I. — LES ACCUSÉS. Dernière tentative auprès de M. Thiers. — Propositions rejetées. — Membres de la Commune arrêtés. — Proportion. — Devant le conseil de guerre. — Jour de et Ferré. — Urbain. — Ordres féroces. — Trinquet. — Assi. — Un mot de Vergniaud. — Platitude des accusés. — Deux lettres de Sérizier. — M. Thiers et Rossel. — Tentative de corruption. — On facilite le départ de plusieurs accusés. — Félix Pyat. — La Société de la Basse-Californie propose de distribuer des terres aux communards. — Le gouvernement français refuse.Aux derniers jours de la Commune, vers le 17 ou le 18 mai, M. Thiers, qui activait de toute son énergie les attaques de l'armée française, reçut la visite de trois personnages que nous ne devons point nommer. Ces hommes venaient près du chef du pouvoir exécutif afin d'essayer une-suprême tentative de conciliation, et afin d'éviter, s'il se pouvait encore, la bataille qu'il était facile de prévoir. L'un d'eux, qui était en quelque sorte le président de cette députation, était un homme considérable. Républicain fervent, il avait pendant bien des années manié l'outil de l'ouvrier ; mais, s'instruisant. lui-même, complétant son éducation intellectuelle, il était sorti de la foule, avait publié des livres remarqués, et avait fait partie de nos assemblées délibérantes. Il est une preuve de l'excellence de notre état social, qui s'ouvre devant les travailleurs énergiques et les porte aux premiers rangs lorsqu'ils ont fait acte d'intelligence et de probité. Les instances adressées à M. Thiers restèrent vaines ; il se montra ce qu'il était depuis le début de l'insurrection, inflexible. L'homme auquel j'ai fait allusion, et que j'appellerai le président, usa d'éloquence et ne fut point écouté. Enfin, à bout d'arguments, il dit : Vous aimez les beaux-arts et vous savez que la destruction de certaines œuvres serait une perte irréparable ; eh bien ! soyez persuadé que les trésors accumulés dans Paris, nos musées, nos bibliothèques, nos églises, nos monuments, toute cette richesse qui est le produit des siècles et du génie humain, tout cela va disparaître, si vous ne consentez à offrir à ces fous des conditions acceptables. Vous serez vainqueurs, nous n'en doutons pas ; vous entrerez dans Paris, tambour battant, par la brèche ouverte, nous le savons, et les gens de la Commune le savent aussi ; mais on brûlera les Tuileries, on brûlera le Louvre, on brûlera l'Hôtel de Ville, on brûlera Notre-Dame, on brûlera tout, et vous n'aurez rendu au pays qu'un monceau de cendres. M. Thiers se récria : On me répète la même chose de tous côtés, je n'en crois rien ; ils disent qu'ils le feront, et n'oseront jamais le faire. Le président reprit : Ils le feront, monsieur, je le sais et je vous supplie de réfléchir. M. Thiers s'éloigna de quelques pas et appuya son front
contre une fenêtre dont il tambourinait machinalement les vitres avec ses
doigts ; il resta pensif pendant quelques minutes ; puis il dit : Eh bien ! quoique je ne puisse vous croire, je veux faire
un effort pour ramener ces malheureux. Voilà mes trois conditions : Les
insurgés mettront bas les armes. — Nulle
poursuite ne sera exercée par moi au-dessous du grade de colonel. — Les portes de Paris resteront ouvertes pendant trois jours
; cela vous va-t-il ? Le président s'inclina : Je n'osais point tant espérer, ces conditions sont des plus douces et
je suis persuadé qu'elles seront acceptées avec reconnaissance à l'Hôtel de
Ville. M. Thiers haussa les épaules avec un geste de doute, et
répondit : Dieu vous entende ! Les trois
messagers de paix repartirent en hâte et en joie pour Paris. Deux d'entre eux
firent immédiatement connaître les conditions offertes par le chef du pouvoir
légal ; on les appela traîtres, et on les incarcéra. Tous ceux qui dans la journée du dimanche 21 mai se pavanaient encore sous les galons et sous l'écharpe rouge avaient si bien disparu le dimanche 28, qu'on eut grand'peine à les découvrir. Un seul des membres de la Commune, — le meilleur, le plus innocent, — voulut se livrer : c'est le vieux Charles Beslay ; j'ai raconté comment il avait été sauvé[1]. Les autres avaient pris toutes leurs mesures pour échapper à la justice du pays. Ceux que l'on arrêta pendant le combat furent rares ; Assi et Amouroux, dans la nuit du 21 mai, allèrent se jeter à travers une patrouille de troupes françaises qui les déposa en lieu sûr. Amouroux s'était prémuni de faux papiers d'identité au nom de Gheisbreght ; il n'en fut pas moins envoyé à Brest sur les pontons, où il fut reconnu le 31 août 1871, à la suite d'une tentative d'évasion à la nage qui avait appelé l'attention sur lui. Quelques jours après la chute de la Commune on arrêta Paschal Grousset. La foule voulait le déchirer ; on eut grand'peine à protéger ce malheureux contre les sauvages qui demandaient sa mort. Des chiffres prouveront combien peu les chefs de l'insurrection croyaient à la victoire et quelles précautions ils avaient combinées pour se dérober : soixante-dix-neuf personnages ayant été membres de la Commune sont présents à Paris au moment où la France force les portes de sa capitale ; Delescluze est tué, Rigault et Varlin sont fusillés ; Vermorel doit mourir de ses blessures ; quinze sont arrêtés et reconnus ; plus tard on déterminera la personnalité d'Amouroux, et l'on s'emparera d'Arnold et d'Emile Clément. Vingt-trois sur soixante-dix-neuf, cela fait honneur à l'agilité des cinquante-six autres. Parmi les quatorze généraux de la Commune, deux furent tués, Duval et Dombrowski ; deux furent arrêtés et dix décampèrent ; quant aux cent trente-trois colonels et lieutenants-colonels qui caracolaient à la tête de leurs troupes, ils ne laissèrent que quarante-six d'entre eux aux mains de la justice. Dans cet état-major de législateurs et d'officiers qui, vingt fois par jour, juraient de périr en défendant le drapeau rouge, je n'en vois que deux qui aient su mourir et n'aient point voulu survivre à l'anéantissement de leurs illusions : Delescluze et Vermorel. Si la Commune eut du courage civique et de la fermeté dans ses revendications sociales, on ne s'en aperçut pas lorsque ses membres arrêtés comparurent devant le troisième conseil de guerre présidé par le colonel Merlin : Les accusés étaient au nombre de dix-sept, dont il faut distraire Lullier et Ulysse Parent. Le premier ne fut jamais membre de la Commune ; le second avait été démissionnaire. On lui aurait sans doute évité une incarcération préventive si, dans les premières heures de trouble et d'encombrement, on ne l'avait confondu avec son homonyme Hippolyte Parent : entre eux il n'y avait aucun rapport. Les quinze membres de la Commune qui du 7 août au 2 septembre 1871 répondirent aux interrogatoires de la justice eurent tout loisir d'expliquer leurs doctrines, d'établir leurs théories et de dévoiler enfin leurs desseins, leurs moyens de rénovation et leur but. On s'attendait à une exposition de principes ; on fut désabusé. Ces héros furent d'une platitude écœurante ; j'en excepte deux, qui cependant ne se ressemblent guère et que sous aucun aspect l'on ne peut comparer : François Jour de et Théophile Ferré. Ceux-là seuls, en effet, sans forfanterie et sans lâcheté, acceptent la responsabilité de leurs actes. Jourde, je l'ai déjà dit, n'argumente que sur des faits de comptabilité et prouve qu'il est resté probe au milieu de difficultés et de facilités sans nombre ; Ferré, qui d'abord a déclaré qu'il ne se défendrait pas, ergote, se rappelle son métier de clerc d'huissier, rétorque les arguments, démontre l'erreur de certaines dépositions et ne répudie aucun dès actes qu'il a commis. Il apparaît tout entier dans un mot qu'il faut citer. Le président cherche et ne retrouve pas la minute d'un ordre qui était de nature à motiver une condamnation capitale. Il dit à l'accusé : Niez-vous avoir envoyé cet ordre ! Ferré répond : J'ai écrit tant d'ordres de cette nature que je ne puis me souvenir de celui dont vous me parlez. Enfin on découvre le papier égaré dans les dossiers, on le lui montre, il le regarde et dit : Parfaitement, je le reconnais[2]. A entendre ces hommes qui devaient régénérer le monde, ils ne sont entrés dans la Commune que pour l'apaiser, sauver les innocents et protéger la population. On est pris de dégoût à entendre certaines explications. Que penser d'Urbain ? On lui présente des ordres impitoyables, entre autres celui-ci : Au nom de la Commune, et en vertu des pleins pouvoirs émanant du Comité de salut public, le membre de la Commune délégué à la mairie du VIIe arrondissement procédera à toutes les arrestations qui lui paraîtront utiles pour la sûreté générale de l'arrondissement... En cas de résistance de la part des individus arrêtés, le citoyen Andrès est autorisé à leur brûler immédiatement la cervelle. En mairie, le 13 mai 1871, dix heures du soir. Les pleins pouvoirs ci-dessus sont valables pour quarante-huit heures. — Urbain. Le 17 mai, il a proposé d'exécuter dix otages : on l'interroge sur ce fait, il répond : Dans mon idée, ce n'était qu'un avertissement donné aux troupes de Versailles. C'est à lui que fait allusion Trinquet, membre de la Commune, lorsqu'il dit : Je regrette de n'être pas mort sur les barricades ; je n'assisterais pas au triste spectacle de collègues qui, après avoir eu leur part d'action, ne veulent plus avoir leur part de responsabilité. Cette déclaration du cordonnier Trinquet, qui se vante d'avoir été, en 1869, courtier d'élections pour Rochefort et Gambetta, ne l'empêche pas de nier des crimes dont les preuves sont accablantes. Dans ce fatras de dénégations et de protestations trop intéressées pour être écoutées, il y a des aveux bons à retenir, qui prouvent l'impuissance et l'indélicatesse de ces hobereaux de la démagogie. Billioray dit : Nous avions beaucoup plus de peine à faire mettre en liberté les gens arrêtés sans droit qu'à faire des arrestations sérieuses. Ailleurs il fait une révélation importante : Delescluze ajoutait la signature de ses collègues aux décrets, avant de les envoyer à l'imprimerie. Delescluze était mort, et il n'y avait nul danger à rejeter sur lui la charge des méfaits. Presque tous sont plats et honteux ; Courbet l'est plus que nul autre : le pauvre gros homme a si peur qu'il en fait pitié. Un seul est franchement ridicule : c'est Assi, Vauban, Cohorn et Paixhans n'auraient point parlé d'eux avec un tel aplomb A l'écouter, on hausse les épaules ; il est de bonne foi, et se croit un homme de génie ; on peut sans crainte lui appliquer le mot de Rossel sur Mégy : C'est un ouvrier stupide. La vanité l'étouffé, et il a peine à ne pas laisser déborder le sentiment de supériorité qui l'accable ; comme Atlas, il porte le monde et ses reins ne fléchissent pas ; il sait tout, il a tout inventé. Ses idées sont tellement viciées, son entendement est si étrangement perverti, qu'il ne considère cette insurrection que comme l'exercice d'un droit : Nous nous sommes défendus contre les troupes qui nous attaquaient ; c'était tout naturel. En lisant ces débats oubliés aujourd'hui, ou travestis par des mémoires volontairement infidèles, il est difficile de ne pas se rappeler le cri que jeta Vergniaud après les massacres de septembre : Et les Parisiens osent se dire libres ? Ils ne sont plus esclaves, il est vrai, de tyrans couronnés, mais ils le sont des hommes les plus vils, des plus détestables scélérats. Ce spectacle de révolutionnaires reniant la révolution, de persécuteurs se déguisant en sauveurs, ne fut point épargné aux conseils de guerre qui eurent à juger les acteurs de la Commune. Ce fut très laid. On s'attendait à mieux de la part d'hommes qui avaient affiché de si exorbitantes prétentions. Les plus courageux ont plaidé les circonstances atténuantes ; les autres ont menti. Les incendiaires ont juré qu'ils avaient éteint les incendies ; les assassins ont affirmé qu'ils avaient voulu sauver les victimes ; tous se sont jetés dans la Commune par amour de l'ordre et par dévouement au pays. Tant d'avachissement après tant de fureur serait pour surprendre, si l'on ne savait que les âmes naturellement basses sont sujettes à ces transformations. Quelques-uns d'entre eux, qui furent jusqu'au delà du crime les serviteurs de la Commune, semblent avoir voulu, en prévision de l'avenir, se réserver des moyens de défense. J'ai sous les yeux une lettre de Sérizier, de ce chef de
la 13e légion, maître du 101e bataillon, incendiaire des Gobelins, assassin
des Dominicains d'Arcueil, de ce Sérizier en un mot qui, dans la soirée du 22
mai, vint à la prison de la Santé[3], en compagnie de
Jean-Baptiste Millière, pour y faire exécuter l'ordre donné par Ferré de
fusiller les otages. Cette lettre n'est pas datée, mais elle n'a pu être
écrite qu'entre le 26 mars et le 1er avril ; elle est adressée au général Chanzy
: Monsieur, j'ai l'honneur de vous adresser ces
quelques mots, pour faire un appel à votre loyauté bien connue. J'ai lu avec
surprise dans plusieurs journaux que vous aviez été sauvé de la fureur de la
multitude par M. Léo Meillet et M. Comte, tous deux adjoints au XIIIe
arrondissement. Sans vouloir retirer en rien à ces messieurs le courage et
l'énergie qu'ils ont déployés dans cette triste circonstance, je rappelle à
votre souvenir que votre vrai défenseur fut un capitaine du 101e bataillon
qui, sorti de prison le matin même, a, par son courage et au péril de sa vie,
fait tout ce qu'il était humainement possible de faire pour arriver à ce but.
Je vous rappellerai qu'il vous prit par le bras, en vous disant : Je réponds
de vous sur ma tête, et que, le sabre à la main, il a loyalement tenu sa
promesse en vous mettant en sûreté dans les murs de la Santé. Aujourd'hui
que, par suite d'instances, vous êtes libre, je pense que vous voudrez bien
rectifier cette erreur et rendre à chacun ce qui lui est dû. Ne voulant
aucunement attirer les regards sur moi et n'ayant fait que mon devoir d'homme
de cœur, je vous prierai de m'adresser cette rectification à moi-même, et
j'attends de votre bonté de ne pas communiquer mon adresse, car je ne veux
plus m'occuper de toute cette politique. Comptant sur votre obligeance et
votre justice, je. suis, monsieur le général, votre tout dévoué serviteur.
