finis était une subdivision du pagus, qui lui-même était une division de la civitas. Or, dans plusieurs donations à l'église de Lausanne, en 890 et 892, on lit : in pago Genovense, in fine Hercolana, in villa Mustiniaco, ad Ladrinio, ad Logrino, etc.[47] Il s'agissait de Montigny, de Larringe, de Lugrin.

Hercule était honoré dans la plupart des passages des Alpes. Les inscriptions de la Tarentaise portent Herculi graio. Celle du col d'Amas, par lequel on venait en Maurienne, porte Herculi sans épithète[48].

Cette dénomination de Finage d'Hercule ne peut avoir eu sa source que dans quelques souvenirs de son culte, antérieurs à l'époque romaine et relatifs a des travaux considérables, ou au passage d'un Hercule, sur les vestiges duquel Annibal prétendait marcher, ou au passage d'un conducteur quelconque de bandes guerrières, peut-être du général carthaginois lui-même ; car le nom grec d'Hercule, Heracles, signifie héros célèbre et était presque générique. Les chefs d'émigrations ou de grandes expéditions passaient vite pour des demi-dieux dans l'imagination des peuples. On le verra surtout au chapitre VII.

Il n'est point étonnant qu'une voie romaine ait continué cette artère de route. Le cataclysme du Tauredunum, qui, en bouleversant le lac Léman, a causé la ruine de tant de monuments aux alentours, vers l'an 563[49], l'éboulement de montagne qui a eu lieu en 1636, et ensuite duquel l'ancien village de Hons a été englouti, ont pu, à ces différentes époques, rompre la voie romaine de Meillerée ; mais ils ne l'ont point fait disparaitre entièrement, puisque l'ingénieur de la province du Chablais en constatait encore des vestiges remarquables au commencement du XVIIIe siècle[50].

 

Note B

A l'église paroissiale de Saint-Maurice on lit cette inscription : c'est un votif a Drusus, fils de Tibère, par los quatre peuplades du Vallais, de l'an 21 de notre ère.

Elle doit se lire : Druso Cæsari domini augusti filio, divi Augusti nepoti, divi Julii ponepoti, auguri, pontifici, quæstori, flamini augustali, consuli secundum, tribunicia potestate secundum, civitates quatuor Vallis pœninæ.

On lit cette autre au cabinet de Vérone :

Elle peut se lire ainsi : Quinto Cæcilio Gisiaco Septicio Picæ Cæciliano procuratori augustorum et prolegato provinciæ Rhætiæ et Vindeliciœ et Vallis pœninœ, auguri, flamini divi Augusti et Romœ, Caius Ligurius filius Ligurii Voltinia tribu Asper centurio cohortis primœ civium romanorum ingenuorum.

J'ai publié dans un autre ouvrage[51] une inscription romaine qu'on peut lire encore à Villette (Savoie), et dans laquelle il s'agit d'un jeune homme, d'origine africaine, mort dans la vallée pœnine, VALLE PŒNINA VITA FUNCTI, et dont les restes avaient été transportés à Brigantio chez les Centrons.

On lisait autrefois celle-ci dans l'église du bourg de Saint-Pierre :

Ismaelita cohors Rhodani cum sparsa per agros

Igne, fame et ferro sœviret tempore longo,

Vertit in hanc Vallem pœninam messio falcem,

Hugo prœsul Genevœ Christi post ductus amore

Struxerat hoc templum Petri sub honore sacratum,

Omnipotens illi reddat mercede perenni,

In VI decima domus hœc dicata kalenda

Solis in octobrem C. V. f.... iter.... escensio mensem[52].

Cette dernière ligne se complète ainsi : cum vergit feliciter descensio solis in menseni octobrem.

Hugues, neveu de Rodolphe III, roi de Bourgogne, était évêque de Genève en 994 et vivait encore en 1020.

Ce nom de Vallée pœnine, qui, du XIe siècle remonte aux premiers monuments romains, date évidemment du passage de l'armée pœnine ; c'était la tradition romaine, ainsi que l'attestent Tite-Live, Pline, Ammien Marcellin, Isidore de Séville, etc.

Mais il y a un autre fait qui ne peut s'expliquer que par la colonisation des bandes retardataires de cette armée ; c'est le caractère hétérogène des noms de plusieurs localités.

Arrivé en Italie, Annibal n'avait plus que 26.000 hommes, c'est-à-dire, une bonne moitié de l'armée qui lui était restée après le passage du Rhône (LVI, LX). Polybe signale, parmi les causes de cette diminution, la difficulté de trouver et de transporter des vivres pour tant de monde, surtout au sommet des Alpes. Si le courage manquait déjà à quelques-uns après le passage du Rhône, quel ne devait pas être leur abattement, en remontant les gorges du Vallais, après toutes les pertes subies dans une lutte continuelle ? C'est au point que plusieurs, accablés de fatigue et de misère, se laissaient mourir, dit Polybe ; comme naguère les Arabes, ajouterons-nous, pendant les Iléaux qui ont affligé dernièrement l'Algérie. Admettons que cette apathie soit un fruit du fatalisme mahométan, et que les soldats d'Annibal aient succombé sous le climat du Grand-Saint-Bernard, qui, à la fin de septembre, devait être une rude épreuve pour des Africains et des Espagnols.

Il est vraisemblable toutefois qu'au milieu de ce découragement et de cette désolation, un certain nombre n'aient pas attendu cette extrémité et soient demeurés là où ils pouvaient encore espérer de vivre. Peut-être quelques corps se sont-ils fourvoyés en prenant leur route le long des deux Dranses collatérales au lieu de suivre celle du milieu, ou même en remontant le Rhône et ses autres affluents, sans pouvoir rejoindre le gros de l'armée pendant les deux jours de repos qu'elle prit au sommet de l'Alpe (LIII) ?

Cette colonisation forcée a dû, en prenant consistance et accroissement, importer là sa nomenclature ethnographique, que nous pouvons reconnaître en la rapprochant de ses sources.

