HISTOIRE DE L'HELLÉNISME

TOME TROISIÈME. — HISTOIRE DES SUCCESSEURS D'ALEXANDRE (ÉPIGONES)

LIVRE DEUXIÈME. — CHAPITRE DEUXIÈME (247-239).

 

 

La paix. — Mort d'Antiochos II. — Meurtre de Bérénice. — La troisième guerre de Syrie ; morcellement de l'empire séleucide ; Antiochos Hiérax en Asie-Mineure ; la guerre entre frères ; paix de 239. — La liberté à Cyrène. — La guerre entre l'Égypte et la Macédoine ; Rhodes contre l'Égypte. — La ligue achéenne. — Première stratégie d'Aratos. — Prise de Corinthe. — Réformes d'Agis. — Agis et Aratos contre Antigone et les Macédoniens. — Mort d'Agis. — Paix en Grèce. — État de la Grèce. — Mort d'Antigone.

Quarante années ne s'étaient pas encore écoulées depuis le temps où la puissance des Lagides se limitait à l'Égypte, à Cypre et à Cyrène, et où l'empire syrien s'étendait de l'Indus à l'Hellespont. Que la situation des deux royaumes était changée, depuis qu'Antiochos Théos avait conclu la paix avec Ptolémée Philadelphe vieillissant et avait accepté de devenir son gendre ! La puissance des Lagides, formée, pour ainsi dire, autour d'un noyau solide et agissant concentriquement à l'extérieur, avait commencé à développer son énergique supériorité, tandis que l'immense empire de Syrie, dépourvu de centre de gravité, de type uniforme, s'efforçait vainement de garder une périphérie qui n'était pas déterminée par sa nature intime. Les Perses avaient, il est vrai, possédé pendant près de deux siècles la même étendue de territoire ; mais ils n'avaient dominé que grâce à la lente agonie des peuples soumis, grâce à l'absence de rivalités considérables, grâce à la rude simplicité de leur constitution antique et demeurée patriarcale jusque dans sa décadence. Aucune de ces conditions ne préservait l'empire des Séleucides. L'élément gréco-macédonien, sur lequel ils devaient s'appuyer, avait disparu, et il ne restait plus rien de ces liens naturels qui rattachent l'une à l'autre les diverses parties d'un empire. Les peuples de l'Asie avaient été secoués par le contact de la race grecque, et sur des points toujours nouveaux, sous des formes toujours nouvelles, les vieux instincts nationaux commençaient à réagir, soit déjà avec leur force propre, soit sous la forme de l'hellénisme local qui s'était peu à peu développé ; enfin, la redoutable rivalité de l'Égypte donnait à tous ces germes de dissolution intérieure l'occasion de s'épanouir rapidement et sans obstacle sérieux. L'empire, tel que l'avait fondé Séleucos, était intenable, et l'histoire exerça sa critique en luttes incessantes contre cette impossibilité politique, jusqu'à ce qu'enfin, au bout de trente années environ, l'empire, ramené à un territoire incomparablement plus étroit mais plus conforme à la nature, commençât à développer sa vigueur et son activité.

La paix n'avait interrompu que pour peu de temps la lutte des Lagides et des Séleucides ; aucun témoignage ne prouve qu'Antiochos en ait tiré parti pour reconquérir les contrées d'Orient qu'il avait perdues. Si ce n'est pas à cette époque qu'il se livra aux débauches et à l'ivrognerie qu'on lui a reprochées, il semble avoir tourné son attention vers les régions occidentales ; du moins il se trouvait en Asie-Mineure lorsque se joua l'horrible tragédie qui termina sa vie.

D'après une vieille anecdote, Ptolémée aurait donné cent talents de récompense au célèbre médecin Érasistrate, qui avait réussi à sauver le roi Antiochos d'une maladie mortelle[1]. Peut-être n'eut-il pas seulement l'intention de montrer la munificence de la royauté égyptienne ; peut-être cette guérison délivrait-elle Ptolémée d'un grand souci que lui inspirait la situation. Sa fille était arrivée à Antioche avec une suite brillante. Laodice et ses enfants furent éloignés ; Bérénice, vu l'influence égyptienne qui pénétrait avec elle en Syrie, sut écarter le frère de Laodice, Andromachos, son père Achæos, tous deux jusque-là certainement très influents à la cour, ainsi que leurs amis ; la cour elle-même dut se transformer aussi bien que la politique syrienne, et plus cette transformation fut rapide, plus tranchée dut être l'opposition entre le parti qui venait d'être renversé, celui qui se groupait autour de la reine répudiée, et le parti égyptien victorieux. Celui-ci n'avait pas en réalité d'appui naturel dans la situation ; il ne pouvait être aux yeux des Syriens que le parti de l'étranger ; il s'imposait sans être accepté, et la mort d'Antiochos aurait produit une réaction qui eût fait courir de grands dangers à Bérénice et au fils qu'elle avait eu.

Le péril n'était passé que pour peu de temps ; il se renouvela d'une façon à laquelle le parti égyptien n'était pas préparé. Le roi s'était rendu en Asie-Mineure ; Bérénice, à ce qu'il semble, était restée avec son enfant à Antioche. La suite d'Antiochos se composait naturellement de partisans de la coterie égyptienne ; parmi ceux qui formaient son entourage immédiat était Sophron, commandant d'Éphèse, dont un hasard nous a conservé le nom[2]. Mais Antiochos était maintenant éloigné de Bérénice et des influences qui l'environnaient dans sa résidence. Ses anciennes inclinations s'étaient-elles réveillées, ou les serviteurs qui l'entouraient autrefois trouvèrent-ils à ce moment accès et faveur auprès de lui ? Toujours est-il qu'il appela à sa cour Laodice et ses enfants.

Elle vint, résolue au forfait le plus horrible. Ne devait-elle pas prévoir que le roi d'Égypte emploierait tous les moyens pour faire valoir les droits de sa fille et les prétentions de son petit-fils ? Pouvait-elle espérer alors qu'Antiochos, qui l'avait déjà abandonnée ainsi que ses enfants, serait cette fois plus ferme ou assez fort pour protéger ceux qu'il rappelait auprès de lui ? Tous ces motifs pouvaient, à ses yeux, excuser sa soif de vengeance. Antiochos mourut empoisonné[3] ; à son lit de mort, il avait commandé d'orner du diadème le fils de Laodice, Séleucos. La reine put dès lors donner libre carrière à ses ressentiments ; les amis de Bérénice qui avaient accompagné le roi furent ses premières victimes. La confidente et l'auxiliaire de cette sanglante intrigue était Danaé, fille de cette Léontion célèbre comme amie et disciple d'Épicure. Danaé désirait sauver seulement Sophron, avec qui elle avait été en relations autrefois ; elle lui révéla les desseins de la reine contre sa vie, et Sophron s'enfuit à Éphèse. Ce fut la mort de Danaé ; la reine ordonna de la précipiter du haut d'un rocher. C'est à ce moment, en face de la mort, qu'elle aurait prononcé les paroles que lui prête un ancien écrivain : La foule a bien raison de ne pas se soucier de la Divinité, car j'ai voulu sauver l'homme que m'amenait la destinée, et voilà la récompense que m'accordent les dieux, tandis que Laodice, qui a assassiné son propre époux, a conquis de nouveaux honneurs et la puissance.

En même temps était porté à Antioche le coup que réclamait l'ardente vengeance de Laodice : elle avait trouvé à la cour même, parmi les gardes du corps royaux, les complaisants instruments de ses desseins meurtriers ; ils tuèrent l'enfant de Bérénice. A cette terrible nouvelle, la mère se jeta sur un char et voulut poursuivre l'assassin, les armes à la main ; sa lance le manqua, mais elle lui jeta une pierre qui l'étendit mort sur le sol ; elle fit passer ses chevaux sur le cadavre et, sans se laisser effrayer par les troupes de soldats qui s'opposaient à son passage, elle courut à la maison où elle croyait caché le cadavre de son enfant. La foule se déclara sans doute en faveur de la malheureuse mère ; on lui donna une garde de mercenaires gaulois, et on fit avec elle, par les serments les plus sacrés, une convention en vertu de laquelle, sur le conseil de son médecin Aristarchos, elle se retira dans le château de Daphné. Mais ni les serments, ni la sainteté du lieu consacré à Apollon ne la protégèrent ; les partisans de Laodice ne tardèrent pas à pénétrer jusque-là et assiégèrent le château. Enfin ils forcèrent l'entrée ; Bérénice fut tuée au milieu de ses femmes, qui tentaient encore à cette heure suprême de défendre la vie de leur reine ; un grand nombre de ses suivantes périrent avec elles[4].

Ptolémée Philadelphe vivait encore lorsqu'il apprit la terrible destinée de sa fille[5] ; il mourut précisément à cette époque, comme pour laisser à une main plus jeune et plus énergique le soin de la vengeance en même temps que le gouvernement de l'Égypte. A peine marié avec Bérénice de Cyrène, son successeur se hâta de mener contre la Syrie les armées égyptiennes, et la nouvelle reine promit aux dieux sa chevelure si son époux revenait victorieux[6].

Il n'y a pas pour l'historien, au moment où il aborde de grands événements qui ont eu de tous côtés des conséquences décisives, de sentiment plus pénible que de se trouver en présence d'une lacune irrémédiable dans les documents ou d'être obligé d'accepter des assertions qu'il sait insignifiantes, altérées, dérangées, avec la conscience de suivre une lumière trompeuse. La guerre ou l'amas de guerres dont nous avons à parler maintenant est, à certains égards, le point culminant de la politique des grandes puissances hellénistiques ; mais la tradition est si pauvre, si défectueuse, si confuse, qu'il faut désespérer de signaler même la trace des rapports qu'ont entre eux les événements. Essayons cependant de saisir, avec autant de précision qu'il nous sera possible, les faits isolés dont nous trouvons l'indication.

Le grand drame commença, dit-on, par le soulèvement des villes de l'Asie. Lorsqu'elles apprirent que Bérénice était en danger avec son enfant, elles armèrent une flotte considérable pour l'envoyer à son secours ; mais les deux meurtres étaient commis avant l'arrivée de cette flotte. Elles se tournèrent alors vers le roi d'Égypte[7]. Mais quelles étaient ces villes de l'Asie ? Smyrne resta fidèle à Séleucos[8] ; les autres cités d'Ionie crurent-elles assurer leur liberté à peine fondée en s'attachant à l'Égypte ? Mais Sophron s'était enfui à Éphèse. Éphèse, Samos, Cos, la Carie, la Syrie, étaient ou indépendantes ou soumises à l'Égypte ; si ces villes armèrent, ce n'était pas là une révolte contre les rois de Syrie. Sur la côte syrienne, Orthosia demeura fidèle ; Arados également se prononça pour Séleucos. D'autres cités de cette région, puis celles de Cilicie, de Lycie, de Pamphylie, que Ptolémée Philadelphe avait déjà possédées pendant quelque temps et qui étaient assez voisines d'Antioche pour recevoir promptement la nouvelle et envoyer rapidement du secours, peuvent bien s'être soulevées et ralliées aussitôt au roi d'Égypte.

Sans aucun doute, à la nouvelle du danger de Bérénice, l'Égypte mit aussitôt en mouvement ses forces de terre et de mer. De son côté, le jeune Séleucos dut courir avec la même rapidité au delà du Taurus pour s'assurer des points d'abord compromis[9]. Mais comme il a dû y être accueilli par l'opinion ! Sa mère, et lui peut-être avec elle, passait pour l'assassin de son père, pour l'assassin de la reine et de l'héritier du trône. Lui-même pouvait paraître un usurpateur ; ne disait-on pas que ce n'était point son père qui lui avait légué en mourant sa succession, mais qu'un misérable, qui ressemblait à Antiochos et que Laodice avait fait mettre sur le lit royal, avait prononcé les paroles en question sous la dictée de la reine ? De Daphné se répandait la nouvelle que Bérénice vivait encore, qu'elle commençait à guérir de ses blessures[10]. Déjà Séleucie, sur les bouches de l'Oronte, était prise par Ptolémée ou ralliée volontairement à sa cause[11] ; le Lagide pouvait être arrivé à Antioche sans trouver de résistance ; le jeune fils de Bérénice, disait-on, le légitime héritier du trône, vivait encore ; c'est en son nom et au nom de sa mère que furent expédiés les ordres aux satrapes et aux villes, et, comme le puissant roi d'Égypte s'approchait avec son armée pour ; leur donner force de loi, qui aurait pu se lever en faveur de l'usurpateur fugitif, du fils de la sanguinaire Laodice ?

Si la politique égyptienne avait eu l'intention de troubler par le mariage de Bérénice la paix de la maison royale de Syrie, elle n'avait réussi que trop promptement et au prix des plus tristes sacrifices à y porter le plus profond bouleversement. Au moment où l'empire n'a pas de chef reconnu, le Lagide ébranle sur terre et sur nier toutes les forces militaires dont il dispose, afin de- cueillir d'une main hardie les fruits soudainement mûris de la politique paternelle. Il ne songe à rien moins qu'à détruire entièrement l'empire syrien, et il semble y avoir réussi sans peiné. Tous les événements qui marquèrent Cette merveilleuse expédition ont disparu sans laisser de traces, mais l'inscription d'Adule[12] en a proclamé les résultats. On y lit, après l'énumération des pays que le grand roi Ptolémée a hérités de son père : Il partit pour l'Asie avec son armée à pied, à cheval, avec ses escadres, avec des éléphants troglodytes et éthiopiens, que son père et lui avaient été les premiers à prendre à la chasse dans ces contrées[13], et qu'ils avaient armés en Égypte pour qu'ils les servissent à la guerre. Il s'empara de tous les pays situés en deçà de l'Euphrate, de la Cilicie, de la Pamphylie, de l'Ionie, de l'Hellespont, de la Thrace et de toutes les armées qui occupaient ces pays et de leurs éléphants indiens ; il soumit tous les dynastes de ces contrées[14], franchit l'Euphrate, se rendit maître de la Mésopotamie, de la Babylonie, de la Susiane, de la Perse, de la Médie et de tout le reste du pays jusqu'à la Bactriane ; il fit rechercher tous les objets sacrés que les Perses avaient autrefois emportés de l'Égypte et les fit transporter avec tous les autres trésors dans son royaume ; il envoya des troupes par les canaux[15].... C'est là précisément que s'arrête cette inscription remarquable, mais heureusement le dernier mot renferme une indication d'une importance décisive. Outre l'Égypte, le bas pays où coulent l'Euphrate et le Tigre inférieur est coupé par un réseau de canaux auquel peut s'appliquer cette dernière expression ; ce réseau s'étend jusque dans le voisinage de Suse en remontant par Séleucie et Babylone. C'est de là que Ptolémée envoya des troupes, soit pour une expédition dans l'Inde, ce qui est à peine croyable, soit pour une expédition en Arabie, peut-être contre la riche ville commerçante de Gerrha, ou bien encore pour s'ouvrir par terre, à travers l'Arabie jusqu'à la mer Rouge au sud du désert, ce chemin que Ptolémée Soter avait déjà utilisé. L'inscription ne dit pas bien nettement si Ptolémée a marché sur l'Orient en franchissant le Tigre et en passant par Suse : il serait possible qu'il y eût reçu seulement les hommages des satrapes d'Orient, notamment d'Agathoclès de Perse ; cependant, étant au delà des montagnes, ils n'avaient guère de raison de faire une soumission si empressée. Il est également possible que l'armée victorieuse ait pénétré par les gorges du Zagros jusqu'à Ecbatane, puis par la Parætacène jusqu'à Persépolis, pour descendre de là à Suse[16].

C'est la campagne dont parle le prophète Daniel : Il marchera contre les forteresses du roi du Nord, et il a affaire avec elles, et il est victorieux ; leurs dieux aussi, avec leurs images de bronze, avec leurs meubles précieux, leur argent et leur or, ils les emmènera en captivité dans l'Égypte[17]. Il emporta en effet un immense butin, 40.000 talents d'argent et 2.500 vases précieux et statues ; les Égyptiens le nommèrent Évergète ou Bienfaiteur, comme le grand dieu Osiris, pour le remercier d'avoir rendu à leurs temples des objets sacrés ravis autrefois par Cambyse[18].

Enfin une révolte ramena le roi en Égypte ; nous verrons que ce fut probablement celle de la Cyrénaïque. Mais le but politique de cette grande expédition, le but que la cour d'Alexandrie s'efforçait depuis si longtemps d'atteindre, fut complètement rempli. Évergète montra le même bon sens qui avait distingué le fondateur de la dynastie et le fin politique Philadelphe. Il s'agissait de prendre, après des succès extraordinaires, des mesures durables : un Démétrios, un Pyrrhos auraient pensé à la conquête du monde ; mais la maison des Lagides n'avait pas eu d'autre visée que de briser la puissance des Séleucides et d'élever l'Égypte au rang, non pas d'une monarchie unique, mais de la première des monarchies. Essayer d'occuper d'une façon durable les satrapies de l'Iran et la Bactriane et l'Inde, c'eut été se condamner à perdre l'Occident. Nous montrerons plus loin les complications qui naissaient déjà dans les régions de la mer Égée : les forces navales de l'Égypte n'avaient pu occuper eu Asie-Mineure que les côtes, et encore Smyrne tenait bon ; elle s'unissait à Magnésie du Sipyle pour rester l'une et l'autre fidèles à la cause de Séleucos ; de même Magnésie du Méandre et Gryneion en Éolide restaient, à ce qu'il semble, indépendantes[19] ; dans l'intérieur de l'Asie-Mineure il y avait la Lydie avec son imprenable forteresse de Sardes, la Phrygie avec ses nombreuses villes grecques. C'est là que Séleucos doit s'être retiré après la vaine tentative de 246, là qu'il doit avoir rallié autour de lui les restes de la puissance des Séleucides[20]. Il épousa Laodice, fille d'Andromachos, le frère de sa mère[21] ; union qui, à ce qu'il semble, exerça bientôt une influence décisive sur la situation de cette cour des Séleucides alors en désarroi.

Nous savons que Ptolémée, à son retour, conserva la Syrie et qu'il remit à son ami Antiochos le gouvernement de la Cilicie, à un autre général, Xanthippos, celui des pays au delà de l'Euphrate. Ces sèches indications fournissent quelques conclusions intéressantes. Xanthippos est, selon toute vraisemblance, le même Spartiate qui, peu d'années auparavant, au moment où les Romains avaient passé en Afrique et serraient de près Carthage, vint sauver la ville de la destruction par son courage et son coup d'œil stratégique et la conduisit à de nouvelles victoires. Redoutant avec raison la jalousie de ces fiers marchands, il était parti richement récompensé, et maintenant, tandis que les Carthaginois faisaient de suprêmes et inutiles efforts pour se maintenir en Sicile, tandis que les Romains créaient rapidement une puissance navale avec laquelle Carthage ne pouvait plus se mesurer et, se présentaient pour la première fois en maîtres dans l'Occident, voici que la principale puissance de l'Orient, alliée à ces mêmes Romains, remportait des victoires incroyables, et le général qui avait battu les Romains et les avait chassés de la côte d'Afrique, recevait de Ptolémée la garde de ses conquêtes d'Orient[22]. On comprend maintenant que Séleucos se soit tourné vers le Sénat romain pour lui offrir alliance et amitié. Le Sénat lui en fit la promesse dans une lettre écrite en grec, à condition qu'il exempterait de tous impôts les habitants d'Ilion, ces alliés et parents du peuple romain[23]. Ce sont des combinaisons politiques gigantesques, qui percent à travers les misérables débris de la tradition. Il est à peu près aussi vraisemblable que cet Antiochos, à qui Ptolémée confia la Cilicie, n'était autre que le jeune frère de Séleucos[24]. Les objections qu'on pourrait élever sur ce point ne sont que spécieuses[25]. Les Égyptiens auront pu représenter d'autant plus facilement le meurtre de Bérénice et de son enfant comme l'œuvre de Séleucos, que ce prince, étant l'aîné des fils d'Antiochos, avait seul intérêt à se débarrasser du jeune et légitime héritier du trône : si l'Égypte parvenait à rallier aux intérêts des Lagides le frère de ce Séleucos, Antiochos, le dernier reste de la puissance des Séleucides était désormais paralysé ; l'Égypte pouvait donc non seulement abandonner la Cilicie à Antiochos, mais lui permettre de faire valoir sur l'Asie-Mineure encore attachée aux Séleucides les prétentions du fils de Bérénice naguère assassiné. Antiochos était encore un enfant ; l'influence de l'Égypte sur lui n'en était que plus sûre, et le reste de l'empire des Séleucides, te seul débris que reconnût l'Égypte, d'autant plus impuissant. Mais cet enfant ne pouvait encore prendre de résolutions par lui-même. Qui négocierait pour lui ce triste diadème ? Personne autre, je pense, que Laodice sa mère. Dans la longue guerre des deux frères, qui ne devait commencer que trop tôt, elle se mit du côté d'Antiochos[26], de même que l'Égypte le soutint constamment, pendant que le père de Laodice et son frère Andromachos défendaient tout aussi vaillamment la cause du fils aîné[27]. Un autre frère de Laodice, Alexandre, se décide aussi, après quelque hésitation, pour le cadet Antiochos ; si je ne me trompe, c'est au milieu du désastre qui détruisit l'empire des Séleucides et par suite de la catastrophe que la famille royale elle-même se désunit et se divisa. Le jeune Séleucos ne devait-il pas frémir devant une mère qui- avait assassiné son père, même alors que ce meurtre lui promettait le diadème ? Quant au père de Laodice, Achæos, et à son frère Andromachos, il est probable qu'ils regardèrent ce forfait si précipité comme un acte de démence, ce qu'il était en effet, et Séleucos épousa la fille d'Andromachos.

Prenons provisoirement l'année 243 comme celle du retour de Ptolémée en Égypte[28]. Il pouvait croire qu'il avait terminé son expédition par un arrangement qui garantissait complètement l'intérêt de l'Égypte. La politique de tous les temps et celle de ces derniers temps a démontré de quelle importance est pour l'Égypte la possession de la Syrie tout entière. Si l'Égypte veut s'élever, pour ainsi dire, au-dessus du rang de province et prendre une situation dominante de tous les côtés, elle doit, ce semble, regarder Tes monts de l'Amanos comme sa frontière naturelle. Aussi Ptolémée Évergète fit-il de toute la Syrie une dépendance immédiate de l'Égypte, et par cette conquête, qui seule donnait tout son prix à la possession de la côte méridionale et occidentale de l'Asie-Mineure, l'empire des Lagides atteignit l'apogée de sa puissance. La force des Séleucides semblait détruite pour toujours ; les derniers héritiers de ce nom se tenaient les uns les autres en échec et paraissaient devoir s'user mutuellement et s'anéantir eux-mêmes ; que Xanthippos de l'autre côté de l'Euphrate fût tributaire ou indépendant, l'hellénisme dans les régions supérieures de l'Asie n'en était pas moins abandonné à sa destinée. Il n'est pas douteux qu'Arsace, que le Bactrien Diodotos n'aient été reconnus comme légitimes possesseurs de ce qu'ils avaient usurpé ; Euthydémos, Agathoclès pareillement doivent être devenus indépendants et n'avoir conservé que l'apparence de vassaux de l'Égypte ; il en a été de même peut-être en Asie, en Drangiane, en Arachosie.

