HISTOIRE DE L'HELLÉNISME

TOME TROISIÈME. — HISTOIRE DES SUCCESSEURS D'ALEXANDRE (ÉPIGONES)

LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE PREMIER (239-227).

 

 

Paix générale. — Expédition de Séleucos en Orient. — Soulèvement à Antioche. — Victoire d'Attale sur les Galates. — Deuxième guerre entre Séleucos et Antiochos. — Paix. — Agression d'Antiochos contre les Lagides. — Antiochos vaincu par Attale ; sa mort. — L'Acarnanie demande le secours de Rome. — Chute de la royauté en Épire. — Démétrios contre les Dardaniens. — Alliance des Étoliens et des Achéens. — La guerre de Démétrios. — Lydiade. — Paix en Grèce. — Les Illyriens et leurs pirateries. — Rome contre l'Illyrie. — Mort de Démétrios. —Extension de la Ligue achéenne. — Statuts de la confédération. — Rome et la Grèce. — Débuts d'Antigone II. — Antigone occupe la Carie.

Aucune époque de l'histoire de l'hellénisme n'offre de plus grandes difficultés aux recherches historiques que l'espace de dix années que nous allons maintenant étudier ; on ne trouve presque nulle part de liaison entre les événements, et les faits les plus considérables, les plus gros de conséquences, nous apparaissent dans la tradition sous une forme si effacée que l'on passerait devant eux avec indifférence, si l'on ne savait clairement, par ce qui est arrivé jusque-là, où il faut chercher les crises décisives.

Vers l'époque où mourut Antigone Gonatas, il y avait une paix générale, mais une paix qui ne reposait pas, il s'en fallait de beaucoup, sur une réconciliation véritable des éléments antagonistes. En Europe, de nouvelles forces avaient pris part au conflit, et déjà s'agitaient aussi les Barbares du Nord ; l'avènement d'un roi jeune fut le signal de nouveaux mouvements et bouleversements éclatant de toutes parts. En Asie, l'empire des Séleucides était divisé ; le royaume d'Antiochos en Asie-Mineure avait une situation trop défectueuse pour qu'il pût la garder, et l'Égypte, qui seule eût pu par son alliance fournir un appui à Antiochos, n'avait, aussi longtemps que l'Orient dominé par Séleucos ne devenait pas un danger pour l'empire des Lagides, aucun motif de favoriser particulièrement la puissance d'Antiochos ; du reste, la paix que ce dernier avait conclue avec son frère ne pouvait être si facilement oubliée des Égyptiens. Enfin, puisque la cession faite à son frère et la prépondérance de l'Égypte l'arrêtaient et le limitaient à l'ouest, puisque les complications de Macédoine ne lui faisaient espérer aucune sorte de secours de ce côté-là, Séleucos devait, s'il voulait relever sa puissance et en réunir les tronçons, se tourner vers l'est, d'autant plus qu'il n'était tenu par aucun traité de reconnaitre les usurpations des parvenus qui s'étaient établis dans cette région.

Il est certain que Séleucos se tourna vers l'Orient, bientôt après la conclusion de la paix. La sœur de son père, Stratonice, dont l'époux Démétrios était en quête d'une nouvelle union, avait quitté la Macédoine ; elle était venue en Syrie dans l'espoir que son neveu la prendrait pour femme et la vengerait de l'outrage que lui avait fait Démétrios. Mais Séleucos ne se prêta pas à ses désirs ; la guerre qu'il entreprit fut dirigée de Babylone contre l'Orient[1]. Les événements ultérieurs montrent que la Médie et la Perse, qu'elles eussent prêté hommage aux Lagides ou qu'elles se fussent soulevées d'elles-mêmes, furent alors reconquises[2]. Le seul témoignage direct que nous possédions sur cette expédition se rapporte aux Parthes. A ce qu'il semble, le renseignement d'après lequel Tiridate, frère d'Arsace, aurait alors été roi est exact ; il était facile de le confondre avec Arsace Ier, puisque, comme tous les rois qui l'ont suivi, il prit lui-même le nom d'Arsace[3]. Déjà il possédait, outre la Parthyène, l'Hyrcanie ; à ce moment, voyant se rapprocher de lui la puissance des Séleucides, il craignait que Diodotos de Bactriane ne s'alliât à Séleucos pour le réduire lui-même. Or, un écrivain très digne de foi dit, à propos des Scythes nomades des vastes territoires du bas Oxus et de l'Iaxarte, que c'est chez eux, c'est-à-dire chez les Apasiaques, que s'étaient réfugiés au temps d'Alexandre Bessos et Spitamène, et plus tard Arsace fuyant devant Séleucos Callinicos[4]. Séleucos eut donc, en tout cas, l'occasion de soumettre de nouveau les contrées occupées par les Parthes. Mais cette conquête ne fut pas durable, comme le montre l'époque suivante. Selon une deuxième version, Diodotos de Bactriane mourut précisément au moment où Séleucos marchait contre lui ; Arsace fit avec son fils et successeur Diodotos II paix et alliance, et, assuré ainsi de ce côté, il combattit Séleucos et le vainquit ; les Parthes ont depuis lors célébré le jour de cette victoire comme le commencement de leur liberté. On est étonné de lire dans cette même relation que Séleucos regagna son royaume, non pas à cause de sa défaite, mais parce que de nouveaux troubles venaient d'éclater dans ses États[5].

C'est tout ce que nous savons de l'expédition de Séleucos II[6]. Les satrapies de l'Extrême-Orient se sont-elles montrées hostiles ou non, ont-elles reconnu désormais au roi une sorte de suzeraineté, etc., nous l'ignorons absolument. En tout cas, Arsace, avec ses Parthes, rentra aussitôt en maître dans le domaine qu'il avait tout récemment conquis, et c'est alors seulement que commença un solide affermissement de son pouvoir ; l'armée fut disciplinée, des forteresses furent construites, une ville, Dara ou Dareion, fut fondée[7] Ainsi les contrées qui commandaient les communications avec l'Orient étaient au pouvoir de l'étranger, et naturellement la dépendance des satrapies orientales, lors même qu'elle aurait été reconnue par les pays de l'A rie, de la Drangiane et de l'Arachosie, ne pouvait être que très lâche et purement nominale. Cependant le droit antérieur ne fut pas pour cela abandonné leur indépendance ne fut pas formellement déclarée et officiellement reconnue, comme le démontrent les mesures ultérieures d'Antiochos III[8].

Ce furent donc des troubles dans l'intérieur de son empire qui forcèrent Séleucos à revenir en toute hâte. Stratonice, Biton, avait fait soulever Antioche : alors arriva Séleucos qui soumit la ville ; Stratonice s'enfuit à Séleucie, aux bouches de l'Oronte, et, au lieu de se sauver rapidement par mer, elle attendit, confiante dans le succès que lui avait annoncé un songe ; elle fut prise et mise à mort[9]. Est-ce Stratonice, et elle seulement, qui aurait provoqué un pareil mouvement ? Quelles pouvaient être dans cette rébellion les vues des habitants d'Antioche ? Faire passer l'empire dans les mains d'une femme ? Ou même se soumettre encore à la domination égyptienne ? On peut soupçonner avec la plus grande vraisemblance que, dans cette révolte de la Syrie, Stratonice ne joua qu'un rôle subalterne ; que cette émeute ne fut qu'un incident isolé d'un grand ensemble d'événements ; que ce fut Antiochos Hiérax qui chercha à profiter de l'éloignement de son frère pour s'emparer des pays en deçà de l'Euphrate[10]

Nous possédons deux récits des destinées ultérieures d'Antiochos Hiérax : ils se contredisent sur des points essentiels ; tons deux sont comme un écheveau, impossible à démêler, de faits embrouillés et altérés[11] Ce qui suit ne peut donc guère prétendre qu'à une vraisemblance acceptable.

Après des guerres si longues et si terribles, qui avaient mis le plus complet désordre surtout en Asie-Mineure et déchaîné de nouveaux les hordes sauvages des Galates, la paix générale pouvait d'autant moins durer que le nouvel ordre de choses était comme une construction improvisée et fragile. Séleucos avait cédé à son frère toute la région jusqu'au Taurus ; mais la Phrygie était encore aux mains de Mithradate, et on nous dit qu'Antiochos parcourut la Grande-Phrygie et extorqua des tributs aux habitants[12] probablement avec l'aide et la collaboration des Galates, qui de mercenaires étaient devenus ses alliés. La situation de ce pays en avant du Taurus était vraiment effroyable. Celui à qui Séleucos avait dû le céder par le traité de paix abusait de son droit légitime pour inviter les hordes sauvages des Galates à de nouveaux brigandages. Le danger était grand aussi pour Séleucos, qui était parti pour l'Orient sur la foi du traité, si les habitants d'Antioche s'entendaient avec les Galates. Comme, une fois revenu en toute hâte de l'Orient, Séleucos avait fort à faire sur les bords :de 1'Oronte, il est naturel de penser que, pour retenir tout au moins Antiochos et ses Galates en Asie-Mineure, il fit de sérieuses concessions au dynaste de Pergame, le seul qui, eût des places fortes et fût en état de lutter contre eux.

Nos maigres références ne nous disent pas qu'un pareil traité ait été conclu, ni, à plus forte raison, à quelles conditions il fut conclu. En revanche, il est question de victoires sur les Galates remportées par Attale, notamment d'une victoire de Pergame, une grande bataille, à la suite de laquelle Attale prit le diadème. Le plus beau titre de gloire qu'on relève dans la vie de ce roi, c'est qu'il a forcé les Galates à quitter le littoral et à se réfugier dans l'intérieur de l'Asie-Mineure ; on raconte comme quoi, voyant ses troupes intimidées à l'approche des redoutables ennemis, il sut relever leur courage par des présages heureux lors du sacrifice et remporta ainsi une brillante victoire[13].

On voit par de nombreuses indications tirées de deux auteurs anciens comment fut célébrée cette victoire, de quelle façon on en comprit la portée, par combien d'inscriptions et d'œuvres d'art en fut éternisée la mémoire[14]. Nos contemporains ont retrouvé les magnifiques restes de ce grand autel de Pergame qui représentent la lutte et la victoire des Dieux contre les Géants et apportent jusqu'à nous l'écho joyeux de ce triomphe où les vainqueurs ont trouvé le salut.

Nous savions déjà par les textes anciens qu'Attale a encore remporté d'autres victoires sur les Galates[15] : c'est ainsi que, de succès en succès, il a délivré le pays et agrandi son royaume Les inscriptions découvertes dans les dernières fouilles de Pergame nous parlent également de plusieurs victoires[16]. Parmi ces inscriptions, il en est une particulièrement intéressante : c'est celle par laquelle Épigène et les chefs et stratèges qui ont pris part à la lutte ont consacré aux dieux la statue du roi[17]. La façon dont est libellée l'inscription fait supposer qu'Épigène ne compte pas parmi les hégémons et stratèges ; il se peut que ce soit le même Épigène qui a joué bientôt après dans l'histoire de la cour des Séleucides un rôle important et honorable ; peut-être avait-il été envoyé à Pergame par Séleucos II pour conclure le traité dont nous avons cru devoir supposer l'existence.

On ne saurait rappeler trop souvent à quel point les renseignements que nous fournissent nos sources sont incomplets. Les tentatives que l'on fait pour relier les points disséminés par des lignes d'ensemble ne peuvent être qu'absolument hypothétiques ; elles ne servent qu'à indiquer les trous noirs qui dérobent à nos yeux le lien jadis réel des événements, de telle façon qu'on se rend compte tout au moins des lacunes de la tradition et que l'on mesure à peu près, dans les limites du possible, l'espace qu'occupaient ces faits disparus. Il arrive que les renseignements, presque toujours sommaires et souvent fortuits, dont nous disposons présentent le peu qu'ils donnent tout arrangé, et même d'une façon pragmatique et raisonnée, comme si les faits se suivaient sans discontinuité ; c'est une difficulté de plus pour la critique historique, à moins qu'elle ne partage la robuste confiance de ceux qui s'imaginent avoir dans ces textes juxtaposés l'histoire, toute l'histoire de cette époque.

Il est certain, de par les inscriptions, qu'Attale a vaincu Antiochos et les Galates ; d'autres indications ne permettent point de douter qu'Antiochos ne donna pas tout de suite cause gagnée à ses adversaires, et qu'il continua à lutter contre son frère Séleucos II. Y a-t-il une corrélation entre cette lutte et celle qu'il soutint contre Attale, et quelle est cette corrélation, c'est là un point complètement obscur.

Antiochos, nous dit-on, après avoir parlé de ses exactions en Phrygie, envoya ses généraux contre Séleucos, mais il craignit d'être trahi par ses Galates -et se sauva avec une faible escorte à Magnésie ; là, soutenu par les troupes de Ptolémée, il vainquit le lendemain de son arrivée, après quoi il épousa la fille de Ziaélas[18]. Si décousus que soient ces témoignages du chronographe, on, voit au moins se dessiner ici l'endroit où il faut placer l'alliance, indiquée plus haut, entre Antiochos Hiérax et la reine Stratonice.

Nous possédons un fragment détaillé de l'histoire de cette guerre entre les deux Séleucides. Antiochos Hiérax avait rompu avec son frère Séleucos ; il s'enfuit (par conséquent après une défaite) en Mésopotamie, et de là se retira de l'autre côté des montagnes, en Arménie, où Arsame, qui était lié avec lui, lui fournit un asile. Les généraux de Séleucos, Achæos et son fils si souvent cité, Andromachos, poursuivirent très vivement le fugitif avec une armée, Blessé finalement dans une nouvelle bataille, Antiochos se dirigea en fuyant vers la pente d'une montagne ; ses troupes dispersées campèrent en désordre ; il fit répandre le bruit qu'il avait succombé, pendant qu'il occupait quelques gorges, à la faveur de la nuit ; une députation de son armée alla au camp des adversaires réclamer le cadavre du roi pour lui donner la sépulture et offrir la soumission de l'armée vaincue. Andromachos chargea les messagers de chercher le corps, qu'on n'avait pas encore trouvé, et envoya 4.000 hommes recevoir la soumission des troupes battues et leurs armes. A peine ce détachement était-il arrivé dans le voisinage des hauteurs qu'Antiochos sortit de son embuscade et fondit sur lui ; la plupart des soldats furent massacrés ; Antiochos lui-même reparut en costume royal, pour montrer qu'il était encore vivant et vainqueur[19]. Ce récit complet permet de jeter un regard au milieu des événements qui s'étaient passés. Si Antiochos battu s'est retiré en Mésopotamie et plus loin encore, au delà des montagnes d'Arménie, c'est qu'il avait perdu au sud du Taurus une bataille contre son frère, et c'est de l'ouest, autrement dit de l'Oronte, que Séleucos avait dù partir pour l'attaquer et le refouler vers l'est au delà de l'Euphrate. Séleucos avait donc dompté Antioche soulevée et fait Stratonice prisonnière avant que, à son retour précipité de la guerre contre les Parthes, Antiochos pût lui barrer le chemin. On est en droit de supposer que les généraux envoyés par Antiochos, précisément pour soutenir la révolte de Stratonice dans le pays d'Antioche, avaient été vaincus en même temps que la ville rebelle. Antiochos lui-même sera venu plus tard ; le chemin lui étant fermé par les défilés d'Issos — en s'avançant de ce côté, il aurait été rejeté sur la Cilicie —, il ne pouvait prendre d'autre route pour sortir de la Phrygie dévastée que celle de la Cappadoce ; puis il descendit au-devant de Séleucos, probablement le long de l'Euphrate ; il y fut battu, et ce ne fut qu'en Arménie qu'il regagna du terrain, grâce à son stratagème, et put tenter de nouveau la fortune contre son frère.

On peut, par conséquent, placer cette défaite en l'an 235[20]. Sans aucun doute, les soldats d'Antiochos étaient pour la plupart des Galates ; tandis que le roi de Pergame, dans ses luttes incessantes coutre les Galates, ne faisait qu'arrondir de plus en plus son territoire, les deux frères engageaient l'un contre l'autre une lutte terrible qui devait les perdre tous les deux[21]. Antiochos ne s'était pas jeté assez rapidement sur la Syrie avec toutes ses forces pour s'unir à Stratonice et tirer parti de l'éloignement de son frère ; néanmoins, la Cappadoce, l'Arménie étaient pour lui ; même après sa défaite, ses communications avec l'intérieur de l'Asie-Mineure restaient ouvertes, et, par la Cappadoce, il pouvait toujours attirer à lui des troupes de Galates qui l'aideraient à poursuivre la guerre. On ne peut douter que l'Égypte, quoique tout d'abord en grand secret, ne l'ait soutenu de ses subsides ; elle avait un grand intérêt à faire courir au roi de Syrie de nouveaux périls dans l'Ouest pour balancer les avantages qu'il avait recueillis en assurant sa domination sur la Médie, la Perse et les bouches de l'Euphrate. Dès qu'Antiochos commença à être serré de près, le Lagide se mêla ouvertement à la lutte, quoique la paix de dix ans ne fût pas encore expirée.

En effet, même après cette heureuse surprise, Antiochos ne put pas tenir la campagne. Nous savons que vaincu de nouveau, épuisé par une fuite de plusieurs jours, il arriva enfin auprès de son beau-père, le roi Ariamène de Cappadoce ; qu'il fut d'abord reçu avec amitié, puis que, instruit des cabales qu'on forgeait contre lui, il prit encore la fuite[22]. L'armée de Séleucos le poursuivait ; le roi de Cappadoce, effrayé par l'approche du vainqueur, pouvait chercher à se faire pardonner par une trahison la sympathie qu'il avait témoignée jusque-là à l'entreprise de son gendre. Cependant Séleucos donnait toujours la chasse au fugitif. Selon le chronographe que nous venons de citer, Antiochos, redoutant d'être abandonné par ses Galates, s'enfuit à Magnésie auprès de son ennemi Ptolémée, dit Justin[23], lequel avait mis garnison dans cette ville. Éphèse, le centre de la domination des Lagides sur cette côte, était assez près pour qu'il fût facile d'en tirer de prompts renforts. Peut-être l'Égypte vit-elle dans cette poursuite exécutée jusque dans le voisinage de Magnésie une violation de son territoire ; peut-être saisit-elle ce prétexte pour rompre la paix, pour intervenir en faveur d'Antiochos, surtout pour envahir de nouveau la Syrie. Il faut songer que Séleucie, à l'embouchure de l'Oronte, était encore au pouvoir des Lagides[24].

Ce récit prouve qu'à ce moment de la guerre chacun des belligérants avait intérêt à prévenir par une paix des dangers ultérieurs. Séleucos ne voulait plus tenter la fortune des armes si l'Égypte, encore maîtresse de Séleucie, intervenait dans la lutte et menaçait Antioche, qu'il venait à peine de recouvrer ; Ptolémée pouvait craindre d'avoir contre lui, sinon, comme auparavant, les petits États maritimes, du moins le roi de Pergame, dont les forces avaient si rapidement grandi. Antiochos, de son côté, se félicitait sans doute, d'avoir pu conserver la Lydie, après les pertes énormes qu'il avait faites. La trêve de dix ans conclue auparavant entre la Syrie et l'Égypte fut transformée en une paix définitive ; ce fait, d'après les événements ultérieurs, est hors de doute, et il est extrêmement vraisemblable que la paix se fit au moment où nous sommes[25]. Il est certain que la ville de Séleucie, située sur la mer, fut laissée au pouvoir des Égyptiens ; Séleucos reçut, à ce qu'il semble, des compensations sur la frontière nord de la Syrie ; du moins Arsame d'Arménie paraît depuis lors lui avoir dû le tribut[26]. On ne saurait dire si la Cappadoce subit une diminution de territoire ; tous les arrangements territoriaux qui furent pris en Asie-Mineure sont des plus mal connus. On peut, en tout cas, affirmer avec certitude qu'Antiochos Hiérax conserva la Lydie[27].

L'Égypte avait toute sorte de raisons pour maintenir une paix aussi avantageuse. Le roi, auparavant si prompt à prendre les armes, penchait de jour en jour vers la paix[28] ; il aimait son repos et ses aises ; nous le verrons désormais entretenir des relations amicales avec le roi d'Antioche et lui envoyer même une image d'Isis particulièrement vénérée. Quant à Séleucos, il semble avoir mis soigneusement à profit cette période de tranquillité ; il fit bâtir à Antioche un quartier nouveau sur les bords du fleuve, et c'est lui sans doute qui' y établit des Étoliens, des Eubéens et des Crétois, établissement qui se comprend très bien après les événements qui s'étaient passés à son retour d'Orient[29].

Antiochos Hiérax, au contraire, violent et ambitieux comme il l'était, parait n'avoir pas supporté longtemps le repos de la paix. Il ne pouvait plus, il est vrai, compter désormais sur l'appui de l'Égypte ; les rois de Cappadoce et du Pont n'avaient plus envie, après les expériences qu'ils avaient faites, de s'engager de nouveau dans une alliance avec lui ; le roi de Pergame, dont le territoire agrandi confinait à ses possessions du côté du nord, était, quoique son proche parent, son adversaire, et cela non pas seulement pour des raisons politiques. Antiochos s'unit donc à Ziaélas de Bithynie ; il épousa sa fille[30]. Peut-être avait-il l'intention d'attaquer Attale de concert avec lui ; les deux alliés comptaient que les Galates se mêleraient d'autant plus volontiers à la lutte qu'ils avaient à se venger du roi de Pergame. Mais ici, quelle obscurité encore ! Nous savons que des chefs galates s'étaient rassemblés chez Ziaélas, dont ils étaient les hôtes : les coupes circulent ; mais le roi veut les trahir ; ils se jettent sur lui et le tuent[31]. Exigeaient-ils une solde trop élevée, de trop grandes concessions ? Faisaient-ils les plus redoutables menaces, si on ne se conformait pas à leurs injonctions ? Le fils et successeur de Ziaélas, Prusias, renonça-t-il à l'alliance d'Antiochos, parce que le frère de son père, Tibœtès, autrefois destiné à l'héritage de la Bithynie, pouvait revenir de Macédoine, où il avait trouvé un refuge, et lui opposer facilement une rivalité dangereuse ? En tout cas, Antiochos osa commencer seul une nouvelle guerre.