L'armée d'Annibal se composait d'Africains et d'Espagnols ou ibéro-ligures (XXXIII, XXXV). On sait que les Carthaginois étaient une colonie phénicienne et qu'eux-mêmes et les Ibères ont peuplé en partie l'Espagne et l'Aquitaine[53]. De là les rapports nombreux entre les langues ibériques et sémitiques. L'étude comparative peut donc embrasser tout le littoral de la Méditerranée depuis l'Orient jusqu'au fond de la Gaule. Strabon, dans les quatre premiers livres et les trois derniers de sa géographie, Pline, dans les livres III, V et VI de son histoire de la Nature, Ptolémée, dans les livres II, 1V et VI de sa géographie, Polybe et la Table théodosienne nous fourniront les noms de cette zone qui paraissent avoir inspiré ceux du Vallais ou du haut Chablais.

Noms africains ou ibériques.

Noms du Vallais ou du Chablais.

Acci, Acina, Ace, Acon,

Accion lacus (Festus Av.)

Aggar, Agareni,

Agaren.

Aïn,

Ayen.

Alasa,

Ales.

Andanis,

Antagne.

Banasia, Baniuri, Bœnœ,

Bannes ou Bagnes.

Barce, Bargiacis, Bargusii,

Barges.

Basi,

Baz, puis Bex.

Belon,

Bélon.

Bendena,

Badagnes.

Cataonia,

Catogne.

Charax,

Charaz.

Conchilium, Concia,

Conches.

Contestantia,

Contextris Conthey (chart.).

Gerunda,

Géronde.

Mons Heren,

montagne d'Hérens.

Hermœ,

Hérémance.

Ileris, Illuro Illiberis, Ilices,

Illiez.

Illarci, Illergetes,

Illarse.

Lancia,

Lans.

Leucoë, Leuci,

Leucon, Leuk.

Lydda,

Lidde.

Magoa,

Mage.

Maxilua, Maxula,

Maxilly.

Mazara, Mesa,

Mazéria.

Mellaria,

Meillerée.

Murgis,

La Morges, Morgin.

Nande, Nensa,

Nenda.

Nasamones,

Nasimbres.

Rarungœ,

Rarogne.

Salacia,

La Salanche.

Salica, Salacus,

Saignes.

Saliunca,

Saillon.

Sarcoë,

Sarquène.

Sedetani, Setiensis,

Sitten.

Sideni, Sidonœ,

Seduni (Pline, Inscript.).

Sidon, Sidonia,

Sedunum, Sion (Not. Gall.).

Sidri,

Sidrium, Sierre (chartes).

Tamanuna, Thema,

Temeni (Fest. Av.).

Taronda, Taruda,

Tarnade (Itin. Ant.).

Taranei, Tarne, Tamis,

Tarnaias (Tab. Theod.).

Trieron,

Trient.

Tulinsii,

Tylangii (Festus Av.).

Velienses, mons Valva,

mont Vélan.

Verbicœ,

Verbier.

Vezei,

La Vieze.

Vibienses, Vibisci,

Vibisco, Vevey (Itinér.).

Vobrix,

Vouvry.

Volgesia,

Volège.

Je suis loin de donner ce tableau pour complet, encore moins comme décisif. L'orthographe des noms prise dans les chartes du moyen-âge pourrait l'augmenter ou le diminuer. C'est un sujet d'études que je propose et dont l'importance historique me parait frappante.

En admettant que quelques noms doivent être attribués à l'invasion sarrasine ou ismaélite du Xe siècle, comme, par exemple, Algaby, Agarn, Ayen, etc., il faut reconnaître aussi que ces hordes ont marqué leur passage par des dévastations, que leur nom n'a point succédé à celui des Pœni, conséquemment que leur colonisation ne peut avoir eu l'importance de celle des Carthaginois.

D'ailleurs les noms mentionnés par Jules César, Pline, Festus Avienus, les inscriptions et les itinéraires d'Antonin et de Théodose, qui représentent toute l'époque romaine, ne peuvent être attribués qu'à des établissements antérieurs.

Je n'ai point parlé du nom de Brigue, quoique le mot de briga entre dans la composition d'un grand nombre de noms espagnols ; mais comme on le trouve en Gaule sous cette forme et celle de Briva, il parait plutôt celtique. Il en faut dire autant d'Octodurum (Martigny), que l'on voit aussi en Espagne, en Angleterre et en Allemagne.

Polybe mentionne au nord du Rhône les Ardues, dont le souvenir s'est conservé dans Ardon et Ardevaz. Mais du temps de César, ils ne figurent plus comme peuplade autonome ; les Seduni tiennent leur place et luttent contre Sergius Galba avec les Véragres et les Nantuate[54]. D'où venaient donc les Seduni ?

Ptolémée et Strabon signalent des Sidones et des Sidoni en Germanie, des Sidonai, Sideni, et une ville Sidonia en Afrique et en Arabie. C'étaient des colonies de Sidon en Phénicie.

Les Seduni du Vallais étaient-ils germains, et outils été laissés là par l'invasion cimbrique, qui a passé les mêmes Alpes qu'Annibal pour aller se faire exterminer à Verceil par Marius ? ou étaient-ils africains et sont-ils restés là comme corps égaré de l'armée carthaginoise ? — Les Cimbres venant du nord, vainqueurs des Helvètes, n'ont point dû souffrir en passant les Alpes pœnines, comme l'armée d'Annibal venant des pays chauds affronter l'hiver des plus hautes montagnes au centre de l'Europe. Le culte d'Isis n'a pu être introduit prés d'Ardon que par des Africains.

Quant aux Nantuates et aux Véragres, cités par Jules César et Pline, leurs noms paraissent d'origine celtique ; celui des premiers de nain, cours d'eau, à cause de leur situation à l'embouchure du Rhône dans le Léman — Nantua de l'Ain tire probablement son nom d'une position identique au bord de son lac —. Le nom des Véragres a quelque parenté avec ceux des Veruni, Veromandui, Verodunenses, etc., tous de la Gaule belgigue et conséquemment sémi-germains, comme Tite-Live l'assure des Véragres. Il est probable que, sans les avoir nommés, Polybe les a suffisamment indiqués, les premiers comme ayant provoqué l'affaire du Leucopetron, les seconds comme ayant poursuivi les corps isolés de l'armée lors de la dernière ascension des Alpes. Mais la faiblesse mime de ces attaques (LIII) accuse le peu d'importance de cette peuplade, dont, pour ce motif, Polybe ne donne pas le nom. S'il mentionne les Ardues, c'est qu'ils tenaient probablement alors le premier rang, comme ils occupaient la meilleure position, puisque leur pays est encore aujourd'hui le grenier du Vallais.