Mais l'Asie séleucide supportait-elle cette ruine et cette destruction de l'existence qu'elle avait eue jusqu'alors comme État ? Ne faisait-elle aucune résistance ? Les villes, les populations n'étaient-elles pas indignées par le pillage de leurs sanctuaires, par les énormes contributions qu'on leur imposait, par les méfaits des mercenaires étrangers ? Et surtout, les nombreux Macédoniens établis en Syrie, en Mésopotamie, à Babylone, acceptaient-ils en silence les événements ? Souvenons-nous des débuts de la guerre. Savait-on alors à qui appartenait le diadème, et cette incertitude ne devait-elle point paralyser l'énergie des Macédoniens ? On les avait trompés sur le nom de l'enfant royal, et cette supercherie ne les avait-elle pas détachés de la cause de leur dynastie au moment même où il aurait fallu se déclarer pour Séleucos ? Et pourtant, plusieurs places s'étaient longtemps défendues contre les Égyptiens ; bien plus, les positions les plus importantes, Damas et Orthosia[29], soutenaient encore un siège alors que Ptolémée était déjà de retour en Égypte. Il était naturel qu'après le départ de l'ennemi Séleucos n'eût besoin que de paraître au delà du Taurus pour provoquer aussitôt un soulèvement général auquel des places comme Orthosia' devaient offrir un point d'appui sérieux.

Nous trouvons dans l'inscription qui contient les traités conclus entre Smyrne et Magnésie, qu'ils eurent lieu précisément à l'époque où Séleucos était passé de nouveau dans la province de Séleucide. Ce fut ou bien au moment où Ptolémée était encore en Asie, plus avant du côté de l'Orient, ou après son retour : dans le premier cas, les nouvelles dispositions prises par Ptolémée au sujet des provinces asiatiques n'auraient été possibles qu'après une nouvelle défaite de Séleucos ; dans le second cas, Antiochos, à ce qu'il semble, posté en Cilicie, fermait le passage qui menait dans la Séleucide. Le problème est tranché par un texte qui nous apprend que Séleucos a fondé en 242 la ville de Callinicon sur la rive mésopotamienne de l'Euphrate[30]. Séleucos avait donc en 242 repris pied, pour ainsi dire, de l'autre côté du Taurus, et même sur l'autre rive de l'Euphrate, dans le voisinage de Thapsaque, cet important passage du fleuve ; sa deuxième expédition en Séleucide, que mentionne l'inscription de Smyrne, aura donc réussi ; le retour de Ptolémée et les nouvelles mesures qu'il a prises à l'égard de l'Asie ne peuvent avoir eu lieu plus tard qu'en 243, et elles ont été édictées probablement dès 244 ; c'est dans la troisième année de la guerre, et même dans la deuxième, qu'il aura achevé, comme nous l'avions supposé, l'expédition poussée jusqu'à Ecbatane, Persépolis et Suse[31].

Mais la Cilicie ne fermait-elle pas déjà alors à Séleucos le chemin de la Séleucide ? Si c'était le cas, si Séleucos tentait sa deuxième attaque après le démembrement de l'empire par le Lagide, il restait encore au jeune roi un autre chemin que les défilés de Cilicie. Sa sœur Stratonice était mariée au prince héritier de Cappadoce, avec qui son tendre père partageait le pouvoir, et peut-être était-ce pour la Cappadoce non pas seulement un intérêt de famille, mais un intérêt politique, qui lui commandait de favoriser le rétablissement de Séleucos. Le jeune roi sera donc parti de la Cappadoce pour passer dans la Séleucide. La fondation de Callinicon montre qu'en 242 ses possessions sur l'Euphrate s'étendaient déjà jusque-là et que Xanthippos était entièrement coupé de ses communications avec l'Égypte ; sans aucun doute, la Cyrrhestique, la Chalcidique, la Piérie, la Séleucide, s'étaient soulevées aussitôt en faveur du roi national ; Antioche se sera également révoltée contre les Lagides, et Orthosia tenait toujours.

Nous possédons sur les événements ultérieurs une relation où malheureusement le goût de la phraséologie vide de sens rend toute critique, tout examen impossible. Justin dit : Après le départ de Ptolémée, comme Séleucos équipait une grande flotte contre les villes qui avaient fait défection, une tempête soudaine anéantit cette flotte, comme si les dieux avaient voulu venger le meurtre d'Antiochos, et le roi ne put que sauver sa vie. Mais les villes changèrent de sentiment et se déclarèrent pour Séleucos ; il semble qu'elles aient été satisfaites par ce châtiment d'un roi en haine duquel elles s'étaient ralliées à l'Égypte. Séleucos, joyeux de son malheur, recommença la guerre contre Ptolémée ; mais, comme s'il devait être le jouet de la fortune, il fut vaincu dans une bataille et s'enfuit à Antioche, plus abandonné encore qu'après son naufrage. Il envoya des lettres à son frère Antiochos pour implorer son secours, lui offrant comme prix de son concours l'Asie-Mineure jusqu'au Taurus. Antiochos n'avait que quatorze ans, mais il était déjà plein du désir de régner : il accepta les offres de Séleucos, non par amour fraternel, mais par goût de rapine ; aussi reçut-il le surnom de Hiérax, c'est-à-dire épervier. Alors Ptolémée, qui ne voulait pas combattre les deux frères réunis, conclut avec Séleucos une paix de dix années[32].

Comment s'orienter dans ce fatras ? Car, pour le dire à l'avance, ce récit de Justin embrasse près de quatre années qui furent remplies par les plus violentes agitations. Ce qui est sûr et peut nous servir de base, c'est que, dans la 3e année de la CXXXIVe Olympiade, c'est-à-dire en 252/1, par conséquent ou dans la même année que la fondation de Callinicon, ou dans la première moitié de l'année suivante, Damas et Orthosia furent débloquées par Séleucos[33]. Il est naturel de penser que l'armistice de dix années, conséquemment aussi l'alliance des deux frères et la défaite de Séleucos qui en fut l'occasion, eurent lieu plus tard, c'est-à-dire après 251. Justin ne nous parle pas de cette délivrance importante des deux forteresses ; il aurait dû la citer après le naufrage et après le retour des villes qui avaient fait défection.

Mais quelles sont ces villes d'abord révoltées, puis compatissantes ? D'où venait la flotte ? Peut-être Smyrne avait-elle envoyé des vaisseaux, ainsi que les villes d'Ionie qui, en petit nombre, défendaient encore leur liberté contre les Égyptiens, Lemnos, par exemple, qui était dévouée à Séleucos[34] ; nous verrons que Rhodes combattit heureusement pour la même cause[35] ; mais, plus près encore, il y avait Laodicée sur la côte de Syrie et les autres villes maritimes de cette région qui se déclarèrent certainement pour Séleucos, dès qu'il fut arrivé. Arados reçut le privilège inestimable d'être un asile libre pour les réfugiés politiques, précisément parce qu'elle se déclara pour Séleucos II dans sa lutte contre Antiochos Hiérax[36].

Dans sa lutte contre- Antiochos ; c'est qu'en effet c'est contre lui qu'est dirigée la guerre pour laquelle Séleucos équipe la flotte. Essayons de suivre ici le cours de cette guerre entre les deux frères, autant que nous le permettent les rares documents dont nous disposons. Les villes de Cilicie sont celles qui se sont révoltées et qu'il faut reconquérir. Il y avait justement dans cette région un grand nombre de cités nouvellement fondées, et elles se rallièrent volontairement à Séleucos, sinon par pitié pour sa destinée, du moins par une juste intelligence de la situation politique[37]. Et Antiochos, à qui la Cilicie avait été abandonnée par Ptolémée ? Sans aucun doute, il s'était hâté de prendre pied dans l'intérieur de l'Asie-Mineure, dès que son frère s'était dirigé vers la Séleucide, afin de faire triompher les prétentions qu'il tenait de Ptolémée : lui et sa mère pouvaient compter en ce pays sur des amis nombreux, et nous savons que le frère de Laodice, Alexandre, qui commandait à Sardes, soutint Antiochos de tout son pouvoir[38]. Si Sardes, et par suite la maîtresse place de l'Asie antérieure passait ainsi à Antiochos, son frère aîné pouvait, malgré les succès qu'il avait remportés au delà du Taurus, désespérer de se maintenir pour le moment en deçà de la chaîne ; il était plus important d'assurer le plus possible du côté de la terre la Cilicie, qu'il avait déjà reprise. C'est ici que se place une information d'après laquelle Séleucos aurait marié sa seconde sœur (l'autre avait déjà épousé le corégent de Cappadoce) à Mithradate de Pont, en lui donnant en dot la Grande-Phrygie[39]. Séleucos devait avant tout s'efforcer de profiter des heureux succès qu'il avait obtenus en Syrie pour rétablir sa puissance au delà de l'Euphrate. Nous ne pouvons plus, il est vrai, reconnaître les motifs qui déterminèrent le roi d'Égypte à ne rien faire, à ne rien empêcher, et à laisser Xanthippos succomber tout à fait. Mais tous ces événements sont attestés par le soi-disant prophète Daniel, qui, écrivant près de soixante-dix ans plus tard, a certainement reproduit avec exactitude les faits accomplis alors. Après avoir dit que Ptolémée était revenu de son expédition de Syrie, il ajoute : et pendant des années, il reste éloigné du roi du Nord[40].

Si Séleucos n'avait rien de sérieux à craindre de l'Égypte, s'il se sentait affermi par la possession des contrées qu'il venait de reconquérir depuis le Taurus jusqu'au delà du Tigre, il pouvait entreprendre une autre tâche, celle de reprendre à son frère les pays de l'Asie-Mineure que celui-ci lui avait enlevés ; il était sûr d'ailleurs de la sympathie des villes de l'Asie. Antiochos enrôla des mercenaires gaulois, mais il perdit en Lydie une première, puis une seconde bataille contre son frère. Il ne garda que Sardes ; le reste du pays, y compris la plus grande partie des villes du littoral, échut au vainqueur ; Éphèse conserva sa garnison égyptienne[41]. On peut croire que Mithradate de Pont commença à craindre pour la dot de sa femme ; il pouvait espérer maintenant, en soutenant Antiochos qui n'avait presque plus de ressources, obtenir plus sûrement de lui la possession d'un pays qu'il avait dû lui arracher, à lui et aux Galates. Il prit donc les armes ; la principale partie de son armée se composait de Galates. Séleucos le rencontra à Ancyre et en vint aux mains avec lui. Ce dut être une terrible bataille : 20.000 hommes, dit-on, tombèrent du côté de Séleucos ; on crut même qu'il était mort : sa fidèle Mysta tomba entre les mains des Barbares ; elle n'eut que le temps de se dépouiller de sa parure, et fut vendue comme esclave avec les autres captives. A Rhodes, où elle fut vendue, elle fit connaître sa condition, et on l'envoya à Antioche avec toute sorte d'honneurs[42]. Le jeune Antiochos Hiérax avait lui-même pris le deuil à la nouvelle de la mort de son frère et s'était renfermé dans son palais pour le pleurer : mais bientôt il apprit que Séleucos était sauvé, qu'il était arrivé heureusement en Cilicie[43] et qu'il levait une nouvelle armée : il offrit aux dieux des sacrifices pour leur témoigner sa reconnaissance et ordonna aux villes de célébrer par des fêtes joyeuses le salut de son frère[44]. C'étaient les Galates qui avaient gagné cette grande bataille. On dit, et la chose est parfaitement croyable, qu'ils se tournèrent dès lors contre Antiochos ; ils trouvaient leur avantage à détruire l'ordre qui avait été si péniblement établi en Asie ; dès qu'il n'y avait pas de prince puissant, ils pouvaient continuer impunément leurs anciens brigandages. Ils commencèrent donc à ravager de nouveau la contrée, et Antiochos ne put se défendre contre eux qu'en leur payant tribut[45].

Après un tel résultat, Séleucos dut évidemment abandonner l'Asie-Mineure. On lit dans le prophète Daniel : L'Égypte s'éloignera pendant des années du roi du Nord ; celui-ci marche contre l'empire du roi du Sud, mais il revient dans son pays. Après la perte de l'Asie-Mineure, Séleucos, à ce qu'il semble, se tourna le plus tôt possible vers le sud, peut-être pour se servir de Damas et d'Orthosia dans une invasion qu'il méditait contre l'empire des Lagides. Je n'ose pas placer ici le refus de tribut que fit le grand-prêtre Onias[46] ; mais cette défaite décisive, à la suite de laquelle Séleucos s'enfuit de nouveau à Antioche, plus abandonné qu'après le naufrage de sa flotte, fait évidemment partie des événements de cette guerre. Le moment était venu où il devait nouer des négociations avec son frère ; s'il ne parvenait pas à le gagner maintenant, tout ce qu'il avait conquis avec tant de peine était perdu sans retour. Il lui céda toute l'Asie-Mineure jusqu'au Taurus. De son côté, Antiochos n'avait pas moins de motifs de désirer une réconciliation qui pouvait seule lui assurer un règne tranquille : le roi de Pergame avait déjà commencé à l'attaquer avec des forces toutes fraîches qui lui avaient valu des succès considérables ; Antiochos, épuisé par une longue guerre, par la solde et le tribut qu'il payait aux Galates, ne pouvait tenir longtemps la campagne contre le roi de Pergame qui possédait de riches trésors : il était donc disposé à la paix[47]. Cette réconciliation des deux frères, dont la querelle avait déterminé dans les premières années la politique de la péninsule, eut naturellement pour conséquence un apaisement plus ou moins marqué dans les villes et les royaumes d'Asie-Mineure. On ne peut plus reconnaître quelles en furent les conditions particulières[48] ; on ne voit clairement qu'un seul fait, c'est que les Galates continuent avec autant de violence que jamais les incursions et les pillages qu'ils avaient recommencés depuis la guerre des deux frères.

La fin de cette guerre ne laissa pas l'Égypte indifférente. La politique de la dynastie avait eu longtemps pour but la destruction de la puissance des Séleucides ; nous verrons qu'en d'autres endroits des révoltes éclatèrent contre la domination égyptienne ; depuis que Séleucos avait entrepris avec une heureuse énergie de rétablir l'empire de Syrie, l'Égypte ne pouvait espérer de mettre obstacle à cette puissance régénérée qu'en opposant, comme auparavant, le cadet à l'aîné. Mais cette politique ne pouvait ni être populaire, ni assurer la possibilité de combinaisons durables, puisqu'elle était fondée sur un antagonisme contre nature entre les intérêts de deux frères. Il ne restait donc au roi d'Égypte, après la réconciliation des deux frères, qu'à conclure pour dix ans la paix dont nous avons parlé et dans laquelle il dut naturellement se réserver la possession des places et provinces séleucides qui étaient encore en son pouvoir, la Pamphylie, la Lycie, les pays de Thrace, peut-être l'Hellespont et une partie des villes ioniennes[49]. La Carie, à ce qu'il semble, resta également à l'Égypte, mais Stratonicée échut aux Rhodiens pour des motifs que nous apprécierons ultérieurement ; avant tout, Séleucie à l'embouchure de l'Oronte restait au Lagide, comme un signe de sa supériorité sur les Séleucides[50].

Au moins, le royaume de Syrie proprement dit gagnait à cette paix, qui dut être conclue vers 239[51], du repos pour quelque temps, et l'infatigable Séleucos put entreprendre une expédition dans l'Est, sinon pour rendre au royaume toute son étendue, du moins pour reconquérir les contrées les plus proches et les plus importantes de l'Iran.

Qui peut envisager sans sympathie ces deux frères et leur destinée ? Une fatale politique les a jetés, l'un à peine adolescent, l'autre encore enfant, dans les bras d'un parti qui commet les crimes les plus atroces le meurtre qui doit leur conserver le trône détruit toutes leurs espérances ; à peine l'aîné, luttant contre la fortune, lui a-t-il arraché ses premiers succès que son frère devient son ennemi, sa mère se ligue avec son frère, et cette mère voit son père s'armer contre elle, son frère combattre un autre de ses frères : on dirait que les sanglantes représailles de cette reine vindicative ont mis la famille royale en délire. Et pourtant, le jeune Antiochos prend le deuil du frère qu'il a vaincu et qu'il croit mort. Mais la mauvaise fortune ne cesse de les poursuivre l'un et l'autre ; on dirait que la constitution de cet empire qu'ont fondé leurs aïeux en dépit de la nature trouve son expression dans cette querelle toujours renaissante. Du moins. ils conservent, dans ces luttes continuelles que sait leur créer la perfidie de la politique égyptienne, la noblesse de leur caractère ; ils cherchent à agir aussi honorablement que possible dans les fausses situations où les a jetés leur destin ; ce sont des natures douées de force et pour ainsi dire d'élasticité, pleine de l'infatigable et virile énergie qui distinguait leurs ancêtres. Et c'est ainsi qu'ils apparaissent — si l'on nous permet, à défaut de textes, de nous servir au moins de ces témoignages — sur les monnaies qui nous ont transmis leur image : leur visage est noble et grave ; celui du cadet, plus hardi, celui de l'aîné, plus réfléchi ; mais tous deux ont un trait commun qui les rapproche et montre qu'ils sont frères : la générosité de la jeunesse.

Tout autre est le portrait de Ptolémée Évergète : il a le front développé et méditatif des Lagides, les sourcils relevés ; mais dans les traits de ce visage plein et charnu s'exprime un certain effort ; on croit y reconnaître une énergie qui peut mollir. On a conservé une anecdote qui semble caractériser ce Ptolémée : il jouait aux dés et se faisait lire la liste des criminels qu'il devait condamner à la peine capitale ; mais Bérénice, sa femme, entra, prit la liste des mains du lecteur et ne souffrit pas que le roi prononçât d'autres arrêts. Ptolémée s'estima heureux de l'opposition sensée de Bérénice, et depuis il ne prononça plus de condamnation à mort en jouant aux dés[52]. Il se montra des plus gracieux pour l'astronome Conon, quand celui-ci vint annoncer que la chevelure de la jeune reine, qui avait été consacrée dans le temple d'Arsinoé au Zéphyrion en reconnaissance des grandes victoires d'Asie et qui avait disparu ensuite, avait été transportée parmi les étoiles. Il est vrai qu'en même temps il accordait une pension de 12 talents à Panarétos, non parce qu'il avait été le disciple du philosophe Arcésilas, mais parce qu'il avait la taille d'un nain parfait[53].

Mais laissons de côté ces notices personnelles, d'ailleurs fort sommaires, qui avaient autrefois, il est vrai, une plus grande influence sur le cours des événements, lorsque les monarchies dépendaient exclusivement de la volonté et du caractère de ceux qui détenaient le pouvoir. Rappelons-nous qu'à la même époque un nouvel esprit de liberté commençait à se développer en Grèce, et même à y prendre une forme. Les villes d'Ionie, elles aussi, avaient reconquis une autonomie qui leur avait longtemps manqué ; la conquête égyptienne en interrompit de nouveau la tradition chez la plupart d'entre elles. Mais le besoin de liberté et de légalité constituée sur de nouvelles bases, ce qu'on appellerait aujourd'hui le libéralisme, s'était éveillé ; il grandissait avec la culture des esprits, et il ne cessait, enseigné et célébré dans la mère-patrie, de pénétrer dans les villes grecques les plus lointaines. Ainsi à Cyrène. Un renseignement succinct nous met une fois de plus sur la trace de grands événements. On rapporte qu'Ecdémos et Démophane, ces nobles citoyens de Mégalopolis, ces amis d'Arcésilas, délivrèrent leur patrie et contribuèrent à la liberté de Sicyone ; qu'ils furent appelés par les Cyrénéens, dont la ville était déchirée par des troubles intérieurs, et qu'ils réglèrent la constitution de la ville, la gouvernèrent habilement et défendirent sa liberté[54]. Vers 237, ils étaient rentrés dans leur patrie arcadienne. Mais la Pentapole précisément n'était-elle pas l'héritage.de Bérénice ? Le mariage de cette princesse n'avait-il pas rendu Cyrène en 217 au royaume d'Égypte ? D'où venaient donc ces dissensions intestines, et pourquoi cette liberté ? Si Ptolémée, vers 211 ou 213, revint en toute hâte d'Asie en Égypte pour étouffer une révolte qui avait éclaté dans ses propres États, alors qu'il n'y avait en Égypte ni prétexte ni occasion de s'insurger contre le gouvernement établi des Lagides, il n'y a guère que Cyrène qui ait pu se soulever et alarmer Ptolémée. Les Grecs de la Cyrénaïque, riches, audacieux, maîtres de grandes ressources, fiers de l'originalité bien caractérisée de leurs mœurs et de leur culture, n'avaient pas consenti si facilement à dépendre encore de l'Égypte ; peu d'années auparavant, ils avaient combattu contre elle de concert avec le Macédonien Démétrios, et, s'il y avait à la cour d'Alexandrie quelques-uns de ces hommes distingués dont la Pentapole avait produit un si grand nombre, néanmoins les villes de la région entretenaient des relations avec Athènes et s'imprégnaient des tendances élevées qu'y avait répandues la philosophie. C'est là que vivait leur compatriote Lacyde, ami, comme les Mégalopolitains Ecdémos et Démophane, d'Arcésilas, dont il devint le successeur à l'Académie. C'est dans ce cercle de relations qu'il faut s'imaginer la révolte de Cyrène. Il semble hors de doute que les autres villes de la Pentapole s'y associèrent ; seule, la foule énorme de Juifs qui était venue se fixer depuis le premier Lagide dans ces contrées et y jouissait de l'égalité des droits[55] put rester attachée à la cause de la royauté. Les motifs de discordes intérieures ne manquaient pas. Une des épigrammes de Callimaque représente un guerrier qui consacre à Sarapis son arc et son carquois : mais, dit le poète, ce sont les Hespérites qui ont les flèches[56] ; or la ville des Hespérites sur le bord de la Syrie porta depuis lors le nom de Bérénice[57]. Cyrène semble donc, à en juger par tout ce qu'y firent les deux citoyens de Mégalopolis, avoir tenu tête au Lagide.

L'époque de Démétrios de Macédoine avait montré à quel point il était important pour l'Égypte d'avoir sous sa domination la Cyrénaïque. Lorsque Ptolémée Évergète courut ramener à l'obéissance le pays soulevé, la situation était-elle si dangereuse qu'il dût redouter de voir l'influence ennemie, surtout celle des Macédoniens, s'établir dans cette contrée, et faisait-il d'autant plus de diligence pour assurer les prétentions de l'Égypte ? L'analogie des luttes antérieures entre la Syrie et l'Égypte nous fait supposer qu'Antigone, déjà vieux, ne vit pas avec indifférence le cours que prenaient les événements en Orient. La destruction, momentanément complète, de la puissance des Séleucides devait d'autant plus l'alarmer que les Égyptiens occupaient aussi la côte de Thrace ; comment pouvait-il demeurer tranquille alors que les Lagides, dont la prépondérance était déjà si menaçante, s'établissaient tout près de la frontière macédonienne ? La Macédoine ne devait-elle pas chercher à empêcher par tous les moyens cet établissement des Égyptiens ? Aussi peut-on croire que l'occupation de la Thrace n'eut lieu que lorsque la résistance tentée par la Macédoine eut été vaincue[58].

