HISTOIRE DE L'HELLÉNISME

TOME TROISIÈME. — HISTOIRE DES SUCCESSEURS D'ALEXANDRE (ÉPIGONES)

LIVRE PREMIER. — CHAPITRE DEUXIÈME (280-275).

 

 

Tarente et la coalition des Italiens. — Victoires de Rome. — Tarente négocie avec Pyrrhos. — Arrivée de Pyrrhos en Italie. — Première année de la guerre. — Victoire d'Héraclée. — Pyrrhos devant Rome. — Retraite. — Négociations. — Deuxième année de la guerre. — Bataille d'Ausculum. — La Sicile et les Carthaginois. — Pyrrhos en Sicile. — Siège de Lilybée. — Sédition. — Retour de Pyrrhos. — Bataille de Bénévent. — Rentrée de Pyrrhos en Épire. — Romains et Carthaginois devant Tarente. — Toute l'Italie devient romaine.

La coalition que les meneurs populaires de Tarente avaient formée contre Rome comprenait les peuples les plus belliqueux de l'Italie, les ennemis les plus acharnés de la république. C'étaient des alliés qui avaient fait défection, qui avaient éprouvé déjà la dureté de la domination romaine, qui devaient redouter le sort le plus ignominieux s'ils combattaient sans vaincre : il y avait là de quoi les disposer aux plus grands efforts, à la circonspection la plus mesurée, à l'accord dans toutes les dispositions à prendre. En réalité, si toutes les forces se réunissaient pour porter coup en même temps, Rome pouvait s'attendre aux pires extrémités.

C'est, à ce qu'il semble, par l'emprisonnement des ambassadeurs romains que les Lucaniens avaient ouvert les hostilités. Les Romains se hâtèrent de venger l'affront fait à leurs ambassadeurs, de porter secours aux Thuriens[1]. Alors les villes méridionales de l'Étrurie, Volsinies à leur tête, se soulevèrent ; les Ombriens se joignirent à elles ; de chez les Gaulois Sennonais, qui pourtant étaient liés à Rome par un traité, il vint une foule de gens de guerre leur prêter main-forte à titre de mercenaires[2]. Ils marchèrent sur Arretium, et firent le siège de la ville, qui tenait fidèlement pour les Romains. Les Romains dépêchèrent le préteur L. Cæcilius Metellus pour la débloquer, ce qui prouve que les légions consulaires étaient déjà occupées d'un autre côté ; les Brettiens aussi et les Samnites se sont probablement soulevés en même temps que les Lucaniens[3]. Toute l'Italie était en armes. Le premier grand coup fut frappé devant Arretium ; le préteur fut complètement battu ; lui-même, sept tribuns et plus de 13.000 hommes y trouvèrent la mort[4]. Pour remplacer Metellus, on délégua comme préteur M'. Curius. Celui-ci envoya une ambassade aux Gaulois pour demander la mise en liberté des prisonniers, peut-être pour se plaindre en même temps de l'appui que les Sen-nouais, malgré leur alliance avec Rome, prêtaient à ses ennemis. Mais, à l'instigation de Britomaris, dont le père avait succombé en Étrurie, ils mirent à mort les députés et coupèrent en morceaux leurs cadavres[5]. Déjà le consul P. Cornelius Dolabella (283) était en route pour l'Étrurie ; à la nouvelle de ce massacre effroyable, il laissa les Étrusques, traversa à marches forcées le territoire des Sabins et des Picentins, se jeta sur le pays sennonais, dont les défenseurs étaient pour la plupart en Étrurie : ceux qui étaient restés dans leurs foyers furent aisément vaincus ; il n'accorda la vie qu'aux femmes et aux enfants pour les réduire en esclavage ; les villages furent mis à sac et réduits en cendres ; toute la moisson fut détruite ; on voulait que le pays fût rendu à jamais inhabitable Pour garder le désert, on fonda sur la côte la colonie de Sena[6].

Ainsi fut anéanti le peuple des Sennons qui, cent ans auparavant, avait pris Rome ; mais, de cette race, il restait encore des milliers d'hommes en état de porter les armes, maintenant sans foyer, sans avoir, sans femme ni enfant, unis aux Étrusques. Un nouveau et formidable renfort vint se joindre à eux. Les Boïens, qui habitaient au nord du pays sennonais, se sentirent menacés du sort qu'avaient subi leurs voisins ; le ban et l'arrière-ban de leurs forces réunies passa en toute hâte les Apennins pour se joindre aux Étrusques et aux Sennons ; ces armées marchèrent directement sur Rome. Déjà ils étaient arrivés au lac Vadimon ; là une armée consulaire alla à leur rencontre et les défit complètement. Ce fut une bataille d'extermination : la plupart des Étrusques furent tués ; des Boïens, un petit nombre seulement échappa ; les Sennons qui n'avaient pas succombé dans la bataille se donnèrent eux-mêmes la mort[7].

Que se passa-t-il du côté du Sud, pendant les victoires décisives de cette année sur les Étrusques et les Gaulois (283), nous l'ignorons ; rien de bien important sans doute, puisqu'on avait à faire tousses efforts pour se garder des redoutables Gaulois[8]. L'année suivante, nous trouvons les Lucaniens et les Brettiens réunis et faisant le siège de Thurii. Les Étrusques aussi et les Boïens avaient redoublé d'efforts pour s'armer après la défaite du lac de Vadimon ; tous les Boïens, même ceux qui arrivaient à peine à l'âge d'homme, partirent pour combattre les Romains. Le consul Q. Æmilius Pappus se tourna contre eux, pendant que son collègue C. Fabricius Luscinus se mettait en campagne pour délivrer Thurii.

Æmilius alla au-devant des ennemis jusqu'à Populonia ; quand il voulut descendre de la hauteur dans la plaine, il reconnut, en voyant des bandes d'oiseaux s'envoler de la forêt, qu'il devait s'y passer quelque chose ; les éclaireurs qu'on envoya annoncèrent que les Boïens s'y tenaient en embuscade. Alors il tourna la position ; les ennemis furent enveloppés et vaincus. Après cette défaite, les Boïens demandèrent la paix. Les Romains jugèrent qu'aller leur faire la guerre chez eux, de l'autre côté de l'Apennin, c'était s'aventurer trop loin pour le moment ; ils se contentèrent d'avoir enlevé cet appui aux Étrusques. On accorda la paix aux Boïens. Les Étrusques demeurèrent seuls en armes dans le Nord[9].

Pendant ce temps, Fabricius aussi avait combattu avec succès dans le Sud. A la vérité, ses légions hésitèrent, paraît-il, à attaquer les forces supérieures des Lucaniens et des Brettiens, qui se tenaient en ordre de bataille devant leur camp retranché. Alors, dit-on, un jeune homme de taille gigantesque était apparu au milieu d'eux ; il avait saisi une échelle, couru aux retranchements à travers les ennemis, les avait franchis, et, d'une voix tonnante, avait appelé les Romains : les Romains s'étaient alors précipités avec une furie sauvage sur les ennemis découragés ; 20.000 ennemis avaient été tués, 5.000 faits prisonniers avec leur général Statilius. Le lendemain, jour de la distribution des récompenses, ce brave ne s'étant pas présenté pour recevoir la couronne murale, on avait reconnu que c'était le Père Mars qui avait conduit l'armée à la victoire, et le général avait ordonné qu'on lui fit une supplication solennelle[10]. En tout, cas, Thurii fut délivrée ; il existait encore, longtemps après, une statue de Fabricius, que les Thuriens lui avaient dédiée par reconnaissance et qui attestait cette victoire[11]. D'autres victoires sur les Lucaniens, les Brettiens, les Samnites, suivirent ce coup décisif : beaucoup de villes furent prises et détruites, beaucoup de territoires saccagés, et l'on fit un si riche butin que l'on put rembourser aux citoyens le tribut de cette année et verser 400 talents dans l'ærarium[12].

Si formidable qu'eût été cette coalition des peuples italiques soulevés de toutes parts contre Rome, elle était maintenant dispersée : il y avait bien encore les Étrusques qui restaient en armes, mais privés du secours des Gaulois ; les Romains avaient étendu leur territoire jusqu'à l'Adriatique, fondé Sena ; le Nord et le Sud de l'Italie étaient séparés. La campagne heureuse de Fabricius avait rompu la barrière de peuples qui séparait le territoire romain de la mer de Tarente ; s'il n'avait pas entièrement dompté les Samnites, Lucaniens et Brettiens, du moins il les avait affaiblis par des batailles répétées et des dévastations, et on avait laissé une garnison à Thurii sur la mer de Tarente. Thurii devait devenir au Sud ce que Sena était au Nord.

Tarente avait laissé les choses en venir à ce point ; les succès de Rome commençaient à devenir menaçants pour la cité elle-même. Déjà une flotte de dix vaisseaux romains, sous le commandement du duumvir C. Cornelius[13], se trouvait dans le golfe de Tarente ; elle avait fait voile malgré les traités au delà du promontoire lacinien : elle parut même devant Tarente et jeta l'ancre en face de la ville[14]. Ceci se passait au moment des Dionysies, alors que le peuple était rassemblé au théâtre, d'où la vue s'étendait sur le port[15]. Était-il admissible que la flotte fût venue sans arrière-pensée, ou Rome avait-elle des intelligences secrètes dans la ville ? Y avait-il dans la place un parti qui, ennemi de la démocratie, voulait livrer la ville aux Romains, comme cela s'était vu déjà dans tant de villes grecques, et tout récemment encore à Thurii ? La tradition romaine dit que le démagogue Philocharis saisit cette occasion pour jeter le peuple dans un accès de rage furieuse : ivre de colère et de vin, la foule se rua vers le port et monta sur les vaisseaux : la flotte romaine, qui ne s'était pas préparée pour une telle attaque, chercha à gagner la haute mer ; cinq vaisseaux échappèrent ; les autres furent cernés, quatre coulés à fond, un pris à l'abordage ; le duumvir se noya, avec beaucoup d'autres ; les capitaines des navires et les soldats faits prisonniers furent mis à mort, les rameurs réduits en esclavage : Cette conduite peut bien avoir été un coup de tête, mais la démarche de la flotte romaine n'était-elle pas la plus brutale infraction aux traités, la plus insolente manifestation de prétentions despotiques à l'égard de l'État libre de Tarente ? Devait-on attendre ce que ces Romains, qui déjà s'étaient solidement établis à Thurii, avaient dessein d'entreprendre sur Tarente ? On était vraiment en droit d'agir immédiatement comme en présence d'une agression hostile, et de considérer la paix avec Rome comme rompue[16]. On alla plus loin dans ce sens ; des forces furent envoyées à Thurii : la garnison romaine capitula avec promesse de libre retraite. On décida de punir sévèrement les habitants : c'était trahison à eux, des Grecs, d'avoir eu recours à Rome et d'avoir par là donné occasion aux Romains de se montrer dans les eaux de cette région[17] ; les notables furent bannis, la ville livrée au pillage.

Rome n'a pas dû s'attendre à cette volte-face énergique ; elle perdait d'un seul coup tout le fruit de la campagne précédente et un point d'appui important dans le sud de l'Italie : les Lucaniens, Samnites et Brettiens étaient libres sur leurs derrières, et l'adhésion de Tarente à la guerre était à prévoir ; les grandes ressources de cette opulente ville grecque devaient donner à l'animosité de ces peuples si durement éprouvés de nouvelles espérances, et, dans le Nord, les Étrusques résistaient toujours. Il fallait à tout prix détourner encore Tarente de prendre en ce moment part à la guerre. Si irrité que l'on fût à Rome, on ne déclara pas immédiatement la guerre ; on se contenta d'exiger que les prisonniers fussent rendus, qu'on laissât rentrer les Thuriens exilés, que l'on réparât le dommage fait à la ville, et que les instigateurs de l'entreprise fussent livrés sur les vaisseaux romains : on envoya pour porter cette déclaration une ambassade dont le chef était L. Postumius.

Mais, à Tarente, on était loin de se repentir de ce qui était arrivé ou de redouter une guerre. Il se passa du temps avant que les députés obtinssent la permission de répéter leurs propositions devant le peuple : ils l'obtinrent, on le. comprend, car les amis de la paix auront fait dans la ville les derniers efforts pour ramener encore le peuple à résipiscence ; s'ils y réussissaient, le rôle des meneurs populaires était fini et le gouvernail passait entre leurs mains. Selon la tradition romaine, c'était, de nouveau, jour de fête ; la foule était rassemblée au théâtre : quand ces Romains à mine austère parurent dans leurs toges bordées de pourpre, ils furent accueillis par de grossiers éclats de rire. L'hilarité reprenait toutes les fois que Postumius, qui avait la parole, laissait échapper quelque terme impropre dans son grec ; on les appela Barbares ; on leur cria de quitter l'assemblée, et, comme ils s'engageaient dans l'allée qui menait hors de l'orchestre, un mauvais plaisant appelé Philonide, ivre encore du festin de la veille, s'approcha de Postumius et souilla son vêtement de la façon la plus ignoble[18]. Et le peuple de rire, de battre des mains, pendant que Postumius, avec une solennité toute romaine, disait à Philonide : Nous acceptons le présage ; vous nous donnez ce que nous n'avons pas demandé. Puis il leva en l'air le vêtement souillé, le montra au peuple, et, comme la risée et les cris d'applaudissement éclataient de plus belle, il dit : Riez, Tarentins, tandis que vous le pouvez encore ; vous pleurerez assez longtemps après ; et comme on proférait des menaces contre lui, il ajouta : Pour exciter davantage encore votre bile, nous vous déclarons que, ce vêtement-là, vous le laverez avec beaucoup de sang.

Il y a de cet événement une autre relation moins dramatique, mais peut-être plus ; conforme à la situation. Quand les députés furent introduits au théâtre, ils essuyèrent aussi, entre autres avanies, l'outrage en question, mais, pour éviter de s'écarter en rien de leurs instructions qui devaient leur avoir recommandé une extrême modération, ils ne dirent pas un mot de l'affront et se contentèrent de faire connaître l'objet de leur mission[19]. En tout cas, l'opinion à Tarente était résolument hostile aux Romains ; quant à leurs propositions, on ordonna aux ambassadeurs, pour toute réponse, de quitter sur-le-champ la ville, et ils s'embarquèrent[20].

Ils arrivèrent à Rome peu de temps après que les consuls Æmilius Barbula et Q. Marcius Philippus étaient entrés en fonctions (avril 281) : ils rapportèrent l'outrage qu'ils avaient essuyé ; Postumius montra sa toge souillée. On était assez enclin à la vengeance ; mais, dans la situation difficile où l'on se trouvait, on avait cherché à prévenir une guerre avec Tarente : l'entreprendre on ce moment dut paraître dangereux au dernier point. Le Sénat s'assembla durant plusieurs jours pour délibérer : les uns disaient qu'il fallait différer la guerre avec Tarente jusqu'à ce que les autres peuples, ou du moins les peuples tout voisins de Tarente, Samnites et Lucaniens, fussent mis à la raison ; les autres exigeaient que Tarente fût attaquée sur-le-champ et avec toute vigueur. On s'arrêta enfin à la résolution suivante :pendant que le consul Marcius marcherait sur l'Étrurie, Æmilius, au lieu d'attaquer le Samnium, se dirigerait vers le territoire de Tarente ; il renouvellerait les propositions de paix des ambassadeurs, et, si elles étaient de nouveau repoussées-, il commencerait aussitôt énergiquement la guerre[21].