Le seul renseignement qu'on possède sur cette guerre renferme un détail absolument énigmatique : dans la quatrième année de l'Olympiade CXXXVII, dit le chronographe, Antiochos, ayant à deux reprises commencé la guerre en Lydie, fut mis en déroute, et, dans une bataille qu'il livra à Attale dans la région de Coloa, en la première année de l'Olympiade CXXXVIII, il fut vaincu par Attale et contraint de fuir en Thrace[32]. Antiochos a donc attaqué deux fois en 229 ou en 228 dans la Lydie ; mais qui a-t-il attaqué ? Les termes du chronographe nous empêchent de penser à Attale. Antiochos se serait-il tourné contre les villes libres de la côte ? Mais rien ne le prouve. Contre Mithridate ? Contre Séleucos ? Contre l'Égypte ?

Si je ne me trompe, nous assistons ici à un revirement très remarquable de la situation politique ; on aura besoin d'hypothèses hardies pour le marquer avec précision. Pourquoi Antiochos, vaincu par Attale, s'enfuit-il dans cette Thrace dont la côte tout au moins était alors au pouvoir de l'Égypte ? S'il voulait rechercher l'appui du Lagide, le champ de bataille dans le voisinage de Sardes était bien plus près d'Éphèse, et même presque aussi près que du point le plus rapproché de la côte, que de Smyrne où il se sauva, selon toute vraisemblance, puisqu'il ne pouvait traverser le territoire de Pergame. On peut croire dès lors que, s'il alla eu Thrace, ce fut dans un autre dessein que celui de recourir à l'appui de l'Égypte. Ceci confirme une assertion d'un historien souvent peu digne de foi, d'après lequel Antiochos aurait été, sur l'ordre de Ptolémée son ennemi, arrêté et soumis à une étroite détention ; il se serait échappé avec l'aide d'une servante de bonne volonté, et aurait été, dans sa fuite, assassiné par des brigands[33]. Mais il faut, pour épuiser toutes nos ressources, anticiper mule récit des événements survenus en Europe. Antigone boson est depuis 229 roi de Macédoine. On raconte que sa flotte, croisant sur la côte de Béotie, était restée tout à coup à sec par suite d'une baisse rapide de la mer ; qu'il craignait une attaque des Thébains, mais que bientôt ses vaisseaux avaient pu se remettre à flot, et qu'il avait achevé l'expédition qu'il projetait en Asie[34]. Dans un sommaire historique, on lit que Démétrios eut pour successeur Antigone, lequel soumit la Thessalie et, en Asie, la Carie[35]. A qui Antigone pouvait-il enlever la Carie, sinon à Ptolémée ? De quel côté Antiochos Hiérax, fuyant du champ de bataille de Sardes vers la Thrace, pouvait-il songer à se tourner, sinon vers la Macédoine ? La Macédoine a donc dû être l'alliée d'Antiochos dans sa lutte contre la puissance des Lagides, et nous verrons qu'une attaque dirigée contre la Macédoine par le Péloponnèse et provoquée par l'Égypte coïncida avec cette attaque entreprise en Asie contre Ptolémée. Mais, au moment où Antiochos Hiérax se déclarait contre l'Égyptien, quel était l'intérêt le plus pressant de ce dernier, sinon de pousser avec toute l'ardeur imaginable une puissance de la péninsule asiatique à intervenir promptement et résolument, avant que la Syrie ne se mêlât à la querelle, et de l'engager à prendre la même attitude qu'Antiochos avait gardée depuis quinze ans en face de son frère, au grand avantage de la politique égyptienne ? Attale était l'homme indispensable, et, quoique sa politique jusque-là constamment indépendante ne pût plaire à la cour d'Alexandrie, il était en cet instant le seul qui possédât assez de puissance, d'habileté et, par sa guerre contre les Galates, assez de popularité pour se faire le rival des Séleucides. C'est dans le voisinage de Sardes, sur le sol lydien, et par conséquent en prenant l'offensive, qu'Attale vainquit Antiochos Hiérax ; il se hâta sans aucun doute, après entente avec l'Égypte, de prendre possession du territoire du vaincu dans toute son étendue, à titre de conquête. Cependant Antiochos tombait dans sa fuite aux mains des Égyptiens, qui le retinrent prisonnier dans la forteresse la plus voisine sur leurs terres de Thrace ; puis il s'échappa de sa prison, fut surpris et tué par une horde de Galates. Son noble coursier, dit-on, le vengea de son meurtrier ; il se précipita dans l'abîme avec l'assassin qui avait voulu monter le cheval de sa victime[36].

Est-ce seulement à cette époque qu'Antigone partit de Macédoine et fit voile vers l'Asie ? Avait-il déjà conquis la Carie ? On ne saurait le dire ; mais il pouvait trouver un prétexte à son entreprise dans les traités de 277, par lesquels la Syrie et la Macédoine, comme nous l'avons indiqué, devaient avoir garanti la liberté des villes helléniques. Mais Séleucos ne pouvait souffrir que la chute de son frère ravit pour toujours à sa maison la possession de l'Asie-Mineure ; quelque soin, quelque précaution qu'il prît pour éviter un différend avec l'Égypte, — car le Lagide, possédant Séleucie, pouvait de là, en cas de guerre, causer au royaume de nouveaux malheurs — il devait maintenant écarter toutes ces considérations ; il ne pouvait assister tranquillement à cette prise de possession de l'Asie-Mineure par le roi de Pergame ; il fallait de suite, et avec des forces considérables, paraître au delà du Taurus ; autrement, non seulement il perdait inévitablement toute l'influence qu'il possédait dans cette région, mais une puissance toute nouvelle, disposant de grands moyens et de ressources menaçantes, alliée à l'Égypte, s'emparait de tous les points d'où l'on pouvait attaquer la Syrie, points d'autant plus dangereux que la frontière était encore plus désarmée de ce côté-là que du côté de l'Égypte. Il courut donc avec son armée en Asie-Mineure ; mais il mourut d'une chute de cheval[37], peut-être avant d'avoir vu la défaite de son armée.

Il laissait bien un fils pour ceindre le diadème, Alexandre, que les soldats avaient salué du surnom de Céraunos et qui prit désormais le nom de Séleucos[38]. Mais la mort de son père, cette défaite où le brave Andromachos tomba aux mains de l'ennemi[39], tous ces événements entraînèrent la perte de l'Asie au delà du Taurus : Attale fut le maître de tout l'intérieur de l'Asie-Mineure qui avait appartenu aux Séleucides[40].

Quelle situation bizarre ! Il est certain que le Macédonien gardait la Carie[41]. Sauf les régions du littoral au pouvoir de l'Égypte, les dynasties du nord, la Bithynie, le Pont, la Cappadoce et les villes libres, l'Asie-Mineure est maintenant réunie sous une seule main ; il s'est formé dans l'Asie-Mineure une puissance centrale, et cette puissance repose dans la main d'un prince admiré et fort, en qui les Galates ont trouvé leur maître, en qui les villes grecques vénèrent leur protecteur claire ces hordes sauvages. Le roi Ptolémée Évergète peut regarder avec contentement les événements accomplis ; il semble que la politique égyptienne ait atteint pour toujours le grand but qu'elle s'était proposé : détacher de la Syrie l'Asie-Mineure possédée par les Séleucides et en faire, en la consolidant, un État particulier. En outre, la Macédoine et la Syrie, ces alliées naturelles, sont maintenant séparées par un puissant empire intermédiaire qui ne saurait avoir d'autre intérêt que de faire cause commune avec l'Égypte. Si désagréable que pût être l'occupation de la Carie par les Macédoniens, elle ne peut devenir en aucune façon utile aux Séleucides ; le roi de Pergame est trop puissant en Asie-Mineure ; toute communication immédiate entre la Macédoine et la Syrie est désormais coupée. Ce dernier État est isolé entre deux ennemis redoutables : le roi de Pergame campe aux défilés du Taurus, avec l'ambition de donner au diadème qu'il vient de ceindre le plus grand éclat ; aux bouches de l'Oronte et au pied du Liban se tient le même Évergète qui a déjà reçu une fois à Babylone et à Suse les hommages des peuples les plus lointains de l'Orient. Ptolémée n'a devant lui qu'un jeune roi, à peine âgé de vingt ans, assisté d'un frère plus jeune encore, qui, à Babylone, doit s'efforcer d'assurer obéissance et fidélité ; le conseiller du roi est le perfide, l'égoïste Hermias ; le seul espoir de l'empire est le jeune Achæos, dont le père languit en captivité à Alexandrie. Il a, il est vrai, les motifs les plus puissants pour vouer ses brillantes qualités au royaume et au roi son parent. Mais que fera-t-il ? La Syrie a, pour ainsi dire, pieds et mains liés ; elle est tenue en respect d'un côté comme de l'autre : quand viendra pour Achæos l'heure de l'attaque, l'heure où il vengera les siens[42] ?

Tout cela sans doute ne se trouve pas dans nos documents. C'est une tâche bien ingrate que d'écrire cette histoire. A tout moment, on sent que la situation change soudainement ; que des faits subits, décisifs, se produisent coup sur coup et, pour ainsi dire, tout d'une haleine ; que des forces inattendues se manifestent : mais, au milieu de la nuit brumeuse, incolore et désolée dont l'oubli de deux mille ans a couvert cette époque, c'est à peine si on peut reconnaître distinctement, çà et là, une faible lueur, un point saillant qui émerge de l'ombre. Ces jeunes Séleucides passent devant nous comme des formes incertaines ; en vain nous essayons de surprendre en eux un. mot ou un regard, quelque chose qui trahisse leurs sentiments personnels : il faut nous contenter de distinguer ces princes tant bien que mal par des noms et des nombres. Cette histoire ressemble à un cimetière ; les pierres tombales sont rongées par le temps et réduites en poussière ; les ossements gisent confondus sur le sol. Il ne nous sied pas de demander pourquoi le destin a si impitoyablement détruit et dispersé les souvenirs historiques de cette époque et de toute la période alexandrine. Ces temps, dira-t-on, n'étaient pas dignes de mémoire : c'est là une triste consolation, plus inhumaine encore que le jeu du hasard, et qui ne peut même pas se justifier. On croit généralement que tout ce qui était important et essentiel pour le progrès et le développement de l'humanité a été sauvé. Mais cette foi commode n'est guère de mise pour une époque dont il ne reste à peu près rien, rien qui nous parle des efforts de l'esprit humain entre Aristote et les écrits du Nouveau Testament. On dirait que l'aurore de cette vie nouvelle devait apparaître au souvenir de l'humanité comme une illumination soudaine, miraculeuse, comme une étoile au milieu d'une nuit profonde. Et vraiment, ce n'est qu'en tournant ses regards vers cette étoile qu'on peut se frayer un chemin à travers ce champ désolé des morts, à travers ce monde éteint du paganisme, et entrevoir çà et là une pâle lueur, distinguer parfois la place d'un tombeau.

Tout souvenir de cette époque est donc effacé, englouti ; tout ce que nous savons de ces empires hellénistiques élevés sur l'Indus, c'est qu'ils ont existé ; générations, peuples, royaumes, tout cela a disparu sans laisser de traces : quant aux événements qui se passaient en Occident, nous n'en connaissons que deux ou trois, sans date ni lieu, et autant de noms propres absolument vides.

Essayons de représenter l'état lamentable des documents qui nous restent. Démétrios de Macédoine avait hérité du royaume de son père à l'âge de trente et quelques années, dans la première moitié de l'an 239. Il vivait en paix avec les Achéens, mais Aratos crut pouvoir montrer son dédain au jeune roi et lui prouver qu'il ne le craignait pas. La Macédoine était encore alliée aux Étoliens, mais chez ces derniers s'élevait déjà un parti hostile à l'alliance ; beaucoup pensaient qu'il était temps de chercher fortune d'un autre côté, de faire ailleurs de nouvelles incursions et de nouvelles conquêtes. Les Étoliens tournèrent donc leurs regards vers l'Acarnanie, leur voisine. Ils avaient déjà partagé le pays vers 266 avec Alexandre d'Épire : à sa mort, ils eurent envie de la partie de l'Acarnanie que possédait l'Épire ; mais la veuve du roi, Olympias, tutrice de ses fils Pyrrhos et Ptolémée, avait, à ce qu'il semble, trouvé un sûr appui dans l'alliance d'Antigone Gonatas, et, tant que celui-ci vécut, les Étoliens n'osèrent pas attaquer l'Épire. Mais Antigone mourut. Aussitôt les Acarnaniens d'Épire sont menacés : ils se défient de la protection de l'impuissant royaume des Molosses[43] ; l'alliance de la Macédoine semble ne pouvoir plus les protéger ; ils se tournent donc, chose qu'on voyait pour la première fois en Grèce, vers Rome ; ils prient le Sénat de reconnaître et de réaliser l'autonomie qu'on leur a enlevée ; ils lui rappellent que, seuls parmi tous les Hellènes, ils n'ont pas combattu contre les Troyens, ces ancêtres du peuple romain[44]. Le Sénat envoie une ambassade aux Étoliens, pour les prévenir qu'ils ne doivent pas inquiéter les Acarnaniens : la Ligue étolienne répond par d'insolentes bravades ; elle envahit et ravage l'Acarnanie et l'Épire, montrant ainsi qu'elle méprise les avertissements de l'orgueilleux peuple de Rome[45].

Olympias, qui semble encore diriger l'État, quoique ses enfants soient déjà des adultes, Olympias, menacée ainsi par les Étoliens, offrit au roi Démétrios la main de sa fille Pythia, afin de gagner tout à fait la Macédoine à ses intérêts. Dès la première année de son règne, Démétrios rompt avec la Syrienne Stratonice et épouse l'Épirote[46], non sans rêver peut-être qu'il sera un jour l'héritier du royaume. L'aîné des fils, Pyrrhos, était, en effet, brouillé avec sa mère ; elle avait fait assassiner la Leucadienne Tigris, qui régnait sur le cœur du jeune prince[47] ; celui-ci, dit-on, fit empoisonner sa mère par une suivante[48]. Selon d'autres, ce fut au contraire Olympias qui survécut à Pyrrhos ainsi qu'à son fils cadet, le maladif Ptolémée, et cette double perte lui aurait brisé le cœur[49]. On dit encore que Ptolémée mourut dans une promenade ; il avait été assassiné[50]. Soit dégoût pour l'impuissance ou la dépravation de leurs derniers princes, soit plutôt par l'effet de ce mouvement des esprits qui se propageait dans la race grecque, les Épirotes ne voulurent plus de roi ; il fallait exterminer la race des Æacides pour établir la liberté, la république. La fille de Pyrrhos, Déidamia, s'était jetée dans Ambracie, résolue à venger le meurtre de son père, mais les Épirotes s'approchèrent en force ; ils lui offrirent un accommodement ; elle conserverait les biens de sa maison et les honneurs de ses ancêtres. A ces. conditions, elle abandonna au peuple épirote ce qu'elle ne pouvait plus lui refuser[51]. Mais elle vivait encore ; sa vie paraissait un danger ; on résolut sa mort. Un des anciens gardes du corps du roi Alexandre vint pour l'assassiner ; elle baissa les yeux et attendit le coup mortel, mais la main trembla au garde ; il n'osa verser le sang de la petite-fille de son maître. Elle s'enfuit dans le temple d'Artémis pour trouver protection dans un lieu sacré ; il fallut recourir à un homme qui avait assassiné sa mère pour égorger la jeune fille dans le sanctuaire[52]. Ainsi fut fondée la liberté, la fédération épirote, avec des stratèges à sa tête[53] ; mais il semble que dès le début une partie du pays des montagnes se détacha de la république et revint à ses anciens maîtres : ainsi firent les Athamanes du Pinde[54]. L'île de Corcyre, elle aussi, est désormais indépendante. Le nouvel État fédéral était lui-même plein de désordre et d'insubordination ; il ne fut que trop tôt en proie à de redoutables invasion[55].

Mais comment Démétrios de Macédoine pouvait-il laisser faire tout cela ? Nous savons qu'il avait à soutenir une lutte pénible contre les Dardaniens. On se rappelle que ce peuple avait déjà combattu Alexandre d'Épire ; il semble avoir été contraint au repos, depuis qu'Antigone avait étendu les frontières de son royaume jusqu'à l'Aoos ; rien d'ailleurs ne nous fait croire que les Barbares des alentours, Thraces, Illyriens, Galates, aient osé inquiéter les frontières dont Antigone avait une fois assuré la sécurité. Un changement de gouvernement peut avoir, chez les Dardaniens comme chez les Épirotes, éveillé le désir de ravager de nouveau la florissante Macédoine : ce fut Longaros qui se mit à la tête des assaillants[56]. N'étaient-ce que les Dardaniens ? N'y avait-il pas avec eux les Mædes de Thrace, les Besses, les Denthélètes ? Ou le nom de Dardaniens s'étendait-il peut-être aux restes de ces anciennes peuplades barbares qui habitaient la frontière septentrionale et occidentale de la Macédoine, et qui avaient défendu leur indépendance contre l'invasion des Celtes ? Le nom des Dardaniens était, en effet, puissant depuis l'époque de Monounios. En tout cas, depuis ces attaques, qu'ils renouvelèrent au temps de Démétrios, les Dardaniens ne laissèrent plus de repos au royaume. Après un long répit, leur premier assaut dut être terrible.

La ruine des boulevards de la frontière macédonienne était-un extrême danger. Démétrios devait sacrifier tous ses autres intérêts politiques à la sûreté de la frontière du nord ; il devait laisser les événements suivre leur cours en Épire, en Thessalie, en Grèce, pour parer à ce premier péril. Et, en effet, on s'empressait en Grèce de tirer parti des circonstances : quarante ans s'étaient passés depuis le temps des Galates ; on avait oublié la grande leçon qu'ils avaient donnée, oublié qu'une Macédoine forte et compacte dans le nord pouvait seule sauver la Grèce de nouvelles invasions. On comprend que les orgueilleux Étoliens n'aient pas fait ces réflexions ; ils envahirent probablement l'Épire et l'Acarnanie, mais sans rester à demeure dans le pays, et ce fut peut-être à cette époque qu'ils, prirent possession de Phigalie, dans la partie de l'Arcadie la plus rapprochée de la mer[57]. Mais Aratos, lui aussi, qui ne visait dans toutes les entreprises de la Ligue qu'au gain immédiat, Aratos, à ce moment où il n'avait pas à redouter une intervention bien énergique du jeune roi, faisait tous ses efforts pour assurer à la liberté et à la confédération de nouvelles conquêtes ; il ne prenait nul souci de la paix conclue avec les Macédoniens.