Il faut peut-être insérer ici un renseignement absolument isolé et dont le sens incertain ne permet pas de savoir autre chose, sinon qu'il y est question d'une bataille navale qui fut décisive et se livra près d'Andros[59]. Dès l'année 244, nous verrons Antigone engagé de nouveau dans les affaires de Grèce, et l'on devine à son attitude que sa puissance a dû subir un grave échec. Cependant, depuis vingt ans, depuis la victoire de Cos, la flotte macédonienne était l'égale de la flotte égyptienne, au moins dans la mer Égée ; la défaite d'Andros dut lui porter un coup terrible, en même temps qu'elle donnait à l'Égypte la domination de la mer Égée et rendait possible cette occupation de la Thrace et de l'Hellespont dont parle l'inscription d'Adule. D'ailleurs, pour que la Macédoine ne pût employer tous ses efforts à rétablir sa puissance navale et à continuer sa lutte avec l'Égypte, le cabinet d'Alexandrie lui créait en Grèce de telles complications que bientôt Antigone se vit attaqué au point le plus vulnérable de sa puissance ; je rappelle ici par anticipation que Corinthe, la clef du Péloponnèse, fut prise en 243 par les Achéens.

A la même époque où Ptolémée Évergète avait détruit l'empire des Séleucides et pouvait disposer à sa guise de l'Asie, il avait donc en même temps abattu la rivalité de la Macédoine ; et quoique l'Égypte montrât, par les mesures qu'elle prenait en Asie, qu'elle n'avait nullement l'intention d'établir une monarchie universelle, elle avait néanmoins conquis une suprématie qui, après la ruine d'une des deux grandes puissances et l'affaiblissement de l'autre, semblait devoir dominer entièrement la politique hellénique. Il est vrai, les petits États de l'Asie et de l'Europe avaient gagné diversement à ces défaites des grandes puissances, dont le voisinage les avait jusque-là contenus ou gênés, et l'avantage momentané qu'ils avaient acquis pouvait dissimuler provisoirement le danger que faisait courir à tous la suprématie écrasante de l'Égypte. Mais, s'il y avait des États menacés de perdre une indépendance politique fondée jusqu'alors sur la rivalité des grandes puissances, ne devaient-ils pas se soulever de toute leur énergie contre la prépondérance égyptienne et mettre tout en œuvre pour ne pas laisser la Macédoine succomber et pour aider Séleucos dans les tentatives qu'il faisait alors pour relever son empire ? Et il y avait beaucoup de ces petits États : nous avons déjà vu que Smyrne, quoique entourée de grands et nombreux dangers, selon les propres termes d'un décret rendu par cette ville, était fidèle à la cause de Séleucos, de même qu'Héraclée du Pont et Byzance ; les îles libres de Chios et de Lesbos avaient pareillement toute sorte de motifs pour se déclarer en faveur de Séleucos ; même l'ancienne clérouchie attique de Lemnos a dû ne pas se contenter d'honorer Séleucos en rendant hommage à ses ancêtres. Mais la ville qui se mêla de la façon la plus active aux événements fut Rhodes. Son commerce incroyablement riche dépendait absolument de la liberté de l'île et de la neutralité qu'elle avait constamment observée ; si l'Égypte faisait prévaloir sa suprématie exclusive dans les eaux de l'Orient, Rhodes ne pourrait plus à la longue conserver son importance commerciale. Le tact politique qui distingue plus tard comme auparavant cet État si bien équilibré nous autorise à supposer a priori que non seulement Rhodes fit ce qu'exigeaient les circonstances, mais qu'elle chercha à rallier aux mesures prises dans l'intérêt général les cités dont la situation était semblable à la sienne.

Sans doute, il n'y a à peu près rien de tout cela dans les débris de la tradition historique. Nous ne savons pas comment et dans quelle mesure tous ces États se soulevèrent en faveur de Séleucos, et s'ils prirent part à cet armement naval que détruisit la tempête. Une seule indication égarée, qui s'applique d'une façon surprenante à la situation telle que nous l'avons retracée par voie de conjecture, confirme la justesse des suppositions que nous avons osé faire. On rapporte que les Rhodiens, dans la guerre contre Ptolémée, étaient dans le voisinage d'Éphèse ; l'amiral du roi, Chrémonide, sortit à leur rencontre en ordre de bataille, mais le Rhodien Agathostrate, dès qu'il vit l'ennemi, fit rentrer ses vaisseaux, puis les ramena de nouveau en pleine mer. L'ennemi crut qu'il refusait la bataille et revint dans le port en chantant le péan de victoire ; mais, lorsque les Égyptiens eurent débarqué et se furent dispersés, le Rhodien arriva, surprit les vaisseaux et remporta une victoire complète[60]. C'est ce même Chrémonide qui, vingt ans plus tôt, avait été à la tête du mémorable soulèvement d'Athènes et qui, après la chute de sa patrie, s'était enfui à Alexandrie. Quand Télès[61], dans son livre sur l'Exil, écrit peu d'années après cette guerre de Rhodes, veut prouver que la perte de la patrie est souvent le début d'une plus brillante fortune, il cite comme preuve Glaucos et Chrémonide : Ne sont-ils pas les conseillers et l'appui du roi Ptolémée ? Et dernièrement Chrémonide n'a-t-il pas été envoyé avec une grande escadre et une somme d'argent considérable, dont il pouvait faire l'emploi qu'il jugerait à propos ? Télès ne dit pas que Chrémonide essuya cette défaite à Éphèse, mais il ne dit pas non plus qu'il remporta la victoire d'Andros, et pourtant il aurait dû en faire mention expresse à l'appui de sa thèse ; on voit cependant que de grandes sommes d'argent avaient été données à Chrémonide et qu'il en avait le libre emploi, sans doute pour faciliter l'occupation des pays où il devait mettre garnison, et ce fut peut-être lui qui eut mission de prendre possession de la côte de Thrace, lorsque la puissance navale de la Macédoine, détruite à la bataille d'Andros, n'offrit plus d'obstacle à la flotte égyptienne victorieuse.

Quels qu'aient été les incidents de la guerre maritime où les Rhodiens remportèrent cet avantage, elle dut avoir lieu en même temps que le soulèvement de Cyrène et que les progrès rapides faits par Séleucos en Syrie. Le roi Ptolémée dut se convaincre qu'il ne pouvait garder cette suprématie exclusive qu'il pensait un moment avoir conquise ; et d'ailleurs la réconciliation des deux frères Séleucides venait de cimenter une opposition à laquelle l'Égypte pouvait ne pas se croire en état de tenir tête. On ne sait si Rhodes joua, comme elle le fit souvent plus tard, le rôle de médiatrice ; mais les services que cet État avait rendus aux Séleucides étaient assez grands pour qu'il obtint en récompense la cession de Stratonicée en Carie[62]. Les possessions continentales de la république de Rhodes embrassèrent donc la côte depuis Caunos jusqu'au golfe Céramique ; les deux villes de Caunos et de Stratonicée seules payaient un impôt annuel de 120 talents. Grâce à cet agrandissement extérieur, grâce surtout à l'importance politique que lui avait donnée son intervention dans la guerre, Rhodes dut acquérir une influence qui s'étendit au delà du cercle immédiat de ses propres relations et qui lui assura une place dans le système général des États hellénistiques.

Comme Rhodes, le petit État de Pergame, qui s'était élevé par la politique prévoyante de ses princes non moins que par les trésors considérables qu'ils possédaient, avait commencé à se mêler à la politique générale. Eumène, et après lui, dès 244, le fils de son frère, Attale[63], se tournèrent après la bataille d'Ancyre surtout contre Antiochos ; ils prirent ainsi décidément parti contre l'Égypte et jetèrent alors les bases d'une situation politique qui accrut avec une extrême rapidité l'importance de leur rôle ; en peu d'années, Attale trouva l'occasion de conquérir le diadème qui faisait l'objet de toute son ambition[64].

Rhodes et Pergame n'étaient pas les seuls petits États qui profitèrent des luttes difficiles des grandes puissances pour devenir indépendants et accroître leur territoire ; on s'en apercevra à l'attitude que vont prendre très prochainement un certain nombre d'entre eux. D'ailleurs, on peut observer cette même évolution sur plusieurs points du pays hellénique, et les événements qui se sont passés dans cette région jettent quelque lumière sur la suite des faits qui se produisaient simultanément en Orient.

Ce fut surtout la Ligue achéenne qui, pendant les complications politiques de la grande guerre, commença à grandir. L'accession de Sicyone et l'alliance d'Aratos avec l'Égypte avaient marqué aux Achéens le rôle qu'ils devaient jouer ; ce fut Aratos qui tourna vers l'extérieur l'activité de la Ligue, non sans trouver quelque résistance peut-être chez les confédérés, qui n'avaient songé jusque-là qu'à leur repos intérieur et à leur indépendance. Il était devenu, même avant qu'on lui eût confié la première stratégie, l'âme de la confédération ; on le voit par les efforts que fit Antigone pour le gagner ou du moins pour troubler ses relations avec l'Égypte. Durant un séjour qu'il fit à Corinthe et où il offrit des sacrifices aux dieux, Antigone envoya à Aratos des présents solennels et s'exprima durant le repas en termes si élogieux sur le jeune héros de Sicyone que la cour d'Alexandrie, qui sut ces propos du roi, fit demander en toute hâte à Sicyone des informations[65]. Aratos n'avait pas encore atteint l'âge légal de trente ans pour prendre part aux délibérations ; il fut néanmoins, dans l'assemblée tenue au printemps de 245, élu stratège : c'était une preuve qu'il y avait dans la situation quelque chose qui exigeait qu'Aratos fût revêtu de la suprême dignité pour l'année suivante. On peut croire que la politique égyptienne, à laquelle s'était rallié Aratos, eut sur cette élection une influence décisive. La première année de la grande guerre syrienne était écoulée ; Séleucos avait été repoussé de la région située au delà du Taurus ; sans aucun doute, la Macédoine s'empressait de prendre part à la lutte en faveur dès Séleucides ; l'Égypte devait exciter en Grèce des troubles aussi sérieux que possible.

Avant tout, il importait de posséder Corinthe. Déjà Aratos songeait à une attaque lorsque Alexandre de Corinthe trahit de nouveau la cause de son oncle et s'allia à la confédération[66]. Si l'on admet que la bataille navale d'Andros eut lieu dans cette même année 245, elle coupait aux Macédoniens leurs communications par mer avec les points qui leur étaient encore dévoués à l'est du Péloponnèse. Et déjà la Ligue se propageait an dehors. Les Béotiens avaient été attaqués en pleine paix par les Étoliens, qui venaient piller leur territoire[67] ; l'occasion parut très favorable aux Achéens pour tirer vengeance des incursions précédentes des Étoliens et pour prendre pied en même temps au delà de l'isthme. La Ligue fit alliance avec les Béotiens. Aratos courut au delà du golfe ravager les campagnes de Calydon et d'Amphissa, puis, avec 10.000 hommes, il vint se joindre aux Béotiens ; mais ceux-ci n'avaient pas attendu son arrivée ; ils s'étaient fait battre complètement à Chéronée. Leur général Amæocritos et mille d'entre eux étaient restés sur le champ de bataille ; leur puissance était complètement brisée : ils durent entrer dans la confédération de leurs vainqueurs[68].

Ainsi le premier plan d'invasion hardie conçu par Aratos avait échoué ; son attaque même avait rapproché et uni les Macédoniens et les Étoliens jusque-là opposés les uns aux autres. Ce fut pour Antigone un soulagement considérable ; il avait d'autant plus besoin des Étoliens que l'Égypte avait remporté en Asie de grandes victoires et menaçait d'occuper la Thrace : d'ailleurs, quoique les Achéens fussent pour le moment tenus à l'écart de la Béotie, ils gardaient une attitude extrêmement menaçante pour lui tant qu'ils auraient pour allié Alexandre de Corinthe. Les principes que représentait la Ligue avaient incontestablement la plus grande popularité, et leur influence devait causer les plus vives alarmes à la (politique macédonienne en un moment où les Lagides avaient déjà remporté à la guerre des avantages si marqués. Antigone devait donc, à tout prix, s'emparer de Corinthe ; c'était le seul moyen de sauver encore dans le Péloponnèse un reste de l'influence macédonienne et d'arrêter au delà de l'isthme les progrès des Achéens, et par suite de l'Égypte.

Alexandre venait justement de mourir, empoisonné par Antigone, à ce que l'on dit, ajoute le biographe d'Aratos, qui s'est surtout servi des Mémoires de ce dernier. Sa veuve Nicæa devint maîtresse de la ville ; elle résidait dans la citadelle, qui était soigneusement gardée. D'après le récit singulier que nous possédons[69], on ne peut guère admettre que les faits suivants : des négociations avaient été nouées avec Nicæa en vue d'un prochain mariage avec l'héritier du trône de Macédoine — on devait d'autant plus songer à cette alliance que Démétrios n'avait pas eu d'enfants de son épouse syrienne, ou du moins qu'elle ne lui avait donné qu'une fille[70] — et la première condition du mariage était naturellement l'occupation de Corinthe par une garnison macédonienne. En réalité, Antigone reconquit l'Acrocorinthe sans qu'il y eût là une trahison inouïe. Son neveu Alexandre l'avait lui-même trahi deux fois ; comment aurait-il concédé à la veuve d'Alexandre un droit de possession qui pouvait évidemment donner l'occasion au Lagide de prendre pied dans l'endroit le plus important du Péloponnèse, en même temps qu'il pesait déjà de toute son influence sur l'Achaïe et, comme nous le verrons, sur la Laconie ?

La prise de Corinthe donna à l'influence macédonienne un nouveau point d'appui dans le Péloponnèse, et affermit du même coup la tyrannie à Argos, à Phlionte, à Hermione, etc. C'est précisément à cette même époque que Lydiade, à ce qu'il semble, usurpa l'autorité suprême à Mégalopolis. C'était un jeune homme aux sentiments élevés, avide de renommée, entièrement convaincu que le temps était venu d'établir le pouvoir d'un seul et qu'il n'y avait pas de plus noble tache[71]. Antigone s'était peut-être entretenu avec lui. Il comprenait la mission de la tyrannie comme Lydiade ; elle ne devait pas être une domination sanguinaire et fondée sur la violence ; ce devait être une garantie de l'ordre, affermie par une solide concentration des pouvoirs, et qui paraissait d'autant plus nécessaire au roi de Macédoine que cet appel à la liberté démocratique, partant, à ce qu'il semblait, d'un petit nombre de rêveurs ou d'égoïstes, n'avait fait jusqu'alors que provoquer dans l'intérieur des villes le trouble et le désordre, et les oscillations les plus dangereuses en fait de politique extérieure. Les maximes d'Antigone, quoi qu'on en ait dit, étaient si peu celles d'un despote capricieux, qu'elles trouvaient leur point d'appui dans ce mouvement intellectuel qui entraînait cette génération, aussi bien que les efforts du parti contraire : l'école stoïcienne avait développé les idées qu'Antigone, et vingt ans plus tard le noble Cléomène à Sparte, devaient tenter de réaliser dans l'ordre politique. N'est-ce pas un fait significatif que le roi ait confié le commandement de l'Acrocorinthe à Persæos, l'ami de Zénon, un stoïcien des plus austères[72] ?

Au printemps de 243, Aratos fut, pour la deuxième fois, élu stratège de la Ligue. L'influence macédonienne, énergiquement rétablie dans le Péloponnèse, devait inquiéter la confédération ; on avait à craindre les Étoliens, qui chercheraient à se venger de l'invasion de Calydon et d'Amphissa et qui venaient de pénétrer jusqu'aux frontières de la confédération : on était menacé des dangers les plus terribles, si l'isthme restait au pouvoir de l'adversaire.

Aratos tourna donc tous ses efforts vers la délivrance de Corinthe. Le hasard lui offrit une occasion favorable. Il y avait à Corinthe quatre frères originaires de Syrie, dont l'un, Diodès, faisait partie comme mercenaire de la garnison. Les trois autres avaient volé le trésor royal et étaient venus à Sicyone troquer leur larcin. L'un d'eux, Erginos, y resta et raconta une fois au changeur, qu'Aratos connaissait, qu'il existait un chemin secret menant à un endroit de la forteresse où la muraille était basse. Aratos en fut aussitôt instruit dans le plus grand secret ; il promit 60 talents au Syrien et à ses frères s'il réussissait à entrer dans la forteresse, et, comme Erginos exigeait que l'argent fût déposé à l'avance chez le changeur, le stratège, qui ne voulait pas exciter les soupçons en faisant un emprunt, donna comme gage sa propre vaisselle avec les bijoux de sa femme. Erginos revint donc à Corinthe pour concerter avec Dioclès les mesures nécessaires. Tout était convenu et préparé : Aratos avait choisi 400 Achéens qui tenteraient avec lui l'attaque pendant la nuit ; quelques-uns d'entre eux seulement savaient le but de l'entreprise ; les autres avaient reçu l'ordre de rester toute la nuit sous les armes. Il partit donc et se dirigea vers l'ouest de la ville. On était au milieu de l'été ; la lune brillait au ciel ; le brouillard qui s'élevait de la mer dérobait aux sentinelles l'approche de la troupe. Erginos était à l'endroit convenu ; il s'avança vers la porte avec sept Achéens déguisés en voyageurs ; les sentinelles furent massacrées, le corps de garde emporté ; dans le même temps, Aratos escaladait le mur au point qui lui avait été désigné ; suivi d'Erginos et de cent Achéens, il montait vers l'acropole ; les autres devaient entrer par la porte et le suivre aussi rapidement que possible. Aratos poursuivait sa marche dans le plus grand silence, mais une ronde de nuit passa avec des torches ; on la laissa approcher, puis on se jeta sur elle ; elle était composée de quatre hommes ; l'un d'eux, blessé à la tête, parvint à s'enfuir et cria : les ennemis ! les ennemis !. En très peu de temps, la trompette d'alarme retentit en bas dans la ville et en haut dans la forteresse ; ici et là, c'étaient des torches, des appels des sentinelles, un bruit toujours grandissant. Aratos, qui gravissait le sentier escarpé et tortueux, n'avait pas encore atteint la citadelle ; les trois cents hommes d'arrière-garde avaient bien franchi la porte, mais, au milieu de ces rues étroites, de ces sentiers aux détours capricieux, ils ne purent se trouver à temps au haut de l'acropole ; ils se cachèrent dans l'ombre d'un rocher qui surplombait et formait saillie. Déjà Archélaos arrivait de la ville basse avec les troupes royales pour fondre sur les derrières de la petite troupe d'Aratos. Mais celui-ci avait enfin atteint la citadelle et commençait l'attaque en poussant de grands cris, et, comme Archélaos passait devant le rocher où s'était caché le reste de la troupe, il fut soudainement assailli ; ceux qui marchaient en avant furent tués, les autres poursuivis et dispersés. Les trois cents venaient de se rallier quand arriva Erginos, envoyé par Aratos ; il devait les conduire au plus vite au haut de l'acropole ; ils le suivirent en jetant des cris d'allégresse que répétait l'écho de la montagne et auxquels répondaient les cris des combattants. La garnison de la forteresse crut voir devant elle des forces imposantes auxquelles il était impossible de résister ; elle ne résista plus que pour la forme : aux premiers rayons du soleil, la citadelle était conquise. Cependant l'armée de Sicyone était arrivée ; les bourgeois lui avaient ouvert les portes : les troupes royales étaient prisonnières. Alors la foule se porta vers le théâtre, pour voir son libérateur et savoir ce qu'on allait faire. Aratos vint, accompagné de ses Achéens ; il s'avança sur le devant de la scène, tout armé comme il était encore ; il fut accueilli avec une joie infinie, mais lui, pâle, épuisé, appuyé sur sa pique, restait là comme affaissé ; enfin, lorsque les applaudissements et les cris de joie eurent cessé, il rassembla toutes ses forces et commença à parler. Quelle douceur devait avoir le mot de liberté pour ces Corinthiens qui depuis un siècle n'étaient plus libres ! Aratos rendit au peuple les clefs de la forteresse, qui depuis le temps de Philippe et d'Alexandre avaient appartenu à un maître étranger ; il se borna à exprimer le vœu que les citoyens de Corinthe, eux aussi, voulussent bien devenir Achéens. C'est ainsi que Corinthe entra dans la confédération.

Après la ville, le port du Lécha on fut pris immédiatement ; vingt-cinq vaisseaux du roi qui s'y trouvaient allèrent grossir la flotte de la Ligue ; les quatre cents mercenaires syriens, faits prisonniers, furent vendus comme esclaves. Persæos s'était enfui de l'acropole à Cenchrées ; Archélaos fut relâché sans rançon ; un autre chef, qui ne voulait pas abandonner son poste, fut pris et exécuté. Une garnison achéenne occupa dès lors l'Acrocorinthe[73].

La délivrance de Corinthe dut produire sur le n'ornent une impression indescriptible. Quelle importance la Ligue acquérait par là ! La clef du Péloponnèse était maintenant dans les mains des libres confédérés ; les Étoliens voyaient le chemin de la péninsule fermé à leurs incursions ; la cause de la liberté et du régime démocratique faisait les plus brillants progrès. Mégare se détacha aussitôt d'Antigone et se rallia à la Ligue ; de même Trœzène, de même Épidaure. Déjà on tentait une surprise sur Salamine, qui n'appartenait plus à l'Attique, et une expédition contre l'Attique même : les prisonniers athéniens furent relâchés sans rançon ; on espérait que l'amour de la liberté se réveillerait à Athènes, de même qu'à Argos, qu'on essayait alors de surprendre[74]. On se croyait pleinement autorisé à combattre les tyrans et la domination étrangère en Grèce par tous les moyens, y compris la ruse et la violence. Cet enthousiasme de la Ligue pour sa mission, si elle le ressentait réellement, devait la rendre irrésistible.

N'est-il pas singulier de la voir dirigée par Aratos ? Celui-là n'était pas sorti cependant du mouvement qui avait saisi tous les esprits en Grèce : il s'était formé à la palestre ; il avait vécu dans une riche maison qui comptait des rois parmi ses hôtes ; sa haine des tyrans venait, non pas de l'enthousiasme pour la liberté, mais des douloureux souvenirs de sa jeunesse traquée, de la 'position influente qu'il aurait dû avoir dans sa patrie et qui lui avait été enlevée, de la situation singulière que lui avaient faite des circonstances inattendues ; il n'avait pas foi dans les grandes pensées qui transportaient les cœurs ; il ne comptait que sur l'habileté avec laquelle il saurait se servir des événements politiques, sur les petits moyens et les chemins secrets que la foule ne comprend pas, mais où elle suit aveuglément le chef qui possède sa confiance. Nous ne voyons nulle part qu'il soit resté en relations avec ces nobles citoyens de Mégalopolis qui l'avaient aidé à délivrer Sicyone, mais il avait recherché l'amitié du roi d'Égypte. Il gardait les habitudes aristocratiques de sa haute naissance, même dans cette association fédérale avec les petites gens des localités de l'Achaïe ; l'homme de bon ton et de grande famille, habitué au luxe des arts et de la société raffinée, lié avec les rois, était bien au-dessus des autres ; il frayait bourgeoisement avec eux et comme leur égal ; il descendait jusqu'à eux, et il y avait là quelque chose qui leur imposait. Mais lui-même, au fond, devait toujours se sentir étranger à ces Achéens ; ils étaient dans ses mains un instrument utile au service des projets philanthropiques, des plans d'organisation qu'il roulait dans son esprit. S'il comptait sur ce mouvement des esprits au sein des villes helléniques — et il voyait déjà clairement qu'il fallait en attirer le plus possible dans le nouvel État fédéral, — il ne partageait pas lui-même cet élan ; ce n'était pas par lui et en vertu de son principe qu'il voulait constituer le nouvel État. Cet État fédératif fut son œuvre à lui, et son ambition était de passer pour l'avoir fait ; il sut si bien l'attacher à sa personne que, sans lui, la Ligue paraissait n'être rien ; il ne put jamais cesser de la tenir en tutelle. Il se méfiait de la jeune liberté, s'il ne la dirigeait pas et ne la dominait pas lui-même. Son savoir-faire politique donna à la Ligue l'existence extérieure, mais en même temps il arrêta son développement spontané, il l'empêcha de grandir et de perdre son caractère d'État purement artificiel, fait de main d'homme ; il refoula d'une main brutale et despotique sa vitalité intérieure, toutes les fois qu'elle chercha à se donner libre carrière. Aratos était donc, avec tous ses mérites, un petit caractère ; on peut le louer d'avoir reconnu ce qui était pratiquement nécessaire, d'avoir compris ce qu'il était possible d'atteindre immédiatement, d'avoir saisi l'occasion avec le regard perçant de l'homme d'État, d'avoir créé par tous les moyens ostensibles et secrets de la diplomatie de l'époque une base politique aux idées nouvelles et de leur avoir donné l'espace dont elles avaient besoin pour s'étendre. Mais ce qui faisait battre le cœur de cette nouvelle génération qu'il se chargeait de conduire, c'était précisément ce qui lui restait étranger ; il imprima dès le début une fausse direction à la Ligue, et plus les succès qu'elle remporta grâce à lui pouvaient paraître importants, plus elle s'éloigna de la source vive où elle aurait dû puiser sa vigueur[75].