Il ne parait pas qu'Annibal ait eu à souffrir de leur part, car il suivait la rive opposée du Rhône et, à peine arrivé en vue de leur territoire, il a continué au sud par la Dranse[55].

Le sémi-germanisme des Véragres, que Tite-Live oppose à l'origine carthaginoise du culte de Pœninus, n'est point un motif de rejeter la colonisation d'un certain nombre de familles africaines ou ibériques, qui ont laissé là des traces non équivoques de leur séjour et qui peuvent avoir été les premiers partisans de ce culte.

Il est remarquable que la plus grande partie des noms qui paraissent d'origine méridionale, se rencontrent sur la route d'Annibal, et que les noms de localités du haut Vallais trouvent plutôt leurs similaires dans la Rhétie, l'Illyrie et la Thrace. C'est ainsi que les Narresii ont pu coloniser Narrés, aujourd'hui Naters ; les Sassœi, Saass ; les Vispi, Visp ; Arbas, Arbaz. L'observation que j'ai faite sur l'origine des Seduni pourrait s'appliquer encore à Sidrona pour Sidrium et Siders, Salona pour Saillon, Hœmos pour Huemoz, Charax pour Charaz, Vegia pour Viège, etc.

Nous voyons également dans l'Illyrie les Arduœi, dont le centre était Ardotion, sur les bords du fleuve Ardaxanos.

Enfin Caton affirmait que les Viberi, habitants du haut Vallais, étaient une branche des Lépontiens de l'émigration taurisque, les autres, de l'émigration grecque[56].

Aussi, bien que le nom de pœninus affecte tout le Vallais, il s'applique spécialement au passage du Grand-Saint-Bernard, dans le texte des historiens et des géographes de l'époque romaine.

 

Note C

Vingt-quatre inscriptions, Tite-Live, Ptolémée, Pline, Ammien Marcellin, l'Itinéraire d'Antonin, le Libellus provinciarum romanarum, la Notice des dignités de l'Empire, Zosime, Isidore, Paul Orose, etc., ont conservé l'orthographe pœninus. Tacite, la Notice des Gaules et la Table Théodosienne font défaut à cette unanimité.

Il est vrai que la seule copie de cette dernière a été faite en lettres gothiques du XIIIe siècle, avec l'usage du moyen âge de ne laisser qu'un e à la place des æ et œ ; comme pretorium Agrippine, Augusta pretoria, Aque populanie, etc.

Il en est de même de la notice des Gaules, dont les copies sont du IXe au XVe siècle, et renferment des irrégularités comme celles-ci : in alpium gratiarum et pinninarum, Alpes graiarum et pinninarum, Arentasia, Tarrasia et Dratasia pour Darentasia, etc.

Quant à l'Itinéraire d'Antonin, le manuscrit de Paris du Xe siècle porte pour la station du sommet de l'Alpe summo pœnino, celui de Vienne du VIIIe et celui de Rheims du XVe portent appœnnino, celui du Vatican du XIVe, appurnino, celui de l'Escurial du XIIIe, pennino, etc. On comprend facilement la confusion qui a pu avoir lieu des Alpes pœnines et de l'Appenin sous la main des copistes de cette époque qui écrivaient, Rame, Consedie, Novessie, Brui sare, Lotitia, etc., pour Ramœ, Cosediœ, Novesio, Brira Isarœ, Lutecia, etc.

L'orthographe de Alpes pœninœ est donc bien la plus authentique, puisqu'elle a pour témoins la grande majorité des historiens et des géographes anciens et tous les monuments romains.

En affirmant que Pœninus était le nom du dieu adoré sur cette montagne, Tite-Live, loin de l'affaiblir, confirmait la tradition sur l'origine de cette appellation.

Mais, dit-on encore, si ces Alpes avaient dû retenir le nom des Carthaginois, le terme propre aurait été pœnicœ ou punicœ[57].

Constatons d'abord que Ptolémée les appelle invariablement Alpes pœnœ, les Alpes des Pœni. Il n'emploie le diminutif pœninos que pour le lac de cette montagne, d'où sort l'une des sources de la Doire-Baltée[58].

La langue latine est riche et logique dans la variété de ses désinences. L'épigraphie de nos Alpes reproduit les mots de Alpicus, qui signifie un montagnard, Alpensis, un citoyen de la province des Alpes, Alpinus, un homme originaire des Alpes ; de là les Cohortes alpinæ de la Notice de l'Empire, les Gentes alpinæ de Pline. Cette dernière finale est un diminutif qui exprime l'idée d'œuvre ou de produit, par exemple, plautinum, ce qui vient de Plaute, conséquemment de filiation de famille, Marcellinus fils de Marcellus, de filiation de patrie, Saloninus un natif de Salona, et, par analogie, de possession ou de territoire, Alpes Tridentinœ, les Alpes de Trente, etc.

Toutes ces nuances d'idées se trouvent réunies dans le surnom qui nous occupe.

La vallée et l'Alpe pœnine étaient une seconde patrie pour !es descendants des Pœni. Le souvenir de leur chef, que Tite-Live, Aulu-Gelle, Silius Italicus, etc., nomment quelquefois simplement Pœnus[59], s'est identifié avec les Alpes, dont le passage a fait sa gloire ; appelées conséquemment Pœnœ par Ptolémée, Pœninœ par les autres. Dans les traditions locales, ce héros est devenu le génie de la contrée. On a cru qu'ayant surmonté tant d'obstacles, son ombre pourrait protéger ceux qui les affronteraient après lui. Le Pœnus a été placé sur les autels sous le nom de Pœninus, comme Quiris, Romulus ou la première lance romaine, l'avait été sous le nom de Quirinus[60].

