LES CONVULSIONS DE PARIS

TOME TROISIÈME. — LES SAUVETAGES PENDANT LA COMMUNE

 

CHAPITRE PREMIER. — LE MINISTÈRE DE LA MARINE.

 

 

VIII. — LE 21 MAI.

 

Les défenses de la place de la Concorde. — La Commune est sur ses fins. — Les docteurs Le Boy de Méricourt et Mahé mandés à la délégation de la guerre. — Bon vouloir de Latappy. — Concert aux Tuileries. — On apprend que l'armée française est dans Paris. — Ordre du Comité de salut public. — La débandade. — Départ des fédérés. — Départ du délégué. — Toutes les défenses sont abandonnées. — Espoir déçu. — L'armée ne vient pas et canonne la place de la Concorde. — Les forces insurrectionnelles réoccupent la rue Royale. — Le colonel Brunel. — On cherche en vain le père Gaillard. — Pierre-Ludovic Matillon, commandant civil de la marine. — Une nouvelle barricade.

 

Pendant que les batteries de la marine accéléraient la libération de Paris, Napoléon Gaillard avait terminé ses barricades. La place de la Concorde était devenue inabordable ; une barricade coupant le quai de la Conférence en amont du pont se reliait aux deux grandes terrasses des Tuileries munies d'épaulements qu'armaient des canons ; une redoute placée à l'entrée de la rue de Rivoli, engorgeant la rue Saint-Florentin, affleurant le ministère de la marine, rejoignait une barricade élevée un peu en avant du débouché de la rue Royale ; il eût fallu le feu de plus d'une batterie pour détruire ces ouvrages s'ils avaient été convenablement défendus. C'était un but de promenade pour les Parisiens. On allait voir ces amoncellements de sacs de terre, et l'on s'amusait de l'importance que le père Gaillard se donnait au milieu de ces barricades, qu'il se plaisait à faire admirer aux passants. Le samedi 20 mai, j'avais été les voir ; pour en mieux comprendre la disposition générale, j'étais monté sur la terrasse des Tuileries et je regardais, lorsque mon attention fut éveillée par la conversation de deux femmes qui causaient près de moi. L'une disait : Comment ! vous êtes à Paris ? — L'autre, avec un léger accent anglais, répondit : Oui, je suis arrivée ce matin de la campagne, je repartirai lundi ou mardi. — La première reprit en baissant la voix : Si vous le pouvez, repartez tout de suite ; ça va mal pour la Commune ; les Versaillais ne tarderont plus longtemps. Mon mari est employé à l'Hôtel de Ville, vous le savez, il y est resté par ordre ; eh bien, depuis mercredi dernier (16 mai) tous ces gens-là semblent avoir perdu la tête et brûlent des papiers, surtout les papiers qu'ils ont signés ; et puis écoutez !... — En disant ces derniers mots, la femme levait la main dans la direction du sud-ouest ; le roulement des artilleries remplissait l'horizon.

Cette femme ne se trompait pas, la Commune était sur ses fins ; elle se préparait à la lutte suprême, qu'elle sentait imminente, en redoublant de brutalité. L'inspecteur général du service de santé, M. Raynaud, prévenu par un avis officieux qu'il était désigné pour servir d'otage et qu'il allait être arrêté, avait réussi, non sans peine, à quitter Paris et était arrivé, à Versailles le 19 mai. Le lendemain 20, les deux médecins de l'ambulance de la marine, MM. Le Roy de Méricourt et Mahé, reçurent par estafette ordre de se rendre au ministère de la guerre. Ils y furent reçus par un jeune chirurgien militaire de la Commune, agressif, grossier et tout gonflé de suffisance. Ce citoyen mal élevé reprocha aux deux docteurs d'avoir manqué à leurs obligations professionnelles en n'envoyant pas au service sanitaire du ministère de la guerre les états quotidiens de leur ambulance. Si pareille irrégularité se reproduisait, on se verrait dans la nécessité de sévir ; une telle négligence dénonçait les projets réactionnaires des monarchistes, sur lesquels on ouvrirait les yeux ; du reste, on allait mettre bon ordre à ce scandale : lundi prochain, 22 mai, l'ambulance de la marine serait évacuée, les malades seraient transportés à l'hôpital Lariboisière, les valides seraient versés dans la garde nationale ; quant aux médecins, ils seraient attachés aux bataillons de marche.