C'est ainsi que, sur la proposition d'Aratos, la confédération déclara le roi Ptolémée allié de la Ligue et généralissime de ses forces de terre et de mer[76]. C'est au moment où le Lagide cherchait à soumettre les villes de la Cyrénaïque, où les villes d'Ionie lui arrachaient à peine leur liberté, où une troupe d'Étoliens, alliés d' Antigone, abordait à la côte ionienne et brûlait ses vaisseaux pour s'obliger à combattre et à vaincre avec les Ioniens[77], où Rhodes, une ville libre, se soulevait contre l'Égypte, c'est alors qu'Aratos confiait au Lagide le protectorat de la liberté qui renaissait en Grèce. Ce n'étaient pas les principes, c'était l'évaluation des forces matérielles des États qui réglait la politique de cette époque, une véritable époque de politiciens.

Nous ne pouvons reconnaître par aucun des renseignements arrivés jusqu'à nous ce qu'entreprit alors le vieux roi de Macédoine pour prévenir l'écroulement de sa puissance en pays hellénique. Nous ne savons que ceci : un traité fut conclu entre lui et les Étoliens, en vue de conquérir en commun et de se partager les territoires de la confédération[78].

C'est à ce moment que se produit dans la situation de Sparte un changement remarquable, que nous ne connaissons malheureusement que d'après les notes prises par Plutarque dans un intérêt biographique ; c'est à peine si nous pouvons nous représenter avec quelque clarté les relations extérieures de cet État.

Depuis que le roi Acrotatos est tombé devant Mégalopolis, depuis que Léonidas, qui a longtemps vécu dans le royaume de Syrie, exerce à Sparte une influence décisive, d'abord comme tuteur de l'enfant d'Acrotatos, puis, après la mort de cet enfant, comme roi, l'État laconien semble se tenir à l'écart des affaires d'intérêt général ; la riche et luxueuse aristocratie qui dominait la ville croyait assez faire en jouissant sans trouble de son bien-être. Pourtant le contraste entre ce qui était devenu le fait historique et ce que réclamaient la raison et le droit n'était nulle part plus sensible qu'à Sparte. La constitution de Lycurgue existait encore de nom ; mais, complètement dégénérée comme elle l'était, ses formes ne servaient plus qu'à maintenir debout les disparates et les inégalités les plus violentes, les plus monstrueuses. La communauté noble des Spartiates était réduite à 700 hommes ; toute la propriété foncière se trouvait aux mains de cent familles[79] : les autres Spartiates étaient appauvris, et, ne pouvant plus prendre part aux repas publics, il étaient par là même incapables d'exercer les droits que leur conférait la naissance. Si on y ajoute la masse des périèques, qui n'avaient aucun droit politique, et la masse des hilotes,-qui étaient serfs dans toute la force du terme, si l'on songe en outre que les périèques seuls exerçaient l'industrie et le commerce et que beaucoup d'entre eux avaient ainsi acquis une grande aisance, enfin, que les hilotes eux-mêmes pouvaient devenir propriétaires, on admettra sans hésiter que Sparte courait plus de dangers que tout autre État, à partir du jour où l'opinion publique se transformerait et réagirait aussi énergiquement qu'elle le faisait alors dans les pays voisins.

C'est un spectacle saisissant que de voir la jeunesse de toute la Grèce s'ouvrir à la nouvelle vie qui s'épanouissait alors. A Sparte aussi, avant qu'eût éclaté le péril que devaient faire courir à l'État les classes privées de droits et de terres, il se forma ainsi un cercle de nobles jeunes gens, chez qui la vue d'un présent dégradé et avili réveillait le souvenir du passé et de sa grandeur. Parmi eux était le jeune Agis, fils du roi Eudamidas. Il avait grandi au milieu de l'opulence et de la mollesse, occupé d'élégance et de toilette, gâté par sa mère et sa grand'mère, qui devaient lui léguer leurs immenses richesses ; mais, à peine âgé de vingt ans et dès qu'il eut hérité de la royauté de son père, il renonça à toutes ses mauvaises habitudes et se mit à vivre, à se vêtir, à s'exercer selon la coutume sévère des anciens Spartiates. Il disait que la royauté n'avait pour lui aucun prix, s'il ne pouvait rétablir avec elle les lois et la discipline de Sparte.

Mais il fallait aussi rétablir l'ascendant militaire de Sparte ; peut-être était-ce son dessein de conquérir par de grands succès au dehors une situation qui le mit en état d'arrêter énergiquement la dégénérescence qui régnait au dedans. Mais le biographe d'Agis n'a rien voulu nous dire sur cette partie de sa carrière, et deux ou trois brèves indications de Pausanias à ce sujet sont tellement discréditées, à cause d'une erreur qu'elles renferment, qu'on n'ose guère s'en servir. Et pourtant, avec quelle exactitude il décrit, à propos du trophée élevé près du temple de Poséidon à Mantinée, la bataille livrée en cet endroit contre Agis ! Les Mantinéens, suivant lui, formaient l'aile droite ; il y avait parmi eux un devin d'Élis, un Iamide qui leur avait promis la victoire ; à l'aile gauche étaient les Arcadiens, rangés par ville, et chaque ville commandée par ses chefs ; les Mégalopolitains étaient venus aussi, sous les ordres de Lydiade et de Léocyde ; au centre se trouvait Aratos avec les Achéens et les soldats de Sicyone. Ce fut lui qui, par une retraite simulée, attira Agis entre les deux ailes et décida ainsi la journée contre lui. Seulement Pausanias ajoute qu'Agis périt dans cette bataille ; c'est là une légende postérieure, recueillie par lui[80], et qui confond notre Agis avec le roi Agis contemporain d'Alexandre. Mais on voit quelle fut l'énergie de l'attaque conduite par le roi de Sparte et comme on la jugea redoutable, puisque tant de forces s'unirent pour la repousser. Elle dut avoir lieu avant que Lydiade se fût fait tyran de Mégalopolis, certainement en 245 au plus tard. Ce combat semble avoir été suivi d'une tentative sur Mégalopolis ; la ville faillit être prise d'assaut[81]. Une troisième attaque porta Agis jusqu'au cœur du territoire achéen, à Pellène. Le roi, à ce qu'il semble, ne se souciait pas des partis, soit de loin, soit de près ; Sparte devait avoir une politique à elle ; elle devait reconquérir de haute lutte son ancienne hégémonie sur le Péloponnèse. Déjà Pellène était conquise, mais Aratos, s'avançant avec ses Achéens, le força à la retraite[82]. Il semble qu'un traité ait été alors conclu entre Sparte et les confédérés, peut-être sous la médiation de l'Égypte ; s'il fut conclu avant la délivrance de Corinthe, l'union étroite des deux États contre la prépondérance de la Macédoine et des tyrans nouvellement affermis n'en était que plus nécessaire. Peut-être ces tentatives avortées à l'extérieur avaient-elles excité un grave mécontentement chez les oligarques de Sparte ; ces guerres, qui en somme n'amenaient aucun succès, ne pouvaient avoir assuré au jeune roi cet ascendant militaire qu'il avait eu sans doute le dessein de conquérir. Il dut lui paraître d'autant plus nécessaire de ne pas ajourner plus longtemps les réformes intérieures.

C'est peu de temps après la délivrance de Corinthe, à ce qu'il semble, qu'Agis commença la grande œuvre de la transformation intérieure de l'État. On a déjà indiqué plus haut les raisons principales qui rendaient la réforme nécessaire. Pouvait-on essayer de fonder une constitution entièrement nouvelle, qui répondît aux idées de l'époque ? Une révolution, partie de la masse opprimée de la population, aurait pu atteindre ce résultat ; elle aurait détruit la petite oligarchie et établi par la force une nouvelle propriété, une constitution façonnée au hasard sous la pression des circonstances. Plus d'une fois dans le cours des siècles, Sparte avait déjà été menacée de semblables révolutions de la part des hilotes, des périèques, des citoyens appauvris et déchus. On peut déplorer qu'elles n'aient jamais réussi. Ce fut le grand malheur de Sparte : c'est cette immobilité rigide qui avait amené la décrépitude du corps social ; chacun de ses éléments pouvait revendiquer jusqu'au bout tous ses droits historiques et braver ainsi la saine raison non moins que l'esprit de la constitution de Lycurgue. La démocratie, la tyrannie, la domination étrangère, la révolution n'ont pas à Sparte, comme dans la plupart des autres États, balayé un amas confus d'organismes irrationnels, n'ayant qu'une valeur de fait, et laissé le champ libre pour une poussée nouvelle. Si le péril, si la dégénération du présent exigeait des changements, si ou voulait faire une réforme avant que la rage déchaînée de la foule la fît à sa fantaisie, si l'on voulait porter remède à la situation par les voies constitutionnelles, on se heurtait à une impossibilité : cette même oligarchie contre laquelle seule il fallait agir, c'était elle qui avait dans les mains tous les droits constitutionnels, elle qui seule représentait l'État ; jamais on n'obtiendrait d'elle l'abandon volontaire du moindre «de ses droits et de la moindre de ses possessions. En dehors de la révolution, le seul moyen de l'atteindre, c'était de montrer qu'elle était contraire à la constitution de Lycurgue, qu'on regardait encore comme existante, c'était de demander le rétablissement de cette constitution même. Si vague qu'elle fût, et quoique sans aucun doute elle fût le produit de plus d'un siècle de tâtonnements, elle avait du moins un principe reconnu de tout temps, c'est que l'État avait seul plein pouvoir sur le bien et le rang, sur la force et la volonté de l'individu ; qu'il ne permettait à ceux qui voulaient être ses citoyens aucune espèce d'existence privée ; qu'il déterminait conformément à l'intérêt général et avec une puissance absolue non seulement l'éducation des enfants, mais encore la discipline des adultes. La vieille Sparte avait été la réalisation la plus étroitement logique de l'idée de l'État, et, depuis que le développement de la démocratie avait élevé la dignité et les droits du simple citoyen à un si haut degré qu'elle faisait courir un grand péril à la vieille idée hellénique de l'État, la théorie politique avait cru, à diverses reprises, trouver précisément dans la constitution spartiate un modèle de véritable organisation sociale. La réalité ne répondait en aucun point à ce type traditionnel : ce même trait caractéristique de l'époque, le souci de l'intérêt individuel, le désir et le besoin de faire prévaloir le droit privé contre l'idée abstraite de la cité, avait également transformé Sparte, mais d'une façon mesquine, exclusive et pour ainsi dire accidentelle. Pouvait-on maintenant, si changés que fussent les temps, rétablir purement et simplement cette ancienne cité de Lycurgue ? Pouvait-on, à la place de la propriété telle qu'elle s'était développée déjà depuis plus d'un siècle, à la place de la vie privée qui désormais abondait en besoins et en jouissances et à laquelle on s'était accoutumé depuis plusieurs générations, à la place de la direction désormais changée de l'éducation, des opinions, des occupations, de toute la façon d'agir et de penser, pouvait-on évoquer soudainement et comme par magie l'ancienne et rigide discipline, le dédain de la propriété et de la vie de famille, l'orgueilleux isolement de la cité d'autrefois ? En réalité, la restauration n'était pas un procédé moins dangereux que la révolution, et le résultat était douteux dans les deux cas.

D'ailleurs, ce ne fut pas la réflexion, le souci de prévenir un danger menaçant, ce fut l'enthousiasme d'un jeune roi et de ses amis qui choisit ce périlleux expédient.

Le récit détaillé que nous possédons provient, il est vrai, d'une source dont nous avons plusieurs fois contesté la pureté. Phylarque, à qui Plutarque a surtout emprunté les éléments de sa biographie, semble, dans cette partie de sa narration non moins que dans le reste, avoir recherché avant tout le pittoresque et la vivacité du récit ; il néglige beaucoup de choses et renonce à décrire en détail les questions de droit et de constitution. Nous ne pouvons pas le contrôler sur chaque point, puisque nous manquons à peu près complètement d'autres informations ; nous n'avons donc d'autre prétention, en exposant ce qui suit, que de rapporter tous lei faits extérieurs, tels que Plutarque les a empruntés à son devancier.

Les desseins d'Agis n'étaient plus un mystère ; ses allures, les exercices auxquels il se livrait, sa frugalité même, montraient qu'en revenant aux anciennes mœurs spartiates, dont il proclamait d'ailleurs la nécessité, il voulait lui-même prêcher d'exemple. Les vieillards blâmaient hautement les nouveautés qu'il recherchait, mais la jeunesse l'imitait avec joie, et l'esprit de l'ancienne Sparte semblait se réveiller. Il s'agissait de préparer le grand coup. Les auxiliaires de ses desseins étaient, avant tous les autres, Lysandre, descendant du vainqueur d'Ægospotamoi, du plus grand homme qu'ait eu Sparte ; puis Mandroclidas, à la fois hardi et rusé, initié aux secrets de la politique hellénique ; Hippomédon, guerrier éprouvé dans beaucoup de combats, sûr de l'appui de la jeunesse, qui lui était extrêmement dévouée : ce dernier gagna également son père Agésilas, oncle du roi, riche mais endetté, et qui pouvait par son influence comme orateur devenir très utile à l'entreprise. Mais on devait craindre les 'plus grandes difficultés de la part des femmes. Elles avaient conservé tout l'orgueil d'une noblesse très ancienne et glorieuse, et des prétentions exclusives au pouvoir ; elles veillaient d'un mil jaloux sur lés droits des vieilles familles ; elles exerçaient sur leurs maris une influence d'autant plus considérable qu'ils s'étaient plus éloignés des coutumes d'autrefois : en outre, par suite d'un abus qui existait déjà depuis plus d'un siècle, plus des deux cinquièmes de la propriété foncière avaient passé dans les mains des. femmes. Agis chercha d'abord à gagner sa mère Agasistrata, qui, par sa richesse, par la foule de ses amis, de ses débiteurs et de tous ceux qui vivaient de ses secours, possédait une influence extraordinaire sur les affaires publiques : ce ne fut pas sans peine que son fils et son frère Agésilas parvinrent à la rallier à leur cause, mais elle en devint le champion le plus zélé. Agis tenta vainement de se concilier les autres femmes ; la grande majorité d'entre elles s'opposa de la façon la plus absolue à toutes les réformes, intrigua par tous les moyens, somma le roi de l'autre famille, le vieux Léonidas, fils de Cléonymos, de défendre l'État légal existant ; et pendant que la foule mettait son espoir dans Agis et se réjouissait du salut qu'il lui promettait, l'oligarchie ne voyait en lui qu'un égoïste, qui ne voulait, en abolissant les dettes et en partageant les biens, que rechercher la faveur de la foule et, par son appui, changer la liberté de Sparte en une tyrannie.

Dans l'automne de 243, le jeune roi réussit enfin à faire nommer Lysandre parmi les éphores. Aussitôt celui-ci porta devant la Gérousie une loi dont les points principaux étaient les suivants : toutes les dettes devaient être abolies ; la propriété foncière serait de nouveau partagée, de telle sorte que certaines parties du territoire, la plupart dans le voisinage de l'Eurotas, formeraient 4.500 lots pour les Spartiates (le nombre primitif de Lycurgue) ; le reste du pays serait divisé en 15.000 lots pour les périèques capables de porter les armes ; le nombre des Spartiates devait être augmenté jusqu'au chiffre indiqué[83] par l'adjonction de périèques et d'étrangers qui seraient sains, dispos et en état de faire le service militaire, système de cooptation déjà employé dans les temps antérieurs ; enfin les Spartiates, ainsi au complet, se diviseraient selon l'ancienne coutume en phidities, en petites associations qui se réuniraient tous les jours pour prendre leurs repas et se livrer à leurs exercices en commun, et qui, soit à l'armée soit dans la vie civile, formeraient les éléments constitutifs et comme les molécules du peuple ; la discipline, les coutumes des anciens Spartiates devaient être partout rétablies.

La Gérousie était partagée ; l'éphore porta sa proposition à l'assemblée populaire. Agésilas et Mandroclidas le soutenaient ; ils rappelaient l'ancien oracle du dieu de Delphes : que l'amour du luxe serait la ruine de Sparte ; ils rapportaient un oracle tout récemment rendu dans le sanctuaire de Pasiphaé : que tous devaient être égaux selon la loi de Lycurgue. Puis le jeune roi intervint ; il déclara en peu de mots qu'il abandonnait à l'État toute sa fortune — il possédait de grandes propriétés et 600 talents d'argent : — sa mère, sa grand'mère, ses amis et ses compagnons, les plus riches des Spartiates, faisaient le même abandon.

Ces propositions, ces magnanimes sacrifices furent accueillis avec, la plus grande joie, mais la résistance des riches n'en devint que plus vive. La Gérousie devait rendre un décret préliminaire ; elle rejeta la proposition à la majorité d'une voix. Les deux rois y siégeaient ; si l'on pouvait éloigner Léonidas et le remplacer par un partisan d'Agis, on amènerait sûrement un autre résultat. Selon l'antique usage, les éphores devaient, à chaque neuvième année, observer le ciel pendant la nuit, et, si une étoile filait dans une certaine direction, considérer au nom de ce signe les rois comme suspects de quelque faute, les suspendre et les soumettre à une enquête. C'est ainsi que Lysandre agit alors contre Léonidas ; il disait dans son acte d'accusation que Léonidas avait épousé dans le royaume des Séleucides une Asiatique, qu'il avait eu d'elle deux enfants, etc.[84] En même temps, il invita le gendre de Léonidas, Cléombrote, à revendiquer la royauté devenue vacante. Léonidas s'enfuit dans le temple de Pallas Chalciœcos, et sa fille Chilonis quitta la maison de son mari pour accompagner son père en danger ; puis son procès fut instruit, et, comme il n'osait quitter le temple et paraître devant les éphores, on prononça sa destitution et la royauté passa à Cléombrote.

A la fin de l'été de 242, Lysandre se 'retira avec les autres éphores. Les nouveaux éphores étaient dévoués à l'oligarchie ; ils commencèrent par accuser Lysandre et Mandroclidas d'avoir proposé illégalement l'abolition des dettes et le partage des biens. Les deux rois devaient craindre le sort de Léonidas et pis encore, s'ils ne prenaient rapidement leurs précautions ; ils ne pouvaient se sauver qu'en recourant à la violence. Ils déclarèrent donc que les éphores avaient été établis autrefois pour intervenir dans les cas où les deux rois ne seraient pas du même avis et faire triompher l'opinion la plus juste et la plus utile ; tout 'autre pouvoir qu'ils s'arrogeaient était contraire à la constitution ; quand les deux rois étaient du même avis, les éphores n'avaient pas le droit d'opposer leur véto. En conséquence, les deux rois parurent, accompagnés de leurs partisans, sur l'agora ; ils ordonnèrent aux éphores de quitter leurs sièges ; ils en nommèrent d'autres à leur place, et parmi eux Agésilas. Ils élargirent les prisonniers détenus pour dettes ; ils se montrèrent entourés de la jeunesse en armes ; l'oligarchie, craignant à tout instant l'explosion de la fureur populaire, se tint à l'écart toute tremblante. Léonidas s'enfuit à Tégée, et Agis prit des mesures pour le protéger contre les embûches qui le menaçaient sur la route.

C'est dans ce même automne où l'État spartiate était agité par les troubles intérieurs les plus dangereux que se produisit, à ce qu'il semble, un incident effroyable, qui serait inexplicable si ces dissensions intestines ne l'avaient pas rendu possible. Antigone de Macédoine, déjà allié avec les Étoliens, avait perdu Corinthe et Mégare. ; il voyait la Ligue achéenne s'unir à Sparte par le traité de Pellène ; son influence dans le Péloponnèse était ; compromise ; il devait tout tenter pour empêcher les États péninsulaires de se réorganiser. On a déjà dit qu'il avait conclu un traité avec les Étoliens en vue de conquérir et de partager les territoires de la Ligue achéenne[85] ; le traité doit dater de l'époque actuelle. Mais ce n'est pas aux Achéens seulement qu'il en voulait ; si Agis réussissait, le danger qui venait de Sparte n'était pas moins sérieux. On parle d'une grande expédition des Étoliens sous Timæos et Charixénos ; ils auraient emmené en esclavage un nombre infini de périèques laconiens, 50.000, dit-on ; ils auraient même essayé de s'emparer de Sparte, d'y ramener par la ruse et la violence les fugitifs ; ils auraient pillé au Ténare le temple de Poséidon, pillé aussi le sanctuaire d'Artémis à Lusoi en Arcadie, tout près de la frontière achéenne. Ce n'était donc pas une de ces incursions familières aux Étoliens ; toute l'armée avait fait campagne : il fallait cette force énorme pour accomplir tant de ravages et justifier ce mot assez amer d'un vieux Spartiate : cette guerre a allégé la Laconie[86].

Si terrible qu'ait été cette campagne des Étoliens, elle semble n'avoir pas eu d'autre résultat durable et utile aux intérêts d'Antigone ; les forces de la Macédoine étaient peut-être occupées sur d'autres points ou tentaient vainement de reprendre Corinthe. L'année suivante, une nouvelle campagne devait poursuivre l'œuvre commencée.

Les ravages des Étoliens et la tentative qu'ils avaient faite de ramener les bannis durent hâter à Sparte l'exécution des réformes. Elles furent en effet accomplies précipitamment[87], mais dans un tout autre sens que ne l'avait voulu le jeune roi et que ne l'avaient espéré les classes pauvres. Agésilas abusa de la confiance qu'on lui avait accordée : il possédait de nombreux et beaux domaines, mais il était criblé de dettes, et l'éphore pensait ne tolérer d'autres réformes que celles qui tourneraient à son avantage. Il persuada à son jeune neveu qu'il serait dangereux d'entreprendre en même temps l'abolition des dettes et le partage des terres ; il lui conseilla de commencer par abolir les dettes. Lysandre, lui aussi, se laissa persuader que cette opinion était juste. Toutes les créances furent donc en un même jour entassées sur le marché et livrées aux flammes. On attendit ensuite l'exécution très prochaine des autres mesures, et déjà les rois avaient donné les ordres nécessaires ; mais Agésilas trouvait toujours de nouveaux motifs pour en différer l'exécution. Personne ne pouvait encore soupçonner de mauvaise intention.