Ce culte ne pouvait avoir pour auteur que les habitants du Vallais, comme l'atteste Tite-Live ; toutefois Romains et Gaulois font pratiqué à leur passage sur cette Alpe sans trop s'inquiéter de son origine ; car ils ont fini par le confondre avec celui de Jupiter. On peut s'en convaincre par la lecture des inscriptions votives du Grand-Saint-Bernard, que nous donnons ici d'après Mommsen, Boccard et Orelli. (Inscript. helv.)

J'omets plusieurs fragments trop incomplets pour faire autorité. La seule inscription donnée sans l'orthographe pœninus n'existe plus, et il est probable quo la leçon était erronée, publiée à une époque où l'on n'attachait pas d'importance à l'exactitude de la lecture épigraphique[61].

 

Note D

En comparant l'Itinéraire d'Antonin et la Table Théodosienne on pourrait présumer que la distance de 3( milles, donnée par cette dernière entre l'Alpe pœnine et Aoste, a été mesurée après un nivellement qui aura allongé la voie romaine, auparavant beaucoup plus courte ; car l'Itinéraire d'Antonin ne porte entre ces deux stations que 25 milles, qui correspondent assez aux mesures actuelles. C'est probablement cette ligne primitive qu'a suivie Annibal avec tant de difficultés. Or, cette distance de 25 milles ou 37 kilomètres a pu être franchie en deux jours, même avec les obstacles décrits par Polybe.

Ce qui viendrait à l'appui de cette hypothèse, c'est que l'armée n'a eu à souffrir de la neige que pendant les deux premiers jours de descente, et que deux particularités marquent le second campement depuis le départ du sommet, ce sont l'absence de la neige et la facilité des pâturages (LV). C'est dons dans la plaine d'Aoste qu'il a dû avoir lieu.

L'envoi à tour de rôle des corps de Numides pour rendre la route praticable aurait été motivé par les défilés entre Villefranche et Nus et près de Chambaye. La marche du troisième jour dé descente se compterait donc par les 20 milles qui distancent Aoste de Châtillon ou plutôt de Saint-Vincent. Ce bassin pittoresque, si fréquenté aujourd'hui pendant la saison de son établissement thermo-minéral, aurait été considéré comme le pied des Alpes.

Jusque-là en effet, l'armée longeait toujours de l'ouest à l'est le bas de la même chaîne qu'elle venait de traverser, et que Polybe indique par le nom de région subalpine. Ce n'est qu'au détour de Saint-Vincent qu'on laisse définitivement les Alpes pœnines pour prendre la direction du sud par Mont-Jovet, et même ce n'est guère qu'après une descente jusqu'à Bard qu'on se figure être réellement en Italie.

Ces observations ont leur valeur et, loin d'infirmer le système que je soutiens, elles ne tendent qu'à l'appuyer en rapprochant la descente des Alpes du bassin du Pô. Car de Saint-Vincent il ne restait que 28 milles à parcourir pour arriver à Ivrée, en pleine région circumpadane.

 

Note E

Après avoir reproduit l'inscription de la Turbie, où étaient énumérés les 40 peuples des Alpes soumis par les lieutenants d'Auguste, Pline continue : Non sunt adjectœ XII cottianœ civitates quæ non fuerunt hostiles item attributœ municipiis lege pompeia[62].

Or, de ces douze peuplades cottiennes, l'inscription de l'arc de triomphe de Suse en donne huit ; ce sont les Segovii, ceux de Seug, de Siguin ou de Souchève ; Segusini, ceux de Suse ; Belaci, de Boulac ; Tebavii, de l'Ubaye ; Savincates, de Savoulz, de Jouvençaux ou de Savines ; Venicami, des environs de Briançon, appelés aussi Venisami ; Immerii, de la Meyronne ou de la Maïra ; Quadiates, de Queyras, qui s'est appelé aussi Quadratium.

Parmi les six autres noms, on remarque les Ebrodontii, ceux d'Embrun ; les Caturiges, de Chorges ; les Uceni, de l'Oisans ; les Medulli, de la Maurienne ou du Dauphiné, qui figurent à la Turbie parce qu'ils ont été hostiles sous Auguste.

La même inscription de Suse ajoute : et civitates quæ sub eo prœfecto fuerunt ; ces peuplades non mentionnées devaient être les Graioceli, ceux d'Ocelum, de la Chiusa et d'Usseglio ; les Tricorii, ceux de Trièves et de Corps ; peut-être encore les Acitavones, dont la situation n'est pas fixée.

Huit de ces peuples se trouvaient sur la ligne du Mont-Genèvre, trois autres s'y rattachaient par les affluents de la Durance ou de la Doire ripaire.

Il est probable que ces peuplades n'ont été organisées en municipes romains par Pompée que parce qu'il les avait soumises lors de son expédition contre le parti de Sertorius, et leur position géographique marque évidemment l'itinéraire de Pompée par les cours de la Doire et de la Durance.

La proposition que j'ai émise sur le passage d'Asdrubal est tout hypothétique, mais assez vraisemblable.

La Notice des Gaules — manuscrits du Xe au XIVe siècle — mentionne dans la province des Alpes graies et pennines le vicum Morienna, soit la civitas Morigennensium. Les établissements sarrasins n'avaient pu encore acquérir l'importance d'une cité romaine au siècle même de leur arrivée. D'ailleurs le manuscrit de Thou porte Civitas Morienna a Gundrano rege Burgundionum constructa. C'est en 564 que Gontran, roi d'Orléans et de Bourgogne, fit construire la cathédrale de Maurienne.

Les récits de Grégoire de Tours et de Frédégaire, ainsi que la limitation des diocèses d'Embrun et de Maurienne, établissent les titres de la cité et du diocèse de Maurienne au VIe siècle[63]. C'est donc à un fait contemporain, au moins de l'époque romaine, qu'il faut attribuer cette dénomination.

Et, en l'absence de tout document qui le précise, il est permis de le considérer comme antérieur ; surtout si les comparaisons ethnographiques viennent préter à cette conjecture l'appui d'une grande probabilité.