Il était singulier, en effet, qu'Aratos fît paix et alliance avec les Étoilons ; Pantaléon, l'homme le plus influent de la Ligue étolienne à cette époque, avait été gagné à cette alliance[58]. On a dit plus haut que les Étoliens s'étaient établis à Phigalie ; tout près, sur la frontière de l'Arcadie, était située Héræa ; Diœtas, stratège des Achéens, s'empara de la ville par ruse et trahison[59]. C'est ainsi qu'Étoliens et Achéens entendaient les relations de bon voisinage. Appuyé par de tels alliés, Aratos pouvait renouveler ses tentatives contre Argos ; il est vrai que la Ligue avait grand intérêt à détruire ce vieux siège de la tyrannie et à annexer cet important territoire. Déjà du vivant d'Antigone, Aratos avait attaqué Aristippos par divers moyens, secrets ou avoués. Il revint à la charge cette fois encore, avec ardeur, mais sans succès. Une nuit, les échelles sont déjà appliquées à la muraille ; les sentinelles sont égorgées ; mais Aristippos s'élance avec ses mercenaires ; les citoyens d'Argos contemplent la lutte violente qui s'engage comme s'ils assistaient aux jeux du cirque. Jusqu'au soir, les Achéens gardent leur position ; déjà le tyran fait transporter ce qu'il a de plus précieux vers le rivage et dispose tout pour sa fuite ; mais, après une si chaude journée, les Achéens souffrent du manque d'eau ; ils ne savent pas que le tyran découragé renonce à la résistance ; Aratos lui-même est blessé ; il donne l'ordre de la retraite. Plus tard, il tente une attaque en pleine campagne ; il rencontre les troupes d'Aristippos sur les bords du fleuve Charès, et, pendant que ses Achéens croient être victorieux, il ordonne la retraite. Le mécontentement qu'inspirait son indécision s'exprime hautement ; sa lâcheté dans les batailles rangées, où il fallait regarder l'ennemi en face, était cause, disait-on, que l'on voyait l'ennemi vaincu dresser pourtant des trophées. Après un jour de repos, Aratos se décide à renouveler l'attaque ; mais cette fois, dès qu'il voit les troupes plus nombreuses du côté du tyran, il se hâte de mettre fin au combat et demande qu'on le laisse ensevelir ses morts. En revanche, la ville de Cléonæ fut gagnée à la Ligue, et l'on revendiqua aussitôt pour elle le privilège de donner les jeux Néméens. Comme Argos les célébrait de son côté, on alla jusqu'à violer les sauf-conduits délivrés, suivant l'usage, à tous ceux qui se rendaient aux Jeux : ceux qui voulaient aller au concours d'Argos furent arrêtés et vendus comme prisonniers de guerre[60]. Peu de temps après, Aratos apprit que le tyran d'Argos voulait reprendre à tout prix Cléonæ et qu'il ne craignait que le voisinage de l'armée achéenne à Corinthe. Aratos espéra enfin arriver au but ; il fit envoyer à Cenchrées des provisions pour plusieurs jours, comme s'il avait dessein d'entreprendre une longue expédition, et se dirigea sur cette ville avec ses troupes. Aussitôt Aristippos se mit en marche sur Cléonæ ; mais, avant qu'il y fût arrivé, les Achéens étaient déjà entrés dans la ville à la tombée de la nuit, et le lendemain matin ils sortirent des portes et fondirent sur l'ennemi. Attaqué vivement et contre toute attente, Aristippos s'enfuit rapidement. Aratos le poursuivit jusqu'à Mycènes et lui tua 1.500 hommes ; le tyran lui-même périt dans sa fuite ; un esclave lui porta le coup mortel. Il devait être facile en cet instant de s'emparer d'Argos. Aratos campait à Mycènes, et peut-être attendait-il un soulèvement des habitants de la ville ; du moins c'est ainsi qu'il faut concilier les renseignements dont nous disposons. Le jeune Aristomachos et Agias, au dire de Plutarque, arrivèrent avec les troupes royales et occupèrent la ville. Polybe assure, au contraire, que Aratos pénétra dans la ville avec ses Achéens et y combattit pour la liberté, mais qu'il s'éloigna lorsqu'il vit que personne ne se levait par crainte du tyran. Aristomachos, membre de la famille régnante, fut ainsi maître de la ville et tyran, comme l'avait été son père. Son règne commença par des actes de violence : sous prétexte qu'Aratos ne s'était pas avancé si loin sans avoir des complices dans la ville, il fit torturer, puis exécuter quatre-vingts citoyens des plus considérables d'Argos. Polybe assure qu'ils étaient innocents[61]. A la cour d'Argos, le général bourgeois des Achéens devint matière à plaisanteries ; on ne se lassait pas de raconter qu'il avait des tranchées tous les jours de bataille, qu'il tremblait et pâlissait au sou des trompettes, qu'il avait, dans le dernier combat, disposé et harangué ses capitaines et ses chefs, mais que lui-même s'était retiré à l'écart pour attendre l'issue de la journée. Il faut bien avouer qu'Aratos, diplomate circonspect, connaisseur en œuvres d'art, l'homme des petites mesures et des embuscades nocturnes, n'avait rien de la martiale contenance des Étoliens et des Macédoniens ; le fier tyran d'Argos a bien pu, avec les flatteurs qui se pressaient autour de lui, se moquer à l'envi de la fine fleur de vertu bourgeoise et des menées secrètes du Sicyonien qui s'était tant de fois glissé jusqu'aux murs d'Argos, et toujours en vain[62].

Il nous faut malheureusement suivre pas à pas les indications que le récit minutieux de Plutarque est seul à nous donner. Il dit qu'aussitôt après la mort d'Aristippos, Aratos tendit des pièges à Lydiade de Mégalopolis. Nous avons vu plus haut que ce dernier, poussé par une noble ambition, enthousiasmé de l'excellence de la forme monarchique, séduit peut-être par l'exemple du vieil Antigone, s'était, jeune encore, emparé du pouvoir à Mégalopolis. C'était la ville qui avait obéi la première au nouveau cri de liberté, celle dont les libérateurs avaient contribué à la délivrance de Sicyone et fondé la nouvelle constitution de Cyrène. Le grand mouvement que ces Académiciens y avaient éveillé ou représenté ne pouvait pas avoir aussitôt disparu. Étaient-ils revenus de Cyrène et avaient-ils gagné quelque influence sur l'esprit de Lydiade ? ou les sentiments qui remplissaient cette bourgeoisie s'exprimèrent-ils ouvertement devant le tyran ? ou la chasse incessante que faisait Aratos aux tyrans avait-elle réellement préoccupé Lydiade ? Il avait l'âme assez noble, assez éprise de gloire, pour ne pouvoir supporter longtemps la froideur de son peuple. Ce qu'il fit a je ne sais quoi de grand : il invite Aratos, il abandonne sa tyrannie, il rend sa ville à la confédération. On comprend l'admiration qui honora cette résolution ; ce fut Lydiade qu'on élut stratège aux élections suivantes, au printemps de 233[63]. L'exemple de Mégalopolis paraît avoir agi sur Orchomène, Tégée, Mantinée. Pour Orchomène, nous avons encore le document qui atteste son entrée dans la confédération[64]. Comme, dans cette inscription, il est parlé d'un certain Néarchos et de ses fils, auxquels on garantit l'immunité de toute poursuite judiciaire à raison de faits antérieurs, on a supposé avec raison que Néarchos et ses fils avaient été probablement maîtres et seigneurs de la ville, et qu'ils se retiraient alors volontairement[65].

Ce que le nom achéen gagnait à ces événements, ce n'était pas simplement un accroissement très considérable de son territoire ; une vie nouvelle et plus élevée entrait, pour ainsi dire, dans la Ligue. Ces hommes de liberté, — Philopœmen et le père de Polybe, Lycortas, qui grandissaient à ce moment même dans leur société, témoignent de l'esprit dont leur ville natale était animée, — cette bourgeoisie qui avait autrefois sacrifié à la liberté un des siens qu'elle nommait l'Intrépide, cette' ville fondée par Épaminondas pour être contre Sparte l'avant-garde de la Grèce et qui depuis n'avait pas cessé de soutenir sa réputation dans une situation politique constamment difficile et souvent de grande allure, tout cela entrait maintenant dans la confédération, dont le domaine touchait ainsi les frontières de la Laconie et de la Messénie, et dont la politique prenait à son compte toutes les relations, toutes les influences qu'avait eues jusque-là Mégalopolis. Ce n'est pas tout : la Ligue était à ce moment dans une mauvaise voie ; Aratos était si bien devenu le chef de la confédération, qu'il avait été nommé stratège une année sur deux ; son influence était illimitée, et le libre mouvement démocratique qui pouvait seul conserver à la confédération une direction plus noble, plus élevée, ou plutôt qui devait la lui donner, ce mouvement n'avait pu grandir en face du pouvoir d'Aratos et de la tutelle où il tenait ses concitoyens. C'est à ce moment qu'intervint Lydiade ; il devint aussitôt le centre de tous les efforts qu'Aratos s'était efforcé de contenir : dès la première stratégie de Lydiade, ce contraste dans les vues et dans la politique extérieure se manifesta en plein[66].

Suivons tout d'abord la politique extérieure de la Ligue. Nous avons vu comment Aratos avait fait alliance avec les Étoliens. On rapporte qu'il ne cessa pas de s'employer à la délivrance d'Athènes. Même du vivant d'Antigone, il l'avait déjà essayée à diverses reprises : après la mort d'Antigone, dit Plutarque, il tourna plus que jamais ses efforts vers Athènes et méprisa absolument les Macédoniens ; aussi, lorsqu'il eut été battu à Phylakia par Bithys, général de Démétrios, le bruit ayant couru qu'il était pris ou tué, le phrourarque du Pirée envoya des messagers à Corinthe demander l'évacuation de la place[67]. Aratos et ses Achéens avaient donc combattu en Thessalie ; il ne pouvait être arrivé jusque-là qu'en s'alliant aux Étoliens, qui possédaient la Béotie et dominaient les Thermopyles. Le roi devait être à ce moment engagé dans une guerre contre les Dardaniens[68] ; mais la victoire de Bithys fut si complète, la retraite ou la fuite d'Aratos si rapide, que le stratège achéen était déjà de retour à Corinthe lorsqu'y arriva la sommation du phrourarque. Il dut sans doute se moquer de ces messagers du Pirée, et ce fut pour lui une consolation de sa défaite, que Démétrios, à la nouvelle de sa captivité, eût envoyé un vaisseau pour l'emmener enchaîné en Macédoine, tant le roi le jugeait redoutable ! Mais il fut très douloureusement affecté en apprenant que les Athéniens s'étaient, sur le bruit de son malheur, couronnés de fleurs comme dans une fête ; aussitôt, dit-on, il envahit le territoire de l'Attique, et pénétra jusqu'aux jardins d'Académos. Les prières des Athéniens le décidèrent à ne pas insister davantage[69]. C'est une étrange histoire. Aratos doit avoir eu d'autres motifs pour entreprendre si brusquement cette campagne et pour se retirer de cette façon.

Polybe témoigne que les Étoliens avaient commencé la guerre contre Démétrios, et que, dans cette guerre, les Achéens prêtèrent un appui dévoué à leurs alliés[70]. L'armée des coalisés s'était avancée jusqu'en Thessalie. Quelles brillantes perspectives s'ouvraient alors, si l'on avait réussi à détacher de la Macédoine la riche Thessalie et à rejeter ainsi Démétrios derrière les défilés de l'Olympe ! Comme la puissance de la Macédoine aurait été profondément abaissée, dans ce moment où les Dardaniens au nord, les Achéens et les Étoliens au sud dirigeaient contre elle leurs attaques pressantes, où l'Épire, abolissant la royauté, s'était donné une constitution[71] qui faisait d'elle l'alliée naturelle de ces États fédératifs ! La Macédoine courait le plus grand danger de perdre toute sa puissance, car telle est la destinée des grands États qui mènent cette génération : à tout moment leur existence est mise en question, tant il est vrai qu'ils ne sont pas l'expression immédiate et nécessaire d'une situation naturelle et nationale ; tant il est vrai qu'il leur manque le véritable centre de gravité, une nationalité distincte et formant un tout compacte ! Les grands États ne sont guère que des formes artificielles, le résultat de situations politiques extérieures, des machines construites avec beaucoup d'adresse, mais qui restent immobiles et comme mortes dès que la main habile de l'ingénieur n'est plus là, ou qui, au moindre choc, s'écroulent et se brisent en fragments inertes.

Démétrios, que de récents historiens ont cru devoir nommer le prince le plus insignifiant de la dynastie des Antigonides, sut briser le cercle de dangers qui l'entouraient de toutes parts, et, comme dit la sèche mention d'un chronographe, regagner tout ce qui avait appartenu à son père[72]. Cette victoire de Bithys aura été le commencement de ses succès ; peut-être a-t-elle rejeté en même temps les Étoliens hors de la Thessalie. Il faut bien qu'elle ait été décisive pour que le phrourarque d'Athènes ait fait aux confédérés cette sommation à propos de Corinthe. Polybe dit que Démétrios parut avec une armée en Béotie, et que les Béotiens abandonnèrent aussitôt leur alliance avec les Étoliens pour s'attacher entièrement à la Macédoine[73]. Il est donc hors de doute que les Phocidiens, à qui les Étoliens avaient depuis longtemps déjà arraché le sanctuaire de Delphes, et dont les frontières — si toutefois ils n'avaient pas été forcés d'entrer dans la confédération — étaient le plus immédiatement exposées à leurs attaques[74], se rallièrent avec joie à la Macédoine. Les Locriens de l'Œta, qui au temps d'Antigone avaient à se plaindre des lourds tributs levés par les Étoliens, embrassèrent probablement la cause de Démétrios, d'autant plus qu'après sa victoire en Thessalie, il marcha évidemment sur la Béotie par les Thermopyles. Bien plus, on nous raconte que Démétrios, ce Démétrios qui portait le surnom d'Étolique[75], a complètement détruit la vieille ville étolienne de Pleuron, de l'autre côté de Calydon, dans le pays fertile de Lélante. On voit quelles victoires complètes il doit avoir remportées ; pour arriver jusque-là, il lui avait fallu traverser le territoire des Locriens Ozoles, qui depuis longtemps avaient échangé ce nom contre celui d'Étoliens, et, si l'on ne peut démontrer qu'il ait enlevé le sanctuaire de Delphes aux Étoliens de Locride, nous trouvons désormais le tribunal des Amphictyons non plus occupé seulement par les hiéromnémons étoliens, mais composé comme il l'était autrefois[76]. Tels sont les maigres renseignements que nous avons sur une guerre qui dut être d'autant plus glorieuse pour Démétrios que le renom des armes étoliennes était mieux établi ; c'est à, peine si, au temps des Diadoques, elles avaient essuyé de semblables humiliations. Si jamais les Acarnaniens devaient se soulever, c'était certainement dans cette guerre de Démétrios, et ils n'auront pas manqué de reconquérir l'ancienne frontière de leur libre territoire, l'Achéloos. Quant aux Achéens, plus la puissance macédonienne reprenait de vigueur et d'éclat, plus ils avaient de raisons de prêter aux Étoliens tout leur appui ; et nous apprenons qu'en effet ils se montrèrent assez empressés pour obliger les Étoliens à une reconnaissance durable[77].

Malheureusement, on ne nous dit pas quand eurent lieu ces événements décisifs ; il est impossible de les rapprocher avec quelque certitude de la situation du Péloponnèse. Le seul point de repère, c'est que Polybe, parlant des commencements de la guerre de Cléomène (par conséquent d'événements qui concernent l'année 228), cite les bons services que les Achéens ont récemment rendus aux Étoliens[78]. Cela ne suffit pas pour décider si la guerre de Démétrios a eu lieu dans la seconde ou dans la première moitié du règne de ce prince (239-229). Ce qui est sûr, c'est que la première stratégie de Lydiade part du printemps de 234 ; comme il fut élu parce qu'on admirait justement en lui le magnanime libérateur de Mégalopolis, son entrée dans la confédération n'aura que précédé de fort peu son élection, et c'est au commencement de l'année 235 ou de l'année 234 qu'il aura abandonné sa tyrannie. Cet événement arriva aussitôt après la chute d'Aristippos à Argos ; mais, avec l'aide des troupes royales, Aristomachos put entrer à Argos et usurper le pouvoir[79]. La bataille de Thessalie peut avoir été livrée peu de temps auparavant. Rentré en toute hâte dans sa patrie, Aratos tenta de délivrer Athènes ; c'eût été, en vue de la campagne à laquelle il fallait s'attendre de la part de Démétrios, un résultat d'une extrême importance que d'arracher l'Attique aux Macédoniens ; Aratos échoua. C'est à ce moment qu'Aristippos fit son attaque sur Cléonæ ; il fut repoussé, assassiné. Aristomachos venait vraisemblablement de l'Attique lorsqu'il parut dans Argos avec les troupes royales. Dans le même été ou dans l'automne de 235, Démétrios put venir en Grèce et peut-être ravager encore l'Étolie dans la même année. Au milieu de si brillants succès, rie devait-il rien tenter de plus dans le Péloponnèse ? Il est vrai qu'il pouvait paraître impossible de reprendre l'Acrocorinthe ; mais Orchomène n'a pas suivi immédiatement l'exemple de Mégalopolis ; Mantinée, Tégée ont dû temporiser encore avant de se faire achéennes ; la tyrannie était encore debout à Phlionte, à Hermione ; Sparte était certainement en relations amicales avec Démétrios. Ce prince, dit Polybe[80], était devenu, pour ainsi dire, le maître et le patron des monarques du Péloponnèse. On vit se répéter la politique des premières années d'Antigone, et l'on put dire avec raison de Démétrios qu'il avait replacé sous son pouvoir tout ce qui avait appartenu à son père.

Plus la situation de la Ligue achéenne devenait difficile en présence d'une telle extension de l'influence macédonienne, plus l'acte d'adhésion que fit Lydiade à ce moment même produisit d'effet et plus admirable fut sa résolution de renoncer à la tyrannie juste à l'heure où il pouvait attendre de Démétrios toute sorte de faveurs, s'il avait consenti à défendre les intérêts de la Macédoine. Ne sentit-il pas peut-être son indépendance menacée par la puissance grandissante et déjà trop forte de la Macédoine ? Craignit-il que Sparte ne fût favorisée aux dépens de Mégalopolis ? De tels motifs ont-ils déterminé sa résolution autant que sa propre grandeur d'âme ? Pour ce qui est du résultat, les motifs importent peu. Il est certain qu'il désapprouvait absolument la politique suivie par Aratos ; il chercha, dit Plutarque, à surpasser dans sa stratégie la gloire d'Aratos, et il dirigea, entre autres entreprises qui ne paraissaient pas nécessaires, une expédition contre Sparte[81]. Nous ne pouvons, pour apprécier cette mesure, qu'émettre une série de suppositions. Sparte avait été, il est vrai, depuis la mort d'Agis et la ruine de ses réformes, ramenée à l'ancien système oligarchique ; mais l'exaspération des pauvres, de ceux qui étaient dépourvus de tout droit, ne pouvait être comprimée que par des moyens violents. Il ne pouvait échapper au regard hardi et perçant de Lydiade que l'accession de Sparte à la Ligue pouvait seule décider de l'attitude politique de la confédération à l'extérieur ; il voyait en même temps que l'abolition de cette constitution dégénérée, la fondation d'une démocratie, le partage des biens de ce petit nombre d'hommes immensément riches qui devaient tomber avec l'ordre de choses existant, assureraient à la Ligue un appoint démocratique grâce auquel seraient balayés et la tutelle qu'Aratos imposait à la communauté, et l'influence des classes aisées rangées autour de lui, et l'esprit étroit, mesquin, bourgeois des anciennes villes de la confédération. En outre, depuis deux ans à peu près[82], le vieux roi Léonidas avait eu pour successeur Cléomène. Celui-ci était réservé et circonspect, mais Lydiade pouvait déjà reconnaître en lui le lion de Sparte qui, en effet, allait bientôt prendre son élan et révéler sa force ; il pouvait pressentir — ce que la suite a justifié — que, dès que Cléomène interviendrait, sa volonté créatrice, irrésistible, entraînerait la race grecque dans de nouvelles voies. Si le rôle de la confédération, qui renfermait en elle tant. d'éléments de croissance et de force, devait grandir, il fallait :de toute nécessité attirer maintenant Sparte dans la Ligue, sans quoi elle perdait pour toujours la possibilité de remplir sa tâche.

Mais Lydiade, à ce qu'il semble, ne put faire prévaloir son avis. Aratos traversait ses plans, et il avait pour lui plus encore que la reconnaissance de la Ligue, reconnaissance à laquelle il pouvait d'ailleurs justement prétendre ; il avait l'accoutumance à sa propre personne et cette quantité considérable d'éléments passifs que renfermait de longue date la confédération. Nous ne savons que peu de chose de la rivalité de Lydiade et d'Aratos : il se peut que le premier eût toujours la majorité dans les assemblées de la Ligue ; mais, dans le Conseil élu par les villes et qui délibérait en premier sur les affaires, dans l'assemblée des damiorges qui expédiait les affaires courantes, l'influence d'Aratos devait l'emporter[83]. Après avoir été lui-même stratège en 233/2, il chercha :par tous les moyens à empêcher la réélection de Lydiade et à diriger le choix de la Ligue sur un autre. Il échoua. Le même jeu recommença après la stratégie suivante, la huitième d'Aratos, en 231/0. Lydiade ayant été élu une troisième fois (230) et l'inimitié des deux rivaux étant déjà manifeste, Aratos mit tout en œuvre pour se débarrasser de la rivalité insupportable d'un homme qui valait mieux que lui. Plutarque, qui plaide pour Aratos, marque plutôt les vues d'un parti que la situation réelle des choses lorsqu'il dit : Un caractère dissimulé semblait rivaliser avec la vertu véritable et sans alliage. Le coucou de la fable demande aux petits oiseaux pourquoi ils fuient devant lui, et ceux-ci répondent qu'ils se sauvent parce qu'il sera bientôt un autour ; de même Lydiade, depuis sa tyrannie, était comme suspect d'être capable d'une nouvelle métamorphose, et ce soupçon minait la confiance qu'il inspirait[84]. On ne devait voir que trop tôt ce que faisait la Ligue lorsqu'elle se laissait de nouveau guider par l'influence du seul Aratos.

Depuis l'adhésion des Mégalopolitains jusqu'à la mort de Démétrios, la confédération ne fit pas de nouvelles recrues. II ne faut pas en chercher la raison uniquement dans cette discorde intérieure, qui aurait dû produire plutôt le résultat opposé. Ce qui ne surprend pas moins, ce sont certaines mesures que les Macédoniens prirent à l'égard des Étoliens et dont il sera prochainement question. D'après le tempérament de l'époque, il semble impossible qu'une guerre comme celle de Démétrios n'ait pas été terminée par une paix qui régularisait le nouvel état de choses ; c'est sans doute Lydiade qui, dans sa première stratégie, l'aura menée à terme. Ce n'est que par cette paix que la nouvelle influence acquise par Démétrios dans l'Hellade fut assurée et consolidée ; c'est par cette paix que durent être reconnues la séparation de la Béotie et de la Ligue étolienne, la séparation ou le protectorat de la Phocide et de la Locride voisine de l'Œta, le rétablissement de l'amphictyonie, la constitution fédérale de l'Épire. Il ne semble pas croyable, d'après les événements ultérieurs, que la liberté des Acarnaniens ait été également stipulée ; du moins, la Macédoine n'avait aucun intérêt à garantir officiellement l'indépendance de fait des Acarnaniens, qui semblait propre à occuper de bien des façons les Étoliens, et à se laisser entrainer par là dans les querelles de ses voisins, querelles auxquelles il fallait s'attendre certainement et qui ne pouvaient lui rapporter aucun profit immédiat. D'autre part, les frontières du Nord ne paraissent nullement avoir été assurées d'une façon complète et durable, puisque, au bout de trois ans à peine, les Dardaniens faisaient de nouveau courir à la Macédoine un extrême danger.

