HISTOIRE DE L'HELLÉNISME

TOME TROISIÈME. — HISTOIRE DES SUCCESSEURS D'ALEXANDRE (ÉPIGONES)

LIVRE DEUXIÈME. — CHAPITRE PREMIER (262-247).

 

 

Le système des États de l'Occident. — Rome et Carthage. — Situation politique de la Sicile : Hiéron et les Mamertins. — La première guerre punique. — La politique orientale. — Guerres de l'Égypte dans le Sud. — Mort de Magas. — Antiochos II. — La guerre de la succession de Bithynie. — Antiochos en Thrace. — La deuxième guerre de Syrie ; Démétrios à Cyrène ; situation de la Grèce ; la liberté de l'Ionie ; la liberté à Mégalopolis, à Sicyone ; mort de Démétrios ; paix. — L'Orient séleucide ; l'empire d'Açoka ; l'Atropatène ; fondation des royaumes de Bactriane et de Parthie ; royaumes des satrapes.

En face du système des États de l'Orient, tel qu'il commence à s'établir à latin du temps des Diadoques, apparaît le système des États de l'Occident, qui en diffère singulièrement et dont cette différence même nous permet à présent de bien marquer le caractère.

Rappelons-nous, dans ses traits essentiels, la situation de l'Orient. Aussi loin que s'étendaient le monde grec et l'empire perse, le développement direct et naturel des peuples était épuisé ou interrompu lorsque les victoires d'Alexandre réunirent ces peuples sous un seul empire et, suivant l'expression d'un auteur ancien, les versèrent pêle-mêle dans une seule et même coupe. Il y eut alors comme une immense fermentation : en vit, au milieu de brusques et incessantes vicissitudes, tantôt l'un, tantôt l'autre des Diadoques tirer à lui un pays ou un autre, ou même des agrégats de pays, et les perdre tout aussi vite ; on vit s'annihiler les dernières forces que les États devaient à la nature, à la tradition ou à l'esprit national, et qui jusqu'alors avaient maintenu la vie dans leurs organes ; les derniers liens qui forment et consolident l'État naturel furent rompus : là où il en subsistait des restes plus vigoureux, dans les cités grecques, en Macédoine, en Épire, le changement n'en fut que plus rapide, la destruction plus radicale, et il en résulta finalement la destruction de tout droit historique, la ruine de tout ce qu'avait produit la Nature. C'était un vrai chaos, mais qui portait dans son sein les germes féconds d'un temps nouveau ; il fallait seulement trouver une forme qui pût débrouiller ce chaos et lui offrir en quelque sorte des centres de cristallisation.

Or c'est précisément, comme nous l'avons vu, ce que réalisa, au point de vue politique, cette formation des trois grandes puissances qui fut le premier résultat des luttes du temps des Diadoques. Ce n'étaient plus des formations dues au hasard, des agglomérations arbitraires ; c'étaient des États qui commençaient à prendre une forme et un caractère individuels, qui cherchaient à s'organiser d'après des principes politiques déterminés. Dès qu'ils se sentirent en possession de cette existence personnelle, les populations qui les séparaient les uns des autres eurent hâte de sortir aussi de leur chaos, de se rattacher à eux, ou, si elles s'en séparaient, d'arriver comme eux à une organisation qui leur fût propre. Que l'on considère la différence des États ainsi formés avec les États d'autrefois ; ils ne sont pas nés, comme ceux qui les ont précédés, du développement spontané d'une force autochtone, comme la graine devient un arbre successivement orné de fleurs, de feuilles et de fruits, et n'est ce qu'elle doit être qu'après s'être ainsi développée et transformée peu à peu. Ce sont plutôt des édifices élevés sur un plan artificiel, charpentés avec les tronçons de ces arbres abattus, avec les débris et les fragments de ce monde d'autrefois maintenant détruit.

Ce sont des États faits de main d'homme : ceux qui les ont fondés connaissaient les moyens et les fins de l'œuvre, se rendaient compte de la position géographique du pays, des besoins et des forces de ses habitants, de leurs intérêts matériels et de leurs relations politiques ; en un mot, ils sont l'œuvre d'individus à l'œil clairvoyant et à la volonté énergique, ou, pour mieux dire, du besoin qu'a le monde transformé d'organismes politiques nouveaux, conformes aux données rationnelles. L'État n'est plus l'expression collective de la volonté nationale, mais un postulat qui cherche de plus en plus à se réaliser, un cadre qui cherche à embrasser un nombre incommensurable de rapports, une volonté qui tend à pénétrer des matières mortes et en quelque sorte inorganiques, pour se les assimiler autant que possible.

A ce monde s'oppose le monde occidental. Que de richesse et d'éclat avait eu jadis l'hellénisme en Sicile et en Italie ! presque en toute choses la Grande-Grèce avait devancé la métropole, mais aussi elle avait éprouvé avant elle ces conséquences de la vie hellénique, cette désagrégation de tout ce qui est fourni directement par la nature, ce pli rationaliste de l'intelligence, et elle avait eu l'occasion d'en faire l'expérience au milieu de mille circonstances heureuses ou malheureuses. Quoique le royaume d'Agathocle ne fût pas issu des victoires d'Alexandre, il avait les mêmes caractères que les royaumes éphémères des Diadoques, et, si peu que les cités italiennes eussent été atteintes par les secousses qui avaient ébranlé les républiques grecques, elles n'en étaient pas moins inconsistantes, ébranlées dans leurs fondements, n'ayant plus conscience de leur nécessité, de leur droit à l'existence, et ne se sentant plus ni énergie propre ni sécurité.

Les Grecs de Sicile et d'Italie avaient ce trait commun avec les Carthaginois et les Romains d'avoir gardé le souvenir de leurs origines historiques ; c'est en quoi ils diffèrent de beaucoup d'États de la Grèce et de la plupart des anciens États de l'Orient. Ce ne sont pas des produits autochtones ; le lien. qui les attache à ce sol, au monde environnant, se fait au jour le jour et règle leur conduite suivant l'idée variable qu'on s'en fait.

Je passe les degrés intermédiaires. Ces villes grecques dont nous avons parlé, malgré des mœurs et une civilisation communes, n'ont jamais pu fonder une communauté politique qui fût durable ; de même que la Grèce, leur mère-patrie, elles succombèrent parce qu'elles furent incapables de s'arracher à cette vie particulariste et comme sporadique où l'État était déjà détruit dans ses prémisses, et d'arriver à une organisation politique qui ne fût pas seulement affaire de théorie. Il n'en fut pas de même de Rome et de Carthage. Ces deux villes conservèrent avec autant de ténacité qu'aucune des villes helléniques leur constitution, mais elles ont su se développer sans interruption de vie et de progrès ; tout en se formant et se transformant sans cesse, elles gardent leur principe national, et c'est même au milieu de ces vicissitudes qu'elles en ont la vraie possession et la pleine conscience. Ce sont des organismes qui ont en eux-mêmes leur principe vital ; une sève vigoureuse les a fait croître lentement. Chez elles, l'État n'est pas une institution divine, comme dans l'ancien Orient ; il n'est pas tout, il n'absorbe pas tout, comme dans les cités de la Grèce ; il est l'œuvre des hommes, dont il résume et sauvegarde les intérêts particuliers.

Mais la constitution des deux villes est bien différente. Rome est un État tout à fait agraire, et elle garde longtemps ce caractère primitif, précisément parce que toutes les formes de la vie publique ont de la souplesse et se prêtent à un développement continu. Longue et tenace est la lutte de la plèbe des paysans francs-tenanciers contre les privilèges des patriciens, en matière de droit public aussi bien qu'en ce qui concerne la jouissance des revenus et des biens de l'État, et la constitution de la république n'est que l'équilibre approximatif de toutes les obligations et de tous les droits individuels. On se représente volontiers ces Romains comme s'acheminant dès leurs premiers pas à la conquête du monde ; on voit dans leur politique un système suivi de mesures sages et prévoyantes qui tendent toutes au même but. Ce fut bien plutôt la nécessité de se conserver eux-mêmes qui les poussa à des guerres toujours renaissantes et de plus en plus violentes. Les Étrusques, les Gaulois, les Samnites, les menaçaient de ce joug qu'ils leur imposèrent. Tout s'agençait si fortement dans cet État qu'il ne pouvait frayer avec ses voisins qu'autant que le voisin prenait place ou était forcé de prendre place dans cet organisme de droits et de devoirs. Aussi longtemps qu'il n'entrait pas dans ce cercle régi par le droit, tant qu'il continuait à se mouvoir dans sa sphère propre, il ne pouvait assumer par voie contractuelle les obligations que Rome croyait nécessaires à sa sécurité. Ainsi se forma autour du droit de cité complet, celui des Quirites, une variété de droits qui allaient s'amoindrissant de degré en degré et n'en étaient pas moins de vivantes ramifications de l'État.

Il en est tout autrement à Carthage. Par son origine comme par son développement ultérieur, c'est un état commerçant, et jamais peut-être la politique commerciale ne fut si exclusivement et dans des proportions si grandioses l'âme de la vie d'un État. Si le droit régnait à Rome, les intérêts matériels dominaient à Carthage : ils y réglaient la constitution, les traités de commerce et tous les actes de la vie politique. La riche civilisation des Sémites, qui en Orient était déjà depuis des siècles affaiblie et éteinte sous la pression des conquêtes étrangères, avait retrouvé à Carthage une vitalité nouvelle. Une industrie incroyablement avancée, un soin extrême et les méthodes les plus rationnelles appliquées à la culture du sol et à l'élève des bestiaux, une activité répandue dans toutes les classes, un trafic considérable avec l'intérieur de l'Afrique comme avec les côtes occidentales de la Méditerranée et celles de ce côté-ci de l'Océan : telles étaient les bases matérielles de cet État. Il avait à sa tête une aristocratie de riches marchands qui appliquaient au gouvernement la politique bien comprise des intérêts matériels. Il s'agissait d'étendre le plus possible la sphère du commerce carthaginois, d'étouffer toute concurrence sérieuse, avant tout d'empêcher une puissance maritime et commerciale de se former dans les parages de l'Occident. Pour arriver à ces fins, l'État ne reculait ni devant les plus grands sacrifices matériels, ni devant les entreprises militaires les plus audacieuses ; il ne s'était pas arrêté avant d'avoir imposé aux autres colonies phéniciennes une alliance qui les mettait dans sa dépendance, avant d'avoir chassé entièrement de la mer les Phocéens, les Massaliotes, les Étrusques, ou de les avoir resserrés dans les limites étroites des côtes les plus voisines. Carthage avait ainsi conquis les positions commerciales les plus importantes, les Syrtes, Malte, les Baléares effile d'Elbe, la pointe occidentale de la Sicile, et surtout la Sardaigne ; une puissance navale considérable lui assurait la domination de la mer : des guerres et des conquêtes nouvelles ne pouvaient donc devenir nécessaires que si la politique commerciale de Carthage les exigeait impérieusement. On évitait aussi longtemps que possible la guerre, qui coûte cher et convient peu au caractère d'un État commerçant ; mais, dès qu'on en avait reconnu la nécessité, ce gouvernement réfléchi, pré voyant, calculateur, sacrifiait sans compter des sommes énormes, déployait dans la mise en œuvre de toutes les ressources matérielles une énergie, une circonspection, une persévérance dont nous ne trouvons d'exemple que dans la politique anglaise du XVIIIe siècle.

Nulle part ce caractère de la politique carthaginoise ne se montre plus clairement que dans ses rapports avec la Sicile. On peut assurer qu'elle n'intervint jamais dans l'île lorsque la race grecque y était affaiblie, mais qu'elle intervint toujours lorsqu'elle se relevait, et surtout lorsqu'elle menaçait de s'unifier. La nature des choses excluait le commerce carthaginois des parages orientaux et des ports de la Grèce : la possession des ports qui faisaient le commerce avec ces régions n'avait donc pour lui presque aucune importance ; aussi les Carthaginois n'avaient-ils pas intérêt à subjuguer l'aile entière, sans compter qu'il leur était difficile, avec les seules ressources d'un État commerçant, de soumettre un peuple libre, très cultivé, et qui avait les passions politiques très vives. Il leur importait seulement d'empêcher l'union des divers États, union qui aurait provoqué une concurrence du commerce ski-lien et créé une nouvelle puissance maritime dans les mers d'Occident. Mais cette politique devait prendre une tout autre tournure, depuis que les Romains subjuguaient peu à peu les peuples de l'Italie et qu'ils avaient en leur pouvoir non seulement la côte du Latium, mais aussi celles de la Campanie et de l'Étrurie, avec leurs ports importants, leur commerce étendu, leurs produits aussi variés que recherchés. Depuis la troisième guerre du Samnium, et depuis que le sort réservé au reste de l'Italie n'était plus douteux, tous les efforts des Carthaginois tendaient visiblement à occuper aussi complètement que possible la Sicile et à la dominer d'abord au point de vue politique. Mais n'offrirent-ils pas aux Romains un éclatant appui dans la première année même de la guerre contre Pyrrhos ? C'est que Pyrrhos avait débuté par des succès inouïs : il venait réunir en un seul royaume tous les Grecs d'Italie ; la Sicile allait lui appartenir, et il se fonderait alors une puissante Union qui menacerait Carthage dans son commerce, dans sa domination sur mer et même dans ses possessions ; il fallait donc arrêter Pyrrhos en Italie et prêter aux Romains un concours efficace. Les Romains le refusèrent, et les Carthaginois n'en furent que plus empressés à s'emparer de la dernière ville de Sicile qu'ils n'eussent pas encore occupée ou dominée. Le sort de Syracuse était sur le point de se décider, quand, au moment où la résistance était à bout, Pyrrhos apparut. Soudain, tout fut changé : quand on vit les villes l'une après l'autre se donner à lui, les plus énergiques efforts être impuissants à arrêter sa marche victorieuse ; lorsque toute l'île, à l'exception de Lilybée, était déjà en sa puissance, alors — il est vrai qu'à ce moment les Romains avaient déjà entamé ses conquêtes en Italie — les Carthaginois lui offrirent la paix et proposèrent de renoncer à à condition de garder ce Gibraltar de la Sicile. Pyrrhos refusa : pour avoir voulu fonder une puissance maritime en Sicile et s'étendre jusqu'en Afrique, il vit bientôt sa conquête éphémère lui échapper.

Il n'était pas plus heureux en Italie, où la puissance romaine s'étendait déjà sur la moitié de la péninsule. Or, n'est-il pas inconcevable que Carthage ait laissé les Romains s'emparer de Tarente et de Rhégion ? N'est-il pas plus inconcevable encore qu'elle n'ait pas en même temps soumis la Sicile tout entière, qu'elle ait laissé Messana aux Mamertins, Syracuse à Hiéron ? Oui, tout cela est inconcevable à qui ne se représente pas clairement les moyens et les fins de la politique carthaginoise. Carthage ne : pouvait pas ignorer ce que lui ménageait la réunion de toute l'Italie sous la domination romaine, ni quel danger courait son commerce depuis que ces actives cités grecques de la côte étaient sous la protection des Romains, ni quelle rivalité menaçait sa puissance maritime, puisque la nécessité de protéger et le commerce de ces côtes et les côtes lointaines devait, dans un délai plus ou moins long, amener Rome à fonder une puissance maritime que des villes comme Tarente pouvaient sérieusement contribuer à établir. Elle savait aussi que sa flotte elle-même ne pouvait empêcher de passer d'Italie en Sicile : Pyrrhos venait de le lui apprendre. Mais la politique de Carthage, comme celle de tous les États commerçants, était plus positive que fière, plus tenace et plus persévérante que prompte à agir ; elle aimait mieux avoir l'air d'être dans son droit et de se défendre par nécessité qu'elle n'était disposée à prendre hardiment l'initiative : aussi fut-elle devancée par les événements. Lorsque Pyrrhos quitta la Sicile, Rome se vit de nouveau sérieusement menacée, et la politique carthaginoise pouvait se contenter de regagner l'île presque tout entière : Syracuse et les Mamertins, les petits États et leurs éternelles dissensions lui offraient des occasions sûres d'intervenir à son gré et toujours d'une façon décisive. Mais voici que les Romains triomphent à Bénévent et que Pyrrhos quitte l'Italie ; seulement ces mêmes Romains se reposent ensuite pendant toute l'année et laissent se passer une autre année sans inquiéter Tarente et les brigands de Rhégion : ne pouvait-on pas se tromper à Carthage sur les intentions de Home ? On se rend encore très bien compte des opinions différentes qui étaient en présence dans le sénat de Carthage. En effet, quand en 272 Rome se tourna contre Tarente, la flotte que les Carthaginois avaient en Sicile se montra devant cette ville ; mais, les Romains s'en étant plaints plus tard, on répondit que le général avait entrepris cette expédition sans en avoir reçu l'ordre. Il fallait donc que la question eût été discutée tout au long dans le Sénat carthaginois, et ce général avait agi dans le sens de la minorité qui voulait que l'on garantit aux Tarentins et aux brigands de Rhégion la même indépendance que Carthage laissait en Sicile à la ville de Syracuse et aux brigands (le Messana. Mais pourquoi cette opinion n'avait-elle pas prévalu ? C'est que la protection accordée à Tarente engageait forcément les Carthaginois dans une guerre qui eût attiré les Romains en Sicile, et Carthage ne voulait paraître à aucun prix avoir commencé les hostilités ; cette guerre ne devait être entreprise que si Rome essayait de fonder une puissance maritime, et alors en la ferait avec toute la vigueur possible. En ouvrant maintenant les hostilités contre Rome, Carthage serait obligée de combattre sur terre pour conserver Tarente, et les pertes incalculables, les sacrifices pécuniaires qu'une telle guerre faisait prévoir, ne semblaient pas en rapport avec les avantages qu'on en pouvait espérer. Il ne fallait pour le moment que s'assurer d'une prépondérance incontestée en Sicile ; enfin, on pouvait compter d'autant plus certainement sur une reprise des hostilités en Italie de la part du roi d'Épire que, de l'autre côté de la mer Ionienne, sa puissance prenait de jour en jour une extension plus grande. Du reste, on était généralement disposé à considérer le détroit de Sicile comme la limite naturelle entre les deux empires, et on pouvait bien, au moment même où l'on déclarait impossible de ne pas abandonner l'Italie aux Romains, se prononcer de la façon la plus décidée contre une intervention éventuelle de Rome dans les affaires de la Sicile[1].

Mais quelle différence entre la situation des Romains eu Italie et celle des Carthaginois en Sicile ! D'un côté, tous les peuples nouvellement soumis subissant les effets d'une centralisation rapide et énergique, des colonies romaines placées à tous les points stratégiques importants ; de l'autre, les possessions carthaginoises voisines de deux petits États qui n'étaient aucunement disposés à subir l'influence punique. Tant que la légion révoltée put tenir à Rhégion, les Mamertins qui occupaient Messana furent ses alliés et imposèrent tribut à bon nombre des villes de la Sicile. Carthage ne tenta rien contre eux et ne protégea même pas ses propres possessions : elle jugeait sans doute qu'il était de son intérêt de laisser Syracuse s'épuiser dans sa lutte avec ces bandits. Syracuse était en proie à la discorde ; l'armée des mercenaires se révolta contre les citoyens, alla camper hors des murs, et choisit comme chefs Artémidore et Hiéron. Les auteurs anciens s'accordent tous à louer Hiéron : son intelligence, la noblesse de ses sentiments, l'énergie de sa volonté, l'estime dont il jouissait, tout l'appelait à devenir le sauveur de Syracuse. Il quitta le camp et entra discrètement dans la ville ; il désarma les conjurés et fit preuve, en rétablissant l'ordre, de tant de modération et de largeur d'esprit, que les citoyens à leur tour le nommèrent unanimement leur général[2]. Pour apaiser les émeutes qui recommençaient dans la ville toutes les fois que les troupes s'en éloignaient, il s'allia avec Leptine, un des hommes les plus braves et les plus influents de Syracuse, et épousa sa fille, cette Philistis tant célébrée. N'ayant plus rien à craindre des bourgeois, il songea à se débarrasser de ces arrogants et intraitables mercenaires qui ne faisaient que causer à chaque instant des désordres : il les mena contre les Mamertins, et, formant l'arrière-garde avec les Syracusains qu'il avait armés à cet effet, il les laissa attaquer l'ennemi, qui les battit et les écrasa complètement. A son retour, il commença à recruter une nouvelle armée, tout en exerçant aux armes les citoyens. Nous avons déjà dit qu'il envoya des vivres et des troupes auxiliaires aux Romains, lorsque ceux-ci attaquèrent les rebelles de Rhégion : ce fut une première et très importante tentative pour se soustraire à la dépendance politique de Carthage. Pendant que les Romains assiégeaient Rhégion, comme les Mamertins, enhardis par l'extermination des mercenaires, recommençaient leurs incursions dans le pays des Syracusains et dans l'intérieur de l'île, Hiéron marcha brusquement contre Messana. Les Mamertins accoururent pour débloquer leur ville, mais Hiéron se jeta sur Mylæ, une place qu'ils occupaient sur la côte septentrionale, et la prit d'assaut[3]. Ce fut, à ce qu'il parait, l'année suivante (270) qu'il se mit à attaquer les villes occupées par les Mamertins dans l'intérieur de l'île ; elles furent prises l'une après l'autre. Déjà l'occupation de Tauroménion, de Tyndaris et de Mylæ avait refoulé les adversaires dans l'extrémité orientale de Ille, quand une bataille livrée sur le Longanos, dans la plaine de Mylæ, trancha la question en faveur d'Hiéron : les chefs des Mamertins furent faits prisonniers et leur puissance brisée du même coup. Hiéron fut à son retour salué roi par les Syracusains et leurs alliés, qui lui payaient ainsi leur dette de reconnaissance[4].

C'est à ce moment critique que nos renseignements manquent de clarté ; il s'écoule ensuite cinq années sur lesquelles nous n'avons que peu d'indications suivies. Voici les faits principaux. Pourquoi Hiéron, au lieu de s'en retourner à Syracuse, n'essaya-t-il pas, après sa victoire, de prendre Messana ? La chose eût été d'autant plus naturelle, que les anciens habitants de la ville, expulsés par les Mamertins, n'a-raient pas peu contribué au succès de la journée de Mylæ. Si Hiéron ne le fit pas, ce fut sans doute à cause des Carthaginois, qui n'auraient pas pu laisser l'allié des Romains délivrer aussi Messana et étendre sa domination sur plus d'un tiers de l'île. Et d'ailleurs, son propre intérêt devait le dissuader d'une entreprise qui aurait pu fournir aux Romains, ses alliés, une occasion de s'immiscer dans les affaires de la Sicile : il perdait son indépendance s'il ne savait pas tourner à son profit la rivalité de Rome et de Carthage. Il jouait un jeu bien aventuré. Le plus simple eût été de faire alliance avec les Mamertins ; mais c'est ce que Carthage n'aurait pas laissé faire, ce que Rome n'aurait Pas approuvé, ce que Syracuse n'aurait pas accepté sans répugnance ; d'ailleurs les Mamertins eux-mêmes, indécis sur ce qu'ils devaient faire, n'étaient divisés que sur la question de savoir s'ils allaient se jeter dans les bras de Rome ou de Carthage. En un mot, dans de telles circonstances, tous les partis imaginables aboutissaient à la guerre, sauf celui de ne rien faire ; et encore la temporisation elle-même ne pouvait que retarder, sans l'empêcher, l'explosion de cette lutte entre Rome et Carthage qui était devenue une inéluctable nécessité.

A Rome aussi bien qu'à Carthage, on voyait clairement ce qui devait arriver, et l'on fit de part et d'autre tous les préparatifs qu'il était possible de faire. Carthage renforça sa station maritime près de l'île Lipara et les contingents de son armée de terre dans ses possessions en Sicile ; pendant ce temps, Rome se hâtait d'achever la pacification de l'Italie et d'établir plusieurs colonies pour s'assurer de l'intérieur et des côtes de la péninsule. On procédait avec les plus grandes précautions, et chacun était attentif au moindre mouvement de l'autre.

Quelle fut l'occasion prochaine de la guerre, nous l'ignorons ; Polybe ne le dit pas, et ce que d'autres rapportent d'une nouvelle attaque d'Hiéron, qui aurait décidé les Mamertins à recevoir une garnison carthaginoise, ne peut pas être exact ainsi présenté[5]. Les Mamertins n'étaient déjà plus libres de prendre une décision ; leur sort dépendait des négociations entre Rome et Carthage, négociations qui, sans aucun doute, étaient alors conduites avec une grande activité. C'est maintenant que Rome se plaignait de cette apparition, antérieure de quelques années, d'une flotte carthaginoise devant Tarente. Le Sénat carthaginois affirma sous la foi du serment que le général avait agi sans ordre, et se plaignit à son tour de l'alliance des Romains avec Hiéron ; peut-être même demanda-t-il à Rome de rompre cette alliance, ce à quoi Rome ne pouvait naturellement pas consentir. C'est là que nous manque le fait décisif, qui n'a guère pu être autre chose qu'une démonstration hostile des Carthaginois contre Messana, suivie presqu'aussi nécessairement d'un mouvement menaçant d'Hiéron. Les Mamertins virent qu'ils succomberaient inévitablement à une attaque soit d'Hiéron, soit des Carthaginois. Ces derniers avaient bien un parti dans la ville, mais le plus grand nombre les craignait. On finit donc par s'adresser aux Romains ; on demanda des secours, et les consuls romains appuyèrent la requête.