Le printemps de 241 était arrivé ; Aratos, qui venait d'être nommé de nouveau stratège de la confédération, envoya sommer les éphores d'expédier au delà de l'isthme le secours promis par le traité, parce que les Étoliens menaçaient d'entreprendre une nouvelle invasion. Le roi Agis devait conduire l'armée auxiliaire. La délivrance des prisonniers pour dettes et l'abolition des créances avaient été pour la foule des pauvres un grand allègement ; les hommes appelés au corps suivirent volontiers le jeune roi ; ils avaient l'espérance certaine d'être récompensés à leur retour par de nouveaux domaines. Partout où passait l'armée, on admirait l'attitude et la discipline des troupes, la gravité traditionnelle des Spartiates, et avant tout le roi, qui, plus jeune que la plupart des soldats de son armée, recevait de tous des marques de respect et de dévouement absolu, qui, même dans ses armes et ses vêtements, ne se distinguait en rien des autres guerriers, qui enfin partageait avec eux leur maigre pitance et toutes leurs fatigues. On dit en propres termes que la foule accourait partout pour le voir et témoignait bruyamment son admiration, tandis que les riches ne voyaient pas sans alarmes l'émotion produite par l'apparition d'un homme en qui les pauvres et les opprimés voyaient leur défenseur.

L'armée spartiate se réunit près de Corinthe à Aratos et aux Achéens. Ceux-ci, de même qu'Agis, désiraient attaquer l'armée étolienne avant qu'elle eût pénétré dans le pays de Mégare. Il ne fallait pas, pensait Agis, laisser l'ennemi entrer une fois encore dans le Péloponnèse ; on pouvait avoir assez de confiance dans l'esprit des troupes pour risquer une bataille décisive ; cependant, il se soumettait volontiers à l'avis du plus âgé. Seulement, ni le désir du roi, ni le mécontentement et les railleries des soldats, qui ne regardaient pas comme simple affaire de prudence le refus du stratège de faire un mouvement décisif, ne purent déterminer Aratos à quitter sa position inattaquable. Bien plus, lorsque le temps de la moisson fut passé, il congédia, à leur grand étonnement et en les comblant de louanges, Agis et ses troupes. Quels motifs pouvait avoir Aratos d'agir ainsi ? Lors même que, par suite de circonstances quelconques, on eût pu croire avec certitude que les troupes macédonien es ne viendraient pas renforcer les Étoliens ou pénétrer après eux dans le Péloponnèse, ces Étoliens, qu'Aratos n'avait pas voulu attaquer avec toutes ses forces et celles de ses alliés, n'étaient-ils pas assez hardis pour entreprendre une invasion et de nouveaux ravages, que d'ailleurs ils accomplirent bientôt ? Il faut observer avec soin chaque trait de ce stratège achéen, afin de reconstituer son portrait dans tout ce qu'il a de compliqué et d'original. Nous l'avons vu engager bravement le combat lorsqu'il délivrait sa patrie et Corinthe, mais sa bravoure est toujours précédée de manœuvres secrètes et de corruptions ; elle compte sur la surprise et l'étourdissement de l'ennemi ; elle se hâte de cacher aussitôt l'épée sous le vêtement du citoyen, d'entourer des apparences de la légalité tout acte de vigueur, toute marche en avant, de ramener à une sorte de tranquillité normale, au calme qui sied à une confédération, les joyeux transports qu'excite la liberté reconquise. Et pourtant, cette paix qui lui est chère, il doit à tout moment l'interrompre : il va combattre sans cesse des tyrans et encore des tyrans ; il tourne de côté et d'autre ses attaques ouvertes ou secrètes ; il prépare toujours à ses confédérés du nouveau à attendre, à faire, à craindre, comme s'il n'osait pas les laisser à leurs affaires intérieures. On sent à chaque instant que, même stratège, même élu par la confédération d'année en année, il ne se trouve pas à sa place au milieu de la Ligue, parmi les éléments de vie et de liberté qui s'y développent rapidement. Dix ans ne sont pas écoulés que la foule des pauvres se soulève contre lui avec la plus grande énergie, prête à se tourner vers un autre homme qui lui est supérieur et qui reprend à Sparte les plans d'Agis. Voilà le point de vue auquel il faut se placer pour comprendre le singulier renvoi des troupes spartiates : l'enthousiasme qui régnait dans cette armée, les rapports des Achéens avec la masse des pauvres et des endettés que l'audacieuse réforme du jeune roi avait sauvés et élevés, voilà ce que le politique avisé et prudent crut devoir éviter et éloigner des confédérés.

Les Spartiates sont partis ; Aratos laisse tranquillement les Étoliens franchir les monts Géraniens ; il les laisse passer devant Corinthe, se jeter sur Pellène, commencer le pillage de la ville ; puis, pendant qu'ils se dispersent dans les maisons pour voler et détruire, il accourt vers les troupes des villes les plus voisines, surprend les sentinelles, les refoule, pénètre avec elles dans la ville et, après un combat violent, chasse par les portes les Étoliens battus sur tous les points : sept cents ennemis sont tombés dans cette mêlée[88].

Voilà tout ce que nous savons de la guerre de l'an 241 ; ces informations sont d'autant plus insuffisantes qu'on ne peut s'imaginer qu'Antigone et les tyrans attachés à sa cause, ceux d'Argos, de Mégalopolis, pour ne pas citer ceux des petites villes, soient restés complètement inactifs.

Cependant la situation avait pris à Sparte une tournure qui devait exercer une influence décisive sur la politique générale de la Grèce. Agésilas avait abusé de la façon la plus honteuse de l'absence de son royal neveu et de la puissance que lui assurait l'éphorat. Avide et rapace, il alla si loin dans ses exactions qu'il établit contre le règlement un mois intercalaire, afin de lever les impôts pendant un mois de plus ; quant au partage des champs, il n'en était plus question. Afin de se défendre contre la haine grandissante et déjà hautement manifestée de la foule, il s'entoura de sicaires et ne parut plus à la maison commune que dans ce cortège ; il se sentait déjà tellement sûr de sa puissance qu'il déclara publiquement que, même après l'expiration de sa fonction annuelle, il conserverait l'éphorat ; le roi Cléombrote ne semblait pas exister pour lui, et il se conduisait à l'égard d'Agis, qui venait de rentrer à Sparte, comme si le jeune prince devait non à la royauté, mais à sa parenté avec lui, le reste de crédit qu'il jugerait bon de lui laisser. Les relations que nous possédons encore nous font supposer que tout cela pouvait se faire, sans nous montrer ce qui empêchait Agis de s'opposer aux excès de son oncle et de poursuivre l'œuvre qu'il avait commencée avec de si nobles intentions. Agis n'était-il plus sûr des Spartiates pauvres, des périèques ? Les oligarques avaient-ils déjà réussi à rendre suspects ses desseins, pourtant si désintéressés ? Craignait-il de recourir à la violence ? La force de la classe des périèques avait-elle été brisée par l'invasion étolienne ? Les adversaires de la réforme avaient-ils réussi à gagner les hilotes, dont le jeune roi, à ce qu'il semble, ne s'était pas occupé d'une façon expresse ? Ce qui est clair, c'est que la haine générale permit aux ennemis de la réforme de faire revenir à Sparte Léonidas, le roi banni. Hippomédon put s'échapper, grâce à la vénération qu'il inspirait à tous et à ses sollicitations en faveur de son père Agésilas. Il réussit à obtenir pour lui-même et pour ce dernier la permission de quitter Sparte sans obstacle ; il se rendit à la cour des Lagides, qui l'envoya gouverner la côte de Thrace récemment reconquise[89]. Agis et Cléombrote s'enfuirent dans l'asile des temples. Léonidas parut, avec des hommes armés, dans le temple de Poséidon, pour se venger de Cléombrote ; Chélidonis (Chilonis), qui avait d'abord quitté son époux pour suivre son père, courut alors protéger son mari contre la colère paternelle. Elle réussit, dit-on, à émouvoir Léonidas et ses amis ; Cléombrote eut la permission de fuir, mais les prières du vieux roi ne purent décider Chilonis à rester auprès de lui ; tenant un de ses enfants par la main et un autre sur un bras, elle partit avec Cléombrote pour partager son exil[90].

La suite du récit, rehaussé, il est vrai, de couleurs crues et tranchantes, nous met sous les yeux le véritable type de la basse fureur des oligarques triomphants. Léonidas, après avoir nommé de nouveaux éphores, pris dans son parti, s'occupa de poursuivre Agis. On chercha d'abord à l'attirer hors de son asile sacré par des offres amicales. On lui assura qu'il pourrait venir exercer avec Léonidas ses fonctions royales ; que les citoyens lui avaient tout pardonné en faveur de sa jeunesse, qui avait fasciné Agésilas. Mais il resta dans le temple ; il ne sortait que de temps en temps pour aller au bain, et se faisait accompagner de trois amis ; l'un d'eux, Ampharès, était un des éphores récemment élus, mais Agis comptait sur sa fidélité, et sa mère Agasistrata avait naguère prêté à ce personnage, en témoignage de sa confiance absolue, des vases d'or et des habits de fête. Mais Ampharès désira les garder ; il se résolut à perdre la mère et le fils ; il poussa les autres éphores à une résolution violente ; il offrit de se charger de l'exécution. Un jour, il accompagnait Agis au bain ; ses deux autres amis, Démocharès et Arcésilas, qu'il avait déjà gagnés, étaient comme d'ordinaire avec lui ; ils passaient au retour, riant, plaisantant, devant la petite rue qui menait à la prison ; soudain Ampharès met la main sur le jeune roi et l'emmène, en vertu de ses pouvoirs de magistrat, devant les éphores pour répondre de ce qu'il a fait. Démocharès lui jette un manteau autour du cou ; plusieurs hommes apostés se joignent aux traîtres ; on mène, on pousse, on entraîne Agis à la prison, qui est aussitôt occupée de tous côtés par les mercenaires de Léonidas. Bientôt arrivent les autres éphores, et avec eux les membres de la Gérousie qu'ils ont convoqués et sur l'approbation desquels ils peuvent compter. Alors commença pour Agis l'interrogatoire criminel. Il déclara avec le calme le plus noble qu'il n'avait été contraint par personne, qu'il n'avait pas agi contre sa propre opinion, et qu'il ne se repentait pas d'avoir fait ce qu'il avait fait. Aussitôt on vota et on le condamna à mort. ll devait être mené dans la salle des exécutions, mais les bourreaux n'osèrent pas toucher le corps du roi ; les mercenaires reculèrent avec respect ; l'inquiétude croissante de la foule qui se rassemblait dans la rue, l'émotion que devait produire l'intervention d'Agasistrata et de sa mère, conseillaient de hâter le dénouement. Démocharès entraîna le roi dans la salle. Agis criait à l'un des bourreaux qui sanglotaient de demeurer calme, qu'il était immolé contre toute justice et sans avoir commis de crime, qu'il était donc plus heureux que ceux qui l'assassinaient. Il tendit tranquillement son cou à la corde qui devait l'étrangler. Pendant que tout ceci se passait à l'intérieur, Ampharès avait couru à la porte, où la mère et la grand'mère du roi réclamaient devant les citoyens, avec une vivacité croissante, une enquête publique et la défense de leur fils. Il ne lui sera fait aucun mal, assura Ampharès ; et il pria Agasistrata d'entrer, de venir auprès de son fils, et de se persuader elle-même de la vérité. Elle lui demanda de permettre aussi, par amitié pour elle, l'entrée de la prison à sa mère. Toutes deux entrèrent, et la porte se referma. Ampharès conduisit d'abord la vieille Archidamia dans la salle où était Agis ; elle fut aussitôt saisie, et on lui passa la corde au cou. Puis Ampharès commanda à Agasistrata d'entrer à son tour. Elle vit alors son fils étranglé sur le sol et sa mère déjà pendue ; elle aida le valet du bourreau à détacher le corps d'Archidamia et à le placer à côté du cadavre de son fils ; puis elle embrassa Agis et regretta qu'il eût eu l'âme trop noble et trop douce ; il s'était ainsi perdu, lui et les siens. A ce moment Ampharès entrait dans la salle : puisqu'elle approuve le crime d'Agis, dit-il, qu'elle partage aussi son châtiment ; et il commanda de l'étrangler pareillement.

Telle fut l'issue de la révolution. Jamais on ne commit à Sparte de plus grandes horreurs ; mais la foule craignait tellement les hommes investis du pouvoir qu'elle dissimula timidement sa haine pour Léonidas, Ampharès et leurs compagnons. La victoire de l'oligarchie fut complète. Léonidas resta-t-il seul roi ? On ne 'sait. Le frère d'Agis, Archidamos, avait pris la fuite, et la veuve du jeune roi, Agiatis, fut contrainte par Léonidas, qui voulait donner à sa maison le riche héritage des Proclides, d'épouser son fils Cléomène, encore enfant. Le fils d'Agis, qui venait à peine de naître, passa ainsi au pouvoir de Léonidas ; peut-être l'enfant reçut-il le titre de roi[91].

Comme on l'a déjà remarqué, le récit donné ici est dû à Phylarque, et il ne porte que trop la marque de sa manière. Mais nous manquons d'autres documents pour tracer d'après eux, au lieu du caractère très vaguement dessiné par Plutarque, une image plus claire et plus distincte du roi Agis. Ce récit passe complètement sous silence les combats d'Agis devant Mantinée, Mégalopolis et Pellène, combats qui semblent indiquer que le jeune prince ne possédait pas seulement cette douceur pleine d'abandon et cet enthousiasme facilement séduit dont son oncle Agésilas abusa si bassement. Il semble même hasardé de croire que le grand dessein ait échoué par la faute d'Agis ; les textes qui nous renseignent négligent de nous apprendre comment les oligarques travaillèrent, séduisirent, éloignèrent de l'entreprise la foule, par qui seule le plan d'Agis pouvait être exécuté. Le seul reproche qu'on puisse faire au jeune roi, à la façon dont les choses nous sont présentées, c'est d'avoir pu croire qu'il briserait l'oligarchie sans résistance, et, au lieu de commencer par le bannissement et l'exécution des principaux membres de l'aristocratie, d'avoir jugé la bonne cause assez forte par elle- même pour triompher de toute résistance.

Nous avons dit que les bannis que les Étoliens, alliés de la Macédoine, tentèrent de ramener à Sparte n'étaient autres que Léonidas et ses amis. La victoire de ce parti était désormais pour la politique macédonienne un avantage considérable. Non seulement Sparte fut par là enlevée à l'alliance achéenne, mais les riches de Mantinée, d'Orchomène, de Tégée, de toutes les villes où Agis avait passé dans sa marche sur Corinthe et où la nouvelle de l'entreprise commencée par le roi avait excité parmi les pauvres une si vive et si alarmante émotion, durent chercher des alliances qui les protégeraient contre la fureur des indigents désormais sans espoir. Dix ans plus tard, Mantinée est occupée par les Macédoniens[92] ; il est probable qu'elle s'était ralliée dès le temps où nous sommes à Sparte et à la Macédoine. En tout cas, l'influence de cette dernière puissance avait regagné dans le Péloponnèse ce qu'elle avait perdu. Antigone dut comprendre qu'il n'était plus possible d'abattre la confédération achéenne avec le secours des Étoliens, comme il l'avait espéré ; déjà âgé comme il l'était, il se contenta de voir ce nouveau revirement mettre un terme à l'extension de la Ligue ; ce qui lui importait, c'était d'amener un état de calme extérieur, seul moyen d'étouffer peu à peu l'émotion qui se produisait dans l'intérieur des cités et les désirs de liberté et de constitution qui venaient de s'éveiller. II pouvait même prévoir que la confédération elle-même, si elle était confinée, pour ainsi dire, dans ses affaires intérieures, ne manquerait pas de se diviser en partis et s'affaiblirait de son propre mouvement. La continuation de la guerre, que la Macédoine prolongeait au moyen d'une alliance contre nature avec les Étoliens, ne pouvait plus lui donner aucun avantage ; de grands succès auraient sans aucun doute déterminé le Lagide, protecteur de la confédération, à intervenir directement dans les affaires de la Grèce, et Antigone ne se sentait plus capable de lutter contre lui. C'est précisément à cette époque que Séleucos fut, à ce qu'il semble, battu en Asie par les Gaulois ; il n'y avait plus de secours à attendre de ce côté, si ce n'est l'appui compromettant des petits États. Le vieux roi, qui avait du  coup d'œil, tint-il compte des événements qui se passaient en Occident ? Au printemps de cette année, les Romains avaient remporté sur les Carthaginois leur dernière victoire décisive et obtenu une paix qui leur donnait toute la Sicile, à l'exception du petit royaume d'Hiéron ; or ces mêmes Romains, désormais si voisins de la péninsule hellénique, étaient depuis trente ans en rapport avec la cour d'Alexandrie, et, si les secours amenés par Xanthippos avaient causé peut-être des dissentiments momentanés, pourtant, au cas où il faudrait prendre mie décision, les intérêts naturels qui unissaient l'Égypte et l'Italie devaient nécessairement faire pencher la balance.

Nous devons nous borner à ces considérations générales pour expliquer la paix qu'Antigone conclut avec les Achéens. On ne dit pas à quelles conditions ; en tout cas, le Macédonien reconnut à la Ligue le territoire qu'elle avait déjà, et renonça ainsi à ses prétentions sur l'Acrocorinthe. On ne sait s'il exigea de la confédération qu'elle cessât de reconnaître le protectorat de l'Égypte et s'il conclut en même temps une paix séparée avec l'Égypte. On ne sait pas davantage s'il traita avec l'approbation des Étoliens ; ce qui se passa deux ans plus tard montre du moins qu'un parti considérable parmi les Étoliens était hostile à la Macédoine. On devrait croire qu'Antigone reçut de la Ligue certaines garanties et surtout qu'il dut s'inquiéter de la sécurité des tyrans, craindre pour eux les influences achéennes ; en effet, quelques indications nous permettent de le supposer. Aratos avait fait une tentative pour délivrer Athènes, et les Achéens le lui avaient reproché, l'avaient blâmé de violer la paix ; lui-même déclare dans ses Mémoires qu'il est resté complètement étranger à cette entreprise, qu'Erginos le Syrien tenta de, son propre mouvement une attaque sur le Pirée et que, poursuivi parla garnison, il cria son nom (le nom d'Aratos) à plusieurs reprises pour faire croire qu'il était présent et tromper ainsi l'adversaire[93]. Il en fut de même pour Argos ; à tout prix, Aratos voulait y abattre la tyrannie, mais la paix lui aura lié les mains. Et pourtant, il ne cessa pas d'intriguer secrètement à Argos. Une conspiration contre le tyran Aristomachos éclata ; il avait défendu aux citoyens, sous les peines les plus graves, d'avoir des épées ; Aratos fit venir des armes de Corinthe et les introduisit à Argos en contrebande, mais une querelle divisa les conjurés ; un des chefs les dénonça ; tout le plan fut déjoué, et les conspirateurs s'enfuirent à Corinthe. Bientôt après, Aristomachos fut assassiné par ses esclaves ; aussitôt Aristippos s'empara du pouvoir. A la nouvelle du meurtre, Aratos avait couru à Argos avec tous les guerriers achéens qu'il avait pu rassembler, dans l'espoir de trouver les Argiens prêts à recevoir la liberté, mais personne ne se leva, et Aratos dut partir sans avoir rien fait ; il ne recueillit que le reproche qui fut fait aux Achéens, d'avoir surpris en pleine paix un pays voisin. Il est remarquable que la confédération ait été pour ce motif accusée par Aristippos devant les Mantinéens, et, parce qu'Aratos n'avait pas comparu, condamnée à une amende de trente mines[94]. On peut tirer de ce fait deux conclusions : d'abord qu'Aratos, qui agit ouvertement en cette circonstance comme stratège de la confédération — autrement sa tentative n'aurait pas été reprochée à la Ligue —, prit des mesures que le Conseil fédéral n'approuva pas et n'avait pas proposées, puisque, dans ce cas, il y aurait eu nécessairement une guerre formelle ou du moins, au lieu de l'enquête judiciaire, un débat diplomatique ; ensuite, qu'il devait avoir été décrété que les querelles qui éclateraient en pleine paix entre les États seraient vidées par voie juridique. Mais comment se fait-il qu'Aristippos soit venu se plaindre précisément à Mantinée ? La Ligue et Argos convinrent-elles de prendre cette ville pour arbitre, comme cela se faisait en Grèce ? Ou bien, comme d'autres l'ont supposé, la cour suprême de Macédoine dans le Péloponnèse était-elle établie à Mantinée, et les tyrans se soumettaient-ils volontairement à cette cour[95] ? Cette dernière hypothèse est insoutenable ; les confédérés n'auraient jamais reconnu un pareil tribunal. D'autre part, on ne peut songer, d'après le texte du récit, à un tribunal composé des divers États de la péninsule.