En suivant la même méthode que pour la vallée pœnine, nous trouvons les rapports suivants entre les noms africains et ibériques et ceux de la Maurienne et des Alpes cottiennes.

Les Auscii, Auxinus, Auzina, Ausum, semblent avoir inspiré Auxois ; Brigœcium et les Brigœcini, Brigantium et les Brigiani ; Mediolum, les Medulli ; Munda, Modane ; Seguntia, Suse ou Segusio et Secutium ; Segovia, les Segovii ; Exilissa, Exiles ; Usilla, Usellis, Usseglio ; Ocellis, de l'Arabie, et Ocellum, de l'Espagne, notre Ocelum, aujourd'hui la Chiusa ; Lancia, nos deux Lancia, aujourd'hui Lanz et Lanzo ; Pline réunit même ces deux localités d'Espagne, Ocelenses qui et Lancienses, comme elles se suivent dans nos Alpes, où l'on trouve Lanz, Usceglio Lanzo et Ocelum[64].

Tout près la ville de Cottœbriga semble réunir les radicaux de notre Brigantio in Alpe cottia. Le territoire de Cottina était riche en airain.

A l'extrémité occidentale de la Mauritanie, la ville et la montagne de Cottis rappellent aussi l'Alpe cottienne qui domine la Maurienne. Elle était suivie du mont Bela ; il y avait deux villes Bœlio et Belia en Espagne ; d'où peut-être nos Belaci.

En affirmant de nouveau que les deux Carthages d'Afrique et d'Ibérie (Espagne) étaient des colonies phéniciennes, Strabon ajoute que l'île de Cothon servait de port à l'ancienne Carthage[65]. Les colonies phéniciennes ont rayonné probablement dans les régions ibériques de l'Asie, où l'on voit non seulement une autre Carthage, mais les villes de Cotœ et Cotœna, cette dernière dans la préfecture de Mourianes.

L'Alpe cottienne n'a d'abord été que celle du col d'Amas ; car Ptolémée n'attribuait aux Alpes cottiennes qu'Oscella, Usceglio ; encore la confondait-il avec celle des Lépontiens, Domodossola.

Quant à l'origine de ces noms, il est juste d'ajouter que les géographes anciens mentionnent également Ucelum, Uxella et Uxellum dans la Grande-Bretagne, Brigantium, Medullum, Secantium en Vindélicie, les Cottensii dans la Dacie, et que Cotys était une divinité des Thraces.

Je n'ai point parlé de la Durias espagnole qui rappelle les Duria des vallées d'Aoste et d'Oulx, le Doron de la Maurienne, etc., parce que c'était un mot générique appliqué à un grand nombre de cours d'eau dans l'Inde, la Grèce, les Gaules et surtout dans les Alpes.

Je signale, sans en faire un argument, les rapports onomastiques de Albinen, Bramois, Chamoson, Chermignon, Lans, etc., du Vallais, avec Albane, Bramans, Chamoux, Chamousset, Charmaix, Thermignon et Lans de la Maurienne.

Je ne m'arrête qu'un instant sur l'un de ces noms : Chamo dans la basse latinité signifiait terre inculte. Je ne puis m'empêcher cependant de faire remarquer que les habitants de l'Égypte, appelée la terre de Ham ou Cham[66], adoraient le chef de leur race sous le nom de Chamoz, dont le culte s'est confondu, comme ailleurs, avec celui de Jupiter, appelé ainsi Hamon ou fils de Ham[67]. Les peuplades maures élevaient leurs rois au rang des dieux, comme le pratiquaient les Romains pour Romulus et les Césars[68].

Encore une fois, je n'expose ici que des conjectures ; il n'entrait pas dans mon dessein de traiter du passage de Pompée, encore moins de celui d'Asdrubal. L'occasion seule m'a amené à proposer ces rapprochements ethnographiques, auxquels j'ai cherché ailleurs une solution[69].

 

Note F

Sans être absolument nécessaire à la thèse du passage d'Annibal par les Alpes pœnines, la preuve du passage des Gésates par les mêmes montagnes y est étroitement liée et, comme je l'ai remarqué déjà dans le chapitre IV, Polybe semble les donner comme deux faits corrélatifs (Deuxième livre, chap. XIV, XV).

C'est toujours dans la région transpadane que les Gaulois inalpins ou Gésates arrivent au secours des In-sobres et des Boïens (XXI, XXII). Ils sont en bataille avec les Taurisques et les peuplades du nord du Pô (XXVIII).

Il en est tout autrement du courant gaulois venant du sud-est, comme les Anamari, colonie grecque des environs de Marseille, qui n'était point Gésate (XXXII).

Dans la campagne suivante qui s'ouvrit entre le pays des Cénomans et celui des Insubres, sur les bords de l'Adua, ceux-ci appelèrent encore à leur secours les Gésates (XXXIV, XXXV), qui arrivèrent des Alpes du nord ; ce n'est qu'en remontant assiéger Acerra que les Romains crurent localiser la guerre où elle commençait et empêcher le débordement de ces peuplades au sud. Mais l'ennemi descendit à Clastidium pour enfermer les Romains entre le Pô et les Alpes du nord. La lutte se termina par la prise d'Acerra, puis de Milan aux Insubres, et les Gaulois s'échappèrent au nord dans les montagnes d'où ils étaient venus.

Amis des Romains, les Tauriniens auraient pu arrêter les Gésates, si ceux-ci avaient traversé les Alpes cottiennes. Mais jamais les Tauriniens n'apparaissent dans cette lutte, parce que les Gésates venant des Alpes pœnines par le pays des Salasses, eux-mêmes éternels ennemis des Romains, évitaient complètement la rencontre des Tauriniens, en prenant leur route par Ivrée et Verceil.

Dans le livre troisième, on voit qu'Annibal, provoquant les ambassades des Insubres et des peuples alpins, exploitait par de larges promesses leur haine pour les Romains, envenimée par la guerre précédente, que Polybe venait de raconter (XXXIV). Cet auteur rappelle enfin que les Gaulois avaient traversé avec des armées plusieurs fois et tout dernièrement, dans les circonstances racontées plus haut, les mêmes Alpes, dont le passage par Annibal paraissait si étonnant (XLVIII).

