VI. — LES AVANIES. Le vol est en permanence au ministère. — Jules Fontaine. — Réquisition de l'argenterie. — La part du feu. — Le 30e bataillon sédentaire. — Inquisition et abus d'autorité. — M. Gablin est arrêté. — A la permanence. — Chez Cournet. — Chez le juge d'instruction. — Un sceptique. — M. Gablin est libre. — Retour au ministère. — Latappy s'excuse. — Le commissaire de police Landowski. — Les barricades. — Le père Gaillard. — Les camions de pétrole. — Que font nos hommes ?Le ministère, à peine protégé par l'ambulance où MM. Raynaud, Le Roy de Méricourt, Mahé, Portier et Cazalis continuaient leur service, surveillé par les employés de l'administration régulière que l'on y avait laissés, eut plus d'un assaut à subir pendant que les capitaines de frégate galonnés par la Commune rivalisaient de zèle pour former des corps d'élite et se faire adjuger, de gros appointements. Latappy essayait bien de maintenir un peu d'ordre dans son personnel ; mais que pouvait-il seul au milieu de la mauvaise engeance dont il était entouré, et surtout avec le 224e bataillon, qui continuait à camper dans l'hôtel que l'on mettait volontiers au pillage ? L'ivresse dissipait promptement les quelques scrupules qui subsistaient encore, et les fédérés, déjà fort peu soucieux de l'honneur de leur uniforme, dont Rossel devait sottement leur parler plus tard, considéraient comme légitimement acquis tout ce qu'ils pouvaient mettre dans leurs poches. Ils usaient entre eux d'un mot qui les peint bien ; ils disaient, lorsqu'ils quittaient le poste : Je vais au fourrage. Aller au fourrage, c'était gravir les escaliers du ministère, ouvrir la porte des bureaux, faire sauter le tiroir des tables, briser la serrure des armoires et voler les menus objets que les employés avaient oubliés ou abandonnés en se retirant sur Versailles. L'adjudant Langlet avait beau avoir l'œil sur eux, ils déjouaient toute surveillance et levaient les épaules en ricanant lorsque l'on essayait de leur faire honte de leur conduite. Parfois le chef du matériel, M. Gablin, le concierge, M. Le Sage, étaient avertis par quelque planton effaré ; ils accouraient alors, prenaient ces détrousseurs de chambre au collet et d'un coup de pied les envoyaient rouler dans l'escalier. Il n'en était que cela, et ça recommençait le lendemain. Les montres, les porte-monnaie, les bijoux, les armes précieuses dont le ministère possédait une importante collection, tout objet de valeur, en un mot, disparut de la sorte et disparut pour toujours. La Commune faisait en bloc ce que ses soldats se plaisaient à faire en détail ; elle avait besoin d'argent, en manquait, et cherchait à s'emparer des services de vaisselle plate appartenant aux ministères et aux grandes administrations. A cet effet, elle avait, le 15 avril, institué un directeur général des domaines appelé Jules Fontaine, qui le 7 mai fut également nommé séquestre des biens du clergé. Ce Fontaine trouva facilement à la délégation des finances les états indicatifs de l'argenterie réservée aux usages de chaque ministère. Le 17 avril, accompagné d'un commissaire de police nommé Charles Mirault[1], il vint en personne à l'hôtel de la marine réclamer, au nom du gouvernement qu'il représentait, les soixante-dix-huit articles dont se composait le service de table du ministère. L'ordre non daté dont il était porteur était ainsi conçu : Le citoyen Fontaine, délégué à la direction des domaines, est autorisé par la Commission exécutive à enlever et transporter à la Monnaie l'argenterie du ministère de la Marine, après inventaire fait dans les formes légales. Pour la Commission exécutive : Avrial, E. Vaillant, Vermorel, Delescluze. M. Gablin, auquel il s'adressa, bien résolu à ne point dévoiler dans quel trou il avait versé l'argenterie, répondit sans se troubler : La vaisselle plate ? il y a longtemps qu'elle n'est plus ici ; ils l'ont emportée. Il expliqua alors que dans la nuit du 18 mars, lorsque l'évacuation du ministère avait été décidée, une partie de l'argenterie, la plupart des objets précieux et les armes de guerre avaient été chargés sur un fourgon qui avait pris route sur Versailles. Fontaine lui dit alors : Vous devez avoir une décharge, montrez-la-moi. — Ma foi, répliqua M. Gablin, on était si pressé que je n'ai point pensé à la demander et qu'on n'a pas pensé davantage à me l'offrir. Du