Sérizier, rue du Champ-d'Asile, numéro 35. Si cette lettre est sincère, elle prouve que Sérizier a
subi un entraînement irrésistible, lorsqu'il a été jusqu'au bout de la voie
qu'il avait, pendant une lueur de bon sens, eu l'intention d'abandonner ;
mais, en présence de l'énormité des forfaits commis, une telle supposition,
n'est point admissible ; il est plus probable que Sérizier à voulu, le cas
échéant, se ménager un Certificat de bonne
conduite, une attestation considérable qui plus tard pourrait
l'aider à atténuer les sévérités de la justice. Il n'y réussit pas, car il
fut condamné à mort et fusillé. A l'heure suprême l'orgueil du sectaire
reparaît. Le 25 mai 1872, au moment de partir pour le plateau de Satory où
l'attend le peloton d'exécution, à quatre heures et demie du matin, il
adresse encore une lettre au général Chanzy. Cette lettre est théâtrale. On
la dirait écrite par un homme qui croit parler à la postérité : Je meurs pour la cause du peuple pour laquelle j'ai
toujours vécu ; je meurs avec la douce satisfaction d'être innocent...
Soldat du peuple, je meurs en soldat et vous prie de
ne pas oublier celui qui se dévoua pour vous. Je vous salue avant de mourir.
— Qu'est-ce que l'incendie de vieilles tapisseries, qu'est-ce que le meurtre
de quelques prêtres enseignants pouvaient importer à la cause du peuple ? Ces
deux lettres ne laissent aucun doute sur l'homme qui les a composées : la
première est hypocrite, la dernière est mensongère. Je viens de relire le
procès de Sérizier, jamais témoignages plus unanimes n'ont accablé un
criminel. Cette phraséologie dramatique fait partie du bagage révolutionnaire
; Ferré n'en a-t-il pas appelé à la postérité avant de mourir ? M. Thiers fit grâce de la vie à plus d'un coupable et fit bien. Cent dix condamnations à mort furent prononcées et quatre-vingt-quatre furent l'objet d'une commutation. L'insurrection de Paris entraîna vingt-trois exécutions et celle de Marseille trois. Parmi ceux qui tombèrent au plateau de Satory, il en est un que M. Thiers eût voulu épargner : c'est Rossel. A dix heures du soir, la veille de l'exécution, il luttait encore contre des généraux qui invoquaient l'intérêt de la discipline et la nécessité de punir un officier coupable de désertion à l'ennemi et d'attaque contre la France. M. Thiers, plutôt vaincu que convaincu, signa. Rossel évita les galères et mourut. Il croyait bien qu'il serait sauvé[4] et probablement n'ignorait pas que l'on devait tenter de le faire évader. Le 27 novembre 1871, à six heures du soir, le directeur de la maison de justice de Versailles, au moment où il rentrait chez lui pour dîner, reçut la visite de Mme et de Mlle Rossel, mère et sœur du condamné. Mme Rossel, fort émue, après avoir remercié le directeur des attentions qu'il avait pour son fils, lui demanda de ne pas trop surveiller les gardiens pendant la nuit et de laisser échapper le prisonnier. Le directeur ne répondit point, afin d'apprendre jusqu'où le projet d'évasion avait pu être poussé. La malheureuse femme reprit avec insistance. Elle affirma au directeur que M. Thiers serait satisfait de l'évasion ; elle-promit les plus hauts emplois dans un avenir prochain à celui dont elle espérait faire un complice ; elle parla de 20 000 francs en or qu'elle avait là, à la disposition de ceux qui lui permettraient de sauver son fils. Le directeur fut très ferme et très humain. Il repoussa les offres qui lui étaient faites, et par pitié pour une mère désespérée, voulut bien ne point révéler cette tentative de corruption. On doubla les postes, il fut interdit aux surveillants d'ouvrir la porte des cellules, de sortir dans le chemin de ronde sans être accompagnés, et le directeur ne se couchant point resta debout, l'oreille aux écoutes et l'œil aux aguets. En outre, des patrouilles circulèrent pendant la nuit autour de la prison. Le lendemain 28 novembre, Rossel fut remis aux exécuteurs de la justice militaire, en même temps que Théophile Ferré et Pierre Bourgeois[5]. Je crois que la mère de Rossel se trompait lorsqu'elle
affirmait au directeur de la maison de justice que M. Thiers verrait sans
peine l'évasion du condamné ; mais il me paraît certain que le chef du
pouvoir exécutif estimait que tous ces détenus, tous ces accusés, tous ces
condamnés étaient un embarras dont il aurait aimé à être délivré. A cet
égard, je puis être très affirmatif. Chez M. Thiers, l'exigence politique
dominait toujours, et l'indulgence qu'il eut pour certains coupables en est
la preuve. Un homme bien connu à Paris, aimé de tout le monde, original,
exubérant et très bon, avait recueilli chez lui un des chefs les plus
compromis de la Commune ; ne sachant trop comment lui procurer des papiers
d'identité qui lui permissent de franchir la frontière, il alla trouver un
écrivain illustre, auquel il confia une partie de son secret. L'écrivain, se
refusant à connaître le nom du coupable qu'il s'agissait de sauver, proposa
au sauveur de le mettre en rapport avec M. Thiers. L'offre fut acceptée et
l'on partit pour Versailles. L'écrivain, qui s'est fait un nom devant lequel
toute porte doit s'ouvrir, fut reçu par M. Thiers et lui expliqua le but de
sa visite. On aurait dû tous les fusiller,
dit M. Thiers, c'était le plus simple ; mais on a
été maladroit : on a tué des nigauds qui s'étaient mis dans la révolte sans
savoir pourquoi ; les chefs les ont plantés là, et ont gagné au pied.
Maintenant ils sont pour nous un grave inconvénient ; les prisons regorgent ;
les conseils de guerre sont encombrés,, nous ne savons plus où mettre nos
prisonniers. Je veux bien aider l'ami de votre ami ; qu'il aille se faire
pendre ailleurs ; nous le condamnerons par contumace, de cette façon nous ne
le reverrons jamais. J'arrangerai cela avec Barthélemy Saint-Hilaire, qui est
le meilleur des hommes : amenez-moi votre ami. L'ami attendait dans un
salon voisin. En le voyant entrer, M. Thiers se mit à rire et lui dit : Eh bien ! grand gamin, on a donc oublié de vous fusiller ?
L'écrivain se retira ; nous ignorons ce qui se passa entre le grand gamin et le président de la république,
mais nous savons que le communard put sortir de France sans être inquiété.
Bergeret lui-même ne me démentirait pas. Celui dont je viens de parler ne fut pas le seul auquel on facilita le moyen d'obtenir une condamnation platonique. M. Thiers disait : Puisqu'ils partent sans esprit de retour, il vaut mieux les laisser partir. Quelques-uns des grands coupables contre lesquels l'opinion publique était le plus irritée se promenaient dans Paris, comme si l'impunité leur eût été assurée. Le samedi 8 juillet 1871, passant rue Turbigo avec Amédée Achard, nous nous arrêtâmes stupéfaits l'un et l'autre en apercevant Félix Pyat paisiblement assis dans un fiacre. Celui-là ne quitta Paris que plusieurs mois après la défaite de la Commune, et il a pu recommencer des ballades à la petite balle, semblables à celle que Grömier lut le 21 janvier 1870 à Saint-Mandé, au dessert du banquet commémoratif de la mort de Louis XVI, banquet annuel que ces gens-là nomment le banquet de la tête de veau. Non seulement on ne les arrêtait pas avec trop de rigueur, mais on prenait soin de signaler leur départ ; la dépêche suivante a existé : N. s'est heureusement embarqué aujourd'hui pour Newhaven. En ces circonstances, M. Thiers a agi en homme d'État préoccupé d'enlever des embarras au gouvernement qu'il dirigeait. On ne peut l'en blâmer ; l'expérience, lui avait appris que tout procès criminel touchant à des faits insurrectionnels porte en soi un péril et que, dans notre pays superficiel et oublieux, on fait souvent des martyrs avec les coupables les plus justement condamnés. Il connaissait cet inconvénient et voulut s'y soustraire. En revanche, il refusa sans discussion d'adopter un projet qui lui fut soumis pour mettre hors de France d'un seul coup les insurgés arrêtés. Un Américain, M. George Wilkie, directeur de la compagnie de la Basse-Californie, dont le siège est à New-York, proposa un marché qui ne put être accepté. Il demandait à jeter sur la grande presqu'île que baignent les eaux de l'Océan Pacifique et de l'ancienne mer de Cortez tous les prisonniers faits à la chute de la Commune. A chacun d'eux il garantissait la concession de douze hectares de terrain, avec promesse d'une nouvelle concession de vingt autres hectares après un séjour de trois ans. De ces révoltés on eût essayé faire des colons en les distribuant sur un sol fort chaud, car il est précisément situé sous le tropique du Cancer, mais d'une fertilité exceptionnelle, très abondant en pâturages, en bestiaux, en gibier, et où il est facile d'établir des pêcheries d'huîtres perlières. M. George Wilkie exigeait un million pour couvrir les frais de la compagnie, dans le cas où le gouvernement français opérerait sur ses navires le transport des convicts ; si, au contraire, la compagnie restait chargée de ce transbordement, elle demandait 1100 francs par colon en guise d'indemnité pour le voyage et la nourriture. C'était une affaire commerciale ; elle s'éloignait trop de nos habitudes pour être acceptée ; la Basse-Californie n'eut point à recueillir les épaves de ce naufrage. II. — LES CONTUMAX. Excuses inadmissibles. — Les malheurs de la France n'ont été pour les révolutionnaires qu'une occasion propice. — Opinion de M. Jules Simon. — Les communards avant la Commune. — Les complots de l'Opéra-Comique et de l'Hippodrome. — En juillet 1869. — Le procès de Blois. — Tout l'état-major est là. — Mégy. — Après le 31 octobre. — Ferré et G. Ranvier. — Au 22 janvier. — Arrestations. — La Commune en 1853. — Le Livre rouge de la justice rurale. — Insanités. — Les boulets rouges. — Le Qui vive ! — Promesses. — La Montagne du 5 germinal 79. — Poésie. — A bord de l'Yonne. — Le Bulletin de la Commune. — La mort de Mgr Darboy. — La Commune, almanach socialiste. — Manifeste de Pindy. — La justice promise par A. Dardelle. — Opinion des communards sur la mort de Chaudey.Dès que la Commune eut pris fin, dès que l'on eut secoué l'impression de désespoir que ses derniers crimes inspirèrent, on se demanda comment une si malfaisante insurrection avait pu se produire ; on en chercha les causes, du moins les prétextes, car on répugnait à rendre la seule perversité responsable de tant de forfaits. C'est alors que quelques voix s'élevèrent, plus spécieuses qu'intelligentes, et que l'on entendit des phrases toutes faites : patriotisme égaré, — fièvre obsidionale, — longues privations, — héroïsme inutile, — humiliation de la défaite, — haine de l'ennemi. Gela fut répété sur tous les tons, et peu s'en fallut que de cet excès de crimes on n'essayât de faire un excès de vertus. C'est là un verbiage qui ne tient pas devant l'examen des faits. Quelques hommes ont pu être entraînés par un sentiment confus de patriotisme, sentiment bien aveugle en tout cas, puisqu'il ne leur permit pas de reconnaître qu'ils combattaient contre la France si blessée qu'on l'entendait râler. Quant aux autres, aux membres de la Commune, aux généraux, aux colonels, à tout cet état-major d'ivrognes et de saltimbanques, le dernier sentiment qui ait fait battre leur cœur est celui de la patrie. Les malheurs dont nous avons été accablés, la captivité de nos soldats, la défaite de notre gloire et de nos espérances, l'affolement d'une nation vaincue jusque dans ses moelles, la présence de l'ennemi sur nos terres, toutes ces douleurs, toutes ces hontes n'ont été pour eux qu'une occurrence inespérée. Après Wœrth, après Sedan, après Metz, après la capitulation de Paris, ce qu'ils ont d'âme a tressailli de joie, car dans l'effondrement du pays ils ne voyaient que la prochaine réalisation de leur rêve. L'établissement de la Commune les préoccupait seul ; quant au salut de la France, il leur a servi de prétexte à propager leurs insanités ; mais on peut affirmer qu'ils n'y ont même pas songé, et l'on sait qu'ils n'ont jamais essayé d'y concourir. M. Jules Simon, qui a été un des ministres du gouvernement de la Défense nationale, et qui a pu apprécier par lui-même le degré de patriotisme dont les futurs héros de la Commune étaient animés, ne s'est point laissé prendre à la phraséologie derrière laquelle on a voulu masquer leur forfait. Il a écrit : Non seulement les hommes de la Commune ne sont pas sortis de terre, le 18 mars, comme une génération spontanée, mais on les connaissait par leurs noms depuis plus de deux ans ; on savait leur but, leurs moyens d'action ; on pouvait compter leurs échecs et mesurer d'un échec à l'autre le progrès de leurs forces[6]. Oui, certes, on les connaissait, et ceux qu'ils ont surpris furent bien naïfs ou bien ignorants, car ils avaient eu soin de se dénoncer eux-mêmes du haut de la tribune des réunions publiques. Mais bien avant l'époque où l'Empire, ouvrant la porte aux libertés, put compter ses adversaires, on avait vu ces hommes à l'œuvre, dans les conspirations secrètes. Sous prétexte de renverser l'Empire pour installer la République, sous prétexte de défendre la République et en réalité pour organiser la Commune, ils n'étaient et n'ont jamais été que des révolutionnaires prêts à tout, pourvu qu'ils pussent arracher un lambeau du pouvoir