Jamais le Sénat romain n'a tenu de séances plus mémorables. Sans doute, ces Mamertins étaient des brigands, tout aussi bien que les Campaniens de Rhégion qu'on venait de châtier si durement ; ils avaient même pris part aux violences et aux pillages de ces derniers. Accepter leurs propositions, c'était offenser brutalement Hiéron, cet allié qui avait prêté un si vaillant concours au siège de Rhégion ; mais d'autre part, les refuser, c'était jeter les Mamertins dans les bras des Carthaginois, c'était non seulement abandonner à ceux-ci la Sicile entière, mais encore leur livrer la position qui commandait le détroit et d'où l'on pouvait à chaque instant envahir l'Italie. On délibéra longtemps ; enfin le Sénat finit par rejeter la proposition des consuls. Les consuls la portèrent devant le peuple. Durement éprouvées par les guerres antérieures, dit Polybe, et sentant le besoin de tout faire pour se procurer plus de bien-être, persuadées d'ailleurs du profit que l'État aurait à cette guerre et comptant sur les avantages considérables et manifestes que chacun en particulier, au dire des consuls, devait en retirer, les tribus décidèrent d'envoyer les secours et chargèrent le consul Appius Claudius de se rendre à Messana. On a vu dans cette décision une honte éternelle pour Rome, un premier symptôme de corruption démocratique : ce fut un acte de nécessité politique, ce fut la plus grande, la plus audacieuse résolution que le peuple ait jamais prise.

Est-ce ce vote du peuple, ou l'approche d'Hiéron, ou l'appel du parti punique parmi les Mamertins, ou toutes ces raisons à la fois qui décidèrent le général carthaginois ? Toujours est-il qu'il entra à Messana et mit garnison dans la citadelle. Cela se passait vers le printemps de l'année 264. Hiéron, que cette décision des Romains avait écarté d'une façon si blessante, ne pouvait voir qu'avec plaisir l'arrivée des Carthaginois ; il conclut avec eux une alliance défensive contre les Romains. Il se passa du temps avant qu'on vit paraître les troupes romaines ; enfin le légat C. Claudius, envoyé par le consul avec quelques trirèmes et un petit nombre de troupes, arriva à Rhégion. La flotte carthaginoise l'empêcha de franchir le détroit ; il essaya d'entrer en pourparlers et vint en canot à Messana : Hannon le renvoya, mais ses communications n'en avaient pas moins mis les Mamertins en grand émoi. Il revint une seconde fois ; il prit la parole dans l'assemblée : il dit que les Romains voulaient délivrer la ville et n'avaient pas d'antre intention ; que la possession de Messana ne pouvait pas les tenter ; que lui-même s'en retournerait dès que les affaires de la ville seraient en règle, mais qu'il était obligé de demander l'éloignement des Carthaginois ; que si ces derniers se croyaient des droits si légitimes, ils n'avaient qu'à les soumettre à un tribunal d'arbitres. Il termina en promettant des secours aux Mamertins, et parce qu'ils étaient d'origine italienne, et parce qu'ils avaient imploré la protection de Rome.

Hannon était dans une situation difficile : c'étaient les Mamertins qui l'avaient appelé ; s'ils voulaient maintenant s'allier aux Romains, il ne pouvait les en empêcher que par un coup de force, et il se croyait obligé d'éviter à tout prix que les Carthaginois eussent l'air d'avoir violé la paix. Le légat tenta de nouveau de passer avec ses trirèmes : le courant et la violence du vent poussèrent plusieurs embarcations du côté des vaisseaux carthaginois qui croisaient dans le détroit. Hannon renvoya intacts les bâtiments et les équipages, en rappelant les Romains au respect des traités. Le légat ne tint nul compte de cet avis : il fit moins d'attention encore au serment fait par Hannon de ne pas même permettre aux Romains de se laver les mains dans la mer. Cet essai infructueux n'avait fait qu'exciter l'impatience du légat ; il le renouvela, aborda sans empêchement et fut reçu avec enthousiasme par les Mamertins. Il les réunit en assemblée : Inutile, dit-il, de recourir aux armes ; vous n'avez qu'à décider si vous voulez, oui ou non, garder les Carthaginois dans votre ville. Hannon se crut obligé de descendre de la citadelle et de venir se justifier devant l'assemblée de s'être, comme on le lui reprochait, emparé par force de la ville. Après une vive altercation, C. Claudius ordonna de le saisir et, au milieu des cris d'approbation des Mamertins, il fit conduire en prison le général de Carthage. Hannon ne fut remis en liberté qu'après avoir donné l'ordre à la garnison carthaginoise d'évacuer la ville, et il s'en retourna dans sa patrie, où il expia sur la croix ses demi-mesures.

Aussitôt les forces carthaginoises en Sicile reçurent l'ordre de marcher en avant. Hannon, fils d'Hannibal, partit de Lilybée, laissa dans le sud une forte garnison dans l'importante ville d'Agrigente, longea la côte septentrionale et se dirigea vers Messana : il établit son camp à Eunéis, pendant que la flotte jetait l'ancre près du cap Pélore. En même temps, Hiéron, qui venait de conclure une alliance formelle avec les Carthaginois, arrivait par le sud et allait camper de l'autre côté de la ville sur le mont Chalcidique. Messana était entièrement investie ; les vivres lui étaient coupés et elle avait à soutenir des attaques quotidiennes, car on devait désirer de la prendre avant l'arrivée de l'armée consulaire. Mais déjà Appius Claudius était à Rhégion ; il s'embarqua à la faveur de la nuit : son arrivée à Messana fut aussi heureuse qu'inattendue. Mais que faire ? des deux côtés de la ville étaient établis des camps solidement retranchés ; et à l'intérieur les vivres manquaient ; on était coupé de l'Italie, et l'ennemi était le maître sur terre et sur mer : le consul semblait être tombé dans le piège. Il fit d'abord savoir aux deux camps que Rome ne demandait que la cessation des hostilités contre les Mamertins. On repoussa ses propositions : il ne lui restait qu'à vaincre sans retard ; les ennemis n'avaient d'ailleurs pas encore opéré leur jonction. Il se jeta sur les Syracusains ; la lutte fut longue et opiniâtre, mais les Romains finirent par l'emporter et ils poursuivirent Hiéron jusqu'aux retranchements de son camp. Soupçonnant sans doute une trahison des Carthaginois, qui n'avaient pas empêché le consul de passer le détroit et n'avaient pas envoyé les secours que le roi attendait pendant la bataille, Hiéron évacua son camp, passa les montagnes et se retira à Syracuse. Cette fuite décida de tout. Le consul se garda de le poursuivre et se tourna dès le lendemain contre les Carthaginois[6]. Il essaya en vain de forcer leurs retranchements, mais, comme il se retirait et que les ennemis s'étaient risqués à le poursuivre, il se retourna, tomba sur eux, en tua un bon nombre et força les autres à s'enfuir dans leur camp.

Les Carthaginois paraissent avoir aussi abandonné leurs positions ; le consul dévasta les deux territoires ennemis. Il s'avança jusqu'à Égeste ; son intention ne pouvait être que de pousser à la défection les villes grecques soumises aux Carthaginois. Il envahit ensuite le territoire d'Hiéron : les villes demandèrent la paix l'une après l'autre ; déjà l'armée romaine campait devant les murs de Syracuse, et les deux nouveaux consuls arrivaient sans obstacle avec quatre légions (263). Hiéron se trouvait, au point de vue politique, dans une position fausse ; les circonstances lui avaient imposé l'alliance avec Carthage, et ses alliés ne le soutenaient pas ; quand leur flotte s'approcha, il était trop tard ; les Sicéliotes avaient perdu courage. Une plus longue résistance ne laissait pas entrevoir la moindre chance de succès ; au contraire, Hiéron pouvait espérer que les consuls lui accorderaient une paix acceptable, et parce qu'il avait été l'ami des Romains, et parce qu'il pouvait contribuer à l'entretien de leur armée, que les forces navales des Carthaginois rendaient extrêmement difficile. Il entra en pourparlers : les consuls demandèrent la reddition des prisonniers romains, une contribution de guerre, la cession des villes enlevées aux Mamertins ; c'est à ces conditions que la paix se conclut et que Hiéron devint l'allié des Romains.

Le cours ultérieur de la première guerre punique n'entre pas dans le cadre de notre récit. Carthage déploya dans la lutte toutes ses ressources matérielles ; Rome fit preuve de ressources morales encore plus grandes : la guerre se continua pendant vingt ans, avec les vicissitudes les plus variées et les plus étonnantes péripéties. Nous y reviendrons au moment où elle touchera à sa fin.

Après la guerre avec Pyrrhos, les Grecs d'Italie étaient devenus ou les sujets ou les alliés de Rome ; cette première guerre punique ruina les États grecs de la Sicile, à l'exception du petit territoire qui prospéra sous la puissance tutélaire d'Hiéron[7] et qui n'avait d'ailleurs d'autre importance politique que d'être utile à l'entretien des armées romaines.

Mais comment se comportèrent les puissances orientales pendant cette guerre mémorable ? La tradition nous fait ici entièrement défaut : nous ne trouvons rien qui nous indique que ces États aient eu des rapports avec l'Occident, ni qu'ils s'en soient souciés ; on pourrait croire qu'ils assistèrent au spectacle de ses démêlés avec l'indifférence la plus irréfléchie. Mais c'est ce qui est impossible, pour peu que nos observations précédentes sur l'état politique de l'Orient aient quelque fondement. Sans parler de Timoléon, d'Alexandre le Molosse ou des corps expéditionnaires envoyés de Sparte, les événements du temps d'Agathocle, de Démétrios et de Pyrrhos, aussi bien que l'alliance de Ptolémée Philadelphe avec Rome, nous montrent clairement quels étaient les rapports de l'Orient et de l'Occident. Les intérêts des États grecs d'Occident étaient à coup sûr assez vivement défendus dans les différentes cours de l'Orient par les réfugiés politiques qui avaient quitté l'Italie devenue romaine ou la Sicile redevenue carthaginoise : qu'on se souvienne seulement de l'Italiote Lycinos, auquel Antigone, après sa victoire, confia le commandement dans Athènes en qualité de phrourarque.

Mais parmi les puissances orientales, lesquelles allaient intervenir ? Le temps n'était plus où la ville de Corinthe pouvait secourir et sauver sa fille de Sicile, où, en luttant glorieusement contre les Carthaginois, elle aurait pu remplir ses devoirs de métropole et servir en même temps les intérêts de son commerce. Sparte, toujours disposée autrefois à envoyer à la Sicile et à l'Italie des chefs et des soldats, était elle-même soumise aux épreuves les plus diverses dans le Péloponnèse, et cela juste au temps où son intervention eût peut-être été décisive (270-263). Que si, dix ans plus tard, un Spartiate commande dans l'armée des mercenaires grecs au service de Carthage, Sparte n'y est pour rien. C'est le fils de Pyrrhos, Alexandre, qui aurait eu les raisons les plus pressantes de prendre part aux événements de l'Occident ; à défaut d'autres preuves, l'alliance de famille conclue plus tard avec Hiéron[8] nous montre que ses regards étaient toujours fixés sur ces contrées où il avait fait ses premières armes sous les yeux de son père ; mais il fut empêché de rien entreprendre par les affaires de son propre pays, d'abord par sa lutte contre les Dardaniens, ensuite par les vicissitudes de la guerre de Chrémonide, qui paraissait d'abord lui assurer la possession de la Macédoine, mais qui finit par mutiler son royaume et le réduire à un rôle presque insignifiant.

L'Égypte était la seule puissance capable d'intervenir d'une façon décisive dans cette lutte pour la possession de la Sicile. Les intérêts de l'Égypte demandaient la plus grande extension possible du commerce, le plus grand développement possible de sa marine, qu'elle avait besoin de rendre supérieure à toute autre ; à l'un et l'autre point de vue, l'État carthaginois était pour elle un obstacle d'autant plus gênant que, si les villes phéniciennes sous la domination de l'Égypte prenaient de nouveau part, comme on peut le supposer, au commerce du Sud, on pouvait aussi prévoir qu'elles renoueraient leurs anciennes relations avec les contrées lointaines de l'Occident. Le mariage de la sœur de Magas avec Agathocle de Syracuse nous prouve que déjà le premier Lagide comprenait de quelle importance était pour Alexandrie et Cyrène le commerce avec Syracuse, et néanmoins l'Égypte ne pouvait avoir intérêt à favoriser la formation d'une puissance italo-sicilienne de race grecque, d'une puissance indépendante qui aurait tout au plus refoulé les Carthaginois pour s'agrandir à leurs dépens. Ptolémée agit donc avec une parfaite clairvoyance, quand, après la retraite de Pyrrhos, il conclut avec Rome une alliance qui naturellement ouvrait les ports de l'Italie an commerce égyptien, dont Puteoli semble avoir été de bonne heure la station principale. La concurrence de l'industrie italienne était d'autant moins à redouter que presque toutes les cités grecques, autrefois si actives, avaient été ruinées par les guerres des dernières années ; en revanche, les matières premières fournies par l'Italie devaient être d'une importance extrême pour la fabrication égyptienne, la laine surtout, car en Égypte, à ce qu'il semble, la culture du coton ne faisait que de commencer. On nous rapporte un trait bien significatif[9] : la guerre durait encore et l'équipement des flottes nouvelles qu'on envoyait coup sur coup en mer avait fortement compromis les ressources des deux États ennemis ; Carthage essaya de négocier auprès de Ptolémée un emprunt de 2.000 talents. Le roi entretenait de bonnes relations avec les deux puissances et essaya de les amener à faire la paix ; voyant son intervention sans effet, il répondit aux Carthaginois : « que c'était pour lui un devoir de défendre ses amis contre des ennemis, mais non pas contre des amis ». On peut douter qu'il eût appliqué ce même principe, si Rome avait été réduite à la même extrémité où se trouvait déjà Carthage. Comme allié des deux États, il avait tous les avantages d'une neutralité qui ouvrait aux vaisseaux de l'Égypte même la partie de la mer où dominait Carthage ; la situation de plus en plus critique de cette ville ne pouvait aboutir qu'à un affaiblissement de sa puissance maritime, tandis que, vu la nature de l'État romain, il n'y avait pas lieu d'appréhender sérieusement qu'il voulût s'emparer de la mer et devenir une puissance commerciale. On pourrait même, à la façon singulière dont un des poètes de la cour d'Alexandrie qualifiait les îles de Corse et de Sardaigne, supposer qu'à Alexandrie l'attention était fixée sur elles[10].

Ainsi rattachés les uns aux autres, ces faits nous expliquent l'attitude de l'Orient pendant la grande guerre qui divisait l'Occident. Si, comme il n'y a pas en douter, la guerre de Chrémonide et la mort d'Antiochos Jr furent suivies indubitablement de plusieurs années de paix, ce répit dut servir les intérêts de Ptolémée et lui permettre de reprendre ses expéditions en Arabie et en Éthiopie, expéditions qu'il avait peut-être déjà commencées avant ce temps et qui étaient pour lui d'une importance incalculable, non seulement parce qu'elles élargissaient son empire, mais aussi parce qu'elles étendaient et protégeaient le commerce de son pays avec l'Inde et le sud de l'Afrique. C'est Ptolémée II, nous dit-on sommairement, qui a le premier découvert la côte des Troglodytes[11] : on fonda une série de remarquables établissements sur les côtes de la mer Rouge pour consolider cette nouvelle conquête[12]. Plus loin au sud, on trouva des éléphants en grand nombre, et Ptolémée II commença à les faire prendre pour s'en servir à la guerre[13] : sa puissance militaire en devint plus forte, et l'on pouvait espérer d'avoir acquis la supériorité que les éléphants de l'Inde donnaient aux armées syriennes. Ces entreprises, autant que, l'on peut en juger par la présence de noms grecs dans la région et par des vraisemblances suggérées d'elles-mêmes à l'esprit, se sont étendues jusque sur certains points de la côte arabique[14] ; mais l'expédition la plus remarquable est encore celle de Ptolémée Philadelphe dans l'intérieur de l'Éthiopie[15]. Malheureusement, on ne trouve nulle part le moindre renseignement sur le temps et les circonstances où se fit cette campagne. Nous avons déjà rapporté qu'un homme qui avait reçu une éducation grecque, Ergamène, renversa l'État théocratique de Méroé et fonda une puissance militaire. Le nom d'Ergamène se trouve sur les hiéroglyphes de Dakkeh, et ceci nous montre que son empire touchait de bien près à celui de l'Égypte. Est-ce contre lui que Ptolémée dirigea son expédition ? ou n'entra-t-il en scène qu'après que cette expédition du Lagide eut ébranlé l'État sacerdotal ? C'est à partir de cette expédition que l'Éthiopie s'ouvrit à la science et à la civilisation grecques. Les remarquables antiquités que Ferlini a trouvées dans les ruines de la Pyramide de Kourgos portent indubitablement le caractère d'un travail grec ; des explorateurs grecs s'installèrent à Méroé et de là remontèrent dans les contrées situées plus loin[16]. C'est en partant en même temps et de ces contrées et des colonies de la côte que l'on retrouva les descendants de ces guerriers égyptiens qui, quatre siècles auparavant, au moment où Psammétique enrôlait des aventuriers grecs et les installait en Égypte comme caste guerrière, avaient émigré et s'étaient fixés dans ce pays ; c'est sur cette même côte que fut plus tard fondée Adule, où un moine de l'époque byzantine copia une inscription grecque destinée à éterniser le souvenir des immenses conquêtes de Ptolémée III. En un mot, les deux expéditions de Ptolémée Philadelphe furent le point de départ de découvertes, de conquêtes et de nouvelles relations commerciales que nous connaissons imparfaitement sans doute, mais qui nous montrent quelle extension la puissance égyptienne avait prise aussi de ce côté-là[17]. Solidement assise et inattaquable dans le sud, l'Égypte avait dans la Cœlé-Syrie et dans Cypre deux bastions avancés qui la protégeaient contre les Séleucides ; il ne lui manquait plus que Cyrène pour arrondir le cercle de ses possessions, et le traité conclu avec le roi Magas, traité d'après lequel la fille unique et seule héritière de ce dernier était fiancée dès l'enfance au jeune héritier du trône d'Égypte, assurait tout au moins la réunion éventuelle de cette province, qui devait achever de consolider la puissance de l'Égypte, la rendre absolument inattaquable et lui assurer la plus redoutable supériorité. Tout l'intérêt de la politique internationale devait nécessairement se concentrer sur Cyrène ; les cours de Macédoine et de Syrie devaient tout tenter' pour faire échouer cette réunion de Cyrène à l'Égypte. Quand Magas mourut, son héritière était encore une enfant, et il ne pouvait être avant longtemps question de son mariage : l'autorité était pendant ce temps confiée à ses tuteurs ; et l'on comprend quelle grande influence devait avoir la reine-mère. Elle était de la famille des Séleucides ; les fiançailles et le traité avaient été faits contre sa volonté. Si dans la Pentapole un parti important désirait la réunion à l'Égypte, la politique anti-égyptienne de la Macédoine et de la Syrie avait un ferme appui dans la veuve du feu roi : cette reine était entièrement dévouée aux intérêts de son frère et de son oncle ; à la première occasion, ces relations que le vieux roi Magas avait nouées avec l'Égypte allaient se rompre.

Mais quelle fut cette occasion ? Si les nouveaux différends entre les trois grandes puissances sont assez motivés par l'extension en tout sens de la puissance égyptienne et aussi par la situation politique de ce pays, telle que nous l'avons exposée plus haut, l'histoire ne nous dit pas cependant ce qui ralluma la guerre. Essayons de fixer les différents événements qui la précédèrent.

Le changement de règne en Syrie ne lit pas cesser entre cette cour et celle de Macédoine les relations amicales que leur imposait la situation politique ; le fait est indubitable. Un nouveau mariage resserra encore ces liens : Stratonice, la sœur du jeune roi de Syrie, épousa le neveu de sa mère, l'héritier du trône de Macédoine[18]. Mais le nouveau gouvernement ne parait pas cependant avoir gardé cette retenue el cette mesure qui caractérisaient la politique syrienne sous Antiochos Ier et qui seules pouvaient plaire à la cour de son allié, le roi de Macédoine.

Antiochos II nous est représenté, par deux historiens dont on ne peut guère récuser le témoignage, comme un grossier ivrogne. Il lui arrivait rarement, nous dit Phylarque, d'être à jeun ; le plus souvent, il était complètement ivre quand il expédiait ses affaires : il en avait d'ailleurs abandonné la direction à deux frères, Aristos et Thémison, qui étaient natifs de Cypre et qui s'étaient, disait-on, tous les deux livrés au roi pour de honteuses amours[19]. Pythermos d'Éphèse[20] racontait que ce Thémison s'était fait appeler l'Héraclès du roi Antiochos, qu'il paraissait aux fêtes et aux sacrifices avec la peau de lion, la massue et l'arc scythique, et que les sujets de l'empire lui offraient à lui-même des sacrifices, en l'invoquant sous le nom de Thémison-Héraclès[21]. C'est là un portrait assez grotesque, mais dont tous les traits ne peuvent pas être faux. D'autre part, les entreprises d'Antiochos II, celles du moins que nous connaissons, nous donnent la preuve certaine qu'il ne s'est nullement abandonné à un repos efféminé ; on serait plutôt tenté d'y reconnaître les traces de cette effervescence déréglée et de cette brutalité qui semble aussi se retrouver dans la grossière sensualité du monarque ; mais cette manière de voir n'est pas non plus suffisamment appuyée par les témoignages existants : il est bien possible qu'en somme nous n'ayons encore de ce prince qu'un portrait tout défiguré. Peut-être est-il bon d'avertir aussi que Thémison était également le nom d'un roi de Cypre ; c'est à un roi appelé Thémison qu'Aristote avait dédié un de ses ouvrages[22]. Les descendants de ce prince avaient été dépouillés de leur royaume héréditaire par les Lagides. Ces deux frères dont nous avons parlé étaient peut-être ses petits-fils, qui, au cas où ils auraient eu encore l'esprit de rentrer en possession du trône de leurs pères, ne pouvaient réaliser cet espoir autrement qu'en s'attachant au roi de Syrie[23].

Dès l'avènement du roi[24], à ce qu'il semble, le repos de l'Asie-Mineure fut troublé par une querelle de succession qui jette une vive lumière sur la situation politique. Nicomède de Bithynie, qui dès 261 avait fondé avec tant d'éclat Nicomédie, sa nouvelle résidence royale, venait de mourir. Cédant aux intrigues de sa seconde femme, il avait fait un testament au préjudice des enfants déjà grands du premier lit et en faveur des enfants mineurs du second mariage, et il avait confié aux rois Ptolémée et Antigone, aux villes de Byzance, d'Héraclée et de Cios, le soin de veiller à l'exécution de ce testament. Mais l'aîné des fils déshérités du roi, Ziaélas, qui s'était enfui chez le roi d'Arménie, accourut à la nouvelle de la mort de son père pour faire valoir ses droits et parut sur les frontières du pays, avec une armée où se trouvaient aussi des Galates Tolistoboïens[25] Les Bithyniens se prononcèrent pour le testament du roi ; ils marièrent la reine veuve avec le frère du défunt, et, secourus par les troupes des États institués garants des dernières volontés de Nicomède, ils envoyèrent une armée contre Ziaélas. Il y eut des revers et des succès de part et d'autre ; les Héracléotes finirent par faire accepter un accord dont on ne nous indique pas les conditions : toujours est-il qu'a partir de ce moment Ziaélas est roi, et que, si ce n'est alors, du moins plus tard, nous retrouvons son frère consanguin Tibœtès, auquel le trône avait été destiné, établi en Macédoine[26]. Ce testament nous montre bien les procédés diplomatiques de ce temps. Nicomède le met sous la garantie des trois villes libres voisines, puis sous celle de deux grandes puissances, mais non de deux puissances amies entre elles. pour ne pas ménager au prétendant l'appui de leur ennemi commun ; de même, il évite de recourir aux trois rois à la fois, pour maintenir les grandes puissances garantes sur le pied d'égalité et empêcher une majorité décisive de se former parmi elles ; ce n'est pas la Syrie, mais la Macédoine qu'il associe à l'Égypte, parce que la Syrie confine immédiatement à la Bithynie et offre moins de garanties de désintéressement. Que, parmi les troupes envoyées par les États en question, il y ait eu aussi des soldats fournis par l'Égypte et par la Macédoine, cela ne peut guère être mis en doute, si étrange que cela nous paraisse ; ce furent d'ailleurs les Héracléotes qui envoyèrent les renforts les plus considérables, et il arriva même que les Galates, trouvant la guerre trop vite terminée, se retournèrent contre leur territoire et le pillèrent. Les Héracléotes, nous dit-on, s'entremirent pour amener la paix ; et cependant Tibœtès ne resta pas dans le pays : nous le retrouvons plus tard avec ses prétentions au trône de Bithynie, et c'est en Macédoine qu'il s'est fixé. Ceci nous montre assez clairement que les puissances garantes du testament s'étaient divisées. Et en effet, cet arrangement, qui donnait le pouvoir à Ziaélas, aboutissait juste au contraire de ce que le testament demandait aux cinq États de garantir. Le séjour de Tibœtès en Macédoine est la preuve certaine qu'Antigone reconnaissait les droits du jeune prince et qu'il n'approuvait pas cet arrangement, qui, d'autre part, ne pouvait guère devenir effectif et offrir dans la pratique une sécurité suffisante sans avoir été pour le moins approuvé par l'autre grande puissance. L'Égypte, en reconnaissant Ziaélas. acquérait en Bithynie une influence que, d'après le testament, elle aurait dû partager avec la Macédoine ; elle eut en même temps des intérêts communs avec Héraclée, une ville importante par son commerce ; quant à Byzance, les relations amicales des deux républiques ne permettent pas de douter qu'elle ne se soit ralliée à la politique commune. Ptolémée s'entendait vraiment à étendre son influence politique : la Bithynie, Héraclée, Byzance, se joignirent à Rhodes, aux royaumes de Pergame et de Pont, dont il s'était déjà concilié l'amitié : l'Asie-Mineure fut de plus en plus soustraite à la politique syrienne.