M. Le Roy de Méricourt et M. Mahé revinrent fort attristés au ministère de la marine ; il leur paraissait pénible, après avoir fait tant d'efforts pour maintenir leurs blessés à l'ambulance, d'être obligés de les livrer à l'insurrection, qui les forcerait à la servir ou les emprisonnerait. Ils se présentèrent chez Latappy, lui expliquèrent la nouvelle situation qui leur était faite et lui demandèrent d'intervenir. A côté de Delescluze, délégué à la guerre, le délégué à la marine, fonctionnaire en sous-ordre et fort peu consulté, n'était qu'un bien mince personnage ; il le sentait. Il promit cependant de faire son possible pour empêcher l'évacuation de l'ambulance. Je tâcherai, disait-il, de vous adresser à un chirurgien moins intraitable, je ne sais si je réussirai ; lundi, soyez au ministère de la guerre avant midi ; j'aurai prévenu ; peut-être reviendra-t-on sur la décision prise ; j'espère, en tout cas, que l'on ne vous tourmentera pas trop.

Le dimanche 21 fut un jour de réjouissance. Dans la matinée toute circulation avait été momentanément interrompue sur la place de la Concorde, car le père Gaillard s'était fait photographier, debout, imposant et cambré, devant sa barricade favorite. Pendant la journée, des musiques, militaires, réunies dans le jardin des Tuileries, donnèrent un grand festival imaginé et réglé par le docteur Rousselle. Il y eut du monde. Lorsque le concert eut pris fin, vers quatre heures du soir, un officier fédéré monta sur une chaise et, tournant le poing dans la direction de l'Arc de Triomphe, il s'écria : Jurons que jamais Thiers n'entrera dans Paris ! On jura. Serment posthume et sans conséquence ; depuis une heure Thiers était dans Paris.

On apprit cette bonne nouvelle au ministère de la marine par quelques marins de l'ancienne flottille qui, ayant couru bordée vers le Point du Jour, du côté d'un cabaret où l'on fabrique de bonnes matelotes, avaient détalé à toutes jambes lorsqu'ils surent que les pantalons rouges se montraient dans Auteuil. Ce fut un désarroi dans le poste et dans la cantine ; on se parlait à voix basse et l'on ne paraissait pas rassuré. M. Le Sage, sur le pas de sa loge, M. Gablin, passant et repassant dans la cour, prêtaient l'oreille, recueillaient les propos et restaient impassibles. Vers dix heures du soir, une estafette apporta à Latappy la lettre suivante, qui est fort probablement une circulaire que l'on adressa à toutes les autorités du moment. La situation devient grave, les municipalités doivent se tenir en permanence, prêtes à toutes éventualités. Occupez-vous de rassembler tous les artilleurs, de votre arrondissement et de les diriger de suite sur l'École militaire. Salut et fraternité. — Le secrétaire général du Comité de salut public, HENRI BRISSAC. Latappy comprit cette instruction d'une façon particulière ; il réunit ses chefs de service, leur déclara qu'ils étaient consignés et leur défendit de sortir du ministère. On se le tint pour dit et nul n'insista. La nuit se passa fort gaiement à boire et à manger, a écrit un témoin oculaire dans une relation que j'ai sous les yeux ; seulement ces messieurs montaient à tour de rôle sur la terrasse, interrogeaient l'horizon et redescendaient en disant : On n'entend rien.

Au point du jour, vers quatre heures du matin, la place de la Concorde, qui avait été silencieuse pendant la nuit, s'emplit de tumulte ; un troupeau de fédérés, avec ou sans armes, fuyaient sans retourner la tête, heurtés, renversés par les fourgons, par les pièces d'artillerie qui bondissaient sur les pavés. Par le Cours-la-Reine, par l'avenue des Champs-Elysées, par l'avenue Gabriel, ils accouraient les bras serrés au corps, allant droit devant eux, hors d'haleine, escaladant les barricades et disparaissant vers le centre de Paris. Les moins effarés avaient conservé leur fusil. Les caissons, les cavaliers se jetaient dans la rue Boissy-d'Anglas et gagnaient le boulevard, libre d'obstacles. Au delà du pont de la Concorde, on entendait aussi une grande rumeur : c'étaient les bandes de Vinot et de Razoua qui galopaient comme des chacals en abandonnant l'École militaire, le Champ de Mars et l'Esplanade des Invalides. M. Gablin saisit une longue-vue, enjamba les escaliers en quelques bonds et de la terrasse du ministère il regarda vers le Trocadéro ; il aperçut des soldats de la ligne et des fusiliers marins qui s'y massaient. Il respira largement comme un prisonnier délivré. En descendant, il rencontra M. Le Sage et lui dit : Les voilà ! nous sommes sauvés ! M. Le Sage répondit : Les matières incendiaires sont encore dans la petite cour.