A côté du territoire où dominaient les Dardaniens, et en lutte fréquente avec eux, était situé sur la côte de la mer Adriatique le royaume des Illyriens. Gouverné alors par Agron, fils de Pleuratas, ce royaume s'étendait à peu près depuis le Drin au nord, sur les côtes occupées en partie par des colonies grecques, jusqu'aux îles de Pharos et d'Issa, et, peut-être encore plus loin ; il était habité par des peuplades sauvages et pillardes qui exerçaient depuis très longtemps la piraterie. Le territoire des princes taulantins avait formé jadis la frontière méridionale de ce pays d'Illyrie ; puis, Pyrrhos avait conquis leurs domaines ; ensuite, Alexandre, fils de Pyrrhos, en avait disputé la possession aux Dardaniens ; durant quelque temps, Dyrrhachion, la ville grecque, avait été au pouvoir du roi dardanien Monounios. On ne peut savoir en quelles mains était tombé par la suite l'intérieur du pays compris entre le Drin et les monts Cérauniques ; en tout cas, les Dardaniens ne le possédaient plus. Sur la côte étaient situées des villes grecques, entre autres Dyrrhachion et Apollonie, chacune avec un territoire indépendant ; Apollonie était déjà liée d'amitié avec les Romains.

Telle était l'Illyrie à l'époque où elle allait trouver l'occasion d'entrer en contact avec le monde hellénique. Les Étoliens s'étaient efforcés longtemps, mais en vain, d'attirer la ville acarnanienne de Médéon dans leur confédération ; ils prirent enfin la résolution de l'y contraindre, et, avec toutes leurs forces, ils marchèrent contre la ville de Médéon, l'investirent et en commencèrent le siège régulier. L'équinoxe d'automne était proche, et par suite l'époque de la nouvelle élection du stratège ; la prise de la ville paraissait imminente. Le stratège qui devait prochainement quitter sa charge convoqua les Étoliens et leur représenta qu'il était juste de lui abandonner, à lui qui avait amené la ville à cette extrémité et non pas à son successeur, la part de butin qui revenait habituellement au stratège. Après une vive contestation de la part de ceux qui fondaient leurs espérances sur la nouvelle élection, il fut résolu que l'ancien stratège et son successeur présideraient de concert au partage du butin et que leurs noms à tous deux seraient inscrits sur les trophées. Le jour qui précédait l'élection et l'entrée en fonctions du nouveau stratège était venu, lorsque, dans la nuit, cent barques illyriennes entrèrent dans le golfe d'Ambracie avec cinq mille hommes armés et abordèrent au rivage de Médéon. Dès qu'il fit jour, les Illyriens débarquèrent rapidement et dans le plus grand silence, et, se divisant en détachements isolés, se dirigèrent vers la ville, située à près de deux lieues, pour attaquer aussitôt le camp étolien. Malgré le danger qui fondait sur eux d'une façon absolument inattendue, les Étoliens se mirent bientôt en ordre de bataille et résistèrent bravement : mais la vivacité de l'attaque des Illyriens et une sortie simultanée des habitants de Médéon les contraignirent à la retraite. Ils s'enfuirent en perdant beaucoup de morts et de blessés et abandonnèrent leur camp. Quant aux Illyriens, ainsi que leur roi le leur avait commandé, ils chargèrent leur butin sur leurs barques et revinrent chez eux, tandis que les habitants de Médéon, sauvés d'une manière si inespérée, décrétaient dans la première assemblée du peuple que les noms du stratège sortant et du nouveau stratège des Étoliens seraient gravés, selon la volonté même de leurs ennemis, sur les armes qu'ils conservaient à leur tour à titre de trophées[85].

Cette surprise des Illyriens avait été provoquée par Démétrios de Macédoine ; c'était lui qui, afin de sauver la ville acarnanienne en péril, avait déterminé à cette expédition le roi Agron, lequel disposait, à ce que l'on rapporte, de plus d'embarcations et de troupes de terre qu'aucun de ses ancêtres. Quand à Agron, lorsque revint sa flotte, il fut si heureux du butin conquis et de la glorieuse victoire que les siens avaient remportée sur les Étoliens, qu'il se mit à donner de somptueux festins et à banqueter sans mesure ; il en mourut peu de jours après. Cet événement doit avoir eu lieu dans l'automne de 231[86].

Sa veuve Teuta prit les rênes du gouvernement au nom de son fils mineur Pinnès. La récente victoire l'avait remplie de la plus folle assurance. Elle donna aux pirates illyriens complète liberté d'écumer la mer, où et comme ils voudraient ; elle arma une nouvelle expédition, aussi forte que la précédente, et laissa aux chefs pleins pouvoirs d'attaquer tout le monde. Ils se tournèrent tout d'abord contre l'Élide et la Messénie, où les corsaires illyriens avaient toujours coutume de se diriger, parce que les villes fortes y étaient éloignées de la côte. Après avoir fait un riche butin, ils se rendirent plus loin sur les rivages de l'Épire, pour faire une tentative contre Phœnike, la ville la plus opulente et la plus considérable de la confédération épirote, située à un mille environ dans l'intérieur des terres[87]. Sous le prétexte de s'approvisionner, ils abordèrent à la côte la plus voisine. La confédération avait mis dans Phœnike une garnison de 800 mercenaires galates ; ils nouèrent avec eux des intelligences, et, grâce à leur concours, s'emparèrent de cette cité, la plus forte du pays. A cette nouvelle, tous les hommes de l'Épire en état de porter les armes se levèrent en hâte et marchèrent sur Phœnike ; ils vinrent prendre, auprès du fleuve qui coule sous ses murs, une forte position dans le voisinage de la ville, afin de la sauver des mains des Barbares. Mais soudain arriva la nouvelle que Scerdiladas, frère d'Agron, envahissait l'Épire par terre avec 5.000 Illyriens, et qu'il entrait par les défilés d'Antigonia[88]. Aussitôt une partie de l'armée épirote courut à sa rencontre pour barrer le chemin d'Antigonia. Cette division des forces assiégeantes et le service négligent des troupes restées devant les murs de Phœnike n'échappèrent pas aux Illyriens qui y étaient enfermés ; durant la nuit, ils rétablirent le pont, traversèrent le fleuve sans obstacle et occupèrent une hauteur dans le voisinage du camp ennemi. Le jour suivant eut lieu un combat dans lequel les Épirotes furent complètement battus ; beaucoup furent pris, le reste dut s'enfuir dans le pays des Atintanes[89]. Dans cette situation entièrement désespérée, ils se tournèrent vers les Étoliens et les Achéens et implorèrent leur appui ; ceux-ci leur envoyèrent aussitôt des auxiliaires qui pénétrèrent jusqu'à Hélicranon[90]. Mais déjà les Illyriens de Phœnike s'étaient réunis avec ceux de Scerdiladas et campaient en face des alliés des Épirotes ; ils ne demandaient qu'à combattre, mais les difficultés du terrain empêchèrent la bataille, et au même moment ra reine envoya l'ordre de revenir en hâte parce qu'une partie des Illyriens avait fait défection et s'était attachée aux Dardaniens. Les Illyriens pillèrent tout sur leur passage, conclurent une trêve avec les Épirotes, rendirent Phœnike et les hommes libres qu'ils avaient pris contre une rançon, et revinrent dans leur pays avec les esclaves et le reste du butin, les uns par mer, les autres par les défilés d'Antigonia.

Les auteurs disent expressément que cette surprise de Phœnike produisit dans toute la Grèce un effroi extrême. Sans doute, les pirates illyriens n'avaient encore entrepris jusque-là que des courses isolées ne dépassant pas la frontière de Laconie ; mais cette nouvelle sorte d'invasions, dirigées au nom de l'État et faites en même temps par terre et par mer, devait paraître d'autant plus périlleuse et menaçante que la Macédoine semblait la favoriser. Menacée pour ainsi dire à dos par les Étoliens et les Achéens, tandis qu'elle avait à combattre, avec assez de peine, les Barbares du Nord, la Macédoine, sous le coup de nouvelles attaques des Dardaniens et dans la crainte d'une nouvelle rupture de la paix par les deux Ligues étolienne et achéenne, déchaînait maintenant sur la Grèce, afin d'assurer ses propres derrières, le même danger d'invasions barbares. Or, depuis que n'existait plus la royauté des Æacides, la race grecque était pour ainsi dire complètement à découvert de ce côté, si la Macédoine ne la défendait pas ; la république des Épirotes était d'autant plus incapable de former un rempart que, dans l'intérêt de sa propre sûreté, elle envoyait alors, en même temps que les Acarnaniens, une ambassade à la reine Tenta et faisait alliance avec les Illyriens.

La reine Teuta, au retour des expéditions chargées de butin, éprouva une joyeuse surprise et se résolut aussitôt à de nouvelles entreprises contre la Grèce. Pour le moment, elle réprimait encore les troubles intérieurs ; les tribus qui s'étaient ralliées aux Dardaniens furent bientôt soumises de nouveau ; seule Issa, dans l'île du même nom, tenait encore et supportait un siège[91]. A ce moment même, ce devait être vers la fin de l'année 230, une ambassade romaine parut devant la reine. Déjà auparavant, des corsaires illyriens avaient inquiété des navires marchands d'Italie ; mais jamais leurs courses n'avaient été si hardies que cette année, où elles partaient de Phœnike. Non seulement ils avaient pillé une foule de sujets romains, mais ils les avaient tués ou emmenés prisonniers ; de tous les ports d'Italie s'élevaient plaintes sur plaintes ; finalement le Sénat se résolut à envoyer C. et L. Coruncanius comme ambassadeurs et à faire valoir ses griefs. La reine écouta leurs ouvertures avec un dépit contenu ; elle répondit qu'elle ferait, officiellement, tout ce qui était possible pour empêcher que les Romains fussent de nouveau lésés, mais que, d'après la coutume illyrienne, la royauté n'avait pas le droit d'en-pêcher un particulier de rechercher sur mer son avantage privé. Le plus jeune des Coruncanius répondit alors d'un ton hardi et résolu qu'à Rome existait la louable coutume d'assurer officiellement le droit et la sécurité de chaque particulier, et qu'on ferait tout ce qui était possible pour contraindre la reine, s'il plaisait aux dieux, à réformer complètement les usages de l'Illyrie. Les députés s'éloignèrent ; à peine avaient-ils mis à la voile qu'ils furent assaillis à l'improviste, et, sur l'ordre de la reine, celui qui avait parlé si hardiment fut mis à mort. Dès que la nouvelle de ce crime arriva à Rome, la guerre fut aussitôt résolue contre les Illyriens : on leva une armée, on équipa une flotte[92].

Cependant la reine Tenta, sans se soucier du péril imminent, envoya au printemps suivant une nouvelle flotte plus considérable rançonner la Grèce. Une partie se tourna vers Dyrrhachion. Ceux qui la montaient demandèrent la permission de prendre de l'eau. Beaucoup d'entre eux vinrent ainsi jusqu'aux portes, mais ils avaient caché leurs épées dans les cruches ; ils fondirent sur les gardes et les éloignèrent, s'emparèrent d'une porte et du mur contigu pendant que leurs compagnons, selon leur convention, se hâtaient d'arriver en barque. Bientôt la muraille presque tout entière fut au pouvoir des Illyriens. Mais les bourgeois se rassemblèrent rapidement, et..-le combat qu'ils soutinrent contre les Barbares fut si vigoureux, si opiniâtre que ceux-ci durent enfin opérer leur retraite. Ils coururent rejoindre le reste de la flotte, qui avait fait voile à l'avance vers Corcyre. Aussitôt eut lieu le débarquement, et le siège de la ville commença. Les habitants de Corcyre, dans leur détresse, envoyèrent demander ami Étoliens et aux Achéens un secours immédiat ; des députés d'Apollonie, de Dyrrhachion arrivaient en même temps et suppliaient les deux Ligues de les protéger contre les Illyriens, de ne pas les abandonner à une catastrophe imminente. On n'hésita pas ; les dix grands vaisseaux de guerre que possédaient les Achéens furent montés par des Achéens et des Étoliens et prirent la mer peu de jours après ; on espérait débloquer Corcyre. Mais, pendant ce temps, les Illyriens avaient reçu le secours que les Acarnaniens leur avaient promis par traité ; avec ce secours, qui consistait en sept vaisseaux de guerre, et avec leurs propres barques, ils allèrent au-devant de la flotte achéenne qu'ils rencontrèrent près de l'île de Paxos. Un violent combat s'engagea ; ceux des vaisseaux achéens qui faisaient face aux Acarnaniens résistèrent vigoureusement, et de ce côté la fortune resta incertaine ; mais de l'autre côté arrivèrent les Illyriens avec leurs barques, attachées les unes aux autres quatre par quatre. Ils présentaient le flanc à l'ennemi et attendaient tranquillement le heurt de ses éperons ; ils laissaient perforer leurs embarcations, puis, lorsque le navire ennemi, ayant devant lui ces barques attachées ensemble, ne pouvait plus faire aucun mouvement, ils sautaient sur le pont et, grâce au nombre, remportaient la victoire. Ils prirent ainsi quatre vaisseaux à quatre rangs de rames, et en coulèrent un cinquième avec tous les marins de son équipage, et parmi eux Margos de Cérynia. Lorsque les vaisseaux de l'autre aile remarquèrent ce résultat, ils s'empressèrent de se retirer et, favorisés par le vent, rentrèrent heureusement au port. Les Corcyréens, pressés de nouveau avec un redoublement de vigueur, incapables d'une plus longue résistance, désespérant de leur salut, se rendirent à condition et reçurent dans leur ville une garnison illyrienne. Les pirates revinrent alors vers Dyrrhachion, pour renouveler contre cette riche ville de commerce la tentative qui avait précédemment échoué.

Cependant, une flotte romaine de 200 voiles avait pris la mer, sous le commandement du consul Cn. Fulvius, tandis que l'autre consul, A. Postumius[93], rassemblait à Brundusium l'armée de terre. Fulvius courut à Corcyre. Il apprit en chemin que l'île venait d'être conquise ; néanmoins il poursuivit sa route : un des commandants ennemis, Démétrios de Pharos, accusé auprès de la reine Teuta et craignant pour sa vie, avait envoyé un message secret aux Romains, pour leur dire qu'il était prêt à leur livrer la ville et tout ce qui reconnaissait son autorité. Lorsque la flotte romaine fut arrivée, les Corcyréens, avec l'assentiment de Démétrios, livrèrent aux Romains la garnison illyrienne et décrétèrent unanimement qu'ils se remettaient, eux et leur île, à la majesté romaine ; c'était, à leurs yeux, le seul moyen d'échapper désormais aux violences des Illyriens. Fulvius, accompagné de Démétrios qui lui donna des conseils sur les autres mesures à prendre, se rendit ensuite à Apollonie, où Postumius venait de faire passer environ 20.000 hommes d'infanterie et 2.000 cavaliers ; Apollonie, elle aussi, ouvrit volontiers ses portes et se mit sous la protection des Romains. Les consuls mirent à la voile pour débloquer Dyrrhachion, que les Illyriens pressaient alors très vivement : à la nouvelle de leur approche, ceux-ci abandonnèrent le siège et se retirèrent en toute hâte ; Dyrrhachion s'empressa de se rallier aux Romains. Fulvius et Postumius entrèrent dans l'intérieur de l'Illyrie et soumirent les Ardiæens ; d'autres tribus, notamment les Parthiniens, sur la côte en face de Pharos, et les Atintanes, envoyèrent des députés témoigner de leur dévouement aux Romains ; de même que les cités, ils furent admis dans l'amitié de Rome. Puis Issa, qui se défendait toujours, fut débloquée et noua les mêmes relations avec les Romains. D'autres villes illyriennes de la côte furent prises avec plus ou moins d'effort. Avec quelle rapidité avait été brisée et détruite cette puissance si redoutable aux Grecs ! La reine Teuta elle-même s'était enfuie avec très peu de monde à Rhizon, petite place forte située au fond du golfe de Cattaro. La fin de l'année arriva ; après avoir remis à Démétrios, en qualité de dynaste, la plus grande partie des Illyriens et particulièrement le peuple des Ardiæens, les Romains allèrent hiverner à Dyrrhachion. Fulvius, avec la plupart des vaisseaux et des troupes, revint en Italie ; Postumius garda 40 navires, leva une armée dans les villes, et passa l'hiver tout près de Dyrrhachion, dans une position qui assurait contre toute atteinte les Ardiæens et les autres peuplades et cités qui s'étaient mises sous la protection de Borne. Au printemps de 228, la reine Teuta envoya enfin des propositions de paix : elle se déclarait prête à payer le tribut qu'exigeraient les Romains et à céder quelques districts du territoire illyrien ; elle s'engageait à ne plus laisser naviguer au delà de Lissos que deux barques illyriennes, et encore désarmées. La paix lui fut accordée à ces conditions. La domination de Rome sur la mer Adriatique était fondée ; elle avait et tenait sous sa main vigoureuse, en même temps que la Grande-Grèce, les villes grecques de l'Illyrie et Corcyre[94]. Postumius envoya une ambassade aux deux Ligues achéenne et étolienne, pour justifier Rome de ses entreprises sur l'autre rivage de l'Adriatique par l'exposé des motifs qui avaient rendu l'expédition nécessaire, et notifier la paix conclue avec la reine ; ces communications furent acceptées par les deux États avec une vive reconnaissance. Ce furent les premières relations diplomatiques de Rome avec la Grèce. Bientôt s'ensuivirent d'autres avec Athènes et Corinthe ; cette dernière ville accorda aux Romains leur admission aux jeux Isthmiques, et les Athéniens les autorisèrent à prendre part aux fêtes d'Éleusis et leur octroyèrent l'isopolitie[95].

En Grèce même venaient d'avoir lieu les plus remarquables changements. A peu près au moment où les Romains passaient en Illyrie, Démétrios de Macédoine avait trouvé la mort[96]. Il était de nouveau en lutte contre les Dardaniens ; il avait essuyé une défaite complète, et peut-être fut-il parmi les morts de cette malheureuse journée ; un enfant de sept ans, Philippe, fut l'héritier du diadème[97]. Tandis que les Romains pénétraient en Illyrie, à la suite de victoires remportées sans obstacle sur un peuple dont les circonstances avaient fait un allié de la Macédoine, les Dardaniens forçaient la frontière, enorgueillis et enhardis par leur victoire. Les Thessaliens, dont le pays était déjà depuis longtemps en fermentation, crurent l'occasion favorable pour accomplir réellement la séparation qui n'existait encore que de nom, et se détacher pour tout de bon de la Macédoine ; ils se soulevèrent et proclamèrent leur indépendance. Les Étoliens se hâtèrent d'entrer en Thessalie, soit avec l'assentiment des Thessaliens, pour les aider à assurer leur liberté nouvelle, soit pour consolider définitivement les occupations qu'ils avaient tentées dix ans auparavant[98]. Ils intervinrent aussi de divers côtés[99], et il y eut en Béotie du moins un parti qui s'opposait à l'union avec la Macédoine et qui grandit rapidement[100]. Comment les Opontiens et les Phocidiens pouvaient-ils espérer se maintenir longtemps contre les envahissements de la Ligue, ainsi que les Acarnaniens et les Épirotes, les alliés des Illyriens dont la puissance éphémère venait de s'écrouler misérablement sous les coups des Romains ? A Athènes, les patriotes de la guerre de Chrémonide commençaient à remuer de nouveau[101]. Mais l'activité que déployait alors la Ligue achéenne fut encore plus vive et couronnée d'un plus grand succès. C'est, à ce qu'il semble, avant la fin de la huitième stratégie d'Aratos qu'avait été faite, dans l'union la plus étroite avec les Étoliens, l'expédition sur Corcyre, qui échoua si complètement. Malgré les efforts contraires d'Aratos, le choix de la Ligue pour la prochaine stratégie était tombé, pour la troisième fois, sur Lydiade, et c'est à lui qu'il faut attribuer l'attitude des Achéens : ils refusèrent cette fois de s'unir aux Étoliens pour une expédition contre la Thessalie[102], mais ils mirent tout en œuvre pour attirer dans la Ligue les territoires les plus voisins. Seulement, cette façon de s'agrandir porte évidemment le caractère de la politique d'Aratos, et nous voyons par là même combien le stratège de l'année, malgré l'habileté que nous avons cru lui reconnaître, était hors d'état de briser l'influence décisive d'Aratos.