Au nombre des fragments de ce sixième livre où Phylarque avait dépeint le caractère du roi Antiochos, et qui allait sans doute jusque vers l'année 258, il y en a deux qui se rapportent à Byzance : l'un nous dit que les Byzantins exerçaient sur les Bithyniens la même domination que les Spartiates sur les hilotes[27] ; l'autre rapporte que les Byzantins étaient des voluptueux et des ivrognes, qu'ils élisaient domicile à la taverne et louaient leurs maisons et leurs femmes aux étrangers, qu'ils craignaient d'entendre même en songe le bruit de la trompette guerrière[28]. C'était évidemment à l'occasion d'une guerre qui menaçait les Byzantins que Phylarque avait parlé de leur caractère anti-belliqueux, et ce qu'il en disait se rattachait aux événements qui s'étaient passés de 262 à 258. Or, c'est précisément cette guerre que mentionne l'extrait de l'histoire d'Héraclée par Memnon, extrait où, immédiatement après la guerre de la succession de Bithynie, nous lisons que, pendant la lutte d'Antiochos avec les Byzantins, les Héracléotes leur envoyèrent quarante trirèmes, si bien qu'en fait de guerre, on s'en tint aux menaces[29]. Il faut dire que le siège de la ville parait avoir été commencé. Les Byzantins étaient sans doute bien habitués aux attaques des tribus celtiques du voisinage : au moment où leurs champs étaient couverts des plus belles moissons, elles venaient les dévaster et y mettre le feu ; on ne s'en débarrassait qu'en payant de nouveaux tributs[30] ; mais elles ne pouvaient pas menacer sérieusement une ville entourée de fortes murailles et encore moins se risquer à en faire le siège[31]. La mention d'un siège en règle, et elle se trouve, ne paraît pouvoir se rapporter qu'à cette tentative d'Antiochos. Les joyeux citoyens de Byzance n'étaient guère disposés à monter la garde sur les remparts, que l'assiégeant menaçait par un envahissement régulier ; ce métier était trop rude pour eux ; ils ne pouvaient renoncer à leur habitude de courir les tavernes et les tripots : il ne resta plus à leur général Léonidas[32] d'autre moyen, pour ne pas laisser les remparts se dégarnir complètement, que de faire installer des buvettes derrière les créneaux, et même ainsi il eut de la peine à retenir sur les murs ces vaillants républicains. Ce ne fut donc pas leur résistance, ce furent plutôt les secours importants des Héracléotes qui décidèrent le roi à se retirer[33].

C'est ainsi que nous voyons Antiochos II faire la guerre sur le continent européen, mais ce n'est pas par le Bosphore qu'il était arrivé devant Byzance ; le royaume de Bithynie et les possessions d'Héraclée lui barraient le passage : il n'a pu qu'entrer par l'Hellespont dans la Chersonèse. Il rencontrait le long de sa route ces villes grecques de l'Asie antérieure que la victoire de Séleucos sur Lysimaque avait fait échoir à la maison de Syrie, mais que la Syrie avait dû abandonner pendant la sauvage invasion des Galates et qu'elle ne s'était de nouveau attachées que comme villes libres de l'empire, en reconnaissant leur autonomie ; cette liberté ne les protégeait pas d'ailleurs contre les incursions que les Galates entreprenaient de côté et d'autre. La rapide extension de l'influence égyptienne en Asie-Mineure dut rappeler à la cour d'Antioche que l'Égypte n'avait qu'à offrir son appui à ces villes sans cesse menacées pour les détacher entièrement d'un royaume qui jusque-là, les avait toujours laissées sans protection : or ni la Macédoine, ni la Syrie ne pouvaient penser sans inquiétude à la possibilité de voir une puissance maritime comme l'Égypte s'établir dans des pays qui confinaient à la Macédoine et qui dominaient l'Hellespont. Ces motifs doivent avoir décidé la cour de Syrie à se proposer sérieusement de prendre possession de la Thrace. Antigone a-t-il pris part à cette guerre et quelle part y a-t-il prise ? On ne trouve là-dessus de renseignements nulle part. Mais nous avons, par contre, une indication précieuse concernant la guerre que firent les Syriens : Antiochos, nous rapporte-t-on, assiégeait[34] la ville thrace de Cypséla ; il avait dans son armée beaucoup de nobles thraces sous la conduite de Tiris et de Dromichætès ; ces nobles vinrent au combat avec des chaines d'or et des armures d'argent, et, quand leurs compatriotes de la ville les virent ainsi chargés d'ornements, qu'il les entendirent leur parler dans la langue du pays, ils comprirent tout l'avantage d'être au service des Séleucides ; ils jetèrent leurs armes et devinrent les amis du puissant monarque. Ce n'est donc pas avec les Galates qu'Antiochos eut à lutter ici ; le royaume de Tylis, fondé par Comontorios, ne s'étendait pas si loin. Il y avait là des Thraces qui avaient tenu bon[35], alors que la plupart de leurs frères avaient été subjugués pendant l'invasion des Celtes ; le royaume gétique de Dromichætès, qui avait jadis si glorieusement lutté contre Lysimaque, n'existait plus ; peut-être que ce Dromichætès de l'armée d'Antiochos descendait de la même famille ; les princes dépossédés et les Eupatrides de Thrace avaient sans doute quitté leur patrie envahie par les Galates ; ceux qui étaient restés avaient été asservis par les Galates ou avaient cherché à défendre leur liberté derrière les murailles des villes fortes. C'était bien volontiers qu'ils se ralliaient maintenant à ce puissant roi de Syrie, dans l'armée duquel la vieille noblesse de leur pays servait avec tant d'éclat.

Ainsi nous pouvons déjà voir la puissance d'Antiochos s'étendre depuis Cypséla jusqu'à Byzance. Les villes grecques de la côte, comme Lysimachia, Ænos, Maronée ; etc., et peut-être aussi Périnthe, que les affaires de Bithynie n'avaient pas mises vis-à-vis de la Syrie dans la même attitude hostile que Byzance, ont dû faire cause commune avec Antiochos ; il est également fort probable que l'on fit la guerre aux Galates de Thrace[36], car autrement le siège de Byzance n'eût pas été possible. Toujours est-il que la Syrie prit enfin formellement possession du sud de la Thrace, c'est-à-dire d'une région allant jusqu'au territoire de Byzance d'un côté et, de l'autre, jusqu'aux frontières de la Macédoine.

Après la guerre d'Antiochos en Thrace, les témoignages nous font presqu'entièrement défaut ; pour une période de six à huit ans, nous n'avons que ces maigres paroles d'un historien bien postérieur à ce temps : Antiochos eut de nombreuses guerres avec Ptolémée II et lutta avec toutes les forces réunies de Babylone et de l'Orient ; enfin, après de longues années, Ptolémée, voulant mettre fin à cette lourde guerre[37], etc. C'est là une indication si isolée que des historiens sérieux ont pris cette guerre pour une chimère[38]. Elle eut lieu cependant, comme le prouve le témoignage d'un poète contemporain, si indirect qu'il soit d'ailleurs. Dans une poésie de Théocrite en l'honneur du roi, morceau composé pendant la guerre, au moment où les plus éclatants succès avaient été déjà remportés[39], nous lisons ce qui suit : Ptolémée est le souverain de la magnifique Égypte et de ses villes sans nombre ; il prend à la Phénicie, à l'Arabie, à la Syrie, à la Libye et à la noire Éthiopie[40] ; à un signe de lui obéissent tous les Pamphyliens, les vaillants Ciliciens, les Lyciens, les belliqueux Cariens, les habitants des Cyclades, car c'est pour lui que les meilleurs vaisseaux naviguent sur l'onde marine ; Ptolémée est le souverain de la mer entière, comme aussi de la terre et des fleuves murmurants ; bien des cavaliers, bien des soldats portant le bouclier et cuirassés d'airain brillant font retentir leurs armes en son honneur ; cependant ses peuples poursuivent en paix leurs travaux, car aucune armée ennemie ne franchit le Nil et ne-traverse les villages avec des cris tumultueux ; aucun ennemi ne bondit hors de son rapide esquif et ne vient troubler le repos des bœufs de l'Égypte. C'est ainsi que le blond Ptolémée veille sur les vastes campagnes, car il sait brandir la lance ; c'est ainsi qu'en bon roi il défend avec sollicitude l'héritage de son père et que lui-même l'agrandit[41].

En effet, il avait agrandi son héritage ; cette puissante flotte de l'Égypte, qui dans la guerre contre Antiochos Soter avait si sérieusement menacé les côtes de l'empire syrien, venait d'avoir des succès décisifs et avait servi à prendre entièrement possession des pays du littoral, et, si cette possession ne s'étendait pas bien avant dans l'intérieur des terres, on visait cependant à garder ce qu'on avait pris : c'est ce que prouve la fondation de Bérénice, de Philadelphie, d'Arsinoé en Cilicie, de Ptolémaïs en Pamphylie, comme aussi celle d'Arsinoé Patara en Lycie, qui est certainement de ce temps. Et Ptolémée n'eut pas seulement recours aux armes : il donne largement, dit Théocrite[42], aux vaillants rois, largement aux villes. Son or pénétrait partout où n'arrivaient pas ses vaisseaux et ses troupes : c'est ainsi que Timarchos fut fait tyran de Milet[43]. Chose plus importante encore, Éphèse tomba au pouvoir des Égyptiens ; le bâtard de Ptolémée en reçut le commandement[44]. La prise de Magnésie par Callicratidas de Cyrène[45] assurait même les communications par terre d'Éphèse avec Milet ; les belles plaines du Caystros et du Méandre étaient ouvertes aux armées égyptiennes, tandis que, dans le voisinage, l'île de Samos était pour une flotte une station des mieux situées.

C'est à peine si nous trouvons trace de ce que fit la Syrie pendant cette guerre malheureuse. Est-ce Antiochos qui, après ses heureux succès en Thrace, avait étourdiment commencé la guerre ? A-t-il comme son père, et sans prendre leçon de l'expérience faite par lui, essayé d'envahir l'Égypte et de regagner ainsi la Phénicie et la Palestine ? Fut-il tenté de profiter de l'expédition de Ptolémée dans le sud de l'Éthiopie ? Fut-il poussé à l'attaque, en voyant l'Égypte étendre de plus en plus son influence et l'enlacer partout dans ses trames ? C'est lui qui était l'agresseur ; nous pouvons le conclure non seulement du caractère de Ptolémée, mais aussi de la situation du moment, car l'Égypte, avant d'avoir achevé de prendre possession de Cyrène, n'aurait pas pu commencer opportunément une guerre qui ne promettait pas, en somme, d'avantages bien sérieux et dont le profit était en tout cas moins assuré que cette exploitation progressive des conjonctures politiques. Mais à toutes ces questions nous n'avons point de réponse : il n'y a qu'un point sur lequel se projette une faible lueur. Arados, la seule ville importante de Phénicie qui fût restée jusque-là au royaume de Syrie, compte à partir de ce temps d'après une ère nouvelle[46], dont la première année est 239/8 avant notre ère : quelle autre raison à cela, si ce n'est que la ville inaugura cette année-là sa liberté ? Conquise par Ptolémée, elle n'aurait certainement pas eu cette liberté ; mais, étant restée en bons termes avec les rois de Syrie, elle eut immédiatement après des privilèges très avantageux[47] ; il faut nécessairement supposer qu'Antiochos lui accorda la liberté complète et l'autonomie, soit qu'il désespérât de pouvoir la défendre contre la puissance maritime de l'Égypte, soit qu'il voulût ainsi faire naître dans les autres villes de la Phénicie les mêmes aspirations à l'indépendance. S'il y réussissait, il portait un préjudice considérable à la puissance égyptienne et, même sans regagner les possessions perdues, la Syrie trouverait là des alliés avec l'aide desquels elle serait peut-être en état d'affronter sur mer les forces supérieures de l'Égypte. Il y avait plus encore : des rapports étroits et surtout des liens religieux unissaient toujours l'antique patrie phénicienne à la ville de Carthage : on y avait envoyé les femmes et les enfants pendant le siège de Tyr par Alexandre, on en avait attendu du secours ; depuis qu'Agathocle avait paru aux portes de Carthage avec sa puissante armée, 'ces relations étaient devenues plus étroites encore ; on avait honoré les dieux de la métropole de riches présents et du culte le plus zélé ; on avait fait revivre à dessein ce vieux souvenir de l'origine commune et de la parenté des deux peuples. Actuellement la défaite de Mylæ, l'invasion de la Sardaigne et de la Corse, venaient d'ébranler dans ses fondements la puissance maritime des Carthaginois ; or, le roi sous la domination duquel se trouvait la Phénicie était l'allié de Rome, et, quoiqu'il fût resté neutre pendant la lutte, ses sympathies n'en étaient pas moins ouvertement acquises aux Romains. Il n'est pas possible que la cour de Syrie n'ait pas tenu compte de cette situation : elle devait l'encourager dans son espoir de susciter dans les villes de Phénicie des révoltes contre l'Égypte, d'autant plus que le rétablissement de la liberté à Arados ouvrait des perspectives analogues aux vieilles familles des négociants sidoniens et tyriens, dont l'importance politique avait été autrefois si considérable.

Il est possible que les affaires de Phénicie aient donné assez de mal à l'Égypte pour justifier l'expression de saint Jérôme, qui dit que la guerre de Syrie fut pour Ptolémée la source des plus grands ennuis ; une chose importante, c'est que cette guerre fit naître sur un autre point un conflit qui menaça la politique égyptienne d'un danger sérieux et faillit compromettre ses brillants succès en Asie-Mineure.

D'après ce qui s'était passé lors de la grande guerre précédente et d'après l'état général de la politique, on peut déjà supposer qu'Antigone de Macédoine n'a pas chi assister sans s'émouvoir aux succès de l'Égypte : il est impossible qu'un monarque si clairvoyant ait été indifférent à la marche des événements en Bithynie et à l'extension de l'influence égyptienne en Asie-Mineure avant l'explosion de la grande guerre. Qu'il désirât ou non la guerre, il était bien obligé, du moment qu'elle devenait inévitable, d'y prendre part sans tergiverser.

C'est ce qu'il fit avec autant de prudence que de succès, et il sut trouver le point le plus vulnérable de la politique égyptienne. Nous avons exposé plus haut la situation de Cyrène après la mort de Magas, dont la fille toute jeune encore avait été fiancée à l'héritier du trône d'Égypte. C'est alors que, suivant le seul témoignage que nous ayons, la reine-mère Apama, qui était de la famille des Séleucides, fit offrir la main de sa fille et le royaume de Cyrène à Démétrios le Beau, frère du roi Antigone[48]. C'était le même Démétrios qui, suivant une conjecture proposée plus haut, avait, quelques années avant, sauvé la Macédoine en guerre avec Alexandre d'Épire. Sa mère était cette Ptolémaïs d'Égypte qui avait vécu dans une sorte d'exil à Sardes, disgraciée de son père, tout comme son frère Céraunos, à cause de la préférence dont Philadelphe était l'objet. Le jeune Démétrios accourut, et ce ne fut certes pas une folle équipée d'amoureux : s'il n'avait pas attendu que Bérénice fût en âge, c'est qu'il avait pour venir si tôt des motifs politiques. Le fait qu'Antigone le laissa ou même le fit partir, alors que la convention de Magas avait suffisamment fixé l'avenir de Bérénice et de Cyrène, montre que c'était bien un voyage entrepris dans un but hostile à l'Égypte[49]. L'envoi de Démétrios était la diversion la plus hardie qu'Antigone pût faire contre l'Égypte, et elle réussit à souhait. Ce jeune et audacieux Démétrios, que ne rattachait à l'Égypte aucun autre souvenir que celui de l'affront fait à sa mère et dont les espérances ne pouvaient aboutir que s'il parvenait à anéantir celles de l'Égypte, devait bien autrement inquiéter le Lagide que le vieux Magas. Ptolémée paraît, en effet, avoir tourné tous ses efforts contre Cyrène ; la Libye se trouve aussi mentionnée parmi ses conquêtes dans le poème de Théocrite cité plus haut, et la Libye, comme nous l'avons raconté, avait été conquise par Magas jusqu'au-delà de Parætonion et lui était restée après la paix de 263[50]. Ce n'est que dans une lutte sérieuse contre Démétrios que Ptolémée avait pu reconquérir ce pays jusqu'à la frontière de Cyrène. Et cependant, l'Égypte ne parait pas avoir remporté de succès durables ; du moins, on nous rapporte que Démétrios « s'empara de toute la Libye ainsi que de Cyrène, où il établit un pouvoir monarchique[51].

C'était pour l'Égypte une perte incalculable : elle ne perdait pas seulement l'espoir de posséder la Pentapole, qu'elle avait achetée par la cession de la Libye, mais elle était encore menacée de perdre davantage, depuis qu'un prince de l'odieuse famille des Antigonides s'était établi dans ce pays. Pour comble de malheur, on ne pouvait plus, comme pendant la guerre précédente, faire naître en Grèce des soulèvements contre la Macédoine, car les États qui subissaient autrefois l'influence de l'Égypte restaient maintenant étrangers aux agitations politiques. En Épire, Alexandre ne régnait plus ; il avait été empoisonné[52] : son épouse et sœur Olympias avait la régence comme tutrice de ses deux fils mineurs Pyrrhos et Ptolémée, et elle pouvait d'autant moins songer à jouer un rôle dans les guerres de ce temps que l'amitié protectrice de la Macédoine pouvait seule lui assurer la possession de cette partie de l'Acarnanie qui appartenait à l'Épire et que les Étoliens commençaient à convoiter. De même, Sparte n'était pour le moment d'aucune utilité à l'Égypte : Acrotatos, le fils de cet Areus qui, dans la guerre de Chrémonide, avait combattu contre la Macédoine, avait succombé dans une lutte des plus sanglantes avec. Aristodémos de Mégalopolis[53]. Sparte avait essuyé une grave défaite et fait une perte d'hommes irréparable ; pendant que, dans l'autre maison royale, l'insignifiant Eudamidas II portait toujours le nom de roi, la tutelle du petit enfant qui venait de naître au roi défunt fut confiée à Léonidas, le fils de ce Cléonymos qui, pour s'emparer lui-même du trône, avait conduit des armées ennemies contre Sparte. Dans son jeune âge, Léonidas lui-même avait vécu en Asie à la cour du vieux Séleucos et de ses satrapes[54] : il suivit dans les affaires une politique opposée à celle d'Areus et d'Acrotatos, en usant, à ce qu'il paraît, de moyens violents contre ceux qui tenaient pour une alliance avec l'Égypte. Y a-t-il quelque rapport entre ce qui s'est passé alors à Sparte et l'apparition à Carthage en l'année 255 du grand capitaine Xanthippos, c'est ce que nous n'examinerons pas[55] : nous retrouverons dix ans plus tard ce personnage jouissant des plus grands honneurs à la cour du roi d'Égypte.

Ainsi les deux États les plus importants de la Grèce n'étaient plus d'aucune utilité à la politique de l'Égypte, et avec les autres on ne pouvait rien tenter de décisif. Il y avait bien en Thessalie des adversaires d'Antigone ; Théodoros de Larissa[56] est cité comme tel ; mais, à Larissa même, l'influence macédonienne devait être affermie par l'alliance de Polyclète avec la maison royale. Olympias, la fille de ce dynaste, avait été l'épouse du Beau Démétrios, et l'enfant né de ce mariage vers l'an 263, enfant qui fut plus tard roi sous le nom d'Antigone Doson, était un lien de plus qui unissait la ville et le pays à la Macédoine[57]. Les Étoliens étaient sans aucun doute hostiles à la Macédoine, et, si tant est qu'ils fussent accessibles aux influences du dehors, ils se tournaient plutôt du côté des Lagides ; mais leur Ligue n'était pas encore assez forte pour jouer un rôle politique ; ils pouvaient bien envahir et piller les territoires voisins, mais, sans le concours d'un autre État hellénique, cette confédération ne pouvait avoir d'autre rôle utile pour l'Égypte que de fournir à ses armées de vaillants mercenaires dans le cas d'une guerre longue et difficile. Corinthe était encore aux mains d'Alexandre ; à Sicyone régnait encore Abantidas : mais ce dernier était trop faible pour oser de grandes choses, et Alexandre s'était de nouveau réconcilié avec la Macédoine[58]. Il est à remarquer enfin qu'en 255 Antigone retira la garnison macédonienne qui occupait le Musée depuis la guerre de Chrémonide, et que, dans la ville d'Athènes tout au moins, il rétablit la liberté[59]. Il est vrai que cette guerre naissante avait encore une fois réveillé les espérances d'Athènes : nous lisons que le vieux Philochore, qui servait si pieusement de périégète à sa ville natale et qui, en qualité de devin et d'interprète de prodiges, avait déjà autrefois défendu la cause de la liberté contre le père d'Antigone, fut tué par ordre d'Antigone pour avoir penché du côté de Ptolémée[60]. Le Macédonien eut sans doute facilement raison de quelques tentatives isolées et impuissantes ; s'il retira ensuite sa garnison du Musée, c'est que ou bien il se sentait assez sûr de la situation pour faire un acte de générosité qui, dans les dispositions où était alors la Grèce, devait lui assurer l'approbation de tous les hommes éclairés, ou bien il jugeait nécessaire de montrer aux Grecs que la Macédoine ne songeait pas à les asservir, mais qu'elle leur demandait seulement de rester en repos et de respecter l'ordre légal. Ce fut dans la même année que la ligue achéenne, qui était toujours sans la moindre influence en fait de politique extérieure, apporta à sa constitution une modification qui lui donna plus de solidité et une direction plus ferme : au lieu de deux stratèges, elle n'en nomma plus qu'un seul. Margos de Cérynia, le vaillant libérateur de Boura, fut le premier chef unique placé à la tête de la Ligue[61].

Un tel état de choses en Grèce rendait impossible à la politique égyptienne d'y susciter des troubles et de faire à la Macédoine le même tort que la perte de Cyrène à l'Égypte. Ce que nous ne pouvons pas savoir, c'est si les deux flottes opérèrent l'une contre l'autre sur la mer Égée ; si Andros, qui en 251, est au pouvoir de la Macédoine, était restée à Antigone après la guerre de Syrie ou venait d'être conquise par lui ; si Ptolémée avait repris pendant cette guerre les Cyclades, dont le poème de Théocrite lui attribue la possession, et si Andros seule n'avait pu encore être enlevée par lui à son adversaire[62]. Ce qui est certain, c'est que sur les côtes de l'Ionie l'Égypte éprouva une perte sérieuse. A Éphèse commandait Ptolémée, le bâtard du roi : la grandeur et l'importance de cette ville, sa position qui, si elle restait à l'ennemi des Macédoniens et des Syriens, la leur rendait également redoutable, sa situation au milieu des villes ioniennes, parmi lesquelles Milet tout au moins avait été déjà détachée de la cause syrienne par le tyran Timarchos, tout devait faire d'Éphèse un point stratégique important pour l'Égypte. Mais voici que Ptolémée fit alliance avec Timarchos de Milet et abandonna le parti de son père[63]. C'était agir en insensé : l'alliance avec le tyran de Milet rendait impossible au rebelle de s'attacher à la Syrie, et, pour qu'il pût se conquérir une position indépendante entre les deux puissances en guerre, il eût fallu de grands succès, l'entier dévouement des mercenaires et un soulèvement enthousiaste des villes ioniennes. Nous ignorons pendant combien de temps le présomptueux bâtard sut se maintenir : les mercenaires thraces, que l'Égypte avait sans doute gagnés, se révoltèrent contre lui à Éphèse ; il chercha avec sa maîtresse Irène un refuge dans le temple d'Artémis où ils furent égorgés tous deux[64]. Éphèse fut conservée à l'Égypte ; nous le savons, parce qu'il est fait mention du gouverneur qui, peu de temps après, y commandait. Et que devint Milet ? Antiochos, est-il rapporté, fut appelé Dieu par les Milésiens, parce qu'il les avait délivrés du tyran Timarchos[65]. Ce n'est donc pas l'Égypte qui put écraser le complice du rebelle et s'emparer de Milet. Antiochos réussit à le devancer, et, s'il ne prit pas la ville, il s'acquit du moins sa reconnaissance ; il aurait peut-être pu s'en rendre maître facilement, mais il dut préférer proclamer son indépendance. Si donc on nous rapporte que le roi Antiochos Théos a donné la liberté aux villes d'Ionie en général[66], cela nous montre avec quelle fermeté la cour de Syrie a su prendre son parti et sacrifier une part réellement considérable de ses prétentions[67]. Une telle proclamation ne liait pas seulement les intérêts des villes à la politique syrienne, mais, chose plus importante, cette liberté de l'Ionie opposait une barrière aux progrès de l'occupation égyptienne, et la ville d'Éphèse était la seule où il restât encore une garnison ennemie[68].