Le 30e bataillon sédentaire, qui était toujours de garde à l'hôtel de la marine, se rassembla sans mot dire et s'en alla par la rue Royale, oubliant derrière lui un de ses tambours qui était tellement ivre que l'on ne parvint jamais à le réveiller. Latappy descendit du faite des grandeurs avec une simplicité qui fait son éloge. Vers cinq heures du matin, au moment où le bataillon pliait bagage et opérait sa retraite, Latappy demanda une tasse de café ; il dit au garçon qui la lui apporta : Eh bien ! tu n'auras plus longtemps à me servir ; tout a une fin en ce bas monde ; je vais quitter le ministère sans avoir eu le temps d'y introduire les réformes que j'avais projetées. Hélas ! depuis la prise du fort d'Issy[1], je m'attendais à quelque chose ; ça a tourné mal plus vite que je ne pensais ; adieu, mon brave, sois toujours honnête homme ; je te souhaite de rencontrer des ministres qui ne soient pas plus chiens que moi ! Ceci dit, il prit un grand portefeuille, y mit quelques chemises, quelques chaussettes, et donna ordre d'introduire près de lui tous les chefs de service. Lorsque ceux-ci furent réunis et qu'ils prenaient déjà l'attitude d'hommes auxquels on va adresser une allocution patriotique, Latappy leur dit : Filons, mes enfants, nous n'avons plus rien à faire ici. C'est de la sorte que le délégué à la marine quitta son ministère. Que n'a-t-il été imité par les autres délégués ? Latappy rejoignit probablement les membres de la Commune et les suivit dans leurs dernières étapes. Le vendredi 26 mai, il était au secteur de la rue Haxo, lorsqu'on y poussa les malheureux qui devaient y périr ; ce que l'on sait de son caractère permet d'assurer qu'il s'est éloigné avec horreur de ce lieu de boucherie.

A cinq heures et demie du matin, le lundi 22 mai, il ne restait plus un seul partisan de la Commune au ministère ; employés, fédérés, délégués, canonniers de contrebande, marins postiches, marins à cheval, gouverneur, tout ce mauvais monde avait décampé. Le docteur Mahé, MM. Gablin, Le Sage, Langlet, les infirmiers, se félicitaient ; on se préparait à faire bon visage à nos troupes ; les portières jacassant sur les trottoirs de la rue Royale se réjouissaient à l'idée que les laitières allaient pouvoir rentrer à Paris et que le café au lait serait moins rare. A la barricade du quai de la Conférence, derrière les balustrades de la terrasse des Tuileries, à la redoute de la rue de Rivoli, à l'ouvrage avancé de la rue Royale, il n'y avait personne. Tout était désert, abandonné, à la disposition du premier peloton qui se serait présenté. Debout sur la galerie du ministère d'où l'on découvre Paris depuis le pont de la Concorde jusqu'aux verdures de Passy, M. Gablin regardait, étonné de ne pas voir apparaître nos soldats. — Ô France ! que tu as été lente à venir !

Le temps s'écoulait, il était six heures et demie : Que font-ils donc ? disait M. Gablin. Un sifflement passa devant lui, un candélabre jaillit en morceaux et un obus éclata. C'était une batterie française que l'on venait d'établir au Trocadéro et qui canonnait la place de la Concorde que l'on croyait occupée et défendue par les fédérés. Au bruit de l'explosion, tous les habitants du ministère étaient accourus sur la galerie et se désespéraient. Un boulet prit la statue de Lille par le travers et la coupa en deux. Et mes blessés ! cria M. Mahé. L'ambulance en effet prenait jour sur la place ; on se hâta d'évacuer les malades et de les transporter dans les appartements qui, s'ouvrant sur la rue Saint-Florentin, étaient moins exposés aux projectiles.