Les incidents isolés qu'on nous rapporte jettent une lumière aussi remarquable sur l'attitude des deux chefs rivaux de la confédération et sur leur politique que sur le caractère des documents qui nous sont parvenus. Polybe dit : Les monarques du Péloponnèse, complètement désespérés par la mort de Démétrios et pressés par Aratos, qui crut devoir les forcer Maintenant à abandonner leur tyrannie, promettant à ceux qui obéiraient de grands présents et de grands honneurs, mais montrant en perspective à ceux qui essayaient de résister des craintes et des dangers plus grands encore, se hâtèrent d'abdiquer leur tyrannie, d'affranchir leurs villes, d'entrer dans la confédération. Il nomme en cet endroit Lydiade, qui, prévoyant habilement l'avenir, avait déjà déposé son pouvoir auparavant et s'était attaché à la Ligue. Puis il poursuit : Aristomachos d'Argos, Xénon d'Hermione, Cléonymos de Phlionte abandonnèrent alors leurs monarchies et entrèrent dans la démocratie achéenne[103]. Polybe est si plein d'un pieux respect pour le fondateur de la confédération à laquelle il a lui-même consacré ses services durant une vie longue et active, qu'il cherche non seulement à excuser et à justifier ses fautes, mais à rejeter dans l'ombre par tous les moyens ceux qui ont été ses adversaires. Le récit de Plutarque, quoique tiré probablement des propres Mémoires d'Aratos, fait connaître à peu près la véritable situation des choses[104]. Aratos, dit-il, somma Aristomachos d'Argos de déposer la tyrannie, de rivaliser avec Lydiade et de devenir plutôt avec estime et honneur stratège d'un pareil peuple que le tyran odieux et menacé d'une seule ville. Aristomachos y consentit et demanda cinquante talents, afin de pouvoir payer et congédier ses troupes. Aratos envoya l'argent. Mais Lydiade, qui était alors stratège, désireux de mener lui-même à terme une si considérable acquisition pour la Ligue. entra également en négociations avec Aristomachos, lui révéla qu'Aratos avait toujours été l'ennemi irréconciliable des tyrans, s'offrit à lui pour faire aboutir la chose, finit par le gagner à la confédération, et proposa son admission. On vit alors, ajoute Plutarque, la bienveillance et la confiance du synédrion envers Aratos ; car lorsqu'il s'opposa à l'admission d'Aristomachos, ce dernier fut exclu sans autre formalité, mais bientôt, quand Aratos lui-même exposa la chose, on l'approuva ; Argos fut admis dans la Ligue, et Aristomachos élu stratège un an plus tard. Comme nous l'avons dit, c'est des Mémoires d'Aratos qu'a été tiré ce récit. Dans quelle situation déplorable était la Ligue, si Aratos, sans être stratège, pouvait non seulement mener de son propre chef des négociations aussi importantes, mais encore employer une somme d'argent très considérable, et même assurer par avance dans le traité la perspective d'une élection à la charge de stratège ; si Aratos, comme simple particulier, pouvait ainsi faire échouer une négociation menée à bonne fin par le chef suprême de la confédération, et la reprendre aussitôt à son compte comme stratège de l'année suivante[105] ! Ne pouvait-on délivrer Argos qu'en corrompant Aristomachos et en lui promettant à l'avance, contrairement à la constitution, son élection à la prochaine stratégie ? Précisément à cette époque, immédiatement après la mort de Démétrios, la tyrannie avait assez de peine à se maintenir.

L'attitude d'Aratos parait encore plus équivoque dans l'expédition attique. Les Athéniens, déjà si souvent attirés par lui, veulent enfin, à la mort de Démétrios, être délivrés aussi, et ils se tournent vers lui, le champion de la liberté pour tous, quoique déjà, dit Plutarque, un autre fût alors stratège. Aratos était malade, mais il répondit cependant à cet appel et se fit porter en Attique dans une litière. Au Pirée commandait encore le même phrourarque Diogène qui, peu d'années auparavant, à la nouvelle de la mort d'Aratos, avait sommé Corinthe de rentrer sous la domination macédonienne ; Aratos négocia avec lui et obtint qu'il livrerait aux Athéniens pour la somme de cent cinquante talents le Pirée, Sounion, Munychie et Salamine. Aratos lui-même donna aussitôt vingt talents au phrourarque[106] ; est-ce de sa propre bourse ou de celle de la Ligue, on ne sait. Cet événement nous paraît tout autre, vu à la lumière des documents attiques. Euryclide, fils de Micion, après ceux qui livrèrent le Pirée, rendit la liberté à la ville ; il donna l'argent pour la couronne destinée aux soldats qui avaient, avec Diogène, livré la place ; il assura la sécurité des ports ; il répara les murailles de la ville et du Pirée avec son frère Micion[107]. Diogène fut nommé Évergète ou bienfaiteur de la ville, et on éleva en son honneur un Diogénion où fut instituée une fête solennelle. Si Aratos donna l'argent nécessaire au départ des mercenaires, Athènes n'entra pas cependant dans la Ligue, et ce fut comme république libre et indépendante qu'elle reçut l'ambassade romaine.

Aratos commit la plus grande faute politique en ne gagnant pas Athènes à la Ligue. Il est parfaitement clair qu'il l'aurait pu[108]. Mais pourquoi ne l'a-t-il pas voulu ? Était-il lié peut-être par la somme annuelle de six talents qu'il recevait d'Alexandrie ? Le Lagide n'avait aucun intérêt particulier à voir Athènes subsister comme État indépendant. Était-ce le souci de ne pas laisser la confédération s'étendre au delà de l'isthme ? Mais la ville de Mégare appartenait déjà à la Ligue. Ou bien était-ce la crainte de ne pouvoir protéger le territoire attique ? Mais ou bien on n'avait plus à craindre du tout la Macédoine, ou bien Aratos était déjà intervenu dans les affaires du royaume avec trop de hardiesse pour qu'il pût espérer protéger la Ligue contre la vengeance de l'adversaire autrement qu'en la fortifiant et en l'élargissant le plus possible.

C'est ailleurs qu'il faut chercher les motifs d'Aratos. La démocratie telle qu'on l'entendait à Athènes n'était pas du tout celle qu'il souhaitait voir et qu'il laissait exister dans la Ligue. Athènes était, par l'effet de ce relèvement soudain, dans un état d'effervescence qui la préparait à d'énergiques résolutions ; nous la voyons, en effet, chasser aussitôt les habitants de Salamine, qui avaient si longtemps et si volontiers pris parti pour les Macédoniens, et distribuer leurs champs à des clérouques athéniens[109]. Les chefs du peuple et les pauvres d'Athènes, les uns et les autres pleins de souvenirs glorieux et de prétentions hardies, avaient dans cette ville une importance qu'Aratos croyait devoir éloigner de sa confédération à tout prix. Athènes était surtout le véritable foyer de la culture philosophique, des idées qui ne semblaient que déjà trop répandues, même dans la Ligue, et qu'il fallait à tout prix empêcher de grandir davantage par l'accession de nouveaux adeptes. C'est sans doute pour rester à sa manière le tuteur de la Ligue que Aratos, toujours prêt d'ordinaire à acquérir coûte que coûte pour la Ligue de nouveaux territoires, refusa cette fois d'agrandir son domaine ; agrandissement dont les suites auraient eu une importance capitale pour la confédération elle-même comme pour toute la Grèce, au lieu qu'Athènes, désormais abandonnée à elle-même, devait tôt ou tard tomber sous une influence étrangère.

Telle était la politique d'Aratos. On ne peut dire à quel point elle était soumise à l'impulsion qui lui venait d'Alexandrie ; mais, dans le cas présent, elle était d'autant "plus funeste qu'elle ne pouvait se poursuivre qu'en opposition avec le chef de la confédération élu pour cette année-là et en portant une grave atteinte à ses prérogatives constitutionnelles. Lydiade était impuissant contre cet ennemi secret et contre l'aveuglement ou la mauvaise volonté de ceux qui le soutenaient. Que servait au stratège de l'accuser à diverses reprises devant les confédérés ? Aratos n'avait besoin que de rappeler, avec trop de succès malheureusement, les soupçons qu'inspirait l'ancien tyran de Mégalopolis et de faire allusion à la fable du coucou ; les vices de la constitution ne permettaient pas aux meilleures intentions et aux efforts les plus généreux de prévaloir contre les éléments d'indolence et d'inertie sur lesquels s'appuyait Aratos.

Un auteur parle, en passant, de la cavalerie de la Ligue achéenne, telle qu'elle était à une époque un peu plus éloignée. Elle avait, dit-il, été complètement négligée, parce que les hommes obligés au service de la cavalerie avaient fourni des remplaçants ou n'avaient fait que parader et étaler leur costume ; ales hipparques leur avaient tout pardonné, parce que les cavaliers avaient dans la constitution l'influence prépondérante et décidaient en particulier des honneurs et des châtiments ; pour se rendre populaires parmi eux et arriver à la stratégie, les hipparques avaient fermé les yeux sur tout ce qu'ils se permettaient[110]. Faut-il croire, d'après cette assertion, qu'il y avait dans la démocratie achéenne un élément timocratique ? Par la force des choses, le service dans la cavalerie devait être subordonné à un cens déterminé. C'est ainsi que, dans les fonctions les plus importantes de la constitution, les riches, les ctématiques[111], avaient une influence prépondérante. On ne peut plus reconnaître sous quelle forme ; en tout cas, ce n'était pas qu'ils fussent les représentants de leurs communes aux assemblées de la Ligue à Ægion ; la confédération, en ce cas, n'aurait pu s'appeler vraiment une démocratie, et d'ailleurs il y a des textes qui affirment le contraire d'une façon positive[112]. Mais on peut supposer que le règlement relatif aux propositions des députés et au vote, dans ces assemblées populaires où chaque ville avait une voix, assurait là encore aux ctématiques une influence particulière. Peut-être même-suffisait-il que le lieu de réunion habituel, Ægion, fût trop éloigné pour les plus pauvres, et que les assemblées extraordinaires fussent convoquées en un endroit de la confédération que le chef choisissait à sa guise, en ayant soin, le cas échéant, de faire tomber son choix sur une ville dont l'accès fût incommode à la masse des petites gens. En effet, l'assemblée de la Ligue n'était pas également accessible aux riches et aux pauvres ; il y avait là dans la constitution une entrave d'autant plus incommode et plus dangereuse que cette époque, déjà imbue de principes entièrement démocratiques, ne reconnaissait plus volontiers depuis, longtemps de privilège attaché à une richesse déterminée.

Que cette distinction fondée sur la fortune se fit sentir simplement en fait ; ou en vertu de la constitution, c'était d'elle que dépendait aussi sans aucun doute l'élection aux charges fédérales, à celles qui donnaient autorité sur la Ligue. Le tribunal fédéral[113], comme semble le prouver sans conteste le document cité plus haut, n'était composé que de riches. Dès lors s'expliquent, sinon complètement, du moins dans leurs traits essentiels, les privilèges attribués plus haut à l'ordre équestre. Toutes les questions soumises à la décision de l'assemblée populaire devaient être discutées auparavant dans le Conseil fédéral ; l'assemblée ne pouvait débattre que les questions pour lesquelles elle était expressément convoquée ; elle ne se réunissait régulièrement que deux fois par an et ne pouvait siéger que trois jours. Il est clair que cette assemblée populaire ne jouait qu'un rôle politique insignifiant ou plutôt qu'elle en était à peu près réduite à dire oui ou non, et cela au choix de l'autorité gouvernementale.

La direction générale de la Ligue était confiée aux mains d'un stratège et de ses synarchontes, parmi lesquels il faut compter, outre l'hipparque, le navarque[114], le grammateus, etc., et particulièrement les dix damiorges. Ces damiorges ne forment pas une commission du Conseil fédéral, de la βουλή[115], et on se demande si ce Conseil, soit au complet, soit sous forme de comités quelconques, était toujours prêt à concourir avec les magistrats à l'expédition des affaires courantes, etc. On ne sait pas si les damiorges étaient élus par la communauté ou par le Conseil ; il est certain qu'ils proposaient le candidat ou peut-être les candidats à la stratégie[116]. La constitution de la Ligue n'était démocratique que de nom ; en réalité, la foule ne prenait qu'une part bien restreinte au maniement des affaires : le peuple était souverain, mais ne gouvernait pas.

Il pst extrêmement vraisemblable, bien qu'on ne puisse l'affirmer, que cet élément timocratique de la constitution fut introduit dans toutes les milles qui accédaient à la Ligue et appliqué à leurs affaires communales. L'institution du cens pouvait s'appuyer principalement sur l'organisation financière de la confédération. Quelques indications isolées nous apprennent que chaque ville confédérée avait à payer à la caisse de la Ligue une contribution annuelle[117], qui devint d'autant plus considérable qu'il fallut enrôler pour chaque guerre, outre les contingents achéens, un plus grand nombre de mercenaires. Après les troubles du dernier siècle, il ne pouvait plus guère être question, pour la plupart des villes, de biens communaux ; tout ce qui pouvait avoir appartenu à ce titre aux communes avait passé aux mains des particuliers sous la tyrannie, l'oligarchie, la domination étrangère, et après la chute de ces divers pouvoirs ; aussi les contributions de chaque ville, lorsqu'elles ne provenaient point, par exemple, des douanes ou d'autres revenus, devaient être fournies par les particuliers. Il est naturel de supposer que les ctématiques devaient supporter la taxe imposée à leur commune. Malheureusement, il est impossible de se faire une idée nette du système d'impôts adopté par la Ligue. Mais il faut insister sur un point essentiel. Les localités situées sur le domaine de la confédération ne sont pas toutes des membres immédiats de la Ligue ; lorsque plus tard Messène entre dans l'Union, on distrait, pour certains motifs, trois endroits situés à l'est de son territoire et qui sont acceptés, chacun pour sa part, dans la confédération ; tout le reste de la Messénie ne forme qu'une seule commune et fait frapper désormais en cette qualité des monnaies qui portent la signature commune aux Achéens et la dénomination locale de Messéniens[118]. Quelques bourgades voisines de Mégalopolis et lui appartenant se soulèvent contre elle, refusent de se soumettre à sa puissance, demandent à entrer dans la Ligue comme membres immédiats[119]. On n'a pas besoin de se demander si les localités achéennes dépendantes, et pour ainsi dire médiates, ressentaient vivement l'humiliation de leur situation ; elles étaient traitées comme des périèques ; elles devaient payer leurs contributions à leur chef-lieu, sans participer au gouvernement comme membres actifs. On voit que le principe de la liberté était bien peu pratiqué dans cette confédération. Elle était sans doute souveraine en son ensemble ; mais il restait le vote par villes dans les assemblées de la Ligue, mode de suffrage inquiétant, car il mettait sur le même pied les petites bourgades insignifiantes et des villes comme Argos et Mégalopolis, ou plus tard la Messénie, qui embrassaient de grands territoires. Il eût été naturel de répartir les voix selon le chiffre de la population ou la proportion des redevances versées au Trésor fédéral, mais il est certain qu'on garda toujours le système primitif. Il y a encore un détail qui vaut la peine d'être relevé. Dans le document qui stipule l'accession d'Orchomène, il est convenu que ceux qui auront acquis une pièce de terre ou une maison à Orchomène, à partir du jour où les Orchoméniens sont devenus Achéens, n'auront pas le droit de l'aliéner avant vingt ans écoulés[120]. Ainsi la confédération semble souhaiter et encourager l'établissement de nouveaux citoyens dans les localités annexées, d'Achéens évidemment ou de personnes sur lesquelles la Ligue peut compter, et à coup sûr dans le but de tenir d'autant mieux dans sa main lesdites localités. On voit avec quel soin la Ligue réglait les affaires de détail.

Ces remarques sur la constitution de la Ligue sont nécessairement sèches, à cause de la nature des sources dont nous disposons, mais on voit clairement que cette constitution répondait fort peu à l'idée qu'on se faisait à l'époque du droit public et aux difficultés de la situation politique de la Ligue. Nous avons cru revendiquer justement pour Lydiade le mérite d'avoir travaillé à transformer la constitution ; c'est de sa ville natale que vint plus tard ce changement nécessaire, mais il vint lorsqu'il n'était plus temps. Aratos négligea d'utiliser son influence de la seule façon qui pût assurer l'avenir de la confédération ; bien plus, il accueillit comme une insulte personnelle tout essai tenté pour améliorer la constitution : aussi, par son fatal aveuglement, par sa prudence inspirée sans doute par de bonnes intentions, mais vaine et bornée, il a assumé toute la responsabilité de l'insuccès d'une grande institution, institution assez large pour que les meilleurs fruits de la culture hellénique pussent s'y développer librement.

Telle était la situation intérieure de la Ligue. Sans doute, elle s'était considérablement agrandie :durant les dernières années : toute l'Arcadie appartenait maintenant à la confédération ; Argos, Phlionte, Hermione, Trœzène, Épidaure, bref, le nord et le cœur du Péloponnèse, plus de la moitié de la péninsule et Mégare par surcroît, étaient des territoires achéens ; l'influence macédonienne en deçà de l'isthme avait pris fin.

Souvenons-nous que, dans cette même année où une régence succédait à Démétrios en Macédoine, où les Dardaniens envahissaient ce pays après une victoire complète, où les Thessaliens se proclamaient indépendants, où tous les postes que la Macédoine occupait en Grèce et dans les îles voisines jusqu'à l'Eubée étaient chassés et balayés, les armées de Rome parurent pour la première fois au delà de la mer Adriatique. Nous avons vu que la Macédoine — en état,. pour ainsi dire, de légitime défense contre les attaques qui venaient de la Grèce, tant qu'elle était menacée sur sa frontière du nord — avait, pour se garantir d'un nouveau péril, poussé elle-même les Illyriens à se jeter sur la Grèce. Les incursions de ces pillards :répandirent l'épouvante ; les Étoliens et les Achéens, les deux seules puissances qui auraient dû représenter et protéger la Grèce, puisqu'elles l'avaient arrachée à la Macédoine, s'unirent contre les Illyriens et furent vaincus ; on avait ôté à la Macédoine la force de tenir en bride les peuples du nord et l'on n'était pas assez fort soi-même pour se défendre contre leurs brigandages.

C'est dans ce moment d'humiliation et de faiblesse générales que se présentèrent les Romains. Avec quelle sûreté et quel calme ils écrasèrent sous leurs pieds ce misérable ramassis de corsaires, devant lequel la Grèce avait tremblé. Absolument supérieurs à leurs adversaires au point de vue moral comme au point de vue matériel, ils pulvérisèrent les Barbares insolents qui avaient osé faire tort à des sujets romains et offenser des ambassadeurs romains. Il est vrai, c'était un bienfait pour la Grèce que ces pirates fussent anéantis, et les premiers rapports de Rome avec la politique hellénique furent empreints d'une véritable :cordialité. Mais que de conséquences renfermait ce simple fait 1 Rome avait donné le secours et l'appui que la Macédoine, par suite des oppositions de la Grèce, ne pouvait plus fournir et que la Grèce était trop faible ou trop désunie pour se donner à elle-même ; Rome avait pris pour elle Corcyre, Apollonie, Dyrrhachion, bref, les endroits où la traversée d'Italie était la plus courte ; elle était en possession de tous les points d'attaque, et elle était sûre des populations, qui ne pouvaient guère trouver que dans leur fidélité envers Rome l'appui nécessaire contre les Illyriens[121]. Nous n'avons pas à exposer dès maintenant la politique de Rome et ses motifs ; près de quinze années encore se passèrent sans qu'elle intervînt de nouveau dans les affaires de la Grèce, et encore ne le fit-elle cette fois-là que contrainte ; mais, selon les idées de la politique hellénique et selon la nature des choses, le fait seul que les Romains avaient pris pied dans ces contrées devait paraître extrêmement significatif. Lors même que la Macédoine réussirait à subjuguer les Dardaniens, à soumettre les Thessaliens, et même à gagner de nouveau en Grèce quelques positions, il y avait maintenant une puissance à portée de reprendre pour son compte, à la prochaine occasion, la même rivalité qui avait rendu autrefois le royaume d'Épire si dangereux pour la Macédoine, mais avec de tout autres moyens et de tout autres ressources. Rome possédait déjà toute l'Italie ; elle avait arraché la Sicile aux Carthaginois et n'y tolérait plus que la petite principauté de Hiéron, reste misérable de la colonisation grecque jadis si florissante ; au cours d'une guerre de vingt années, elle s'était élevée au rang d'une puissance maritime devant laquelle celle des Carthaginois s'abaissait enfin ; même la Corse, même la Sardaigne étaient enlevées à Carthage, qui perdait par là la moitié de son commerce ; et, comme cette rivale déchue se tournait, avec une prévoyance admirable, vers l'Espagne, pour y fonder par la conquête une puissance continentale qui la dédommagerait de la perte de sa puissance maritime et pourrait lui offrir un jour les moyens de combattre son ennemie sur son propre sol, Rome lui commanda de s'arrêter aux rives de l'Èbre : l'ordre fut intimé dans cette même année 228 où, en vertu de la paix, elle prit possession de son nouveau domaine au delà de la mer Adriatique. Quelle force, quelle étendue, quelle concentration de puissance, tandis que, dans le système des États hellénistiques, l'Égypte était déjà arrivée à son apogée, l'Asie était précipitée de désordres en désordres, la Grèce était brisée et déchirée au dedans, la Macédoine semblait sur le bord de l'abîme !

Aucun théâtre peut-être de l'histoire ancienne n'a eu à traverser un plus grand nombre de difficultés politiques que la Macédoine depuis l'époque d'Amyntas et de Philippe. Toujours prête à faire de grandes choses, toujours rejetée dans ses embarras par des complications qui viennent de son entourage, toujours plus puissante que le monde grec, qui se brise et se dissout, elle intervient toujours dans les affaires générales, sans pouvoir acquérir autre chose qu'une prépondérance momentanée et qu'elle ne doit qu'à la supériorité personnelle de ses princes. On peut revendiquer pour les Antigonides la gloire d'avoir compris avec un sens élevé le rôle de leur royauté et d'avoir tenté de le réaliser avec une prévoyance et un effort de tous les instants ; mais leur travail était celui de Sisyphe, avec cette différence qu'à chaque tentative nouvelle la tâche devenait plus laborieuse et l'effort plus violent. Avec quelle peine Antigone Gonatas avait relevé son royaume des ruines entassées par les Galates, l'avait mis à l'abri des Barbares du nord, avait fondé à nouveau et plus solidement que par le passé l'édifice ruiné par Pyrrhos, jusqu'au jour où, pendant ses tentatives sur Cyrène, le Péloponnèse commença à se soustraire à son influence et où, dans sa seconde guerre contre l'Égypte, lui échappa enfin la clef de la péninsule ! Il chercha, par de nouvelles combinaisons, à réparer cette perte, mais sa mort rompit une paix laborieusement conquise ; son fils Démétrios trouva le royaume menacé sur les frontières du nord, et au sud même la Thessalie compromise. Une attaque énergique refoula les Étoliens au delà de leurs limites et rétablit encore l'influence macédonienne dans le Péloponnèse, mais l'Acrocorinthe ne put être recouvrée.