L'arrivée d'Æmilius sur le territoire tarentin dut refroidir quelque peu l'ardeur présomptueuse de l'opulente cité ; le renouvellement des offres romaines donna lieu à des délibérations plus calmes. Sans doute, c'était trois ou quatre ans auparavant, quand la coalition dès peuples italiens et gaulois s'était levée contre Rome dans la plénitude de sa force, qu'il aurait fallu engager cette guerre ; maintenant, les Sennons étant exterminés, les Boïens contraints à la paix, les peuples voisins affaiblis par des défaites répétées, la jonction immédiate avec les Étrusques, qui seuls résistaient encore avec énergie, étant impossible, on ne pourrait faire la guerre qu'au prix de bien autres sacrifices et avec des chances moindres. Des voix s'élevèrent aussi pour demander qu'on obtempérât aux réclamations des Romains, lesquelles paraissaient, en définitive, assez mesurées : on comprend que les vieillards et les riches désirassent maintenir la paix[22]. Mais on objectait avec une parfaite justesse que livrer des citoyens pour qu'ils fussent châtiés par les Romains, c'était déjà témoigner qu'on reconnaissait leur suprématie[23] ; les Tarentins devaient voir que, faire droit aux réclamations des Romains, c'était s'assurer la paix pour l'instant seulement ; que les Romains ne cherchaient qu'à gagner du temps, afin de soumettre entièrement les peuples voisins et d'accabler ensuite Tarente isolée, et cela d'autant plus sûrement que l'occasion présente était le dernier moment favorable pour résister aux empiétements de la domination romaine. Mais aussi il fallait mener la guerre avec toute la vigueur possible : il ne suffisait pas d'armer le peuple et de le mener au combat ; on devait prendre à solde un général éprouvé avec son armée, et lui confier au nom de la ville la conduite de la guerre. On ne pouvait choisir d'homme plus qualifié pour ce rôle que Pyrrhos ; il était connu entre tous les Hellènes comme le plus vaillant et le plus heureux des capitaines ; précisément alors, il était libre. Seulement, on devait savoir aussi que Pyrrhos n'avait pas seulement combattu maintes fois déjà pour la possession de la Macédoine, mais qu'il avait déjà fait une fois ses préparatifs pour tourner ses conquêtes vers l'Occident : si l'on appelait ce prince puissant, avide de conquêtes, il était à craindre qu'il ne voulût mettre à profit cette occasion pour se créer un royaume en Italie, et c'en serait fait de l'indépendance de Tarente. Dans les délibérations, ces appréhensions furent exprimées par les gens sensés ; mais le parti qui voulait la guerre couvrit leur voix de ses clameurs ; ils quittèrent l'assemblée. Pourtant, le jour du vote décisif, l'un d'eux, Méton, fit une tentative qui, si la relation est exacte, nous donne une idée de l'état de démoralisation du peuple tarentin. Avec l'allure d'un homme ivre, entouré de compagnons de débauche, précédé d'une joueuse de flûte, une couronne en tête et la torche à la main, feignant de revenir d'un festin nocturne, il vint au théâtre où l'assemblée se tenait. Il est accueilli par une acclamation générale : on exige qu'il s'avance au milieu de tous, et qu'il chante avec accompagnement de flûte. Quand on eut fait silence, il dit : Gens de Tarente, vous faites bien de ne pas empêcher qui se plaît à la ripaille et à la débauche, pendant qu'on le peut encore ; si vous êtes sages, vous en ferez tous autant, car ce sera tout autre chose quand vous aurez pris un roi et une garnison dans votre ville ; alors vous serez tous esclaves. Ses paroles firent une profonde impression ; il courut un murmure dans l'assemblée : Méton avait bien parlé ; on lui demanda de continuer, et, tout en simulant l'ivresse, il continua d'énumérer les maux que la guerre leur apporterait. Déjà on pouvait appréhender la décision du peuple : si l'on n'appelait pas Pyrrhos, la paix avec Rome était inévitable ; Philocharis et ses amis seraient alors livrés. Ils se hâtèrent de prévenir le revirement de la foule ; ils gourmandèrent le peuple, lui reprochant de se laisser si impudemment insulter par un homme ivre ; ils saisirent Méton et ses compagnons et les traînèrent dehors. Alors le peuple vota et décréta qu'on appellerait le roi[24]. Sur-le-champ les Tarentins envoyèrent des ambassadeurs en Épire, et, outre les leurs, ceux des autres cités grecques ; Rhégion seule s'était tournée vers les Romains. La ligue des Italiotes subsistait donc encore[25] ? N'était-ce pas peut-être au nom de cette association que l'on justifiait l'occupation de Thurii ? Évidemment on dut penser tout de suite que la Grèce d'Italie allait combattre contre les Barbares romains ; déjà l'idée de l'origine troyenne de Rome était familière aux Grecs, et Pyrrhos, le successeur d'Achille, pouvait paraître plus qualifié que personne pour faire cette nouvelle guerre de Troie[26] ; du moins on pouvait se servir de cela comme d'un bon présage, et c'était matière à beaux discours. Outre les Grecs confédérés es les Brettiens, Lucaniens, Samnites, encore engagés dans la lutte, les Messapiens[27] entrèrent dans la ligue, de même les Salentins[28], que l'on considérait, à cette époque du moins, comme des demi-Grecs[29]. En présence aune coalition si étendue, la déclaration des ambassadeurs à Pyrrhos, à savoir qu'on pouvait mettre sur pied en Italie 20.000 cavaliers et 350.000 fantassins, paraît à peine exagérée[30]. Ce dont on a besoin, disaient-ils, c'est un général habile et renommé.

Tournons nos regards vers l'Épire. Il y avait peu d'années que Pyrrhos, avec les rois de Thrace, d'Asie, d'Égypte pour alliés, avait vaincu le roi Démétrios et occupé la Macédoine et la Thessalie ; bientôt Lysimaque lui avait arraché cette conquête. Déjà commençait ce conflit entre Lysimaque et Séleucos de Syrie qui, après la mort de Ptolémée Ier (283), éclata en hostilités déclarées. Pyrrhos dut être l'allié de Séleucos ; a-t-il, lors de la pointe poussée par celui-ci en Asie-Mineure, fait un mouvement correspondant, peut-être contre la Thessalie[31], c'est ce que les textes ne nous disent pas. Dans l'été de 281, Lysimaque marchait à la bataille de Coroupédion. C'est avant la bataille que la députation des Italiotes a dû arriver auprès de Pyrrhos. Un renseignement isolé nous donne lieu de penser qu'il repoussa les premières propositions[32]. Tant que la guerre d'Asie n'était pas encore résolue d'une manière décisive, il lui était impossible de songer à s'éloigner de l'Épire.

Pendant ce temps, le consul Æmilius avait commencé les hostilités avec vigueur ; il ravageait le pays découvert ; les Tarentins se risquèrent à aller lui présenter la bataille. Ils furent battus : le consul dévasta et pilla sans obstacles le pays ; il s'empara de plusieurs places fortes. En même temps, à ce qu'il paraît, d'autres armées romaines pressaient vivement les Samnites et les Lucaniens[33] ; partout les armes romaines eurent l'avantage. Tarente décida de faire une nouvelle tentative auprès de l'Épire ; une seconde ambassade partit, qui devait négocier aussi au nom des Samnites et des Lucaniens : on n'avait probablement pas grand espoir de réussir mieux. Pendant ce temps, le consul continuait ses ravages, traînait de partout avec lui butin et prisonniers ; mais il traitait les prisonniers avec une singulière douceur, et il relâchait sans rançon les notables : on pensait qu'il était temps encore, et que cette douceur d'une part, l'effroi de l'autre, décideraient la ville à traiter. Les mesures du consul produisirent de l'effet ; déjà les Tarentins choisissaient Agis, qui était connu comme ami des Romains, pour stratège avec des pouvoirs illimités[34]. C'est alors que vint de l'Épire un message favorable et du secours[35].

Séleucos avait était vainqueur à Coroupédion ; partout dans les villes les Séleucizontes relevaient la tête. Quand il eut cédé à son fils Antiochos les pays asiatiques, quand il eut déclaré qu'il voulait prendre lui-même le diadème de la Macédoine, son pays natal, la Macédoine dut se tourner avec une joie confiante vers le vieux héros. Pyrrhos ne pouvait plus espérer de reconquérir la Macédoine et d'acquérir par là, vis-à-vis de l'Orient, une position qui répondit à sa soif d'activité et à sa renommée ; il lui fallut chercher un nouveau terrain pour ses armes. Que pouvait-il y avoir pour lui de plus opportun que cette guerre en Italie ? C'est de ce côté que l'appelait le souvenir d'Alexandre le Molosse ; là il se présentait comme le défenseur de la race grecque contre les Barbares, lui, le successeur d'Achille, contre les descendants d'Ilion ; l'approbation de tous les Hellènes devait accompagner ses armes ; là il trouverait ces Romains dont la bravoure et la réputation militaire étaient telles qu'il valait la peine de les vaincre. Une fois qu'il aurait soumis l'Italie, l'opulente Sicile lui revenait de droit, et avec la Sicile le fameux plan d'Agathocle, le triomphe facile sur Carthage, la domination sur la vaste Libye. De si grandes vues, une telle domination dans l'Occident pouvaient lui paraître un ample dédommagement pour la perte de ses espérances en Orient[36]. Il accepta donc l'invitation des Tarentins ; mais ce ne fut pas, ainsi que l'avait demandé leur première ambassade, comme général seulement, sans ses troupes, qu'il voulut venir. Les Tarentins, dans leur détresse, ont sans doute consenti volontiers aux conditions que le roi dut imposer pour s'assurer le succès, celles-ci notamment : il pourrait amener de ses troupes ce qui lui paraîtrait nécessaire ; Tarente enverrait des vaisseaux pour le transport, l'élirait stratège avec pleins pouvoirs ; la ville recevrait une garnison de troupes épirotes[37] ; il fut ajouté cette stipulation, que le roi ne resterait pas en Italie plus longtemps qu'il ne serait nécessaire[38], afin de dissiper les craintes qu'on pourrait concevoir pour l'autonomie de la république. Pyrrhos expédia à Tarente avec ce message le Thessalien Cinéas, en lui adjoignant quelques-uns des ambassadeurs qu'on lui avait envoyés ; il garda les autres, sous prétexte de recourir à leur assistance pour les préparatifs ultérieurs, mais en réalité afin de s'en faire des otages et de s'assurer par ce moyen de l'exécution des clauses consenties par les Tarentins.

Toute inquiétude, toute tendance à la paix s'évanouit à l'arrivée de Cinéas ; Agis fut destitué de sa stratégie, et un des ambassadeurs élu à sa place. Déjà Milon[39] arrivait aussi, avec 3.000 Épirotes : on leur confia la citadelle de la ville ; ils se chargèrent d'occuper les remparts ; les Tarentins se réjouissaient d'être délivrés du service pénible de la garde et supportaient volontiers les frais d'entretien des troupes étrangères. L'hiver était venu ; le général romain, qui jusque-là s'était tenu dans son camp, résolut de quitter la Lucanie pour venir prendre ses quartiers d'hiver en Apulie. La route passait par un défilé le long de la plage, non loin de la ville du côté de l'ouest. Les ennemis en avaient occupé par avance les hauteurs et fait jeter l'ancre à leur flotte près de la côte, pour attaquer, avec leurs machines de trait, la longue file de l'armée romaine alourdie par le butin ; Æmilius paraissait ou bien exposer son armée à la plus terrible destruction, ou devoir abandonner son riche butin pour se jeter de côté et se frayer un passage par dessus les montagnes. Il poussa en avant, mais il avait réparti ses nombreux prisonniers de telle sorte qu'ils fussent les premiers exposés aux traits des ennemis. Les chefs ennemis n'osèrent faire jouer leurs batteries, et Æmilius gagna sans encombre ses quartiers d'hiver[40].

Au cours de cet hiver, pendant que Pyrrhos était déjà occupé de ses préparatifs pour la campagne de l'année suivante, survint inopinément dans les affaires d'Orient une grave complication qui dut faire sentir ses effets dans toutes les directions. Le vieux Séleucos fut assassiné au moment où il venait de passer en Europe pour prendre possession du trône de Lysimaque. Le meurtrier était Ptolémée Céraunos ; en Égypte, il avait dû céder l'héritage paternel à son frère cadet ; il espérait se dédommager, au moyen de ce forfait, avec la couronne de Thrace et de Macédoine. La Thrace fut à lui tout de suite et de bon gré ; mais, pour la Macédoine, Antigone éleva des revendications et Antiochos vint avec une armée venger son père, pendant que Ptolémée Philadelphe favorisait avec joie les nouvelles acquisitions de son frère, afin d'être d'autant plus tranquille pour son propre compte en Égypte.

La situation était tendue au dernier point. Tout dépendait de la manière dont Pyrrhos se déciderait. Sans doute, l'occasion était pour lui plus favorable que jamais de s'emparer de la Macédoine ; quant aux engagements pris avec Tarente, il pouvait ne pas se croire précisément lié de ce côté, et un renseignement tout à fait isolé[41] nous apprend que Pyrrhos engagea la lutte contre Ptolémée. Mais quel profit Antigone tirerait-il d'une défaite de Ptolémée par Pyrrhos ? Antiochos devait également désirer de voir ce roi audacieux, ce guerrier redoutable, éloigné autant que possible des affaires d'Orient ; Ptolémée enfin ne devait épargner aucun sacrifice pour l'écarter, lui, le plus dangereux de ses adversaires. Les intérêts les plus divers se réunissaient pour favoriser la campagne de Pyrrhos en Italie ; le roi lui-même dut reconnaître que ses chances de succès dans le pays voisin n'étaient pas considérables ; il avait éprouvé peu d'années auparavant l'orgueilleuse aversion des Macédoniens, et qu'était-ce que l'acquisition de la Macédoine, pays épuisé par tant de guerres et de révolutions intérieures, devant ces perspectives ouvertes du côté de l'Occident, ces opulentes villes grecques de l'Italie, la Sicile, la Sardaigne, Carthage, la gloire d'avoir triomphé de Rome ? Pyrrhos conclut donc avec les puissances intéressées des traités aux conditions les plus avantageuses. Antiochos fournit des subsides pour la guerre ; Antigone donna des vaisseaux pour la traversée d'Italie ; Ptolémée Céraunos s'engagea à céder pour deux ans 4.000 cavaliers et 5.000 fantassins[42] ; il donna à Pyrrhos sa fille en mariage et prit sous sa sauvegarde le royaume d'Épire pendant l'absence du souverain.

Avant même le printemps de 280, ces négociations, ces armements étaient terminés. Ce n'était pas la promesse de Dodone[43], mais bien le sentiment de sa propre force et son armée d'élite qui donnaient au roi la certitude du succès. Les vaisseaux des Tarentins étaient à leur poste ; il avait hâte d'arriver en Italie. Il confia à son jeune fils Ptolémée l'administration du royaume[44]. Sans attendre l'époque des tempêtes du printemps[45], il embarqua son armée : 20.000 hommes de pied, 2.000 archers, 500 frondeurs, 3.000 cavaliers, 20 éléphants[46]. Une tempête soufflant du nord assaillit la flotte au milieu de la mer Ionienne et la dispersa ; beaucoup de vaisseaux échouèrent contre des récifs et des bas-fonds ; seul celui du roi réussit, au prix des plus grands efforts, à parvenir jusque dans le voisinage de la côte italique. Mais là il fut impossible de gagner la terre ; le vent avait changé ; il menaçait de repousser le navire tout à fait au large ; de plus, il faisait nuit ; on jugea que le plus grand malheur serait de se laisser emporter de nouveau au milieu d'une mer en furie, en plein ouragan. Pyrrhos se jeta alors dans les flots pour gagner la terre à la nage : c'était de la plus folle témérité ; la violence terrible des brisants le relançait sans cesse en arrière, jusqu'au moment où, le jour commençant à poindre et le vent et la mer s'apaisant, il fut roulé, exténué de fatigue, sur la côte de Messapie. Là il reçut un accueil joyeux ; peu à peu quelques-uns des vaisseaux qui avaient résisté se rassemblèrent, amenant environ 2.000 hommes de pied, un petit nombre de cavaliers, deux éléphants. Avec ces forces, Pyrrhos marcha en toute hâte vers Tarente. Cinéas vint à sa rencontre avec les 3.000 Épirotes qu'on avait envoyés à l'avance ; le roi fit son entrée à Tarente au milieu d'une allégresse universelle. Seulement, on dut attendre encore le retour des vaisseaux égarés avant de mettre sérieusement la main à l'œuvre.