 

Une objection contre la ligne de Grand-Saint- Bernard s'appuie sur cette observation : Annibal, en général expérimenté, ne se serait pas exposé à passer l'Alpe pœnine à la fin de septembre ou au commencement d'octobre. Les Alpes cottiennes ou graies seules pouvaient rigoureusement être traversées à cette époque.

La première partie de cette remarque est vraisemblable. Je pense aussi qu'Annibal avait le projet (le traverser les Alpes à la fin du mois d'août ou au commencement de septembre au plus tard pour aller passer l'hiver au centre de l'Italie, où il est très supportable et même plus favorable aux évolutions militaires.

Mais le général carthaginois n'a pu prévoir ni l'arrivée des troupes romaines vers les bouches du Rhône, ni toutes les difficultés du passage de ce fleuve, encore moins son intervention chez les Allobroges, les entraves et les pertes dans les combats des deux défilés ; tout autant d'incidents qui ont allongé sa marche d'une semaine ou deux et l'ont forcé de passer les Alpes à l'approche du coucher des Pléiades (LIV), c'est-à-dire vers la fin de septembre pour cette époque, ainsi que l'a démontré avec beaucoup d'érudition M. le comte de Vignet[70].

Fût-ce même dans le courant d'octobre, il n'y avait là rien d'impossible, puisque, comme je l'ai rappelé, les mêmes Alpes ont vu passer Henri IV de Germanie avec toute sa cour, au commencement de janvier 1077 et l'armée française en mai 1800. Au passage d'Annibal la neige venait seulement de tomber. Au passage de Napoléon l'hiver y était encore en pleine possession[71]. Dans les deux expéditions la descente présenta plus de difficultés et de dangers que la montée. Le glacier presque perpendiculaire sur lequel le premier Consul dut opérer la sienne, rappelle beaucoup ce glacier si rapide, couvert de moraines et long de trois demi-stades, qui causa tant de fatigues et de pertes à l'armée carthaginoise (LIV, LV).

 

Note G

Cornelius Nepos dit qu'Annibal passa le Saltus graius, ainsi appelé d'Hercule le grec, le seul qui l'eût passé auparavant[72]. Mais, comme primitivement le nom d'Alpes graies a été donné à toute la chaîne des Alpes, d'après les témoignages de Pline, de Ptolémée et d'Ammien Marcellin, l'assertion de Cornelius Nepos a besoin d'explication.

Dans sa harangue pour la bataille du Tessin, Scipion tournait en ridicule la prétention d'Annibal d'être l'émule d'Hercule en surmontant les Alpes[73].

En dehors de l'exagération poétique des auteurs anciens aux dépens de l'exactitude historique, il peut y avoir quelque chose de vrai dans le rapprochement fait entre Hercule et Annibal.

Les sociétés antiques étaient traditionnellement religieuses. Si le naturalisme devint la forme extérieure à peu près universelle de leurs sentiments, quoique variée selon les cultures diverses, c'est que, n'ayant entre elles aucun foyer central de civilisation, et n'entendant aucune voix assez autorisée pour servir de règle, elles obscurcirent l'unité de principe et confondirent souvent l'esprit et la matière.

Il faut remonter les âges pour voir l'héroïsme élevé sur les autels comme un reflet de la divinité. La plupart des héros célèbres étaient des Hercules. Varron en compte quarante-trois.

Avant la création des grands réseaux itinéraires chez les Persans et les Romains, la traversée des montagnes avec des armées devait paraître un fait extraordinaire.

1° Selon Ammien Marcellin, Hercule-le-Thébain, débouchant des Alpes taurisques, se serait dirigé vers l'extrémité méridionale des Alpes, où se trouvait le Pontus, appelé depuis Herculis et où s'est élevé le temple isolé Monos oicos, Monaco[74]. Selon d'autres, ce serait en venant de l'Espagne qu'il aurait laissé à cette ligne le nom de via Herculis avec le souvenir de son culte[75]. Aucun auteur, que je sache, n'a indiqué la route d'Annibal le long de la mer ligurienne. Toute cette région a pris le nom d'Alpes maritimes dans l'organisation des provinces de l'Empire.

2° Selon Cornelius Nepos, le passage de cet Hercule aurait eu lieu au Saltus, appelé pour cela Graius. On a découvert, dans la vallée de la haute Isère, plusieurs inscriptions à Herculi graio[76].

Mais, s'il en faut croire Pline, le même Hercule, tout en passant les fauces graias, soit le petit Saint-Bernard, aurait laissé des colonies grecques dans toute la chaine des Alpes, depuis les Euganiens, habitants des monts Eugènes aux sources de l'Adige, les Lépontiens aux sources du Tessin, etc., jusqu'aux Alpes maritimes[77]. Le texte qui porte Graios positos in transitu parait même devoir s'appliquer d'une manière spéciale aux Graioceli, les Grecs du passage ; c'est ce que signifie ocelum, ouverture. Sur la route, du col d'Amas on a découvert une inscription à Herculi et les restes d'un monument[78]. Cette Alpe a reçu depuis le nom de Conienne, qui s'est étendu au Salins taurines, soit le mont Genèvre.

Mais le souvenir des Alpes graies n'en persistait pas moins, puisque Ptolémée plaçait encore Segousiom, Suse, Brigantioni, Briançon, Ebarodounum des Caturiges, Embrun, dans les Alpes Braies, aussi bien qu'Axima et Foros Claudiou des Centrons[79].

Les sections de toute cette chaine ont porté plus tard les noms d'Alpes pœnines du Simplon au Mont-Blanc, d'Alpes ceutroniques jusqu'au Mont-Iseran[80], d'Alpes cottiennes jusqu'au Mont-Viso, d'Alpes maritimes jusqu'à la mer.

Dans l'organisation provinciale de l'Empire, Embrun devint la capitale des Alpes maritimes. La province des Alpes graies et pœnines comprit le Vallais, la Tarentaise et quelque temps la Maurienne avec Suse et Briançon[81]. Quelque temps ces trois dernières vallées ont été réunies à d'autres cités de cette région pour former la province des Alpes cottiennes.