reste, il y aurait eu un compte-matières à faire, car on a dû laisser quelques pièces ici et l'on n'avait pas le temps de vérifier. Fontaine se mit en quête et découvrit en effet des plats et un grand surtout de table en plaqué. En homme avisé, M. Gablin avait fait la part du feu, c'est-à-dire de la Commune ; bien lui en avait pris. Le directeur du domaine donna un reçu et constata dans son procès-verbal que les articles manquants avaient été transbordés à Versailles par les royalistes. Le commissaire de police signa sans faire d'objection, et nul ne songea à sonder les sous-sols. L'argenterie ainsi enlevée fut livrée à la Monnaie, où Camélinat la fit jeter en fonte ; on y retrouva, au mois de juin, soixante couteaux en vermeil qui valaient 932 fr. 27 c. L'alerte n'avait pas été bien chaude, et le ministère de la marine semblait devoir jouir de quelque repos, d'autant plus que le 224e bataillon avait été relevé le 19 avril et remplacé par le 30e bataillon sédentaire venant de Belleville, composé de petits boutiquiers, gens d'ordre et de tenue convenable, auxquels on n'eut aucun reproche grave à adresser. Les tiroirs furent respectés, et l'on ne fut plus obligé d'enjamber des ivrognes endormis lorsque l'on gravissait les escaliers. Ce fut un bon temps relatif ; mais que de gêne encore, que de précautions prises contre toute liberté, pendant cette période d'abjection ouverte au nom de la liberté ! La porte du ministère qui bat dans la rue Saint-Florentin était mise sous scellés, comme une caisse de banqueroutier. Le concierge de la rue Royale, M. Le Sage, devait tenir sa porte toujours fermée ; on pénétrait dans le ministère par le poste des fédérés, où l'on était examiné avec soin ; après sept heures du soir, avant six heures du matin, on ne pouvait entrer sans montrer un laissez-passer ; une fois admis dans l'enceinte sacrée, on était conduit de sentinelle en sentinelle jusqu'au gouverneur Gournais, qui, lorsqu'il n'était pas ivre, daignait prendre, une décision. Les habitants de l'hôtel n'étaient même pas exemptés de ces vexations ; pour s'y soustraire, le docteur Mahé ne sortait jamais le soir et était toujours rentré avant sept heures. En ce temps-là chaque délation était écoutée, tenue pour bonne, et donnait motif à des avanies. M. Gablin en fit l'expérience. Vers les premiers jours de mai, il vit entrer dans son cabinet un commissaire de police portant l'écharpe en sautoir, et suivi d'une dizaine d'estafiers vêtus en gardes nationaux. — Le citoyen Gablin, chef du matériel de l'ex-ministère de la marine ? — C'est moi. — Au nom de la loi, je vous arrête. — Pourquoi ? — Parce que j'en ai reçu l'ordre. — La raison était sans réplique ; M. Gablin prit son chapeau et dit : Eh bien ! marchons ! — Le commissaire de police lui expliqua qu'on allait le garder à vue jusqu'à ce que l'on se fût assuré de deux autres employés. Les deux sous-ordres contre lesquels un mandat d'amener avait été lancé, étaient MM. Manfrina et Juin, le fumiste et le serrurier qui avaient aidé M. Gablin à cacher les armes et l'argenterie. Ces trois arrestations opérées simultanément ne laissaient aucun doute aux trois prisonniers, qui se regardèrent comme pour se dire : Nous avons été dénoncés. On les amena à la Préfecture de police. C'est à peine si les gens qui les voyaient passer faisaient attention à eux. A ce moment, les arrestations arbitraires étaient si fréquentes qu'on ne les remarquait plus. Sur le Pont-Neuf, quelques curieux s'arrêtèrent et dirent : Ce sont des curés déguisés. On les fit entrer d'abord au bureau de la permanence, pour les remettre entre les mains de Chapitel. Celui-ci commença l'interrogatoire, que M. Gablin sut faire porter sur lui seul. Son argumentation fut très simple : — Ces deux hommes arrêtés, on ne sait pourquoi, sont deux hommes attachés au ministère ; ils sont hiérarchiquement soumis au chef du matériel ; l'un ne peut déplacer un tuyau de poêle, l'autre planter un clou, sans son autorisation, sans son ordre ; s'ils sont prévenus de faits qui se sont passés dans le ministère et qui se rapportent à leur fonction spéciale, ils ne sont pas responsables, car ils n'ont fait qu'obéir. Le chef du matériel les couvre de son autorité ; la Préfecture de police peut le garder, l'interroger, l'incarcérer, si bon lui semble, mais, au nom de la justice, elle doit relaxer ces deux hommes