L'arrivée de Pyrrhos doit avoir fait en Italie une impression indescriptible[47], et donné aux alliés la certitude du succès. Depuis six ans qu'ils s'étaient soulevés, ils avaient lutté sans cohésion, séparés par les légions, les colonies, les garnisons romaines ; c'était là la cause de leur peu de succès. Maintenant entrait en lice le plus grand capitaine de l'époque, l'héritier de cette tactique macédonienne qui avait conquis le monde ; il avait avec lui une armée peu nombreuse, mais excellente, et les animaux gigantesques de l'Inde ; toute la haine amassée contre Rome, toute la rage de villes et de peuples asservis ou maltraités allait pouvoir se grouper autour de son nom. Rome avait en vain tenté de contraindre auparavant Tarente à la paix, de calmer l'Étrurie, de soumettre le Samnium. Le consul Marcius Philippus avait bien célébré un triomphe sur les Étrusques[48], mais Vulci et Volsinies résistaient encore, et, maintenant que Pyrrhos était arrivé, elles concevaient de nouvelles espérances. Les Samnites étaient encore sous les armes ; on n'osait déjà plus se fier aux Apuliens ; jusque dans le voisinage de Rome, l'effervescence gagnait de proche en proche et devenait menaçante : dans combien de localités n'avait-on pas imposé le droit de cité restreint, le titre humiliant de protégés du peuple romain ! L'irritation s'augmenta par les mesures même que Rome dut prendre pour son salut, occupation militaire des localités suspectes, amendes aux notables, levée d'otages. Parmi les villes dont on avait conduit les otages à Rome, il y avait Préneste ; durant la seconde guerre samnite, elle avait déjà : tenté de faire défection ; un ancien oracle annonçait que les Prénestins auraient un jour à leur disposition l'ærarium de Rome ; on mena donc les sénateurs de Préneste dans l'ærarium, et ils y furent plus tard mis à mort[49]. C'étaient là des garanties bonnes seulement en cas de victoire Cette victoire, on fit tous les efforts pour la remporter ; c'est chose surprenante que Rome, après dés guerres si longues et si sanglantes — elles avaient duré cinquante ans avec quelques rares interruptions — fût en état de faire de nouveaux armements aussi considérables. Sans compter les garnisons mises dans les villes suspectes, deux légions marchèrent sous le consul Ti. Coruncanius contre l'Étrurie, deux autres, sous Æmilius, le consul de l'année précédente, contre les Samnites, pour empêcher leur jonction avec Pyrrhos et maintenir le passage libre au consul P. Lævinus qui, avec ses deux légions[50] et les alliés, s'avançait vers la Lucanie ; deux autres légions restèrent à Rome à titre de réserve[51].

Il fallait avant tout réussir à rencontrer l'ennemi le plus dangereux, Pyrrhos, avant qu'il ne fût renforcé par les troupes des confédérés italiens, le prévenir par une attaque rapide et décisive, et tenir la guerre aussi éloignée que possible de Rome. D'abord on eut soin de déclarer la guerre à Pyrrhos avec toutes les formalités du rituel romain. On mit en avant un transfuge épirote, que l'on obligea à acheter une pièce de terre ; cela tint lieu de territoire épirote : sur cette terre ennemie le fécial lança le javelot ensanglanté[52]. Dès lors, la guerre était bien et dûment déclarée ; Lævinus marcha en hâte vers la Lucanie. Le roi n'était pas encore entré en campagne ; Lævinus put traverser la Lucanie en la ravageant, pour frapper de terreur les habitants et montrer tout ensemble aux autres le sort qui les attendait. Chose non moins importante, Rhégion, par crainte de Pyrrhos et des Carthaginois tout à la fois, avait demandé une garnison romaine[53] : le consul y envoya 4.000 hommes, la légion de Campanie sous Decius Jubellius : par ce moyen, les communications avec la Sicile étaient dans la main de Rome. Par Rhégion et Locres, qui fut pareillement occupée par des troupes romaines[54], les Brettiens eux-mêmes se trouvaient menacés sur leurs derrières. Le consul s'engagea sur la route de Tarente.

Cependant, à Tarente, le roi Pyrrhos, dès l'arrivée des vaisseaux dispersés par la tempête et portant les restes de son armée, avait commencé à établir son régime militaire. Déjà, le fait que les troupes royales furent logées chez les habitants souleva un grand mécontentement ; il y eut un assez grand nombre de plaintes au sujet des violences que les femmes et les enfants étaient obligés de subir. Puis il y eut une levée de citoyens de Tarente, pour combler les vides qu'avait faits le naufrage et en même temps pour garantir la fidélité du reste des habitants[55]. La jeunesse, qui se sentait peu de goût pour la guerre, ayant commencé à s'esquiver de la ville, les portes furent fermées ; lorsqu'ensuite les joyeux repas en commun furent aussi interdits, que promenades et gymnases furent clos, tous les habitants appelés sous les armes et exercés, que l'on continua les levées avec la plus grande rigueur, qu'on alla jusqu'à fermer le théâtre et suspendre du même coup les assemblées du peuple, alors les Tarentins se trouvèrent en proie aux maux affreux qui leur avaient été prédits naguère ; il leur sembla que le peuple libre était devenu l'esclave de celui qu'on avait loué à prix d'argent pour la guerre ; alors on regretta amèrement de l'avoir appelé et de n'avoir pas accepté les conditions modérées d'Æmilius. Mais Pyrrhos se débarrassa des hommes les plus influents qui auraient pu se mettre à la tête des mécontents, soit en les faisant disparaître, soit en les envoyant sous divers prétextes en Épire ; seul Aristarque, qui avait alors le plus grand crédit dans la ville, fut comblé par le roi de toute espèce de distinctions ; mais, comme ce personnage conservait néanmoins la confiance de ses concitoyens, il l'envoya aussi en Épire. Aristarque s'échappa et courut à Rome[56].

Telle était la situation de Pyrrhos à Tarente. Comme il devait mépriser ces bourgeois, ces républicains ! comme leur méfiance, leurs lâches alarmes, l'orgueil sournois et ombrageux de ces industriels et de ces commerçants enrichis devaient le gêner de tous côtés ! Déjà l'armée romaine s'approchait rapidement du Siris, et pas un des confédérés italiens qui avaient promis des levées si considérables n'était encore à son poste ; Pyrrhos jugea que ce serait une honte pour lui, une tache à sa renommée, que de rester plus longtemps à Tarente ; en Épire, on l'appelait l'Aigle, tant il avait coutume de fondre d'un vol hardi sur l'ennemi, maintenant l'ennemi redouté de tous était obligé d'aller le chercher ; on eût dit que cette Tarente l'avait rendu infidèle à sa propre nature et l'avait placé dès l'origine dans une fausse position. Il mena ses troupes à Héraclée, mais il chercha à gagner du temps afin de permettre aux confédérés d'arriver ; il envoya des députés à Lævinus : c'était comme arbitre, disait-il, qu'il voulait examiner les griefs de Tarente contre Rome et en décider selon la justice. Le consul répondit qu'il devait commencer par expier lui-même sa venue en Italie, qu'il n'était pas besoin de plus longues négociations, car le Père Mars allait décider entre eux[57]. En même temps, les Romains s'avancèrent jusqu'au Siris et y campèrent ; des espions ennemis ayant été faits prisonniers, le consul les fit conduire dans le camp à travers les lignes de ses soldats, en leur disant que, s'il y avait quelque Épirote qui eût du plaisir à voir son armée, il n'avait qu'à venir ; après-quoi il les renvoya[58].

Pyrrhos campait du côté gauche du fleuve. En chevauchant le long de la rive, et vit avec surprise le camp romain sur l'antre bord ; et cela n'avait point l'apparence de Barbares ; en face d'un tel ennemi, il était besoin de circonspection ; il attendait encore l'arrivée des confédérés, et il supposait qu'en pays ennemi l'adversaire souffrirait bientôt de la disette ; il résolut d'éviter la bataille. Pour la même raison précisément, le consul cherchait à l'y contraindre ; attaquer paraissait être la meilleure manière de rassurer le soldat contre l'effroi que répandaient le nom de Pyrrhos, les phalanges, les éléphants. Le fleuve séparait les deux armées : pendant que le passage des fantassins était empêché par la présence d'un corps ennemi, le consul fit traverser sa cavalerie en amont pour attaquer ce corps sur ses derrières ; culbuté, il battit en retraite et laissa le libre passage du gué à l'infanterie romaine, qui sur-le-champ se mit à passer. Rapidement le roi fit avancer son armée en ordre de bataille, les éléphants en tête ; il s'élança à la tête de ses 3.000 cavaliers vers le gué — qui était déjà sur cette rive aux mains de l'ennemi — contre la cavalerie romaine qui s'avançait en lignes serrées ; lui-même galopa en avant, ouvrit le combat qui devint bientôt terrible. On le voyait sans cesse au plus fort de la mêlée, sans cesse ordonnant avec la plus grande prudence les mouvements des escadrons, quand un des ennemis, monté sur un cheval noir et qui avait essayé depuis longtemps de s'ouvrir un passage jusqu'à lui, l'atteignit, transperça le cheval du roi et, au moment où le roi tombait à terre avec l'animal, fut lui-même abattu et transpercé[59]. Mais une partie des cavaliers avait fait demi-tour en voyant tomber le roi. Pyrrhos, sur le conseil des amis, se hâta d'échanger son armure brillante contre celle de Mégaclès, qui n'avait pas d'apparence, et, pendant que celui-ci, jouant le personnage du roi, allait répandre d'un côté de nouvelles terreurs et de l'autre côté un courage nouveau, Pyrrhos se plaça lui-même à la tête des phalanges. Leur poids de géant s'abattit sur l'ennemi, mais les cohortes ne plièrent pas ; celles-ci alors se précipitent en avant, mars elles rebondissent sur les phalanges compactes. Sept fois on avance et on recule alternativement : pendant ce temps, Mégaclès, devenu le point de mire d'une grêle incessante de projectiles, finissait par être atteint mortellement et dépouillé de son armure royale. Celle-ci était portée avec allégresse dans les rangs des Romains. Pyrrhos, disait-on, était tué. Le roi avait à peine calmé l'effroi qui glaçait les siens, en découvrant son visage, galopant çà et là, apostrophant tantôt l'un tantôt l'autre, quand la cavalerie romaine se mit en mouvement pour appuyer une nouvelle attaque des légions. C'est alors que Pyrrhos fit enfin donner les éléphants ; à l'aspect, à la fureur, aux cris de ces monstres qu'ils n'avaient jamais vus, chevaux et hommes s'enfuirent épouvantés ; les cavaliers thessaliens s'élancèrent à leur poursuite pour venger l'affront du premier engagement. La fuite des cavaliers romains entraîna aussi les légions ; un carnage épouvantable commença ; personne peut-être n'aurait échappé sans un des éléphants qui, blessé[60], se retourna et par ses hurlements porta le trouble parmi les autres, rendant ainsi imprudente une plus longue poursuite. Lævinus avait essuyé la défaite la plus caractérisée ; il dut abandonner son camp à l'ennemi. Les restes de son armée dispersée s'enfuirent en Apulie ; la grande colonie romaine de Venouse pouvait y abriter les vaincus, et rendre possible leur jonction avec l'armée d'Æmilius dans le Samnium ; pour le moment, Lævinus dut se contenter de gagner une position qui, on cas de besoin, pouvait être défendue[61].

Pyrrhos avait remporté une victoire, mais avec quel effort, au prix de quels sacrifices ! Les meilleurs de ses soldats, environ 3.000 hommes, ses chefs les plus capables, avaient succombé ; il pouvait dire de cette victoire à ceux qui le félicitaient : Encore une semblable et je retournerai seul en Épire ![62] Quelque redoutable que pût être le nom des Romains parmi les Italiotes, c'est dans cette bataille que le roi avait reconnu toute l'énergie de leur tactique et de leur discipline de fer ; quand il visita, le jour suivant, le champ de bataille et qu'il promena ses yeux sur les files des morts, il ne trouva pas un Romain qui fût tombé tournant le dos. Avec de tels soldats, s'écria-t-il, le monde serait à moi : il appartiendrait aux Romains, si j'étais leur général[63]. C'était véritablement un autre peuple que tous ceux de l'Orient, un autre courage que celui des mercenaires grecs, des orgueilleux Macédoniens. Lorsque, selon l'usage des puissances militaires macédoniennes, il proposa aux prisonniers d'entrer à sa solde, aucun n'accepta ; il les traita avec respect et les laissa sans être enchaînés[64]. Il ordonna d'enterrer les Romains restés sur le champ de bataille avec tous les honneurs d'usage leur nombre est estimé à 7.000[65].

Telle fut la victoire signalée[66] par laquelle Pyrrhos ouvrit sa campagne. Il avait justifié la grande attente que sa réputation avait excitée ; pour combattre sous un tel général, les ennemis de Rome, intimidés naguère, se soulevèrent avec joie. La manière dont il leur reprocha de n'être pas venus plus tôt pour l'aider eux-mêmes à gagner le butin, dont il leur donna une partie, lui gagna les cœurs des Italiens[67]. Les villes de l'Italie méridionale lui ouvrirent leurs portes ; les Locriens[68] livrèrent la garnison romaine. Le commandant de la légion campanienne accusa les habitants de Rhégion d'un dessein semblable ; il montra des lettres d'après lesquelles la ville s'était engagée à ouvrir ses portes aux 5.000 hommes que Pyrrhos enverrait : elle fut livrée au pillage des soldats ; les hommes furent massacrés, les femmes et les enfants vendus comme esclaves, la ville traitée comme une place prise d'assaut. Les scélérats étaient encouragés par l'exemple de ce qu'avaient fait à Messana leurs compatriotes campaniens, les Mamertins. Cet acte de violence fit perdre aux Romains la dernière place forte qui leur restât au sud. Pyrrhos put sur-le-champ pousser en avant, et, partout où il alla, pays et population étaient à lui. Il prit, ce semble, la route près de la côte pour marcher vers le nord. Son dessein dut être de s approcher aussi vite que possible de Rome, d'abord pour produire par son apparition de nouvelles défections parmi les alliés et sujets des Romains et affaiblir ainsi les ressources militaires de la ville dans la proportion même où les siennes s'augmenteraient, ensuite pour entrer en communication immédiate avec l'Étrurie, où les deux villes précitées n'avaient pas cessé de soutenir la lutte et où son apparition devait vraisemblablement avoir pour conséquence un soulèvement général des autres villes qui, un an auparavant, avaient conclu la paix : il ne resterait plus alors aux Romains d'autre expédient que de demander la paix à n'importe quelle condition.