A la mort de Démétrios, survenue prématurément, tout s'écroula. L'Attique fut perdue ; la Thessalie, elle aussi, se détacha complètement de la Macédoine, et pas une région au-dessous de l'Olympe ne resta fidèle, sinon l'Eubée ; le nord de la Macédoine fut entièrement ouvert aux Dardaniens enivrés de leur victoire, et l'héritier du diadème était un enfant. Alors Antigone, le fils du beau Démétrios qui avait autrefois conquis Cyrène, prit la tutelle. Il était alors dans la vigueur de ses trente ans, à la fois remarquable comme régent et comme général, et, ainsi que le montrera le cours de sa carrière politique, plein d'une prévoyance admirable, ayant la claire conscience du but qu'il fallait atteindre[122]. Le peu qu'il est permis de deviner de son caractère et de sa personne montre avant tout chez lui un sentiment du droit et du devoir, une dignité morale qu'il n'est pas ordinaire de rencontrer. La situation exige qu'il échange la tutelle contre le diadème, mais ce n'est que pour le conserver plus sûrement à son pupille ; Philippe est le fils naturel de Démétrios, et Antigone devient le mari de sa mère, afin que, lorsqu'il mourra, il n'y ait pas de candidat dont le sang royal soit plus pur que celui de Philippe. Ce ne sont pas les fils que lui donne Chryséis, c'est Philippe[123] qu'il élève pour le trône ; même après sa mort, au delà de la tombe, il assure par les dispositions testamentaires les plus scrupuleuses les commencements du règne de Philippe[124]. On l'a comparé avec Philippe, le fils d'Amyntas ; il y a entre lui et Philippe la même différence qu'entre son époque et le siècle de Philippe. Ce dernier avait apporté à son peuple encore vigoureux et docile ce que la culture et la civilisation hellénique portaient en elles de vivifiant et d'élevé ; par son administration, par son système militaire, par l'exercice hardi de son pouvoir, il avait créé un État qui devait se montrer assez fort pour suffire aux tâches les plus grandes. Puis vinrent d'immenses révolutions, les conquêtes d'Alexandre, les luttes des Diadoques, les expéditions des Celtes. Elles atteignirent tout le monde grec, mais la Macédoine fut le plus profondément ébranlée ; elle n'est plus maintenant qu'une espèce de scorie, tandis que la race grecque, dans son irrémédiable décadence, s'attache avec d'autant plus de ténacité à cette culture qui lui garantit l'infaillibilité des principes en vertu desquels son génie gouverne le monde. Mais, si profondes que soient les divergences des vues politiques dans le monde hellénique et même dans le monde hellénistique, si éloignées que soient les théories monarchiques des théories républicaines, si grand que soit l'écart entre la situation de fait et les principes reconnus pour rationnels et essentiels, cette culture est la mesure de ce qui existe, la règle de ce qui va être, et cette idée répandue partout, passée dans la conscience de tous, est le trait distinctif de cette époque dans tous les sens où elle exerce son activité ; c'est elle qui détermine le caractère des personnages marquants de cette génération.

Antigone Dogon ne ressemble à Philippe que par les dehors ; leur ressemblance est moins dans leur personne même que dans les circonstances extérieures parmi lesquelles ils doivent agir. Celui-là, né politique et le premier des politiques de grande allure, cherche les complications, qui s'imposent au contraire à celui-ci ; il les cherche afin d'y développer son génie politique, tandis que celui-ci ne veut, en les conjurant, que remplir un devoir difficile. Philippe est né roi ; Antigone est un homme qui a le devoir d'être roi. Philippe est entièrement ce qu'il est ; Antigone a dû accepter une tâche, et c'est sa gloire de la comprendre. Voilà l'hellénisme tel qu'il est partout à cette époque. Les génies primesautiers ont disparu ; la belle maxime Sois ce que tu es ne suffit plus ; les grandes pensées créatrices n'apparaissent plus incarnées, pour ainsi dire, dans un personnage doué de hautes qualités qui les a conçues ; il s'est formé tout un monde d'idées générales, et la gloire des meilleurs de ce temps-là consiste uniquement à les interpréter, à les seconder, à les réaliser : ils prennent part aux événements, mais ils sont plutôt une force qu'une personnalité.

Le premier souci d'Antigone devait être d'assurer les frontières de la Macédoine. Dans un discours aux Macédoniens, un écrivain lui fait rappeler qu'il a puni la défection des alliés, ramené à l'ordre les Dardaniens et les Thessaliens que la mort de Démétrios avait rendus trop superbes, en un mot, non seulement défendu, mais accru la grandeur de la Macédoine[125]. Il est regrettable qu'on ne puisse en savoir davantage sur ses premiers débuts ; ce n'est que par des inductions hardies qu'on peut retrouver à peu près ce qui arriva en Thessalie. Il est incontestable que la domination macédonienne y fut rétablie : la lutte doit avoir été opiniâtre, mais contre qui fut elle dirigée ? Il y a un texte isolé se rapportant peut-être à cette période : d'après ce renseignement, Antigone aurait refoulé les Étoliens, les aurait étroitement bloqués, affamés, et, lorsqu'ils auraient pris enfin la résolution désespérée de chercher la mort dans une sortie, il leur aurait ouvert le chemin de la fuite, pour se précipiter sur eux pendant leur marche et en tuer un grand nombre[126]. Cet événement a dû se produire quelque part dans le nord de la Thessalie. Pourtant Antigone ne chassa pas complètement les Étoliens de cette région ; la Thèbes de Phthiotide resta désormais dans leurs mains ; plus tard même ils purent réclamer Larissa-Crémaste, Échinos, Pharsale[127], en termes qui font croire que ces villes ont dû à un certain moment — et ce ne peut guère être qu'à ce moment-là leur être abandonnées entièrement et en vertu d'un traité par la Macédoine.

Il n' est pas difficile de reconnaître les motifs qui auront déterminé Antigone à faire d'aussi importantes concessions. Dès qu'il fut délivré de ses premiers soucis et qu'il put de nouveau s'occuper des affaires de la Grèce, il dut travailler à séparer les Étoliens des Achéens. Si, après ses succès de Thessalie, il avait de plus en plus refoulé les Étoliens, il aurait immédiatement provoqué une nouvelle alliance des forces de l'Achaïe et de l'Étolie. Peut-être eût-il été assez fort pour résister à ces deux adversaires ; mais il devait craindre que, dans leur détresse, les Étoliens n'appelassent à leur secours l'Égypte et peut-être la puissance romaine, qui à ce moment même, après la victoire sur l'Illyrie, venait d'entrer en relations avec eux et qui, par ses possessions ou du moins par le territoire confié à sa protection, touchait déjà, et de très près, aux forteresses de la Macédoine occidentale, Antigonia et Antipatris. Il fallait que les Étoliens et les Achéens fussent désunis ; c'est à cette condition seulement qu'Antigone pouvait songer à établir de nouveau son influence dans les pays helléniques : par conséquent, il devait sacrifier aux Étoliens le sud de la Thessalie pour l'avantage plus considérable de séparer leur cause de celle de ces confédérés achéens qui agrandissaient si rapidement leur domaine. Sans aucun doute, les sympathies des Étoliens pour leurs alliés étaient déjà très refroidies ; il était impossible que cette politique qu'on peut appeler hellénique, celle que Pantaléon avait représentée et fait prévaloir dans l'alliance avec les Achéens, fût réellement du goût des Étoliens ; et plus les !Achéens étaient heureux dans leurs entreprises, plus en Étolie le parti étolien montrait de vigueur dans son opposition au parti hellénique. Évidemment, les Achéens n'avaient pas d'autre but que d'unifier tout le Péloponnèse ; comment pourrait-on, en ce cas, maintenir en face de cette puissance l'influence étolienne sur l'Élide ? La constitution des Achéens devait même, en se propageant de plus en plus, devenir pour celle des Étoliens la pire des rivales ; il était grand temps de s'opposer à cette légalité qui ne cessait de gagner du terrain. Il est vrai qu'on ne pouvait encore en venir à l'hostilité déclarée : Polybe pense que le souvenir de la guerre de Démétrios était encore trop récent pour que les Étoliens pussent violer les devoirs de la reconnaissance[128]. Mais, lorsque Mantinée se détacha de nouveau de la Ligue achéenne, les Étoliens accueillirent cette ville dans leur confédération ; Tégée, Orchomène se rallièrent également à leur cause. Les calculs d'Antigone étaient donc justes ; il y avait au milieu du territoire des Achéens, en avant-poste, une puissance qui n'était :déjà plus ennemie de la Macédoine.

Mais que faire davantage ? Antigone devait-il se jeter sur l'Attique, la conquérir de nouveau ? Athènes avait fait amitié avec Rome ; elle était sûre, dans tous les cas, de l'appui de l'Égypte[129]. Devait-il attaquer immédiatement la Ligue achéenne ? Mais l'Égypte était liée plus étroitement encore avec cette confédération, et, quoique le protectorat officiel des Lagides eût cessé depuis dix ans de s'étendre sur la Ligue, la constante influence de l'Égypte et ses intérêts étaient représentés dans la politique achéenne par la personne d'Aratos, qui recevait d'Alexandrie une pension annuelle. Ce n'est, du reste, que parce qu'elle aurait pu menacer et paralyser la Macédoine par le moyen des Achéens que l'Égypte était arrivée à conquérir en Orient sa colossale prépondérance. Comment se tirer d'embarras en présence d'une pareille situation ? Comment atteindre le but que la politique macédonienne devait poursuivre, et poursuivre d'autant plus rapidement qu'une grande puissance occidentale s'approchait de ses frontières ? Comment arriver à ce résultat, l'union complète de la Grèce sous l'influence de la Macédoine ? Réellement, il fallait un esprit plus qu'ordinaire pour imaginer seulement, en un pareil moment, que cette union fût possible ; et pourtant, six années ne s'étaient pas écoulées qu'Antigone avait réalisé cette union dans ses traits essentiels.

Il commença son œuvre sur un point éloigné. Depuis l'expédition de Cyrène, la Macédoine avait cessé d'attaquer l'Égypte ou ses possessions ; la bataille navale d'Andros l'avait contrainte à une attitude purement défensive, qui avait entraîné à chaque instant de nouvelles pertes en Grèce. Mais, après avoir pacifié les frontières et rompu l'alliance des Étoliens et des Achéens, ne fallait-il pas isoler-plus complètement encore les Achéens, et, pour les isoler, quel autre moyen avait Antigone que de prendre de nouveau en face de l'Égypte une attitude vigoureuse, décisive, qui la contraindrait à abandonner la Grèce ? Lors même qu'il aurait été encore possible de prendre pied de nouveau à Cyrène — et nous ne savons pas si le pays avait gardé jusque-là son indépendance — une expédition dans cette région n'aurait promis que peu de résultats, puisque la puissance syrienne, depuis la perte de presque tout le littoral et surtout de Séleucie, était hors d'état de soutenir les mouvements de la Macédoine contre la Ligue par des attaques sur la frontière orientale de l'Égypte. Il était plus aisé et plus efficace de tenter une expédition contre les nouvelles conquêtes de l'Égypte. Nous avons déjà signalé plus haut les traces obscures d'une campagne entreprise par Antigone en Carie. Ce ne fut donc pas contre la Thrace limitrophe que se tourna Antigone ; le Lagide aurait abandonné assez volontiers ces positions, les plus éloignées de son royaume. Antigone attaqua la région qui était, à proprement parler, le point culminant des côtes d'Asie-Mineure occupées par l'Égypte. Peut-être fut-il appelé par les villes grecques de la Carie pour assurer leur liberté, que la Macédoine semble leur avoir garantie dans ses précédents traités de paix avec la Syrie.

Antiochos Hiérax était l'allié naturel d'Antigone. Nous ne pouvons plus éclaircir complètement leurs rapports mutuels et les relations qu'ils eurent tous deux avec la Bithynie. Nous ne savons pas si le Macédonien ne fit que profiter de l'attaque d'Antiochos Hiérax en Lydie, dans l'année 228, ou s'il l'entreprit avec lui. Battu de ce côté, Antiochos lutta dans la première moitié de l'année 227 contre Attale, cette fois encore sans succès. Il n'est guère croyable qu'Antigone ait fait une semblable expédition après la défaite complète de son allié. Il est plus vraisemblable qu'il s'est jeté sur la Carie au moment où Antiochos prenait les armes, c'est-à-dire en 228. On voit clairement[130] qu'il négligeait en apparence les affaires de Grèce, pour ne gagner tout d'abord qu'une bonne position contre l'Égypte. Ce qu'il fit en Béotie offre un juste exemple de sa politique.

Nous avons vu que le parti hostile aux Macédoniens s'était soulevé dans ce pays après la mort de Démétrios. Voulait-il revenir à la symmachie avec les Étoliens ? Les Achéens avaient-ils su attirer h eux la fédération béotienne ? Peut-être croyait-on pouvoir rester indépendant ; mais, lorsque le traité d'Antigone avec les Étoliens eut de nouveau assuré aux Macédoniens la Thessalie et par suite les communications avec l'Eubée, la Béotie leur fut ouverte par cette lie. Lorsque la flotte destinée à l'Asie se rassembla, on crut pour tout de bon qu'Antigone méditait une invasion en Béotie. Soudain la flotte macédonienne vint échouer sur le rivage de Larymna ; le Béotiens furent sur le point — et tel fut le désir exprimé surtout à Thèbes — de se jeter sur les Macédoniens alors incapables de résistance. Néon, qui était alors hipparque, mena même ses cavaliers sur le rivage ; mais, partisan des Macédoniens comme il l'était, il laissa passer le moment favorable, et la plupart des Béotiens l'approuvèrent même d'avoir manqué cette occasion. Bientôt la flotte fut dégagée et put poursuivre sa traversée. Antigone se contenta pour le moment d'amuser ainsi la Grèce et la Béotie ; mais, l'occupation de la Carie ayant réussi, il avait sinon atteint un résultat décisif, du moins préparé ce résultat en se saisissant d'un gage sérieux. Il pouvait exiger de l'Égypte, en échange de la Carie, les concessions les plus importantes sur le terrain de la politique grecque. Il est presque incontestable, d'après certains événements ultérieurs, qu'il garda ce qu'il avait conquis après la mort d'Antiochos Hiérax, mais les renseignements dont nous disposons ne permettent pas de savoir comment il réussit à le garder. Il faut cependant insister sur un point. Nous savons par une mention accidentelle que, quelque temps après, Cios, Chalcédoine à l'entrée du Bosphore, Lysimachia sur l'isthme de la Chersonèse thrace, faisaient partie de la sympolitie étolienne[131] : or Lysimachia était, avec la Thrace, tombée au pouvoir de l'Égypte[132] ; elle ne put donc entrer dans la Ligue étolienne qu'à la suite d'une défection formelle, et les Étoliens ne purent l'accueillir qu'à une époque où ils étaient ennemis de l'Égypte et amis de la Macédoine. Cette combinaison de circonstances ne peut guère se rencontrer que dans les premières années d'Antigone. S'il y eut ainsi dans plusieurs villes libres et plus loin sur la côte (à Téos, par exemple)[133], et jusque dans les îles (comme à Céos), une pareille manifestation de sentiments hostiles à l'Égypte[134], — et Rhodes surtout ne pouvait guère voir qu'avec faveur l'occupation de la Carie par les Macédoniens — il était possible à Antigone de se maintenir dans sa conquête, malgré les défaites de son allié en Lydie.

Pour la Macédoine, la question ne pouvait être tranchée que dans le Péloponnèse ; c'est sur ce point que convergent tous les efforts qu'elle tente de loin et de près. Il venait justement de surgir dans cette contrée une série de complications qui, par la force des choses, devaient amener l'intervention d'une puissance étrangère. La tâche d'Antigone était de faire en sorte que cette puissance ne pût être que la Macédoine ; il ne pouvait qu'à cette seule condition regagner dans les affaires de la Grèce l'influence de laquelle dépendait le rôle de la Macédoine dans le monde.

Ces complications venaient de Sparte, de Cléomène. S'il y a un personnage de ce temps qu'on puisse appeler considérable, c'est bien Cléomène. Il n'a pas seulement pour lui la grandeur personnelle, l'héroïsme, l'énergie et l'activité ; il est, pour ainsi dire, le point ultime d'une évolution qui comprend en soi une des plus nobles aptitudes du génie grec, d'une évolution dont il a tenté vainement de réparer l'erreur : la lutte de l'enthousiasme contre la froide politique, d'une grande volonté contre de petits intérêts, du plus magnanime courage contre la faiblesse jalouse et misérable, telle est la tragédie de sa vie, et il n'emporte même pas en mourant cette idée consolante, que l'idée pour laquelle il a combattu triomphera un jour.

 

 

 



[1] AGATRARCH. ap. JOSEPH., Contra Apion, I, § 22 s. fin. JUSTIN, XXVIII, 1. La campagne ne peut pas avoir commencé avant 238 au plus tôt.

[2] Voyez les débuts du règne d'Antiochos III.

[3] Du moins, Syncelle dit expressément qu'Arsace Ier n'a régné que deux ans et quelques mois, et Justin confond Arsace Ier et Arsace II en une seule et même personne. Il existe des monnaies grossièrement travaillées, avec la légende ΒΑΣΙΛΕΩΣ ΑΡΣΑΚΟΥ et ΒΑΣΙΛΕΩΣ ΜΕΓΑΛΟΥ ΑΡΣΑΚΟΥ : on est bien tenté de les lui attribuer, mais ce n'est là qu'une simple conjecture.

[4] STRABON, XI, p. 513. On connaît assez bien par Polybe (X, 48), d'une façon générale tout au moins, l'habitat des Apasiaques ; le lieu indiqué par lui, où les Scythes passent le fleuve sur un pont naturel, ne peut pas être le fameux Pouli-Sengi sur le haut Oxus ; il faut le chercher bien au dessous de la Bactriane.

[5] revocato deinde Seleuco novis motibus in Asiam dato laxamento regnum Parthicum format (JUSTIN, XLI, 5).

[6] Il se pourrait que ce fin dans cette expédition et non pas plus tôt, comme on l'a admis précédemment, qu'a été fondée sinon l'Achaïs de Margiane, du moins celle des Portes-Caspiennes à la place d'Héraclée, soit par Achæos, le grand-père du roi, qui joue un rôle très en vue dans les événements immédiatement postérieurs, soit, ce qui est moins probable, par son petit-fils et homonyme. Quand il s'agit de faits aussi obscurs, on a bien le droit de les mentionner chacun à la place qui pourrait lui convenir, sans être obligé de trancher la question.

[7] regnum Parthicum format (JUSTIN, X LI, 5). Il est à remarquer qu'Arsace fonde une ville telle ut neque munitius quicquam esse neque amænius possit, c'est-à-dire plutôt à la mode grecque qu'à la façon des nomades. Il y avait, du reste, assez de Grecs domiciliés dans la région. Pline (VI, 16) indique la situation de la ville in monte Zapaortenon : a Caspiis ad Orientem versus regio est Apavortene dicta, et in ea fertilitatis inclytæ locus Dareium. Isidore de Charax ne cite que la région Άπαυαρκτικηνή, avec une ville de même nom, sans parler de Dareion. En dépit de l'ordre étrange suivi par Pline, il faut la chercher avec Isidore entre la Parthyène (il entend par là le nord du Khorassan) et la Margiane : en quel endroit au juste, on ne saurait le dire.

[8] Nous ne sommes renseignés que sur la Perse et la Médie, qui, nous le savons positivement, se trouvaient replacées quinze ans plus tard, et probablement depuis cette expédition, sous la domination des Séleucides. La Carmanie touche de si près à la Perse que l'on est droit de supposer qu'elle est rentrée de la même façon dans l'empire, et en effet Antiochos III, revenant en 205 de son expédition en Bactriane et sur les bords de l'Indus, prit ses quartiers d'hiver du côté de la Carmanie (POLYB., XI, 34, 13). Antiochos III n'avait à lutter que contre Euthydémos de Bactriane, Sogdiane et Margiane. Quand il revint des environs de Caboul, il traversa sans obstacle l'Arachosie, l'Étymandros, la Drangiane pour rejoindre ses quartiers d'hiver. Ce doit être à cette époque qu'Agathoclès, en quelque endroit que l'on place ses possessions, reconnut la suzeraineté d'Antiochos Nicator, ainsi que nous l'apprennent ses tétradrachmes. Antiochos III avait laissé le diadème à Euthydémos ; par conséquent, les satrapes redevenus sujets ne peuvent être que ceux de l'Ariane. Ils n'étaient donc pas les vassaux d'Euthydémos, qui ne possédait pas la région au sud du Paropamisos ; ils prenaient encore le titre de satrapes, mais on dut commencer par les amener à l'état de fonctionnaires dépendants. Tels furent les satrapes d'Aria, de Drangiane, d'Arachosie, etc. Resserrés entre les Parthes et Euthydémos au nord, Agathoclès au sud, le grand empire hindou à l'est, ils ont pu prendre depuis la campagne de Séleucos le nom de satrapes séleucidiens et trouver là un point d'appui contre les Parthes. de même qu'Agathoclès, dont le domaine était probablement assez loin de la Bactriane, s'abritait d'abord sous la suzeraineté des Diodotides, puis d'Euthydémos, jusqu'à ce qu'enfin, après 205, il reconnût celle d'Antiochos.