qui sont d'honnêtes ouvriers, et qui, comme tels, ont droit à la bienveillance de la Commune. — Le chef de la permanence se grattait la tête en écoutant M. Gablin, qui parlait avec quelque vivacité ; le fumiste et le serrurier ne soufflaient mot. Chapitel sembla consulter de l'œil un chef de bataillon fédéré qui se trouvait près de lui, et qui n'était autre que le commandant de place Decouvrant. Celui-ci haussa les épaules en signe de doute. Chapitel dit alors à haute voix : — Après tout, il a raison, — et il renvoya MM. Juin et Manfrina. Puis, s'adressant à M. Gablin, il ajouta : — Quant à vous, je vais vous expédier au citoyen délégué ; il verra ce qu'il veut faire de vous. Heureusement pour M. Gablin, le délégué n'était plus Raoul Rigault et n'était pas encore Théophile Ferré ; c'était Frédéric Cournet, un viveur, sans méchanceté, spirituel parfois, sensuel toujours et qui aurait pu n'être pas nuisible si l'ivrognerie ne l'eût abruti. M. Gablin était doublement satisfait d'avoir vu ses ouvriers rendus à la liberté, car c'était, d'une part, les soustraire à tout péril immédiat, et, de l'autre, c'était lui donner à lui-même la possibilité de se justifier, — il ne savait pas de quoi, — sans qu'un débat contradictoire vînt lui infliger un démenti. Il fut placé entre quatre nouveaux fédérés pris au poste voisin et conduit au cabinet des anciens préfets de police. Il franchit un escalier, des couloirs, des corridors, une galerie suspendue, plusieurs pièces et le palier d'un second escalier. Partout il vit des gardes nationaux au milieu de bidons, de gamelles, de litres, de jeux de cartes, de feuillettes placées sur chevalet et de débris de charcuterie. Entre tous les postes gardés par les fédérés pendant la Commune, celui de la Préfecture de police était le plus envié ; il avait son sobriquet : on l'appelait le campement de la ribote. Après une assez longue attente, M. Gablin fut introduit près du délégué assis devant un magnifique bureau orné de bronze doré sur lequel une chope à moitié vide était posée. Cournet parut ne pas savoir de quoi il s'agissait, interrogea distraitement le prisonnier et donna ordre de le conduire devant un juge d'instruction qui aviserait. On fit une nouvelle promenade à travers d'autres couloirs, d'autres corridors et des cours ; on escalada deux étages dans un bâtiment neuf ; on s'arrêta dans une antichambre, et M. Gablin fut reçu par un homme d'une trentaine d'années, vêtu d'une robe de magistrat et coiffé d'une toque. Quel était ce juge d'instruction ? Il est difficile de le dire précisément, car M. Gablin a oublié son nom. D'après le résultat de l'interrogatoire et la façon bienveillante dont il fut mené, on doit croire que M. Gablin fut conduit devant Frédéric-Joseph Moiré, qui fit fonction de juge interrogateur dès l'établissement de la Commune, mais qui ne fut officiellement nommé que le 8 mai. C'était un sceptique, sans fiel, sans conviction, sans principe, qui traversait le Palais de Justice comme il avait traversé la caisse des dépôts et consignations : parce qu'on le payait. Il a signé plus d'un mandat de libération au temps de la Commune, et si ça lui a valu quelques aubaines, on aurait mauvaise grâce à les lui reprocher. Il examina rapidement les paperasses qu'un homme de l'escorte lui remit. Resté seul avec M. Gablin, il ne put réprimer un sourire et dit : Vous avez donc fait murer l'entrée du souterrain de la marine ? — M. Gablin eut un soupir de soulagement : on ne savait rien ni de l'argenterie, ni des armes cachées. — Mais il n'y a jamais eu de souterrain. — J'en suis convaincu, répondit le juge. — L'interrogatoire, commencé de la sorte, dégénéra promptement en conversation. M. Gablin vit sans peine qu'il était en présence d'un bon garçon, et en profita ; il mit de la rondeur, de la gaieté dans ses réponses, et au bout d'un quart d'heure le magistrat et l'accusé étaient les meilleurs amis du monde. — Surtout, disait le juge, n'ayez aucune correspondance avec Versailles, parce qu'alors le procureur général (Raoul Rigault) évoquerait l'affaire, et je n'aurais plus à m'en mêler. — Tout en causant, il avouait qu'on allait un peu loin, et que l'éducation du peuple n'était pas encore complètement faite. — Allons, retournez chez-vous, dit-il en terminant à M. Gablin, je regrette que l'on vous ait dérangé. — On se quitta sans se dire au