Comme il comprenait peu ces Romains qu'il admirait ! La nouvelle du désastre d'Héraclée ne les découragea point ; elle ne fit que susciter en eux celte plénitude de force morale que jamais peuple n'a possédée à un plus haut degré. Certes, les Pères de la cité durent délibérer avec une sérieuse inquiétude, mais non pas au sujet de la paix : Ce ne sont pas les Romains, dit, à ce qu'il parait, C. Fabricius, le sauveur de Thurii, c'est Lævinus qui a été vaincu. On ne destitua pas le consul : on résolut de lui envoyer de nouvelles troupes. En ne lui retirant pas la confiance, on relevait la confiance générale. On décréta la formation de deux nouvelles légions : point de levées pour cela ; elles devaient être recrutées parmi les volontaires, et, lorsque le héraut appela ceux des citoyens en âge de combattre qui étaient prêts à donner leur sang et leur vie à la patrie, la foule se pressa pour se faire inscrire[69]. On envoya en toute hâte les nouvelles troupes à Capoue ; on mit la ville en état de défense ; avant tout, on s'efforça de rendre libres les légions d'Étrurie ; sans aucun doute, on offrit aux habitants de Vulci et de Volsinies[70] les conditions les plus favorables ; on dut leur faire des offres telles que l'alliance avec Pyrrhos et la possibilité de son succès ne les séduisirent plus. C'est ainsi que le consul Coruncanius avec ses légions put revenir protéger la ville. On était armé pour recevoir le roi sur les bords du Tibre.

Il faut dire qu'il marchait déjà sur Capoue. Lævinus, pendant ce temps, parti des frontières de l'Apulie, s'était hâté de le devancer vers le nord ; il incorpora à son armée les nouvelles légions et occupa Capoue. Le roi attaqua la ville à la tête de ses troupes et des bataillons confédérés maintenant joints aux siens, mais il ne put l'emporter. Il se jeta sur Neapolis, sans obtenir un meilleur succès. Pyrrhos ne savait encore rien de la paix faite avec les Étrusques ; il se hâtait pour entrer en communication directe avec eux. Ravageant et pillant, il traversa la Campanie ; il évita la route de Terracine, que Lævinus couvrait de Capoue ; il se porta par la voie Latine vers le pays des Herniques. Les campagnes des bords du Liris furent désolées et ravagées, Frégelles emportée d'assaut et mise à sac[71]. Il était dans ces contrées qui, vingt-cinq ans auparavant, avaient expié leur terrible résistance contre Rome par un châtiment aussi terrible ; leurs vieilles communes avaient été disloquées, leur existence politique anéantie : les Herniques durent saluer le roi comme un libérateur qui venait les affranchir de la plus ignominieuse servitude. Pour savoir que le» choses se sont passées ainsi, nous n'avons pas besoin qu'on nous le dise : Pyrrhos est entré sans coup férir à Anagnia ; les villes plus petites, qui se trouvaient entre ce pays et Frégelles, entourées de murs cyclopéens, les Romains ne réussirent pas à les lui enlever au moyen de garnisons et. d'otages[72]. Il se porta plus loin, sur Préneste : il y avait quelques mois que les sénateurs de la ville avaient été conduits à Rome et mis à mort dans l'ærarium ; la citadelle de la ville passait pour imprenable ; elle s'ouvrit au roi[73]. Déjà ses troupes poussaient au delà de la ville ; la plaine s'étendait devant elles ; les collines de Rome étaient à moins de quatre milles. C'est là qu'était le but visé par l'armée grecque.

Pyrrhos avait appris que les Étrusques avaient conclu la paix, que le consul Coruncanius était dans Rome avec ses légions. Devait-il tenter une bataille aux portes de Rome ? Même s'il la gagnait, les murailles de la ville offraient un abri à l'ennemi ; ensuite Lævinus, avec tous les renforts qu'il avait pu appeler à lui dans les anciens cantons fidèles le long de la voie Appienne, approchait pour débloquer la ville ; devant la double attaque, devant la. lutte désespérée de tels ennemis qu'il avait appris à connaître sur les bords du Siris, Pyrrhos put ne pas se croire assez fort, et, s'il ne gagnait pas la partie d'un seul coup, il était perdu. Peut-être, en s'approchant de Rome, avait-il proposé de négocier[74] ; certainement le Sénat s'y refusa. Pyrrhos devait-il s'établir solidement dans ces contrées montagneuses et, par le siège de places moins importantes, gagner encore plus de terrain ? Cela n'eût guère été utile, et tout séjour prolongé en ces lieux l'aurait exposé à un péril croissant : le pays était dévasté ; à la longue, il ne pourrait plus nourrir l'armée, qui traînait avec elle une foule de prisonniers[75] ; les Épirotes étaient las et mécontents de fatigues qui ne rapportaient rien ; ils avaient coutume de ne point ménager les propriétés des alliés ; si l'on séjournait là longtemps, il y avait à prévoir des différends, même des défections[76] ; avec une armée si diversement composée, la disette amènerait l'indiscipline, et, alors le roi se trouverait entre les légions de Rome et celles de Campanie ; même celles du Samnium pouvaient en cas de besoin se rapprocher, et Pyrrhos se verrait cerné au milieu de l'Italie, coupé de ses communications avec le sud comme avec la mer.

Pyrrhos dut se résoudre à la retraite. Alors, il est vrai, les Prénestins, les gens d'Anagnia, les Herniques, tous les amis allaient être abandonnés à la vengeance de Rome ; mais leur désespoir ne put changer la résolution du roi[77]. Il ramena, par la route qu'il avait prise pour venir — déjà les éléphants avaient été renvoyés à l'avance — son armée chargée de butin vers la Campanie. Coruncanius, avec ses légions, le suivit par la voie Appienne, qui était plus courte. On devine, malgré le silence des auteurs, que de là il inquiéta sa retraite.

Quand le roi déboucha dans la plaine de la Campanie, il vit Coruncanius et ses légions déjà réunis avec Lævinus. Combattons-nous donc contre l'Hydre ? s'écria-t-il[78]. Il rangea son armée en bataille, fit, selon la relation, pousser le cri de guerre et frapper les boucliers avec les lances ; les sonneries des trompettes et les hurlements des éléphants éclatèrent pour provoquer l'ennemi au combat ; mais du côté des Romains un cri de guerre répondit plus éclatant encore et plus hardi, et le roi jugea prudent d'éviter la bataille avec ses gens inquiets pour leur butin ; on déclara que les sacrifices n'étaient pas favorables. II est plus difficile de comprendre comment Lævinus le laissa passer tranquillement, à moins que le souvenir terrible de la bataille d'Héraclée et des craintes légitimes en songeant que les Italiens s'étaient joints depuis à Pyrrhos ne l'aient engagé à la prudence la plus circonspecte. Pyrrhos continua sa marche sans obstacles et prit ses quartiers d'hiver en Campanie[79]. Pendant que les soldats du roi, selon la coutume de leur pays, avaient permission de dépenser joyeusement le produit du butin de la campagne, le Sénat ordonna comme d'Aliment aux légions vaincues sur les bords du Siris — les deux qui avaient été récemment levées restant probablement à Capoue — de prendre leurs quartiers d'hiver devant Férentinum[80], d'hiverner sous la tente, de ne s'attendre non plus à aucun secours jusqu'à ce que la ville fût réduite et prise.

Le temps du repos d'hiver fut employé tout entier à des. négociations qui, si connues qu'elles soient de tout le monde, demeurent obscures dans leurs détails, dans leurs relations réciproques, dans leur chronologie. Ce sont les ambassades de C. Fabricius et de Cinéas. On trouvera en note une discussion sur les principales difficultés[81] : le fonds probable de ces traditions qui se sont surchargées de tant d'ornements parait se réduire à ce qui suit.

Pyrrhos, au cours de la campagne, avait fait un grand nombre de prisonniers romains, soit ceux de la bataille d'Héraclée, soit les garnisons de places qui, comme Frégelles, avaient été emportées d'assaut ou, comme Locres, avaient été livrées spontanément par les habitants. Le Sénat décida de négocier leur échange ou leur rachat avec Pyrrhos[82]. On choisit pour cette mission C. Fabricius, le sauveur de Thurii, P. Cornelius Dolabella qui avait dompté les Sennons, Q. Æmilius Pappus qui avait contraint les Boïens à demeurer en repos, tous trois personnages consulaires, dignes de représenter devant le roi grec l'austère dignité du nom romain. Le roi les reçut à Tarente avec les plus grandes marques de distinction ; il dut nécessairement considérer cette ambassade comme une avance de la part de Rome ; il espérait recevoir des propositions au sujet de la paix. Mais les ordres des ambassadeurs ne portaient que sur les offres concernant les prisonniers. Alors Pyrrhos délibéra avec ses familiers ; évidemment il était dans sa nature, à l'égard d'un peuple qu'il admirait, de faire preuve d'une magnanimité royale ; en même temps, cette première année de guerre devait l'avoir convaincu que l'on ne venait pas à bout de Rome comme des républiques grecques, par exemple, et qu'on ne l'anéantissait pas par un coup de main ; qu'il gagnerait moins à prolonger la guerre qu'à faire la paix le plus tôt possible. Milon était d'un autre avis : il ne voulait ni qu'on rendit les prisonniers ni qu'on négociât pour la paix ; les Romains lui paraissaient pour ainsi dire vaincus ; on devait poursuivre jusqu'à la fin la lutte heureusement commencée ; il put faire valoir que les troupes italiennes, pleines de haine et de fureur contre les Romains et exercées dans de longs combats, jointes aux troupes qui avaient vaincu seules à Héraclée et placées sous la direction d'un tacticien hellénique, devaient anéantir les Romains. Cinéas le Thessalien fut d'un autre avis. Lui qui déjà en Épire avait déconseillé l'expédition d'Italie, qui, à ce qu'il semble, joignait à une connaissance approfondie des hommes la politesse éclairée de la culture grecque, il conseilla de montrer par la restitution complète des prisonniers la magnanimité du vainqueur, et en même temps de gagner par là un moyen d'agir sur l'opinion du peuple romain ; conclure la paix, tel devait être le but le plus immédiat. Sur la résolution du roi, les renseignements varient. Toute cette ambassade a donné lieu à des traditions et fictions les plus variées, où l'on voit toujours apparaître l'admirable grandeur d'âme de Fabricius[83]. Soit pour l'honorer, soit pour suivre le sage conseil de Cinéas, soit pour obéir à une impulsion de son cœur saisi d'admiration, Pyrrhos passe pour avoir relâché tous les prisonniers, ou du moins leur avoir permis d'aller célébrer à Rome les Saturnales[84].

En tout cas, qu'il l'ait fait, et cela dans le dessein de préparer les négociations de paix, la chose paraît certaine. Ici nous rencontrons un renseignement qui, tout isolé qu'il soit,' nous ouvre une vue plus étendue sur la situation. Le général carthaginois Magon parut, dit-on, avec une flotte de 120 voiles devant Ostie, et déclara au Sénat que Carthage était désolée de voir une guerre suscitée contre Rome par un roi étranger, qu'il était envoyé pour offrir contre un ennemi du dehors des secours venus aussi du dehors. Le Sénat renvoya les secours avec ses meilleurs remerciements, sur quoi Magon se tourna du côté de Pyrrhos pour deviner en l'observant ses plans éventuels sur la Sicile ; mais à ce moment, ajoutent les auteurs, les ambassadeurs romains seraient arrivés ; on aurait arrêté les conditions de la paix avec Fabricius, et Cinéas aurait été envoyé à Rome pour la faire ratifier[85]. Il serait étonnant que la politique carthaginoise, à l'arrivée de Pyrrhos en Italie, fût restée en repos ; si Pyrrhos venait avec une armée en Sicile, les dangers du temps d'Agathocle allaient se renouveler et doublement plus graves. De là, dès l'arrivée de Pyrrhos, la crainte qu'éprouvèrent les habitants de Rhégion, alors asservis par la légion romaine, de voir Cartilage s'emparer de leur ville qui commande le passage dans l'île ; de là le secours éclatant qu'on offrit aux Romains : il s'agissait, en effet, de retenir le roi en Italie. Mais il était naturel aussi que Rome fût extrêmement circonspecte à l'égard d'une intervention punique ; il subsistait encore des traités d'après lesquels il était permis aux Carthaginois, s'ils s'emparaient de villes de l'Italie qui ne fussent pas soumises aux Romains, d'en emmener les habitants et d'en emporter les richesses[86]. S'ils se montraient maintenant comme auxiliaires de Rome, il était à prévoir qu'ils chercheraient à s'établir solidement sur la côte italienne ; Rome devait, étant donnée sa suprématie en Italie, éviter par-dessus tout de se mettre dans une situation où elle jouerait simplement le rôle de puissance assistée. Le Sénat répondit en ce sens ; il dit que le peuple avait coutume de n'entreprendre que des guerres qu'il pouvait soutenir jusqu'au bout avec ses propres forces[87]. Qu'après ce refus le général carthaginois ait cherché, en s'abouchant directement avec Pyrrhos, à connaître les plans de ce dernier, c'était chose naturelle ; précisément les Syracusains venaient d'être vaincus par les Carthaginois ; les Sicéliotes devaient voir en Pyrrhos leur unique chance de salut. C'est avec raison que le roi se hâta d'obtenir un traité de paix.

Cinéas fut envoyé à Rome : lui, de qui Pyrrhos aimait à dire qu'il avait conquis plus de villes par sa parole que lui-même par l'épée[88], il devait maintenant éprouver à Rome cet art de persuader dont il avait tant donné de preuves. Il emporta avec lui de riches présents, surtout des parures de femmes. Déjà, parle renvoi des prisonniers, l'opinion devait être quelque peu gagnée ; la guerre pesait lourdement sur Rome ; que de terres communales, que de champs assignés à des citoyens étaient tombés aux mains de l'ennemi ! combien avaient souffert de terribles ravages ! les impôts devaient être accablants au plus haut point. De plus, jusqu'aux portes de la ville, des pays dont la soumission avait été le prix de si longues luttes avaient fait défection, et l'on ne s'était pas encore mesuré avec les forces réunies des Grecs et des Italiens ; la suite de la guerre devait être encore plus terrible qu'elle n'avait été durant la première année. Voilà l'état où Cinéas pensait trouver l'opinion à Rome. Le jour qui suivit son arrivée, dit-on, il salua tous les sénateurs et les chevaliers par leur nom[89] ; il leur fit visite chez eux, en gagna beaucoup par ses discours, quelques-uns peut-être par ses présents[90]. Enfin il fut introduit dans le Sénat ; le discours solennel qu'il fit a dû exprimer surtout l'admiration de son roi pour Rome et son vif désir d'entrer en relations amicales avec ce noble peuple. Sur les conditions qui furent proposées, les textes ne nous renseignent pas avec une précision suffisante[91]. Après les offres de Cinéas, plusieurs jours s'écoulèrent en délibérations : évidemment l'opinion de l'assemblée inclinait à une entente ; c'est alors qu'Appius Claudius vint enfin provoquer une solution.