[9] AGATHARCHID. ap. JOSEPH., Contra Apion, I, § 22 (fr. 19).

[10] On lit dans Justin (XXVIII, 1) que Stratonice sponte sua ad fratrem Antiochum discedit. Il ne faut pas voir là deux fautes et corriger à la fois Antiochum et fratrem. Si ce styliste, qui lit souvent ses auteurs d'une façon superficielle, introduit ici le nom d'Antiochos, c'est peut-être que Trogne-Pompée faisait jouer un rôle dans cette histoire à Antiochos Hiérax ; peut-être même est-ce à ce prince que Stratonice offrit sa main bientôt après.

[11] Nous avons là-dessus la relation sommaire de l'Eusèbe arménien (I, p. 251 éd. Schœne), la continuité — apparente seulement — des faits dans Justin (XXVII, 3) et les indications plus brèves encore du prologue correspondant de Trogue-Pompée, que je transcris ici en entier : Ancyræ victus est a Gallis ; utque Galli Pergamo victi ab Attalo Zielam Bithynum occiderint ; ut Ptolemæus eum (var. ad eum ou Adæum ; NIEBUHR donne Achæum) denuo captum interfecerit, et Antigonum Andro prœlio navali prona [Sophrona] vicerit et a Calinico fusus in Mesopotamia Antiochus insidiantem sibi effugerit Ariamenen, dein postea custodes Tryphonis, quo a Gallis occiso Seleucus quoque, frater ejus, decesserit. La fin démontre que la correction de NIEBUHR, Achæum, est impossible. Du reste, je ferai observer par avance que, dans un stratagème de Polyænos, qui vient probablement du même Phylarque, Achæos est encore en vie lors de la retraite de Mésopotamie (voyez ci-après).

[12] EUSEB. ARMEN., I, p. 251, 21.

[13] Ce sacrifice, dans lequel un prêtre chaldéen interpréta les présages, est rapporté par Polyænos (IV, 19). Frontin (I, 11, 15) parle à tort du roi Eumène : plus loin (II, 13, 1), il donne le vrai nom, Attale. Trogue-Pompée (Prol. XXVII) mentionne la bataille de Pergame, la grande bataille de Strabon (XIII, p. 624), l'άναχώρησις des Galates dans l'intérieur de l'Asie-Mineure (PAUSAN., I, 4, 6 : 8, 1). NIEBUHR, et d'autres après lui, supposent qu'Attale a eu à lutter avec les Galates à la solde d'Antiochos Hiérax ; mais on peut leur opposer le témoignage de Polybe (XVIII, 24, 7). C'est à cette époque qu'à da circuler l'oracle de Phaënnis (PAUSAN., X, 45, 2) : Suidas en cite un autre au mot Άτταλος, Attale le Grand, comme il l'appelle.

[14] Cf. PAUSANIAS, I, 4, 5, et surtout Pline (XXXIV, 8) : plures artifices fecere Attali et Eumenis adversus Gallos prælia. Pline donne les noms des artistes, et Pausanias (I, 25, 2) mentionne les quatre groupes qu'Attale fit ériger à Athènes sur le côté sud de l'acropole, groupes représentant les Titans, les Amazones, les Perses, les Galates. Depuis 1821, époque où NIBBY a commencé à étudier cette question, d'autres archéologues et BRUNN en particulier, dans son intéressante dissertation intitulée I doni di Attalo (dans les Annali dell' Instit., 1870), ont ajouté des détails nouveaux, et enfin les dernières fouilles de Pergame ont fourni des matériaux incomparablement plus riches, qui ont été publiés et commentés par HUMANN, BOHM et CONZE dans le Jahrbuch der Königl. Preuss. Kunstsammlung, 1880 et 1881. U. KÖHLER a le mérite d'avoir le premier appelé l'attention sur l'utilité historique de ces découvertes et d'y avoir même trouvé de nouveaux aperçus chronologiques (dans la Historische Zeitschrift de Sybel, XLVII, p. 1 sqq.).

[15] Attalus rex eos sæpe fudit fugavitque (TITE-LIVE, XXXVIII, 17).

[16] Les inscriptions publiées dans le Jahrbuch précité (p. 194) parlent d'une victoire remportée par Attale sur Antiochos... έπί τή έφ' Έλλησ..., d'une victoire à Aphrodision sur les Tolistoboïens et Antiochos, d'une victoire έπί Καΐκου ποταμοΰ πρός τούς Γαλάτας.

[17] Une inscription qui figure déjà au C. I. Græc. (II, n° 3535), complétée par une autre récemment découverte (Jahrbuch, p. 197), donne ce qui suit : Βασιλέα Άτταλον | Έπιγένης καί οί ήγεμόνες καί στρατηγοί | οί συναγωνισάμενοι τάς πρός τούς Γαλάτας καί Άντίοχον μάχας χαριο | τήριον έστησαν Διί Άθηνά | ... γόνου έργα. Parmi les artistes que Pline cite comme ayant travaillé au trophée de Pergame, on trouve un Isigone et un Antigone, et une des inscriptions nouvellement découvertes porte : Έπίγονος έποίησεν. Sur le Syrien Épigène, voyez ci-après, p. 567 sqq. Polybe (V, 41 sqq.) s'étend longuement sur ce personnage.

[18] L'Eusèbe arménien (I, p. 251 éd. Schœne) s'exprime comme il suit, d'après la traduction de PETERMANN : Antigonus vero Kalliniki frater magnam Phrygiam peragrans ad tributa incolas coegit ducesque exercitus adversus Seleucum misit verum a suis satellitibus barbaris [il y a quo tempore cum a barbaris suis satellitibus dans la traduction de MAI] traditus est, ex quitus cum paucis se eripiens Magnesiam proficiscebatur et sequenti die aciem instruebat atque inter alios milites etiam auxiliarios a Ptolemæo accipiens vicit et filiam Zielis uxorem duxit.

[19] POLYÆN., IV, 17.

[20] Naturellement, cette date ne peut être qu'hypothétique. Mais Stratonice était venue en Syrie en 239/8 ; vient ensuite l'expédition en Orient qui, poussée avec une armée considérable jusqu'au delà des Portes Caspiennes, a bien dû prendre deux ans jusqu'au retour en Syrie, car d'Antioche à Babylone il y a, suivant saint Jean Chrysostome, pour quatre-vingts jours de marche. La prise d'Antioche a demandé aussi du temps. Par conséquent, la grande victoire d'Attale sur les Galates doit se placer entre 239 et 238. Dans l'inscription de Nacrasa (ap. CHISHULL, Ant. Asiat., p. 146, reproduite dans le C. I. Græc., II, n° 3521), on lit au début : βασιλεύοντος Άττάλου πρώτου έτους, μηνός κ. τ. λ. et plus loin il est question de l'άγουναθέτης τών άχθέντων βασιλείων. CHISHULL pense qu'il s'agit d'un Attale postérieur : mais, en supposant même, à cause de l'absence de surnom, qu'il s'agisse d'Attale Ier, cela ne prouverait pas encore le moins du monde qu'Attale a pris le diadème et par conséquent remporté sa grande victoire sur les Galates dès la première année. La première année de soie règne pouvait être la troisième, quatrième, etc. de sa dynastie.

[21] JUSTIN, XXVII, 3, 6.

[22] JUSTIN, XXVII, 3. C'est probablement dans le denuo victus que se cache la lacune qui apparaît dans le récit de Justin quand on le compare à celui de Polyænos.

[23] JUSTIN, XXVII, 3, 9.

[24] POLYBE, V, 58, 10. Polybe, il est vrai, suppose que la ville a été sans interruption au pouvoir des Lagides depuis la guerre entreprise pour venger Bérénice.

[25] Les négociations dont parle Polybe (V, 87) ont dû aboutir à la conclusion formelle de cette paix.

[26] Artaxias et Zariadris sont les stratèges ou gouverneurs d'Antiochos III en Arménie, et, à partir de 190, ils s'y font une royauté indépendante (STRAB., XI, p. 528. 532). En 212, Antiochos reconnut encore à Arsamosata, après lui avoir infligé une humiliation, le Xerxès qui avait refusé de payer le tribut et l'arriéré dû par son père (POLYB., VIII. 25).

[27] Il serait très intéressant de savoir notamment à qui échut la Phrygie. Peut-être fut-elle adjugée au roi de Pont, car Ptolémée ne pouvait pas tolérer que l'empire syrien redevint si puissant en Asie-Mineure. Une partie de la province, ce qui fut plus tard la Galatie, fut laissée ou assignée aux Galates, afin de les éloigner de l'Hellespont et de les rendre moins dangereux en les fixant au sol. Il y a une conjecture ingénieuse de NIEBUHR qui s'adapte très bien à la conclusion de cette paix. Il suppose que la fille de Mithradate et de cette Syrienne qui lui avait apporté en dot la Phrygie fut élevée à Selge chez l'hôte d'Antiochos Hiérax, précisément parce qu'elle devait un jour épouser ce prince et lui apporter à son tour en dot la Phrygie.

[28] POLYBE, V, 42, 4. Dans ce passage, 'ραθυμία ne doit pas être rapporté au successeur, Ptolémée Philopator.

[29] STRABON, XVI, p. 750. Libanios (Antioch. I, p. 309 éd. Reiske), qui attribue la construction de ce quartier à Antiochos III, ne peut guère prévaloir contre l'autorité de Strabon. O. MÜLLER (De Antioch. Antiq., p. 52) propose de concilier les textes en admettant que la construction, qui a commencé avant 230, n'a été terminée qu'en 190 : mais ce biais n'est pas des plus satisfaisants.

[30] EUSEB. ARMEN., I, p. 251.

[31] PHYLARCH. ap. ATHEN., II, p. 53.

[32] attamen Ol. CXXXVII, 4 bellum in Lidiorum terra bis adgressus debellatus est et e regione Koloæ cum Attalo prœlium committebat et Ol. CXXXVIII, 1 in Thrakiam fugere ab Attalo coactus post prœlium in Karia factum moritur (EUSEB. ARMEN., I, p. 253 éd. Schœne). Coloé est le lac voisin de Sardes dont parle Strabon (XIII, p. 626).

[33] JUSTIN, XXVII, 4. Il n'est pas nécessaire de signaler dans le détail les inepties de Justin ; il a la fâcheuse habitude non seulement de découper ses extraits à tort et à travers, mais encore de tirer de ces bribes détournées de leur sens toute espèce de fades aperçus à l'appui de son raisonnement.

[34] POLYBE, XX, 5, 11.

[35] Antigonus, qui Thessaliam in Asiam Cariam subegit (var. Thessaliæ in Asiam). On a corrigé en Thessaliam Mæsiam, Dardaniam ou Daciam. BONGARS, en écrivant Thessaliam et in Asia Cariam, a trouvé le vrai, ou plutôt le vraisemblable.

[36] Pline (VIII, 42) raconte, d'après Phylarque, que le Gaulois Centaretus tua Antiochos dans la mêlée, qu'il sauta ensuite sur son cheval, etc. C'est à Phylarque également qu'emprunte Élien (Hist. An., VI, 44), qui appelle le Gaulois Κεντοαράτης. Solin (c. 46), qui abrège Pline, confond les personnes. Trogue-Pompée dit : a Gallis occisus ; Justin : a latronibus ; l'Eusèbe arménien : post prælium in Caria factum moritur. Ici, il ne faut pas songer à la ville de Cardia, par exemple ; Caria est ou bien une inexactitude, ou bien un nom qui désigne les environs du Καρών λιμήν dans la région de Varna, région appelée elle-même Καρία (ARRIAN., Peripl., 24, 3). Antiochos a dû s'enfuir par les cols des Balkans, et ce ne sont pas les Galates du roi Canaros, mais des brigands qui l'auront tué de leur propre mouvement. Il n'y a que l'historiette du cheval de bataille, contée par Phylarque, qui garde un air suspect. Déjà le fait de s'enfuir de l'autre côté de la mer avec un cheval n'est pas très plausible ; il l'est encore moins qu'Antiochos, s'échappant d'une arctissima custodia sans autre aide qu'une fille de bonne volonté, ait eu le temps de reprendre possession de son cheval, qu'on devait évidemment lui avoir enlevé. Enfin, admettons tout cela ; la chose est de peu d'importance ; ce serait simplement un appoint à utiliser pour la critique de Phylarque. La mort d'Antiochos en Thrace est, du reste, attestée par Polybe (V, 74, 4). Parmi les monnaies d'argent que MIONNET (Suppl. VIII, p. 17), d'après VISCONTI (Iconogr. gr., II, 503), attribue à Antiochos Hiérax (tête diadémée avec ailes d'Hermès ; au revers, Apollon assis sur l'omphalos), il y en a une qui porte pour emblème une mouche. On pourrait songer à Éphèse, l'abeille et la mouche se distinguant à peine sur une figure si petite ; mais on se demande si Antiochos a jamais été maître d'Éphèse.

[37] JUSTIN, XXVII, 3, 12. L'auteur dit étourdiment amisso regno : ce serait tout au plus fratris regno.

[38] EUSEB. ARMEN., I, p. 253, 10 éd. Schœne. POLYBE, IV, 48. Dans la liste sacerdotale qui figure au C. I. Græc., III, n° 4458, il s'appelle Σέλευκος Σωτήρ. L'Eusèbe arménien place la mort de Séleucos II en Ol. CXXXVIII, 2, c'est à dire en 266/5.

[39] POLYBE, IV, 51. Est-il tombé directement entre les mains des Égyptiens ? A-t-il été pris par Attale et livré ensuite ? Ceci me parait plus probable, car si l'Égypte avait été victorieuse sur le champ de bataille, elle aurait aussi occupé le pays. Il est vrai que la chose est possible nonobstant, si l'on admet qu'Andromachos, par exemple, a opéré sa jonction en Carie avec les Macédoniens : mais ici, tout est obscur.

[40] POLYBE, IV, 48, 7. De même, les villes grecques de la côte d'Éolide et d'Ionie se sont ralliées à Attale, soit au moment où nous sommes, soit même avant, afin d'être protégées par lui contre Antiochos et les Galates. Polybe (V, 77) indique quelles sont les villes qui, reconquises ensuite par Achæos pour le compte des Séleucides, étaient redevenues sujettes de Pergame en 222, les unes de gré, les autres de force : il nomme Kyme, Smyrne, Phocée, puis Ægæ, Temnos, Colophon, Trion, etc.

[41] Ceci est une simple affirmation, mais je la crois indubitable. Ce n'est qu'en 221 que le littoral depuis la Pamphylie jusqu'à l'Hellespont appartient de nouveau au Lagide (POLYB., V, 36,5) : la Macédoine n'intervient plus de ce côté, et on ne l'y voit reparaitre que vingt ans plus tard, alors qu'elle s'attaque de nouveau à la Carie. Nous verrons plus loin les circonstances qui ont probablement décidé la Macédoine à abandonner les pays qu'elle occupait outre-mer.

[42] Je tiens à réunir ici les indications chronologiques qui peuvent être  fixées dès à présent. D'après l'Eusèbe arménien, la fuite d'Antiochos vaincu par Attale a eu lieu après la bataille de Coloé, en Ol. CXXXVIII, 1, c'est-à-dire entre l'été de 228 et celui de 227. L'année suivante, d'après le même Eusèbe, survient la mort de Séleucos II Callinicos ; iisdem ferme diebus, dit Justin, mourut Antiochos Hiérax. Il est certain (voyez ci-après) qu'Antiochos III monta sur le trône dans la première moitié de l'année 222, deuxième moitié de Ol. CXXXIX, 2. Les chronographes indiquent ceci à leur manière, en disant que son frère aîné mourut en Ol. CXXXIX, 1 et qu'il lui succéda en Ol. CXXXIX, 2. C'est ainsi qu'ils mettent la mort de Séleucos II en Ol. CXXXVIII, 2 et l'avènement de Séleucos III en Ol. CXXXVIII, 3. Par conséquent, la mort de Séleucos II Callinicos peut être de l'an 226 ou 225. D'après Eusèbe et Sulpice Sévère (II, 28), Séleucos, frère d'Antiochos III, a régné trois ans ; suivant Appien (Syr., 66), έτη δύο μόνα ; d'après S. Jérôme (In Daniel. XI), il est mort tertio anno imperii. On voit que Séleucos III n'a pu commencer à régner que dans le premier semestre de l'année 225, C'est à ce moment-là qu'est mort Hiérax, si tant est que l'on puisse se fier à Justin. La bataille livrée à Attale n'a pu, par conséquent, avoir eu lieu dès 228, mais au printemps de 227, et l'attaque tentée à deux reprises sur la Lydie tombe en 228.

[43] JUSTIN, XXVIII, 1. On ne peut entendre que de cette façon, comme on le verra à la note suivante, le diffisi Epirotis.

[44] On prendrait volontiers ce détail pour une simple phrase de Justin, d'autant plus que Polybe passe sous silence cette première ambassade envoyée de Grèce et semble même considérer une ambassade postérieure comme la première de ce genre (POLYB., II, 12, 7) ; mais l'assertion de Justin est confirmée par Strabon (X, p. 462). Peut-être est-il bon de se rappeler que Rome, en réponse à une offre d'alliance faite par Séleucos, avait demandé l'atélie pour les habitants d'Ilion ; les Acarnanes pouvaient invoquer ce précédent. Sur les rapports établis entre l'Acarnanie et Rome par la légende d'Énée, voyez KLAUSEN, Aeneas und die Penaten, I, p. 403. On voit quelle était la situation des Acarnaniens par la prière qu'ils adressent au Sénat. Plus tard, on trouve également Thyreion et Médéon menacées par les Étoliens ; ces villes appartenaient-elles aussi, à l'Acarnanie épirote ? ou faut-il conclure des paroles que Justin met dans la bouche des ambassadeurs romains : Ætoli præsidia ab urbibus Acarnaniæ deducerent, que la partie étolienne de la région s'était mise aussi en insurrection ?

[45] Justin (ibid.) met dans la bouche des Épirotes une réponse qui contient des données chronologiques contradictoires avec ses propres indications ; si le discours était écrit en connaissance de cause ou simplement puisé à bonne source, ces événements seraient antérieurs à 241, ce qui est absolument impossible.

[46] velut a matrimonio pulso (JUSTIN, XXVIII, 1, 4).

[47] ATHEN., XIII, p. 589, sans indication de sources.

[48] Ceci eut tiré du recueil de phrases empruntées à l'Égyptien Helladios, un auteur de très basse époque (PHOTIUS, Bibl., p. 530 a. 37).

[49] JUSTIN, XXVIII, 3. Cette divergence est très sensible. Un des deux récits provient certainement de Phylarque ; on croirait tout d'abord que c'est celui de Justin, s'il n'était tout aussi probable qu'Helladios a emprunté le sien à un styliste habile comme Phylarque, et si son récit, combiné avec celui d'Athénée, n'avait tout à fait l'air d'être du Phylarque. Il y a encore une autre combinaison indiquée par Ovidé (Ibis, 305) : utque nepos dicti nostro cermine regis (Pyrrhi) Cantharidum succos dante parente bibas. Il n'est plus possible de découvrir la vérité.

[50] JUSTIN, loc. cit. POLYBE, VIII, 52.

[51] Pausanias (IV, 35, 3) dit que Déidamia, la fille de Pyrrhos, n'avait point d'enfants. La généalogie est tout à fait absurde et facile à rectifier. Pyrrhos peut être né vers 270 ; sa fille pouvait avoir quelque chose comme seize ans.

[52] POLYBE, VIII, 52. C'est à cet événement que fait allusion Ovide (Ibis, 303). Nataque ut Æacidæ jaculis moriaris adactis : Non licet hoc Cereri dissimulare nefas.

[53] On voit dans Tite-Live (XXIX, 12) les stratèges des Épirotes conduire des négociations avec l'assistance d'autres magistrats. Il semble bien qu'on n'a pas voulu concentrer, comme en Étolie et en Achaïe, le pouvoir exécutif de la nouvelle fédération aux mains d'un stratège unique ; on était si jaloux de liberté, que les fonctionnaires avaient une situation difficile. (Voyez les notes suivantes.) Les nombreuses monnaies qui portent la légende ΑΠΕΙΡΩΤΑΝ appartiennent à cette époque de liberté.

[54] L'affranchissement de l'Épire a eu lieu avant 231 et après 238. On trouvera ci-après des détails plus précis.

[55] PAUSANIAS, IV, 35, 3. Il est question d'une milice de mercenaires galates dans Polybe (II, 7). — Je dis État fédéral, car la démocratie des Épirotes ne peut se concevoir que sous cette forme. Les soixante-dix villes qui ont été détruites plus tard en Épire et dont la plupart se trouvaient dans le pays des Molosses (POLYBE, XXX, 15) suggèrent l'idée qu'ici comme dans la Ligue achéenne, ce qui faisait le fond de l'association, c'étaient des 7r6IEtc autonomes, des communes urbaines. Cependant, on croit reconnaitre aussi une autre division κατά έθνη ; du moins, dans la guerre de Persée, les Molosses figurent comme un peuple à part. Il se pourrait que ce fat là la raison qui fit instituer trois stratèges, car il y en avait trois, en dépit du prætor et du magister equitum de Tite-Live (XXXII, 10). Les quatre républiques qui se partagèrent plus tard la Macédoine offraient une certaine analogie avec ce système.