et y draper leur vanité. Le patriotisme égaré ? Qu'a-t-il à faire avec les complots de l'Hippodrome et de l'Opéra-Comique, en juin et juillet 1853 ? J'y retrouve Jules Allix, qui déjà a été arrêté pendant l'insurrection de juin 1848 et qui sera membre de la Commune ; j'y retrouve aussi Joseph Ruault, qui sera de toutes les sociétés secrètes, de toutes les échauffourées et que ses complices assassineront au charnier de la rue Haxo. Le 15 juillet 1869, les détenus politiques de Sainte-Pélagie rédigent la lettre suivante : Les soussignés, en présence de la conduite des députés de Paris, devant l'ordonnance de prorogation du Corps législatif, voyant leurs craintes justifiées, accusent hautement ces députés d'avoir manqué à leur mandat, et requièrent d'eux leur démission immédiate. Dix noms signent cette sommation ; j'y lis ceux d'Emile Duval, Raoul Rigault, Théophile Ferré, Charles Amouroux, Gustave Flourens : deux généraux et trois membres de la Commune. Est-ce la honte de nos défaites et la colère contre la cession de deux de nos provinces qui fomentent le complot dont le dénouement éclate en juillet 1870 devant la haute cour de Blois[7] ? Là on voit apparaître les fabricants de bombes au picrate qui ne sont pas destinées aux Prussiens. Les accusés sont nombreux ; parmi ceux qui les défendent je compte Protot, qui sera délégué à la justice, et Peyrouton, qui sera chargé de l'éclairage de Paris pendant la Commune. L'état-major de celle-ci est à Blois et prête l'oreille aux bruits qui viennent des frontières. Voilà Dereure, Ferré, Cournet, qui seront membres de la Commune ; voilà Tony Moilin, délégué au VIe arrondissement ; Jules Fontaine, directeur des domaines et séquestre des biens du clergé ; Garreau, directeur du Dépôt et de Mazas ; voilà Joly, le directeur de la manufacture des tabacs ; Verdier, aide de camp de La Cécilia ; voilà Guérin, qui, modestement, sera huissier, et Razoua, qui sera lieutenant-colonel d'état-major ; voilà Greffier, qui sera le commandant des Vengeurs de Flourens, le chef de la garde prétorienne de Rigault et de Ferré, qui signera de sa griffe l'ordre d'exécuter un homme dont il ne sait même par le nom[8]. Au cours des débats on entend parler de Raoul Rigault, de Gambon, — l'homme à la vache, — de Tridon, d'Arthur Arnould, membres de la Commune ; de Jaclard, de Rousseau, du Comité central ; de Gois, qui présidera la cour martiale et viendra lui-même, le 26 mai, chercher à la Grande-Roquette les prêtres et les gendarmes qui doivent aller vers la rue Haxo. Le héros de la bande, c'est Mégy ; il mérite quelque intérêt, car il a tué un inspecteur de police chargé de l'arrêter. Par patriotisme, — pendant la Commune, — il commandera et abandonnera le fort d'Issy, il ira aider à tuer Mgr Darboy. A son domicile, on a saisi, en mai 1870, une pièce de vers qui est un programme, le programme que l'on essayera d'exécuter, — c'est le vrai mot, — après le 18 mars. A-t-il été composé par Mégy ? Je ne le crois pas, car l'homme m'en parait incapable ; mais cette paperasse est écrite et signée de sa main : Aux barricades ! feu ! levons-nous, prolétaires ! L'éclatant drapeau rouge enflammera nos cœurs ; Qu'on les détruise tous, bourgeois, propriétaires, Car il faut qu'à tout prix nous en soyons vainqueurs ! Les vers ne sont pas bons, mais l'intention en est excellente, quoiqu'ils n'aient point été improvisés dans un accès de fièvre obsidionale. Dès que l'Empire s'écroule, le gouvernement de la Défense nationale rejette ces hommes sur le pavé. On en a peur, ils tiennent la populace par le club et le cabaret. Ils demandent la sortie torrentielle pour mettre hors de la ville nos soldats, les mobiles, les gardes nationaux de bon vouloir, et rester maîtres du terrain où ils comptent bâtir leur Commune. Comment ils comprenaient la défense de Paris, on le vit dans la soirée du 31 octobre. On en mit quelques-uns en prison ; ils n'y restèrent, pas longtemps ; il faut glisser sur ces faits, car on éprouverait trop d'humiliation à s'y appesantir. Théophile Ferré se présente chez le préfet de police, et lui demande une autorisation qui lui est refusée ; en se retirant, il cambre sa petite taille et crie de sa voix de fausset : Monsieur, nous porterons votre tête au bout d'une pique ! Gabriel Ranvier est à Sainte-Pélagie, car il avait été très actif au 31 octobre ; il obtient, sous je ne sais quel prétexte de famille, la permission de sortir pendant quarante-huit heures. Il se rend dans un club et y dit ceci : Ils n'ont pas le courage de me fusiller ; mais nous, nous aurons ce courage et nous les fusillerons. Et par ma foi, il tin parole. Lorsque le cortège des otages passa devant l'église de Belleville, Ranvier, debout, tête nue, adossé, à la grille, donna l'ordre : Allez les fusiller[9]. On obéit et l'on alla rue Haxo. La future Commune est présente au 31 octobre et se montre le 22 janvier. Pendant la période d'investissement, lorsque nos soldats luttent à nos portes mêmes, que les Allemands resserrent les lignes d'attaque et lancent des bombes dans Paris ; lorsque le pain manque à la ville, que nos régiments décimés se multiplient à l'est et à l'ouest pour faire croire à des forces régulières qui n'existent plus, lorsque les femmes restent debout pendant six heures sous la neige afin d'obtenir un morceau de cheval, que les petits enfants meurent de froid et de misère, les patriotes égarés trouvent que la circonstance est bonne et veulent en profiter. Lisez le nom de ceux qu'on a été forcé de mettre sous les verrous, et vous y trouverez celui de tous les futurs conquérants de l'Hôtel de Ville : Félix Pyat, Vermorel, G. Ranvier, Tridon, Vésinier, Razoua, Baüer, Jaclard, Flourens, Vallès, J.-B. Millière, Eudes, Mégy, Edmond Levraud, Lefrançais, Châtelain, Pillot, Pindy, Napias Piquet, Léo Meillet, Humbert, Arnold, Le Moussu, Piazza, Brunel, Delescluze. — J'en oublie. La réunion est complète ; ce sont les législateurs, les chefs d'armée, les incendiaires. On n'a qu'à ouvrir la porte des cabanons, et le gouvernement est constitué. Il manque le vétéran, l'apôtre, l'homme qui a toujours rêvé le despotisme en invoquant la liberté, le vieux Blanqui, au grand désappointement de ses disciples. Le parti blanquiste, a dit un témoin déposant devant la Commission d'enquête, se composa d'ouvriers malhonnêtes et d'étudiants fruits secs. Personne n'en doute. Ceux qui ont fait la Commune n'ont point attendu la guerre et nos défaites pour chercher la mise en œuvre de leurs conceptions. Le mol est emprunté au vocabulaire de 93, il est vrai, mais il avait été rajeuni. La société secrète fonctionnant à Londres, qui en 1853 organisa et dirigea les complots de l'Opéra-Comique et de l'Hippodrome, s'appelait : la Commune révolutionnaire ; à cette époque Félix Pyat en était le pontife. Le livre d'or de la noblesse communarde existait avant la Commune ; il était facile de l'écrire ; les éléments s'en trouvaient sur les registres d'écrou des prisons, aux greffes de la cour d'assises et de la police correctionnelle, sur la liste des sociétés secrètes et parmi les numéros matricules du bagne. Ces hommes avaient fait leur éducation politique, avaient acquis leur science d'économistes dans le préau des geôles, dans l'arrière-salle des cabarets où l'on renouvelle le monde en buvant du petit bleu, dans les chambres d'étudiant, où le plus souvent, par excès de verdeur et de jeunesse, on cherche les moyens d'affranchir l'humanité d'un joug qu'elle ne porte pas. Ils étaient nuls d'eux-mêmes, nullifiés encore par le mode d'enseignement qu'ils avaient adopté. Lorsqu'ils furent les maîtres, ils se conduisirent comme nous l'avons dit, ce qui n'a rien de surprenant. La défaite les a-t-elle corrigés ? la sévérité des tribunaux punissant leurs crimes les a-t-elle menés vers le repentir ? l'indulgence dont on a usé envers eux a-t-elle affaibli leurs convoitises et adouci leur colère ? Non ; ils sont restés les mêmes, comme si une fatalité organique pesait sur eux et les condamnait à la révolte. Un aliéniste a écrit : L'homme devient alcoolique, mais il naît ivrogne ; l'alcoolique guérit, l'ivrogne est incurable[10]. Il serait peut-être vrai de dire également : l'homme devient insurgé, mais il naît révolutionnaire ; l'insurgé guérit, le révolutionnaire est incurable. — On serait tenté de le croire, en écoutant la voix des fugitifs qui parlent au delà de nos frontières. A peine ont-ils quitté la France et sont-ils en sûreté, qu'ils affirment leur innocence, la pureté de leurs intentions, la modération de leur conduite ; pour eux, il n'y a qu'un criminel, M. Thiers ; un bourreau, l'armée ; un traître, l'Assemblée nationale. Ils inventent un mot et disent : les crimes de Versailles, comme les honnêtes- gens ont dit : les crimes de la Commune. Leur vanité, qui avait fléchi lorsqu'ils se dissimulaient dans leurs cachettes, reparaît tout entière ; on les croyait des contumax : pas du tout, ce sont des proscrits ; ils sont la Proscription. Leur premier soin est de publier un volume imprimé à Genève en caractères couleur de sang et qu'ils intitulent : le Livre rouge de la justice rurale, livre instructif du reste, qui démontre que la crédulité humaine est sans bornes et que le jugement humain est aveugle. On a réuni dans ce volume, dédié à la mémoire de Charles Delescluze, toutes les bourdes colportées dans Paris au moment de la dernière bataille, confectionnées dans les loges de portières, et tombées dans la boîte des journaux, qui, surmenés, avides de nouvelles, n'ayant pas le temps de les contrôler, les imprimaient pêlemêle, pour répondre, vaille que vaille, aux curiosités du public. Ce que l'on a débité d'extravagances et de fables à cette époque, les personnes qui étaient à Paris ne l'ont pas oublié. L'esprit terrifié du Parisien grossissait toute chose. Du côté des vaincus comme du côté des vainqueurs, on ne se fit faute de regarder la vérité à travers des loupes et de la rendre monstrueuse. Telle qu'elle fut cependant, elle suffisait à satisfaire les plus difficiles en matière d'horrible et de merveilleux. Toutes les insanités inventées par les défenseurs de la Commune ou par leurs adhérents, par les badauds oisifs, par les reporters effarés, par les trembleurs, sont consignées dans cette compilation où je lis, sous la rubrique le Siècle, 28 mai 1871 : Le maréchal Mac-Mahon a exécuté sa menace contre Belleville ; toute la nuit on a tiré à boulets rouges sur le quartier. Qui ne sait cependant que, depuis plus de vingt années, l'obus a été substitué au boulet dans l'artillerie française et que nul, jusqu'à présent du moins, ne s'est avisé de faire rougir un obus ? Les faits divers qui constituent le Livre rouge de la justice rurale ont cette même qualité de véracité. Il y est naturellement question de la grande bataille du Père-Lachaise, où l'on ne s'est pas battu[11]. Le premier journal qu'ils fondent, — à Londres, —
s'appelle le Qui-vive ! Il est de bonne encre celui-là, et il ne
cherche pas ses mots pour dire leur fait aux classes
dirigeantes. En novembre 1871, bien peu de temps après la défaite,
alors que les maisons de Paris incendié ne sont pas encore reconstruites, le
Qui-vive ! nous révèle la forme de gouvernement que la Proscription nous appliquera quand elle dirigera
la France : Apprenez que nous n'avons plus au cœur
que l'idée d'une vengeance, et nous la voulons terrible, exemplaire. Un jour
viendra, vous le savez, où nous serons de nouveau maîtres de la place. Il n'y
aura plus de grâce, plus de merci pour les tueurs de juin 1848 et de mai
1871. Nous faucherons vos têtes, seraient-elles couvertes de cheveux blancs,
et cela avec le plus grand calme. Vos femmes, vos filles, nous n'aurons plus
pour elles ni respect, ni pitié ; nous n'aurons que la mort ! La mort jusqu'à
ce que votre race maudite ait disparu à jamais. A bientôt, messieurs les