Cette liberté nous parait assez étrange. Ce que nous savons de ce temps-là est si maigre et si sec que nous sommes tentés de ne voir dans le rétablissement de la liberté des villes qu'un pas de plus dans la décrépitude, un désordre de plus dans cette époque troublée, et de passer avec indifférence ; mais défions-nous de cette opinion préconçue. Ce n'est plus sans doute l'ancienne autonomie dans sa male énergie ; mais quand dans une ville la prospérité matérielle est en plein épanouissement, que le bien-être général, fruit d'une industrieuse activité, fait rêver une organisation sociale plus rationnelle, plus féconde en besoins et en jouissances, cette situation éveille infailliblement un désir d'indépendance politique qui peut bien être refoulé par des circonstances extérieures et fortuites, mais jamais pour longtemps. D'ailleurs, l'exemple de Rhodes, de Byzance, d'Héraclée, de Sinope, que les relations les plus diverses unissaient à ces villes de l'Ionie, ne pouvait pas manquer, puisque la situation intérieure était analogue de part et d'autre, de provoquer chez elles des aspirations identiques, favorisées de la façon la plus opportune par les nouvelles complications survenues entre les grandes puissances. Partout dans la vie grecque on sentait un esprit nouveau et original, qui n'était pas à l'état naissant, mais déjà complètement formé. La continuité historique des civilisations avait été interrompue ; ce qui était antérieur à Alexandre et à sa conquête du monde laissait la génération présente aussi indifférente et froide que nous laisse le temps qui précède 1789 : dans la science et dans la religion comme dans l'État lui-même, il s'était créé comme une atmosphère absolument nouvelle. Il est vrai que cette action dissolvante ne s'était pas étendue à beaucoup près jusqu'aux couches profondes de la population hellénique ; de l'ancienne foi, celles-ci gardaient encore au moins la superstition, et, des coutumes des ancêtres, il leur restait au moins les formes traditionnelles. Si fortement d'ailleurs que le métier de mercenaire ait contribué à propager jusque dans les vallées les plus écartées et les communes les plus isolées tout ce qui tendait à établir un niveau uniforme, on pouvait néanmoins, dans la vie de tous les jours, dans les cérémonies de toutes les fêtes, dans le costume, dans le dialecte, reconnaître le caractère primitif de cette nature grecque si infiniment variée. Et cependant ce n'étaient là que les morceaux, les débris usés de ces créations spontanées dont la végétation surabondante avait épuisé la sève de la race ; on n'était plus au temps des organisations isolées, appropriées à tel ou tel lieu et à telle ou telle tribu. Après avoir été la condition essentielle et le principe même de la. vie hellénique, elles devaient être absorbées et peu à peu remplacées ou intimement modifiées par des productions nouvelles, aussitôt qu'on, aurait trouvé les formes appropriées aux besoins des nouvelles générations.

Mais ces formes, ces principes, où les trouver, si ce n'est dans les résultats positifs et dans l'esprit même des temps nouveaux ? C'est l'État fondé sur la raison qui vient remplacer l'État d'origine historique et naturelle. La philosophie avec ses innombrables nuances est la véritable expression de cette époque : elle est répandue partout ; elle a des maîtres et des disciples dans les plus petites villes de la Grèce ; elle domine dans l'entourage des rois, dans les délibérations des sénats, dans les nombreux écrits des publicistes et dans la société galante des hétaïres ; ce sont des philosophes qui délivrent les villes de leurs tyrans ou qu'appellent les villes redevenues libres pour recevoir d'eux une constitution nouvelle. Dans toutes les créations de l'époque prédomine la tendance à remplacer des institutions qui s'étaient développées d'elles-mêmes, mais qui, une fois l'esprit ancien disparu, étaient devenues contraires à la raison et intolérables, par des institutions qui répondaient mieux aux exigences de la raison. Même là où l'on a conservé les vieilles institutions, en leur laissant suivre le processus vital qui continue leur développement ou les mène à la dégénérescence, là où l'on essaie de faire revivre celles qui sont déjà mortes, parce qu'on leur croit une valeur supérieure, on ne peut pas cependant résister au courant général de l'époque : en conservant ou en restaurant, on suit la tendance du jour ; on ne sait rien faire sans cette méthode rationnelle qui règne partout alors ; on obéit, comme nous dirions aujourd'hui, aux principes du libéralisme. La tendance générale est donc d'établir des institutions fondées sur la raison ; on abolit par des moyens plus ou moins violents ce qui subsiste encore des différences de races, des droits locaux, des privilèges de famille, des traditions et des habitudes anciennes ; c'est maintenant l'opposition entre les pauvres et les riches qui exerce son influence exclusive et souveraine sur la politique intérieure des cités ; c'est aux intérêts matériels que cette conception purement rationnelle du rôle de l'État donne une importance prédominante. Il est vrai que c'est une plaisanterie de comédie, mais on reproche alors aux stoïciens d'être de mauvais citoyens, parce que leur sobriété nuit au commerce[69]. L'opinion qu'on se fait de la vie a tellement changé qu'on est généralement tout disposé à affirmer avec Héraclide de Pont que le bien-être et le luxe rendent les hommes vaillants et magnanimes, que la vaillance des vainqueurs de Marathon était en rapport direct avec la splendeur et l'opulence de la vie dans l'Attique ancienne[70]. Si les Épicuriens furent chassés de Crète et de Messénie[71], ce n'est pas à cause de leurs débauches ; à des hommes comme Arcésilas, Straton, Lycon, qui étaient des philosophes d'une réputation non équivoque et d'une influence très étendue, personne ne reprochait leur richesse, leur goût pour les objets précieux, leur luxe, leur commerce avec les hétaïres et les jeunes garçons ; ils devaient leur influence à leurs idées, à leur rationalisme libre-penseur. Quant aux Épicuriens, ce qui les rendait antipathiques au milieu de ce mouvement politique et social de leur temps, ce n'était pas leur immoralité ou leur prétendu athéisme, c'était leur espèce de quiétisme, leur parti pris de vivre à l'écart, en égoïstes, tout occupés de joies intimes, leur façon indolente de prendre les choses comme elles étaient, et surtout l'obscurité, l'indécision paresseuse, on dirait presque le tour eschatologique de leurs idées. Aux aspirations du temps répondaient plutôt les hardiesses égalitaires du doute pyrrhonien, les élans enthousiastes des idées platoniciennes, les énergiques rigueurs de la logique et de la morale du Portique.

Cet esprit nouveau auquel la jeunesse s'abandonnait partout avec enthousiasme, nous l'avons déjà vu apparaître lors de la guerre de Chrémonide, et d'année en année nous le trouvons plus répandu et plus accentué ; partout les gens éclairés aspirent à une constitution indépendante, à une existence conforme aux principes de la raison. Le relèvement de la ligue achéenne, les tentatives de réforme d'Agis et du noble Cléomène, la constitution républicaine de Cyrène, le régime démocratique en Épire, plus tard l'énergie créatrice de Philopœmen, enfin la république établie en Macédoine et les idées qui provoqueront à Rome le mouvement mené par les Gracques, tels sont, marqués à l'avance, les points les plus saillants dans l'histoire de ce siècle mémorable.

L'insuffisance de nos documents ne nous permet pas de suivre tout d'abord ce développement historique ailleurs que dans le Péloponnèse. C'est là que, au cours de la grande guerre faite par Cyrène et la Syrie coalisées, nous voyons les premiers effets énergiques de cet esprit nouveau ; ils se manifestent au moment où Antigone croit devoir rendre aux Athéniens leur indépendance et où Antiochos Théos proclame la liberté des villes ioniennes. Ce sont ces commencements que nous allons suivre, sans sortir des limites de la guerre en question.

Sicyone était peut-être alors la ville la plus brillante du Péloponnèse ; ce n'était plus cette ancienne ville dorienne qui naguère encore offrait partout aux yeux les souvenirs des puissants Orthagorides ; depuis une cinquantaine d'années s'élevait une ville nouvelle, que Démétrios Poliorcète, après avoir chassé la garnison égyptienne, avait construite sur cette terrasse plus élevée où jadis :on ne voyait que la citadelle. Il l'avait faite splendide et l'avait ornée des sculptures et des peintures des célèbres artistes de Sicyone. Le territoire de la ville n'était pas précisément grand, mais il était très fertile et bien cultivé[72], orné de jardins et de vergers, couvert de petits villages et faisant un grand commerce que protégeait une double muraille allant de la ville nouvelle jusqu'au port[73]. Leur richesse, leur haute culture d'esprit, leur goût des arts, distinguait les habitants de Sicyone. Sicyone avait dépassé Athènes dans les arts : elle était la Florence de ce temps. Mais elle ne vivait plus sous l'abri solide et tranquille de son ancienne constitution ; les tyrans se succédaient presque sans interruption : c'étaient le plus souvent des hommes extrêmement cultivés, amis des arts, et, s'il faut en croire un auteur qui écrivait plus tard et sans parti pris de préférence aux témoignages moins impartiaux des contemporains, ils firent preuve au pouvoir de qualités estimables[74]. Les révolutions incessantes venaient de la rivalité entre les riches : dès qu'un nouveau tyran s'emparait du pouvoir par un coup de force ou que la faveur du peuple l'y élevait, il bannissait ses adversaires, confisquait leurs biens, distribuait selon son bon plaisir les terres vacantes, faisait prendre au peuple souverain les décisions les plus arbitraires : dans un tel État, les bases du droit privé devaient être on ne peut plus chancelantes.

Nous ne suivrons pas l'histoire des tyrans de Sicyone avant cette époque. On venait de se débarrasser de Cléon[75] et l'on essayait de rétablir l'ordre légal : Timoclidas et Clinias furent élus archontes, et, sous la direction de ces hommes influents et généralement estimés, l'ordre public allait s'affermir. Mais en 264, à la mort de Timoclidas, Abantidas, fils de Paséas, se révolta, tua Clinias, égorgea et expulsa un grand nombre de ses partisans. C'est à peine si le fils de Clinias, le jeune Aratos alors âgé de sept ans, put être sauvé par sa cousine, qui était la sœur du nouveau potentat. Il fut conduit à Argos chez les amis de son père, qui veillèrent sur lui et l'élevèrent. Abantidas resta longtemps au pouvoir. Dinias et Aristote le Dialecticien vinrent à Sicyone ; ils enseignaient sur l'agora, et Abantidas venait prendre part à leurs disputes : ce fut pendant ces exercices qu'eux et les autres conjurés tuèrent le tyran. Mais ce fut en vain : le père du tyran assassiné, Paséas, s'empara du pouvoir. Il fut à son tour mis à mort par Nicoclès, qui devint le maître de la ville. Celui-ci se montra plus violent que ses prédécesseurs ; en moins de quatre mois, il exila quatre-vingts citoyens. Les Étoliens, faisant irruption sur le territoire de Sicyone, essayèrent de le renverser et de s'emparer de la puissante cité ; il eut bien de la peine à leur résister. Plus le tyran paraissait impuissant, plus sa tyrannie devait peser à ses concitoyens et donner de l'espoir aux nombreux exilés[76].

Mégalopolis venait d'ailleurs de donner un exemple bien encourageant. Aristodémos y régnait depuis un assez long temps ; il avait remporté une brillante victoire sur le roi de Sparte, et, rendant justice à son mérite, ses concitoyens l'avaient appelé le Vaillant. Il n'en était pas moins un tyran, et ce ne fut pas un calcul égoïste, ce ne fut pas la haine pour sa personne, ce furent les idées mêmes du temps qui firent naître la conspiration qui le renversa ; à la tête des conjurés se trouvaient les deux Mégalopolitains Ecdémos et Démophane[77], qui, chassés de leur patrie, avaient vécu auprès du grand Arcésilas et profité de ses leçons. Le tyran fut tué ; un tertre non loin de la porte occidentale de la ville marquait encore, de longues années après, l'emplacement de sa tombe. C'est ainsi que la liberté et l'ordre légal furent rétablis dans la ville, et ces deux hommes, qui plus que tous les autres, comme nous le dit un auteur ancien, appliquèrent en ce temps-là la philosophie à l'État et au gouvernement de l'État[78], furent comme le centre d'une nouvelle évolution sociale dont on ne saurait mieux faire l'éloge qu'en citant le nom de Philopœmen, de cet élève des deux libérateurs, qui naquit au moment où elle commençait et grandit avec elle.

Que l'on juge de l'impression produite sur les pays de la Grèce lorsque la plus grande ville de l'Arcadie, la ville fondée par Épaminondas, donna ainsi l'exemple de la révolte ; quand un vaillant comme Aristodémos tomba victime de l'idée qui exaltait la jeunesse grecque ; quand on vit cette ville oublier l'amitié que depuis trois générations elle avait vouée à la Macédoine et que lui imposait d'ailleurs le dangereux voisinage de la Laconie, ne plus écouter que la voix de la liberté et de l'indépendance, se fier à la vertu d'un principe avec l'espoir d'y trouver la force de braver le danger. Et ces libérateurs de Mégalopolis n'étaient pas des hommes inconnus ; à Athènes, dans ce foyer de la culture nouvelle, où de tous les points de la Grèce la jeunesse accourait aux leçons des grands maîtres de la sagesse, on les connaissait comme étant les disciples intimes d'Arcésilas ; leur action sortait directement, pour ainsi dire, du Jardin de l'Académie ; elle était le fruit de cette éducation généreuse et noble entre toutes, qui attirait l'attention et commandait le respect des peuples et des rois. Cette délivrance de Mégalopolis dut être regardée comme un événement d'une importance capitale. Les libérateurs n'y voyaient d'ailleurs qu'un commencement, et déjà ils avaient ourdi la trame d'une autre entreprise analogue ; il s'agissait de délivrer Sicyone.

A Argos, dans la ville des tyrans, Aratos, le fils de Clinias, avait grandi au milieu des exercices de la palestre et profité de cette saine et forte éducation : les impressions de son enfance, cette riche maison de ses pères, cette parenté avec les gens les plus puissants de la ville, ces habitudes de luxe et de splendeur, tous ces souvenirs n'avaient pas été effacés par le séjour auprès de ses riches hôtes de la ville d'Argos ; même dans son exil, il resta assez riche pour entretenir de nombreux domestiques et satisfaire ses goûts d'amateur de tableaux. Il dut envoyer plus d'un de ses tableaux au roi d'Égypte, qui aimait les arts[79], car il entretenait avec lui aussi bien qu'avec Antigone les relations d'amitié que lui avait léguées son père. C'est sur Aratos qu'étaient fixés les regards de tous les exilés : il leur paraissait vigoureux et brave ; il était jeune, mais d'un caractère réfléchi. On comprend les inquiétudes du tyran de Sicyone ; il le faisait surveiller par ses espions et craignait qu'Antigone ou Ptolémée ne trouvassent en lui un instrument dont ils se serviraient pour s'emparer de Sicyone. En effet, Aratos essaya de recourir à eux, mais Antigone se contenta de belles promesses, et ce que Ptolémée lui faisait espérer était bien incertain. Et cependant, il était résolu à rentrer de force dans sa ville natale.

C'est un fait significatif qu'il ait d'abord communiqué son projet à Aristomachos de Sicyone et à Ecdémos de Mégalopolis. Aratos lui-même n'est pas encore gagné aux idées nouvelles des libérateurs de Mégalopolis ; il ne sollicite leur assistance et celle des exilés qu'au moment où il n'espère plus être secouru par l'un ou l'autre des deux rois ; cette alliance donne même tout d'abord à son projet et à sa conduite des apparences singulières, qui ne cadrent pas avec son caractère personnel.

C'est avec joie que les deux hommes dont nous avons cité les noms reçurent la confidence du jeune exilé. On communiqua le projet aux autres compagnons d'exil ; la plupart déconseillèrent une si folle entreprise, les autres offrirent de la partager. On eut d'abord l'intention de s'assurer d'un point fortifié sur le territoire de Sicyone et d'en faire le centre de la lutte contre le tyran. Là-dessus arrive à Argos un Sicyonien qui s'était sauvé de prison et avait franchi le mur de la ville ; il déclare qu'il est facile d'escalader aussi extérieurement le mur à la même place. On envoie un des conjurés explorer les lieux ; il revient avec de bonnes nouvelles et dit qu'à l'endroit désigné le mur est sans doute facile à escalader, mais que dans le voisinage demeure un jardinier dont les chiens vigilants ne permettraient guère de s'approcher sans attirer l'attention. On se décide à risquer l'aventure. On se procure en cachette des armes et des échelles ; on loue quelques soldats à un chef de bande ; chaque conjuré fournit deux esclaves, Aratos en fournit trente ; on les arme, on emballe les échelles dans des caisses et on les fait sortir secrètement d'Argos sur un chariot de transport. Caphisias et quelques autres prennent les devants ; ils doivent se donner pour des voyageurs fatigués et demander à passer la nuit chez le jardinier en question, afin de lui imposer silence au moment voulu, à lui et à ses chiens. Les autres conjurés doivent sortir d'Argos l'un après l'autre ; les routes sont si peu sûres que personne ne pourra s'étonner de les voir voyager tout armés : c'est au pied de la tour de Polygnote, sur le chemin de Némée, qu'ils doivent se retrouver. On en était là, quand Aratos apprend qu'il y a à Argos des espions de Nicoclès ; pour les tromper, il vient prendre part aux exercices gymnastiques et invite des jeunes gens de la palestre à un festin ; on voit ses esclaves acheter des couronnes et des torches sur la place du marché, engager des joueuses de lyre et de flûte. Les espions rient des peurs de leur maître, assez naïf pour craindre un jouvenceau qui égaie son exil et dépense son argent à boire avec des filles. C'est ainsi qu'Aratos leur donne le change ; au matin, il sort de la ville, et retrouve les autres à la tour de Polygnote. Il poursuit rapidement sa marche ; une fois à Némée, il annonce aux mercenaires et aux esclaves ce qu'on veut faire et quelle sera leur récompense si le plan réussit. On marche à la clarté de la pleine lune ; vers le matin, ou moment où elle se couche, les conjurés sont dans le voisinage du jardin, non loin de la muraille. Caphisias vient au-devant d'eux ; il a enfermé le jardinier, mais les chiens se sont enfuis. On craint d'être trahi par leurs aboiements, et la plupart proposent de rebrousser chemin ; Aratos ne parvient qu'avec peine à leur rendre courage. Ecdémos et Mnasithéos se disposent à appliquer les échelles, mais pendant ce temps les chiens du jardinier poussent de grands aboiements ; le jour commence à poindre, et, lorsque Ecdémos est au haut de l'échelle, il entend la clochette de la ronde matinale ; il réussit néanmoins à échapper aux regards des patrouilles qui là-haut passent et repassent. Dès qu'elles ont disparu, Ecdémos et Mnasithéos montent les premiers et envoient rapidement prévenir Aratos qu'il se hâte. Mais il y a dans le voisinage une tour où veille un gros chien ; ce chien, entendant les aboiements incessants qui partent du pied de la tour, finit par donner de la voix lui aussi ; les sentinelles éloignées deviennent attentives ; elles demandent au gardien de la tour ce qui se passe ; mais celui-ci répond qu'il n'y a rien, que c'est la clochette de la ronde qui a éveillé les chiens. Pendant que les choses s'arrangent ainsi pour le mieux, les gens d'Aratos escaladent la muraille ; ils sont déjà plus de quarante, mais le temps presse ; les coqs des alentours commencent à chanter, et déjà l'on voit de côté et d'autre des paysans se diriger vers la ville pour aller au marché. Le plus difficile reste encore à faire ; les mercenaires du tyran ont leur quartier dans le voisinage de son palais : il faut d'abord les désarmer. Aratos y court avec sa troupe ; il les surprend et les fait tous prisonniers, sans en tuer un seul ; puis il court en toute hâte annoncer son arrivée à ceux qu'il sait être ses amis. La nouvelle se répand rapidement dans la ville. Au soleil lovant, la foule, pleine de joie et d'attente, se rend au théâtre, et, lorsque le héraut proclame qu'Aratos, fils de Clinias, appelle les citoyens à la liberté, tout le peuple vole au palais du tyran et y met le feu. Mais la flamme qui s'élève dans les airs va être vue de l'acropole de Corinthe et suggérer au tyran Alexandre l'idée d'envoyer de prompts secours à Sicyone. L'incroyable fortune qui a présidé à toute l'entreprise détourne encore ce danger ; soldats et citoyens éteignent le feu. Le tyran s'est échappé ; son palais est livré au pillage ; ses autres propriétés sont abandonnées aux habitants. Sicyone est délivrée sans qu'une goutte de sang ait coulé[80]. Tous les souvenirs de la tyrannie, jusqu'aux célèbres œuvres d'art qui la représentent, sont anéantis.

Les bannis revinrent aussitôt ; il y en avait quatre-vingts à peu près qui avaient été exilés sous le court règne de Nicodès, et environ cinq cents sous les tyrans précédents, depuis le temps de Démétrios. Mais alors se présentèrent les plus grandes difficultés ; il s'agissait de questions de propriété : ces bannis avaient presque tous appartenu à la classe des plus riches citoyens et ils revenaient pauvres ; ils réclamèrent leurs maisons, leurs jardins, leurs champs d'autrefois, et ces biens, durant un si long intervalle, avaient déjà passé en grande partie aux mains d'un troisième ou d'un quatrième propriétaire ; ils avaient été aménagés de diverses façons, morcelés, transformés. Bientôt la plus vive agitation régna dans la ville. On dut craindre qu'Antigone, à qui les troubles de Sicyone ne pouvaient être indifférents, ne profitât de la circonstance pour réduire en son pouvoir la ville à peine affranchie. Il fallait à tout prix sauver l'indépendance, trouver contre le danger qu'on appréhendait le secours d'un voisin désintéressé. Aratos eut la grande et très pratique pensée de faire entrer la ville dans la confédération achéenne. La vieille et célèbre cité dorienne prit le nom de ville achéenne et entra dans l'unité de cet État fédératif qui venait d'accroître encore, en se donnant un stratège unique, la concentration des pouvoirs constitutionnels. La Ligue sortait des étroites limites de l'Achaïe pour assurer l'indépendance d'une ville menacée par d'autres et y garantir contre tout empêchement la restauration de l'ordre légal ; bornée jusque-là à un territoire resserré et pauvre, elle gagnait par l'accession de Sicyone une ville riche et brillante, qui possédait un port commode et des relations très étendues. Ce qui était particulièrement important, c'est que la Ligue, en accueillant Sicyone, prenait par ce seul fait une attitude politique déterminée ; elle répugnait par ses institutions à la guerre, mais ses chefs ne pouvaient se dissimuler que l'extension de la confédération et surtout le principe qu'elle représentait leur créaient des rapports hostiles avec la puissance dont toute la politique devait avoir pour but de maintenir la situation présente en Grèce et d'y empêcher la formation de grandes puissances.

Pour les mêmes raisons, la Ligue devait naturellement devenir l'amie de l'Égypte, amitié que pouvaient faciliter les relations antérieures d'Aratos avec Alexandrie. Ce dernier était entré dans le corps des cavaliers achéens ; il donna à ses concitoyens l'exemple le plus courageux de l'obéissance et du dévouement, tout en apportant aux délibérations de nouveaux et vastes projets[81], tels qu'on n'en avait sans doute pas encore formulé jusque-là. De son côté, Ptolémée ne tarda pas à venir au-devant d'une alliance qui promettait de donner un si grand appui à ses intérêts contre la Macédoine. Il envoya à Aratos un présent de 25 talents, que celui-ci distribua aussitôt aux pauvres de la ville ou consacra au rachat de Sicyoniens vendus comme esclaves. Les troubles dangereux qu'excitaient les questions de propriété n'étaient pas encore apaisés ; on ne pouvait calmer entièrement les esprits qu'en dépensant une somme suffisante pour concilier tous les droits et toutes les prétentions. Aratos courut à Alexandrie ; il obtint du roi ce qu'il désirait. Il put rapporter aussitôt 40 talents ; 440 autres furent envoyés ensuite par versements successifs. La gratitude de ses concitoyens, son désintéressement bien connu, valurent à Aratos la mission de régler seul et avec des pouvoirs illimités cet ensemble compliqué de transactions. Il préféra s'adjoindre quinze de ses concitoyens ; ces négociations délicates fuirent conduites avec le plus grand soin et une prudence extrême et menées à bonne fin. Sicyone voua une reconnaissance bien méritée au jeune homme réfléchi et actif qui avait délivré sa ville natale, qui l'avait garantie contre tout danger extérieur, apaisée et réglée au dedans[82].

On peut croire qu'Aratos entreprit ce voyage à Alexandrie aussi vite que possible, c'est-à-dire sans doute l'année même où il délivra Sicyone, en 254 : tout retard eût été un danger. C'est dans ce voyage que le vaisseau qui le portait fut jeté sur la côte d'Andros. Cette île appartenait à l'ennemi, et Antigone y avait mis une garnison. Aratos dut se cacher dans les bois pour échapper aux recherches du phrourarque macédonien ; il réussit à trouver un vaisseau romain faisant route pour la Syrie et qui le débarqua en Carie ; il partit de là pour Alexandrie[83]. Il est instructif de voir, dans cette circonstance, Andros considérée comme une lie ennemie et Aratos poursuivi comme ennemi par le phrourarque. Ce n'était pas la délivrance de sa ville natale qui valait à Aratos l'hostilité des Macédoniens ; Antigone ne lui avait-il pas promis auparavant son appui ? Mais l'alliance de Sicyone avec les Achéens entraînait Aratos à se tourner ouvertement vers l'Égypte et devenait par là un acte hostile à là Macédoine. D'ailleurs la guerre durait encore entre l'Égypte et Antiochos de Syrie uni à Démétrios de Cyrène, et cette guerre, quoiqu'il ne soit pas question d'une intervention directe et immédiate de la Macédoine, peut être considérée comme une guerre égypto-macédonienne, puisque Démétrios avait occupé Cyrène. Nous avons vu où en était cette guerre ; le Lagide avait occupé les côtes méridionales de l'Asie-Mineure, mais reperdu l'Ionie sauf Éphèse, et les villes, désormais libres, étaient ralliées aux intérêts de la Syrie. Celle-ci était alors dans une situation difficile : pendant qu'elle faisait les plus sérieux efforts dans sa lutte contre l'Égypte, ses frontières du nord-est couraient un grand péril et la perte de vastes territoires semblait pour elle presque inévitable[84]. D'un autre côté, si Ptolémée avait conquis la Libye, il n'avait plus Cyrène, et, vu l'importance de cette place, c'était une perte irréparable ; le grand avantage qu'Antigone avait remporté en faisant occuper Cyrène par son frère fut de même compensé, et au delà, par les complications inattendues qui se produisirent dans le Péloponnèse ; on ne pouvait prévoir encore le parti qu'en tirerait l'Égypte. Les trois grandes puissances devaient donc désirer la fin d'une guerre où chacune n'avait fait jusqu'alors que des pertes et semblait devoir en faire de plus grandes encore. La marche que les événements prenaient à Cyrène facilita la conclusion de la paix.