[56] bellum suo nomine cum Demetrio, Philippi patre, Longarus gesserut (TITE-LIVE, XXXI, 28). Peut-être faut-il lire Langarus, nom que portait le prince des Agrianes au temps d'Alexandre. Strabon (VIII, p. 314) appelle son fils Baton (ex Dardanis, TITE-LIVE) un Dæsidiate ; par conséquent, les Dæsidiates, qu'il range parmi les Pannoniens, ont dû être associés à l'époque avec les Dardaniens.

[57] POLYBE, IV, 3.

[58] PLUTARQUE, Arat., 33. Plutarque dit, il est vrai, que cette alliance fut conclue πολλών έθνών καί δυναστών έπί τούς Άχαιούς συνισταμένων : c'est une expression qui, comme tant d'autres dans Plutarque, est en contradiction avec l'état des choses. En dehors de la Macédoine, il n'y avait que les tyrans d'Argos et de Mégalopolis qui pussent menacer la Ligue ; en fait d'Un, à part les Étoliens, avec lesquels elle venait de faire alliance, il ne pouvait y avoir que les Illyriens, et ceux-ci ne se montrent par grandes masses en Grèce qu'après la guerre d'Étolie. Plutarque, qui résume d'une façon assez superficielle, a sans doute emprunté cette expression à un passage des Mémoires d'Aratos où celui-ci parlait de l'alliance avec les Étoliens, en ayant soin certainement de motiver par des circonstances impérieuses la nécessité d'une alliance si singulière, qui allait contre le principe même de la confédération.

[59] POLYÆN., VI, 36, Sur la nomination de Diœtas comme stratège, voyez MERLEKER, Achaica, p. 150. La stratégie de Diœtas s'intercale par conséquent entre la cinquième et la sixième stratégie d'Aratos, du printemps de 236 au printemps de 235.

[60] PLUTARQUE, Arat., 28. Comme Aratos était renommé tous les deux ans, ceci doit appartenir à sa sixième stratégie, qui commence en 235, trois mois avant Ol. CXXXVI, 2.

[61] Polybe parle d'Aristomachos pour défendre son cher Aratos et l'attitude qu'il prit plus tard vis à vis des tyrans contre les vifs reproches de Phylarque. Plutarque s'est servi ici des Argolica de Dinias.

[62] Ces appréciations sont de Plutarque. Aratos est appelé πολιτικώτερος ή στρατηγικώτερος par Polybe (IV, 19, 11), qui signale avec force euphémismes son manque de courage personnel (IV, 8, 5).

[63] Polybe (II, 44, 5) parle de cette conversion de Lydiade, mais dans des circonstances qui n'en font guère ressortir le véritable caractère. — SCHÖMANN, faisant observer avec raison que Marges de Cérynia (ap. POLYBE, II, 10, 3) n'était pas stratège quand il fut tué, avait soutenu avec quelque vraisemblance que Lydiade avait été nommé stratège au printemps de 233. L'excellent ouvrage de MAX KLATT (Forschungen zur Geschichte des achäischen Bundes, 1877) a creusé plus avant : la chronologie de cette période de l'histoire de la Ligue lui doit des rectifications définitives. Plutarque (Arat., 35) dit qu'Armes a été stratège 17 fois, et on a toujours pris jusqu'ici cette assertion pour base des supputations chronologiques. Or KLATT démontre d'une façon péremptoire que Plutarque a simplement fait une erreur de calcul, et que la loi fédérale qui défendait d'être stratège durant deux années consécutives n'a pas été le moins du monde laissée de côté, comme on le supposait pour faire droit à l'affirmation de Plutarque.

[64] L'inscription a été publiée et expliquée par FOUCART (Revue Archéol., XXXII [1876], p.96), puis complétée, commentée et surtout datée comme ci-dessus par DITTENBERGER (Hermes, XVI [1881], p. 177), tandis que FOUCART en plaçait la rédaction en l'an 199.

[65] Polybe (II, 57, 1) dit expressément que Mantinée, avant de passer aux Étoliens (218), avait fait partie de la Ligue achéenne. Comme il cite Tégée (II, 46, 5), avec Orchomène et Mantinée, parmi les villes que Cléomène enleva à la Ligue étolienne, on est en droit d'en conclure que Tégée, ainsi que les deux autres cités de l'Arcadie orientale, avait suivi l'exemple de Mégalopolis.

[66] PLUTARQUE, Arat., 30. PAUSANIAS, VIII, 25, 9.

[67] L'endroit s'appelle Phylakia dans Plutarque (Arat., 34) : c'est un nom qui, sous cette forme, est inconnu dans la géographie grecque. Il va de soi qu'il ne peut pas être question de Phylake dans le terroir de Tégée ; il ne reste plus alors que la Phylake de Thessalie, connue depuis Homère, dans le voisinage de Thèbes de Phthiotide.

[68] Ceci parce que ce n'est pas lui, mais Bithys, qui fait la guerre en Thessalie.

[69] PLUTARQUE, Arat., 34.

[70] POLYBE, II, 44, 1 ; 5, 3.

[71] La date de cette délivrance ne peut être naturellement qu'hypothétique, mais elle se recommande par l'enchaînement naturel des faits. L'Épire ne pouvait se débarrasser de la royauté tant que Démétrios n'était pas en état d'intervenir et de faire valoir les droits de son épouse, laquelle appartenait à la famille des Æacides.

[72] EUSEB. ARMEN., I. p. 237 éd Schœne. Il est vrai que l'Eusèbe arménien, comme l'original grec, confond Démétrios le Beau avec celui-ci : cui (Antigono) filins Demetrius succedit, qui etiam universam Libeam cepit et Kyrenem obtinuit, et omnia omnino quæ erant patris in monarchicam potestatem denuo redegit, etc.

[73] POLYBE, XX, 5, 3.

[74] POLYBE, IV, 25, 2. Ce passage a trait à une époque postérieure, mais il montre cependant les rapports des Étoliens avec la Phocide.

[75] STRABON, X, p. 451.

[76] Ce n'est que de cette façon quels texte de Polybe (IV, 55, 8) a un sens : l'inscription du C. I. Græc., n° 1689, appartient à l'époque qui suit cette restauration de l'amphictyonie, et c'est sur elle que s'appuie ce qui est dit ci-dessus. Les modifications ultérieures de l'assemblée, jusqu'à l'inscription publiée par WESCHER (Étude sur le monument bilingue de Delphes, 1868) et aux inscriptions du théâtre d'Athènes (datant des années 139-129), sont encore mal connues.

[77] POLYBE, II, 44, 1 ; 46, 1.

[78] POLYBE, II, 48, 1.

[79] Par conséquent, les autres dates pourraient s'ordonner à peu près comme il suit. La royauté épirote a pris fin entre 238 et 234, ou plutôt en 235. D'après Plutarque, le combat livré à Cléonæ et la mort d'Aristippos ont eu lieu un peu plus tard que la fête des Néméennes à Cléonæ, fête qui, d'après ce qui a été dit plus haut, tombe entre mai 235 et mai 234. C'est avant sa défaite en Thessalie qu'Aratos a eu l'audace d'instituer cette fête provocatrice à Cléonæ. Le bataille livrée sur la petite rivière de Charès (ou plutôt Charadros) serait peut-être à sa place l'année précédente.

[80] POLYBE, II, 41, 3.

[81] PLUTARQUE, Arat., 30.

[82] Cléomène, qui fut obligé de s'enfuir de Sparte en 221, avait régné 16 ans (PLUTARQUE, Cleomen., 38) : à moins toutefois que ce chiffre n'aille jusqu'à sa mort à Alexandrie (219). Quand son père le maria avec la veuve d'Agis, aussitôt après la mort de ce prince, il était encore à peine formé ; par conséquent, il n'avait guère que dix-huit ans vers 241.

[83] En ce qui concerne la politique intérieure de Lydiade, nous manquons absolument de renseignements et je n'ose risquer ici de conjecture qu'en note. Ces choses qui ne paraissaient pas nécessaires doivent se rapporter à la constitution fédérale. Elle avait des défauts essentiels, qu'il était urgent de corriger. L'assemblée du peuple votait par villes ; plus les affaires de la Ligue devenaient importantes, plus il était gênant que la voix d'une ville comme Boura, par exemple, comptât autant que celle de Mégalopolis. Les Damiorges gouvernaient de concert avec le stratège, l'hipparque, le greffier ; le stratège ne devait rien entreprendre sans leur consentement ; mais on n'avait pas ajouté un nouveau damiorge pour chaque ville nouvellement incorporée, et d'autre part, il y aurait un abus par trop criant, un abus qu'on a dû prévoir, à ce que ces dix fonctionnaires ne pussent être pris que dans les anciennes localités fédérales. D'une façon comme de l'autre, ce Conseil permanent était pour le stratège une entrave qui pouvait atténuer toute espèce de mesure importante ; il enlevait à la Ligue la garantie qu'elle aurait pu trouver dans un stratège responsable. Lydiade a pu s'attirer en effet le reproche de revenir à ses vieilles habitudes de tyran, s'il insista pour la suppression de ce collège des damiorges ; Aratos, au contraire, se trouvait probablement fort à l'aise au milieu de ces dociles personnages qui partageaient avec lui la responsabilité de ses mesures souvent équivoques et mal réussies. On pourrait encore essayer d'une autre combinaison. Le fragment de Polybe (XL, 3, 3) dit que les Πατρεΐς καί τό μετά τούτων συντελικόν avaient essuyé une défaite en Phocide, et Pausanias (VII, 15, 3), qui généralement suit ici Polybe, dit que c'étaient des Arcadiens. On pourrait être tenté de conclure de là que les dix (douze) villes achéennes formaient toujours la base de la confédération et que les localités surnuméraires étaient réparties entre ces cadres primitifs, de sorte que la représentation, le vote, l'administration, etc. fonctionnaient sur ce plan. Mais les analogies qu'on peut trouver dans des formes constitutionnelles empruntées à des époques tout à fait différentes ne prouvent rien. Les ateliers monétaires et bien d'autres indices attestent que ce système n'a pas été appliqué tel quel à la confédération. La constitution des États-Unis montre quels sont les défauts que les Achéens auraient dû éviter.

[84] PLUTARQUE, Arat., 30.

[85] POLYBE, II, 3 sqq.

[86] La date résulte du récit de Polybe. Polybe a jugé inutile de nous dire pourquoi Démétrios a invité les Illyriens à cette expédition, au lieu de porter secours lui-même aux Acarnaniens. Je pense que ce qui l'a retenu, c'est la paix qu'il avait conclue avec les Étoliens et les Achéens, chez qui Lydiade était précisément alors stratège pour la deuxième fois.

[87] Sur la situation de Phœnike, voyez LEAKE, Northern Greece, I, p. 20, 66.

[88] Antigonia n'était pas au pouvoir des Épirotes — car ils envoyaient des troupes (POLYBE, II, 5, 6) — mais, comme Antipatris sur l'Apsos (POLYB., V, 108), aux mains des Macédoniens. Je ne crois pas nécessaire d'admettre, avec LEAKE (op. cit., p. 70), que Scerdiladas ait remonté l'Aoos depuis la côte dans la direction d'Antigonia, et que, par conséquent, il faille distinguer les παρά τήν Άντιγόνειαν στενά des défilés qu'on désigne d'ordinaire sous ce nom, ceux-ci se trouvant entre Clisoura et Antigonia, et ceux-là devant être au-dessus d'Antigonia, sur le cours de l'Aoos, du côté d'Arghyrokastro.

[89] Le pays des Atintanes (qui fait partie de la Macédoine, d'après Étienne de Byzance), s'étend, suivant Scylax, depuis Oricos et la Chaonie jusqu'à Dodone ; c'est certainement dans la partie-orientale de ce pays que se réfugièrent les Épirotes. Les Atintanes paraissent avoir été indépendants dans leurs montagnes.

[90] LEAKE (op. cit., p. 99) place Hélicranon dans les environs de la Delfino actuelle, sur la route de Phœnike à Arghyrokastro.

[91] D'après Dion Cassius (p. 185 ap. MAI), l'île d'Issa avait invoqué la protection de Rome.

[92] Nous prenons naturellement pour guide Polybe, et nous pouvons passer sous silence les allégations divergentes d'écrivains postérieurs. Je constate seulement que l'assertion de Florus (II, 5), d'après lequel les deux ambassadeurs auraient été tués, se trouve confirmée par la tradition romaine concernant leurs statues in rostris (PLINE, XXXIV, 6).

[93] C'est le nom que Polybe (II, 11, 1) donne au consul : dans les Fastes consulaires, il s'appelle L. Postumius A. f. T. n. Albinus, et Eutrope lui donne aussi le prénom de Lucius.

[94] Polybe (XXI, 32,6 [XXII, 15, 6]) mentionne par la suite un commandant romain à Corcyre.

[95] POLYBE, II, 2-12. ZONARAS, VIII, 19. Parmi les autres indications éparses dans Orose, Florus et Eutrope, il n'y a guère d'intéressant que le texte d'Eutrope (III, 4) : multis civitatibus captis etiam reges in deditionem acceperunt. Eutrope aura sans doute trouvé cités dans ses sources un certain nombre de ces rois, par exemple, les rois des Atintanes, des Parthiniens, des Ardiæens, etc.

[96] C'est ainsi que Polybe (II, 44, 2) indique la date, qui correspond par conséquent au printemps de 229. Trogue-Pompée (Prol. XXVIII) dit : ut rex Macedoniæ Demetrius sit a Dardanis fusus, quo mortuo, etc. ; et Justin (XXVIII, 3) dit du successeur de Démétrios : ut Dardanos Thessalosque morte Demetrii regis exsultantes compescuerit.

[97] Philippe est ό κατά φύσιν υίός de Démétrios : sa mère, comme on le voit par l'Eusèbe arménien (I, p. 233 éd. Sch.) et l'Anonym. Græc. de SCALIGER (p. 62), est Chryséis, une captive. — Il résulte d'un passage de Plutarque (Arat., 34 ) que Démétrios est mort après le remplacement du stratège achéen au printemps de 229.

[98] Il est impossible malheureusement de savoir si on essaya d'introduire dès cette époque en Thessalie la constitution fédérale qui entra réellement en vigueur 22 ans plus tard. Comme certains districts, ainsi qu'on le verra bientôt, furent occupés par des garnisons étoliennes, on serait plutôt tenté de croire qu'ils se rattachèrent à la Ligue étolienne. Pour mon compte, je ne le crois pas, et cela à cause de certains incidents qui seront relatés plus tard.

[99] POLYBE, IV, 25, 6.

[100] POLYBE, XX, 5, 3.

[101] Ceci d'après l'inscription du C. I. ATT., II, n° 379, commentée par KÖHLER dans l'Hermes, VII, p. 3. C'est un décret en l'honneur d'Euryclide, fils de Micion de Céphisia, le même qui, d'après un autre texte (C. I. ATT., II, n° 334), fut ταμίας στρατιωτικών. Il est dit dans le décret honorifique : τήν τών στραιωτι[κών άρχν διε]ξήγαγεν, et c'est ce même fils Μικίων Κηφισιεύς qui est mentionné au n° 334, lig. 36. Le décret honorifique ajoute qu'Euryclide, étant agonothète, a dépensé sept talents, qu'ensuite il a avancé des fonds pour la mise en culture des champs laissés en friche par suite des guerres... et ainsi de suite. Les tétradrachmes attiques signés des deux noms Μικίων et Εύρυκλείδης, dont traite l'excellente dissertation de GROTEFEND (Philologus, XXV [1869], p. 70 sqq.), pourraient bien appartenir aux deux frères en question. L'inscription relative aux victoires panathénaïques que FRANZ et BÖCKH ont publiée dans l'Allegemeine Literaturzeitung, 1835, p. 268, et qui, d'après le judicieux travail de BERGK (Zeitschr. für Alterth., 1855, p. 151), concerne les Panathénées de Ol. CXLVI, 3 (194), donne ces trois mêmes noms, mais l'Euryclide qui y figure n'est certainement plus celui qui était ταμίας στρατιωτικών vers 265 ; ce doit être son petit-fils ou son neveu.

[102] Il n'est pas question de cela dans les sources parcimonieuses dont nous disposons, mais l'analogie tirée de la situation telle qu'elle était au début du règne de Démétrios autorise cette conjecture.

[103] POLYBE, II, 44. Cf. II, 60.

[104] PLUTARQUE, Arat., 35.

[105] C'est la stratégie qui a commencé dans les premiers jours de mai 229, c'est-à-dire la neuvième, et non pas, comme on a voulu le soutenir sur la foi d'une assertion absurde de Plutarque (Arat., 35), la onzième.

[106] PLUTARQUE, Arat., 34. PAUSANIAS, II, 8, 3.

[107] C. I. ATT., II, n° 379. Dans un article déjà cité (Ein Verschollener in Hermes, VII, p. f sqq.), KÖHLER a élucidé cet ensemble de circonstances et par surcroît l'épigramme du C. I. GRÆC., I, p. 916. L'inscription thébaine de l'Αθηναΐον, II [1874], p. 482, ne se rapporterait-elle pas peut-être aux mêmes conjonctures ?

[108] Aujourd'hui encore, l'opinion exposée ci-dessus me paraît exacte, et nullement dépourvue de toute espèce de vraisemblance. A supposer que Micion et Euryclide aient tenu avec énergie pour la neutralité politique d'Athènes, Aratos n'avait qu'à faire de l'accession de la ville à la Ligue la condition de son assistance ; alors Athènes aurait dû ou se soumettre ou garder la garnison ennemie sur son territoire. On comprend parfaitement que, dans ses Mémoires, Aratos ait présenté les choses sous un autre jour.

[109] BOECKH dans le C. I. GRÆC., n° 108.

[110] POLYBE, X, 25, 8 sqq. — PLUTARQUE, Philopœmen, 7. Cf. 18.

[111] POLYBE, V, 93, 6. FREEMAN (Hist. of the federal Government, p. 294) suppose que ce renseignement ne concerne qu'une local quarrel between rich and poor at Megalopolis, et il considère le μάλιστα κύριοι τιμής καί κολάσεως comme de nature plutôt parlementaire que judiciaire.

[112] POLYBE, XXXVIII, 4, 5 [10, 5 éd. Hultsch]. Cf. XXIX, 9, 6 [24, 6].

[113] Dans l'inscription publiée par FOUCART (Revue Archéologique, 1876, p. 97), on lit : ... καί έξέστω τώ βουλομένω αύτώ δίκαν θανάτου είσάγειν είς τό κοινόν τών Άχαίων. Il est encore question plus loin de δικάξειν. Il semble que les actions intentées en raison des conventions fédérales devaient être portées devant l'assemblée générale de la Ligue, qui choisissait alors les jurés dans son sein, c'est-à-dire parmi ses membres présents.

[114] On n'a eu connaissance du navarque que par l'inscription citée à la note précédente. Le traité doit être juré par les Orchoméniens et les Achéens.

[115] POLYBE, XXXVIII, 5, 1. Le conseil s'appelle aussi γερουσία, ce qui indique qu'il se composait sans doute de gens âgés : l'expression οί σύνεδροι, qui fait pendant à γερουσία, désigne les damiorges. Le roi Eumène offre un capital de 1.200 talents, dont les intérêts doivent être employés en diætes pour les conseillers.

[116] POLYBE, XXVIII, 6, 9. Il est certain qu'à l'époque l'élection des stratèges avait lieu au lever des Pléiades, car Polybe (IV, 27, 2. V, 1, I) le dit expressément, en ajoutant τότε, car de son temps, et peut-être même avant Ol. CXLIII, 3, les élections avaient été reportées en automne.

[117] POLYBE, XXV, 1, 1. XL, 3, 3.

[118] POLYBE, XXV, 1, 1. En ce qui concerne les monnaies, je renvoie à LEICESTER WARREN (Numism. Chron., 1861, p. 77), à FINLAY (ibid., 1866, p. 32), à LAMBROS (v. Sallets Num. Zeitschr., II, p. 160), et notamment à l'article de WEIL (ibid., IX, p. 223), qui donne des renseignements très intéressants même sur les divisions cantonales.

[119] PLUTARQUE, Philopœmen, 13.

[120] D'après la correction de DITTENBERGER, Hermes, XVI [1881], p. 18.

[121] Pour apprécier l'importance de ces localités et des autres points désormais acquis aux Romains, il faut comparer le traité passé entre Hannibal et la Macédoine. Il y est dit que les Romains ne doivent pas être maîtres de Corcyre, d'Apollonie, de Dyrrhachion, de Pharos, de Dimalle, du pays des Parthiniens et des Atintanes (POLYBE, VII, 9, 13).

[122] POLYBE, IV, 87. II, 35. 47. 66, 70. D'après Plutarque (Æmil., 8), ce furent les hommes les plus considérables de la Macédoine qui lui confièrent la régence ; il y avait droit par sa situation de parent de la famille royale.

[123] Anonym. ap. SCALIGER, Euseb. Græc., p. 62. [EUSEB. ARMEN., I, p. 238].

[124] POLYBE, IV, 87.

[125] JUSTIN, XXVIII, 3.

[126] FRONTIN, II, 6, 5.

[127] POLYBE, XVIII, 21, 3. Cf. IX, 41. TITE-LIVE, XXXIII, 13.

[128] POLYBE, II, 46, 4.

[129] POLYBE, II, 51, 2.

[130] POLYBE, XX, 5.

[131] POLYBE, XV, 23, 9. XVII, 3, 11.

[132] POLYBE, XVIII, 34, 5.

[133] C. I. GRÆC., II, p. 281.

[134] C. I. GRÆC., II, p. 632.