On sait avec quelle opiniâtre rigueur le vieux patricien avait autrefois soutenu la dignité de son ordre et la grandeur de l'État ; maintenant c'était un vieillard aveugle, paralytique, éloigné depuis des années de la vie publique ; mais la nouvelle des propositions de Cinéas, de l'hésitation des Pères Conscrits, le poussa à élever encore une fois sa voix puissante. Ses esclaves le portèrent sur une litière à travers le Forum ; ses fils et ses gendres le reçurent à l'entrée de la curie ; accompagné et soutenu par eux, le Chatham romain entra dans l'assemblée qui gardait un silence respectueux ; sa parole véhémente[92], gourmandant les irrésolus, les ramena à la hauteur de leur mission, à l'orgueil de leur devoir. Le Sénat décida[93] que Pyrrhos, s'il désirait devenir l'ami et l'allié des Romains, devait d'abord quitter l'Italie et envoyer ensuite des ambassadeurs ; aussi longtemps qu'il resterait sur le sol italien, on ne cesserait de lutter contre lui jusqu'au dernier homme[94]. Cinéas dut sur-le-champ quitter la ville ; et il la quitta avec admiration, disant qu'elle ressemblait à un temple, et le Sénat à une assemblée de rois[95]. Les prisonniers rendus, le Sénat ordonna qu'ils seraient dégradés pour s'être rendus les armes à la main ; les chevaliers descendraient au rang de légionnaires, les légionnaires au rang de frondeurs ; ils bivouaqueraient hors du camp sans tentes et ne seraient relevés de leur châtiment qu'après avoir enlevé chacun les dépouilles de deux ennemis[96]. On leva de nouvelles légions, et chacun accepta avec joie de servir pour la patrie[97] ; le nouveau consulat amena aux honneurs, comme collègue de P. Sulpicius Saverrio, P. Decius Mus, dont le père s'était dévoué à Sentinum, le grand-père, à l'affaire du Vésuve.

Pyrrhos, voyant ses offres rejetées, se prépara à une nouvelle campagne. De nouvelles recrues lui étaient-elles vernies du pays ? A la fin de l'année précédente, les Galates avaient fait leur première invasion en Macédoine et tué le roi Ptolémée : ils ravagèrent des mois durant ce territoire sans maître ; le frère de Céraunos fut impuissant à sauver le pays ; puis un neveu de Cassandre fut déposé, jusqu'au moment où l'énergique Sosthène prit enfin le commandement et chassa les Barbares ; mais, au retour du printemps, on appréhendait de nouvelles attaques encore plus terribles. En Épire aussi, on aura dû craindre leur invasion et se garder de dégarnir le pays de ses défenseurs, surtout si, comme on nous le dit, des troubles avaient éclaté chez les Molosses même[98]. Les enrôlements ont dû être d'autant plus considérables chez les vaillants Italiens. Pyrrhos changea même pour cela sa tactique ordinaire ; il donna à sa ligne de bataille, appuyée au centre sur la phalange, la disposition en cohortes sur les ailes ; cette manière de combattre, qui combinait l'action par masse avec la mobilité, paraissait devoir donner les meilleurs résultats[99].

Le dessein de Pyrrhos dut être de contraindre les Romains à la paix qu'ils refusaient ; la faute dans ses opérations de l'année précédente avait été de s'appuyer sur une base insuffisamment étendue et trop peu sûre pour marcher sur Rome, de s'être laissé menacer en flanc par les légions de Capoue, sur ses derrières par celles du Samnium. En conséquence, son plan dut être de s'emparer d'une ligne d'opérations qui s'étendît de la Campanie à l'Adriatique, qui coupât les communications de Rome avec la position si importante de Venouse dans le sud, et d'où il pût ensuite, libre sur ses derrières, s'avancer à travers le pays samnite, qui partout venait à lui. Dans cette vue, à l'approche du printemps, il fit sortir les troupes de leurs quartiers d'hiver et marcha sur l'Apulie ; il pouvait compter sur la défection des Dauniens et des Peucétiens. Déjà il avait poussé jusqu'à Ausculum, qui, située au pied des montagnes, commande la plaine d'Apulie, quand les deux consuls, avec leurs légions, se présentèrent sur son chemin. Durant plusieurs jours, les deux armées restèrent en présence, sans tenter une bataille. Dans le camp de Pyrrhos, le bruit se répandait que Decius, le consul, se dévouerait aux dieux infernaux, comme avaient fait son père et son grand-père, et qu'alors la perte de ses ennemis était inévitable ; le souvenir des batailles du Vésuve et de Sentinum faisait frémir les Italiens. Pyrrhos fit mettre l'armée au courant de ce procédé charlatanesque, et fit connaître dans quel costume le dévoué paraîtrait pour chercher la mort ; il ordonna qu'on évitât de le tuer et qu'on eût à le prendre vivant : en même temps, il fit savoir au consul qu'il chercherait la mort inutilement et que, lorsqu'il serait pris, il subirait le châtiment d'un magicien qui fait usage de maléfices. Les consuls répondirent qu'ils n'avaient pas besoin de semblables moyens pour venir à bout de Pyrrhos. Enfin l'attaque commença du côté du roi, quoique la rivière, avec les marécages de ses bords, rendit l'usage de la cavalerie et des éléphants difficile ; il continua le combat jusqu'au soir avec des pertes importantes. Le lendemain, par d'habiles mouvements, il gagna une position qui forçait, les Romains à s'avancer en rase campagne. Une terrible lutte s'engagea. Les Romains cherchaient à rompre la phalange ; l'épée à la main, ils se précipitaient sur les sarisses hérissées, renouvelant sans cesse cet assaut inutile, jusqu'au moment où Pyrrhos en personne fondit sur eux ; leur déroute commença alors, pendant que la charge des éléphants achevait la victoire. Les Romains n'étaient pas loin de leur camp, en sorte qu'ils ne perdirent que 6.000 hommes, tandis que Pyrrhos fit mentionner sur les inscriptions royales 3.505 morts de son côté. Ceci d'après le rapport de Plutarque, qui est emprunté à Hiéronyme de Cardia[100].

Depuis cette époque, la suite de l'histoire de la campagne en Italie jusqu'au départ de Pyrrhos pour la Sicile en juin 278 est tout à fait obscure. Ou nous dit que Pyrrhos retourna immédiatement à Tarente[101] ; mais il est impossible de voir là un mouvement stratégique. Quand même il aurait, après la bataille d'Ausculum, abandonné son plan d'une seconde marche sur Rome, il ne pouvait cependant pas sacrifier ainsi sans plus de façons ses positions avancées ; elles devaient lui être extrêmement importantes, s'il voulait s'assurer la possession durable du sud de l'Italie et attendre au moins la conclusion d'une paix avantageuse. Sans doute, c'est dans ce même automne 279 que les Gaulois poussaient une incursion en Grèce jusque sur le territoire de Delphes, et qu'une partie des masses refoulées en arrière ravageait le territoire des Molosses ; mais, si Pyrrhos s'était laissé déterminer par les affaires de sou pays, c'est en Épire et non à Tarente qu'il serait retourné ; il fit venir au contraire de là-bas de l'argent et des troupes[102] pour pouvoir mener énergiquement la campagne de l'année suivante.

Mais quel plan pouvait avoir Pyrrhos pour la prochaine année ? Les Romains s'étaient maintenus devant Ausculum, et avaient pris leurs quartiers d'hiver en Apulie. Pour l'année suivante, on avait nommé consuls Q. Æmilius Pappus, qui pendant deux ans avait fait heureusement la difficile guerre du Samnium, et C. Fabricius Luscinus, que Pyrrhos avait appris à admirer. Quand ils eurent rejoint l'armée dans son camp, Pyrrhos, dit-on, songea à ne plus poursuivre la lutte. Vient ensuite le récit bien connu du complot contre la vie du roi[103] ; les deux camps auraient été à proximité l'un de l'autre ; quelqu'un de l'entourage du roi — on l'appelle tantôt Nicias, tantôt Timocharès d'Ambracie, médecin, majordome, ami du roi —, serait alors allé trouver les consuls et se serait offert, pour une somme convenable, à empoisonner le roi ; il aurait été livré au roi par les consuls, ou encore sur l'ordre du Sénat. Il est inutile de relever d'autres divergences de détail dans les traditions, d'autant que, de toute cette anecdote, le seul fait établi est tout au plus celui-ci : les Romains ont refusé le meurtre qu'on leur offrait. Il est certain aussi qu'à la suite de cet événement des négociations furent de nouveau nouées à Rome par Pyrrhos ; il renvoya chez eux tous les prisonniers, à titre gratuit. Cinéas les accompagna pour recommencer les négociations, apportant avec lui, dit-on, des présents de plusieurs sortes, qui ne furent acceptés de personne : Pyrrhos devait d'abord quitter l'Italie avant qu'on pût entamer aucune négociation pour la paix. Cinéas serait revenu avec cette réponse et un nombre égal de prisonniers, Tarentins et autres. Mais, comme les Romains continuaient leurs attaques contre les villes alliées de Pyrrhos, une invitation des Sicéliotes lui serait venue, dit-on, à souhait, et il aurait quitté l'Italie deux jours et quatre mois après son arrivée.

Dans cet écheveau embrouillé de traditions, il est impossible de démêler l'enchaînement des faits[104]. Un document qu'on nous a conservé de cette époque nous met sur une tout autre piste. Carthage conclut avec Rome un nouveau traité, dans lequel on avait ajouté aux conventions antérieures ce qui suit : Si l'un des deux États fait avec Pyrrhos un pacte d'amitié, il ne doit le conclure qu'en y comprenant l'antre, afin qu'on soit autorisé à s'envoyer mutuellement des secours en cas de guerre ; si l'un des deux États a besoin de secours, Carthage doit fournir les vaisseaux nécessaires pour le transport et pour l'attaque[105]. Quant à l'entretien des troupes auxiliaires, il est à la charge de l'État qui les envoie. Carthage s'engage aussi à prêter main-forte sur mer aux Romains, si besoin est, mais l'équipage n'est pas tenu de descendre sur terre sans son consentement. Pour la première fois alors, contrairement aux clauses des traités antérieurs, d'après lesquels les Romains devaient se tenir éloignés de la Sicile et les Carthaginois de l'Italie, il fut convenu qu'on se prêterait appui réciproquement au lieu où la guerre serait engagée. Ce traité fut conclu entre la bataille d'Ausculum et la tentative de meurtre sur Pyrrhos[106]. Au moment où, de la Campanie, Pyrrhos avait paru menacer Rome, les offres des Carthaginois avaient été repoussées : quelle était la raison qui motivait maintenant les résolutions du Sénat ?

Portons nos regards sur la Sicile. La mort d'Agathocle avait amené dans ce pays un désarroi effroyable, et aussitôt les Carthaginois, contre lesquels étaient dirigés les derniers grands armements du vieux tyran, furent en mesure de mettre à profit cette confusion : son assassin Mænon, qui s'était mis à la tête de l'armée de mercenaires, marchait contre Syracuse ; ils lui prêtèrent assistance. Syracuse dut demander la paix, fournir quatre cents otages, rappeler les bannis. A Agrigente, à Tauroménion, dans la ville des Léontins, on vit surgir des tyrans ; à Messana, les mercenaires campaniens fondèrent l'État des Mamertins, une société de brigands ; à Syracuse même, Hicétas s'empara du pouvoir[107]. Sa victoire sur Phintias d'Agrigente l'encouragea à s'essayer contre les Carthaginois, mais il fut battu : il ne réussit pas à échapper à la prépondérance punique. Les Hellènes de l'île, isolés et épuisés par les absurdes querelles de quelques despotes, querelles fomentées par les Carthaginois, ne pouvaient plus se sauver par eux-mêmes. Pyrrhos était leur dernière espérance. Déjà Hicétas avait imploré son appui[108], mais Hicétas fut ensuite dépouillé du pouvoir par Thœnon[109], et celui-ci eut pour concurrent Sostrate, qui s'était emparé d'Agrigente et de trente autres villes, et avait été chassé ensuite d'Agrigente par Phintias avec l'appui des Carthaginois. Thœnon et Sostrate, avec leurs bandes armées, étaient dans Syracuse même en lutte continuelle. Alors les Carthaginois parurent avec cent navires devant le port, marchèrent avec 50.000 hommes contre les murailles de la ville déjà épuisée, l'investirent étroitement, ravagèrent le pays en tous sens : ils tenaient déjà Héraclée ; à Agrigente il y avait une garnison punique. C'était le dernier moment où un secours pût encore être utile : si les Carthaginois prenaient Syracuse, les villes plus petites de l'île ne pouvaient plus tenir, toute la Sicile était la proie des Barbares. Aussi les Sicéliotes envoyaient-ils à chaque instant vers Pyrrhos, et il se rendit à leur appel dans l'été de 278.

Les Carthaginois n'avaient rien tant à redouter que l'arrivée du valeureux capitaine ; ils firent alliance même avec les Mamertins pour empêcher son passage en Sicile. S'ils avaient envoyé aux Romains, sans en être priés, un si puissant secours, c'était pour enchaîner Pyrrhos en Italie : Pyrrhos arrivant en Sicile, on était menacé jusqu'en Afrique ; l'expédition hardie d'Agathocle en l'an 310 avait montré le chemin. On comprend aisément que Carthage, à tout événement, ait conclu avec Rome l'alliance en question. Rome elle-même, si peu désireuse qu'elle fût de voir la puissance punique s'accroître en Sicile, ne pouvait douter un seul instant que Pyrrhos, maître de la Sicile, ne fût le plus dangereux des ennemis : il aurait alors une position solide, qui lui permettrait de recommencer sans cesse la lutte contre l'Italie, et les ressources inépuisables de l'île ; alors il pourrait assurer un bien autre appui aux confédérés italiens ; il pourrait, avec la puissance maritime de la Sicile, commander la mer Tyrrhénienne, soulever de nouveau l'Étrurie, et, appelant à l'attaque de Rome par terre tout le groupe des peuples en révolte ou opprimés, assaillir par mer la côte romaine. En réalité, le Sénat ne pouvait faire autrement que de conclure cette alliance, pour empêcher avant tout le passage de Pyrrhos en Sicile, ou, si l'on échouait, pour s'assurer l'appui d'une puissance maritime qui seule pouvait rendre impossibles ces combinaisons menaçantes. Que Rome n'ait point, comme à vrai dire on le rapporte aussi, conclu un traité avec Pyrrhos[110], par exemple, pour hâter son départ de l'Italie, cela se comprend de soi-même ; au contraire, il y avait une troupe de 500 Romains sur les vaisseaux carthaginois qui passèrent de Syracuse à Rhégion pour emporter d'assaut la ville alors aux mains de la légion campanienne révoltée. Du reste, l'entreprise échoua ; on dut se contenter d'incendier le bois qui y était accumulé pour la construction des navires[111].

Ces coïncidences semblent jeter quelque lumière sur les affaires italiennes. Dès le début, le plan de Pyrrhos avait été d'acquérir la domination sur le sud de l'Italie et la Sicile ; par sa marche rapide sur Rome, il avait simplement cherché à imposer la paix aux Romains. La campagne d'Ausculum avait fait échouer la seconde tentative. Pyrrhos put se convaincre que ce n'était pas le moyen de venir à bout de Rome. Dès 279, Hicétas avait imploré son assistance ; l'envoi de Cinéas auprès des Sicéliotes[112] doit avoir suivi de près cet appel ; c'est alors précisément que Rome et Carthage firent leur alliance. Aussitôt les Carthaginois avaient commencé à assiéger Syracuse par terre et par mer. Pyrrhos ne pouvait tarder plus longtemps ; car, Syracuse une fois prise, les vues sur la Sicile, la possibilité de défendre contre Rome le sud de l'Italie, tout cela était perdu. Pyrrhos se rendait un compte exact de l'importance de la Sicile, cela se voit clairement par un autre fait encore. C'est à ce moment précisément que, après Ptolémée Céraunos qui avait trouvé la mort, après Méléagre et Antipater qui en peu de temps avaient perdu l'un après l'autre le trône de Macédoine, le noble Sosthène venait de succomber à son tour sous les assauts répétés des Gaulois (fin 279) ; l'incursion sur Delphes avait échoué ; les Gaulois refluaient en arrière ; la Macédoine était pour ainsi dire sans maître. Pyrrhos n'aurait eu qu'à paraître, et la possession longtemps désirée de la Macédoine et de la Thessalie lui était acquise ; mais il aurait fallu renoncer pour toujours à ce qu'il avait déjà conquis en Italie, et il se décida pour l'expédition de Sicile.