Nous n'avons malheureusement sur Cyrène que l'extrait emphatique d'un ouvrage dont l'auteur a pris pour guide ce beau parleur de Phylarque. On y lit que Démétrios, fier de sa beauté, qui n'avait que trop plu déjà à sa belle-mère, avait dès le début traité les soldats et la famille royale avec orgueil et sans ménagement ; qu'il avait eu des relations avec sa belle-mère ; qu'il était devenu suspect à la fille du roi, odieux aux citoyens et aux soldats ; que de tous côtés on avait tourné les regards vers le fils du roi Ptolémée ; que la perte de Démétrios avait été résolue. On avait envoyé des meurtriers dans la chambre à, coucher de sa belle-mère ; celle-ci, entendant au dehors la voix de sa fille, demanda grâce pour sa vie et tenta de faire à son bien-aimé un rempart de son corps ; mais Démétrios fut assassiné, et Bérénice épousa celui à qui son père l'avait destinée autrefois, le fils de Ptolémée[85]. Il n'est plus possible de faire la critique de ce récit ; les vers d'un poète contemporain démontrent que le meurtre fut commis par Bérénice : à peine sortie de l'enfance, dit-il, elle a déjà montré un courage magnanime[86]. Elle avait assisté en grandissant aux amours de sa mère et de son fiancé ; l'horreur qu'elle en conçut fut probablement mise à profit par le parti qui désirait le retour de l'alliance égyptienne.

Après ce meurtre, la jeune reine dut s'en remettre complètement à la protection de l'Égypte, et Ptolémée put, en vertu du traité conclu avec Magas, revendiquer la main et l'héritage de Bérénice pour son fils, son futur successeur. Mais devait-on supposer qu'Antigone laisserait la mort de son frère impunie ? Toute la Pentapole était-elle prête[87] à rentrer sous la domination égyptienne ? Le moment était venu où une paix seule pouvait mener au but ; Antigone ne devait pas être disposé à se mêler plus longtemps à une querelle interminable ; la politique, grecque réclamait toute son attention. Ptolémée voulait bien, en échange de la possession assurée de Cyrène, faire des concessions à Antiochos, qui, de son côté, n'avait pu, malgré des efforts constants, obtenir de résultats sérieux. La paix fut donc conclue[88]. Nous n'avons sur elle que peu de renseignements précis. En ce qui concerne Cyrène, le traité antérieur avec Magas doit avoir été reconnu, et nous voyons en effet qu'une de ses clauses fut remplie quelque temps après par le mariage de Bérénice avec le prince royal d'Égypte[89]. Prit-on quelques résolutions au sujet des affaires de Grèce ? Reconnut-on, par exemple, la liberté des confédérés achéens ? On ne trouve nulle part la trace d'une pareille convention, mais ce n'est pas une raison pour en nier l'existence. On dut également statuer sur les possessions de la mer Égée, alors même qu'on aurait conservé le statu quo[90]. On retrouve à peu près les conditions du traité conclu par Ptolémée avec la Syrie en comparant la liste des pays que nomme le poème de Théocrite avec celle que donne l'inscription d'Adule. On lit dans celle-ci que Ptolémée III a reçu, comme successeur de son père, l'Égypte, la Libye, la Syrie, la Phénicie, Cypre, et en outre la Lycie, la Carie et les Cyclades. Il n'hérita pas de Cyrène, qui ne figure pas, et avec raison, dans ce dénombrement ; mais il l'acquit par un mariage avec la dame du pays. Par conséquent, les contrées citées dans le poème de Théocrite, la Cilicie et la Pamphylie, étaient revenues à la Syrie, soit à la suite de batailles heureuses, soit par une paix. L'Ionie conserva également après la paix la liberté que la Syrie lui avait reconnue ; mais on voit par les événements ultérieurs qui Éphèse garda une garnison égyptienne. Enfin, le mariage du roi de Syrie avec la fille de Ptolémée, Bérénice, fut une des conditions de la paix. Elle reçut une dot magnifique et fut conduite par son père jusqu'à Péluse[91] ; de là, elle se rendit, suivie d'un grand cortège, à Antioche où eut lieu le mariage. Était-ce l'intention du Lagide d'obtenir par ce mariage une paix aussi durable que possible ? Voulait-il par là gagner à la politique égyptienne la Syrie, qui avait fait jusque-là cause commune avec la Macédoine ? Les bonnes relations qui existaient jusque-là entre le roi de Syrie et la Macédoine avaient-elles été altérées par l'abandon de Cyrène, et Antiochos se croyait-il offensé dans la personne de sa sœur, qu'Antigone aurait peut-être dû défendre à Cyrène, en se présentant comme le vengeur de son frère ? Il fallait indiquer toutes ces possibilités pour mettre en relief une remarque qui s'impose, pour ainsi dire, à l'esprit. Antiochos, en épousant Bérénice, déclara que l'épouse qu'il avait eue jusque-là, Laodice[92], était illégitime, et il enleva du même coup aux fils qu'il avait de Laodice tout droit à la succession royale[93]. Or le Lagide aurait dû empêcher cette répudiation, s'il ne l'avait pas exigée comme conditions de la paix ; c'est cette condition qui dévoile, ce semble, le fonds de la politique égyptienne. On proposa le mariage, non pour, avoir la paix, mais pour semer la désunion, et le roi de Syrie, soit aveuglé par la richesse de la dot, soit déterminé par des raisons personnelles, soit effrayé de l'épuisement de son empire, accepta ces fatales conditions. L'Égypte en retirait un profit incalculable. Ou bien Bérénice ne trouverait aucune opposition, et par elle, par la suite nombreuse qu'elle avait emmenée, par l'héritier du trône qu'elle mettrait au monde, l'influence égyptienne s'établissait décidément à Antioche ; ou bien les choses tourneraient autrement. Comment supposer que Laodice et ses fils[94] allaient accepter leur déchéance et abandonner sans plus de difficulté leurs prétentions légitimes à l'héritage paternel ? Ces enfants étaient déjà grands ; le père et le frère de Laodice avaient eu jusque-là les postes les plus importants auprès du trône ; il leur faudrait donc céder, eux aussi, à l'influence de l'Égyptienne et de sa suite, dont l'apparition à Antioche allait tout changer. On pouvait compter avec certitude sur de dangereuses dissensions dans l'empire ; et, alors l'Égypte aurait tout droit d'intervenir pour défendre les prétentions de Bérénice et de prendre en Syrie une situation qui répondait à l'ambition de la maison des Lagides ; ce royaume, déjà ébranlé par deux grandes guerres, déjà émietté par les usurpations qui ne cessaient d'avoir lieu sur ses frontières, en viendrait peut-être à se morceler ; l'Égypte occuperait les provinces les plus à portée ; le reste serait facilement tenu dans la dépendance de la politique égyptienne.

En tout cas, les documents que nous possédons et le cours des événements ultérieurs autorisent ces suppositions. Comment se fait-il qu'Antiochos consentit à la paix et au mariage, que la Macédoine ne fit pas tous ses efforts pour empêcher une si dangereuse combinaison, ce sont là des questions que, faute de renseignements, nous ne pouvons élucider. Nous ne sommes pas davantage en état de dire quelle a été durant la grande guerre l'attitude des petits États de l'Asie ; la nature des choses voulut sans doute que leur importance grandit à mesure que s'affaiblissait la puissance de la Syrie.

Cette puissance ne s'était pas d'ailleurs amoindrie seulement par sa guerre contre l'Égypte ; elle avait en même temps essuyé, à l'autre extrémité de ses frontières, des pertes considérables.

On a dit dans l'Introduction qu'une domination purement perse s'était maintenue dans le nord de l'Atropatène ; que l'Inde s'était unifiée sous la dynastie des Mauryas, qu'ici le vieil et pur parsisme, là le bouddhisme, auquel la royauté se livra enfin sous Açoka, rendaient possible un soulèvement national, une réaction qui devait naturellement menacer l'hellénisme. Un troisième danger à signaler dans ces régions de l'Orient, c'était le voisinage des hordes touraniennes qui habitaient les vastes déserts du bas Oxus et du bas Iaxarte et qui ne cessaient de faire des incursions dans les provinces frontières, dans les riches territoires de la Sogdiane et de la Bactriane, de la Margiane et de l'Hyrcanie.

Il est vrai que Séleucos Nicator avait déjà réglé sa situation vis-à-vis du grand empire hindou ; il avait cédé les pays de l'Indus, aussi loin, parait-il, que s'étendait le bassin du fleuve, à Sandracottos, malgré le grand nombre d'établissements qu'y avaient fondés les Hellènes ; seule, Alexandrie du Caucase, qui était l'entrepôt du commerce de l'Inde et qui en même temps protégeait l'entrée des défilés allant du fleuve Caboul à la Bactriane, resta aux Syriens, à ce que disent les documents hindous[95]. Les sources grecques, si brèves qu'elles soient, permettent de croire que la Syrie entretint désormais des relations amicales avec les potentats hindous : des présents viennent de l'Inde à la cour d'Antioche[96] ; des ambassades syriennes se rendent à Palimbothra ; Amitrochatès demande une fois qu'on lui envoie, entre autres produits de l'Occident, un sophiste habile à discourir[97]. On n'avait pas à craindre évidemment d'invasions militaires de ce côté-là ; la douceur des mœurs bouddhiques implantées dans le royaume de Dharmaçoka — qui abolit par un édit royal même la peine de mort — éloignait toute pensée de guerre et de conquête. Et pourtant ce voisinage exerçait une action dangereuse, lente, il est vrai, mais efficace, qui menaçait l'intérêt le plus essentiel de l'hellénisme. Il est hors de doute que la propagande de la doctrine bouddhique avait déjà dépassé la frontière de l'empire hindou[98] ; les missionnaires du bouddhisme pénétraient dans le Dekhan et lançaient déjà sur Ceylan la roue de la doctrine ; ils s'avançaient même en Occident, au delà de l'Indus. Il est peu probable que Candahar, l'Alexandrie d'Arachosie, soit l'endroit où des pèlerins bouddhistes venus de la Chine signalent au Ve siècle un édifice bouddhique datant de cette époque. Mais les inscriptions de ce même Açoka-Priyadarçin nous apprennent de façon certaine que le bouddhisme s'étendait déjà à son époque sur les satrapies voisines appartenant au royaume de Syrie. Partout, lit-on dans ces inscriptions, après une énumération de plusieurs contrées de l'Inde, même dans le royaume d'Antiyaka, le Yavana, dont les rois sont les généraux d'Antiyaka, ont été élevés les deux maisons de santé de Priyadarçin aimé des dieux, l'une pour les hommes et l'autre pour les animaux, et là où ne se trouvent pas les plantes salutaires qui sont secourables et pour les hommes et pour les animaux, elles ont été partout préparées et plantées sur notre ordre, et partout où ne se trouvent pas de racines et d'herbes, elles ont été sur notre ordre fournies et plantées ; des puits ont été sur notre ordre creusés au bords des chemins, et des arbres ont été plantés sur notre ordre pour la jouissance des animaux et des hommes[99]. Une autre inscription donne un exemple remarquable de cette propagande du bouddhisme et de l'appui diplomatique que le pieux roi Açoka lui assurait jusque dans les pays éloignés[100]. Or, partout où cette doctrine trouvait des partisans, elle entravait les progrès de l'hellénisme ; elle empêchait les populations de l'Est de s'unir et de se fondre avec celles de l'Occident sous l'égide de la civilisation hellénique. Mais l'hellénisme était précisément la base de l'empire syrien en Asie ; des réactions nationales étaient donc plus dangereuses pour cet empire que la supériorité militaire et politique des Lagides elle-même ; au moins contre celle-ci on pouvait espérer un retour de fortune.

L'empire syrien était menacé à ce même point de vue par le voisinage de la Médie Atropatène, où s'était maintenue dans la plénitude de sa puissance une domination purement perse, et avec elle la doctrine du parsisme et le pouvoir des Mages. Il est absolument impossible de se rendre compte de la façon dont le parsisme se comportait dans les autres pays de l'Iran envers l'élément étranger, dans quelle mesure il tolérait ou persécutait la vieille religion de l'empire. Mais on a vu que partout dans le monde hellénistique les religions nationales s'opposent à la culture grecque, même modifiée essentiellement dans son esprit, et qu'elles acquièrent une importance nouvelle ; ce phénomène devait se produire tout d'abord et plus énergiquement que partout ailleurs dans le parsisme, qui trouvait précisément dans l'Atropatène une base politique. Dans le sommaire — rédigé, il est vrai, à une époque postérieure — des parties du Zendavesta, il est dit à diverses reprises que, lorsqu'on rechercha après Alexandre les livres du Zend, on trouva seulement tels et tels morceaux[101]. On aurait tort de croire que l'expression après Alexandre s'applique au temps où commençait à se former la puissance des Sassanides ; on est aujourd'hui en mesure de prouver d'une façon péremptoire que les livres saints s'étaient de nouveau répandus bien longtemps auparavant. Mais quel fut le motif qui les fit recueillir après Alexandre ? Ils ne s'étaient pas perdus seulement à la suite des victoires gigantesques d'Alexandre ; la décadence de la Perse elle-même, dans le siècle malheureux qui amena la dissolution intérieure de l'empire, et surtout l'invasion des cultes et des religions exotiques (le culte d'Anahit, par exemple), auront causé cette négligence et cet oubli des livres saints, de ceux du moins qui n'étaient pas nécessaires au service religieux de tous les jours[102], ainsi que l'abaissement de la haute culture des Parsis. Mais la chute honteuse de l'empire devait amener d'autant plus sûrement une régénération religieuse qu'une puissance purement perse, quoique d'abord peu étendue, se maintenait définitivement dans l'Atropatène. Ce petit royaume eut donc aussitôt conscience de son opposition à la fois religieuse, nationale et politique à l'hellénisme, et il trouva dans cet antagonisme précisément la force et le désir de s'étendre. Les vaillantes populations de l'Atropatène et la richesse d'un pays qui fournissait abondamment tout ce qui était nécessaire à la guerre[103] mirent le souverain de la région en état de profiter immédiatement de tous les embarras de la monarchie syrienne. La situation même de son pays le portait vers ces contrées qui formaient la principale communication entre les provinces orientales et l'ouest de l'empire ; toute la région qui s'étend des Portes Caspiennes à Ecbatane de Médie était ouverte à ses invasions. Un renseignement isolé confirme pleinement notre assertion : Pendant que les rois de Syrie et ceux de Médie, écrit Strabon, luttaient les uns contre les autres, les peuples au delà du Taurus se soulevaient et faisaient défection[104]. Strabon veut montrer que la défection de la Bactriane a été provoquée par le conflit dont il parle ; donc Pette lutte entre les Mèdes et la Syrie a eu lieu déjà avant la mort d'Antiochos Théos. Selon toute vraisemblance, le roi de Médie était alors cet Artabazane qui, trente ans plus tard, et parce qu'il n'était plus alors qu'un vieillard, prévint l'attaque d'Antiochos le Grand par des négociations. Il passait pour le plus dangereux et le plus habile des dynastes de l'époque[105] ; et, lorsqu'il était dans la force de la jeunesse, il doit avoir tiré parti avec assez de hardiesse des embarras du royaume de Syrie. Nous savons qu'une ville d'Héraclée, fondée par Alexandre dans le voisinage de Rhagæ, fut détruite, puis rebâtie sous le nom d'Achaïs[106] ; elle porte, comme une autre ville située plus loin encore à l'est, le nom de son fondateur[107] ; c'est ce même Achæos, dont Laodice, l'épouse répudiée d'Antiochos, était la fille. Or, d'après les événements survenus par la suite en Orient et en Occident, il n'est guère admissible que cette contrée ait été reconquise et la ville rebâtie à l'époque où nous sommes. Antérieurement déjà, à ce qu'il semble, sous Antiochos Soter, l'invasion ennemie avait pénétré jusqu'à cette entrée occidentale des Portes Caspiennes, et je ne doute pas que la domination de l'Atropatène ne se soit déjà étendue jusqu'au delà du fleuve Amardos, le Sefid-roud, jusque sur les côtes sud-ouest de la mer Caspienne[108]. La communication que Séleucos et Antiochos Ier avaient tenté d'établir entre la mer Caspienne — qu'on appelait mer de Séleucos et d'Antiochos — et le Pont-Euxin fut rompue par cette prise d'armes de l'Atropatène ; par suite, l'influence commerciale que les Séleucides exerçaient sur les villes du Pont fut anéantie, et cette situation ne pouvait rester sans influence sur les relations politiques du royaume de Syrie dans les régions du Pont.

La frontière de l'empire fut également menacée à l'est de la mer Caspienne dès le règne d'Antiochos Ier Soter ; ce furent les Barbares du désert qui surprirent et détruisirent Alexandrie sur le cours inférieur du Margos, aux limites de la steppe. Antiochos Soter la fit rebâtir sous son propre nom, mais plus grande qu'auparavant et mieux protégée ; on dirait presque qu'il est venu lui-même dans cette contrée. L'empire aurait pu se défendre contre ces ennemis s'il avait été sûr de la fidélité de ses propres satrapes. Mais, dit Strabon, au moment où les rois de Syrie et de Médie étaient en guerre l'un contre l'autre, les gouverneurs de la Bactriane appelèrent ce pays à la défection. Euthydémos souleva la contrée voisine ; puis ce fut le tour d'Arsace, le fondateur de l'empire parthe.

Il est très difficile de retrouver les commencements de ces royaumes de l'Orient. Strabon donne au gouverneur de Bactriane qui fit défection le nom de Diodotos[109] et la forme de ce nom est justifiée, au dire des numismates, par une monnaie d'or de ce roi, où la tête même répond parfaitement à l'effigie d'une monnaie d'argent d'Antiochos II et où le nom seul d'Antiochos a été changé en celui de Diodotos[110] : c'est un détail certainement propre à confirmer une opinion qui a d'autres raisons à invoquer, à savoir que la Bactriane s'était déjà révoltée sous le règne d'Antiochos II[111].

Cette opinion s'appuie sur ce fait que, suivant le témoignage de Strabon, la rébellion de Diodotos a précédé la défection des Parthes, et que cette défection peut être rapportée avec vraisemblance à l'année 250.

Strabon n'avait déjà que des renseignements contradictoires sur la fondation de l'empire parthe, ce qui prouve assurément que les commencements de cette monarchie furent à peine remarqués. Il dit qu'après la révolte de la Bactriane, un Scythe, Arsace, vint dans le pays des Parthes avec une troupe de Dahes qui portaient le nom de Parnes[112] et demeuraient sur les rives de l'Ochos ; qu'il s'empara de toute la contrée ; qu'il fut d'abord faible et dut lutter contre ceux auxquels il avait enlevé le territoire ; que ses successeurs les plus immédiats eurent les mêmes luttes à soutenir. Strabon ajoute : Quelques-uns pensaient que ces Parnes étaient une branche de cette race des Dahes qui demeuraient sur les bords du Palus Méotide et que la famille d'Arsace descendait de ces Parnes ; d'autres font d'Arsace un Bactrien[113] qui avait fui devant la puissance grandissante de Diodotos et qui provoqua le pays des Parthes à la défection. Ces renseignements sur deux versions différentes sont par trop brefs : il est vrai que Strabon avait traité des Parthes avec plus de détail dans son ouvrage historique, et c'est une raison de croire que ses assertions sont appuyées sur des recherches approfondies[114]. Il veut dire probablement qu'Arsace s'était éloigné avec cette troupe nomade des bords de l'Ochos depuis qu'on ne pouvait plus assaillir avec profit les frontières de la Bactriane, devenue le royaume de Diodotos et défendue par lui avec plus de vigueur sans doute que quand elle était simplement une satrapie. Strabon décrit, en effet, dans un autre passage les coutumes de ces nomades[115] : Parmi les Dahes, les Aparnes habitent plus près de l'Hyrcanie et de la mer Hyrcanienne, les autres s'étendent jusqu'aux contrées situées en face de l'Arie ; entre eux, l'Hyrcanie et le pays des Parthes jusqu'à l'Arie est un vaste désert où manque l'eau. C'est ce désert qu'ils ont parcouru à marches forcées pour fondre sur l'Hyrcanie, sur Nisæa et les plaines des Parthes. Ceux-ci leur ont alors promis le tribut, et voici quel était ce tribut : les Aparnes pouvaient, à des époques déterminées, envahir le pays et y faire du butin. Mais leurs invasions eurent lieu contre les traités ; la guerre éclata ; puis il y eut de nouveaux traités et de nouvelles guerres ; et telle est aussi la vie des autres nomades, qui se passe à attaquer constamment leurs voisins et à faire avec eux de nouvelles conventions[116]. La même tradition fait évidemment le fond des phrases de Justin, un rhéteur qui se trompe plutôt sur les faits que sur le choix de la couleur caractéristique ; il dit qu'après la révolte de la Bactriane, les peuples de tout l'Orient se révoltèrent contre les Macédoniens ; qu'Arsace, un homme d'origine inconnue, mais d'une bravoure éprouvée, accoutumé à vivre de pillage et d'expédients, envahit le pays des Parthes avec une horde de brigands, vainquit le gouverneur Andragoras et, après l'avoir mis à mort, s'empara du pouvoir, etc.[117] Tout autre est le récit qu'Arrien a recueilli dans son Histoire des Parthes. Les Parthes, dit-il, sont de race scythe ; soumis aux Macédoniens depuis la défaite des Perses et en même temps qu'eux, ils se sont révoltés pour le motif suivant : il y avait deux frères Arsacides, Arsace et Tiridate, descendants de Phriapitès[118] ; le satrape de ce pays, établi par Antiochos Théos, Phéréclès, ayant voulu faire violence à l'un de ces deux frères, ils ne supportèrent pas cet outrage, mais ils tuèrent le criminel, et, après avoir communiqué leur plan à cinq autres, ils appelèrent le peuple à l'insurrection contre les Macédoniens et s'emparèrent du pouvoir. Un chroniqueur de la basse époque invoque également le témoignage d'Arrien, et. il appelle le criminel Agathoclès, éparque de Perse, sous lequel les deux frères auraient gouverné la satrapie de Bactriane[119].

On viendrait à bout de concilier ces données diverses, si les noms d'Andragoras, de Phéréclès, d'Agathoclès, ne montraient pas qu'il y avait sur l'origine des Parthes des traditions absolument divergentes.

Des textes anciens rapportent qu'à une époque immémoriale, lorsque Sésostris avait conquis toute l'Asie, des tribus scythes avaient été transplantées par lui dans le pays qui depuis porta leur nom, et que Parthes est la traduction perse du nom de Scythes[120]. Le premier document qui nous montre le nom des Parthes est l'inscription de Bisitoun ; le roi Darius y dit que, dans le soulèvement général qui suivit la mort de Cambyse, les Parthes (Parthva) et les Hyrcaniens se sont aussi révoltés et ont pris parti pour l'usurpateur mède Fravarti ; que son père Vistaçpa est allé dans le pays des Parthes et qu'il a vaincu les rebelles.

Aujourd'hui encore, l'extrémité septentrionale de l'Iran est toujours menacée par les hordes mobiles du Tour= ; c'est de là que vient une grande partie des Ilates, des hordes nomades qui font la force principale des armées persanes ; aussi les appelle-t-on parfois les tribus guerrières du schah de Perse. Il paraît probable que ces anciens Parthes appartenaient aussi à la même race : l'Iran voit constamment se renouveler la métamorphose partielle des nomades qui deviennent des populations de colons à établissements fixes, et, selon les traditions sacrées des Parsis, l'origine de la race pure de la région de l'Iran n'est pas autre que celle-là ; eux aussi viennent en nomades des territoires du nord-est et remontent dans l'Iran pour s'y établir, s'y métamorphoser, et y fonder un nouveau genre de vie. On nous dit expressément que les Parthes qui habitaient de l'autre côté des montagnes (du Khorassan) étaient appelés nomades ; ces peuples du désert sont les alliés et les parents de ces Parthes dont le pays, nommé Parthyæa, fut une des premières conquêtes de l'empire des Arsacides. En ce qui concerne la parenté des langues, il est impossible de se prononcer : les écrivains anciens se taisent sur ce sujet ; à moins qu'on ne veuille attribuer à ces mots de Justin que leur langue tient le milieu entre le mède et le scythe et n'est qu'un mélange de ces deux idiomes une certitude que la linguistique de l'antiquité ne peut revendiquer[121]. Seulement, on peut affirmer que la Parthyène ne devint nullement parthe à l'invasion des Arsacides et de leurs Parnes ; elle l'était déjà depuis des siècles.

On rapporte qu'Arsace ou Aschk, comme le nomment les Orientaux, parut d'abord comme roi dans la ville d'Asaak, située dans le pays d'Astabène, non loin de l'extrémité du désert et de la mer Caspienne[122]. Parthaunissa, située plus à l'est, dut être conquise presque aussitôt ; c'est là que furent désormais les tombes des Aschkanes. Ainsi, c'est à la lisière du désert qu'ils se sont d'abord établis[123] ; c'est là qu'ils étaient venus en quittant l'Ochos[124], lorsque Diodotos de Bactriane se proclama indépendant. Que les deux frères Arsace et Tiridate aient été Bactriens, qu'ils aient été des exilés Parthes, peut-être de noble naissance, qu'une querelle personnelle avec le gouverneur de la Parthyæa ou avec l'éparque des provinces supérieures ait été le motif de leur fuite vers les tribus du désert, quoi qu'il en soit, ils commencèrent leur entreprise lorsque la puissance grandissante de Diodotos en Bactriane devenait pour eux un péril[125] ; ils réussirent à soulever la Parthyène ; bientôt ils occupèrent toute la contrée, et ce fut à Hécatompylos que les premiers Arsacides établirent leur résidence.