revoir, mais en se donnant une poignée de main. M. Gablin était en liberté, il le croyait du moins, mais il avait compté sans le zèle des fédérés. La nuit venait ; il errait dans les couloirs, cherchant sa route et ne la trouvant guère, car il avait été amené au Palais par les dégagements intérieurs de la Préfecture de police, c'est-à-dire par un labyrinthe où il était facile de s'égarer, lorsque l'on n'en connaissait pas les détours. Au coin d'un corridor, il aperçut un garde national en faction et lui demanda son chemin. Le fédéré lui répondit : Vous, vous m'avez l'air d'un évadé et je vais vous conduire au Dépôt. — M. Gablin eut beau regimber, il fallut obéir ; heureusement ce fédéré prudent entra au poste pour prendre des hommes de renfort, afin de s'assurer du prisonnier. Celui-ci fut reconnu par un des soldats qui l'avaient conduit chez le juge d'instruction. M. Gablin fut ramené devant le magistrat, qui cette fois signa une mise en liberté régulière, à laquelle il ajouta courtoisement un laissez-passer. M. Gablin, rentré au ministère où l'on n'espérait plus trop le revoir, fut mandé chez Latappy. Le délégué s'excusa, dit qu'il regrettait ce qui s'était passé, parla de malentendu, et finit par insinuer qu'il avait fait prier Cournet de relâcher le prisonnier arrêté par erreur, — ce qui était contraire à la vérité ; enfin, avec quelque embarras, Latappy demanda à M. Gablin de s'engager par écrit à ne plus correspondre avec Versailles. M. Gablin se soumit à cette condition d'autant plus volontiers qu'il n'envoyait aucune correspondance à son ministre régulier et qu'il se contentait de rapports verbaux directement faits à M. de Champeaux, avec lequel il avait des rendez-vous fixés d'avance, mais dont le lieu n'était jamais le même. En effet, M. de Champeaux, dont le dévouement fut impeccable, avait été décrété d'accusation ; il le savait, prenait les précautions nécessaires, ne dormit pas, depuis le 12 avril, une seule nuit dans le même domicile, et à force de sagacité réussit à dépister les recherches que Raoul Rigault dirigeait contre lui. M. Gablin en avait été quitte à bon compte, car plus d'un fonctionnaire paya alors par une longue détention la fidélité gardée aux administrations régulières. Le 30e bataillon était toujours au poste du ministère et n'offrait aucun danger, mais l'introduction subite d'un nouveau personnage prouva aux employés qu'il fallait redoubler de prudence. Le 6 mai, un Polonais, nommé Landowski, vint s'installer et établir ses bureaux dans l'hôtel de la marine en qualité de commissaire de police de la navigation et des ports. C'était un ami de Raoul Rigault, qui le 20 mars l'avait nommé commissaire de police provisoire du quartier Saint-Denis ; cela n'avait point empêché Landowski de participer à une action militaire, sous le titre de chef de légion. Il était à Asnières le 20 avril, sur la rive gauche de la Seine ; repoussé par les troupes françaises, il perdit quelque peu la tête, et passa le pont de bateaux, qu'il donna ordre de rompre. L'ordre fut exécuté, au détriment des gardes nationaux, qui, bousculés par nos soldats, se noyèrent, furent tués ou mirent bas les armes. Cette équipée lui avait démontré qu'il ne suffit pas de porter des galons pour savoir diriger une retraite, et il s'était confiné dans ses fonctions de policier, pour lesquelles il paraît avoir eu du goût. Il fut activement mêlé à la mission révolutionnaire qui fut confiée à Landeck et à Mégy pour établir la commune à Marseille[2]. Raoul Rigault, quoique devenu procureur général, tenait à être renseigné sur les actes et les tendances de chaque administration ; il avait des agents à la guerre, à la justice, aux finances ; il voulut en avoir un à la marine et y envoya Landowski, avec mission occulte de surveiller Latappy, ses différents chefs de service et de rendre compte de sa conduite, de sa correspondance et des propos de tous les fonctionnaires réguliers, médecins, chef du matériel et autres. Il fut deviné et ne put rien apprendre, car l'on se tint vis-à-vis de lui dans une attitude assez correcte pour déjouer les soupçons. Ce Landowski représentait une sorte d'inconvénient moral auquel on put se soustraire ; les travaux de défense construits autour de l'hôtel de la marine créaient un inconvénient matériel insupportable, car ils y amenaient une grande quantité d'ouvriers, de