bourgeois ! La note s'est accentuée, car au début de l'insurrection on était moins exigeant ; on n'aimait pas beaucoup plus les bourgeois, mais du moins on n'en demandait pas l'extermination ; on se contentait à moins, et la Montagne du 5 germinal an 79, c'est-à-dire du mardi 4 avril 1871, semblait répondre aux besoins du moment lorsque, parlant de M. Thiers, ce petit vieux à mine de chouette, et du compère Favre, Gustave Maroteau écrivait : La Commune vous met ce matin en accusation ; vous serez jugés et condamnés, il le faut. Heindrich[12], passe ton couperet sur la pierre noire ; il faut que la tête de ces scélérats tombe ! La prose ne suffit pas à ces vengeurs du droit communard : la poésie s'impose aux grandes âmes : facit indignatio versum ! Les Tyrtées du pétrole, les Simonides du massacre accordent leur lyre et en tirent quelques accents qu'il est bon de répéter. Et toi dont l'œil nous luit à travers nos ténèbres, Nous t'évoquerons, ô Marat ! Toi seul avais raison : pour que le peuple touche A ce port qui s'enfuit toujours, Il nous faut au grand jour la justice farouche Sans haines comme sans amours, Dont l'effrayante voix, plus haut que la tempête Parle dans sa sérénité, Et dont la main tranquille au ciel lève la tête De Prudhomme décapité[13]. Prudhomme, c'est la bourgeoisie. Un autre poète, qui s'intitule un franc-tireur déporté, et qui date la Sanglante comédie, poème historique, du fort de Quélern (septembre 1872), promet à courte échéance : ... Un peuple, au grand jour, poursuivant de sa haine La race de Caïn dans le dernier bourgeois. Ceux qui sont libres, ceux qui sont détenus, aspirent au même idéal : détruire toute une classe de la société dont ils se sont expulsés eux-mêmes par fainéantise, où ils n'ont pas le courage de rentrer par le travail. Les malheureux qu'on a entassés sur les pontons, en attendant que la justice ait pu les appeler devant elle, savent tromper toute surveillance et retombent dans les habitudes où ils se sont perdus. A bord du transport l'Yonne, en rade de Brest, le 20 août 1871, un jour de représentation théâtrale, où les insurgés, travestis en acteurs, donnaient la Mort d'Abel, poème tragique en un acte, par E. Gheisbreight — c'est Amouroux —, et les Amoureux de Claudine, par A. Baily, on découvrit que la plupart d'entre eux avaient réussi à former une société secrète avec mots de passe et signes de ralliement, qu'ils appelaient la Libre Pensée. Cette société aurait pu avoir pour organe un journal dont j'ai vu un numéro pendant la Commune et qui était intitulé : l'Athée, journal des intérêts matérialistes, car dans leurs théories ils suppriment Dieu, qui cependant ne les gêne guère, puisqu'ils se conduisent comme s'il n'existait pas. Les calomnies qu'ils ont imprimées dans leurs brochures et répandues à profusion ne sont pas croyables. Il faut que l'habitude de vivre au milieu des conspirateurs leur ait donné un singulier mépris des hommes pour qu'ils osent mentir avec une telle impudence et puissent s'imaginer que leurs fables seront acceptées par la crédulité des foules. Dans une livraison du Bulletin de la Commune, publié en Belgique sous un format commode qui permet l'expédition par la poste, je lis une note extraordinaire. Ce bulletin paraît, — ou paraissait, — sous la direction de G. Cluseret, F. Gambon, membres de la Commune de Paris, et de Fesneau, président de la Ligue du Midi. Dans le n° 1, adressé au peuple français et imprimé à Liège, 1874, l'auteur d'un article intitulé Légitimité du mouvement communal, raconte que tous les crimes commis à Paris du 22 au 28 mai sont imputables à l'armée française, et que ces crimes portèrent au comble la fureur populaire. Faisant allusion au massacre des otages, l'auteur se demande : La réaction de Versailles est-elle étrangère à ces exécutions ? Et il se répond par la note que voici : Le général Cluseret, étant à la guerre, reçut plusieurs avis venant de la droite de l'Assemblée, le prévenant qu'il entrait dans les plans de M. Thiers de faire assassiner les otages, et spécialement M. Darboy. Il en conféra avec Rigault, et choisit en conséquence la garde de Mazas[14]. Dans la même livraison, on revendique toute responsabilité dans le renversement de la colonne de la grande armée et dans l'incendie des Tuileries. Quant aux autres incendies, ils sont l'œuvre, ils ne peuvent être que l'œuvre de la réaction. La Commune fut clémente, elle fut douce et maternelle : Pas une goutte de sang n'a été versée par le peuple (page 31). C'est leur marotte ; ils sont l'agneau sans tache ; Candide entrant inopinément à Paris en avril ou en mai 1871 se serait cru revenu à l'Eldorado. Dans la Commune, almanach socialiste pour 1877, imprimé à Genève, Arthur Arnould écrit cette drôlerie à la page 30 : Jamais Paris ne jouit d'une tranquillité plus absolue, ne fut aussi sûr au point de vue matériel que pendant la Commune. Il n'y avait plus ni police, ni magistrature. Pas de gendarmes, pas de juges ! Il n'y eut pas un seul délit. Le plus étrange, c'est qu'Arthur Arnould est de bonne foi. Dans certaines circonstances solennelles, ils se réunissent, discutent, rédigent une proclamation collective et la publient sous la signature de l'un d'eux. Au moment des élections législatives de novembre 1877, le menuisier Pindy, gouverneur militaire de l'Hôtel de Ville, qu'il abandonna le dernier, agissant au nom de la Fédération française de l'Association internationale des travailleurs, signe un manifeste où l'on peut lire : Vous devez vous préparer à passer de la parole à l'acte, de l'urne à la barricade, du vote à l'insurrection... Si les barricades dressent leurs pavés sur les places publiques, si elles sont victorieuses, il ne faut pas qu'il en sorte des gouvernants, mais un principe ; pas d'hommes, mais la Commune. Ce manifeste parut tellement inopportun aux journaux de nuance excessive, qu'ils l'attribuèrent, selon l'usage, à une manœuvre de police. Pindy se fâcha et se hâta de protester : Je revendique la responsabilité ; c'est vous dire que j'inflige le démenti le plus catégorique à tout ceux qui insinuent que j'ai désavoué ce manifeste. Non, la Commune représentée par les contumax et les amnistiés n'a abjuré aucune de ses prétentions, n'a abandonné aucun de ses espoirs. En marge de nos frontières, regardant vers la France, elle attend le moment d'y rentrer et de retourner vers l'Hôtel de Ville avant même qu'on ait eu le temps de le reconstruire. Elle ne le cache pas, car elle est bavarde ; elle l'a dit et répété dans les journaux qu'elle a pu fonder en Suisse, en Belgique, en Angleterre, que ce soit le Qui-vive ! la Fédération, le Mirabeau, la Nouvelle Lanterne, la Guerre sociale, l'Avant-garde, le Révolté, et d'autres qu'il serait fastidieux d'énumérer. La terre doit appartenir au paysan, l'usine doit appartenir à l'ouvrier, et toujours, partout, sur tous les tons, on crie au bourgeois le mot du trappiste : Frère, il faut mourir ! De temps à autre, on donne quelques avertissements à la justice française. En septembre 1878, Dardelle, l'ancien colonel gouverneur des Tuileries, estime dans le Mirabeau, qui se publie à Verviers, que les juges militaires sont d'impudents coquins revêtus d'un caractère soi-disant légal. Parlant de la condamnation d'Etienne Boudin, l'assassin du pharmacien Koch[15], il dit avec apaisement : Mais cette affaire n'en restera pas là ; il viendra un jour où il y aura en France une véritable justice, et alors les juges et témoins auront à rendre compte du crime judiciaire qu'ils ont commis. La justice, — la véritable justice, — que nous promet Alexis Dardelle, nous la connaissons ; elle a fonctionné pendant la Commune ; Raoul Rigault en fut le procureur général ; elle eut pour prétoire la cité de Vincennes, le préau de la Grande-Roquette, la cour des Tuileries, le passage Dubois, l'avenue d'Italie, l'avenue Victoria, la rue Servan, le fort de Bicêtre, le chemin de ronde de Sainte-Pélagie, l'avenue Parmentier, et tous les endroits où les innocents tombèrent sous les coups des meurtriers. Oui, Dardelle, vous ramènerez avec vous cette véritable justice ; nous le savons. Le souvenir des crimes qu'ils, ont prémédités n'a point troublé leur conscience ; nul repentir ne les a effleurés ; ils sont restés ce qu'ils furent au moment de l'action, implacables. Lefrançais, ancien maître d'école révoqué, qui siégea à la Commune pour le IVe arrondissement et vota contre l'organisation du Comité de salut public, a publié à Neuchâtel en 1871 un volume intitulé : Étude sur le mouvement communaliste à Paris. C'est une glorification de la Commune, il est superflu de le dire ; mais on aurait pu croire que cet homme, relativement modéré, désapprouverait certains faits de férocité. Il n'en est rien. Pour lui, Chaudey n'était point un otage, mais un accusé. Il reconnaît que l'arrestation fut un acte d'insigne maladresse, mais quant à sa mort, toute cruelle qu'elle fût, la responsabilité en remonte, comme pour la mort des otages, à ceux qui dès le début de la lutte, ainsi que le témoigne la proclamation Galliffet du 2 avril, ont érigé en système l'assassinat des prisonniers (p. 268). Après la Commune, ils se sont glorifiés de ce meurtre ; pendant la Commune, ils ont fait comprendre qu'ils le trouveraient légitime. Courbet avait protesté contre l'incarcération de son compatriote Chaudey. Pillotel, qui en qualité de commissaire de police avait arrêté celui que Raoul Rigault devait tuer, répondit : 24 avril 1871. Mon cher Courbet, vous trouvez l'arrestation du nommé Chaudey scandaleuse ! Si vous aviez été, comme moi, le fusil à la main, sur la place de l'Hôtel-de-Ville le 22 janvier, vous ne me blâmeriez pas d'avoir arrêté cet assassin. Les contumax et leurs apologistes sont restés fidèles à ce principe, qu'il faut intervertir les rôles et démontrer à l'histoire que les assassins sont des victimes et que les victimes sont des assassins. En cela consiste ce qu'ils nomment un appel solennel à la justice et au droit. III. — LES PROGRAMMES. Histoire populaire et parlementaire de la Commune. — Comment Arthur Arnould explique la mort de l'archevêque. — La troisième défaite du prolétariat français. — Les inventions de Benoit Malon. — Histoire de la Commune de Paris. — Les mensonges de Pierre Vésinier. — La fameuse bataille du Père-Lachaise. — Histoire de la Commune de 1871. — Document à consulter. — Les groupes de contumax. — La Commune révolutionnaire. — Manifeste. — Ali-Baba et les quarante voleurs. — Les économistes. — A la taverne du Duc d'York. — Les procès-verbaux. — L'effigie. — Les beaux-arts. — L'aristocratie de l'intelligence, — Les trois propagandes. — Ébriété. — L'impôt consenti. — La famille. — La guerre. — Violence et bêtise. — Souvenir du procès de l'Avant-garde.Ceux qui étaient ou qui se croyaient en état de manier une
plume ont écrit leur histoire, ils ont écrit le mémorial de la Commune et les
fastes de l'Hôtel de Ville. Ils se sont déifiés et ont vilipendé la France.
Ils sont conséquents à eux-mêmes, ne se démentent pas, mettent dans leur
récit autant de probité que dans leur gouvernement et font de la polémique
comme ils faisaient la guerre ; leur encrier aussi est plein d'huile de
pétrole. Un des meilleurs d'entre eux, Arthur Arnould, ne peut échapper à ce
genre de justification qui travestit les faits, les dénature et reporte sur
des adversaires les crimes que l'on a commis. Son Histoire populaire et
parlementaire de la Commune de Paris est une suite de considérations
diffuses où la pensée, obscurcie par une phraséologie trop abondante, a peine
à se faire jour ; c'est peut-être encore moins un plaidoyer en faveur de la
Commune qu'un réquisitoire contre le gouvernement légal : Vous mentez ! L'assassin, c'est vous ! — C'est vous l'incendiaire ! Lui aussi, il explique
comment et pourquoi Mgr Darboy est mort ; le lecteur doit l'apprendre, car il
ne s'en doute guère : On vous avait offert de vous
rendre l'archevêque, et vous avez refusé. — Pourquoi
? —Parce que le clergé rêvait, pour remonter
ses actions, de compter une victime qu'il pût transformer en martyr. Or
l'archevêque de Paris, mal avec le pape et les jésuites de Rome, par sa mort
vous donnait ce martyr à peu de frais, puisque vous le détestiez, ne le
trouvant pas assez forcené. Sa mort, les ultramontains l'eussent payée à
Thiers, car, en frappant un gallican et un prêtre, elle satisfaisait
doublement l'intérêt et la haine de l'Église. Thiers vous a donc donné ce
cadavre sciemment, par un de ces calculs machiavéliques qui lui faisaient
croire à son propre génie quand ils ne demandent tout au plus que de la
simple scélératesse. (Tome III, p. 15.)
Puisque la mort violente de l'archevêque devait apporter un si grand bénéfice
à l'Église que la Commune haïssait, il était élémentaire de ne pas le tuer.
C'est à quoi Arthur Arnould n'a pas pensé, ni les assassins non plus. Dans toutes les histoires de la Commune inventées par les communards, on trouve des élucubrations pareilles ; sous prétexte de montrer qu'ils étaient des hommes politiques, ils imaginent les conceptions les moins probables et les prêtent sans sourciller à leurs adversaires. Non seulement ils interprètent les intentions d'autrui, mais ils interprètent également des faits sur lesquels nul doute ne peut subsister, et ils donnent à la réalité d'imprudents démentis. C'est Benoît Malon qui le premier, dans la Troisième défaite du prolétariat français, tâche de propager et d'imposer une fable invraisemblable dont nous avons déjà fait justice. D'après lui, M. Washburne, ministre plénipotentiaire des États-Unis d'Amérique, aurait offert le 25 mai son intervention à Delescluze auprès des autorités allemandes afin d'obtenir une suspension d'armes et le salut des membres de la Commune (p. 455). Le mensonge est flagrant, et puisque Benoît Malon était à la mairie du XIe arrondissement, il aurait dû mieux savoir ce qui s'y est passé. Le plus extravagant de ces fabricants de romans est Pierre
Vésinier. Son Histoire de la Commune de Paris restera un modèle
inimitable pour ceux qui, de parti pris, sont décidés à ne reculer devant
aucune imposture. Il n'est point clément du reste pour les chefs de l'armée
fédérée, et lorsqu'il cite quelques passages de leurs rapports ou de leurs
lettres, il a soin de les tronquer[16]. Il dit : Ce sont les officiers d'état-major de cette espèce qui ont
rendu possible l'entrée des Versaillais dans Paris et la chute de la Commune,
ce sont eux qui sont responsables du sang qui a coulé et du massacre de
quarante mille gardes nationaux tués (p.