Les faits ainsi rapprochés permettent d'éclaircir, au moins dans une certaine mesure, les difficultés chronologiques. Justin a malheureusement enveloppé de phrases le point important et essentiel. Après avoir parlé des Parthes au temps d'Alexandre et des Diadoques, il dit : ils eurent ensuite pour maîtres Séleucos Nicator et bientôt Antiochos et ses successeurs ; mais sous le petit-fils d'Antiochos, Séleucos, à l'époque de la première guerre punique, sous le consulat de L. Manlius Vulso et d'Attilius Regulus[126], ils se soulevèrent, et leur révolte resta impunie à cause de la querelle des deux frères Séleucos et Antiochos, qui négligeaient de poursuivre les rebelles parce qu'ils voulaient s'arracher mutuellement l'empire. Dans le même temps, Théodotos, gouverneur des mille villes bactriennes, fit aussi défection, et, à son exemple, tous les peuples de l'Orient secouèrent le joug de la Macédoine. C'est à cette époque qu'Arsace, etc. On trouve dans ce récit une foule de données surprenantes. La révolte des Parthes, sans doute de la province de Parthyæa sous son satrape, y précède l'occupation d'Arsace, fait ignoré de Strabon ; ce n'est qu'à la suite de ce soulèvement parthe que se révolte aussi le gouverneur des mille villes bactriennes, dénomination qui anticipe ici de cinquante années[127] ; quant à Séleucos, le successeur d'Antiochos Théos, qui était au moins un arrière petit-fils de Séleucos Nicator, aucune des deux années 256 et 250, auxquelles peut se rapporter le consulat indiqué, ne lui convient. Et pourtant, il faut accepter avec confiance cette information, précisément parce qu'elle est affirmative et caractéristique. Mais est-ce alors qu'Arsace prit à Asaak le litre de roi ? Ce n'est que quelques années plus tard, lorsque le roi d'Égypte anéantit presque entièrement l'empire syrien[128], lorsque les deux frères se disputèrent ce qui- en restait, lorsque Séleucos engagea une lutte malheureuse en Asie-Mineure contre les Galates, que put être tentée la conquête de la Parthyæa, et bientôt après celle de l'Hyrcanie et des autres contrées voisines. Enfin, ce qui est encore incertain, le choix qu'il faut faire entre les deux années 256 et 250, est résolu pur une indication des chroniqueurs qui placent le commencement de l'empire parthe à la 3e année de la CXXXIIe olympiade, c'est-à-dire précisément en 250/249[129] ; indication qui démontre en même temps que Justin, ou plutôt Trogne-Pompée, ou mieux encore les sources plus anciennes qu'il suivait, Posidonios notamment, reconnaissaient cette année comme celle où avaient débuté les Arsacides[130].

Il reste à savoir si le passage où Justin assure que, après la défection de la Bactriane, tous les peuples de l'Orient rompirent avec les Macédoniens est autre chose qu'une simple phrase. Comme Justin n'a fait que retracer en traits généraux l'époque de la lutte entre les deux fils d'Antiochos Théos, nous sommes obligés de remonter à dix ans et plus avant le moment où la Bactriane fit défection.

Le témoignage de Strabon prouve déjà que, dans les régions voisines de la Bactriane, Euthydémos de Magnésie se rendit indépendant ; nous le retrouverons vers 205 roi des territoires que gouvernait autrefois Diodotos et après lui son fils Diodotos II[131]. Il est possible qu'Euthydémos fût satrape de la Sogdiane[132], de ces mêmes contrées dont Démodamas de Milet avait été stratège sous Antiochos Ier, lorsqu'il portait la guerre au delà de l'Iaxarte[133].

On n'oserait pas, vu le silence de Strabon, aller plus avant sur la foi d'une simple indication de Justin, si la mention d'Agathoclès dans le récit d' Arrien, qui se recommande à nous par la citation caractéristique du titre d'épargne, ne nous rappelait qu'on rencontre le nom d'Agathoclès sur des monnaies grecques, tétradrachmes, drachmes et pièces de cuivre, provenant de cette région et de cette époque. Ces monnaies sont du travail le plus achevé : elles montrent au droit la tête d'un roi qui porte, sans doute en guise de diadème, une couronne de lierre, et sur le revers une panthère qui tantôt marche, tantôt soulève avec sa patte de devant une grappe de raisin ; d'autres monnaies représentent Zeus debout et tenant dans sa main droite une Artémis tricéphale qui lève une torche de chaque bras, dans sa main gauche une lance macédonienne. On a reconnu dans cette Artémis la déesse perse, Aphrodite-Anaïtis[134] ; les symboles dionysiaques trouveraient leur explication si l'on pouvait croire que la domination d'Agathoclès s'étendait également sur la Carmanie, un pays de vignobles voisin de la Perse, par lequel Alexandre était revenu, dit-on, autrefois en cortège bachique. Mais alors il faudrait admettre que, dans cette citation tirée plus tard d'Arrien, le nom d'Agathoclès n'a été mis que par erreur en rapport si immédiat avec le soulèvement d'Arsace, et notamment que le meurtre de Phéréclès par les deux frères parthes lui a été faussement imputé ; il faudrait admettre que cet assassinat a eu néanmoins une grande influence sur les événements de cette époque et qu'Arrien en a parlé ailleurs à ce propos ; enfin, que cet épargne des satrapies supérieures s'était rendu indépendant et s'était maintenu tout au moins dans les satrapies de l'est, sans doute dans l'Arachosie, la Drangiane, la Gédrosie, la Carmanie. Cependant d'autres monnaies du même roi semblent réfuter toutes ces vagues suppositions. Ce sont des monnaies de cuivre quadrangulaires où l'on voit, sur l'un des côtés, la panthère en marche avec la légende en grec du roi Agathoclès, et sur l'autre, une figure de femme, entièrement habillée à l'indienne comme une bayadère et qui semble danser ; à côté d'elle, on lit le nom du roi Agathouklayasa, transformé à l'indienne et en caractères qui répondent absolument à ceux des inscriptions d'Açoka[135]. On a en outre d'autres monnaies de cuivre de. forme polygonale, qui montrent sur un des côtés l'image d'une stoupa et sur l'autre un carré grillé, avec le nom du roi en écriture arienne : Akathoukrayasa[136].

Un autre détail, qui nous fait connaître en même temps un quatrième usurpateur de ces contrées, rend la question encore plus compliquée.

Il y a de beaux tétradrachmes, dont la face montre une tête de roi avec la causia macédonienne et le diadème, et le revers, un Poséidon tenant dans sa main droite le trident et dans sa main gauche une branche de palmier ; la légende porte : Du roi Antimachos Théos. N'est-il pas singulier que d'autres tétradrachmes du même Antimachos Théos ne le nomment que régent, tandis que la frappe est tout à fait celle des tétradrachmes de Diodotos et que la légende porte ces mots gravés autour de la tête diadémée du roi : « De Diodotos Soter[137]. Diodotos est donc, pour ainsi dire, le suzerain, et la monnaie du roi vassal le désigne comme Sauveur, parce qu'il a commencé la délivrance des provinces[138].

Il est très remarquable qu'il y ait trois types de tétradrachmes de cet Agathoclès où il se nomme également non pas roi, mais régent. L'un de ces types porte sur le droit, autour de la tête diadémée, la légende De Diodotos Soter ; le deuxième, une autre tête avec la légende D'Antiochos Nicator, et ces deux types montrent sur le revers Zeus Promachos ; le troisième type a comme légende, autour de la tête du roi, les mots D'Euthydémos Théos et, sur le revers, un Héraclès assis, avec la massue : sur les trois on lit au revers Agathoclès le Juste régent[139].

On ne peut décider avec certitude, d'après le type des monnaies, si Agathoclès s'était d'abord désigné comme roi, puis simplement comme régent ou inversement ; il a l'air d'un jeune homme sur les médailles qui lui attribuent le titre de roi, mais ceci peut induire en erreur. On peut admettre, en tout cas, que les tétradrachmes qui donnent la première place

Diodotos, à Euthydémos, à Antiochos, sont d'époques très différentes. Il est vrai qu'aucun des Séleucides ne s'intitule officiellement Antiochos Nicator, mais nous possédons un témoignage qui prouve qu'Antiochos III a reçu ce titre[140].

Nous verrons plus tard comment les Diodotides de Bactriane furent renversés après 235 par Euthydémos, comment Antiochos III combattit Euthydémos vers 212-205, lui laissa le titre de roi, puis parcourut les satrapies situées plus loin à l'est et rétablit sa puissance en qualité de Grand-Roi, car telle est bien la signification de son titre le grand roi. Agathoclès fut aussi l'un de ceux qui se soumirent à sa suzeraineté, comme en témoignent ses tétradrachmes.

Si, dans les régions de l'est, les rois Diodotos, Euthydémos, Antimachos, Agathoclès, apparaissent ainsi les uns à côté des autres, et si bientôt après ces trois derniers princes acceptent la suzeraineté du premier, Justin n'a pas tort de dire qu'après la révolte de Diodotos tous les peuples de l'Orient se sont soulevés contre les Séleucides, et en même temps on comprend cette expression de Strabon, que l'accroissement de la puissance bactrienne sous Diodotos a déterminé Arsace à provoquer le soulèvement des Parthes.

Avons-nous raison d'attribuer la Sogdiane au Magnésien Euthydémos, c'est une question qu'on peut réserver ; mais Antimachos doit avoir régné sur un territoire où l'on se servait de l'écriture arienne, et Agathoclès sur des contrées où on. employait les deux écritures arienne et indienne. L'Agathoclès des monnaies est-il le même que l'Agathoclès qui est appelé épargne de Perse et qui se trouve en relation, d'une façon d'ailleurs inintelligible pour nous, avec la Parthie ? Son domaine d'écriture indienne était-il situé vers le bas Indus, et son domaine d'écriture arienne, à peu près en Arachosie et en Gédrosie ? Les monnaies ne nous renseignent pas encore à cet égard[141]. Quoi qu'il en soit, le grand empire hindou d'Açoka s'affaiblit de plus en plus après sa mort (226), et les nouveaux royaumes hellénistiques purent ainsi s'étendre dans l'est et porter bientôt leurs limites bien au delà de l'Indus.

Euthydémos, quels qu'aient été ses commencements, fut au temps d'Antiochos III un puissant roi d'Orient : un des tétradrachme d'Agathoclès nous l'atteste. On ne peut guère douter qu'il ait acquis cette grande puissance en renversant les Diodotides. Cl. Ptolémée cite dans sa géographie de l'Inde une ville de Sagala sur l'Hydaspe qui s'appelait aussi Euthydémia[142]. Le royaume d'Euthydémos s'étendait donc jusqu'à l'Hydaspe, ou du moins il y eut des villes qui lui firent l'honneur de prendre son nom.

Ces événements survenus dans l'Extrême-Orient ouvraient une nouvelle phase dans le développement du monde hellénistique. II est permis de citer en cet endroit l'opinion que les anciens historiens arabes s'en étaient formée et qui marque en même temps avec précision les idées qu'on se faisait en Orient de l'empire d'Alexandre.

Al-Bîrounî dit[143] : La troisième période de l'histoire des Perses s'étend depuis Alexandre jusqu'à l'avènement d'Ardeschîr, fils de Bâbek (par conséquent jusqu'au commencement des Sassanides) ; durant cette époque vécurent les Moloûk-at-tavâ'if, c'est-à-dire les rois qu'Alexandre établissait comme rois dans les pays qui lui étaient soumis : aucun d'entre eux n'obéit à l'autre. A la même époque existait la suzeraineté des Aschkâniens ; ce sont ceux qui régnèrent sur l'Iraq et le pays de Mâh, le pays des montagnes (al-Gibal). Ils étaient une [des dynasties] des Moloûk-at-tavâ'if, et les autres ne leur obéissaient pas, mais ne faisaient que les honorer grandement, parce qu'ils appartenaient à la maison royale de Perse ; le premier d'entre eux fut Aschk-bin-Aschkân, qui porta le titre  honorifique d'Afgoùr-Schâh[144], fils de Balâsch (Valagases), fils de Sâboùr (Schâhpoùr), fils d'Aschkân, fils (suit un nom illisible), fils de Siyavousch, fils de Kaikaùs.

Ainsi cette généalogie fait remonter la trace des rois parthes jusqu'à Çyavarsna, le plus beau des fils de Kava Ouç, jusqu'au temps mythique et héroïque de l'Iran, et leur dynastie passe pour une de celles qui sont issues de l'empire d'Alexandre.

 

 

 



[1] C'est de là que vient peut-être l'opinion de Philinos et des annalistes romains, à savoir qu'un traité en forme avait interdit aux contractants de paraître en armes, les Romains en Sicile, les Carthaginois en Italie (POLYBE, III, 26).

[2] C'est à ces faits que doit se rapporter un passage de Pausanias (VI, 12), passage où manque, comme on le voit par le nom du vainqueur Idæos de Cyrène, le mot έκτης. C'est donc en Ol. CXXVI, 2, c'est-à-dire en 275/4, que commence le règne d'Hiéron.

[3] DIODORE, XXII, 13, 1.

[4] Telle est l'affirmation expresse de Polybe (I, 9, 8). Dans un autre endroit (VII, 8, 4), le même auteur dit que Hiéron régna 54 ans ; or il mourut dans l'automne de 216 ; c'est par conséquent dans l'automne de 270 qu'il revint de cette heureuse expédition. Le récit de Diodore, tel qu'on le trouve dans l'Extrait XXII, 43, 6, supprime cet intervalle : il assure que, aussitôt après la bataille, au moment où les Mamertins voulaient se rendre à Hiéron, le général carthaginois Hannibal était survenu et avait mis avec leur assentiment une garnison dans la ville. Mais on ne peut ajouter foi à cette assertion ; en ce cas, Rome n'aurait pas attendu six ans encore pour ouvrir les hostilités, et les Carthaginois se seraient si bien installés dans la ville qu'd n'aurait pas été si facile de les en déloger. HOLM (Geschichte Siciliens, II, p. 493) ne partage pas ce scrupule ; il croit qu'une garnison punique de 1.000 hommes a parfaitement pu rester à Messana à partir de 270/269 sans que les Romanis aient bougé.

[5] Cette indication se trouve dans Diodore, qui défigure notablement les faits (voyez ci-dessus) ; dans Dion Cassius (Zonaras) et autres.

[6] Naturellement, je ne me suis servi dans ce récit sommaire que de Polybe, qui avertit son lecteur de se défier aussi bien de Philinos que de la relation de Fabius. On peut, ce semble, reconnaître Fabius dans le récit de Dion Cassius et de Zonaras ; ici, par exemple, ils disent que les Carthaginois massacrèrent tous les Italiens de leur armée, ce qui eût été d'autant plus stupide que précisément ces émigrés, appartenant pour la plupart à des peuples subjugués et détruits, ne se battaient pas contre Rome simplement pour toucher une solde. Les divergences entre Diodore et Polybe tiennent probablement à ce que Diodore suit son compatriote Philinos d'Agrigente, qu'il cite du reste en un endroit (XXIII, 8, 1). NITZSCH (Röm. Annalistik, p. 279) signale plusieurs passages dans lesquels Polybe s'accorde avec Diodore, ce qui prouverait que Polybe s'est aussi servi de Philinos.

[7] Je ne rappellerai ici que les leges Hieronicæ, dont il est si souvent question dans les Verrines : on y reconnaît le soin et la circonspection avec laquelle le roi régla la législation sicilienne, particulièrement au point de vue des questions agraires. Cf. DIODORE, XIII, 33.

[8] Les expressions dont se sert Polybe (VII, 4, 5) prouvent que la Néréis qu'avait épousée Gélon, le fils d'Hiéron, était la fille non pas de Pyrrhos le Jeune, mais du célèbre Pyrrhos : elle était au moins aussi âgée que Gélon, et celui-ci n'est pas né avant 271, puisqu'il est mort en 216 à l'âge de plus de 50 ans s (POLYB., VII, 8, 9). Alexandre est mort de bonne heure, entre 262 et 258 (voyez ci-après) ; à ce moment-là, Hiéron ne pouvait pas encore marier son fils, mais il pouvait le fiancer. Je crois que les fiançailles ont eu lieu déjà du vivant d'Alexandre, par la raison qu'après sa mort, sa veuve aurait plutôt songé à pourvoir sa fille à elle que sa belle-sœur.

[9] APPIAN., Sicil., 1.

[10] Je fais allusion ici à Callimaque (in Del., 18 sqq.). Ce n'est pas, il faut le dire, sans quelque hésitation. On lit au passage indiqué : quand les Îles se réunissent autour d'Océanos leur père et de Téthys la Titanide, alors Cos (où Philadelphe est né) marche la première ; immédiatement après vient Cyrnos la punique, qui n'est point à dédaigner, puis l'Eubée, ensuite la séduisante Sardo, puis Cypre, où Aphrodite posa le pied en sortant de l'onde. On est étonné de voir que le poète n'ait pas nommé ici la magnifique ile de Sicile et la Crète, qui était si près, étonné aussi de trouver les deux îles occidentales précisément ornées d'épithètes si caractéristiques. Comme la même pièce contient une prophétie relative au héros qui doit naître à Cos et célébrer de magnifiques triomphes sur les Galates, on voit bien qu'elle a été écrite pour le roi, et on est d'autant plus en droit d'y supposer des motifs d'ordre politique. Léto erre çà et là cherchant un lieu où elle puisse accoucher : au Nord, le θοΰρος Άρης est assis sur la cime de l'Hæmos pour surveiller la terre-ferme ; du haut du Mimas, Iris surveille les îles. Suit une énumération de localités et de régions qui ont repoussé la mère infortunée, et il n'est guère possible de justifier par des raisons mythologiques le choix exprès de ces localités. Ces noms divers paraissent n'avoir de sens que si on les rapporte aux événements de l'année 265, année où la plupart des États grecs ne se soulevèrent pas comme on s'y était attendu, où l'Eubée fut arrachée à la Macédoine, où la guerre imminente entre Rome et Carthage pouvait bien suggérer la pensée d'occuper ces deux îles puniques. La Corse, riche en bois propres aux constructions navales (THEOPHRAST., Hist. plant., V, 8) était certainement ούκ όνοτή pour les Lagides ; la Sardaigne était bien séduisante aussi, et, une fois la lutte engagée entre Rome et Carthage, il ne semblait pas impossible de s'en emparer.

[11] qui Troglodyticen primus excussit (PLINE, VI, 29).

[12] Cf. Histoire des Diadoques, p. 761 sqq.

[13] Voyez Mon. Adul. et de nombreux passages des auteurs.

[14] Voyez Histoire des Diadoques, p. 770 sqq. MILLER (ad. Marcian. Heracl., p. 145) cite un passage d'une Vita Arethæ manuscrite.

[15] DIODORE, I, 37. Théophylacte Simocatta (VII, 17) dit la même chose dans les mêmes termes.

[16] Outre le passage de Diodore cité à la note précédente, voyez Pline (VI, 29) : ... varia prodidere ; primus Dalion, ultra Meroen longe subvectus, mox Aristocreon et Bion et Basilis (Agathias [De mar. Rubr., ap. PHOT. p. 454 b. éd. Bekker] l'appelle Βασιλεύς, mais Athénée [IX, p. 390], qui cite les Ινδικά β', écrit Βύσιλις), Simonides minor etiam, quinquennio in Meroe versatus, cum de Aethiopia scriberet : nam Timosthenes classium Philadelphi præfectus, etc. ; puis viennent les renseignements fournis par Ératosthène, Artémidore, Statius Sebosus (contemporain de Cicéron). Il n'y a guère que ce Dation, cité le premier parmi ces explorateurs, qui pourrait peut-être remonter au temps de Soter. — J'ajoute que, plus près encore de la frontière égyptienne, à Parembole, dans un temple construit vers cette époque, on a trouvé le nom hiéroglyphique du roi Atharramon, que CHAMPOLLION (Lettres écrites d'Égypte, p. 162) croit pouvoir considérer comme le prédécesseur ou le successeur d'Ergamène.

[17] On ne voit pas qu'il y ait d'autres renseignements à espérer sur la date de ces deux expéditions ; cependant, on pourrait peut-être utiliser à ce point de vue la mention, faite par Phylarque au huitième livre, d'une source merveilleuse κατά τον Άράβιον κόλπον, en supposant que Phylarque parlait de cette curiosité à propos d'une expédition égyptienne. Nous verrons que ce huitième livre commençait à une date de très peu postérieure à 255.

[18] EUSEB. ARMEN., I, p. 249, 27 éd. Schöne. Impossible de déterminer la date de ce mariage.

[19] PHYLARCH. ap. ATHEN., X, p. 438. De même dans Élien (Var. Hist., II, 41). Il ne peut être question ici que d'Antiochos II, et non pas d'Antiochos Ier ; on en a pour preuve non seulement, le fuit que le renseignement provient du sixième livre de Phylarque, mais surtout ce que nous savons par ailleurs du caractère d'Antiochos Ier.

[20] ATHEN., VII, p. 289. Pythermos, que Phylarque a peut-être pris pour guide, était un Éphésien, et Éphèse passa justement, au temps d'Antiochos II, dont Pythermos a dû être le contemporain, sous la domination égyptienne. Thémison n'est sans doute pas devenu Héraclès avant qu'Antiochos ne fût Dieu, c'est à dire après la prise de Milet vers 252.

[21] Parmi les monnaies qui appartiennent certainement à Antiochos II, il en est quelques-unes en argent avec le type d'Héraclès assis sur un bassin (allusion à l'étable d'Augias [?] d'après K. O. MÜLLER) une entre autres (au Cabinet des Médailles de Berlin) porte en exergue, comme emblème, la coupe à une anse de la ville de Kyme. Il existe d'autres monnaies avec les deux casques des Dioscures et une massue au-dessous, mais on ne saurait les attribuer avec certitude à ce roi. Bien qu'il soit assez naturel de voir dans ces insignes héracléens des allusions à Thémison-Héraclès et à son frère, comme le cardinal Wolsey, par exemple, associait sur les monnaies son chapeau de cardinal aux armes royales, je n'ose cependant pas me fier à cette interprétation. D'autre part, la raison que donne VISCONTI (Iconogr., II, p. 295) pour expliquer le type d'Héraclès, est insuffisante.

[22] TELES ap. STOBÉE, Florileg., III, p. 220 éd. Lips. (ARISTOT., fr., 47). Il va de soi que le Samien Thémison, le navarque d'Antigone (DIODOR., XX, 50), n'appartient pas à cette série de personnages cypriotes.

[23] Que faut-il faire de l'étrange histoire racontée par Libanios (Antioch., p. 307 éd. Reiske) ? Il y est dit qu'on réussit par ruse à faire passer de Cypre à Antioche une statue d'Apollon.

[24] En prévision d'une question qui se posera plus tard, il est bon de rappeler qu'Antiochos II était le fils de la princesse macédonienne Stratonice, celle que le vieux Séleucos avait cédée en 293 à son fils Antiochos Ier (né en 324), malade d'amour pour elle. D'après l'Eusèbe arménien, Antiochos II mourut à l'âge de quarante ans ; peut-être une partie du chiffre véritable s'est-elle effacée ; il pouvait être né dès 292, ce qui lui donnerait quarante-cinq ans à sa mort. Au dire de Julien (Misopog., p. 348), Antiochos n'aurait épousé sa belle-mère qu'après la mort de son père : ceci est impossible, car alors, quand il mourut en 246, son fils n'aurait pas pu avoir déjà un fils qui lui-même avait déjà en 222 un petit-fils de quatre ou cinq ans.

[25] Le nom du prétendant, qui s'appelle Zélas, Zeilas, Ziélas, dans les manuscrits, est aujourd'hui fixé d'après une monnaie publiée par LAMBROS, la première que l'on connaisse de ce roi. On y lit ΒΑΣΙΛΕΩΣ ΖΙΑΗΛΑ (VON SALLET, Num. Zeitschrift, III, p. 220). La première femme de Nicomède, une Phrygienne appelée Ditizèle (Consingis dans Pline [VIII, 40] est à coup sûr une faute) fut mise en pièces par le chien du roi propter lasciviorem cum marito jocum, au rapport de Tzetzès (Chiliad., III, 960), qui fait confusion avec les enfants de cette reine. Memnon (c. 22), à qui est emprunté le récit donné ci-dessus dans le texte, appelle la seconde femme Étazéta.

[26] POLYBE, IV, 50, 1. Je n'ose pas, comme le recommande actuellement NABER, changer le nom du jeune prince en Zibœtès.

[27] PHYLARCH. ap. ATHEN., VI, p. 271 [Fragm. Histor. Græc., fr. 10 a, éd. C. Müller].

[28] PHYLARCH. ap. ATHEN., X, p. 412. Ni LUCHT, ni les deux MÜLLER dans l'édition des Fragm. Histor. Græc. de la collection Didot, n'ont remarqué que ce fragment, défiguré par Athénée, se trouve dans Eustathe (Ad Iliad., p. 1242, 40) et dans Élien (Var. Hist., III, 14). Il est plus développé dans Élien, mais il ne semble pas que ce soit là une simple amplification d'Athénée, dont Élien se sert souvent ; du moins le καί τό έργον αύτοΐς αύτοΐς αύλείσθαί έστι n'a pas l'air d'un trait ajouté. Sur l'ivrognerie des Byzantins, voyez MEINEKE, Menand., p. 28 et Fr. Com., IV, p. 89.