fédérés soupçonneux, qui, eux aussi, demandaient à voir l'entrée du souterrain. Il y eut plus d'une lutte à soutenir contre ces hommes, et M. Le Sage, le concierge, avait fort à faire pour les empêcher d'encombrer la cour, dont ils auraient voulu faire leur quartier général. C'était l'heure où Napoléon Gaillard avait été chargé d'élever la redoute de la rue Saint-Florentin et la barricade qui, englobant l'issue de la rue Royale, menaçait la place de la Concorde, le pont, le Corps législatif, le Palais-Bourbon et le ministère des affaires étrangères. Il était venu voir Latappy et le remercier d'avoir mis à sa disposition cent dix fûts trouvés dans les magasins du ministère ; il saluait fort bas le concierge et lui demandait la faveur de remiser ses brouettes dans la cour. Familièrement on l'appelait l'empoisonneur, car, pour fortifier ses talus et les blinder, il les avait fait garnir avec des paquets de chiffons qui, — ainsi qu'eût dit Rabelais, — puaient bien comme cinq cents charretées de diables. Ces chiffons étaient contenus dans des sacs gris et dans des sacs en toile à matelas ; il les faisait alterner, obtenant de la sorte une décoration grossière qui le ravissait. Les temps n'étaient point gais alors, et cependant l'on a conservé un bon souvenir du père Gaillard au ministère de la marine, car il était si naturellement burlesque qu'il y faisait rire tout le monde. Ce qui parut moins comique que le commandant supérieur du bataillon des barricadiers de la Commune, c'est que, vers le 16 mai, trois camions pénétrèrent par ordre dans la cour du ministère. Ils étaient chargés de touries de pétrole, de caisses renfermant des mèches soufrées, d'obus décoiffés. Tous ces engins de destruction furent rangés dans la petite cour qui s'ouvre derrière la porte de la rue Saint-Florentin. On interrogea le délégué et les fonctionnaires ; ils répondirent d'une façon évasive : Il n'y a pas lieu de s'inquiéter, ce sont des munitions de guerre destinées aux remparts ; on ne les a que momentanément déposées au ministère. Le docteur Mahé, M. Gablin, M. Le Sage, n'étaient point convaincus-, ils secouaient la tête, et regardant dans la direction de Versailles, ils se disaient : Mais que font donc nos hommes ? Ce que nos hommes faisaient, il faut le dire, car ils eurent une action considérable dans la délivrance de Paris. |
[1] Ce Charles Mirault fut chargé de procéder à la destruction de la chapelle expiatoire, ainsi qu'il ressort des pièces suivantes : L'an mil huit cent soixante et onze et le vingt mai, nous, Ch. Mirault, commissaire de police attaché aux domaines, requérons dix hommes pour surveiller la démolition de la chapelle expiatoire. A la caserne de la Pépinière, les jour, mois et ans que dessus. Le commissaire de police, CHARLES MIRAULT. — D'après un ordre de la légion, il a été expressément défendu de disposer des citoyens faisant partie des compagnies de marche. Je viens donc prier le chef de la légion de me donner des ordres ou de faire prévenir le commandant des compagnies sédentaires pour obtempérer à l'ordre ci-dessus. Pour le commandant du 69e bataillon absent, le lieutenant, PARADIS. Timbre bleu ; garde nationale de la Seine, 69e bataillon. L'arrêté du Comité de salut public prescrivant la démolition de la chapelle est signé : Ant. Arnaud, Ch. Gérardin, Léo Meillet, Félix Pyat, Ranvier, et daté du 16 floréal an 79 (6 mai 1871).
[2] J'en trouve la preuve dans les papiers oubliés par Landowski au ministère de la marine : Note pour les frais de délégation du citoyen Landeck près la ville de Marseille. Frais de séjour à 10 fr., 150 fr. ; voyage de Paris à Marseille et retour ; voyage par Draguignan pour dépister les poursuites, 167 fr. 65 c. ; avances diverses faites aux agents chargés de fournir les renseignements sur la réaction et les mouvements de troupes, 125 fr. ; avances pour la nourriture des soldats isolés et des caïmans (soldats de marine), 175 fr. Total : 617 fr. 65 c. Reçu du citoyen Amouroux, 408 fr. ; reste dû : 217 fr., plus 15 jours d'indemnité à raison de 5 fr. par jour : 75 fr. Total 292 fr. 65 c. Je vois en outre plusieurs notes prescrivant de surveiller diverses maisons de Paris, où l'on soupçonnait des officiers de marine de se cacher. Je crois que Landeck et Landowski étaient frères, à moins que Landeck et Landowski ne soient un seul et même personnage.