Quant à la route d'Annibal, Tite-Live la place au Saltus taurinus, Cornelius Nepos au Saltus graius, Cœlius Antipater au Cremonis jugum. On a vu plus haut toutes les incohérences et toutes les contradictions qui sapent par la base les trois systèmes de la Durance, de l'Isère[82] et du col de la Seigne. Mais comme tous ces passages ont fait partie des Alpes graies primitives, il est possible que ces témoignages aient une autre valeur que celle qu'on leur attribue.

Pline, tout en accordant à Cornelius Nepos le passage d'Hercule par les fauces graias, réserve celui d'Annibal par les fauces pœninas. Et, si Annibal a été l'émule d'un Hercule, ce doit être un autre que celui des Grecs et des Romains.

3° Hercule était honoré spécialement chez les Phéniciens, qui ont transporté son culte à Carthage[83]. L'Hercule tyrien avait ouvert la route à leur colonie de Gadès ; car il est venu mourir en Espagne[84]. C'est probablement de lui que Lactance disait : quasi Africanus inter deos habetur[85]. Je n'ai à discuter ici ni la fondation d'Héraclea à l'embouchure du Rhône, ni celle d'Alesia, qu'on lui attribue, ensuite desquelles il aurait passé les Alpes aux sources du Rhône. Mais, lorsque Annibal offre des sacrifices en l'honneur d'Hercule dans le temple de l'île de Gadès, qui servait de port central au commerce de Tyr, il faut bien reconnaître les aspirations nationales, qui s'harmonisaient toujours chez les anciens avec les sentiments religieux[86]. On peut croire que les supplications faites pour toute l'armée après le passage du Rhône étaient la suite des promesses faites à Gadès (XLIV).

Polybe le remarque à peine. Commandant d'un corps de cavalerie dans la lutte désespérée de la Grèce, que ses dieux n'avaient pu sauver ; presque témoin des derniers revers d'Annibal, que la fortune avait trahi, ce Grec des derniers temps n'était point disposé à admettre le prestige religieux dans une expédition dont il étudiait les péripéties quarante ans après la mort de son héros (XLVII, XLVIII).

Mais Polybe raconte, discute et décrit, jour par jour, la marche d'Annibal le long du Rhône jusqu'en Vallais. Et, si nous trouvons à l'entrée de cette vallée le culte d'Hercule, au milieu des stations ibériques ou africaines, comme Maxilly, Menterie, Leucon, Vouvry, etc., nous n'aurons plus de doute sur l'origine de cet Hercule et sur l'itinéraire carthaginois. Alors, que les votifs à Phœnino ou Pœnino de l'Alpe pœnine s'adressent à l'Hercule phénicien ou à son émule, la conclusion sera la même.

Mais nous préférons la seconde solution ; car, dans l'hypothèse de la première, Polybe aurait connu et articulé le nom des Alpes pœnines, dés qu'il l'a fait pour les Ardues. L'appellation d'Alpes pœnines était donc moderne, et son histoire, en précisant le col traversé par les Carthaginois, a peut-être contribué avec la tradition locale à lui faire donner ce nom d'Alpe pœnine.

La province des Alpes graies et pœnines a été quelquefois désignée tout simplement sous le nom d'Alpes graies[87].

Alpes graie. Provincia alpium graiarum et peninarum habet civitates numero II : metropolis civitas Ceutronum, id est Tharantasia ; civitas Vallensium, id est Octodorum.

In provincia alpium graiarum civitates sunt due : civitas metropolis Ceutronum, id est Tarentasia ; civitas Vallensium, il est Octodorum.

Si cette appellation simplifiée était une réminiscence de l'émigration grecque qui avait couvert toutes ces Alpes bien avant l'expédition carthaginoise, les termes employés par Cornelius Nepos pour Hercule le grec bien antérieurement à la Notice des Gaules, pourraient, à plus forte raison, avoir été un autre souvenir de cette colonisation grecque ; dans ce cas, l'indication poétique de l'Alpe grecque pour le passage d'Annibal n'aurait plus la précision qu'on lui donne habituellement, selon la division postérieure des Alpes que j'ai marquée plus haut.

Quoi qu'il en soit, l'affirmation raisonnée de Polybe n'a pas besoin de ce témoignage, corroborée qu'elle est par ceux de Tite-Live, de Pline, d'Ammien Marcellin, d'Isidore, etc., par l'interprétation de plus de vingt inscriptions romaines et de la nomenclature des géographes et des itinéraires anciens.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 

 



[1] Am. Marcellin, Rerum gest., XV, XI.

[2] Firmin Abauzit, Œuvres diverses, II, 154.

[3] Deluc, Histoire du passage d'Annibal, 2e édition.

[4] Mémoire sur les voies romaines de la Savoie, p. 80-102.

[5] Mémoire sur les voies romaines de la Savoie, p. 104-106.

[6] Végèce, De re militari, I, 9, 19, 27.

[7] Questions archéologiques sur les Alpes, etc., 18-25.

[8] Voir la note finale A.

[9] Othon de Frisingue, De Gestis Frider., I, XXXII.          Ducange, v° Portæ.

[10] Histoires, II, XIV, XV, XVI, XXII.

[11] Rerum gest., XV, XI.

[12] Ptolémée, Geog, II, V, IX.

[13] Voir à la fin de la note A la restitution da texte de chapitre III.

[14] Pline, Hist. nat., III, XX.

[15] Voir la note finale B.

[16] Luquet, Etudes historiques sur l'établissement hospitalier du Grand-Saint-Bernard, 17. — Questions archéologiques, 130.

[17] Tite-Live, Hist. rom., XXI.

[18] Luquet, Etudes historiques sur l'établissement hospitalier de Grand-Saint-Bernard, 17, 30. Voir la note finale C.

[19] Pline, III, XVII.

[20] Questions archéologiques, 83.

[21] Pline, Hist. nat., XXXVI.

[22] Strabon, Geog., IV.

[23] Rerum gest., XV, X, XI.

[24] Isidore, De Originibus, XIV, VIII. — Servius, In Eneid., X.