Deux ans environ après cette paix en Grèce, la paix se conclut également en Asie. Antigone, à ce qu'il semble, vivait encore. Prit-il part à la réconciliation entre les frères Séleucides et à la paix avec l'Égypte, on ne le sait, mais on peut le supposer ; le trait caractéristique de sa politique, lisons-nous, c'était l'activité la plus vaste et la plus vigilante[96]. Il y eut donc, lorsqu'Antigone mourut dans un âge très avancé[97], un moment de tranquillité presque universelle en Orient et en Occident. Que de vicissitudes dans la vie du vieux roi ! Que de grandes choses il avait faites, pour aboutir, en somme, à un mince résultat ! Jetons un regard en arrière. Sa part d'héritage, c'était son droit au diadème de Macédoine. Il trouva ce pays ravagé par les Galates, troublé par les prétendants et les usurpateurs, morcelé ou épuisé par les rois molosses qui ne cessaient de l'attaquer. Par de longs et admirables efforts, il releva et fonda, pour ainsi dire, de nouveau la Macédoine ; il lui donna la sécurité au dehors et l'ordre an dedans ; bien plus, il la tira de sa profonde décadence politique, l'éleva au rang d'une puissance de premier ordre et, avec des ressources relativement médiocres, la défendit sans cesse contre de nouveaux dangers. Grâce à lui, une Macédoine devenue puissante protégea encore le pays hellénique contre les Barbares du Nord. Mais bientôt il eut à soutenir, du côté où il devait le moins s'y attendre, un combat auquel ses forces ne suffisaient vraiment pas. Il avait lutté avec avantage contre les attaques de princes ambitieux et les difficultés où l'enveloppait leur astucieuse politique, mais il ne pouvait rien contre le mouvement qui entraînait les peuples du Péloponnèse. Ce mouvement avait, du moins par ses aspirations les plus nobles, sa racine dans le développement de la culture générale, et par là même il était irrésistible ; vaincu momentanément sur un point ou un autre, il ne pouvait cependant être ni dompté ni refoulé. Il déchira donc avec une surprenante rapidité le réseau dont la politique macédonienne avait, à force de temps et de soin, couvert la plus grande partie de la Grèce ; il trouva dans la confédération achéenne, sinon sa vivante expression, du moins le commencement d'une organisation sociale qui, pour la première fois, rendit possible l'association réelle et légalement constituée d'un certain nombre de cités en un État fédératif. Cette constitution fédérale devait être extrêmement séduisante pour les cités qui se sentaient isolées ou impuissantes, on qui étaient dominées par des tyrans ou des oligarques, d'autant plus qu'elle avait en elle-même l'instinct de s'étendre de plus en plus, d'agrandir le domaine régi par le droit égalitaire, par la logique de ses principes, de fortifier et d'assurer l'exercice de ce droit. C'est ainsi que se leva, au milieu de cette race grecque si longtemps impuissante et inconsciente, contre la Macédoine et son influence jusque-là, prépondérante, une puissance nouvelle dont la force ne consistait pas dans ses ressources matérielles, mais dans le principe qu'elle renfermait en elle-même, si elle ne l'affirmait pas encore au grand jour. Quel avenir attendait cette nouvelle organisation sociale ? Jusque-là, c'était dans ses rapports avec les deux grandes puissances, la Syrie et l'Égypte, que la Macédoine avait surtout fait sentir la place qu'elle tenait dans le monde ; elle avait regardé les affaires de la Grèce comme ses affaires particulières ; la Grèce faisait, pour ainsi dire, partie du territoire macédonien. Et voici que soudainement elle se voyait menacée par cette intervention significative de la Ligue ; voici qu'elle était obligée de subir un antagonisme qui lui enlevait la grande situation qu'elle avait prise jusque-là dans les affaires générales ; elle allait s'embarrasser dans une foule de complications difficiles et très prochaines. Antigone n'avait pu suivre en Grèce d'autre politique que la politique conservatrice. Il avait besoin que la Grèce se tînt tranquille ; et, partout où il ne pouvait étendre sa domination immédiate, il favorisait la formation d'un pouvoir unique, d'une tyrannie qui, n'ayant qu'une existence de fait, lui offrait la meilleure garantie du calme intérieur. Or, contre ce fait brutal, contre le droit autoritaire de la domination étrangère ou de la tyrannie domestique, s'élevait maintenant le droit inaliénable de l'autonomie et de la liberté démocratique, et avec un tel dévouement, une telle abnégation, que cette autonomie et cette liberté faisaient volontairement l'une et l'autre l'abandon de leurs attributs essentiels à la communauté fédérale et à sa souveraineté. Depuis Philippe et Alexandre, la monarchie avait cherché à surmonter cette tendance des cités grecques à l'isolement, à les traiter comme de simples communes comprises dans le cadre plus large de l'État, mais jusqu'alors cette tentative n'avait réussi qu'en partie ; elle n'avait réussi que par l'emploi de la force et tant que la force se faisait sentir. Maintenant la même idée reparaissait par suite du nouveau mouvement qui entraînait la race grecque, et elle devait devenir l'âme de la Ligue achéenne. Déjà, chez les Achéens et les Doriens, des communes, grandes et petites, s'étaient réunies pour confier chacune à la confédération qu'elles formaient leur souveraineté, leur droit de faire la guerre, la paix et des alliances. Égalité des poids et mesures, des monnaies, des droits commerciaux, une constitution à peu près identique dans chaque ville alliée, la même autorité fédérale, le même droit fédéral pour tous, voilà ce qui les unissait ; elles étaient toutes protégées par une armée fédérale gouvernée par des magistrats fédéraux. L'idée d'une organisation unitaire, mais combinée avec les avantages de la liberté et de l'autonomie, avait été réalisée au sein de cette Ligue plus complètement que dans aucune monarchie de l'époque, et, de même que l'indépendance communale de chaque ville, ses droits locaux, ses finances, son administration personnelle étaient sous la garantie de la confédération, de même elle prenait part aux décisions de l'État tout entier et votait sur le pied d'égalité dans l'assemblée de la Ligue[98].

Il est naturel que cette opposition une fois établie entre la Macédoine monarchique et l'État fédéral et libre que formait la Ligue achéenne, les affaires du reste de la Grèce se soient ressenties à tout propos de cette polarisation nouvelle. La suite de ce récit montrera plusieurs phénomènes fort remarquables en ce genre ; on a déjà parlé des événements importants de Sparte, dont l'avortement devait amener bientôt une nouvelle tentative plus vigoureuse.

Une chose qui primait tout le reste en importance, c'est la façon dont la Ligue étolienne s'organisa au milieu de ce nouvel état de choses. Cette Ligue était, il est vrai, à première vue, démocratique et, comme la confédération achéenne, une réunion de tribus et de localités différentes ; mais il y avait entre ces deux États fédéraux la même opposition absolue qu'entre les deux plus grandes monarchies constitutionnelles de notre temps, dont l'une s'est formée, pour ainsi dire, historiquement, et l'autre d'une façon antihistorique et rationnelle[99]. En Étolie, l'union des communes en un tout qu'on peut, si l'on veut, appeler démocratique était déjà ancienne[100]. Mais que cette association était loin de former un État unitaire compact ! Les Étoliens allaient, chacun de son côté ou par bandes, faire du butin ou le métier de mercenaires, où bon leur semblait, à la façon des Klephtes, -lors même que la Ligue soutenait la guerre la plus difficile et se voyait menacée sur ses frontières[101] ; tant l'État avait peu de droits sur les facultés et la volonté de l'individu ! C'est à peine s'il protégeait les alliés de la Ligue contre le pillage et la violence, ou s'il leur assurait du moins des dédommagements. C'était encore la barbarie primitive, la négation de l'État, la situation d'où le reste de la Grèce était sorti depuis des siècles par l'organisation des cités. Quelques-unes de ces cités entraient pourtant dans la Ligue et devenaient étoliennes, comme Naupacte ou Amphissa[102], mais c'était une dépravation, un retour au temps où régnait le droit du plus fort ; c'était absolument le contraire de ce qui se passait dans la confédération achéenne. On voit par des inscriptions que les Étoliens avaient mis la main sur le tribunal des Amphictyons et qu'ils s'en servaient pour faire décréter des exécutions qu'ils accomplissaient ensuite, sans aucun doute, à titre de brigandages ordonnés par l'État[103]. Mais on ne pouvait se protéger pacifiquement contre les incursions de quelques Étoliens ou de toute leur communauté, par terre et par mer, qu'en entrant dans leur Ligue ; à cette seule condition, le stratège était obligé de faire restituer ce qui avait été pris, et les personnes lésées avaient recours aux synèdres étoliens[104]. On peut admettre avec toute certitude que la Ligue étolienne n'avait pas, comme la Ligue achéenne, uniquement des membres jouissant de droits égaux ; un renseignement isolé nous apprend que les Locriens d'Oponte, ne pouvant se refuser au décret des Étoliens, prièrent le roi Antiochos de fixer le tribut que devait envoyer la ville locrienne[105]. L'île de Céphallénie[106] doit avoir été tributaire de la même façon, et on ne peut guère supposer que les villes béotiennes, vaincues en bataille rangée, puis contraintes de s'attacher à la Ligue[107], y soient entrées sur le pied d'égalité. Elles ont dû être considérées comme des localités protégées, des métèques : du reste, nous ne savons rien de précis sur ce protectorat. Nous verrons bientôt que des villes du Péloponnèse en dehors de l'Élide, des îles aussi, et même, de l'autre côté de la mer, Lysimachia, Chalcédoine[108], Cios, appartiennent à la Ligue étolienne et s'intitulent étoliennes ; elles conservent pourtant leur ancienne constitution avec le Conseil et le peuple[109], et l'on ne trouve nulle part que ces membrés lointains de la Ligue aient pris part aux délibérations et aux élections de la communauté panétolienne, aux séances du tribunal ou du conseil fédéral, y étant régulièrement et légalement représentés ; ce ne sont pas des représentants, mais des ambassades qu'ils envoient aux magistrats de la Ligue, et on leur rend également réponse par des ambassadeurs[110]. Ces quelques indications montrent déjà combien l'organisation politique de l'ancienne Ligue était grossière et éloignée des idées constitutionnelles qui avaient atteint en Grèce un si haut degré de perfection. C'est qu'autour de la vieille communauté étolienne, comme autour d'un noyau, s'était déposée, par une sorte de tassement tout mécanique, une masse inorganique de tribus et de cités, voisines ou éloignées, les unes tributaires, les autres unies par une amitié des plus élastiques, d'autres placées sous le protectorat de la Ligue, toutes ayant obéi aux circonstances.

Pourtant l'Étolie, qui faisait la force et le centre de cette confédération, était encore assez puissante et assez belliqueuse pour donner à ses alliés et amis un véritable appui. Les guerriers étoliens étaient sans contredit les plus redoutés dans tout le monde grec, et même au loin, même au delà de la mer, on se croyait assuré contre tout danger dès que l'on pouvait compter sur le secours toujours prêt de la Ligue ; celle-ci, aussitôt que le besoin s'en faisait sentir, envoyait un corps de soldats commandé par un stratège pour protéger la localité menacée[111]. On ignore si les villes qui payaient tribut achetaient par là la protection constante de la Ligue ; en tout cas, les Étoliens proprement dits formaient au sein de cette confédération la caste guerrière, et l'on pourrait à certains égards comparer leur situation avec celle qu'Athènes avait autrefois dans la confédération formée contre les Perses.

Ces détails nous expliquent la politique extérieure de la Ligue étolienne. Les Étoliens protègent tout d'abord leur propre territoire et les localités qui se sont confiées à eux contre toute intrusion étrangère ; c'est ainsi qu'ils combattirent sans cesse depuis le temps d'Alexandre l'ascendant de la Macédoine, ainsi qu'ils avaient conservé jusque-là, sans la laisser entamer, leur fière indépendance. Plus s'étendait le territoire placé sous leur protectorat, plus ils percevaient de grands tributs et plus ils avaient d'occasions d'entreprendre des expéditions lucratives. Des créations nouvelles, comme la confédération achéenne ou la réforme d'Agis à Sparte, étaient donc préjudiciables aux intérêts des Étoliens ; c'étaient de nouvelles puissances capables de se défendre, capables de s'opposer à ce droit du plus fort que revendiquaient hardiment les Étoliens et d'entamer le territoire qui reconnaissait leur protectorat ; aussi recoururent-ils aux moyens extrêmes et s'unirent-ils contre Agis et les Achéens au vieil ennemi de leur Ligue, à la Macédoine. Non pas qu'ils voulussent désormais favoriser les agrandissements de la Macédoine ; ils surveillent d'un œil jaloux la puissance de ce royaume et ne lui permettent de s'arrondir que si la plus grosse part est pour eux. C'étaient eux qui devaient le plus profiter au partage projeté de l'Achaïe. Ce partage avorta, et deux ans s'étaient passés à peine que déjà les Étoliens s'unissaient aux Achéens contre la Macédoine. Ce n'est qu'en s'interposant ainsi entre les deux États qu'ils se font enfin une politique, et, en réalité, leur politique fut plus hardie, plus radicale que celle des Achéens, circonspecte et bourgeoise ; ils se sentent assez forts pour grouper sans cesse de nouveaux territoires, auprès et au loin, sous l'abri de leurs boucliers ; ils veulent être les champions de la race grecque, et ce n'est pas le roi, ni ses tyrans, ce ne sont pas les lois pacifiques et les traités des bourgeois de l'Achaïe qui peuvent protéger comme leur bonne épée ; c'est devant cette épée que la Grèce doit s'incliner et en elle qu'elle doit mettre sa confiance. Tel est le fier et présomptueux sentiment qui anime la communauté et- ses chefs ; on voit à chaque instant se manifester l'âpre énergie de cette race qui a gardé encore son cachet primitif ; elle forme le contraste le plus complet avec l'Union achéenne.

Mais revenons à l'époque où mourut Antigone. La Ligue achéenne commençait à peine à se former, que déjà elle menaçait la Macédoine. Le Péloponnèse était en paix, mais partout un danger sérieux et grandissant s'amassait contre l'influence macédonienne ; en même temps la confédération étolienne, dont la puissance n'avait subi aucune atteinte et embrassait déjà la plus grande moitié de l'Hellade proprement dite, prenait l'importance la plus alarmante. La Macédoine, qui après la guerre de Chrémonide et après celle de Cyrène était encore si fière et si humblement obéie, se voyait maintenant au milieu d'embarras et de difficultés qui mettaient en question sa situation de grande puissance.

Et la dernière et redoutable lutte qui avait éclaté en Asie n'avait elle pas eu pour la monarchie syrienne des suites plus désastreuses encore ? Il ne s'agit pas seulement des pertes immenses essuyées dans l'Extrême-Orient ; mais l'Asie-Mineure en deçà du Taurus avait été détachée de l'empire, et, dans l'Asie-Mineure même, le royaume séleucide d' Antiochos Hiérax n'avait guère plus d'étendue que les pays de Bithynie, de Pont et de Cappadoce ; il ne touchait déjà plus à la mer par aucun point. En revanche, la supériorité de l'Égypte était devenue écrasante ; toutes les côtes, depuis la Syrie jusqu'à l'Hellespont et à la frontière de Macédoine, lui appartenaient, formant une ligne à peine interrompue çà et là Mais la force intérieure du royaume ne répondait pas à sa puissance extérieure. Il n'avait conquis cet ascendant que parce qu'il avait reçu des premiers Lagides l'organisation unitaire la plus compacte ; mais déjà les acquisitions nouvelles, Cyrène, la Syrie méridionale, n'avaient pu être assimilées d'une façon aussi complète, anomalie qui devait être d'autant plus dangereuse pour le royaume qu'il s'agrandissait encore par de nouvelles et lointaines conquêtes, par celles-là précisément qui avaient fourni jusque-là des points d'attaque si commodes contre la Syrie. La dynastie des Lagides se contenta, dans ces contrées, d'établir des garnisons et de lever des tributs ; mais, incapable, comme elle l'était, d'organiser et de s'assimiler complètement les villes de la Phénicie, le grand pontificat de la Judée, les cités grecques des îles, les côtes de l'Asie-Mineure, de la Thrace, de Cyrène, elle n'avait fait que s'inoculer à elle-même la faiblesse dont avaient souffert jusque-là la Macédoine et la Syrie ; elle était, comme ces deux puissances l'avaient été jusqu'alors, forcée d'adopter une politique conservatrice, qu'une puissance unitaire et vigoureuse par elle-même, un État formant un tout naturel, peut seul pratiquer sans péril et même en y puisant un surcroît de force. Quelle que fût la prépondérance de l'empire égyptien au moment où il avait remporté ses plus grandes victoires et atteint sa plus vaste extension, ces causes de faiblesse se manifestaient déjà Et quels sont ceux qui surent en tirer parti ? C'est un fait significatif que le petit État de Rhodes ait pu vaincre la flotte égyptienne ; que les dynastes de Pergame, au milieu des troubles provoqués en Asie-Mineure par la politique des Lagides, aient pu, tout en combattant les Galates, non seulement amasser leurs grandes ressources financières, mais encore conquérir une puissance morale grâce à laquelle ils se tracèrent désormais leur propre voie ; que la Ligue achéenne ait grandi d'abord à l'ombre du protectorat égyptien ; que l'Égypte enfin ait favorisé dans le Péloponnèse cette même liberté qu'elle combattait à Cyrène et ne pouvait terrasser en Ionie.

C'est ainsi que les luttes des trois grandes puissances et la façon pour ainsi dire sommaire dont elles remaniaient les limites de leurs domaines avaient fait naître partout de petits États d'un caractère local, plus fermé et plus individuel ; ces petits États développèrent à leur tour une énergie politique agissante et prompte, qui limita de plus en plus le rôle des trois grandes puissances et multiplia presque à l'infini le démembrement du système des États helléniques, tandis que le monde occidental était déjà comme immobilisé tout entier dans l'antagonisme opiniâtre de Rome et de Carthage.

 

 

 



[1] Pline (VII, 37) raconte ceci sous le couvert de Cléombrote de Céos, et ailleurs (XXIX, 1), citant Érasistrate, il dit : donatus est a Ptolemœo filio ejus (Antiochi). Pour rectifier une erreur évidente, il n'y aurait qu'à écrire filioque ejus et à rapporter le mot à l'héritier du trône, Ptolémée III. Le nom d'Érasistrate n'est pas invraisemblable parce qu'il avait opéré 35 ans plus tôt la fameuse cure d'Antiochos Ier ; le Canon d'Eusèbe place l'apogée de sa renommée en Ol. CXXX. Je n'ai trouvé nulle part ailleurs la moindre mention d'un médecin appelé Cléombrote, mais ce n'est pas une raison pour admettre la singulière explication de HARDOUIN, qui suppose qu'il faut lire Theombrotus et que c'est là un titre honorifique décerné à Érasistrate.

[2] PHYLARCH., fr. 23 (ap. ATHEN., XIII, p. 593). Sophron est appelé ici ό έπί τής Έφέσου : serait-ce comme gouverneur pour le compte de la Syrie ? Si Sophron s'est réfugié à Éphèse après le meurtre du roi, c'est plutôt que la ville était ou égyptienne ou libre.

[3] La suite des événements nous montre qu'Antiochos n'est pas mort à Éphèse, comme le dit l'Eusèbe arménien (I, p. 251 éd. Schœne) : in morbum implicitus decessit ; ce doit être dans une ville du voisinage, peut-être à Laodicée ou à Sardes.

[4] PHYLARCH. ap. ATHEN., XIII, p. 593. (fr. 23). HIERONYM., In Daniel., XI, 5-6. PLINE, VII, 12. VAL. MAXIME, IX, 10, extr. 1. IX, 14, extr. 1. JUSTIN, XXVII, 1. POLYBE, VIII, 50. Je n'ai pas osé emprunter davantage à tous ces récits. Ils proviennent de deux sources différentes. Le récit concernant Danaé est de Phylarque. Pline assure que ce ne fut pas Antiochos, mais un individu doué d'une grande ressemblance avec lui (e plebe ; Valère Maxime dit, au contraire, regia stirpe), qui, placé sur le lit royal, donna cet ordre en faveur de Séleucos. Ce détail doit venir aussi de Phylarque, car, parmi les auctores que Pline énumère pour son septième livre figure précisément le nom de Phylarque. Seulement, la même interpolation se répète encore dans le récit de Polyænos, à propos de l'enfant de Bérénice et de Bérénice elle-même, de sorte que toute l'histoire prend un caractère apocryphe. Peut-être faut-il croire que Phylarque lui-même, chez qui Trogne-Pompée, suivi par Valère-Maxime, a puisé ses renseignements, racontait de la sorte ces deux supercheries. La course vengeresse dont parle Valère Maxime doit venir aussi de Phylarque par Trogue-Pompée. L'extrait de Justin est, comme presque toujours, superficiel. Il est à croire que, du côté égyptien, on a répandu le bruit que le droit de succession de Séleucos avait été escamoté de cette façon. Néanmoins, les matériaux manquent pour une étude plus approfondie. S. Jérôme appelle les meurtriers de l'enfant de Bérénice Icadion et Genneus, Antiochiæ principes : Valère-Maxime ne parle que d'un satellite appelé Cæneus.

[5] En l'absence d'un texte précis, on serait tenté d'admettre avec NIEBUHR (Kleine Schriften, p. 273) que ce fut précisément la mort de Ptolémée qui donna occasion au roi de Syrie de rappeler Laodice. Mais saint Jérôme dit : occisa Berenice et mortuo Ptolemæo. Polyænos veut que la guerre de représailles ait été encore déclarée par le père de Bérénice ; c'est une erreur, mais une erreur qui suppose précisément cet ordre chronologique dans les faits. Ptolémée, comme nous le savons par le Canon des Rois, est mort après le début de l'an 78 des Lagides, c'est-à-dire après le 24 octobre 247 (IDELER, Geber die Reduction der ägyptischen Data). Si l'indication des chronographes (ap. MÜLLER, Fragm. Hist. Græc., III, p. 716) qui donnent 15 ans de règne à Antiochos Théos est exacte — et, d'après la durée attribuée au règne de son successeur, entre 20 et 21 ans, il semble bien qu'elle le soit — alors la mort d'Antiochos tombe au commencement de 245 ou à la fin de 246. L'Eusèbe arménien fait commencer le règne d'Antiochos Théos en Ol. CXXIX, 4 (261), et il fait mourir ce prince à l'âge de 40 ans, après 15 ans de règne, en Ol. CXXXV, 3 (238). Il place l'avènement de Séleucos II en Ol. CXXXIII, 3 (246), ce qui est exact ; les annos quadraginta paraissent être une erreur ; peut-être y a-t-il un mot d'effacé, quinque ou sex.

[6] Voyez les commentateurs du morceau In comam Berenices.

[7] JUSTIN., XXVII, 1.

[8] Voyez l'alliance entre Smyrne et Magnésie (du Sipyle) dans le C. I. GRÆC., II, n° 3137. Sur les monnaies d'argent d'Antiochos II, on trouve comme emblèmes le cheval paissant d'Alexandrie de Troade, la coupe à une anse de Kyme, le fer de lance (probablement pas celui de Cardia), la tête de cheval de Magnésie du Méandre, et, comme armoiries associées, la lyre et le trépied (Mitylène et Cnide), la torche et Pégase (Cyzique et Alabanda), la tête de griffon et le caducée (Phocée et Mitylène), le demi-cheval marin et le cheval paissant (Scepsis et Alexandrie de Troade), le flambeau debout et l'aigle au repos (Cyzique et...). Il est impossible de dire en quelles années du règne d'Antiochos II elles ont été frappées ; on ne peut même tirer parti pour cela du fait que, sur quelques-uns de ces tétradrachmes, le diadème de l'effigie est pourvu d'ailes, des ailes d'Hermès, sans contredit, à moins que ce ne soient des monnaies d'Antiochos Hiérax (?).

[9] Ceci résulte de l'inscription de Smyrne (lig. 1).

[10] POLYÆN., VIII, 50.

[11] POLYBE, V, 58, 4. Il est question, dans ce passage, d'un conseil tenu par Antiochos III, où l'on signale l'importance exceptionnelle de cette forteresse. Polybe ne mentionne pas expressément cette prise de possession, mais la chose va de soi ; c'est seulement de l'embouchure de l'Oronte que les Égyptiens pouvaient atteindre si vite Antioche.

[12] Voyez BUTTMANN (dans le Wolf und Buttmanns Museum, II, p. 105 sqq.). C. I. GRÆC., III, n° 5127.

[13] On pourrait peut-être conclure de ces paroles que Ptolémée III a été associé au trône par son père, attendu qu'entre son avènement et l'expédition de Syrie il n'a pas eu le temps de chasser l'éléphant. Ce système non seulement s'accorderait avec la correction filioque proposée plus haut au texte de Pline (XXIX, 1), mais expliquerait aussi dans une certaine mesure la divergence des assertions relatives au roi qui commença la guerre de représailles après la mort de Bérénice. On pourrait même faire intervenir ici le texte d'Hygin : alii dicunt Ptolemæum, Berenices patrem, multitudine hostium perterritum fuga salutem petiisse, filiam autem sæpe consuetam insiliisse equum, etc. Mais ni les chronographes ni le Canon d'Eusèbe ne permettent cette conjecture, qui n'est pas non plus nécessaire pour expliquer le passage de l'inscription d'Adule.

[14] On entend ici par monarques, je suppose, ceux que l'inscription de Smyrne énumère sous le nom de dynastes : les rois, dynastes, villes et έθνη, c'est-à-dire groupes sans cités, populations formant des συστήματα πολιτικά. L'énumération des régions et provinces est confirmée par un passage de Polybe (V, 34, 7), où il est dit notamment que Ptolémée IV a possédé les villes et ports les plus considérables depuis la Pamphylie jusqu'à l'Hellespont et que maître d'Ainos, de Maroneia et d'autres villes encore plus éloignées, il a menacé la Macédoine et la Thrace. Lesbos a été également en son pouvoir, comme le montre l'inscription publiée dans le Bulletin de Correspondance hellénique, VII [1880], p. 435, car ce document, rédigé à Lesbos, est daté par les noms de ce Ptolémée et de Bérénice. Aussi est-il dit dans le traité conclu entre Antiochos III et Philippe de Macédoine (POLYB., XV, 20) que les Cyclades et les îles et villes de l'Ionie seront transférées à la Macédoine,

Il y a un passage semblable dans l'inscription de Tanis (lig. 10), dont WESCHER a publié le texte (Revue Archéol., 1866, p. 369). Elle est datée de l'an 9 de Ptolémée Évergète, 17 Tybi = 7 Apellæos.