Sur la Sicile, Pyrrhos pouvait faire valoir une sorte de droit, car enfin, c'était le royaume maintenant démembré et compromis d'Agathocle, et il ne subsistait plus aucun descendant mâle d'Agathocle, tandis que sa fille avait donné à Pyrrhos cet Alexandre qui se trouvait avec lui en Italie[113]. Aussi les Sicéliotes lui avaient offert la souveraineté de l'île entière[114]. En présence des dispositions incontestables des Sicéliotes, il pouvait se croire assuré du succès, pourvu qu'il réussît à forcer le passage.

Mais comment trouva-t-il l'occasion de partir ? A ce printemps de 278, son camp était certainement encore en face de celui des deux consuls. Vraisemblablement, cette tentative de meurtre lui fournit un prétexte pour entamer de nouvelles négociations ; on aura suspendu les hostilités ; Pyrrhos aura ramené en arrière ses troupes disponibles et tout préparé pour l'embarquement, pendant que Cinéas négociait pour la paix et obtenait au moins l'échange des prisonniers[115]. Il est vrai que les Samnites, les Lucaniens, les Brettiens allaient être privés de son assistance ; le retour de leurs prisonniers ne pouvait les dédommager ; ils durent aviser aux moyens de se défendre contre les Romains, et les Fastes triomphaux des années immédiatement postérieures montrent qu'ils ne cessèrent pas de combattre. Peut-être se persuadaient-ils que les heureux succès du roi en Sicile ajouteraient à leurs chances de salut ; peut-être encore s'attendait-on à ce que, conformément au pacte d'alliance avec Carthage, une partie importante des forces romaines passerait en Sicile ; en tout cas, Pyrrhos promit expressément de revenir de Sicile pour protéger ses alliés[116]. Dans les villes peu belliqueuses des Grecs, il laissa des garnisons[117], spécialement à Tarente, où Milon commandait. Il est vrai que les habitants en étaient peu satisfaits : il devait, disait-on, continuer contre les Romains la guerre pour laquelle on l'avait appelé, ou, s'il voulait laisser en souffrance les affaires du pays, évacuer aussi la ville. On leur enjoignit de se tenir tranquilles ; ils durent attendre le moment que Pyrrhos jugerait favorable. Après Tarente, le point le plus important pour la défense de l'Italie était Locres ; Pyrrhos en confia le commandement à un fils Alexandre.

Vers l'été de 278, Pyrrhos fit voile de Tarente avec ses éléphants et 8.000 fantassins[118] ; il relâcha à Locres ; le passage par Rhégion était barré par une partie de la flotte carthaginoise, le débarquement à Messana empêché par les Mamertins. Pyrrhos gouverna donc au sud du détroit et se dirigea vers le port de Tauroménion, dont le tyran, Tyndarion, s'était déjà déclaré prêt à lui ouvrir les portes de sa ville. Renforcé par les troupes que lui donna celui-ci, il remit à la voile pour descendre à Catane ; il y fut salué avec allégresse et honoré d'une couronne d'or. C'est là que son armée débarqua, et, pendant qu'elle poursuivait sa marche sur Syracuse, la flotte, équipée pour la bataille, longeait la côte. Les Carthaginois qui avaient envoyé trente vaisseaux de leur flotte dans le Faro, reculèrent devant un engagement ; la flotte du roi entra sans obstacle dans le port de Syracuse. Thœnon et Sostrate, qui y bataillaient l'un contre l'autre, avaient tous deux appelé le roi à leur secours. Pyrrhos les réconcilia ; leurs troupes — Sostrate avait à lui seul 10.000 hommes — les riches approvisionnements de guerre amassés dans la ville, et surtout la flotte de 120 vaisseaux pontés et 20 non pontés, tout fut mis à la disposition du roi ; il eut sous ses ordres une flotte de plus de 200 navires[119]. En outre, le maître de la ville des Léontins se hâta de se joindre à lui, de lui livrer sa ville, ses forteresses, et de lui amener 4.000 fantassins et 500 cavaliers. Les villes suivaient l'une après l'autre l'exemple donné ; c'était un soulèvement général du monde grec en danger. Avant tout, il fallait sauver le sud de l'île ; comme Pyrrhos s'y portait pour délivrer Agrigente, les envoyés de la ville arrivaient déjà, annonçant que la garnison punique de la ville était chassée. Sostrate la livra à Pyrrhos, avec les trente villes qu'il avait ou prétendait avoir sous son commandement ; une armée de 8.000 fantassins et 800 cavaliers, qui ne le cédait en rien aux troupes épirotes, se joignit au roi. Des engins de siège et des projectiles furent apportés de Syracuse ; on devait se diriger sur les places fortes des Carthaginois. Pyrrhos se mit eu marche avec 30.000 fantassins, 2.500 cavaliers et les éléphants. Héraclée fut prise tout d'abord. Les villes grecques, et surtout Sélinonte, Égeste, ouvrirent avec joie leurs portes au libérateur. Ensuite il se jeta sur Éryx, position extrêmement solide et munie d'une forte garnison, promettant à Héraclès des jeux et un sacrifice solennel, s'il le faisait paraître un champion digne de sa race et de son bonheur. Pyrrhos lui-même monta le premier à l'assaut ; après une lutte acharnée, la ville fut prise. Puis on se dirigea à marches forcées sur Panormos, le plus beau port de la côte septentrionale ; quand les Iætiens eurent ouvert les portes de leur ville, Panormos tomba à son tour ; la montagne d'Hercté avec son château-fort fut emportée aussi[120]. Les Carthaginois ne tenaient plus que la forte position de Lilybée, à l'autre extrémité de l'île. On attaqua aussi les Mamertins, qui avaient rendu tributaires quelques villes des environs ; ils furent refoulés, leurs citadelles rasées, leurs percepteurs exécutés : il ne leur resta plus que Messana. C'étaient là des succès extraordinaires : les Grecs de Sicile étaient sauvés, délivrés et réunis de nouveau en un même corps sous le héros Pyrrhos. Pour célébrer cette union enfin rétablie, Syracuse frappa alors ses monnaies, les monnaies du roi Pyrrhos, avec la légende Sicéliotes, la tête du dieu de Dodone et l'image de la Cora sicilienne[121].

Lilybée était presque complètement entourée par la mer, et, du côté étroit par où elle tenait à la terre, elle était couverte par des murailles, des tours et des fossés. Les Carthaginois l'avaient munie de troupes nouvelles venues d'Afrique[122] et pourvue en abondance de provisions de bouche, de machines et de projectiles : la place semblait imprenable. Toutefois, ils offrirent la paix au roi ; ils demandaient seulement de rester en possession de Lilybée, moyennant quoi ils s'engageaient à reconnaître Pyrrhos comme maître et seigneur de l'île, à payer une somme d'argent considérable, à mettre leur flotte à la disposition du roi. Leur offre ne pouvait viser que Rome, malgré l'alliance défensive qui venait d'être conclue : les parties contractantes ne se fiaient pas l'une à l'autre ; déjà le fait même que l'on n'avait pas su à Rome empêcher Pyrrhos de quitter l'Italie pouvait donner à penser aux Carthaginois ; peut-être aussi voulurent-ils simplement éviter ainsi d'appeler des troupes romaines en Sicile. Rome s'était hâtée-de mettre à profit en Italie l'absence de Pyrrhos. Le consul Fabricius put à la fin de l'année célébrer un triomphe sur les Lucaniens, Brettiens, Samnites et Tarentins[123] ; et cette ville d'Héraclée, près de laquelle deux ans auparavant les Épirotes avaient remporté une victoire, fut gagnée à l'alliance de Rome[124] C'était une acquisition importante : elle coupait en deux l'Italie méridionale occupée par Pyrrhos ; elle devenait, après Venouse, le point d'appui le plus important en vue d'entreprises ultérieures.

Il faut admettre, ce semble, que ces propositions de paix ont été faites par les Carthaginois après la première campagne, vers le début de l'année 277[125]. Elles étaient réellement séduisantes : alors même que Pyrrhos ne voudrait pas mettre à profit l'aide des Carthaginois, les forces maritimes de l'île lui fournissaient l'occasion de poursuivre avec de nouvelles chances sa lutte contre Rome ; en tout cas, l'Italie était alors sauvée, la Sicile jusqu'à la pointe occidentale perdue pour les Carthaginois ; et, avec une organisation nouvelle, sous un prince énergique, avec l'alliance des Italiens, l'île devait s'élever à un degré de puissance qui exercerait une influence des plus énergiques sur l'avenir de l'Occident. Mais, d'autre part, n'était-il pas à prévoir que les Carthaginois resteraient aussi peu fidèles au traité signé avec Pyrrhos qu'ils avaient été avec Rome pour celui qu'ils venaient à peine de conclure ? Avec Lilybée, ils tenaient une position d'où ils pouvaient, si Pyrrhos se tournait vers l'Italie, regagner du terrain en Sicile ; tant que Carthage n'était pas humiliée, complètement refoulée en Afrique, on ne pouvait sérieusement engager la lutte contre Rome : plus l'abaissement de Carthage serait rapide et complet, plus la perte de Rome était assurée. Il était à prévoir, il est vrai, que plus les Carthaginois seraient vigoureusement assaillis, plus Rome mettrait d'ardeur à s'avancer en Italie, à rompre les alliances de Pyrrhos, à mettre à la raison les Italiens, à préparer les voies pour la défection des villes grecques, et comment être sûr que l'offensive sur mer réussirait mieux que la première tentative par terre ?

Pyrrhos lui-même semble avoir balancé sur la décision à prendre. Il délibéra avec ses amis et les Sicéliotes. Les Sicéliotes, ne voyant que l'intérêt de leur île, demandaient qu'on arrachât aux Carthaginois leur dernier point d'appui dans l'île ; quant aux amis, la perspective de passer en Libye après la chute de Lilybée, de piller les riches campagnes de Carthage, put leur paraître plus séduisante, plus propre à entretenir les bonnes dispositions des troupes, que la lutte plus glorieuse, il est vrai, mais aussi plus périlleuse et moins rémunératrice au point de vue du butin, contre Rome et ses alliés. Les troupes épirotes qui formaient le noyau de l'armée étaient fortement réduites ; les forces de terre que le roi avait à sa disposition n'étaient certainement pas plus nombreuses que lors de la dernière bataille contre les Romains ; avec les ressources de la Sicile, on viendrait plus vite à bout de réunir une flotte supérieure à celle de l'ennemi ; Lilybée semblait devoir céder à une attaque énergique. Les offres puniques furent ainsi rejetées : on répondit qu'on ne pouvait faire de paix et d'alliance avec Carthage avant qu'elle eût évacué entièrement la Sicile[126].

Aussitôt on mit la main à l'œuvre, pour chasser de leurs derniers postes les Carthaginois. Pyrrhos établit son camp devant Lilybée. On donna assaut sur assaut, mais des pierres, des traits, des projectiles de toute sorte en quantités énormes pleuvaient sur les assaillants, et chacune des attaques était repoussée avec de grandes pertes ; le matériel d'assaut qui devait venir de Syracuse n'arrivait pas ; on dressa de nouvelles machines, mais sans succès ; on essaya da miner les murailles, mais elles étaient bâties sur le roc. Après deux mois d'efforts infructueux, Pyrrhos leva le siège. On n'en dut mettre que plus de hâte à attaquer la puissance punique dans sa racine ; c'est aux portes de Carthage qu'il s'agissait d'obtenir par force la reddition de Lilybée et plus encore.

C'est ici la crise décisive de la vie de Pyrrhos. Il avait bien de la hardiesse, de grands talents militaires, l'esprit chevaleresque, l'admiration de tout ce qui était grand et noble ; mais à son activité manquait ce qui jadis, dans cette même Sicile, avait fait obtenir à Timoléon de si grands résultats, ce principe vivifiant qui circulait dans les veines de Rome et la rendait invincible, le poids et le sérieux d'un grand but, d'une haute mission morale. Ce n'est pas pour sauver les Grecs d'Italie et de Sicile qu'il était venu ; s'il avait prêté à leur cri de détresse une oreille favorable, c'est qu'il y 'voyait un prétexte et une occasion pour fonder une souveraineté puissante qu'il avait vainement cherchée mainte et mainte fois chez lui. Et encore cette souveraineté ne lui apparaissait pas comme un but et une fin ; elle ne devait être pour lui qu'un moyen de plus de satisfaire le besoin impérieux et incessant d'une activité toujours nouvelle. Ses plans sont audacieux, grandioses, imprévus, mais il ne fait, en les exécutant, que jouir de sa force ; la guerre avec ses fureurs est pour lui un jeu hardi, une œuvre d'art où il se sent maître, et non un moyen sérieux d'atteindre en dernier ressort aux fins les plus hautes ; il embrasse d'un regard sûr les grandes idées d'affranchissement de la race grecque, d'union des Hellènes, mais elles ne sont pas pour lui-même les dernières et les plus hautes raisons d'agir : ce ne sont à ses yeux que des moyens stratégiques. Les Siciliens l'ont reçu avec enthousiasme ; sa douceur, sa modération, sa confiance ouverte, lors de son arrivée, les a enchaînés à lui de plus en plus étroitement ; ce n'est pas que les anciennes vertus, le dévouement, la confiance, l'abnégation, fussent tout à coup rentrées chez les Siciliens, mais il eût pu triompher de la jalousie, de la défiance, de la discorde par une douceur mêlée de sévérité, mettre un frein à cet esprit de révolte qui se réveillait et en tirer de grands effets, s'il avait eu en lui-même cette force solide et tranquille, cette fermeté morale dont l'absence fut, à vrai dire, la ruine des Grecs, dont la possession fut la force irrésistible de Rome.

Il voulait passer en Afrique. Pour équiper les centaines de navires, il fallait des matelots ; de tels enrôlements étaient intolérables pour les libres démocraties des villes. Les moyens sérieux auxquels recourut le roi ne firent qu'augmenter le mécontentement, la résistance ; on put se plaindre que de roi il fût devenu despote, et en retour, le mauvais vouloir des Sicéliotes l'obligea à prendre contre eux des garanties, à confier la garde des villes à des hommes sûrs, à des gens de guerre d'un dévouement éprouvé, à leur déléguer le soin de maintenir l'ordre, à restreindre les franchises légales des démocraties. Il en vint bientôt, toujours sous prétexte de les protéger contre les Carthaginois, à occuper militairement les villes, à lever des taxes sur les fortunes, à surveiller de près les mécontents ; on découvrit des complots, des relations avec les ennemis dans presque toutes les villes ; des notables tombèrent comme traîtres sous la hache du bourreau ; enfin, quand Thœnon lui-même, qui s'était rallié à lui avant tous les autres, fut exécuté, que Sostrate aussi allait être arrêté et trouva à peine son salut dans la fuite, alors la mesure fut comble ; chaque ville chercha à se sauver du mieux qu'elle put, les unes en invoquant la protection des Mamertins, les autres en se donnant aux Carthaginois[127].