377). Son jugement sur la loi des otages est à retenir ; il la trouve bien modérée et bien équitable (p. 289). Les faits de guerre le surexcitent
à ce point qu'il en perd la tête, c'est à lui que l'on doit l'invention de la
bataille du Père-Lachaise. Le récit de Pierre Vésinier, ex-membre et secrétaire de la Commune, et rédacteur en
chef du Journal officiel, est le résultat d'une hallucination ;
mais tous les écrivains communards l'ont adopté et le commentent, sans
scrupule, encore à l'heure qu'il est. Le volume de Vésinier se termine par
une prédiction : La Commune renaîtra des cendres de
ses martyrs brûlés par les bourreaux incendiaires, boucaniers de Versailles ;
le vent les a déjà portés aux quatre coins du monde pour ensemencer les
champs de la révolution, dont le triomphe est assuré (p. 420). Parmi les livres que les contumax ont publiés sur cette période de leur existence, je n'en vois qu'un, — un seul, — qui offre quelque sécurité, c'est l'Histoire de la Commune de 1871, par Lissagaray (1876). Le livre est d'un jacobin et d'un sectaire. L'auteur voit les choses sous le jour de son opinion et les apprécie en conséquence : ce qui est son droit. Lorsqu'il commet une erreur, il paraît se tromper de bonne foi et ne pas mentir, comme les autres, de volonté préconçue. Les faits n'y sont point racontés sans passion, mais le plus souvent ils sont exacts et concordent avec la vérité. M. Lissagaray y met de la dignité et il accepte la responsabilité d'actes que les apologistes de la Commune ont tenté et tentent plus que jamais de rejeter sur la réaction. L'Hôtel de Ville, le Palais-Royal, la Préfecture de police, la Légion d'honneur, la rue Vavin, le Palais de Justice, la rue Royale, ne sont pas brûlés par d'autres que par les fédérés ; il a le courage de le dire, et il faut l'en louer ; cela seul assure à son travail la valeur d'un document à consulter[17]. Lui non plus, il n'est pas indulgent pour la Commune, qu'il accuse de faiblesse et d'indécision ; selon lui, elle est frappée d'une attaque de délibération chronique et en meurt ; au lieu d'agir, elle discute ; Rossel le lui a déjà reproché. M. Lissagaray estime qu'elle a manqué d'énergie en ne s'emparant pas des ressources financières de Paris, et qu'elle a manqué d'esprit politique en ne sachant pas tirer un parti suffisant des découvertes d'ossements dans les chapelles sépulcrales et des autres mystères de Picpus. En résumé, son opinion semble être que la Commune n'était composée que de gens incapables ; il les a vus de près, il les a vus à l'œuvre, et son jugement sur ce point est conforme à ce qui ressort de l'étude des faits. Les communards ne se sont point contentés de fabriquer des journaux.et des histoires ; ils ont rédigé des programmes, dans lesquels ils ont cristallisé le précipité de leurs théories. Ils se sont divisés en groupes distincts, obéissant à la loi des affinités électives et se juxtaposant selon leurs tendances ou leurs intérêts. Jacobins, blanquistes, hébertistes, économistes, internationalistes se sont séparés, s'éloignant les uns des autres, se soupçonnant, s'injuriant et formant de petites églises où les fidèles seuls avaient le droit de pénétrer. Dans ce monde, plein de défiances, où la loi des suspects est toujours en vigueur, il faut être vingt fois criminel pour n'être pas accusé d'appartenir à la police. Les tavernes de Londres, les cabarets de Carrouge, les estaminets de Belgique ont vu bien des disputes au cours desquelles le premier mot échangé était celui de mouchard. Grâce à cela, grâce à des querelles devenues éclatantes et dont le public a été pris à témoin, on a vu clair dans plus d'une retraite, et l'on a compris qu'ils avaient souvent, les uns pour les autres, une haine de frère, comme eût dit Ugo Foscolo. Je crois pouvoir affirmer que Rochefort et Cluseret ont été condamnés à mort par une société de contumax réfugiés à Londres. Le groupe le plus considérable, celui qui, exclusivement à tout autre, se considère comme représentant la pure doctrine et se croit composé d'hommes prêts à ressaisir le pouvoir en France, a repris la dénomination chère aux révoltés ; il s'appelle : la Commune révolutionnaire. Il a parlé, il faut répéter ses paroles et les écouter ; elles sont si graves, qu'on ne peut que les affaiblir en les résumant. Le manifeste que je vais citer tout entier, a été imprimé et distribué par milliers d'exemplaires ; la poste l'a transporté en forme de lettre dans toutes les parties du monde ; on l'a dissimulé sous la percaline qui revêt les livres des sociétés protestantes, pour le faire parvenir aux déportés de la Nouvelle-Calédonie. C'est l'évangile des temps nouveaux, — des temps prochains. Ceux qui ont rédigé ce programme, fruit de laborieuses discussions, ont du moins le mérite de la franchise ; ils disent à l'avenir ce qu'ils lui réservent, ils n'enveloppent point leurs desseins dans des phrases à double entente ; ils font à la civilisation cette grâce de lui éviter toute surprise. Les incendiaires du palais de la Légion d'honneur, de la rue de Lille, de la rue du Bac, de la caserne d'Orsay, de la caisse des dépôts et consignations, semblent écrire encore à la lueur des flammes. Leur prose éclaire autant que leur pétrole et prouve que ceux qui cherchent l'apaisement ne se rencontrent point parmi les évadés de la Commune, aujourd'hui contumax et fort peu repentis. Aux Communeux ! Après trois ans de compression, de massacres, la réaction voit la terreur cesser d'être entre ses mains affaiblies un moyen de gouvernement. Après trois ans de pouvoir absolu, les vainqueurs de la Commune voient la nation, reprenant peu à peu vie et conscience, échapper à leur étreinte. Unis contre la Révolution, mais divisés entre eux, ils usent par leurs violences et diminuent par leurs dissensions ce pouvoir de combat, seul espoir du maintien de leurs privilèges. Dans une société où disparaissent chaque jour les conditions qui ont amené son empire, la bourgeoisie cherche en vain à le perpétuer ; rêvant l'œuvre impossible d'arrêter le cours du temps, elle veut immobiliser dans le présent, ou faire rétrograder dans le passé, une nation que la Révolution entraîne. Les mandataires de cette bourgeoisie, cet état-major de la réaction installé à Versailles, semblent n'avoir d'autre mission que d'en manifester la déchéance par leur incapacité politique, et d'en précipiter la chute par leur impuissance. Les uns appellent un roi, un empereur ; les autres déguisent du nom de République la forme perfectionnée d'asservissement qu'ils veulent imposer au peuple. Mais quelle que soit l'issue des tentatives versaillaises, monarchie ou république bourgeoise, le résultat sera le même : la chute de Versailles, la revanche de la Commune. Car nous arrivons à l'un de ces grands moments historiques, à l'une de ces grandes crises, où le peuple, alors qu'il paraît s'abîmer dans ses misères et s'arrêter dans la mort, reprend avec une vigueur nouvelle sa marche révolutionnaire. La victoire ne sera pas le prix d'un seul jour de lutte ; mais le combat va recommencer, les vainqueurs vont avoir à compter avec les vaincus. Cette situation crée de nouveaux devoirs pour les proscrits. Devant la dissolution croissante des forces réactionnaires, devant la possibilité d'une action plus efficace, il ne suffit pas de maintenir l'intégrité de la Proscription en la défendant contre les attaques policières, mais il s'agit d'unir nos efforts à ceux des communeux de France, pour délivrer ceux des nôtres tombés entre les mains de. l'ennemi, et préparer la revanche. L'heure nous paraît donc venue pour ce qui a vie dans la Proscription, de s'affirmer et de se déclarer. C'est ce que vient faire aujourd'hui le groupe : LA COMMUNE RÉVOLUTIONNAIRE. Car il est temps que ceux-là se reconnaissent qui, athées, communistes, révolutionnaires, concevant de même la Révolution dans son but et ses moyens, veulent reprendre la lutte et pour cette lutte décisive reconstituer le parti de la Révolution, le parti de la Commune. Nous sommes athées, parce que l'homme ne sera jamais libre tant qu'il n'aura pas chassé Dieu de son intelligence et de sa raison, Produit de la vision de l'inconnu, créée par l'ignorance, exploitée par l'intrigue et subie par l'imbécillité, cette notion monstrueuse d'un être, d'un principe en dehors du monde et de l'homme, forme la trame de toutes les misères dans lesquelles s'est débattue l'humanité, et constitue l'obstacle principal à son affranchissement. Tant que la vision mystique de la divinité obscurcira le monde, l'homme ne pourra ni le connaître ni le posséder : au lieu de la science et du bonheur, il n'y trouvera que l'esclavage de la misère et de l'ignorance. C'est en vertu de cette idée d'un être en dehors du monde et le gouvernant que se sont produites toutes les formes de servitude morale et sociale : religions, despotismes, propriété, classes, sous lesquelles gémit et saigne l'humanité. Expulser Dieu du domaine de la connaissance[18], l'expulser de la société, est la loi pour l'homme s'il veut arriver à la science, s'il veut réaliser le but de la Révolution. Il faut nier cette erreur génératrice de toutes les autres, car c'est par elle que depuis des siècles l'homme est courbé, enchaîné, spolié, martyrisé. Que la Commune débarrasse à jamais l'humanité de ce spectre de ses misères passées, de cette cause de ses misères présentes. Dans la Commune il n'y a pas de place pour le prêtre : toute manifestation, toute organisation religieuse doit être proscrite. Nous sommes communistes parce que nous voulons que la terre, que les richesses naturelles ne soient plus appropriées[19] par quelques-uns, mais qu'elles appartiennent à la Communauté. Parce que nous voulons que, libres de toute oppression, maîtres enfin de tous les instruments de production : terre, fabriques, etc., les travailleurs fassent du monde un lieu de bien-être et non plus de misère. Aujourd'hui, comme autrefois, la majorité des hommes est condamnée à travailler pour l'entreprise et la jouissance d'un petit nombre, de surveillants et de maîtres. Expression dernière de toutes les formes de servitude, la domination bourgeoise a dégagé l'exploitation du travail des voiles mystiques qui l'obscurcissaient : gouvernements, religions, famille, lois, institutions du passé comme du présent, se sont enfin montrés, dans cette société réduite aux termes simples de capitalistes et de salariés, comme les instruments d'oppression au moyen desquels la bourgeoise maintient sa domination, contient le Prolétariat. Prélevant pour augmenter ses richesses tout le surplus du travail, le capitaliste ne laisse au travailleur que juste ce qu'il faut pour ne pas mourir de faim. Maintenu par la force dans cet enfer de la production capitaliste, de la propriété, il semble que le travailleur ne puisse rompre ses chaînes. Mais le Prolétariat est enfin arrivé à prendre conscience de lui-même ; il sait qu'il porte en lui les éléments de la société nouvelle, que sa délivrance sera le prix de sa victoire sur la bourgeoisie et que, cette classe anéantie, les classes seront abolies, le but de la Révolution atteint. Nous sommes Communistes, parce que nous voulons arriver à ce but sans nous arrêter aux moyens termes, compromis qui, ajournant la victoire, sont un prolongement d'esclavage. En détruisant la propriété individuelle, le Communisme fait tomber une à une toutes ces institutions dont la propriété est le pivot. Chassé de sa propriété, où avec sa famille, comme dans une forteresse, il tient garnison, le riche ne trouvera plus d'asile pour son égoïsme et ses privilèges. Par l'anéantissement des classes disparaîtront toutes les institutions oppressives de l'individu et du groupe dont la seule raison était le maintien de ces classes, l'asservissement du travailleur à ses maîtres. L'instruction ouverte à tous donnera cette égalité intellectuelle sans laquelle l'égalité matérielle serait sans valeur. Plus de salariés, de victimes de la misère, de l'insolidarité, de la concurrence, mais l'union de travailleurs égaux, répartissant le travail entre eux, pour obtenir le plus grand développement de la Communauté, la plus grande somme de bien-être pour chacun. Car chaque citoyen trouvera la plus grande liberté dans la plus grande expansion de la Communauté. Cet état sera le prix de la lutte, et nous voulons cette lutte sans compromis, ni trêve, jusqu'à la destruction de la bourgeoisie, jusqu'au triomphe définitif. Nous sommes Communistes, parce que le Communisme est la négation la plus radicale de la société que nous voulons renverser, l'affirmation la plus nette de la société que nous voulons fonder. Parce que, doctrine de l'égalité sociale, elle est plus que toute doctrine la négation de la domination bourgeoise, l'affirmation de la Révolution. Parce que, dans son combat contre la bourgeoisie, le Prolétariat trouve dans le Communisme l'expression de ses intérêts, la règle de son action. Nous sommes Révolutionnaires, autrement communeux, parce que, voulant la victoire, nous en voulons les moyens. Parce que, comprenant les conditions de la lutte, et voulant les remplir, nous voulons la plus forte organisation de combat, la coalition des efforts, — non leur dispersion, mais leur centralisation. Nous sommes révolutionnaires, parce que, pour réaliser le but de la Révolution, nous voulons renverser par la force une société qui ne se maintient que par la force. Parce que nous savons que la faiblesse, comme la légalité, tue les révolutions, que l'énergie les sauve. Parce que nous reconnaissons qu'il faut conquérir ce pouvoir politique que la bourgeoisie garde d'une façon jalouse, pour le maintien de ses privilèges. Parce que dans une période révolutionnaire, où les institutions de la société actuelle devront être fauchées, la dictature du prolétariat devra être établie et maintenue jusqu'à ce que, dans le monde affranchi, il n'y ait plus que des citoyens égaux de la société nouvelle. Mouvement vers un monde nouveau de justice et d'égalité, la Révolution porte en elle-même sa propre loi, et tout ce qui S'oppose à son triomphe doit être écrasé. Nous sommes révolutionnaires, nous voulons la Commune, parce que nous voyons dans la Commune future, comme dans celle de 1793 et de 1871, non la tentative égoïste d'une ville, mais la Révolution triomphante dans le pays entier : la République communeuse. Car la Commune c'est le prolétariat révolutionnaire armé de la dictature pour l'anéantissement des privilèges ; l'écrasement de la bourgeoisie. La Commune, c'est la forme militante de la Révolution sociale. C'est la Révolution debout, maîtresse de ses ennemis. La Commune, c'est la période révolutionnaire d'où sortira la société nouvelle. La Commune, ne l'oublions pas non plus, nous qui avons reçu charge de la mémoire et de la vengeance des assassinés, c'est aussi la revanche. Dans la grande bataille engagée entre la bourgeoisie et le prolétariat, entre la société actuelle et la Révolution, les deux camps sont bien distincts, il n'y a de confusion possible que pour l'imbécillité ou la trahison. D'un côté, tous les partis bourgeois : légitimistes, orléanistes, bonapartistes, républicains conservateurs ou radicaux ; de l'autre, le parti de la Commune, le parti de la Révolution, — l'ancien monde contre le nouveau. Déjà la vie a quitté plusieurs de ces formes du passé, et les variétés monarchiques se résolvent en fin de compte dans l'immonde Bonapartisme. Quant aux partis qui, sous le nom de République conservatrice ou radicale, voudraient immobiliser la société dans l'exploitation continue du peuple par la bourgeoisie, directement, sans intermédiaire royal, radicaux ou conservateurs, ils diffèrent plus par l'étiquette que par le contenu ; plutôt que des idées différentes, ils