[15] On pourrait croire, d'après le contexte, que l'expédition est partie d'Égypte ; si telle avait été la pensée du rédacteur de l'inscription, il aurait dû dire διά τοΰ όρυχθέντος ποταμοϋ, car il n'y avait pour passer du Nil dans la mer Rouge qu'un seul canal, le canal appelé Πτολεμαΐος ποταμός (DIODORE, I, 33. PLINE, VI, 29).

[16] Je tiens à ajouter ici en note les autres données concernant l'étendue de la conquête. Justin (XXVII, 1) dit : qui nisi domestica seditione revocatus esset, totum regnum Seleuci occupasset. Polyænos (VIII, 50) : άπό τοΰ Τάύρου μέχρι τής Ίνδικής έκράτησε. Dans l'Eusèbe arménien (I, p. 251 éd. Schœne) : Ptolemæus autem qui et Tryphon partes regiones Syriorum occupavit, quæ vero apud (ad, contra) Damascum et Orthosiam obsessio fibat. Finem accepit Olympiades CXXIIV anno tertio, quum Seleucus eo descendisset. Dans la traduction de ZOHRAB, le passage décisif est rendu comme il suit : Syriæ regiones cum Damasco occupavit Orthosiamque obsidione cinxit, quæ Ol. CXXXIV, 3 soluta est Seleuco eo expulso. S. Jérôme dit : ut Syriam caperet et Ciliciam superioresque partes trans Euphratem et propemodum universam Asiam. Ciliciam autem amico suo Antiocho gubernandam tradidit et Xantippo alteri duci provincias trans Euphratem. ROSELINNI assure que le temple d'Esneh était plein de récits des victoires de ce roi : il se contente de dire que, dans les inscriptions, la Perse est aussi nommée (II, p. 327). CHAMPOLLION (Lettres écrites d'Égypte, p. 204) a trouvé dans la série des captifs les noms de l'Arménie, de la Perse, de la Thrace, de la Macédoine. Malheureusement, ces importants fragments ont été détruits depuis lors.

[17] D'après la traduction de LENGERKE. Ce qui est singulier, c'est l'interprétation tout à fait différente de Polychronios, qui rapporte toute la prophétie à Ptolémée VI Philométor.

[18] D'après saint Jérôme. Cette explication du nom d'Osiris se trouve dans Plutarque (De Iside). Je dois citer ici, en note tout au moins, l'assertion suspecte et en tout cas exagérée de Josèphe (Contra Apionem, II, 5), à savoir que Ptolémée a offert les χαριστήρια τής νίκης non pas aux dieux égyptiens, mais à Jéhovah dans son temple de Jérusalem. Du reste, le titre de θεοί Εύεργέται, appliqué à Ptolémée et à Bérénice, ne se rencontre ni sur la plaque d'or de Canope, ni dans l'inscription adulitaine, qui raconte cependant tout au long les victoires d'Asie. Les rois de cette époque semblent avoir évité de prendre pour leur propre compte ces titres fastueux de dieux ; mais on ne trouvait rien de choquant à appeler le père et la mère des princes régnants par leur nom divin.

[19] D'après l'inscription de Smyrne (lig. 84), le traité dut être également affiché dans ces deux villes.

[20] On lit dans la même inscription (lig. 12) : νΰν τε ύπερβεβληκότος τοΰ βασιλέως είς τήν Σελευκίδα, c'est-à-dire en partant, cette fois encore, de l'Asie-Mineure.

[21] POLYBE, IV, 51. Le second fils issu de ce mariage avait cinquante ans en 192 (POLYB., XX, 8) : par conséquent, il était né en 242, et rainé ne pouvait pas être venu au monde après 243. Je ferai observer ici par avance que, dans l'inscription de Smyrne, il n'y a pas la moindre allusion soit à Antiochos Hiérax, soit à cette Laodice ; de sorte que l'inscription a dû être rédigée en 244 au plus tard. Séleucos II est représenté imberbe sur ses premières monnaies (par exemple, sur le beau tétradrachme de La Haye, décrit par IMHOOF-BLUMER dans la Berl. Numism. Zeitung, III [1876], p. 345). Sur les monnaies plus récentes, il porte la barbe diversement frisée ; d'après Polybe (II, 71), il était surnommé non seulement Καλλίνικος, mais encore Πώγων. Ce sont là les raisons qui m'empêchent d'admettre que Séleucos II ait épousé de bonne heure, — par exemple, avant que sa mère n'eût été répudiée, — la nièce de sa mère.

[22] Sur la façon dont Xanthippos quitta le service de Carthage, voyez HUDEMANN, Zeitschr. für Alterth., 1845, p. 100. NIEBUHR (Klein Schriften, p. 277) pensait qu'il n'y a pas l'ombre d'un indice concernant l'identité de ce Xanthippos. Sans doute, si l'on en croit les relations d'origine romaine, Xanthippos, victime de cette bassesse d'âme punique que les Romains étalent si volontiers, aurait été noyé avec ses trésors en retournant chez lui. On se demande à bon droit quel eût été le but de cette infamie. Polybe, quand il parle du départ de Xanthippos (I, 36, 3), dit que celui-ci s'était décidé de son propre mouvement à quitter Carthage, et il ajoute qu'il y avait aussi sur son congé une autre version, dont il parlerait en temps opportun. Par conséquent, Xanthippos devait reparaître encore une fois dans la suite de son récit ; or, au cours des événements survenus jusqu'en 216 en Afrique, en Grèce, en Asie et en Afrique, de ceux du moins que Polybe relate, on ne le rencontre nulle part ; plus tard, il ne pouvait être question de lui que d'une façon incidente. D'un autre côté, à l'endroit précisément où l'on s'attendrait à voir Polybe s'étendre sur l'histoire antérieure des provinces de la Haute-Asie, il en parle d'une Gnon sommaire et insuffisante (V, 40 sqq.) : c'est que probablement il devait exposer dans son dixième livre la formation de l'empire parthe, de l'empire bactrien, et c'est là, j'imagine, qu'il a dû parler de Xanthippos. Il serait encore possible, il est vrai, que Polybe eût repris le sujet à propos de la critique d'un auteur qui aurait conté de la manière susdite la fin de Xanthippos : cependant, ce n'est pas vraisemblable, car l'auteur en question aurait dû être probablement Fabius ou Philinos, et nous avons encore le jugement porté par ces écrivains.

[23] SUÉTONE, Claude, 25. Suétone, il est vrai, ne désigne pas expressément ce Séleucos, mais il est absolument impossible de songer à son fils et successeur, attendu que, du temps de celui-ci, Ilion n'était plus sous la domination des Séleucides (POLYBE, V, 78, 6). Peut-être ces faits rapprochés jettent-ils quelque lumière sur un texte d'Eutrope (III, 1) : Finito punico bello... Romani legatos ad Ptolemæum Aegypti regem miserunt auxilia promittentes quia rex Syriæ Antiochus bellum ei intulerat, ille gratias Romanis egit, auxilia non accepit, jam enim fuerat transacta. Si le nom d'Antiochos n'est pas mis là par suite d'une erreur d'Eutrope ou de l'auteur qu'il suit, il faudrait entendre par là que la réconciliation d'Antiochos II avec Laodice a été considérée tout de suite à Alexandrie comme un casus belli.

[24] Ceci est une conjecture de NIEBUHR (Klein Schriften, p. 277). Outre la vraisemblance intrinsèque qu'il invoque, il y a une circonstance qui plaide tout particulièrement en faveur de son opinion, c'est que, quelque temps après, Séleucos invita son frère à une alliance, ce qui n'eût pas été possible si celui-ci n'avait eu un domaine et des sujets sous ses ordres.

[25] On peut citer à ce propos l'inscription que les Branchides, prêtres d'Apollon Didyméen à Milet, ont fait rédiger (C. I. GRÆC., II, n° 2852) : elle contient le message du roi Séleucos au Conseil et au peuple de Milet au sujet des splendides ex-votos que ce prince dédia dans le temple, notamment τοΐς θεοΐς Σωτήρσι (Antiochos Ier et Stratonice), ainsi que la liste des dites offrandes. On lit dans l'en-tête du document : τάδε άνέθηκαν βασιλεΐς Σέλευκος καί Άντίοχος τά έν τή έπιστολή γεγράμμενα. On pourrait conclure de ce βασιλεΐς que la dédicace s'est faite après la réconciliation des deux frères, réconciliation dans laquelle l'aîné reconnut au cadet le titre de roi ; mais le message émane du Βασιλεύς Σέλευκος tout seul ; et comme, tout en disant άφεστάλκαμεν, il emploie plus loin l'expression ώς έγώ βούλομαι, il paraît bien être celui qui dispose seul et agit en même temps au nom de son frère. Ce mot βασιλεΐς, employé par les autorités du temple, serait en ce cas de pure courtoisie.

[26] PLUTARQUE, De frat. amor., 18.

[27] POLYÆN., IV, 17.

[28] Le décret de Canobos, publié par LEPSIUS (1866) et daté de l'an 9 de Ptolémée III, 7 mars 238, ne donne aucun renseignement sur la date du retour, mais il confirme l'expédition dirigée sur la Perse ou tout au moins contre Suse.

[29] Ceci d'après la traduction susmentionnée de l'Eusèbe arménien (I, p. 251), telle que l'a donnée PETERMANN en concurrence avec celle de ZOHRAB. Le siège finit quum Seleucus eo descendisset, c'est-à-dire quand il fut descendu d'Asie-Mineur en Syrie en franchissant le Taurus.

[30] Cette importante indication chronologique se trouve dans le Chronicon Paschale (I, p. 330) à la date de Ol. CXXXIV, 1 (244/3), sous le consulat de Catulus et d'Albinus. Cette avance vient de ce que le chroniqueur a laissé de côté les consuls de l'an 270 et a identifié l'année consulaire avec l'année olympique qui commence au milieu de celle-ci (Cf. CLINTON, Fast. Hellen., III, p. VI). L'erreur chez lui tombe toujours sur le comput des olympiades : ses dates, comme on le voit par celles qui concernent la fondation de Nicomédie, l'avènement de Ptolémée III, visent l'année désignée par les noms des consuls. Le nom de la ville montre que Séleucos portait déjà le surnom de Callinicos, il ne s'ensuit pas le moins du monde qu'il eût déjà remporté une grande victoire.

[31] Ces combinaisons, il faut l'avouer, sont loin de constituer une preuve irréfragable : C. MÜLLER (Fragm. Hist. Græc., III, p. 708 sqq.) a proposé, pour ces événements et ceux qui suivent, une ordonnance qui en diffère sur bien des points, et avec des raisons très spécieuses à l'appui. J'ajouterai encore ici quelques détails. Ptolémée est revenu de la Babylonie soit par la route de Syrie, soit par l'Arabie. En admettant que Séleucos fût déjà rentré en Syrie, le retour par l'Arabie eût été une concession, et alors le Lagide ne pouvait plus disposer des pays conquis comme il l'a fait : si, au contraire, il est revenu par la Syrie, il faut que Séleucos ait été battu une fois de plus, et on est obligé de supposer que c'est seulement à la troisième tentative faite par lui de l'Asie-Mineure qu'il a pu aboutir, tandis que cependant, dans la troisième partie de l'inscription de Smyrne, les expressions τήν βασιλεΐαν αύτοΰ συναύξων font croire à des succès remportés de l'autre côté du Taurus. Dans la première partie du document, il est dit que le roi se comporte φιλοστόργως τά πρός τούς γονεΐς, par conséquent vis-à-vis de sa mère Laodice aussi ; on pourrait peut-être inférer de là que l'inscription a été rédigée avant que le jeune Antiochos encore enfant se Mt jeté avec sa mère dans le parti de l'Égypte, ce qui arriva, comme on l'a supposé plus haut, lorsque Ptolémée à son retour garda la Syrie et disposa du reste de ses conquêtes. Je n'ose pas serrer de plus près la chronologie de ces événements.

[32] JUSTIN., XXVII, 2.

[33] EUSEB. ARMEN., I, p. 251, éd. Schœne.

[34] ATHEN., VI, p. 251, d'après le livre XIII de Phylarque. Les mots χάριν άποδιδόντες... Άντιόχου άπογόνοις me portent à croire que le fragment remonte à une époque antérieure à 213. Peut-être est-ce à cette guerre que se rapporte le décret voté par les Érythréens en l'honneur de leurs nouveaux stratèges (LEBAS, Voyage archéol., III, n° 1536. cf. n° 1541).

[35] Il se pourrait que les villes lyciennes eussent aussi envoyé des vaisseaux et que les combats mentionnés dans une inscription du C. I. Græc. (III, n° 4239) aient été livrés à cette occasion.

[36] STRABON, XVI, p. 754.

[37] Je rappelle que Séleucos, dans la paix conclue avec son frère, avait cédé à ce dernier l'Asie jusqu'au Taurus : par conséquent, la Cilicie n'y était pas comprise.

[38] adjutorem enim et suppetias Alexandria etiam habebat, qui Sardianorum urbem tenebat, qui et frater matris ejus Laodicæ erat (EUSEB. ARMEN., I, p. 251 éd. Schœne). C'est la traduction de PETERMANN : il fait observer que les manuscrits donnent Alexandriæ ou Alexandria, et que AUCHER a voulu lire haghexandré i. e. ab Alexandro pro haghexandreah. AUCHER avait certainement raison.

[39] JUSTIN., XXXVIII, 5. EUSEB. ARMEN., I, p. 251, 5 éd. Schœne. De ce mariage naquit cette Laodice qui, en 221, était d'âge à épouser Antiochos III et qui lui donna un fils dès l'année suivante : elle doit par conséquent être née au plus tard en 237. Je place le mariage en 242 ; on verra plus loin pour quels motifs. Justin est absolument seul à parler de la dot ; Appien lui-même, parlant des négociations à propos desquelles Justin fait cette mention, n'en dit pas un mot (APPIAN., Mithrid., 12, 57). Cependant il est impossible que l'assertion de Justin ne repose sur rien. — Je tiens à ajouter ici quelques détails indispensables sur Mithradate. Son père Ariobarzane, qui était monté sur le trône en 266, mourut peu de temps après l'attaque d'Antiochos II contre Byzance, incident que nous avons rencontré sur notre chemin avant 258 (MEMNON, c. 24). Memnon parle tout de suite après d'un cadeau que le roi Ptolémée a fait aux Héracléotes : ce sont des expressions qui s'accordent de très près avec celles de Théocrite (XVII, 110). Ainsi, le chapitre 25 de Memnon pourrait coïncider avec les premières et brillantes années de la guerre, de 258 à 248, et par conséquent la mort d'Ariobarzane pourrait correspondre à peu près au début de la guerre. Ce n'est que quatorze ans plus tard que Mithradate s'est marié ; il devait n'être encore qu'un enfant lors du décès de son père.

[40] Ces paroles précisément (DAN., XI, 8) offrent de très grandes difficultés ; l'explication donnée ci-dessus est la moins forcée, et elle est acceptée par LENGERKE ainsi que par HÄVERNIGK.

[41] EUSÈBE ARMÉNIEN, I, p. 251 éd. Schœne.

[42] POLYÆN., VIII, 61. Polyænos, comme le Prologue XXVII de Trogue-Pompée, appelle cette rencontre la bataille d'Ancyre : ce doit être par conséquent la même que celle dont Justin (XXVII, 2) parle aussi, mais pas au bon endroit. Ceci résulte du texte de Justin lui-même, car plus loin (XLI, 4), en résumant l'histoire des Parthes, il dispose les faits dans l'ordre suivant : lutte entre les frères, victoire des Gaulois (en 241, selon moi), puis inquiétudes d'Arsace, qui redoute Séleucos et Diodotos de Bactriane (nous verrons que, dès 239, Séleucos avait repris le dessus), enfin, expédition de Séleucos en Orient, entreprise peu de temps après 239. De même, l'extrait de Porphyre inséré dans l'Eusèbe arménien place évidemment ces guerres à l'époque actuelle, bien qu'il fasse mention tout de suite après de la levée du siège d'Orthosia, car en général il ne parle pas de la grande guerre d'Égypte, il y fait simplement ici une allusion en passant : pour lui, la chose importante est la guerre civile. La confusion qu'il y a dans Eusèbe n'est pas à beaucoup près aussi grande que se l'imagine NIEBUHR (Kl. Schriften, p. 282 sqq). Il est vrai que NIEBUHR veut mettre la bataille d'Ancyre après l'expédition de Séleucos en Orient, c'est-à-dire vers 237.

[43] C'est à ce fait que se rapporte le texte de Polyænos (IV, 9, 6). Séleucos s'enfuit déguisé ; ce n'est que quand il eut de nouveau rassemblé ses bandes éparses qu'il reparut dans l'appareil d'un roi.

[44] PLUTARQUE, De frat. amor., 18.

[45] JUSTIN, XXVII, 2, 12.

[46] JOSEPH., Ant. Jud., XII, 4, 2.

[47] JUSTIN., XXVII, 3, 1. La grande victoire remportée sur les Galates par Attale de Pergame doit être placée après 239. Voyez ci-après.

[48] La Cappadoce, où Ariamène régnait encore, me parait avoir été pour Séleucos : cependant, l'expression Antiochus... ad socerum suum Ariamenem... pervehitur, employée à propos d'un incident survenu plusieurs années plus tard, montre qu'Ariamène avait marié sa fille à Antiochos Hiérax. La suite de l'histoire donne à penser que Ziaélas de Bithynie tenait pour Antiochos : l'alliance d'Eumène, et depuis 241 (voyez CLINTON, p. 402) d'Attale de Pergame avec Séleucos est vraisemblable, puisque ces princes luttent contre Antiochos. L'attitude d'Héraclée, de Byzance, est tout à fait problématique. Quant à Cyzique, nous savons seulement que l'épouse d'Attale était originaire de cette ville (STRAB., XIII, p. 624). La mère d'Attale était une fille d'Achæos, une sœur de la reine Laodice, la tante par conséquent de Séleucos et d'Antiochos. Le Pont était en dernier lieu du côté d'Antiochos.

[49] Il conserva certainement Éphèse et Magnésie (du Méandre), qui a dû être reprise après 244 par les Égyptiens, probablement aussi Milet et Priène. Je n'ose aller plus loin ; au sujet de Samos notamment, je garde des doutes à cause des assertions de Polyænos (V, 25) et de Frontin (III, 2, 11).

[50] On dit dans le conseil du roi Antiochos qu'il serait ridicule de songer à reprendre la Cœlé-Syrie, tant que Séleucie est encore aux mains de l'ennemi (POLYBE, V, 58, 5).

[51] Il est impossible malheureusement de préciser la date de cette paix. Le seul point de repère que l'on ait, c'est que l'expédition d'Orient (voyez ci-après) fut entreprise alors que déjà Stratonice de Macédoine, répudiée par le roi Démétrios (depuis 239), était arrivée en Syrie eumque in mariti bellum impulit. Or, même une femme ivre de vengeance ne pouvait songer à une guerre contre la Macédoine, si la paix n'était pas faite entre l'Égypte et Antiochos. Démétrios l'avait répudiée pour épouser une princesse épirote, qui lui donna peu de temps après le mois d'octobre 238 son fils Philippe, car Philippe perdit la bataille de Cynocéphales (livrée avant la moisson de 197) 23 ans et 9 mois après le début de son règne, et il n'avait pas plus de 17 ans lorsqu'il monta sur le trône. On peut donc placer le départ de Stratonice pour la Syrie à la fin de 239 ou au commencement de 238, et, lorsqu'elle y arriva, la paix devait être faite. Il y a eu tant d'événements entre la levée du siège d'Orthosia en 242/1 et la paix, qu'il est à peu près impossible de faire remonter la date de cet arrangement à 240.

[52] ÆLIAN., XIV, 43. Elle est appelée dans Athénée (XV, p. 689) la grande Bérénice. Il y a là probablement, comme d'autres l'ont déjà remarqué, une fausse leçon, qui cache le nom de son père Magas.

[La correction est faite dans l'édition de MEINEKE, qui donne Βερενίκη ή Μάγα. Note du Trad.]

[53] POLÉMON, p. 131 éd. Preller.

[54] POLYBE, X, 25, 3. — PLUTARQUE, Philop. 1. On peut conclure de l'expression de Polybe qu'ils ont séjourné assez longtemps à Cyrène. Philopœmen les eut pour maîtres à Mégalopolis, alors qu'il était encore άντίπαις, c'est-à-dire avant l'âge éphébique (Plutarque), et il était né en 253. C'est pour cette raison que, dans le Prologue XXVII de Trogue-Pompée : ut Ptolemæus adeum denuo captum interfecerit, la conjecture si ingénieuse de C. MÜLLER (Eudemum captum) me parait inopportune. On ne peut pas davantage accepter celle de NIEBUHR (Achæum denuo captum), car elle présuppose des faits sur lesquels nous n'avons pas la moindre indication. GUTSCHMID (ap. Jeep, p. 182) recommande Adæum : la seule raison, que je sache, c'est que, une vingtaine d'années plus tard, on rencontre en Égypte un Adæos, stratège de Bubastis (POLYB., XV, 27, 6) et que, par conséquent, le nom en question est bien un nom de grand d'Égypte. Je croirais volontiers que Trogue-Pompée, résumant Phylarque, a fait entrer dans cette phrase le suite de la guerre et la soumission finale de la Cyrénaïque.

[55] JOSEPH., Contr. Apion., II, 4.

[56] CALLIM., Epigr. 39.

[57] STEPH. BYZ., s. v. Έσπερίς. LETRONNE (Recueil, p. 184) dit que Bérénice a dû recevoir son nom de Magas, parce que, suivant son étrange hypothèse, Ptolémée Philadelphe n'a pu être le fondateur de la ville : il oublie ce troisième Ptolémée. Il n'est pas plus heureux dans l'observation frappante qu'il ajoute : c'est que le nom de Bérénice n'existe que sur les bords de la mer Rouge. Non seulement Tios sur le Pont s'est appelée durant un certain temps Bérénice, mais ce nom se rencontre aussi en Cilicie et en Syrie.

[58] Je dois rappeler dès à présent qu'en 243 il y avait dans la citadelle de Corinthe 500 mercenaires syriens (non pas Σύριοι, de l'île de Syros, mais Σύροι, PLUTARQUE, Arat., 24). Je ferai observer également que, comme le prouve l'inscription de Smyrne, Séleucos a fondé des fêtes et des temples en l'honneur de son père Antiochos Théos et de sa grand-mère, la sœur d'Antigone. De même qu'on vit des Syriens à Corinthe, les Étoliens (alliés d'Antigone dans cette guerre) firent un coup de main heureux contre Samos (POLYÆN., V, 25. FRONTIN., III, 2, 11). La correction proposée au texte de Frontin (Saniorum pour Samiorum) ne mène à rien.