Ce tableau est le seul renseignement qui nous ait été conservé touchant la conduite du roi en Sicile. Cette flotte destinée à l'Afrique ne se constitua point ; les réfugiés de Syracuse se joignirent aux Carthaginois, qui déjà regagnaient du terrain ; les Mamertins empiétaient de nouveau aux alentours, et Pyrrhos ne voyait autour de lui que défection, mutinerie, haine générale. C'est alors qu'arrivèrent des députés du Samnium et de Tarente pour le supplier de revenir en Italie. Il savait ce qu'il abandonnait quand il quitta la Sicile : Quel champ de bataille, dit-il, nous laissons aux Carthaginois et aux Romains ![128] Mais, pour partager son armée, il voyait des deux côtés les ennemis trop puissants[129]. Il se redressa encore une fois de toute sa force contre les Carthaginois qui poussaient en avant ; il les refoula[130]. Puis il quitta la Sicile pour sauver l'Italie.

Trois ans durant, les peuples d'Italie, surtout les Samnites, avaient soutenu contre Rome une lutte désespérée ; non pas trois ans seulement ; en deux générations à peine, les Samnites avaient eu près de quarante années de guerre et de destruction ; puis, à peine s'étaient-ils remis à labourer leurs champs ravagés pendant trois années qu'ils s'étaient levés une quatrième fois à l'appel des Tarentins. Ils n'avaient guère eu qu'un instant de calme et de sécurité[131], au moment où Pyrrhos s'était avancé jusque dans le voisinage de Rome ; depuis son départ, ils avaient de nouveau lutté contre leurs terribles adversaires, sans espoir, mais inébranlables dans leur courage et dans leur haine. Les victoires à la suite desquelles Fabricius obtint le triomphe en 278 n'avaient pas découragé le Samnium ; dès l'année suivante, les deux consuls P. Cornélius Rufinus et C. Junius Brutus parurent dans le Samnium, ravageant les campagnes par où ils passaient, détruisant les bourgades où ils pouvaient pénétrer, abandonnées qu'elles étaient par les habitants. Les Samnites avaient transporté à la hâte femmes, enfants, pécule, dans les fourrés des montagnes : les consuls osèrent les y attaquer, mais ils furent accueillis par la plus terrible résistance ; un grand nombre de Romains furent tués ou pris[132]. Cette défaite mit la désunion entre les deux consuls ; pendant que Brutus restait dans le Samnium et y continuait ses ravages, Rufinus marcha vers le sud ; il battit les Lucaniens, les Brettiens et se porta sur Crotone. L'exemple qu'avait donné l'alliance d'Héraclée avec Rome devait faire naître en tous lieux des partis favorables aux Romains. Il y en avait un semblable à Crotone, opposé à celui des Épirotes ; pendant que celui-ci se tournait vers Tarente et demandait du secours, le premier invitait le consul à paraître devant les portes, qu'on devait lui ouvrir. Mais Nicomachos était arrivé avant lui de Tarente ; une attaque du consul fut repoussée, et il commença inutilement à faire le siège de la ville, protégée par de solides 'remparts. Il fit alors savoir qu'il se dirigeait sur Locres ; comme il faisait semblant de partir, Nicomachos prit rapidement les devants par un chemin plus court ; le consul alors retourna sur ses pas, et, à la faveur d'un brouillard épais, prit la ville. Nicomachos eut beau revenir en toute hâte ; il trouva la ville perdue, les routes occupées par l'ennemi, et il perdit beaucoup de monde pour s'ouvrir un chemin vers Tarente[133]. Après cela, Caulonia fut prise aussi et ravagée par les Campaniens qui se trouvaient dans l'armée consulaire[134]. Locres se rangea du parti des Romains. L'année suivante (276), le consul Q. Fabius Maximus Gurges continua la guerre contre les Samnites, Lucaniens, Brettiens ; ses opérations s'étendirent jusqu'à Leucade. Plus que son triomphe, le cri de détresse poussé vers Pyrrhos témoigne de ses succès : c'est à peine si l'on pouvait encore tenir dans les villes contre les ennemis ; le plat pays était tout entier en leur pouvoir, ou serait forcé de se rendre s'il ne venait point de secours[135].

L'Italie était, autant dire, perdue quand Pyrrhos quitta la Sicile. En s'en allant, il emportait comme d'un pays ennemi un immense butin ; 110 vaisseaux de guerre escortaient une flotte de transport beaucoup plus nombreuse[136], mais l'équipage avait été recruté de force en Sicile ; il savait que, s'il arrivait à Tarente, il était destiné à ne jamais revenir au pays. C'est à une telle marine que le roi était obligé de se confier ; la traversée était difficile, car ni Locres ni Rhégion n'ouvraient leur port au débarquement, et il fallait se hâter, car une flotte punique croisait devant le détroit. Pyrrhos n'échappa point à celle-ci, et les Carthaginois remportèrent une facile victoire ; 70 vaisseaux, dit-on, furent coulés à fond, 12 seulement échappèrent sans avarie[137]. Et voici qu'un nouveau danger attendait le vaincu ; 10.000 Mamertins étaient passés de Sicile sur l'autre rive et avaient occupé les gorges que traversait la route. Un terrible combat s'engagea en ce lieu ; pendant que l'avant-garde, sous la conduite du roi, s'ouvrait un passage avec effort, l'arrière-garde était attaquée : toute la colonne fut mise en désordre ; deux éléphants furent tués, le roi lui-même blessé à la tête ; les vieux soudards de Messana n'en attaquèrent qu'avec plus d'audace, jusqu'au moment où le roi, le visage plein de sang et lançant des regards effrayants, fondit enfin de nouveau sur l'ennemi et, de la terrible force de son bras, fendit par le milieu du corps le gigantesque chef des ennemis. Alors seulement ceux-ci quittèrent la place[138].

11 se dirigea sur Locres, qui lui ouvrit ses portes ; une attaque rapide sur Rhégion fut repoussée avec pertes. Il revint à Locres ; c'est alors seulement que des amendes et des exécutions châtièrent les partisans de Rome[139]. La malheureuse bataille du détroit devait avoir fait sombrer la meilleure partie de sa caisse militaire ; le manque d'argent le mettait dans le plus cruel embarras, et les alliés refusaient de lui payer un surplus de contributions ; c'est alors que quelques amis[140] lui conseillèrent de piller les trésors sacrés du temple de Perséphone. Mais les dieux irrités, dit-on, détruisirent dans une violente tempête la flotte qui emportait à Tarente le produit du vol, et repoussèrent les navires, avec les ex-votos et les richesses de la déesse, jusqu'au rivage et dans le port de Locres. Pyrrhos lui-même, troublé, de ce miracle, aurait rendu les dépouilles et tenté d'apaiser la déesse par des sacrifices solennels, et, comme ils n'étaient pas favorables, il en aurait été encore plus saisi et aurait fait exécuter ses mauvais conseillers[141] ; mais le courroux de la ténébreuse déesse avait continué depuis lors à peser sur lui : son bonheur l'avait ;quitté. On assure que Pyrrhos lui-même l'avait senti et qu'il le disait dans ses Mémoires[142].

Pyrrhos avec son armée — 20.000 fantassins, dit-on, et 300 cavaliers — parvint sans encombre à Tarente, par voie de terre, ce qu'il semble ; le parti épirote put encore une fois lever la tête dans les villes du Brettium et de la Lucanie ; en route, l'armée put être renforcée de nouvelles recrues ; à Tarente même, les hommes les plus robustes furent enrôlés pour le service. Pyrrhos put, au printemps suivant, conduire à l'ennemi un nombre d'hommes suffisant, mais, au lieu de ses vétérans épirotes, il avait des troupes de formation récente pour la plupart, Grecs vagabonds et Barbares qui, eussent-ils été braves, n'étaient ni exercés ni sûrs.

Et pourtant, la terreur précéda comme auparavant son nom ; on fut troublé à Rome du nouveau danger qui menaçait. Une peste avait, l'année précédente (276), sévi avec violence à Rome et sur le territoire romain[143] ; de mauvais présages serraient les cœurs ; un ouragan avait précipité la statue de Jupiter du haut du Capitole ; comme on ne trouva la tête nulle part, cela parut présager la ruine de la ville, jusqu'au moment où l'art des haruspices désigna dans le Tibre la place où on la trouva[144]. Et pourtant l'effroi paralysait le peuple ; quand le nouveau consul, M'. Curius Dentatus, qui en 290 avait glorieusement terminé la guerre du Samnium, commença précipitamment les, levées, les hommes appelés ne se présentèrent point : aussitôt on mit à l'encan les biens du premier récalcitrant ; il implora vainement le secours des tribuns ; le consul le vendit, lui et ses biens ; ce fut le premier exemple de cette sorte[145]. La levée réussit par ce moyen ; Lentulus alla couvrir la Lucanie, pendant que Curius s'établissait solidement dans le Samnium.

Pyrrhos devait tenter de porter autant que possible la guerre au nord de l'Italie, pour soulager ses anciens alliés, surtout les Samnites ; quelques bataillons de Samnites s'étaient bien joints à lui, mais leur courage était brisé, leur confiance perdue ; et pourtant le roi devait faire tous ses efforts pour les sauver. Il divisa donc ses troupes ; pendant qu'une armée s'avançait en Lucanie, pour occuper le consul Lentulus, il conduisit lui-même ses principales forces contre Curius. Le consul s'était retranché sur les hauteurs qui avoisinent Bénévent. Il cherchait à éviter une bataille avec les forces supérieures des ennemis[146] : les auspices n'étaient pas favorables ; il attendait l'arrivée de son collègue de Lucanie. Pour la même raison, Pyrrhos se hâta de frapper le coup décisif ; il fut décidé que, pendant la nuit, un corps de troupes d'élite devait tourner le camp ennemi pour gagner les hauteurs qui le dominaient. Un rêve, dit-on, effraya le roi ; il voulut renoncer à cette difficile manœuvre, différer la bataille ; mais l'avis de ses familiers et l'arrivée prochaine de Lentulus fit décider la bataille. Dans les ténèbres de la nuit, les meilleures troupes et les éléphants les plus vigoureux se mirent en marche pour gagner ces hauteurs. C'était un long trajet à faire dans des bois sans chemin ; on dut chercher le sentier à l'aide de torches ; le temps et la distance avaient été mal calculés ; les torches ne suffirent point ; on s'égara ; il faisait jour déjà quand on atteignit les hauteurs en question. Le camp romain vit avec consternation les corps d'armée ennemis au-dessus et au-dessous de lui ; tout fut en tumulte ; mais les présages étaient favorables, une bataille inévitable. Curius marcha donc à l'ennemi, qui était paralysé par la fatigue et le désordre, suites nécessaires d'une telle marche de nuit ; en peu de temps, les premiers rangs et bientôt le corps tout entier furent culbutés ; un grand nombre de soldats furent tués, une couple d'éléphants enlevés à l'ennemi. La victoire avait fait descendre le consul, dans la plaine dite d'Arusia ; alors Pyrrhos fit avancer les troupes restées en arrière ; il s'agissait de décider du sort de la journée. D'un côté, les Romains furent vainqueurs et enfoncèrent l'ennemi ; sur l'autre aile, ils furent refoulés jusqu'à leur camp, surtout par les éléphants qu'on avait lancés en avant, mais là, ces derniers furent accueillis par les troupes qu'on avait laissées pour défendre le camp ; elles lancèrent contre eux des traits enflammés, les refoulèrent, et firent tant que ces animaux, rebroussant chemin, épouvantés et furieux, se ruèrent au travers de leur propre armée, répandant partout le désordre sur leur chemin[147]. La défaite fut décisive et complète. Le camp du roi fut enlevé, deux éléphants tués, huit cernés dans un terrain fermé et livrés par leurs guides indiens ; ils firent l'ornement le plus admiré du triomphe qui signala la rentrée de Curius à Rome, en février 274.

L'armée de Pyrrhos était si complètement défaite que quelques cavaliers seulement accompagnèrent sa fuite vers Tarente. Il était évident que les troupes envoyées en Lucanie ne pourraient plus tenir campagne ; du reste, on avait besoin de couvrir Tarente, en prévision d'une attaque immédiate de la part des Romains.

Le premier péril était conjuré ; mais ensuite ? Pyrrhos allait-il continuer la guerre ? Avec les ressources qui lui restaient, cela ne paraissait pas possible. Devait-il, comme il avait fait l'année précédente pour la Sicile, abandonner aussi maintenant l'Italie, et, sans gloire, sans butin, comme un fugitif, rentrer en Épire ? Avec quelles espérances il était parti ! Comme il avait été près, à la tête de la confédération des Hellènes de Sicile et d'Italie, de réaliser les anciens plans d'Agathocle, de Denys, d'Alcibiade, grâce auxquels une nouvelle splendeur aurait commencé pour la Grèce ! Ces espérances s'étaient évanouies avec la perte de la Sicile ; s'il quittait maintenant l'Italie elle-même, alors l'Italie grecque, il devait le comprendre, était perdue aussi et non pour lui seulement ; elle revenait inévitablement, comme une proie assurée, à l'orgueilleuse Rome, et la Sicile serait sa plus prochaine conquête. Comment la mer pourrait-elle ensuite être pour elle une borne ? et dans la patrie de la race grecque, dans l'Orient hellénisé, il n'était pas de puissance qui pût s'opposer aux vainqueurs des Gaulois et des Samnites. Véritablement, Pyrrhos pressentit les voies obscures de l'avenir quand il envoya près d'Antigone en Macédoine, près d'Antiochos en Asie, près d'autres princes d'Orient[148], demander de l'argent et des troupes pour continuer la guerre. Déjà le bruit courait que des armées macédoniennes, asiatiques, allaient venir au secours de la Grèce italienne, et les consuls n'osèrent pas s'avancer vers le sud. Lentulus, lui aussi, marcha contre les Samnites pour mériter le triomphe en les combattant, mais sans obtenir d'avantage décisif.

Mais les rois éloignés n'écoutèrent pas le cri de détresse. Antigone avait la Macédoine à organiser et à protéger contre les Galates ; toute l'Asie-Mineure tremblait devant ces bandits, ou se déchirait dans les luttes sans cesse renouvelées des dynastes ; la Syrie se sentait paralysée par l'artificieuse politique des Lagides, qui étendait ses empiétements ; la Grèce était un mélange confus d'impuissance, de discorde et de haine. Le même émiettement insensé, le même égoïsme, le même aveuglement qui avait amené successivement la ruine des États libres de la Grèce et compromis radicalement le résultat des merveilleuses victoires d'Alexandre, avait passé maintenant chez les Épigones de son empire, chez les États hellénistiques. Pendant que la race grecque se déchirait dans des désordres sans fin, se laissait enlever ses meilleures forces pour helléniser l'Asie, et que l'énergie hellénistique de l'Orient s'affaiblissait d'autant plus qu'elle devait embrasser un espace plus illimité, dans le même temps, cette puissance de Rome se resserre de plus en plus solidement en une centralisation plus étroite, poursuivant ses progrès avec une formidable et irrésistible lenteur. Le roi d'Épire l'a vue combattre ; il comprend que les villes grecques d'Italie sont le boulevard de l'Orient, mais on ne l'écoute pas.

Le retour de Pyrrhos quittant l'Italie passe pour avoir été une fuite peu glorieuse ; après avoir reçu les messages des rois, où on lui refusait les secours demandés, il aurait donné lecture des lettres aux notables épirotes et tarentins, comme si elles contenaient des promesses de secours, et, la nuit suivante, il aurait mis à la voile[149]. Il ramenait avec lui 8.000 fantassins et 500 cavaliers ; il laissa à Tarente une garnison sous les ordres de Milon, et même son fils Hélénos[150]. Cela ne ressemble pas à une fuite : mais il ne lui restait plus qu'à garantir de son mieux le dernier point qu'on pût conserver encore sur la côte italique et à rentrer en hâte dans ses foyers, pour regagner dans de nouvelles luttes quelque puissance, des ressources, la possibilité d'une nouvelle campagne en Italie. Nous verrons comment il conquit la Macédoine aussitôt après son arrivée ; puis il passa rapidement dans le Péloponnèse. C'est là que la mort le surprit (272). Son successeur Alexandre tourna bien ses regards vers l'Italie, vers la Sicile ; mais, de ce côté, la situation se trouva en trop peu de temps radicalement transformée.