représentent les étapes que parcourra la bourgeoisie avant de rencontrer dans la victoire du peuple sa ruine définitive. Feignant de croire à la duperie du suffrage universel, ils voudraient faire accepter au peuple ce mode d'escamotage périodique de la Révolution ; ils voudraient voir le parti de la Révolution, entrant dans l'ordre légal de la société bourgeoise, par là même cesser d'être, et la minorité révolutionnaire abdiquer devant l'opinion moyenne et falsifiée de majorités soumises à toutes les influences de l'ignorance et du privilège. Les radicaux seront les derniers défenseurs du monde bourgeois mourant ; autour d'eux seront ralliés tous les représentants du passé, pour livrer la lutte dernière contre la Révolution. La fin des radicaux sera la fin de la bourgeoisie. A peine sortis des massacres de la Commune, rappelons à ceux qui seraient tentés de l'oublier, que la gauche versaillaise, non moins que la droite, a commandé le massacre de Paris, et que l'armée des massacreurs a reçu les félicitations des uns comme celles des autres. Versaillais de droite et Versaillais de gauche doivent être égaux devant la haine du peuple : car contre lui toujours radicaux et jésuites sont d'accord. Il ne peut donc y avoir d'erreur, et tout compromis, toute alliance avec les radicaux doivent être réputés trahison. Plus près de nous, errant entre les deux camps, ou même égarés dans nos rangs, nous trouvons des hommes dont l'amitié, plus funeste que l'inimitié, ajournerait indéfiniment la victoire du peuple s'il suivait leurs conseils, s'il devenait dupe de leurs illusions. Limitant plus ou moins les moyens de combat à ceux de la lutte économique, ils prêchent à des degrés divers l'abstention de la lutte armée, de la lutte politique. Érigeant en théorie la désorganisation des forces populaires, ils semblent, en face de la bourgeoisie armée, alors qu'il s'agit de concentrer les efforts pour un combat suprême, ne vouloir qu'organiser la défaite et livrer le peuple désarmé aux coups de ses ennemis. Ne comprenant pas que la Révolution est la marche consciente de l'humanité vers le but que lui assignent son développement historique et sa nature, ils mettent les images de leur fantaisie au lieu de la réalité des choses et voudraient substituer au mouvement rapide de la Révolution les lenteurs d'une évolution dont ils se font les prophètes. Amateurs de demi-mesures, fauteurs de compromis, ils perdent les victoires populaires qu'ils n'ont pu empêcher ; ils épargnent sous prétexte de pitié les institutions, les intérêts d'une société contre lesquels le peuple s'était levé. Ils calomnient les révolutions quand ils ne peuvent plus les perdre. Ils se nomment communalistes. Au lieu de l'effort révolutionnaire du peuple de Paris pour conquérir le pays entier à la République communeuse, ils voient dans la Révolution du 18 Mars un soulèvement des franchises municipales. Ils renient les actes de cette Révolution qu'ils n'ont pas comprise, pour ménager sans doute les nerfs d'une bourgeoisie dont ils savent si bien épargner la vie et les intérêts. Oubliant qu'une société ne périt que quand elle est frappée aussi bien dans ses monuments, ses symboles, que dans ses institutions et ses défenseurs, ils veulent décharger la Commune de la responsabilité de l'exécution des otages, de la responsabilité des incendies. Ils ignorent, ou feignent d'ignorer, que c'est par la volonté du peuple et de la Commune, unis jusqu'au dernier moment, qu'ont été frappés les otages, prêtres, gendarmes, bourgeois, et allumés les incendies. Pour nous, nous revendiquons notre part de responsabilité dans ces actes justiciers qui ont frappé les ennemis du peuple, depuis Clément Thomas et Lecomte jusqu'aux Dominicains d'Arcueil, depuis Bonjean jusqu'aux gendarmes de la rue Haxo, depuis Darboy jusqu'à Chaudey. Nous revendiquons notre part de responsabilité dans ces incendies qui détruisaient des instruments d'oppression monarchique et bourgeoise ou protégeaient les combattants. Comment pourrions-nous feindre la pitié pour les oppresseurs séculaires du peuple, pour les complices de ces hommes qui depuis trois ans célèbrent leur triomphe par la fusillade, la transportation, l'écrasement de tous ceux des nôtres qui ont pu échapper au massacre immédiat. Nous voyons encore ces assassinats sans fin d'hommes, de femmes, d'enfants ; ces égorgements qui faisaient couler à flots le sang du peuple dans les rues, les casernes, les squares, les hôpitaux, les maisons. Nous voyons les blessés ensevelis avec les morts ; nous voyons Versailles, Satory, les pontons, le bagne, la Nouvelle-Calédonie. Nous voyons Paris, la France courbés sous la terreur, l'écrasement continu, l'assassinat en permanence. Communeux de France, Proscrits, unissons nos efforts contre l'ennemi commun ; que chacun, dans la mesure de ses forces, fasse son devoir ! Le groupe La Commune révolutionnaire : ABERLEN, BERTON, BREUILLÉ, CARNÉ, JEAN CLÉMENT, F. COURNET, CH. DACOSTA, DELLÈS, A. DEROUILLA, E. EUDES, H. GAUSSERON, E. GOIS, A. GOULLÉ, E. GRANGER, A. HUGUENOT, E. JOUANIN, LEDRUX, LÉONCE, LHUILLIER, P. MALLET, MARGUERITTES, CONSTANT MARTIN, A. MOREAU, H. MORTIER, A. OLDRINI, PICHON, A. POIRIER, RYSTO, B. SACHS, SOLIGNAC, E. VAILLANT, VARLET, VIARD. Londres, juin 1874. Ceux qui ont signe ce manifeste ne furent point de minces personnages pendant les mois d'avril et de mai 1871. Toutes les hautes fonctions civiles, administratives, militaires, sont représentées ; c'est encore un gouvernement tout prêt : Cournet, Viard et Vaillant ont été membres de la Commune ; Eudes, général, membre de la Commune, a fait partie du dernier Comité de salut public ; Huguenot, Sachs, Breuillé, Dacosta, ont été les substituts de Raoul Rigault ; Gausseron a été juge d'instruction ; Gois a présidé la cour martiale ; le colonel Ledrux a été gouverneur du fort de Vanves ; Goullé a été chef d'escadron d'état-major ; Mortier, du Comité central, était délégué à la mairie du XIe arrondissement ; A. Moreau était secrétaire général à l'inspection des ambulances ; Constant Martin a été secrétaire général à la délégation de l'enseignement, et Granger a fourni les fonds à l'aide desquels Blanqui organisa le complot de la Villette qui permit à Emile Eudes de se faire connaître. Les contumax qui ne partagent pas les opinions du groupe
de la Commune révolutionnaire dont
Eudes est le chef — le dictateur — ne furent point satisfaits de ce
manifeste, que l'on jugea peu politique et fort intempestif. Il y eut du bruit
dans le Landernau de la proscription et l'on
fut mécontent de voir ainsi mettre au jour les projets que l'on mûrissait, et
qu'il était inutile de dévoiler aux réactionnaires. Gabriel Ranvier, La
Cécilia, Cluseret s'en mêlèrent et traitèrent le
général Eudes avec peu de déférence ; Vermersch dit un mot spirituel :
Ils sont trente-trois dans la Commune
révolutionnaire, c'est fâcheux ; s'ils étaient quarante, on y chercherait
Ali-Baba ! D'une lettre écrite à propos de cette proclamation par
Gabriel Ranvier, j'extrais le passage suivant : Le
programme des trente-trois est la fusillade et l'incendie... en parole ; leur but, faire peur aux bonnes d'enfants ; le
résultat, le seul du moins appréciable, le ridicule et l'odieux jetés sur
toute la proscription de 1871. Ce résultat leur est-il payé, où n'est-il dû
qu'à leur outrecuidante sottise, c'est ce que l'avenir nous apprendra.
Je trouve cette lettre sévère ; Eudes et ses acolytes racontent simplement ce
qu'ils ont fait, pour mieux dénoncer ce qu'ils feront. Ils ont eu toute la
Commune pour complice, du 22 au 28 mai ; ils ont la bonne foi de le dire :
c'est maladroit, j'en conviens ; mais ceux qui les blâment aujourd'hui ne les
ont point blâmés lorsqu'ils mettaient leur programme en action par la fusillade et l'incendie. Les hommes qui ont rédigé ce manifeste sont des blanquistes et des hébertistes, — des hommes d'action, — comme ils aiment à s'appeler eux-mêmes. En dehors d'eux s'est formé un groupe d'apparence plus pacifique, composé d'économistes, qui cherche à découvrir par la discussion la solution du problème social. Ceux-là aussi, il convient de les écouter, car ils disent parfois des choses très divertissantes. Ah ! le vieux monde n'a qu'à se bien tenir, car avec de pareils cadets il n'en a plus pour longtemps. Les théories sont à l'étude, les formules sont prêtes ; lorsque l'on reviendra, on aura dans sa poche le code de la félicité humaine ; on pourra parer à toutes les éventualités et étonner le peuple par la profondeur des conceptions. Ces apôtres du socialisme, de l'internationalisme, du collectivisme se réunissent régulièrement pour échanger ce qu'ils appellent des idées. Le jeudi me paraît être leur jour préféré ; ils ne se cachent point, ils sont abordables ; les oisifs de Londres peuvent aller les entendre à la taverne du Duc d'York ; chaque séance donne lieu à un procès-verbal. L'ensemble des procès-verbaux constitue la loi future ; il n'est ni difficile ni coûteux de se le procurer. Le nombre des assistants varie selon les circonstances. Parmi les plus assidus, je trouve Antoine Arnaud et Jean-Baptiste-Clément, de la Commune ; Vinot, colonel, commandant l'École militaire ; Maujeau, chef du visa au trésor ; Letailleur, secrétaire général aux relations extérieures ; N. Rousseau, du Comité central ; Langlois, qui a appartenu à une commission de l'octroi ; Dardelle y fait quelques rares apparitions ; puis il y a des inconnus, d'humbles proscrits qui viennent s'abreuver aux sources mêmes de la science économique, et parfois aussi des voyageurs curieux, — j'en connais, — qui savent le chemin de Bennett street. Ce groupe n'a pas l'ampleur de la Commune révolutionnaire, mais il ne manque pas d'originalité ; il représente l'Académie des sciences morales et politiques de la contumacerie. Il serait fastidieux de reproduire les insanités sur lesquelles on dispute ; le résumé des procès-verbaux des derniers mois de 1878 est suffisant pour donner au lecteur une idée de ce genre d'aberrations. Le 2 mai, après avoir décidé que l'on fusillerait ceux qui ne se soumettraient pas à la révolution, on s'occupe du capital. On s'en empare ; mais comment parviendra-t-on à forcer les bourgeois à restituer leur argent ? C'est bien simple : on fera une nouvelle effigie pour frapper la monnaie ; toute pièce qui ne portera point cette effigie sera refusée et les propriétaires des anciennes effigies seront tenus de les verser à un endroit désigné. Le 9 mai, on pense aux beaux-arts dont il convient de développer le goût dans le peuple ; grosse question qui est rapidement résolue : les riches n'ayant plus d'hôtels n'auront plus de murs pour y accrocher des tableaux ; les tableaux diminueront de valeur et on en formera des musées pour la récréation des prolétaires. — Par-ci par-là on lâche de bons aphorismes : L'épargne, c'est le vice. Le 13 juin, un orateur nommé Lassassie est d'avis que l'émancipation de la femme est une question primordiale. Et l'enfant ? Ceci mérite méditation ; on remet à quinzaine pour la solution, qui apparaît le 4 juillet : Dans la société future, il n'y aura pas d'État ; il y aura quelque chose qui se chargera de l'enfant, mais on ne sait pas comment cette chose s'appellera. C'est clair. — Le 18 juillet, un citoyen Z., compatriote de Dante, de Michel-Ange et de Galilée, dit : Ce que nous ne voulons pas, c'est l'aristocratie de l'intelligence, parce que c'est contraire à la justice. Cette motion trouble un peu Jean-Baptiste Clément, qui se croit intelligent ; à la séance suivante, il exprime sans timidité le désir que toutes les femmes soient des Staël et des Georges Sand. — Il n'est pas dégoûté, Jean-Baptiste Clément. Le 15 août, on revient aux questions économiques : Tant que nous ne posséderons pas la terre et les outils, il faudra donc discuter cette ignominie du salariat. Plus de palliatif. Il ne faut pas plus de bons patrons qu'il ne faut de bons sergents de ville ou de bons curés. Travaillons donc pour la révolution violente, qui seule peut nous sauver de la situation qui nous est faite. Pour abolir le salariat, il faut abolir le patron, et le premier acte de la révolution doit être l'expropriation de toutes les propriétés. Le 22 août, on dit : Les ouvriers se plaignent des machines, qu'ils s'en emparent et ils n'auront plus qu'à s'en louer. Huit jours après, Jean-Baptiste Clément résume la discussion : Donc, trois propagandes actives à faire : 1° à la ville ; 2° à la campagne ; 3° la plus sérieuse, qui est de développer chez tous les ouvriers le désir du bien-être ; il faut combattre tous ces mots : abstinence, vertu, résignation, persévérance 1[20]. Le 5 septembre, un incident se produit. J.-B. Clément, qui paraît être l'orateur le plus écouté du cénacle, discute la question des impôts pour arriver à les supprimer ; il termine en disant : Démontrer l'iniquité existante, démolir, abolir, pousser à la révolution, voilà notre ouvrage ; à ceux qui viendront après de voir ce qu'ils auront à faire. A cette péroraison le citoyen H. se lève : C'est de la démence, citoyens, de discuter des impôts quand nous savons tous que ça devrait être aboli, et que notre devoir de révolutionnaires socialistes nous oblige à les supprimer. Citoyens, s'il faut jurer de tuer quelqu'un, j'en suis, ça me va ; d'aller à Paris planter le drapeau rouge, j'en suis ; de tirer sur toute la canaille qui nous gouverne, j'en suis ; mais c'est trop bête de venir ici, comme des écoliers, nous qui avons fait la Commune. Violente interruption. — Le citoyen H. reprend dans des termes que j'adoucis : Je m'en moque ; je vous dis qu'il faut avoir de la résolution, et ne pas discuter des choses oisives comme nous le faisons ; nous sommes des imbéciles. Le procès-verbal constate que l'état d'ébriété du citoyen H. ne lui permet pas de formuler sa pensée avec la netteté désirable. Malgré cette sortie, la question de l'impôt tient au cœur de J.-B. Clément, qui la reprend le 12 septembre : au lieu des contributions existantes, il propose d'établir l'impôt consenti. — On hésite, on cherche à comprendre, on ne comprend pas ; on finit par demander des explications, il s'explique : Mais c'est bien simple cependant ; l'impôt consenti, c'est celui qui répond aux besoins journaliers. — Dès lors tout le monde approuve, et la motion est adoptée. Le 26 septembre, le citoyen Gratien demande à parler de la famille : La famille, c'est l'obstacle : elle est à détruire si l'on veut arriver à donner à tous une éducation égale et révolutionnaire ; puisque nous abolissons l'hérédité, l'enfant n'est plus l'héritage du père et de la mère, il appartient, à l'État. Dans ces réunions d'où sortira la société modèle, toutes les fois que l'on propose de supprimer un devoir ou d'atténuer une responsabilité, on est certain d'être applaudi. On à résolu, comme on vient de voir, les questions de la propriété, de l'impôt, de la famille ; il est temps de se hausser aux considérations abstraites et de dire quelques mots de la guerre. J.-B. Clément s'en charge dans la séance du 31 octobre : Il n'y a que les philanthropes qui s'élèvent contre la guerre ; c'est grâce à la guerre que la Commune de Paris est venue, et aussi grâce à sa défense que l'on doit le grand élan socialiste d'aujourd'hui ; pour nous révolutionnaires, il existe toujours le seul, le juste moyen de la guerre civile. Formons donc une armée de travailleurs, et guerre aux bourgeois ! Le 7 novembre, Dardelle intervient ; c'est à lui, ancien
chasseur d'Afrique, ancien colonel gouverneur du palais des Tuileries, qu'il
appartient de traiter la question militaire : Il
suffit d'un homme comme Mahomet qui, au lieu du Coran, aille l'épée d'une
main et le socialisme dans l'autre à la conquête des monarchies de l'univers.