Dans Paris, vers les boulevards, on entendait les clairons qui sonnaient des appels désespérés ; quelques hommes groupés autour du drapeau rouge parcouraient les rues en criant : Aux armes ! Au loin, dans les églises, le tocsin retentissait ; vers le nord-est, la fusillade crépitait, car le corps du général Clinchant, déjà maître de la gare Saint-Lazare, attaquait la barricade Clichy par la place de l'Europe. Au ministère de la marine tout le monde était dans un état nerveux indescriptible. Une longue-vue avait été braquée sur la terrasse, à l'angle même du toit, derrière un des grands trophées. Chacun allait y mettre l'œil et croyait toujours voir des pantalons rouges courir sur le quai, sous les arbres du Cours-la-Reine et se diriger vers la rue Royale. On disait : Les voilà ! Je les vois ! L'illusion seule les voyait ; ils ne venaient pas ; ils ne devaient venir que quarante heures après pour prendre possession du ministère aux lueurs de la rue Royale, ruisselante de pétrole, embrasée et croulante.

La déroute des fédérés traversant la place de la Concorde au galop avait été terminée a cinq heures du matin. Jusqu'à dix heures, nul soldat de la révolte n'y apparut, nul essai de résistance n'y fut tenté. Bergeret avait quitté le Corps législatif et s'était replié sur le palais des Tuileries. A dix heures on entendit un grand bruit de voix, de clairons, de tambours, de piétinements de chevaux. C'était le colonel Brunel qui, à la tête de 6.000 hommes environ, venait prendre le commandement des défenses de la place de la Concorde. On ouvrit les portes du ministère donnant sur la rue Royale, les portes ballant sur la rue Saint-Florentin et l'on put communiquer d'une barricade à l'autre, sans danger, à l'abri du vaste bâtiment, dont la façade reçut plus d'une blessure.

Le colonel Antoine-Magloire Brunel avait alors quarante ans ; sa taille élancée, ses cheveux grisonnants, sa moustache teinte en noir et retroussée, un certain air de tristesse et de distinction répandu sur toute sa personne le rendaient peu semblable aux chefs communards que l'on était accoutumé à voir promener dans les rues leur tenue débraillée et leur démarche titubante. Il passait pour brave et n'avait aucune tare dans sa vie antécédente. Ce fut la vanité qui le perdit et l'entraîna dans une cause pour laquelle il n'était, pas fait. Ancien sous-lieutenant au 4e chasseurs d'Afrique, fort épris des doctrines du spiritisme, s'étant refusé à subir une punition, ayant volontairement quitté le régiment après.une bonne carrière militaire, il avait été élu chef du 107e bataillon (11e de marche) pendant le siège de Paris par les armées allemandes. Au 31 octobre, il avait été bien près de prendre parti pour les émeutiers, car il fit sonner le tocsin à l'église Saint-Laurent, afin de rassembler ses hommes et de se porter avec eux sur l'Hôtel de Ville. Au combat de Buzenval, il déploya un courage qui fut signalé et le fit proposer pour la croix de la Légion d'honneur. Ce fut la capitulation, ce fut peut-être un aveugle sentiment de patriotisme qui lui fit perdre la tête. De concert avec un certain Piazza, il essaya de soulever la garde nationale, demanda la continuation de la guerre et placarda quelques appels à la révolte. Condamné pour ce fait à deux ans de prison, il fut délivré, se cacha, et s'offrit au Comité central qui, le 18 mars, en fit un général. Membre de la Commune, aux délibérations de laquelle il n'assistait guère, il fut nommé chef de la 10° légion, défendit le fort d'Issy vigoureusement et y reçut un éclat d'obus qui le força au repos pendant quelques jours. Évidemment mal à l'aise avec lui-même, mécontent des gens de la Commune qui le traitaient un peu cavalièrement et l'avaient, en un jour de colère, accusé de trahison, Brunel s'aigrit, s'exaspéra et fut d'autant plus redoutable qu'il sentait bien que son devoir eût été de marcher avec cette armée de Versailles qu'il avait accepté de combattre. Comme les gens qui comprennent leurs torts et ne veulent pas en convenir, il s'avança plus encore dans la voie mauvaise où sa vie passée, ses instincts, son éducation auraient dû l'empêcher de jamais mettre le pied. Il est de ceux sans doute qui, dans ces derniers moments, se sont dit : Puisqu'on ne peut plus reculer, il faut aller jusqu'au bout. Il y alla brutalement, et au lieu de l'honnête soldat qu'il avait été, il devint un scélérat.