[59] et Antigonum Andro prælio narali prona vicerit [var. Antigonus... navali oprona] (TROG. POMP., Prol. XXVII). GUTSCHMID (ap. Jeep, p. 182) a tiré de là Antigonus Sophrona. Si c'est bien un Antigone qui a livré cette bataille, ce ne peut pas être, comme le supposait NIEBUHR, Antigone III Doson ; ce doit être Antigone Gonatas, qui est mort en 239 à l'âge de 80 ans au moins. Les pénibles luttes que ce prince eut à soutenir dans l'Hellade durant ses dernières années ne permettent guère de croire qu'il ait gagné en personne cette bataille d'Andros. Plutarque (Pelop., 2) raconte bien une anecdote déjà citée plus haut au sujet d'une victoire d'Antigone à Andros, et il dit Άντίγονος ό γέρων, mais on ne peut certainement pas s'en servir pour prouver le victoire dont il s'agit ici, car Plutarque ne dit pas Άντίγονος γέρων ών, et Άντίγονος ό γέρων désigne d'ordinaire le vieil Antigone Monophthalmos (Cf. PLUTARQUE, De fort. Alex., I, 9). Si l'on tient à rencontrer Sophron dans cette affaire, on pourrait écrire : ut Antigonum prælio navali Sophron devicerit ; mais il n'est dit nulle part que Sophron ait livré cette bataille, ni même qu'il ait jamais commandé sur mer : il n'est question de lui, que je sache, qu'une fois en tout, dans un passage cité plus haut (PHYLARCH., Fragm. 23), passage où il est appelé ό έπί τής Έφέσου.

[60] POLYÆN., V, 10 : par conséquent, la ville est encore au pouvoir des Égyptiens.

[61] TELES ap. STOBÉE, Florileg., II, p. 72. L'ouvrage n'a pas été écrit, comme le pensait NIEBUHR, avant Ol. CXXXIV, 4. NIEBUHR circonscrivait ainsi la date probable de la rédaction, sous prétexte que, dans ces Apophtegmes, Télés cite Zénon comme mort, Bion le Borysthénite comme vivant et que, d'après les Όλυμπ. άναγραφαί, Bion est mort en Ol. CXXXIV, 4. Indépendamment de l'incertitude de cette chronologie, on voit Télés citer également des aphorismes de Thémistocle, d'Aristippe, avec le présent 911 cri. Ce qui est raconté d'Hippomédon (voyez ci-après) montre que cet écrit de Télès a été rédigé après 239, après Ol. CXXXV, 2. — Dans Frontin (III, 2, 11), je n'ose pas changer Charmade occiso en Chremonide.

[62] POLYBE, XXXI, 7. Des ambassadeurs rhodiens disent : Στρατονίκειαν έλάβομεν έν μεγάλη χάριτι παρ' Άντιόχου καί Σελεύκου. Il faut se souvenir que le reste de la Carie était au pouvoir du Lagide. La correction τοΰ Σελεύκου transporterait la cession de la ville dans un tout autre ensemble de circonstances ; la Vulgate indique comme date l'époque de la paix conclue entre les deux frères.

[63] Des trois frères originaires de Tios, Philétæros, Eumène et Attale, c'est Philétæros qui a fondé la principauté de Pergame ; il a pour successeur Eumène, qui parait être le fils du second frère. Après avoir été dynaste pendant 22 ans, Eumène à son tour eut pour successeur cet Attale, le fils du troisième frère. La mère d'Attale est Antiochis, la fille d'Achæos, la sœur, par conséquent, de Laodice et d'Andromachos (STRABON, XIII, p. 625). Le rex Bithynus Eumenes de Justin doit être probablement interprété en ce sens que c'est Eumène encore qui a commencé cette guerre. Pour ne rien laisser de côté, je ferai observer que, d'après la chronique de Ctésiclès, Eumène mourut d'excès de boisson (ATHEN., X, p. 445).

[64] POLYBE, XVIII, 24, 5. — regium nomen, cujus magnitudini semper animum æquavit (TITE-LIVE, XXXVIII, 17).

[65] PLUTARQUE, Arat., 15.

[66] PLUTARQUE, Arat., 18.

[67] POLYBE, IV, 3, 5. IX, 34, 11.

[68] POLYBE, XX, 4. PLUTARQUE, Arat., 16. PAUSANIAS, II, 8.

[69] Cette relation se trouve dans Plutarque (Arat., 17) et Polyænos (IV, 8, 1). Ce ne sont pas deux témoins pour une même affaire, car tous deux procèdent d'une source unique, et l'on peut être sûr, à la tournure des idées, que cette source est Phylarque. Du reste, Plutarque s'est servi de Phylarque même dans la Vie d'Aratos (cf. § 38), et Polyænos lui emprunte beaucoup sans le nommer. Il y a bien des choses étranges dans le récit, ceci surtout, qu'Antigone, durant les fêtes nuptiales célébrées au théâtre, force tout seul avec son bâton l'entrée de l'Acrocorinthe et occupe ainsi la citadelle. Néanmoins, ce n'est pas uniquement ce détail, c'est toute la facture du morceau, où l'on retrouve à chaque ligne le goût de Phylarque pour le relief et la mise en scène, qui démontre l'impossibilité d'utiliser une narration de tour si anecdotique.

[70] Ceci ne se trouve pas dans les textes : mais une fille de Démétrios, mariée plus tard au roi de Bithynie, s'appelle Apama, et ce nom indique qu'elle est née d'une mère syrienne et non pas du mariage contracté plus tard par Démétrios.

[71] PLUTARQUE, Arat., 30.

[72] PLUTARQUE, Aral. 18. ATHEN., IV, p. 462. DIOG. LAERT., VII, 38. Cf. KRISCHE, Forschungen, p. 437. Persæos avait écrit également sur la royauté, sur la constitution de Sparte. Il avait déjà séjourné assez longtemps à la cour de Macédoine : Zénon, qui faisait de lui le plus grand cas, l'avait choisi lorsqu'Antigone avait demandé un précepteur pour son fils. Les adversaires de sa philosophie et de sa politique ont répandu sur son compte toute espèce de bruits malveillants ; ce n'en est pas moins une des personnalités les plus intéressantes de cette époque agitée.

[73] PLUTARQUE, Arat., 20-24. D'après Polybe (II, 43, 6), ceci arriva dans la huitième année après l'affranchissement de Sicyone, l'année qui précéda la défaite des Carthaginois aux îles Agates. Cette bataille eut lieu en mars 241, la délivrance de Sicyone au printemps de 251. On a prétendu que l'assertion de Polybe était inexacte. L'année olympique dans laquelle tombe l'affaire des îles Agates commence avant juillet 242 ; l'année d'avant commence par conséquent au fort de l'été 243. Sicyone fut délivrée au printemps de Ol. CXXXII, 1 ; c'est dans l'été de 251 que commence la première année olympique après l'affranchissement de Sicyone, et avec l'été de 243 que finit la huitième. L'expression de Polybe est presque mathématiquement exacte, si la délivrance de Corinthe s'est opérée aux environs du 1er Hécatombæon Ol. CXXXIV, 2, au fort de l'été 243.

[74] PLUTARQUE, Arat., 24. PAUSANIAS, II, 8. STRABON, VIII, p. 385. POLYBE, II, 13, etc.

[75] Je n'ai pas besoin de citer les jugements des anciens sur sa personne, attendu que nous avons sous les yeux un ensemble de faits suffisamment complet pour nous permettre de reconnaître les traits essentiels de son caractère. Je parlerai plus d'une fois encore d'Aratos, car c'est une figure tout à fait typique pour l'époque : il y a chez lui beaucoup de l'homme d'État moderne. On ne nous en voudra pas si nos appréciations se fondent plutôt sur les faits que sur les jugements des anciens. Le seul homme qui eût mérité une mention expresse, Polybe, est précisément d'une partialité instructive, ainsi que nous essayerons plus tard de le démontrer en appréciant son caractère comme homme politique et comme écrivain.

[76] PLUTARQUE, Arat., 24. Ceci est encore une raison contre la correction proposée au texte de Trogue-Pompée (Prol. XXVII), correction qui attribue à Antigone la victoire navale d'Andros. Cf. PAUSANIAS, II, 8, 4.

[77] POLYÆN., V, 25. FRONTIN, III, 2, 11.

[78] POLYBE, II, 43, 9. 45, 2. IX, 34, 6.

[79] S'agit-il des purs Spartiates, ou faut-il y comprendre les périèques ?

[80] PAUSANIAS, VIII, 10, 4. 27, 9. L'observation faite ci-dessus a déjà été indiquée, dans ses traits essentiels, par SCHÔMANN (Plut. Agis et Cleom. XXXIII). Comme Pausanias admet qu'Agis a péri dans cette bataille, il doit placer les deux autres expéditions à une époque antérieure ; mais il y a des raisons de penser que cette campagne est la première en date, notamment ce fait que Lydiade est encore l'allié d'Aratos, et par conséquent ne lutte pas encore comme tyran. Sans doute, l'opinion exprimée plus haut, à savoir qu'il est arrivé à la tyrannie en 244, n'est qu'une hypothèse, mais une hypothèse confirmée par l'ensemble des circonstances. Malheureusement, nous n'avons pas assez de renseignements sur Mantinée pour nous faire une idée de la situation de cette ville : si Aratos l'a secourue, c'est qu'elle aussi était affranchie.

[81] PAUSANIAS, VIII, 27, 9. Ici encore, Pausanias met la chronologie tout à fait à l'envers.

[82] PAUSANIAS, VII, 7, 2. VIII, 27, 9. Il, 8, 4. SCHÖMANN lui-même n'est pas éloigné d'admettre ici une confusion avec l'attaque des Étoliens sur Pellène. Je n'ose pas m'aventurer jusque-là, devant l'expression très précise de Pausanias. Dans la Vie d'Aratos, qui n'est pas précisément un chef-d'œuvre historique, Plutarque ne parle pas de cet exploit de son héros ; la raison en est peut-être que la victoire d'Aratos n'a pas été aussi brillante que pourrait le faire supposer le maigre έξέπεσε de Pausanias. La date, qu'on a essayé de déterminer, reste naturellement très problématique : mais nous verrons qu'en automne 241, l'armée spartiate marcha, sur l'invitation d'Aratos, au secours des Achéens, et nous serons obligé de placer dans l'automne de l'année précédente une campagne qui indique d'une façon très nette une alliance déjà conclue entre les deux États.

[83] Ces données de Plutarque (Agis, 8) laissent une foule de questions sans réponse. Il semblerait presque que la grande propriété foncière des cent familles avait absorbé jusqu'aux lots des périèques et obligé cette classe à s'adonner principalement au commerce et à l'industrie. Si l'on rétablit 15.000 lots de périèques, c'était probablement dans l'intention de refaire une classe agricole, afin de pouvoir renforcer le corps des hoplites, attendu que des industriels ne pouvaient guère être employés autrement que dans l'infanterie légère.

[84] Pausanias (III, 6, 4) dit que, entre autres accusations portées par Lysandre contre Léonidas, on reprocha au vieux roi de s'être obligé par serment vis-à-vis de son père Cléonymos, alors qu'il était encore tout jeune, à travailler à la ruine de Sparte.

[85] POLYBE, II, 45. IX, 34, 6. Il y a un passage entre autres (II, 33, 10), que l'on peut invoquer à l'appui de la date approximative proposée ici.

[86] PLUTARQUE, Cleom., 18. POLYBE, IV, 34, 9. IX, 34, 9. Sans doute, cette date, comme toutes celles de la biographie d'Agis, est problématique. SCHÖMANN, dont j'utilise les explications et prolégomènes mis en tête des biographies d'Agis et de Cléomène, a fixé la chronologie jusqu'au point où il lui suffisait qu'elle fût établie. Une étude chronologique plus large doit essayer d'aller plus loin. Nous verrons plus tard que la mort d'Agis est survenue dans la dernière moitié de l'an 241. Ceci détermine la date de l'éphorat d'Agésilas, et c'est tout au commencement de cette année qu'a dû avoir lieu la fuite de Léonidas. Il n'a pas été seul probablement à s'enfuir dans ce moment périlleux : plusieurs de ses partisans ont dû faire comme lui. Le but que Polybe assigne à l'expédition des Étoliens, la réintégration des bannis, combiné avec la pointe poussée jusque près des frontières achéennes et l'exode πανδημεί, semble ne pas permettre d'autre date que celle indiquée ci-dessus dans le texte. En effet, ce n'est que par suite d'une entente avec une politique étrangère que les Étoliens pouvaient avoir intérêt à ramener les bannis, et précisément la sortie en masse des périèques parait indiquer que le coup était dirigé contre Agis et ses plans. Léonidas, à cause de ses attaches avec la Syrie, était en faveur auprès du Macédonien. En conséquence, je ne me crois pas obligé de démontrer ici que cette invasion n'a pu avoir lieu, par exemple, après la chute d'Agis ; la suite du récit montrera plus clairement encore que c'est là une chose impossible. — Du reste, je ferai observer que, bien qu'on appelle d'ordinaire hilotes ceux qui furent emmenés alors (par exemple dans SCHÖMANN, Antiq., p. 109), il n'y a pas un mot de cela dans les textes qui ont trait à la question. Cf. POLYBE, IV, 31, 9.

[87] Ainsi, le départ de ces périèques ne rendit pas impossible l'exécution des réformes. De deux choses l'une : ou leur nombre a été singulièrement exagéré, où il faut se faire de la densité de la population de la Laconie à cette époque une idée tout autre que celle qui a cours aujourd'hui. Je reviendrai plus tard sur ce point. — Dans nos sources, il n'y a absolument rien qui indique que cette évacuation ait décidé Agis à modifier son plan de réformes.

[88] Je me borne à ces indications sommaires : le récit d'Aratos lui-même (ap. PLUTARQUE, Arat., 32) s'en écarte quelque peu. Le combat en rase campagne notamment, dont Aratos fait grand bruit, ne peut guère être entendu, d'après Polybe (IV, 8,4), que de la façon adoptée ci-dessus. Les détails que donne Plutarque n'ont sans doute d'autre garant que Phylarque ; du moins, la jeune fille au casque apparaissant sous les colonnes à l'entrée du temple d'Artémis et mettant en fuite les ennemis, qui croient voir la déesse, rentre bien dans la manière de Phylarque, un auteur qui, suivant le goût bien caractérisé de son temps, met partout au premier plan de belles jeunes filles ou femmes, tendres créatures, promptes aux larmes et modèles de vertu. Ou plutôt, ce récit, tel qu'on le trouve dans Polyænos (VIII, 59, où Pallas est substituée à Artémis), doit provenir de Phylarque, comme tant d'autres morceaux de ce compilateur ; Plutarque aura pris pour guide un autre auteur, qui avait fabriqué des légendes analogues. On voit par une quantité d'exemples que ce style, qui est presque celui du roman historique, était très goûté par les Grecs de la basse époque. Pourquoi l'auteur en question ne serait-il pas Baton de Sinope, un contemporain de Phylarque, mais plus jeune que lui ? Plutarque (Agis, 15) s'est servi de nous ne savons quel écrit de lui à propos de la rencontre d'Agis et d'Aratos à Corinthe ; et le fragment qu'a conservé de lui Suidas, au mot Πυθαγόρας Έφέσιος, nous permet de le prendre pour un bel esprit de cette trempe, d'autant qu'Athénée (XIV, p. 639) l'appelle justement Peut-être cependant serait-ce beaucoup trop circonscrire le champ des hypothèses ; du moins Polybe assure que cette victoire de Pellène a été comptée par les ίστορηκόσι κατά μέρος parmi les plus brillantes d'Aratos, concurremment avec les journées de Sicyone et de Corinthe.

[89] TELES ap. STOBÉE, Floril., II, 72 éd. Lips.

[90] C'est bien du Phylarque !

[91] PLUTARQUE, Agis, s. fin. Cleom., 1. Toutes les innovations d'Agis furent-elles abrogées ? Plus tard, tout au moins, on trouve 1.500 Spartiates en état de porter les armes, tandis qu'il n'y en avait pas plus de 700 au temps d'Agis : il est vrai que ce renseignement peut aussi être interprété d'autre manière. Voyez ci-après.

[92] PAUSANIAS, II, 8, 6. Il faut dire que, si la Vulgate porte Μακεδόνων έχόντων, on a corrigé d'après les meilleurs manuscrits en Λακεδαιμονίων. Avant 245 déjà, Mantinée avait été attaquée par les Spartiates sous la conduite d'Agis et défendue par Aratos ; mais en 240 ou 239, il y eut à Mantinée un procès débattu entre Argos et Aratos. Ce procès semble indiquer que la ville était alors indépendante. — Le bannissement du noble Cléandros (PLUT., Philop., 1) appartient à une époque antérieure. — Quant à Tégée, c'est chose caractéristique que Léonidas exilé y ait élu domicile.

[93] PLUTARQUE, Arat., 33. Sans doute, Plutarque n'a pas rangé par ordre chronologique les diverses délivrances essayées ou exécutées par Aratos, et il a rendu par là assez difficile la tache de l'historien. Cependant, il suffit d'admettre qu'il réunit ensemble les faits concernant chaque région pour éviter tout au moins des rapprochements aussi monstrueux qu'on en a vu faire. D'après le début du chapitre 34, cette tentative faite sur Athènes, et probablement aussi celle où Aratos, fuyant par la plaine Thriasique, se blessa à la jambe, sont antérieures à 239.

[94] PLUTARQUE, Arat., 23. C'est là précisément que se trouve une assertion singulière ; il y est dit qu'Aristippos et Antigone étaient convenus ensemble de se défaire d'Aratos par l'assassinat. De la part du tyran, on pourrait le croire, mais Antigone n'était pas de vue assez courte pour se promettre grande utilité de pareilles mesures. Il est moralement impossible, ce semble, que cette assertion provienne des Mémoires d'Aratos ; c'eût été vraiment de sa part une naïveté singulière si lui, qui ne cessait de tendre des embûches de ce genre aux tyrans, s'était étonné qu'on le payât de la même monnaie.

[95] SCHORN, Gesch. Griechenlands. p. 94. Si, comme je le pense, Mantinée s'est chargée de l'arbitrage en qualité d'έκκλητος πόλις, il parait bien qu'elle était alors une cité indépendante, sans tyran et sans garnison macédonienne.

[96] POLYBE, II, 45, 9.

[97] En ce qui concerne les données des chronographes, je renvoie à CLINTON, NIEBUHR et autres. Il y a un passage de Polybe qui fournit au calcul une base complètement sûre. Il dit quelque part (II, 44, 2) que le fils et successeur d'Antigone régna δέκα μόνον έτη et qu'il mourut sous le consulat de Postumius et Fulvius, ou 229 avant J.-C. (cf. POLYB., II, 11, 1). La mort d'Antigone doit donc être placée dans la première moitié de 239. Ce résultat est aussi certain que la date du mariage d'où il est issu, mariage conclu en 319, et il faut rectifier en conséquence les données concernant son âge et la durée de son règne, travail minutieux que je dois m'interdire ici. Lucien (Macrob., 11) a pris dans Médios l'indication exacte, à savoir que le roi est parvenu à rage de 80 ans et a régné 44 ans ; il portait le titre de roi depuis la mort de son père en 283. Malheureusement, nous ne savons rien de plus sur ce Médias, postérieur à l'autre.

[98] Ce qui est dit ci-dessus de la constitution achéenne suffit pour en faire comprendre le principe ; nous aurons plus tard occasion de signaler certaines particularités qui en sont le côté faible. On trouvera les références aux textes dans SCHORN (Geschichte Griechenlands, p. 63) ; dans SCHÖMANN (II, p. 106 sqq.) et dans FREEMANN (History of the federal Government). Dans ce dernier ouvrage, on attribue aux expériences tirées de la vie parlementaire en Angleterre et en Amérique une importance qu'on ne saurait accepter les yeux fermés de ce côté du détroit.

[99] Cette expression employée dans la première édition de cet ouvrage (1843) peut rester telle quelle, bien qu'aujourd'hui, c'est-à-dire au bout de trente ans, elle ne soit plus de mise.

[100] NITZSCH (Polybios, p. 119) fait valoir avec raison l'épigramme, déjà citée par Éphore, qui se trouve dans Strabon (X, p. 463).

[101] TITE-LIVE, XXXI, 43.

[102] PAUSANIAS, X, 38, 2. C'est pour cela que le vainqueur aux Jeux olympiques de Ol. CXXXII s'appelle Xenophanes Ætolus ex Amphissa (EUSEB. ARMEN., I, p. 299).

[103] C. I. GRÆC., n° 1694. 2350. Il se peut que Polybe ne soit pas tout à fait équitable pour les Étoliens dans certains traits de détail, mais en général ce qu'il dit de la brutalité et de la rapacité des Étoliens n'est pas le moins du monde exagéré.

[104] Ceci résulte du traité par lequel Céos entre dans la Ligue (C. I. GRÆC., n° 2350-2352) ainsi que du traité conclu avec Téos (ibid., n° 3046). Les synèdres ne paraissent pas avoir été simplement quelque chose comme un tribunal fédéral ; c'est à eux que sont adressés les députés chargés de rédiger ce traité. Dans quels rapports sont-ils vis-à-vis du Conseil fédéral des apoclètes ? Ce Conseil doit avoir été fort nombreux, car on choisit une fois parmi eux trente membres qui devront délibérer avec leur allié le roi de Syrie (POLYBE, XX, I, 1. — TITE-LIVE, XXXV, 45) : les conseillers sont pris dans chacune des villes fédérales (TITE-LIVE, XXXV, 34). Peut-être les σύνεδροι sont-ils une délégation des principes (C. I. Gr., n° 3046), qui prenait à tour de rôle la préséance, à peu près comme les tribus prytanisantes dans le Conseil d'Athènes.

[105] ÆLIAN. ap. SUIDAS, s. v. άνήνασθαι. C'est un πρόσταγμα des Étoliens qui leur impose le δασμός. C'est le système indiqué par les expressions de Pausanias (I, 25, 4 ; X, 21, 1). Cf. POLYBE, IV, 25, 7. Il faut dire que τελεΐν είς Έλληνας et autres expressions analogues se rencontrent fréquemment dans la grécité de l'époque romaine, sans qu'on y attache un sens technique.

[106] Voyez SCHORN, op. cit., p. 29.

[107] POLYBE, XX, 5, 2.

[108] POLYBE, XX, 5, 2.

[109] C. I. GRÆC., ibid. Il semble résulter d'un passage de Polybe (II, 46, 2), que la confédération était rattachée à la Ligue par un lien spécial, qui tient le milieu entre la φιλία, telle que la possédait Élis, par exemple, et la συμπολιτείς. On serait tenté de croire que les localités d'outre-mer se contentaient de la symmachie, mais Polybe (XVII, 3, 12) dit, en parlant des habitants de Cios : μετ' Αίτωλών συμπολιτευομένους. L'expression employée dans l'inscription de Céos, à savoir que nul ne doit piller les insulaires, se trouve reproduite dans celle de Téos sous la forme suivante : τών έν Αίτωλία κατοικεόντων. L'expression employée à propos de Mantinée : μετέχοντες τής Λακεδαιμονίων πολιτείας (POLYBE, II, 57, 2) doit être probablement synonyme de sympolitie ; elle exprime d'une façon plus claire le lien qui rattache une cité à l'autre.

[110] C. I. GRÆC., 2350. L'inscription n° 2352 montre que les Étoliens n'ont pas de plein droit la γής καί οίκίας έγκτησις dans la cité sympolitique pas plus que les citoyens de celle-ci en Étolie, mais que ces prérogatives ont été conférées après coup par une convention spéciale.

[111] POLYBE, IV, 3, 5. XV, 23, 9.