Il ne faut penser à rien de pacifique, mais à la révolution violente, aux
coups de fusil, pour arriver à être débarrassé de la race bourgeoise, et la
guerre doit être le premier soin d'un gouvernement socialiste. II doit
immédiatement entamer une guerre de conquête jusqu'à l'extinction de la
monarchie dans tous les coins du globe. Dardelle est couvert
d'applaudissements ; aussi il revient à la charge le 5 décembre : Il faut arriver à former des révolutionnaires d'action
pour renverser tout ce qui existe et opérer un changement total de la société.
L'année 1878 se ferme à la taverne du Duc d'York sur une note plus
gaie, car le 19 décembre, le citoyen Bazin dit : La
terreur est telle en France depuis 1871, que nul n'ose plus y parler. Il n'y a pas à qualifier de telles rêveries ; un des membres de la réunion s'en est, du reste, chargé dans la séance du 9 juin, lorsqu'il a dit : Nous sommes en train de faire la cuisine de la Révolution et nous pourrions paraître monstrueux aux gens qui nous entendraient. Il ne faut ni s'étonner, ni s'effrayer outre mesure de ces sornettes. J'ai consulté les procès-verbaux de la Société démocratique française, qui tenait séance à Londres en 1839 et 1840 : ce n'est ni moins violent, ni moins bête ; mais ce qui ressort des manifestes et des discussions des contumax amis du général Eudes ou fréquentant la taverne du Duc d'York, c'est qu'ils rêvent tous la dictature, à la condition de l'exercer eux-mêmes. La Commune, essayant d'expliquer ses crimes, a prétendu qu'elle avait voulu sauver l'existence de la République menacée par l'Assemblée nationale ; elle a menti. A ces gens, la forme républicaine est aussi odieuse que la forme monarchique. Le 15 avril 1879, la cour d'assises du canton de Neuchâtel, en Suisse, eut à juger les rédacteurs d'un journal appelé l'Avant-Garde, qui prêchait l'assassinat. La plupart des accusés avaient brillé à l'Hôtel de Ville, combattu sous le drapeau rouge et avaient pu échapper à l'action des lois françaises. Le président demanda à l'un des accusés : En qualité d'anarchiste collectiviste, ne poursuivez-vous pas la suppression de l'État républicain aussi bien que de l'État monarchique ? L'accusé répondit : Oui. Il a répondu pour la Commune tout entière, qui n'a jamais eu d'autre but, ni d'autre intention. IV. — LE QUART-ÉTAT. Les Christophe Colomb. — Apôtres et prophètes. — Une prédiction. — Les privilèges de la noblesse. — Du clergé. — De la bourgeoisie. — Toute carrière est ouverte à tous. — Prétention hautaine. — La régie du monde doit appartenir au prolétariat. — Une lettre adressée à Varlin. — Les révolutionnaires sont des prétendants. — La République de 1848 et la République de 1871 frappent les adversaires de la monarchie et de l'empire. — Le Caïnisme. — Ubiquité. — Le devoir. — Même poison. — En Allemagne. — Dernières paroles d'un régicide. — La chanson du pétrole. — Le nihilisme. — La Commune jugée sévèrement. — Le moyen de faire son chemin dans le monde. — L'armée de la révolte permanente. — La Commune. — Ses véritables chefs. — Traîtres, incendiaires et assassins.Les insurgés de 1871, poussés par des mobiles qui échappent à toute morale, à tout patriotisme, se sont soulevés contre le pays légal, ont remporté une victoire inique, se sont conduits au pouvoir comme des viveurs fanfarons et cruels, ont essayé de détruire Paris qu'ils ne pouvaient plus détenir, ont été sans dignité ni force devant les conseils de guerre, et, dans leurs réunions de contumax, ont ressassé toute sorte de sottises qui prouvent leur violence et leur nullité. Cela est fait pour rendre modeste, et cependant il n'est pas un de ces coupables que n'ait saisi le démon de l'orgueil, et qui ne s'imagine être de taille à bâtir une civilisation modèle. Leur superbe est extrême ; ils se croient des Christophe Colomb, et sont partis à la découverte du nouveau monde. Ils sont tellement certains de le voir émerger un jour du sein des brumes où se perdent leurs rêveries, qu'ils l'ont déjà baptisé. Ils le nomment le Quart-État, par opposition au tiers-état dans lequel se sont absorbées, mêlées, fondues comme dans un creuset social d'une incomparable puissance, toutes les castes qui jadis ont divisé la société française. Il en est ainsi. Ces hommes que nous avons jugés à l'œuvre, dont les actes, quels qu'ils soient, sortent d'un moule invariablement médiocre, dont le pétrole a été l'argument péremptoire et le massacre le raisonnement élaboré, ces hommes se regardent comme des novateurs : ils sont des prophètes et des apôtres. Ils sont les Dieux de la Genèse où l'humanité va trouver sa forme définitive. De ce qu'ils ont fait, nul regret ; ils ont été les soldats du Droit ; demain, s'ils le peuvent, ils seront les exécuteurs de la Justice. Ils redressent la tête, montrent le poing à la civilisation, et se vantent de lui avoir livré le plus rude assaut qu'elle ait jamais supporté. Un témoin déposant devant la commission d'enquête parlementaire sur le 18 mars avait prévu cela et l'avait annoncé : Quant aux prisonniers, vous verrez que, dans quelques années, pour beaucoup ce sera un titre de gloire ; ils diront : J'étais un des soldats de la Commune. Ils en tireront une grande vanité ; les ambitieux s'en feront un marchepied politique ; ils se présenteront aux élections et seront peut-être nommés ; en tous cas, ils auront bien des voix. Le président répondit : Vous nous faites là de l'état moral de Paris une peinture fort triste ! Le témoin ne s'était point trompé, les héros qui ont été les vainqueurs de l'archevêque et de M. Bonjean sont plus fiers que jamais. L'immorale politique s'est abaissée jusqu'à eux et leur a tendu la main pour s'en faire des alliés ; ils sont prêts à mettre en pratique les théories que nous connaissons, celles de la Commune révolutionnaire ou celles de la taverne du Duc d'York : toutes ensemble peut-être, dans un éclectisme qui permettra de piller d'un côté, d'incendier de l'autre, de fusiller partout. Ceux-là ne demandent qu'à installer ce Quart-État qu'ils ont inventé, et à détruire tous les privilèges dont ils souffrent, car ils ont découvert que la société actuelle est fondée sur des privilèges. Qui s'en serait douté ? La logomachie du temps d'Hébert et de Marat leur est restée aux lèvres ; ils répètent des mots qui n'ont plus de sens et qu'ils n'ont jamais compris. Pour ces novateurs fanatiques d'imitation, pour ces voyants atteints de cécité, notre société est séparée en classes distinctes : la noblesse, le clergé, la bourgeoisie, comme à l'époque où l'on rédigeait les cahiers des états généraux, et chacune des classes est armée de privilèges à l'aide desquels elle opprime le peuple. A voir la réalité des choses, il n'en est pas tout a fait ainsi. Les privilèges de la noblesse consistent à se jeter dans l'industrie pour subsister : il y a des ducs et des comtes qui sont marchands de vin ; les privilèges du clergé lui permettent de porter des soutanes trouées au coude, d'être insulté sans répondre, de ramasser, d'élever, d'instruire les enfants de ceux qui l'ont fusillé et qu'il a bénis avant de mourir ; le privilège de la bourgeoisie est de sortir du peuple par l'intelligence, le travail, la probité, l'épargne et d'y rentrer par l'ignorance, la fainéantise, l'ivrognerie et la prodigalité. Des privilèges du peuple on ne parle pas ; ce sont cependant ceux qui appartiennent au premier comme au dernier des citoyens français, de voir toute carrière, toute grandeur ouverte devant soi ; plus d'un de nos généraux de division est parti le fusil sur l'épaule et la giberne au flanc. Un de nos plus grands savants était ouvrier cordonnier, un de nos bons écrivains était tonnelier, et si je feuilletais les annuaires de l'Institut, de l'Assemblée nationale, du Sénat, des grandes administrations, que d'hommes illustres et respectés n'y trouverais-je pas qui ont couru pieds nus au temps de leur enfance, et qui ont péniblement gagné le pain des premières années ! Parmi ceux qui vivent et dont la France s'enorgueillit — il convient de ne citer personne — on n'aurait que l'embarras du choix. Dans l'industrie, dans le commerce, quel est le travailleur sérieux qui osera dire qu'il n'a pas réussi ? Un ancien ouvrier devenu patron et actuellement maire d'un arrondissement de Paris a écrit : Depuis plus de vingt ans que nous vivons au milieu de la classe laborieuse, nous avons remarqué que tous les bons ouvriers qui se sont établis sont arrivés à un bon résultat[21]. Les privilèges que le Quart-État doit renverser n'existent que dans l'imagination des révolutionnaires. On en parle, on en fait grand bruit ; mais lorsqu'on les cherchera, on ne pourra les découvrir. Cette bouffonnerie cache une prétention qu'il faut réduire en termes simples. Le Quart-État signifie que le gouvernement doit appartenir par droit de naissance à ceux qui n'apprennent rien, ne savent rien et veulent ne rien faire. C'est, le système des castes renversé ; au prolétariat seul incombe la régie du monde, parce qu'il est le plus nombreux. La Commune, c'est le prolétariat révolutionnaire armé de la dictature par l'anéantissement des privilèges et l'écrasement de la bourgeoisie, a dit le manifeste des trente-trois. Ceci est bien antérieur à la Commune et il y a longtemps que cette maxime a été formulée. Elle est à la fois le point d'appui et la doctrine de l'Internationale. Je la trouve clairement exprimée dans une lettre qu'un ouvrier de Reims adressa le 10 mars 1870 à Varlin, qui, on se le rappelle, était en correspondance avec les groupes internationalistes de Portugal, d'Espagne, d'Allemagne et de France. C'est nous qui donnons la vie à toutes les nations. Sans nous rien n'existerait : ce qui fait que nous sommes la vraie force, la force qui fait vivre et par là la seule force juste, qui vaut bien la force destructive qui appartient aux bourgeois, nos éternels ennemis, qui ne pensent qu'à leur ambition et à leur insociabilitè et qui voudraient encore vivre sans rien produire, excepté le désordre social et tous les maux qui s'en suivent et qui nous ruent les uns sur les autres pour nous entredéchirer comme des bêtes sauvages, pour ce qu'ils appellent patrie, gloire, victoire, choses bien vaines pour nous aujourd'hui. Je le répète, nous sommes le nombre, nous sommes la force, nous sommes le droit, nous sommes la justice, nous sommes la morale universelle, et une cause aussi juste que la nôtre ne doit pas succomber ; l'éternelle morale est là pour l'attester ! Ces hommes-là sont des prétendants. L'opinion qu'ils ont d'eux-mêmes leur interdit le travail et ne leur permet que les premiers rôles ; leur ambition est d'autant plus intense qu'elle ne repose que sur des illusions. Ils croient à leur avenir, ils le voient, ils vont y toucher. A leur manière, ce sont des fanatiques. Au-dessus du chaos des revendications indéterminées, ils aperçoivent le Quart-État dont la tête est nimbée d'un triangle égalitaire, semblable au couperet de la guillotine ; il dit, entre deux hoquets à l'absinthe : Je suis parce que je suis ! Dans leur ingénuité, ils s'imaginent que l'on peut, en toutes choses, supprimer les intermédiaires, comme dans le commerce, acheter en fabrique et à la grosse. Il ne suffit pas de vouloir être pour devenir. La réputation, les honneurs, la fortune, ça ne s'achète pas, cela s'acquiert. Les escaliers qui conduisent à ces sommets se gravissent degré par degré, il faut parfois plus d'une génération pour toucher le faîte. Les générations sont les étapes entre le point de départ et le point d'arrivée. Ces étapes, le collectiviste voudrait n'en tenir compte ; entre lui et le but auquel il aspire, il trouve le labeur, l'effort, la persévérance, le temps ; c'est là ce privilège qu'il accusé, c'est là l'éternel ennemi. Il est pressé de jouir, il n'a ni le loisir, ni le courage de s'élever jusqu'à la fortune ; il veut la violer avec effraction, et il fait la Commune, sous prétexte de renverser la caste oppressive par excellence, la bourgeoisie, qui cependant ne peut se retourner sans apercevoir son ancêtre immédiat, l'ouvrier, — le prolétaire, — d'où elle est sortie. Ce que la Commune aurait tenté — ce qu'elle tentera, — c'est la substitution instantanée — sans phrase, — du prolétariat à toute autre classe de la société, dans la propriété, dans l'administration et dans l'exercice du pouvoir. Les moyens qu'elle emploiera pour parvenir à son but, nous les connaissons ; les programmes qu'elle tâchera d'appliquer, nous les avons cités. Le branle est mené par des hommes pour lesquels conspirer est une carrière. La forme du gouvernement qu'ils attaquent leur est indifférente. Nous avons vu la République de 1848 arrêter, fusiller et déporter les conspirateurs qui avaient voulu renverser la monarchie parce qu'elle était la monarchie, et la République de 1871 a arrêté, fusillé et déporté les conspirateurs qui avaient attaqué l'Empire parce qu'il était Empire. Ce sont là des prétextes auxquels les hommes d'État ne se laissent pas prendre, quoiqu'ils feignent parfois de les admettre. Les guerres, les défaites, les malheurs du pays ne sont que des causes secondaires, quand ce ne sont pas des occasions. La cause primordiale est plus lointaine et plus féconde ; elle est dans l'homme même. Les rédacteurs du Bulletin de la Commune ont raison de dire : L'origine générale du mouvement communal de 1871 est vieille comme le monde[22]. Elle remonte en effet au temps de la Genèse ; elle date du jour où Caïn a tué son frère. C'est l'envie qui est derrière toutes ces revendications bégayées par des paresseux auquel leur outil fait honte, et qui en haine du travail préfèrent les chances du combat à la sécurité du travail quotidien. Ce vice originel est le moteur des âmes basses et des intelligences douteuses. Il n'a pas de nom ; on pourrait l'appeler le Caïnisme. Il a fait les massacres de septembre, il a fait la loi de prairial, il a fait la Commune. Il n'est pas qu'en France, il est partout. Le pivot du vieux monde est faussé ; la civilisation est ataxique ; elle penche à gauche, elle va