[29] MEMNON, c. 23.

[30] POLYBE, IV, 44 sqq.

[31] Ce renseignement se trouve dans Athénée et dans Élien (loc. cit.), qui l'ont tiré de Damon έν τώ περί Βυζαντίου. Je ne trouve pas d'autres détails sur cet auteur.

[32] Il est possible que ce Léonidas soit un condottiere étranger ; en tout cas, ce n'est pas le Spartiate, fils de Cléonymos, qui était au service de la Syrie.

[33] Ce rapprochement nous donne par surcroît la date approximative de la querelle des prétendants au trône de Bithynie. C'est après 264 que Nicomède bâtit sa nouvelle ville ; le tombeau qu'il y éleva à sa première femme ne prouve pas qu'elle ne soit pas morte avant 264. La guerre s'est faite en Thrace avant 258, peut-être même avant 259, de sorte que la mort de Nicomède doit être placée entre 263 et 260. Son père était mort en 280 à l'âge de 78 ans ; Nicomède, rainé de ses fils, pouvait avoir alors de 40 à 50 ans ; et il n'est pas étonnant que, mourant à l'âge de 60 ou 70 ans, il ait laissé, outre des fils adultes, des enfants mineurs.

[34] POLYÆN., IV, 16. Dans ce passage, au lieu de Άντίοχος έπόρθει, il faut probablement écrire έπολίορκει : c'est du reste la leçon que donne aujourd'hui l'édition de WÖLFFLIN, d'après le Parisinus H. Il parait que tous les manuscrits donnent le nom de Τίρις, et non pas Térès, comme on pourrait le supposer. AD. SCHMIDT (Des Olbische Psephisma im Rhein. Mus., III [1836], p. 583) pense que c'est Antiochos Hiérax qui a fait cette guerre : il aurait fallu cependant des raisons décisives pour s'écarter ainsi de Polyænos, qui ne cite que plus tard un stratagème d'Antiochos Hiérax, avec le nom de ce prince. Cypséla est située sur l'Hèbre, à 3.100 stades de Byzance (STRAB., VII, fr. 48. 57) : c'est à peu près l'endroit où se trouve aujourd'hui Ipsala.

[35] Il est à propos de mentionner ici un tétradrachme de Sestos, dont MÜLLER (Münzen des Lysimachos, pl. II, n° 7) donne le dessin. Il a tout à fait le type des monnaies de Lysimaque, et même sa légende ; seulement, il porte en exergue, au revers, ΣΚΟΣΤΟΚΟΥ, un nom probablement thrace. La pièce est de poids médiocre (un exemplaire pèse 16 gr. ; un autre 15 gr. 28, au lieu de 17 gr.) et de facture grossière : l'emblème du revers indique qu'elle a été frappée à Sestos. Peut-être trouverait-on mieux ici la place d'une monnaie publiée par PROKESCH (Inedita meiner Sammlung, p. 5) ; c'est un tétradrachme au type d'Alexandre de la Ve classe : au revers, ΚΕΡΣΙΒΑΥΙ... ΒΑΣΙΛΕ ; devant Zeus assis, comme emblème, un bouclier avec une massue par-dessus ; poids 16 gr. 68. Le nom, qui rappelle celui de Kersoblepte, indique une origine thrace.

[36] C'est à cet ordre d'idées qu'appartient le fragment du VIe livre de Phylarque (ap. ATHEN., IV, p. 450) où il est dit que (dans les banquets) nul Galate ne touchait aux mets servis sur la table avant d'avoir vu le roi y goûter. BRÜCKNER et C. MÜLLER entendent par là les Galates d'Asie ; mais ceux-là n'avaient pas de roi. A moins qu'il ne s'agisse, dans leur pensée, des Galates à la solde des rois, ce qui reviendrait à dire que ces Barbares avaient peur d'être empoisonnés.

[37] bella quam plurima (HIERIONYM., In Daniel, XI, 6).

[38] THRIGE, Res Cyren., p. 237.

[39] Cette indication chronologique se fonde sur ce fait, que Ptolémée n'a été en possession des contrées énumérées par Théocrite que durant la guerre dont il s'agit : à la paix, il en céda plusieurs. Comme parmi ces pays ne figure pas l'Ionie ; le poème de Théocrite a été écrit avant la prise de Samos, de Magnésie et d'Éphèse.

[40] THEOCRIT., XVII, 86 sqq. On comprend qu'il ne faille pas remplacer καί Συρίης par Κύπρου τε, comme fait Voss, mais l'omission de Cypre n'en est pas moins, en l'état actuel de nos connaissances, une chose inexplicable. Par Syrie, il faut entendre ici naturellement la Cœlé-Syrie.

[41] Comme on voit, la Syrie n'a pas été plus en état d'envahir l'Égypte qu'au temps d'Antiochos Soter.

[42] THEOCRIT., XVII, 110.

[43] APPIAN., Syr., 65. La preuve que ceci s'est passé lors de cette guerre, c'est que le tyran est évincé plus tard par Antiochos ; il s'était donc emparé du pouvoir malgré le roi et contre ses intérêts.

[44] TROG. POMPÉE, Prol. XXVI. Ce texte n'a nul besoin de la correction de VISCONTI (Iconogr., II, p. 289).

[45] POLYÆN, II, 27. Je place ces événements ici et non pas dans la guerre de Ptolémée III, parce que, cette fois, on aurait occupé plus fortement une position aussi importante. Bien que sérieusement attaquée. Magnésie ne put être reprise par les Syriens, mais elle ne resta pas à l'Égypte après la guerre : au commencement de la guerre suivante (c'est-à-dire vers 244), Magnésie est certainement indépendante. Voyez ci-après.

[46] En numismatique, on admet, à l'exemple d'ECKHEL, que le point initial de cette ère tombe entre 494 et 496 U. C., probablement en 495 U. C. ou 259 avant J.-C. Arados possédait déjà depuis Alexandre une certaine autonomie, en ce sens qu'elle frappait ses monnaies à l'effigie d'Alexandre, mais avec ses propres emblèmes ; on le sait grâce à la découverte faite en 1863 du trésor de Saïda. qui, les pièces l'indiquent, a été enfoui en l'an 310. Ces anciens tétradrachmes d'Arados sont, comme ceux d'Akté, datés d'après une ère qui compte jusqu'à 76, et la nouvelle ère fait suite à l'ancienne. Un témoignage décisif à invoquer pour en fixer le point de départ est celui des monnaies de Trajan frappées à Arados : elles sont datées de l'an 374 et 375 de l'ère locale, et Trajan y porte le surnom de Parthicus. D'après Dion Cassius (LXVIII, 23), Trajan fut salué par ses soldats du nom de Parthicus après la prise de Nisibe et de Batana, et Trajan n'est arrivé dans ces régions qu'au printemps de 869 U. C. (116 après J.-C.) ; on en a pour preuve non seulement le récit de Dion, mais surtout le fait que, dans une inscription datée du 190 tribunat de Trajan (commencement de 868 U. C.) le surnom en question ne figure pas encore, tandis qu'il apparaît dans d'autres inscriptions de cette même année. Trajan mourut en Asie au mois d'août de l'année suivante, un an et quelques mois après avoir reçu le nom de Parthicus. L'inscription d'Espagne (C. I. LAT., II, n° 2097) qui porte la date du 18e tribunat de Trajan et le surnom de Parthicus paraît avoir été gravée plus tard et antidatée. Si donc la monnaie d'Arados au millésime de 374 donne déjà à Trajan le nom de Parthicus, alors qu'il existe une autre monnaie de Trajan au millésime de l'année suivante 375, il faut bien qu'elles aient été frappées l'une et l'autre durant les 15 ou 46 derniers mois du règne. L'an 496 U. C. correspond donc bien, d'une manière générale, à l'an I de l'ère d'Arados ; il n'y a doute que sur le mois où l'ère commence. Si elle commençait en automne, comme l'ère des Séleucides, les trois premiers mois de l'an I font encore partie de l'an 495 ; si, au contraire, l'année des Aradiens partait de l'équinoxe de printemps, comme celle des Damascéniens (IDELER, Handbuch, I, p. 414), leur ère commençait en mars 496, c'est à dire en 258 avant J.-C. On trouvera des indications plus précises dans les remarques que TH. MOMMSEN a eu la bonté de me communiquer et qui figurent dans l'Appendice placé à la fin de ce volume.

[47] STRABON, XVI, p. 754. Cf. POLYBE, V, 69.

[48] Quand a eu lieu cette démarche, c'est ce qu'on ne parvient pas à démêler dans le résumé inintelligent que Justin a tiré de Trogue-Pompée (XXVI, 3), pas plus que dans le prologue de Trogue-Pompée lui-même. Justin induit même le lecteur en erreur en parlant de Bérénice comme d'une fille déjà nubile, ce qu'elle n'était certainement pas. On peut cependant trouver un point de repère dans ce fait, que Phylarque a parlé des origines de Cyrène dans son septième livre ; évidemment, il avait eu déjà occasion de parler de Cyrène dans les livres précédents, notamment dans les livres III-V, où devait figurer la guerre de Magas contre l'Égypte. Pour revenir sur l'histoire antérieure du pays, il fallait qu'il fût arrivé à un moment où ce pays et les droits revendiqués sur lui prenaient dans l'histoire une importance capitale ; et ce ne pouvait être qu'après la mort de Magas (258), alors qu'Apama rompit la convention stipulée à propos des fiançailles. D'autre part, on verra tout à l'heure que l'occupation de Cyrène a eu lieu avant la composition du poème de Théocrite.

[49] Dans le morceau composé par Théocrite en l'honneur de Philadelphe, après avoir parlé de la gloire de son père, de sa mère, le poète ajoute (XVII, 53 sqq.) : Argienne au noir sourcil, t'unissant d'amour à Tydée, tu as enfanté le massacreur d'hommes Diomède, l'homme de Calydon ; mais Thétis au sein profond a donné à l'Æacide Pélée Achille, habile à lancer le javelot : σέ δ'αίχμητά Πτολεμαΐε, κ. τ. λ. La sombre figure du massacreur d'hommes Diomède et de l'impie Tydée son père fait avec le brillant Achille un contraste assez frappant, marqué par άλλά, et on sent fort bien que le poète a institué une comparaison d'Achille et Diomède avec Ptolémée et un autre prince, parallèle qu'il abandonne au σέ τέ, Πτολεμαΐε, parce qu'on l'a suffisamment compris et qu'il serait superflu de le développer plus longuement. Je pense que le prince qui fait pendant à ce Diomède ne peut être qu'Antigone, le fils de l'impétueux Démétrios. Du moins, le passage ainsi entendu prend un sens, et le poète cesse de paraître aussi mais que ses doctes commentateurs essaient de nous le faire croire, eux qui prennent cet άλλά pour un mot de pur remplissage.

[50] NIEBUHR n'est pas arrivé non plus à s'expliquer ce nom de Libye : les monnaies avec la légende ΛΙΒΥΩΝ attestent que ce nom désigne bien une communauté politique.

[51] On lit dans l'Eusèbe arménien (I, p. 237 éd. Schöne) : cui (Antigono) filius ejus Demetrius succedit, qui etiam universam Libyam cepit et Kyrenem obtinuit, et omnia omnino (quæ erant) patris in monarchicam potestatem denuo redegit. Dans Porphyre, le passage est ainsi conçu : ός καί πάσαν τήν Λιβύην έλαβε Κυρήνης τε έκράτησε..., la suite manque. Abstraction faite de la confusion de Démétrios le Beau avec le fils et successeur d'Antigone, le passage est intéressant ; le in monarchicam potestatem redegit se rapporte non pas à Démétrios de Macédoine, mais à celui de Libye.

[52] PHYLARCH. ap. ATHEN., VI, p. 251. Cf. HEGESAND. ap. ATHEN., VI, p. 240. On ignore à quel moment mourut cet Alexandre. Comme Phylarque relate sa mort au VIe livre, on pourrait en conclure qu'il est décédé entre 262 et 258, Cependant, il se peut que Phylarque ait anticipé d'un an ou deux, et c'est ce qui parait résulter des événements postérieurs à 239. Voyez ci-après.

[53] PAUSANIAS, VIII, 27, 8. PLUTARQUE, Agis, 3. Il n'est pas possible de préciser la date ; cependant, ceux qui avaient massacré le tyran de Mégalopolis aidèrent ensuite à délivrer Sicyone en 251, de sorte qu'on peut placer la mort d'Acrotatos en 253 : il est vrai que le fait peut très bien avoir eu lieu plus tôt, même avant 258. MEBLEKER (Achaica, p. 149), sur la foi des δύο μάλιστα ΰστερον γενεαΐς de Pausanias, qui se trompe certainement, a cru qu'Aristodémos était tyran de Mégalopolis vers 300. Il est certain qu'il était contemporain d'Acrotatos.

[54] PLUTARQUE, Agis, 3. Naturellement, il ne s'agit pas de Séleucos II, comme MANSO se l'est imaginé.

[55] Nous verrons plus tard que l'Hippomédon dont parle Télés (ap. STOBÉE, Florileg., II, 72 éd. Lips.) n'appartient pas aux exilés de cette époque.

[56] PHYLARCH., fr. XIII éd. Lucht. Je ferai observer, en note du moins, que Phylarque appelle ce Théodoros un buveur d'eau.

[57] EUSEB. ARMEN., p. 243, 12 éd. Schœne.

[58] Ceci parait résulter de ce qui se passa en 251 et plus tard. Quand Aralias, parlant aux mercenaires qu'il a enrôlés pour surprendre Sicyone, leur dit qu'il s'agit d'un coup à faire είς τάς ΐππους τάς βασιλικάς είς τήν Σικυωνίαν (PLUTARQUE, Arat., 6), je ne comprends pas la chose ainsi ; je crois qu'il s'agit des juments royales qui se trouvaient dans le pays de Corinthe et dont Plutarque parle plus loin (PLUT., Arat., 24).

[59] Le fait est rapporté notamment par Pausanias (III, 6, 3). Le Canon d'Eusèbe (II, p. 120 éd. Sch.), le place à la date de Ol. CXXXI, 2.

[60] SUIDAS, s. v. La date résulte de ce fait que Philochore avait continué son Atthide jusqu'au règne d'Antiochos II (SUIDAS, ibid.). Dès 305, il fait fonction de μάντις (voyez Fragm. Philochor., n° 148) ; il devait certainement être septuagénaire lors de sa mort.

[61] POLYBE, II, 4, 2. A cet endroit et à II, 10, 5, les manuscrits donnent Μάρκος ; plus loin (II, 41, 14), on trouve Μάργος, qui vaut mieux. Le stratège vote en Conseil avec les 10 damiorges, ce qui empêche un partage égal des voix ; mais il est obligé d'exécuter la décision de la majorité.

[62] C'est la dernière hypothèse qui me parait vraisemblable. On admet généralement (BÖCKH lui-même dans le C. I. GRÆC., II, p. 230, suit l'opinion courante) que Ptolémée régnait sur les Cyclades. Il faut en rabattre beaucoup. ll n'est pas prouvé que l'inscription de Céos (C. I. GRÆC., II, n° 2356), qui parle de tributs payés à l'Égypte, soit du temps de Ptolémée II ; pour Délos (ibid., n° 2273), il n'y a pas de doute : pour Astypalée, voyez le n° 2492. Les Sporades ont été probablement toutes occupées par l'Égypte ; Chios, Lesbos, la Crète, étaient indépendantes.

[63] ut in Asia filius Ptolemaæi regis socio Timarcho desciverit a patre (TROG. POMPÉE, Prol. XXVI).

[64] ATHEN., XIII, p. 593. Athénée puise, à ce qu'il semble, dans Phylarque, et en ce cas, ce doit être au livre X de Phylarque.

[65] APPIAN., Syr., 65. Il va de soi que ce Timarchos est celui dont parle Trogue-Pompée (Prol. XXVI). Le nom de Θεός figure également dans Dion Chrysostome (Orat. XXXVII, tom. II, p. 103 éd. Reiske) et dans les inscriptions (C. I. GRÆC., II, n° 2905. POCOCKE, Inscr. antiq., c. 1, p. 4. 18) ; dans Malalas (p. 205 éd. Bonn.), Antiochos est appelé Θεοειδής.

[66] Ce renseignement curieux se trouve dans Josèphe (Ant. Jud., XII, 3, 2) ; comme les Ioniens s'ameutaient contre eux (les Juifs) et demandaient à Agrippa να τς πολιτεας, ν ατος δωκεν ντοχος Σελεκου υωνς παρ τος λλησιν Θες λεγμενος, μνοι μετλθωσιν κ. τ. λ. Il est étrange que l'on ait toujours compris ce passage comme s'il signifiait qu'Antiochos a conféré la civitas aux Juifs. L'assertion de Josèphe se trouve confirmée par un passage de traité entre Smyrne et Magnésie (C. I. GRÆC., II, n° 3137, lig. 10). Ainsi, ce n'est pas Séleucos II qui a accordé le premier la liberté ; il l'a simplement confirmée et corroborée. Le grand bienfaiteur de la ville est Antiochos Théos. Du reste, cette mesure est une espèce de confirmation des remarques faites à propos d'Arados, et peut-être n'est-elle pas sans quelque rapport avec l'affranchissement d'Athènes par Antigone.

[67] On peut faire usage ici de l'inscription qui figure au C. I. GRÆC. (II, n° 2905) et dans LEBAS (n° 188-194). La vieille querelle entre Samos et Priène au sujet de leurs frontières de terre-ferme avait déjà été débattue devant Lysimaque (C. I. GRÆC., II, n° 2254) : en vertu de sa décision, Priène était restée en possession de l'objet du litige. Au bout de bien des années, les Samiens ressuscitent l'affaire et s'adressent au roi Antiochos II, qui envoie une commission pour régulariser la frontière. Plus tard, le débat recommence ; cette fois, ce sont les Rhodiens qu'on prend pour arbitres, et c'est précisément leur sentence que contient l'inscription précitée. Ils s'en réfèrent aux décisions antérieures de Lysimaque, d'Antiochos, les Rhodiens se prononcent en faveur de Priène. Le nom du commandant égyptien peut se lire Άντίοχος, Μητίοχος, etc. D'après ce texte, on peut admettre comme certain que, avant cette guerre, Samos n'était pas encore soumise à l'Égypte. C'est seulement lorsqu'elle fut occupée, au cours de ladite guerre, que Samos, n'ayant pas chance naturellement d'être écoutée par la puissance qui lui avait donné tort, put. avoir l'idée de porter ses doléances devant le nouveau gouvernement, cointéressé dans l'affaire. Comme il est question du stratège installé à Samos, cet Antiochos ou Métiochos doit être le premier stratège égyptien qui ait commandé dans l'île, celui qui, pendant la guerre, aurait pu aisément donner satisfaction aux Samiens. L'arbitrage des Rhodiens a dû avoir lieu peu de temps après la fin de la guerre, entre 240 et 245 environ.

[68] Quel rapport y a-t-il entre cette libération et la fédération ionienne, je ne saurais le dire : une chose certaine, c'est que la fédération existait encore longtemps après, car Attale a négocié avec elle pour y faire entrer Smyrne.

[69] Fragm. du comique Baton ap. ATHEN., IV, p. 163 [MEINEKE, Fragm. Com., IV, p. 199].

[70] HERACLID. ap. ATHEN., XII, p. 512.

[71] ÆLIAN. ap. SUIDAS, s. v. Έπίκουρος.

[72] Le scholiaste d'Homère (Iliade, II, 572) l'appelle πόλις εΰκαρπον καί εΰχαριν, πρός πάσαν άνάπαυσιν έπιτηδείαν.

[73] Voyez GOMPF, Sicyonica, I, p. 71, d'après LEAKE.

[74] STRABON, VIII, p. 383. Il est étonnant qu'on rapporte ce texte exclusivement aux trois Orthagorides.

[75] Que Cléon ait été un descendant d'Orthagoras (par conséquent τοΰ Μύρωνος dans PAUS., II, 8), la chose n'est pas impossible, mais enfin elle est insuffisamment démontrée (PLUT., Arat., 2). Pausanias représente les faits tout différemment. Suivant lui, après la mort de Cléon, l'ambition de régner était si forte parmi les gens de haute condition que Timoclidas et Euthydémos s'emparèrent en même temps de la tyrannie et la gardèrent jusqu'au jour où Clinias, à la tête du peuple, les expulsa. Plutarque doit avoir tiré ses renseignements des Mémoires d'Aratos, qui avait probablement bien des raisons de ménager la mémoire de Timoclidas. Cependant, je n'ose pas donner la préférence au récit de Pausanias, dont nous ne connaissons pas la source. On rapporte aussi que Cléon était un pirate (ÆLIAN., Var. Hist., XII, 43) ; ce doit être une assertion controuvée, ou bien il faisait de la piraterie en grand.

[76] PLUTARQUE, Arat., 2-4.

[77] C'est ainsi que Polybe (X, 25) et Plutarque (Philop., 1) écrivent leurs noms ; Ecdélos, Eudémos, Endamos, Mégalophane, sont des variantes qui se rencontrent dans Pausanias (VIII, 49), dans Plutarque (Arat., 5) et dans l'épigramme d'Arcésilas rapportée par Diogène Laërce (IV, 31).

[78] PLUTARQUE, Philop., 1. Voilà pourquoi Ecdémos est appelé ailleurs (PLUT., Arat., 5) : άνήρ φιλόσοφος καί πρακτικός.

[79] PLUTARQUE, Arat., 12.

[80] La description est de Plutarque, qui l'a certainement empruntée aux Mémoires d'Aratos. Suivant Plutarque (Arat., 53), le jour de la délivrance était le 5 Dœsios, mois correspondant à l'Anthestérion des Athéniens. La comparaison de ces deux mois offre des difficultés insurmontables. Le mois athénien correspond à peu près à février. D'après des recherches suffisamment approfondies, l'année de la délivrance est l'an 251 avant notre ère.

[81] PLUTARQUE, Arat., 11.

[82] PLUTARQUE, Arat., 11-15. Le récit de Cicéron dans le De officiis (II, 23) concorde si bien avec celui-ci qu'il doit venir de la même source, c'est-à-dire des Mémoires d'Aratos.

[83] PLUTARQUE, Arat., 12. Une chose étrange, c'est que, pour sauver Aratos, on conte au phrourarque ώς εύθύς άποδράς εΐς Εύβοισεν. Il est certain qu'à cette époque l'Eubée n'était plus au pouvoir d'Alexandre de Corinthe, et il n'y a pas trace dans l'île d'occupation égyptienne. Je crois que les compagnons d'Aratos n'ont pas du tout voulu dire qu'il s'était réfugié sur un territoire ennemi des Macédoniens, sans quoi le phrourarque aurait dû faire poursuivre le fugitif, qui n'avait pas encore beaucoup d'avance. Si l'on a dit qu'Aratos était parti pour l'Eubée, c'est que le phrourarque pouvait être sûr qu'il y serait pris.

[84] Ceci sera examiné plus loin.

[85] JUSTIN., XXVI, 3. La date de ce fait a déjà été discutée précédemment ; d'après une correction vraisemblable, Démétrios est mort en Ol. CXXXII, 2 = 251/0.

[86] Callimaque, dans le poème sur la Chevelure de Bérénice, dit, d'après la traduction de Catulle (LXVI, 25) :

At te ego certe

Cognorant a parva virgine magnanimam ;

Anne bonum oblita es facinus quo regium adepta es

Conjugium, quod non fortior ausit alis ?

Je puis encore ajouter à ce texte un passage d'un autre poète. Théocrite, dans le poème plusieurs fois cité déjà, parle des parents de son roi et de leur tendre amour ; il dit comment il ont témoigné à leurs enfants la confiance la plus affectueuse, comment le père a été heureux de confier sa maison à ses fils.

C'est se faire une idée par trop abominable de la poésie alexandrine que de prendre ceci pour une remarque générale et rien de plus. Le poète le plus glacial n'a pas pu faire une remarque pareille à un pareil endroit sans faire allusion à des faits précis. Je suppose que Théocrite songeait ici à la veuve de Magas, sur le compte de laquelle couraient probablement, à la cour d'Alexandrie, quantité d'anecdotes des plus scandaleuses. L'expression enfants qui ne ressemblent pas à leur père se rapporte en ce cas à Bérénice, et le morceau doit avoir été écrit avant l'acte magnanime par lequel elle punit l'adultère de son fiancé.

[87] Plus tard du moins, on voit les habitants de la Cyrénaïque se soulever contre l'Égypte.

[88] Il n'est pas possible de déterminer exactement l'année de la paix ; avec Antiochos, elle a dû être conclue au plus tard en 248, car il épousa par suite de cet accommodement une fille de Ptolémée, et celle-ci eut un enfant de lui avant la fin de 247. La paix fut-elle signée en même temps avec Antigone, on ne saurait le démontrer, mais la chose est probable. Nous avons vu que la guerre durait encore en 251 ; c'est donc entre 250 et 247 que nous devons placer la fin de la grande guerre.

[89] La jeunesse de Bérénice peut bien avoir été la raison pour laquelle elle ne se maria pas encore tout de suite : son mariage eut lieu peu de temps avant l'expédition de Ptolémée III en Asie (novo auctus hymenæo vastatum iverat fines Assyrios, dit Catulle) : D'après NIEBUHR (Klein Schriften, p. 238), l'expression de Justin, Ptolemæi filio (XXVI, 3), prouverait que Ptolémée III l'a épousée avant d'être roi, c'est-à-dire avant 216. Il ne faut pas faire tant de cas de Justin qui, sur ce fait notamment, a des idées fort embrouillées. Je fonde cependant la même conjecture sur le passage de Catulle :

Est-ne novis nuptis odio Venus ? anne parentum

Frustrantur falsis gaudia lacrimulis etc.