Son premier soin fut de demander le père Gaillard. On ne put s'empêcher de rire ; Napoléon Gaillard, qui, la veille encore, la main derrière le dos et les yeux animés, paradait sur ses barricades, n'avait pas reparu et ne devait pas reparaître. Il fut imité en cela par tous les hauts fonctionnaires que la. Commune avait infligés à la marine, et qui ne se montrèrent plus dans la rue Royale. J'en excepte Matillon, qui, au moment où le corps d'armée de Brunel arrivait, vint en volontaire de la révolte offrir ses services, qui furent agréés. Son attitude fort courtoise pendant qu'il exerçait les fonctions de chef de la comptabilité au ministère, n'aurait jamais fait soupçonner qu'il fût capable de se jeter dans l'insurrection furieuse. Vêtu d'un paletot gris à collet noir, faisant valoir le titre de commissaire civil de la marine, titre qu'il s'était adjugé ou qu'on lui avait conféré à l'Hôtel de Ville, il déploya pendant toute la bataille une ardeur dont on fut surpris. A-t-il été enivré par le combat ? a-t-il réellement cru faire son devoir en défendant à outrance un poste qui lui avait été confié ? a-t-il mis son point d'honneur à persister quand même dans une folie criminelle dont il n'avait pas prévu la dernière crise ? Nous l'ignorons ; mais nous savons qu'il rêva de s'ensevelir sous les ruines du ministère de la marine, comme autrefois les matelots du Vengeur s'étaient engloutis dans les flots, car il l'a dit.

Brunel fit rapidement l'inspection des ouvrages de défense. On était protégé contre toute attaque se prononçant par les Champs-Elysées ou le pont de la Concorde ; mais les derrières n'étaient point assurés et la rue Royale offrait une voie libre aux troupes qui pourraient débucher par le boulevard Malesherbes ou par le boulevard de la Madeleine. C'était là un danger auquel il fallait parer sans délai, afin d'empêcher la position d'être prise à revers. Dans la cour de la maison portant le n° 14 de la rue Royale, on trouva dix-sept tonneaux vides appartenant à un restaurateur voisin. On s'en empara et ce fut le premier élément de la barricade qui fut construite en demi-cercle rue Royale, en avant de la rue et du faubourg Saint-Honoré qui lui servaient de chemins abrités et dont la face était tournée vers l'église de la Madeleine. Tout ce quartier, qui, le matin même, pendant quatre heures, avait cru à sa délivrance prochaine que les circonstances avaient rendue si facile, se voyait maintenant occupé, bloqué par l'insurrection arrivée en force et prête à tout. Prise entre la barricade de la place de la Concorde et la barricade élevée sur l'emplacement où se dressait jadis la porte Saint-Honoré, toute la partie sud de la rue Royale devenait une place d'armes qui, pendant deux jours, allait arrêter le progrès des troupes françaises.

 

 

 



[1] On peut trouver trace des inquiétudes de Latappy dans la lettre suivante, datée du 11 mai 1871, qu'il adressa Au citoyen Landowski, commissaire central délégué à la marine. — Citoyen commissaire : En ce moment les circonstances que nous traversons sont d'une telle gravité qu'elles exigent de notre part à tous la plus stricte et la plus suprême surveillance. Je viens donc vous prier de donner les ordres les plus formels pour qu'à partir de ce jour, il y ait constamment en permanence un de vos délégués au commissariat central de la marine. Dans le cas où vous manqueriez de personnel, veuillez me faire part de toutes vos réclamations à ce sujet et je me ferai un devoir de faire droit à toutes vos demandes pour assurer en tout et pour tout le service de vos importantes fonctions. Je compte sur vous. Salut et fraternité. Le délégué à la marine : E. LATAPPY.