[25] Luitprand, De rebus imperatorum et legum, I.

[26] Strabon, Geog., IV.

[27] Voir la note D.

[28] De bello gal., I, X.

[29] Questions archéologiques, 87.

[30] Servius Maurus Honoratus, In Virg. Œneid, X, 13.

[31] Salluste, Fragm., III. — Appien, De bello civili, I.

[32] Questions archéologiques. Maurienne. Académie royale de Savoie, IV, 191.

[33] Pline, Hist. nat., III, XX.

[34] Hist., II, XIV, XV, XXII.

[35] Pline, Hist. nat., III, XX. — Congrès scientifique de Chambéry, p. 524.

[36] Notitia Provinc. et civil. Galliæ. — Mgr Billiet, Mémoire sur les premiers évêques de Maurienne ; Acad., IV. — Voir la note finale E.

[37] Boccard, Hist. du Vallais, 347. Constant de Castello, Hist. du Vallais.

[38] Polybe, II, XIV, XV, XXII, III, XLVIII. — Servius, In Æneid. — Bullet, Mém. sur la langue celtique, II.

[39] Voir la note F.

[40] De Vignet, Mémoires de l'Académie royale de Savoie, IX, XXXII. — Replat, Notes sur le passage d'Annibal. — Ducis, L'Investigateur, Journal de l'institut historique, 1853, p. 303. — Voir la note G.

[41] Mémoire sur les voies romaines de la Savoie, 102.

[42] Mémoire sur les voies romaines de la Savoie, 117-124.

[43] Questions archéologiques, etc.

[44] Leucopetra, du fond da la Calabre, a le sens de promontoire dans Strabon, VI, Ptolémée, III, I, et Pline, III, V.

[45] A. Marcellin, Rerum Gest., XI, XI. R. Festus A., Ora maritima.

[46] Rerum Gallic. Scriptores, VI, 202.

[47] Cibrario, Documenti, monete, etc., 70. — Regeste genevois, 109.

[48] Questions archéologiques, etc. — Académie royale de Savoie, IV, 191.

[49] Greg. Tur., III, XXXI. — Boccard, Hist. du Vallais, 381.

[50] Archives départementales. — Questions archéologiques, 18.

[51] Questions archéologiques. Tarentaise.

[52] Boccard, Hist. du Vallais, 396.

[53] Pline, Hist. nat., III. I. Strabon, Geog., III. Le nom d'Annibal était encore assez usité en Phénicie. Josèphe De antiq. jud., XX, I. Il y avait également une Carthage chez les Ibères asiatiques. Pt. V.

[54] De bello gall., III.

[55] S'il était permis d'aventurer une étymologie qui puise sa raison d'être dans plusieurs langues anciennes, nous dirions que Véragres signifie les hommes ou le pays de l'eau ou du confluent — de la Dranse dans le Rhône, où se trouvait leur centre, Octodurum soit Ictodurum, la jonction ou l'île de la Dranse (Martigny).

[56] Pline, III, XX-XXV. Strabon, VII. Pt. II, XVII.

[57] Ce dernier, moins ancien, a été plus en usage que le premier, comme punire a remplacé le vieux mot pœnire.

[58] Ptolémée, Geog., II, XII, III, I.

[59] Tite-Live, Hist. rom., XXI. — Aulu-Gelle, V, V, VII, XVIII.

[60] Le diminutif ino est demeuré dans la langue d'Italie l'expression d'un sentiment de tendresse et de prédilection, tout à fait naturel aux rapports de famille et au sentiment religieux des habitants.

[61] Luquet, Etudes historiques sur le Grand-Saint-Bernard, p. 34.

[62] Pline, Hist. nat., III, XX.

[63] Greg. Tur., de Gloria Mart., I, XIV. — Fredeg. chronic. Besson, 479. — Mgr Billiet, Mém. sur les évêques de Maurienne, dans l'Acad. de Savoie, IV.

[64] Pline, III, I-III, IV, XXII, V, XXXII, II.

[65] Strabon, Geog., XVII. — Ptolémée, II, V.

[66] Psal., LXXVII. CV.

[67] Diodore de Sicile, L. Plutarque, In Iside. Ce radical entre dans la composition de plusieurs noms de localités. Le temple d'Isis en Vallais n'était pas loin de Chamoson.

[68] Lactance, Instit. divin., I, XV.

[69] La Sapaudia, etc., VII, Questions archéologiques, Maurienne.

[70] Académie royale de Savoie, IX, page XLVII.

[71] Bonnard, Hist. du Vallais, 316. — Luquet, Etudes historiques sur le Grand-Saint-Bernard, 154-166.

[72] Cornelius Nepos, De vita Annibalis.

[73] Tite-Live, Hist., XXI.

[74] Am. Marcellin, Hist., XV, X.

[75] Arist., De mir. ausc., LXXXVI. — Denys d'Hal., I, XLI. — Diodore de Sicile, IV, XIX.

[76] Questions archéologiques, Tarentaise.

[77] Pline, III, XX.

[78] Académie royale de Savoie, IV, 191.

[79] Ptolémée, Geog., III.

[80] Pline, XI, XLII, XXXIV, II.

[81] Notitia provinciarum et civitatum Galliæ.

[82] Le nom de cirque d'Annibal donné au Cromlech du Petit-Saint-Bernard, ont une réclame locale qui ne se rattache à aucune tradition ancienne ; Deluc et Roche, deux champions des plus dévoués à ce passage, n'en ont pas dit un mot dans leurs dissertations de 1818 et 1819.

[83] Strabon, Geog., XVI. — Justin, Hist., XVIII, IV. — Cicéron, De nat. Deorum.

[84] Arnobe, Disput., I.

[85] Divin. Inst., I, IX, XV, XVIII.

[86] Tite-Live, Hist., XXI. — Pline, III, L, V, XIX. — Strabon, Géog., III, ad finem. On vient de découvrir un denier de Posthume, Herculi Gaditano : Société française de Numismatique, Bulletin, 1869, page 33.

[87] Scriptores rerum Gallic., II. Manuscrits de Sault et de Thou.