tomber. L'Europe se regarde et ne se reconnaît plus. Elle contemple avec effroi le monstre qui est sorti d'elle. Se peut-il qu'elle ait donné le jour à ce Caliban ? Il est aussi vieux qu'elle, elle devrait ne pas l'ignorer, si elle savait son histoire. Jadis il apparaissait çà et là. Aujourd'hui, grâce à l'imprimerie, à l'électricité, à la vapeur, il semble doué d'ubiquité et en tous lieux on le voit en même temps. On en a peur, c'est le bon moyen d'être vaincu par lui. L'énigme du sphinx n'est point difficile à résoudre : à ceux qui n'usent de la liberté que pour briser la légalité, l'autorité a le droit et le devoir de faire face avec énergie. Les aspirations vagues sont d'autant plus redoutables qu'on ne peut les réaliser, et c'est en augmenter l'intensité que d'essayer de les satisfaire. Le droit commun appartient à tous, et les avenues sociales sont assez larges pour que chacun puisse y marcher à l'aise. Ceux qui refusent d'y prendre place sont criminels et mettent la société eh état de légitime défense contre eux. Collectivistes, communards de France, démocrates socialistes d'Allemagne, nihilistes de Russie, appellations diverses, tendances pareilles ; eau de sel, acide muriatique, acide chlorhydrique, étiquettes différentes, même poison. Nous ne sommes pas seuls malades, et les autres nations ne se portent guère mieux que nous. Si ce sont nos défaites, une contribution de guerre écrasante, l'amputation de deux provinces qui chez nous ont déterminé le mouvement de la Commune, comment se fait-il que des victoires inespérées, une indemnité de guerre exorbitante, l'annexion de deux provinces aient déchaîné en Allemagne la férocité des démocrates socialistes ? Le vieil empereur a réalisé le rêve du Vaterland ; il a réveillé Frédéric Barberousse qui depuis l'an 1190 dormait dans la caverne de Kyffhäuser. Il a créé cette unité après laquelle l'Allemagne soupirait. Cela ne lui a pas fait trouver grâce devant les novateurs à qui la patrie importe peu. Un docteur Nobiling a tiré sur lui comme sur un loup, parce que le ferblantier Hœdel l'avait manqué précédemment. Celui-ci. avant de monter sur l'échafaud, a donné son dernier souvenir aux initiateurs, aux hommes du 18 mars et du 24 mai ; il a écrit : La roue du temps broie tout sur son passage, vive la Commune ! Il n'y a pas de ciel, vivat la France ! Encore un martyr à placer dans le panthéon communard, à côté de Ferré, de Rigault et de Fieschi. La Commune a le droit d'être fière, elle a fait des élèves dignes d'elle, et qui sauront peut-être la surpasser un jour. Écoutez la petite chanson que l'on chante à Berlin, dans les salles publiques, lorsqu'on y offre des banquets à quelque député populaire. — Ici le pétrole, là le pétrole ! — Pétrole partout. — Dans nos verres, versez-le jusqu'au bord. — Vive le pétrole ! — Nous sommes des pétroleurs — inconnus aux hommes, — nous rendons hommage au bon pétrole. — Ah ! comme il brûle — et comme il éclaire ! — Au fond du cœur du peuple, — le pétrole brûle en secret. — Vive à jamais le pétrole ! C'est là rendre justice à la Commune, et l'âme du bouvier Victor Bénot, l'incendiaire des Tuileries, a dû tressaillir de joie. La Commune est moins favorablement appréciée par le nihilisme. Nous avions cru que tant de monuments brûlés, tant de sang versé lui auraient valu l'indulgence de ceux auxquels elle a ouvert la route des revendications : nous nous étions trompés ; le temps a marché depuis lors, et les idées ont obéi à la loi du progrès. Il paraît que la Commune a été faible et qu'elle a manqué d'énergie. Voici comment elle est jugée dans un des écrits sortis (avril 1879) des presses du nihilisme : La Commune de Paris de 1871 valait un peu mieux que les républicains les plus avancés, parce que ses incendiaires ont pressenti l'aurore de l'avenir ; mais la Commune ne nous suffit pas, parce qu'elle ne savait pas être logique. Elle a indiqué le programme de la Révolution sociale, mais elle manquait de courage pour l'exécuter. Les chefs de la Révolution russe promettent d'agir autrement, car les demi-mesures de la Commune ne mènent à rien. Par un sentimentalisme exagéré et par défaut d'énergie, la Commune n'a massacré que quelques otages. Notre but à nous, c'est l'anéantissement de l'aristocratie et de la bourgeoisie, leur ensevelissement sous les ruines de l'ancien monde. On est sévère pour la Commune sur les bords de la Néva ; heureusement que les programmes de la Commune révolutionnaire, de la taverne du Duc d'York et de l'Avant-Garde, formulés par des contumax français, la réhabiliteront aux yeux de ses frères du nihilisme. Ce n'est pas seulement l'Allemagne victorieuse, la Russie conquérante, maîtresse des Turcs, aux portes de Constantinople, presque à Sainte-Sophie, qui vivent sous la menace de l'assassinat systématique et de la désorganisation quand même : c'est l'Italie dont on essaye d'assassiner le roi ; c'est l'Espagne, qui a aussi son régicide. En présence de ces crimes, les communards chantent hosannah, et disent : Les temps sont proches ! Ils applaudissent et croient que leur jour va venir ; car il y a deux moyens de faire son chemin dans le monde : aider la société de tout son effort, ou la combattre de toutes ses forces. Ce dernier moyen, depuis quelques années, paraît être le plus rapide ; il mène parfois à Nouméa, parfois au plateau de Satory, mais souvent au pouvoir. Cela est fréquent dans notre pays, qui oublie tout et ne veut rien apprendre. — Si ces hommes-là sont des fous, comme le disent quelques aliénistes, ce sont des fous dangereux, auxquels la camisole de force ne serait pas inutile. Des fous, il y en eut comme ailleurs, mais pas plus qu'ailleurs, dans le troupeau de la Commune ; il y eut aussi des ahuris, des pauvres d'esprit qui se jetèrent dans l'aventure sans même se douter où elle pouvait les conduire ; il y eut des hommes à bout de voie, que l'on eut l'incurie d'abandonner à eux-mêmes, et qui, ne sachant où trouver du pain, ramassèrent celui que l'insurrection leur offrait. Ceux-là sont dignes de pitié, car on aurait pu les arracher à la révolte, et on ne l'a pas fait. Devant ces groupes indécis jusqu'à la dernière heure, on voit se pavaner les vaniteux, fiers de leurs galons, ivres de leur importance, comparses qui jouaient au major et au colonel comme ils auraient joué les brigands dans un mélodrame, malfaisants par sottise, et ne voyant guère dans ce bouleversement que le droit de porter des bottes molles qui les ravissaient. A côté de ces cabotins empanachés, les repris de justice, — qui furent nombreux, — libres enfin et maîtres, faisant leur main, grappillant partout, braves au feu, poussant au mal et décidés à ne plus subir un état social qui a des tribunaux pour juger les voleurs et des prisons pour les enfermer. Tout cela c'est l'armée, l'armée de réserve de l'insurrection en expectative, comme il en existe dans toute ville trop populeuse, mais ce n'est pas la Commune. Celle-ci, je la vois dans un groupe de sept à huit cents individus passionnés, réfléchis, rongés par l'ambition, méprisant le peuple au nom duquel ils parlent, haïssant les riches qu'ils envient, et prêts à tout pour être célèbres, pour être obéis, pour être dictateurs. Ce sont de petits bourgeois déclassés, des ouvriers désespérés de n'être point patrons, des patrons exaspérés de n'avoir point fait fortune ; ce sont des journalistes sans journaux, des médecins sans clientèle, des maîtres d'école sans élèves : c'est Rigault, c'est Ferré, c'est G. Ranvier, c'est Parisel, c'est Pillot, c'est Urbain, c'est Gaillard, c'est Trinquet, c'est Eudes, Gois, Mégy, Sérizier, c'est toute cette bande dont les noms sont revenus si souvent sous ma plume. Ceux-là, ils sont hors de l'humanité, et leurs crimes les en chassent à toujours. L'amnistie pourra les ramener dans le pays dont ils avaient juré la perte, dans la ville qu'ils ont voulu détruire ; le suffrage universel, inconscient peut-être, à coup sûr irresponsable, pourra les ramasser, en faire des conseillers municipaux, des députés-, des sénateurs, des présidents de Comité de salut public, cela ne parviendra pas à les laver ; ils ont aux mains la tache de sang que toute l'eau de la mer n'effacerait pas, et l'odeur de pétrole dont ils sont imprégnés ne s'évaporera jamais. Devant l'histoire comme devant la morale, ils resteront ce qu'ils ont été dans leurs actes : des traîtres à la patrie blessée, des incendiaires et des assassins. FIN DU QUATRIÈME ET DERNIER VOLUME |
[1] Voir Convulsions de Paris, t. III, La Banque de France.
[2] Ferré a énergiquement refusé de se reconnaître l'auteur du fameux ordre : Flambez finances ; il a eu raison. Il y a tout lieu de croire que cet ordre était apocryphe ; je crois que l'on peut en dire autant de l'ordre qui mettait des escouades d'incendiaires sous le commandement de Millière, Dereure, Billioray et Vésinier. Cet ordre, publié dans tous les journaux de l'époque, produit au procès, présenté sous forme de fac-similé photographique, me semble douteux. Il a été cependant question de cette pièce à la commission d'enquête. M. Vacherot. Avez-vous connaissance d'une pièce que j'ai sous les yeux, une espèce de petit carnet, dans laquelle se trouve une note de laquelle il résulte que Millière avait l'abominable mission de détruire par le feu les monuments de la rive droite ? — M. le général Appert. Je n'ai pas connaissance de cette pièce, mais on nous a dit, en effet, que Millière avait été chargé d'organiser l'insurrection sur la rive gauche, tandis que Ferré l'organisait sur la rive droite. (Déposition du général Appert.)
[3] Voir Convulsions de Paris, t. I, La Santé.
[4] Rossel avait formé un recours en grâce qui fut apostillé par un grand nombre de ses camarades de promotion à l'École polytechnique ; par plusieurs notables de Metz ; par le général Vergne et les officiers du camp de Nevers ; par des dames de la maison nationale de Saint-Denis ; par son père et sa mère ; par M. Léon de Malleville, député ; par un certain nombre d'habitants de Valentigney et de Mandeure (Doubs).
[5] Pierre Bourgeois, sergent au 45e régiment de ligne : outrages et voie de fait envers un capitaine du génie ; port d'armes contre la France en combattant dans les rangs des bataillons fédérés de la garde nationale contre l'armée française.
[6] Le gouvernement de M. Thiers, par M. Jules Simon, t. I, p. 167.
[7] Lorsque le complot des Bombes fut déféré à la haute cour de Blois, le parti révolutionnaire déclara que ce complot n'existait que dans l'imagination de la police. Un des auteurs de la machination s'est chargé d'en révéler les détails. Voici ce que Gustave Flourens a écrit : S'emparer des Tuileries en une nuit, grâce à quelques intelligences au dedans, et en y terrassant les bonapartistes, s'ils essayaient de résister, au moyen de formidables engins de destruction mis par la science au service des peuples opprimés ; paralyser à force d'audace tous les souteneurs, si terriblement armés, du tyran, et, avec quelques hommes d'une immense énergie, affranchir de ses chaînes un grand peuple énervé : tel était le complot qui devait séduire alors un peuple généreux et brave. (Gustave Flourens, Paris livré, 6e édition, p. 11. Paris, Le Chevalier, 1875.)
[8] Greffier eut son rôle dans la soirée du 31 octobre 1870. Le capitaine Greffier, nommé par Flourens commandant de l'Hôtel de Ville, met en arrestation Ibos, fait expulser le 106e bataillon par les tirailleurs, s'empare de toutes les issues, place des tirailleurs aux fenêtres. Flourens, Paris livré, loc. cit., p. 148.
[9] Massacre de la rue Haxo ; débats contradictoires, 6e conseil de guerre, audience du 16 mars 1872.
[10] Étude médico-légale sur les épileptiques, par le docteur Legrand du Saulle, p. 123.
[11] C'est le Livre rouge de la justice rurale qui a servi de base, de document authentique, aux apologies de la Commune que les journaux radicaux ont publiées en 1879 et en 1880.
[12] Heindrich était alors exécuteur des hautes œuvres à Paris.
[13] Les incendiaires, par M. Eug. Vermersch. Londres, 1872.
[14] Bulletin la Commune (livraison de 32 pages), p. 29.
[15] Procès E. Boudin ; débats contradictoires, 3e conseil de guerre, 16 février 1872.
[16] Razoua en arrivant à Genève écrit : Après avoir défendu l'École militaire, suis rentré chez moi, 6, rue Duperré, vers sept heures, écrasé de fatigue ; blessé et hors de combat, je me suis reposé. Dans son Histoire de la Commune, P. Vésinier cite la lettre de Razoua (p. 376-377), mais il a soin de supprimer les mots blessé et hors de combat, ce qui lui permet toute sorte de considérations.
[17] Sur deux points M. Lissagaray commet une grave erreur. Il dit que le colonel Brunel a, dans la rue Royale, fait incendier les maisons occupées par les tirailleurs de Versailles. Toutes les maisons incendiées dans la rue Royale étaient situées entre les deux barricades tenues par les fédérés ; elles furent allumées le mardi 23, entre 4 et 5 heures de l'après-midi ; les troupes françaises ne s'en emparèrent que le mercredi 24, entre 6 et 7 heures du matin. En outre, M. Lissagaray attribue l'incendie des docks de la Villette au feu des batteries de Versailles, il se trompe ; les incendiaires de la Villette ont comparu devant la justice militaire et la concordance des témoignages n'a laissé aucun doute sur leur culpabilité.
[18] Je pense qu'on a voulu dire : expulser Dieu du domaine de la conscience.
[19] Appropriées doit évidemment signifier : être possédées.
[20] Développer le désir du bien-être chez tous les ouvriers paraît être en contradiction avec le principe que l'Internationale professait avant le 4 septembre : A Londres, quand nous parlions d'améliorer le sort des ouvriers, ils nous répondaient qu'ils voudraient voir les ouvriers dix fois plus malheureux. Quand vous aurez donné aux ouvriers tout ce qui leur sera nécessaire, ils ne voudront plus sortir de chez eux. Enquête parlementaire sur le 18 mars ; déposition des témoins ; déposition Héligon.
[21] Le sublime, par M. Denis Poulot. Paris, 1870, p. 180.
[22] Le Bulletin de la Commune, n° 1, p. 7.