Ce ne doit pas être là une simple phrase, et alors parentum doit se rapporter à Ptolémée II, attendu que, dans le poème tout au moins, Arsinoé Philadelphe est déjà morte aussi.

[90] Je pense qu'Andros resta à la Macédoine ; cependant nous n'avons pas l'ombre d'un renseignement à ce sujet.

[91] Volens itaque Ptolemæus post multos annos molestum finire certamen, filiam suam nomine Berenicen Antiocho uxorem dedit... deduxitgue eam osque Pelusium et infinita auri et argenti millia dotis nomine dedit, unde φερνοφόρος, id est dotalis, appellatus (lisez appellata) est (HIERONYM., In Daniel, XII, 5). Cf. le fragment de Polybe cité par Athénée (II, p. 45).

[92] L'Eusèbe arménien (I, p. 251 éd. Schœne) dit que Laodice était la fille d'Achæos. NIEBUHR trouve inacceptable l'opinion de FRÖRLICH, qui fait de Laodice la sœur de son mari ; il n'a pas vu que FRÖRLICH s'appuyait sur le seul texte connu avant celui d'Eusèbe, un texte qu'il ne cite pas, il est vrai. Polyænos (VII, 50) dit : Άντίοχος έγημε Λαοδίκην όμοπάτρίον άδελφήν. Ce renseignement a été utilisé pour compléter un passage embrouillé d'Appien (Syr., 65). — J'ai dit : le seul texte connu ; c'est qu'en effet ce que dit Étienne de Byzance au mot Άντιόχεια est inepte d'un bout à l'autre. — J'ai signalé ailleurs (De Lagidarum regno, p. 10) l'origine probable de l'erreur de Polyænos.

[93] Antiochus autem Berenicen consortem regni habere se dicens et Laodicen in concubinæ locum etc. (HIERONYM., ibid.). Ceci concorde exactement avec le commentaire de Polychronios (ap. MAI, Script. vet. nov. coll., I, p. 140), les deux auteurs ayant suivi probablement Porphyre.

[94] Il faut avertir ici qu'Antiochos Soter avait marié Stratonice, sa fille et par conséquent aussi la fille de Laodice, à l'héritier du trône de Cappadoce, Ariarathe, fils d'Ariamène (DIODOR., XXXI, 19, 6. EUSEB. ARMEN., loc. cit.).

[95] Mahavanso, I, p. 171, d'après BENFEY (Indien, p. 68). Cependant, d'après une communication par lettre de ce savant, l'assertion ci-dessus énoncée ne s'appuie que sur une induction.

[96] PHYLARCH., ap. ATHEN., I, p. 18.

[97] HEGESAND. ap. ATHEN., XIV, p. 654. Il est douteux que l'Hindou dont parle Théophraste (Hist. plant., IX, 18, 9), l'homme aux médicaments merveilleux, soit venu jusqu'en Grèce.

[98] Il est dit expressément dans le Mahavanso (p. 171) que des missionnaires bouddhistes furent envoyés aussi dans le pays des Yôna (Grecs). Cf. BENFEY, Indien, p. 74.

[99] Passage emprunté à un article de BENFEY (Gött. gel. Anz. 1839, n° 98 sqq.). Il est interprété différemment dans une traduction que LASSEN a eu la bonté de me communiquer par lettre, et qu'il a insérée depuis dans ses Indische Alterthümer, II2, p. 253. Cette traduction, faite d'après une nouvelle copie des inscriptions de Girnâr et celle de Kapour-i-giri, donne le sens suivant : Le roi des Yôna, Antiyaka, et aussi les autres rois qui sont dans le voisinage du roi des Yôna Antiyaka. Ces rois alliés auraient, comme Açoka, fondé des maisons de santé pour hommes et animaux. Il s'agirait donc ici non pas de la pléiade de petits rois grecs nouvellement intronisés en Ariane et sur l'Indus, mais bien des rois d'Occident, comme on va le voir à la note suivante.

[100] Cette inscription, publiée pour la première fois par PRINSEP, a fait événement dans le monde savant. Soumis d'abord en Allemagne à la critique pénétrante de BENFEY, le texte en est aujourd'hui parfaitement établi par l'inscription de Shahbaz-gahri, datée de la treizième année du roi Açoka (CUNNINGHAM, Survey, V, p. 26) : Antiyaka... et quatre autres rois, Touramaya, Antikena, Maka, Alikasandaro, suivent en tous lieux les instructions du roi cher aux dieux. Pour l'avènement d'Açoka, la tradition bouddhique et la tradition brahmanique donnent des dates quelque peu différentes ; en les combinant, on arrive à peu près à 266 ou 265 (DUNCKER, Gesch. des Alterth. 1114, p. 4 03) ; la treizième année du règne tomberait alors en 253 ou 252. L'inscription n'oblige pas à admettre que les quatre rois fussent encore en vie lorsqu'elle a été gravée. Alexandre d'Épire doit être mort vers 260 ; la mort de Magas est de 258. Si exagérées que puissent être, dans ce document, les assertions relatives au succès des conversions, il a dû cependant y avoir des tentatives de propagande : c'est un trait de lumière jeté dans l'histoire de cette époque qu'un texte qui nous montre les rois de Cyrène, de Macédoine, d'Épire, en relations directes avec celui de l'Inde. Je rappellerai à ce propos l'Hindou déjà mentionné plus haut, le personnage aux cures merveilleuses dont parle déjà Théophraste, un auteur mort vingt ans avant l'époque où nous sommes ici.

[Les différents textes des édits d'Açoka-Piyadasi ont été rapprochés et commentés tout récemment par EM. SENART, dans une Étude sur les inscriptions de Piyadasi, publiée en une série d'articles (Journal Asiatique, XV [18801, p. 287-347. 479-509. XVI [1880], p. 215-267. 289-410. XVII [1881], p. 97-158. XIX [1882], p. 395-460. XX [1882], p. 101-138. I [1883], p. 171-230). M. SENART traduit comme il suit le passage en question. Piyadasi se félicite des progrès que fait la doctrine même chez ses voisins : Parmi ces voisins sont Antiochus, le roi des Yavanas, et, au nord de cet Antiochus, quatre rois, Ptolémée, Antigone, Magas, Alexandre.... Chez les Grecs, partout on se conforme aux instructions religieuses du roi cher aux Devas. Note du traducteur].

[101] Voyez VULLER, Fragmente über die Religion des Zoroaster, 1831, p. 16 sqq.

[102] Le magicien que Pausanias (V, 27, 5) a vu opérer en Lydie récitait ses formules έπιλεγόμενος έκ βιβλίου.

[103] POLYBE, V, 44, 7. 55, 3. Dans les deux passages, Polybe dit : οί Σατράπειοι παλούμενοι. Il n'est pas douteux qu'il ne s'agisse de l'Atropatène, mais on peut se demander s'il faut par suite modifier le texte, comme le veut CASAUBON. Il me semble que l'expression παλούμενοι interdit absolument cette correction. Atropatès était resté depuis le temps des Perses satrape de ces contrées ; peut-être les Macédoniens s'habituèrent-ils à l'appeler le satrape, au lieu de roi ou Grand-Roi, comme il se nommait probablement lui-même. Cette explication est plus plausible que celle qui consiste à dire que son petit royaume, étant partagé en satrapies à la vieille mode perse, avait été désigné ainsi par opposition au système administratif des Macédoniens, car il ne manquait pas de satrapes dans l'empire des Séleucides.

[104] STRABON, XI, p. 515. Sans doute, d'après le peu que nous savons de cette époque, nous trouverions plus vraisemblable qu'il s'agit de l'Égypte au lieu de la Médie ; on est allé jusqu'à voir dans cet antagonisme la lutte de Séleucos II et d'Antiochos Hiérax. Mais il y a bien la Médie dans le texte de Strabon, et nous n'avons pas autre chose à faire que de pratiquer autant que possible des éclaircies tout autour de cette donnée positive.

[105] POLYBE, V, 55.

[106] PLINE, VI, 16.

[107] STRABON, XI, p. 516. Cf. APPIAN, Syr., 57.

[108] Les expressions de Strabon sont assez équivoques. Il semble dire que les peuples d'au delà du Taurus étaient les uns sous la domination syrienne, les autres sous celle des Mèdes, auquel cas les tribus mentionnées dans le texte, Cadusiens, Amardes, peut-être les Tapuriens, ne peuvent appartenir qu'à la Médie. — Il faut faire observer, du reste, qu'il y a encore une époque où ce même Achats aurait pu fonder tout au moins Achaïs près des Portes Caspiennes (en 237), et nous le rappellerons au moment opportun.

[109] Depuis la première édition de l'Histoire de l'Hellénisme, la numismatique indo-bactrienne a fait des progrès considérables ; je renvoie notamment aux mémoires du général CUNNINGHAM, publiés les uns dans le Journ. of the Asiatic Society of Bengal (Part. IX et XI), les autres dans la Numism. Chronicle de 1868 et des années suivantes, ainsi qu'à sa Survey, surtout à la Ve partie [1875], qui contient en plus quelques découvertes récentes. On lira avec grand profit les études de VON SALLET, Die Nachfolger Alexanders des Grossen in Bactrien und Indien (Numismat. Zeitschrift, 1879). Pour le reste de la bibliographie, voyez LASSEN, Ind. Alterth. [2e édit. 1874], II, p. 294.

[110] C'est du moins ce que dit WILSON, Antiquities and coins of Afghanistan, p. 218, d'après une communication de RAOUL-ROCHETTE : cependant le type ordinaire des monnaies d'Antiochos II n'est pas, comme sur ces médailles bactriennes, Zeus lançant la foudre. La pièce que l'on cite à l'appui (dans WILSON, Ar. antiq., p. 218 et EDW. THOMAS, Num. Chronicle, 1862, p. 180, pl. IV, 1) a un type plutôt bactrien que séleucidien et pourrait fort bien avoir été frappée par Diodotos, alors qu'il était encore satrape, mais à peu près indépendant. En ce cas, le Zeus Promachos reste l'emblème monétaire des rois bactriens.

[111] En fait de pesées des tétradrachmes de Diodotos, j'en connais trop peu pour pouvoir en tirer des conclusions ; cependant EDW. THOMAS (Num. Chron. 1862, p. 183) cite une pièce qui ne pèse que 235,4 grains anglais ou 15 gr. 25 (il est vrai qu'il la signale comme much worn), tandis que les médailles contemporaines d'Antiochos Théos pèsent de 256,7 à 257 grains. C'est une différence de près de 2 grammes, qui est, en effet, anormale.

[112] STRABON, XI, p. 515. Ce sont les mêmes probablement qui sont appelés Άπαρνοι à la page 511, comme les Mardes s'appellent aussi Amardes.

[113] Peut-être est-il bon de rappeler ici qu'Alexandre, lorsqu'il conquit la Bactriane et la Sogdiane, trouva là de nombreux répondants dans les hyparques de ces provinces. C'étaient de nobles seigneurs qui avaient leur domaine propre. Ce domaine, il le laissa à ceux qui se soumirent à lui, et ce sont ces hyparques qu'il convoqua à un σύλλογος tenu à Zariaspa, lorsqu'il s'agit de juger Bessos. Arsace pouvait être un de ces hyparques, de ces pehlevanes, s'il n'était pas de race scythique.

[114] Strabon, dans sa description de la Parthie et de la Bactriane, utilise à la fois les Παρθικά d'Apollodoros d'Artémita (cf. II, p. 118) et le grand ouvrage historique de Posidonios, dont les assertions méritent plus de confiance. Les dix-sept livres d'Histoire Parthique écrits par Arrien auraient pour nous autant de valeur : ce que Photius en donne se réduit à fort peu de chose et ne concerne guère que la fondation du royaume.

[115] Strabon décrit brièvement d'après Posidonios l'organisation du royaume parthe (XI, p. 515). Ce dualisme semble indiquer une origine plutôt scythique que perse.

[116] STRABON, XI, p. 511.

[117] JUSTIN, XLI, 4. Suivant toute probabilité, Justin a fait une confusion avec ce nom d'Andragoras (var. Mandragoras). Il dit ailleurs (XII, 4), à propos d'Alexandre : Parthis domitis præfectus ex nobilibus Persarum Andragoras statuitur, unde postea originem Parthorum reges habuere, assertion qui, pour le fond, se rapproche de ce qui sera exposé à la note suivante. Mais Andragoras n'est pas un nom perse, et le satrape nommé par Alexandre a été d'abord Amminapès, puis Phratapherne. En tout cas, il ne faut pas tenir grand compte de ce satrape syrien Andragoras, et surtout il ne faudrait pas conclure du Parthis domitis à une lutte d'Alexandre contre les Parthes, à une tentative de défection de leur part. Justin dit lui-même (XLI, 4, 2) : post hunc (Alexandrum) a Nicatore Seleuco et mox ab Antiocho et successoribus ejus possessi, a cujus pronepote Seleuco primum defecere primo Punico bello.

[118] Cf. ARRIAN ap. PHOT. cod. 58 [p. 248 ap. Müller]. C'est un renseignement généalogique qui n'est rien moins que clair. Le nom de Phriapitès (Phriapatius dans Justin, XLI, 5, 8) n'est pas non plus devenu plus intelligible pour avoir été rapproché par RAOUL-ROCHETTE d'Artémis Πριαπίνη (Journal des Savants, 1834, p. 334). Que cette généalogie soit exacte, ou qu'elle ait été fabriquée dans l'intérêt de l'occupation persane, comme l'avait été jadis celle des Grands-Rois de Perse, qui se disaient apparentés aux Mèdes, on se demande si elle s'applique à l'Arsace qui porta comme roi le nom d'Artaxerxès II, et la chose est au moins douteuse. LASSEN (II2, p. 297) dit : La meilleure interprétation d'Arrien serait peut-être : descendants de Phriapitès, le fils d'Arsace. Le nom s'écrit en zend Friyapaitis, c'est-à-dire Φιλοπάτωρ ; le deuxième roi des Parthes s'appelle Phriapatius. C'est plutôt le quatrième Arsacide ; les monnaies qui lui sont attribuées ont comme légende, au droit : ΜΕΓΑΛΟΥ ΒΑΣΙΛΕΩΣ et au revers ΦΙΛΑΔΕΛΦΟΥ ΑΡΣΑΚΟΥ. Quant à Artaxerxès II, son nom antérieur était Όάρτης d'après Dinon, Άρσίκας suivant d'autres (PLUTARQUE, Artax., 1).

[119] SYNCELL., p. 539 éd. Bonn. D'où le bon moine Georges tire-t-il son Agathoclès, on ne peut plus le deviner. Il n'est guère probable que ce soit d'Arrien, à moins d'admettre que cet auteur, après avoir donné la version principale, celle qu'a citée le docte patriarche, a mis à la suite cette  seconde assertion, comme il le fait si souvent dans l'Anabase, en employant la formule λέγεται δέ καί τοιόςδε λόγος ou quelque chose de semblable. Le titre d'épargne est usité dans l'empire des Séleucides ; mais il faudrait examiner si ή Περσική désigne la satrapie de Perse (POLYB., V, 40, 7) ou une circonscription plus grande, qui aurait compris également la Parthyène, comme on voit plus tard le second Achæos obtenir τήν έπί τάδε τοΰ Ταύρου δυναστείαν (POLYB., ibid.).

[120] Cette tradition se trouvait déjà dans Arrien : on le voit par l'extrait de Photius : τό Πάρθων γένος Σκυθικόν. Au rapport de Malalas (II, p. 28 éd. Bonn. Cf. SUIDAS, s. v. Σώστρις. CEDREN., p. 36 éd. Bonn.), Sésostris avait installé comme colons 15.000 Scythes. Cf. Justin (XLI, 1) et Strabon (XI, p. 515). On trouvera discutée à fond la question de nom dans le mémoire d'OLSHAUSEN, dont une partie a été lue à l'Académie de Berlin.

[121] JUSTIN, XLI, 2, 3.

[122] ISID. CHARAC. Isidore en parle à propos de la ville qu'il appelle Sauloé. On imprime aujourd'hui : ής αύλών Παρθκύνισσα : c'est un mot qui doit signifier la Nissa des Parthes.

[123] JUSTIN, XLI, 1, 10.

[124] STRABON, XI, p. 515.

[125] STRABON, XI, p. 515.

[126] Dans les éditions de Justin (XLI, 4, 3) on lit M. Atilio Regulo, qui a été consul en 256 ; mais dans plusieurs manuscrits l'M manque, de sorte qu'on ne sait pas au juste s'il ne s'agirait pas de C. Atilius Regulus. qui fut consul en 250 avec ce même Manlius. Comme Justin dit ici primum defecere, l'assertion de Moïse de Chorène (II, 1), à savoir que Séleucos vainquit les Parthes dans une grande guerre et reçut pour ce fait le nom de Nicator, doit être une explication improvisée à la mode orientale.

[127] Apollodoros, originaire lui-même du royaume parthe, avait parlé dans son Histoire Parthique des mille cités du roi Eucratidas (STRAB., XV, p. 686).

[128] APPIAN., Syr., 65.

[129] SYNCELL., I, p. 539. Dans la liste des vainqueurs aux Jeux Olympiques que donne l'Eusèbe arménien (I, p. 207, 25 éd. Schœne), la défection des Parthes est marquée à Ol. CXXXIII ; S. Jérôme (ibid., II, p. 121) la place en Ol. CXXXIII, 1, et le Canon d'Eusèbe (ibid., II, p. 120) en Ol. CXXXII, 3.

[130] Je passe à dessein sous silence les nombreuses données chronologiques qu'on rencontre encore de côté et d'autre et qui ont été rassemblées par RICHTER (Ueber die Arsaciden- und Sessanidendynastie, p. 21) : la tradition ancienne que nous avons suivie rectifie suffisamment les indications d'Agathias (p. 121 éd. Bonn.), de Moïse de Chorène et des Orientaux d'époque plus récente. J'avais ajouté ici, dans la première édition, que la prétendue ère des Arsacides, comme tout le monde le reconnaît aujourd'hui, est une méprise de VAILLANT. Depuis, en 1865, B. KÖHNE (dans les Blättern für Münz- und Siegelkunde, II, p. 272) a publié un tétradrachme d'Arsace XVI avec l'effigie de ce roi et de son épouse, sur lequel il a trouvé la double date 315 et 280 ; il en a conclu qu'il s'agissait de deux ères, celle des Séleucides, qui commence en 312 avant J.-C. et celle des Parthes, qui commencerait par conséquent en 277 avant J.-C. LONGPÉRIER (Revue Numism., 1868, p. 21 sqq.) a démontré que ces prétendus chiffres avaient été mal lus et que les meilleurs spécimens de cette médaille portent des mots au lieu de chiffres. Peu de temps après, G. SMITH (Assyrien Discoveries, p. 389) a fait connaître une tablette d'argile babylonienne avec caractères cunéiformes, sur laquelle il trouve côte à côte une date parthique et une autre de style séleucidien. This date is written : Month.... 23rd day, 141th year, which is called the 208th year, Arsaces king of kings. Suivant lui, ce document de l'an 105 avant J.-C. prouverait que la première année de l'ère parthique coïncide avec l'an 65 de l'ère des Séleucides, année qui commence en octobre 248. Si SMITH est sûr de sa lecture, on aurait là cette ère des Arsacides que l'on cherche ; mais elle commencerait 2 ans plus tard que ne le font supposer les données des chronographes, c'est-à-dire en automne 248, au commencement de Ol. CXXXIII, 1, au lieu de l'automne 250, commencement de Ol. CXXXII, 3.

[131] L'existence de Diodotos II est attestée par Justin (XLI, 4, 5). On n'a pas encore signalé de ses monnaies. Celles que CUNNINGHAM lui attribue sont exactement pareilles à celles de son père, si ce n'est qu'à côté de Zeus Promachos on voit uns petite couronne et un fer de lance. (D'après SALLET [op. cit., p. 88], la pièce a été frappée avec un coin moderne ). Sans autre preuve que cette distinction, CUNNINGHAM attribue à Diodotos II le surnom de Soter, qui, comme on le verra plus loin, appartient de toute nécessité à son père. La liste des ateliers monétaires dressée par EDW. THOMAS et CUNNINGHAM pour les monnaies indo-bactriennes, d'après l'interprétation des monogrammes, parait encore bien plus suspecte que celle qu'on a faite pour les monnaies d'Alexandre, car, pour celles-ci du moins, on a trouvé des points de repère assurés.

[132] LASSEN (Zur Geschichte der griechischen und indoskythischen Königs, p. 222) pensait qu'Euthydémos avait dû être satrape d'Arie et de Margiane. Le fait qu'Euthydémos, à l'approche d'Antiochos le Grand, met une armée en ligne sur le fleuve d'Arie ne prouve pas cela ; il indique simplement qu'a l'époque son domaine s'étendait jusque-là. Ce qui me décide à proposer la conjecture ci-dessus énoncée, ce sont deux assertions de Strabon (XI, p. 515 et p. 517). En tout cas, si les Parnes quittèrent leur habitat sur les bords de l'Ochos parce qu'ils voyaient grandir d'une façon menaçante la puissance non pas d'Euthydémos, mais de Diodotos, c'est que la puissance de Diodotos s'étendait jusqu'à l'Ochos, c'est-à-dire, par delà la Margiane ; donc Euthydémos, à supposer qu'il fût satrape quelque part dans ces régions, n'était pas en Margiane.

[133] Sur Démodamas, et non pas Démonax, voyez PLINE, VI, 16, § 49. SOLIN, 49. STEPH. BYZ., s. v. Άντισσα. Pline dit de l'Iaxarte : transcendit cum amnem Démodamas, Seleuci et Antiochi regum dux, quem maxime sequimur in his, arasque Apollini Didymæo statuit.

[134] D'après Clément d'Alexandrie (Protrept., p. 57 éd. Pott), l'image de cette Aphrodite était exposée et adorée depuis le temps d'Artaxerxès II dans différentes grandes villes de l'empire, et aussi έν Βάκτροις.

[135] CUNNINGHAM dans la Num. Chronicle, VIII [1868], p. 283, pl. X, 8.

[136] CUNNINGHAM, Num. Chron., VIII [1868], p. 283, pl. X, 6.

[137] CUNNINGHAM, Num. Chron., VIII [1868], p. 278, pl. VIII, n° 6. De ce que la médaille porte l'image de Poséidon, conclure à une victoire remportée sur mer, dans la Caspienne, par exemple, est une conjecture assez peu en situation ; on est encore moins en droit d'inférer de là qu'Antimachos a été satrape de Sogdiane, et que la Sogdiane employait aussi les caractères ariens.

[138] CUNNINGHAM, Num. Chron., VIII [1868], p. 278, pl. VIII, n° 5. D'autres monnaies (CUNNINGHAM, Num. Chron., 1869, p. 297), c'est-à-dire des demi-drachmes et des pièces de cuivre, portent l'inscription grecque ΒΑΣΙΛΕΟΣ ΝΙΚΗΦΟΡΟΥ ΑΝΤΙΜΑΧΟΥ et la traduction arienne Maharajasa jagadharasa Antimakhasa : CUNNINGHAM les attribue, avec raison probablement, à un Antimachos II qui pourrait bien être, suivant lui, le petit fils du premier.

[139] CUNNINGHAM, Num. Chron., VIII [1868], pl. X, n° 1, 2, 3.

[140] J. Malalas (p. 299 éd. Bonn.) fait régner après Séleucos Callinicos Άλέξανδρος ό Νικάτωρ έτη λϚ'. Ce nombre est celui des années du règne d'Antiochos III, qui, dans la liste sacerdotale du C. I. Græc., III, n° 4458, porte le titre de 4 : le nom d'Alexandre est celui que porta son prédécesseur Séleucos Soter ou Céraunos, à partir de son avènement. Matelas a résumé sans réflexion les renseignements qu'il avait sous les yeux, de telle sorte qu'il n'a laissé de ce Séleucos que son premier nom Alexandre, et lui a adjugé le surnom et les années de règne de son successeur Antiochos III.

[141] L'ouvrage susmentionné de VON SALLET va à l'encontre des idées exposées dans le texte ; pour lui, les monnaies avec la légende ΒΑΣΙΛΕΥΟΝΤΟΣ, qui portent au droit le nom de Diodotos Soter ou Euthydémos Théos sont des monnaies ancestrales ; les rois Antimachos et Agathoclès seraient l'un le premier fondateur, l'autre le restaurateur de l'empire bactrien.

[142] PTOLÉMÉE, VII, 1.

[143] AL-BÎROUNÎ, Chronologie des peuples orientaux, publiée par E. SACHAU, p. 112 sqq. OLSHAUSEN a eu la bonté de me traduire le passage. Il explique le qualificatif Moloûk-at-tavâ'if par princes de tribus régionales, qui portaient le titre de rois.

[144] OLSHAUSEN fait observer que ce titre n'est pas encore expliqué. Y aurait-il quelque généalogie analogue dans la phrase déjà citée d'Arrien : Άρσάκης καί Τηριδάτης άδελφώ Άρσακίδαι, τοΰ νίοΰ Άρσάκου τοΰ Φριαπίτου άπόγονοι ? ou faudrait-il peut-être compléter le texte comme il suit : Άρσακίδαι [Άρσάκου] τοΰ νίοΰ, etc., de sorte que la généalogie de ces frères remonterait jusqu'à leur bisaïeul, ce qui ramènerait non pas à Kava-Ouç, mais à Franghragian (Afrasiab), le descendant de Tour, et donnerait ainsi l'explication de Φριαπίτου ? SACHAU, à qui j'ai posé cette question, ne croit pas qu'il y ait rien de commun entre les deux noms.