Rome, après une lutte de neuf ans, soutenue avec les plus grands efforts, s'accorda un repos d'une année ; en 273, elle s'arma pour entamer une lutte enfin décisive contre les malheureux alliés du roi d'Épire. Une colonie établie à Posidonia assura l'entrée du pays lucanien[151] ; on remporta des victoires sur les Lucaniens, Samnites et Brettiens ; il n'était plus besoin, semblait-il, que d'un dernier effort, et ils allaient être sujets de Rome. Tarente aussi en était au même point : on trouvait que Milon gouvernait trop durement ; une conspiration éclata contre le commandant épirote, et on l'attaqua sous la conduite de Nicon ; mais les conjurés furent battus. Ils se jetèrent dans une forte position sur le territoire tarentin, envoyèrent des ambassadeurs à Rome, conclurent la paix pour leur propre compte. Rome put voir que Tarente était mûre pour la conquête.

L'an 272, la grande année des solutions définitives, arriva. Au moment où Pyrrhos avait conquis la Macédoine :sans avoir entrepris encore sa campagne malheureuse dans le Péloponnèse. on élut à Rome pour consuls deux consulaires qui avaient célébré vingt ans auparavant le triomphe le plus éclatant sur les Samnites[152], L. Papirius Cursor et Sp. Carvilius Maximus ; on appréhendait probablement le retour de Pyrrhos et on désirait vivement un résultat prompt et décisif[153].

Papirius était déjà en marche vers Tarente quand la nouvelle de la mort de Pyrrhos y parvint. On redoutait les Romains ; on haïssait les Épirotes ; on s'adressa secrètement aux généraux carthaginois qui étaient en Sicile. Pour la politique carthaginoise, c'eût été un avantage sans pareil que de prendre pied à Tarente et d'avoir là, sur la côte d'Italie, une place forte comme elle en avait une en Sicile à Lilybée. Une flotte punique parut dans le port, pendant que Papirius campait devant la ville. Milon se trouvait entre les deux, trahi par ceux-là même dont il était l'unique appui. Aussi les trahit-il à son tour. Il persuada aux habitants que Papirius, pour ne pas laisser tomber la ville entre les mains des Barbares, inclinait à accorder une paix tolérable ; il négocia, se réserva libre retraite avec ses soldats et sa caisse, livra ensuite la citadelle au consul, et abandonna la ville à son bon plaisir. Les murs furent détruits, les vaisseaux et les magasins d'armes livrés ; le triomphe de Papirius fut orné de statues, de tableaux, d'objets précieux de style hellénique[154]. La paix et la liberté furent garanties à la ville, mais une liberté accompagnée d'un tribut annuel et d'une forte garnison romaine dans la citadelle[155].

De tous les ennemis qu'avait Rome au sud de l'Italie, il n'y avait plus debout que la légion révoltée dans Rhégion ; elle avait fait alliance avec les Mamertins de Messana, et elle avait même pris d'assaut et. saccagé Crotone. Enfin, en 270, le consul Genucius entreprit le siège de la ville. Une guerre en Sicile enleva à Rhégion le secours des Mamertins[156] ; après un long siège, elle fut emportée au milieu d'un carnage terrible ; le reste de ce qui jadis avait été la légion romaine fut mené enchaîné à Rome et condamné à mort par le vote unanime des tribus : ils étaient en 'tout cinquante, qui furent battus de verges et décapités le même jour[157]. Quant à Rhégion, elle fut rendue aux anciens habitants de race hellénique, à ceux du moins qu'on put encore réunir après le coup qui les avait dispersés.

A la fin de 270, Rome avait achevé la soumission de l'Italie. Carthage n'en avait pu faire autant en Sicile ; le noble Hiéron s'était emparé du pouvoir à Syracuse. Il lutta non sans succès contre les Mamertins, envoya aux Romains qui assiégeaient Rhégion des troupes auxiliaires et des vivres. De nouvelles et terribles luttes se préparaient. La grande faute politique de Carthage, c'était de n'avoir pas empêché la chute de Tarente ; les traités subsistants interdisaient aussi peu son immixtion dans les affaires italiques que celle de Rome en Sicile. Mais le général carthaginois avait paru dans le port de Tarente sous sa propre responsabilité : lorsque plus tard Rome s'en plaignit sérieusement à Carthage, le Sénat punique se justifia en protestant par serment que cela s'était fait à son insu[158]. Six ans étaient à peine écoulés que Rome attaquait les Carthaginois en Sicile.

C'est ainsi que la guerre avec Pyrrhos fit entrer Rome dans la sphère des grandes relations politiques qui, liées au nom des Carthaginois et de l'hellénisme, s'étendaient depuis les Colonnes d'Hercule jusqu'au Gange. Un an après que Pyrrhos eut quitté l'Italie, l'année même où il faisait la conquête de la Macédoine, Ptolémée II envoya d'Égypte à Rome des députés chargés de proposer de sa part amitié et alliance, et Rome répondit à cette avance significative par la plus haute distinction qu'elle ait jamais accordée à un prince étranger : parmi ses trois ambassadeurs était le prince du Sénat, Q. Fabius Gurges. Les ambassadeurs furent reçus avec éclat. Le roi leur fit offrir, à la mode grecque, des couronnes d'or : ceux-ci, pour s'approprier le présage[159] et faire honneur au roi, acceptèrent les présents, mais ils placèrent ensuite les couronnes sur la tête de ses statues ; quant aux autres cadeaux honorifiques qui ne pouvaient être refusés de la sorte, ils les donnèrent au Trésor, une fois de retour, avant même de faire leur rapport sur l'ambassade ; mais le Sénat les leur laissa chez eux à titre de souvenir honorable. Ainsi fut inaugurée une alliance qui devait prouver, par sa durée de deux siècles, qu'elle était bien appropriée à la situation.

Il se fit une seconde alliance qui n'était pas moins importante. Déjà les Romains avaient occupé Brundisium, lieu où l'on s'embarquait pour Apollonie. Cette vieille ville hellénique, florissante par son commerce, renommée de bonne heure et plus tard encore pour sa constitution sagement ordonnée[160], envoya en 270 une ambassade à Rome ; dans quel dessein, on ne nous le dit pas, mais on devine encore la nature des dangers qui la menaçaient[161]. Le roi des Dardaniens, Monounios, avait depuis une dizaine d'années, à la faveur des troubles occasionnés par les invasions gauloises, étendu de plus en plus sa puissance ; déjà Dyrrhachion était sous sa domination ; en ce moment même, il se pouvait qu'il fit la guerre à Alexandre d'Épire ; à supposer que celui-ci fût victorieux, Apollonie n'en était peut-être pas moins menacée. L'ambassade des Apolloniates a laissé sa trace dans l'histoire, à cause d'un incident survenu à cette occasion. Des Romains de distinction ayant insulté grossièrement les ambassadeurs, le Sénat leur livra les coupables ; mais les Apolloniates les relâchèrent sans les punir[162]. On peut conclure de cet accueil fait à l'ambassade qu'Apollonie n'était pas en guerre avec Alexandre, sans quoi la mission aurait été populaire ; il est probable, au contraire, que la ville passait pour être attachée par des intérêts communs à la cause de l'Épire. Mais l'importance de relations amicales avec une ville comme Apollonie ne pouvait échapper à la sagacité du Sénat ; les égards qu'il montra pour les ambassadeurs et la façon dont il leur fit rendre justice prouvent que les Pères Conscrits savaient en apprécier la valeur. Il y eut à coup sûr une alliance conclue alors entre Rome et Apollonie.

 

 

 



[1] TITE-LIVE, Épit. XI.

[2] APPIAN., Samnit., 6. Gall., 11.

[3] Dans Tite-Live (Épit. XII), c'est seulement après l'attaque des Tarentins contre la flotte romaine qu'on lit : Samnites defecerunt. Mais ceci ne peut en aucune façon passer pour une indication chronologique.

[4] POLYBE, II, 19. Il y avait, dit Polybe, dix ans écoulés depuis la bataille de Sentinum. Par conséquent, le siège ne doit pas avoir commencé en 283, mais après l'été de 285, puisque la bataille de Sentinum avait été livrée dans l'été de 295. D'après ce qui a suivi, je crois pouvoir conjecturer que Metellus a été préteur en 284.

[5] D'après l'Épitomé de Tite-Live et Orose, qui suit Tite-Live, les envoyés qui furent mis à mort l'auraient été avant le commencement de la guerre d'Arretium. S. Augustin (De civ. Dei, III, 17), qui puise dans Tite-Live, dit la même chose. NIEBUHR (III, p. 500) fait observer que l'assertion de Polybe est confirmée par Appien (Samnit., 6).

[6] POLYBE, ibid. APPIAN., ibid.

[7] POLYBE, II, 20. APPIAN., ibid. EUTROPE, II, 6. OROSE, III, 22. Appien fait commander l'armée qui combattit au lac Vadimon par le consul Domitius Florus, et Eutrope par le consul Dolabella. Il est bien possible, comme le suppose NIEBUHR, qu'ils aient combattu tous deux ensemble.

[8] Il est question (AUREL. VICTOR, De vir. ill., 33) d'une ovation de M'. Curius Dentatus, vainqueur des Lucaniens. NIEBUHR pense qu'elle a dû avoir lieu en 462/292 ou 463/291 ; il songe à la bataille d'Arretium ou à la précédente : dans ce dernier cas, suivant lui, Dentatus a dû être dictateur. Puisqu'on en est aux hypothèses, il semble que 283, l'année qui suivit sa préture, conviendrait mieux.

[9] Une preuve que cette guerre est de l'année 282, c'est que Frontin (Strat., I, 2, 7) appelle le consul Æmilius Paullus (une faute qui se retrouve aussi dans Plutarque [Parall. min. 6]). En outre, Polybe (II, 20), après avoir relaté la bataille du Vadimon, dit expressément que la guerre se continua de la sorte έν τώ κατά πόδας ένιαυτώ, et qu'elle fut terminée dans la troisième année avant le passage de Pyrrhos en Italie (280) et dans la cinquième avant l'extermination des Gaulois à Delphes (fin 279). Pour qu'il dise la cinquième année, il faut que la victoire de Populonia tombe avant le milieu de l'été 282 et appartienne encore à Ol. CXXIV, 2.

[10] VAL. MAXIME, I, 8, 6. AMM. MARCELLIN, XXIV, 4, 24. C'est par erreur que CLINTON (III, p. 2) place cette victoire de Fabricius en 278.

[11] PLINE, XXXIV, 6.

[12] DION. HALICARNASSE, XXXVIII, 17 éd. Tauchnitz.

[13] C'est le nom qu'il porte dans Appien et dans Zonaras, 1, 42 (éd. Basil., 1557, p. 42).

[14] Pour ces événements, Appien (Samn. 7) et Dion Cassius (fr. 145) s'accordent en général avec Denys d'Halicarnasse (XVII, 6), ce dont je ne ferais pas mention si l'on avait des raisons probantes de penser qu'ils suivent l'un et l'autre de préférence et constamment Denys.

[15] FLORUS, I, 18. Dion Cassius (fr. 145) dit : Διονύσια άγοντες, ce qui ne permet pas, il est vrai, de fixer la date avec précision.

[16] L'expression d'Appien : έθεάτο τήν μεγάλην Έλλάδα, ne nous permet pas de deviner pour quel motif les Romains avaient envoyé leur flotte de ce côté. Il est possible qu'ils aient voulu observer Tarente, et par là protéger Thurii. Cependant on peut aussi leur supposer d'autres desseins.

[17] Appien dit : ότι Έλληνες έπί 'Ρωμαίους κατέφυγον άντί σφών. Ainsi, Thurii s'était adressée à Rome sans demander d'abord aux Tarentins leur assistance contre les Lucaniens. Malheureusement on ne peut rien savoir de précis sur les rapports des cités entre elles. Que Tarente ait positivement abandonné, comme on le dit, Thurii aux Lucaniens (286), la chose est invraisemblable.

[18] Denys d'Halicarnasse (XVII, 10) l'affirme, et après lui Appien (Samn., I, 2). Dion Cassius (fr. 145) dit : προστάς τις τώ Ποστουμίω καί κύψας έαυτόν έξέδαλα.

[19] Cette seconde version est tirée de Valère-Maxime, II, 2, 5 (un des ambassadeurs est urina aspersus avant l'entrée de Fabius au théâtre), c'est-à-dire de Tite-Live. Polybe (I, 6, 5) dit simplement : διά τήν εΐς τούς πρεσβευτάς άσέλγειαν, à moins que l'article λύματα dans Suidas ne soit un fragment de Polybe, ce dont je doute fort.

[20] Denys d'Halicarnasse dit : άπέπλευσαν. Dans Tite-Live (Épit. XII) et Orose, il y a : pulsati sunt.

[21] DION., XVII, 10. APPIAN., Samnit., 7. On pourrait se faire une idée des embarras de Rome et des appréhensions que lui inspirait l'issue de guerres aussi compliquées par ce que disent Orose (IV, 1) et S. Augustin (De civ. Dei, III, 47), à savoir que l'on arma jusqu'aux prolétaires, si la véracité de cette assertion était mieux garantie qu'elle ne l'est.

[22] ZONARAS, VIII, 2.

[23] APPIAN., loc. cit.

[24] C'est le récit de Denys d'Halicarnasse (XVII, 13 et 14). Plutarque (Vit. Pyrrhos, 13) ne doit pas avoir emprunté le sien à Denys.

[25] L'expression de Plutarque est très remarquable : il dit que les Tarentins envoyèrent des députés οχ ατν μνον, λλ κα τν ταλιωτν.

[26] PAUSANIAS, I, 12. C'est une assertion qui, comme on s'en aperçoit en la comparant avec Polybe (XII, 4, 6. [TIM., fr. 151]), doit certainement venir de Timée. La belle médaille d'argent ΒΑΣΙΛΕΩΣ ΠΥΡΡΟΥ (avec la tête d'Achille au droit, et, au revers, Thétis sur le cheval marin, apportant l'armure, monnaie semblable aux pièces d'or des Brettiens) appartient, à en juger par son poids (8gr., 4) à un autre système monétaire que les tétradrachmes portant la même légende, avec la tête de Zeus Dodonéen au droit et, au revers, Héra assise, soulevant son voile. Ceux-ci pèsent 15gr., 56, d'après le Catalogue du Cabinet des Médailles de Berlin (n° 447), tandis que, suivant MOMMSEN (Rein. Münzwesen, p. 131), LEAKE et THOMAS ont trouvé, pour la pièce en question, le premier 8gr., 44, l'autre 8gr., 35.

[27] PLUTARQUE, Pyrrhos, 13.

[28] Fasti triumph. ann. U. C. 473.

[29] KLAUSEN, Aeneas und die Penaten, p. 439 sqq.

[30] PLUTARQUE, loc. cit.

[31] On serait en droit de faire cette supposition, attendu que Pyrrhos a avec lui en Italie de la cavalerie thessalienne (PLUTARQUE, Pyrrhos, 17). Mais, dans le Canon des rois de Thessalie (EUSEB. ARM., p. 216 éd. Schöne), Ptolémée Céraunos vient immédiatement après Lysimaque.

[32] iterata Tarentinorum legatione (JUSTIN., XVIII, 1).

[33] additis Samnitum et Lucanorum precibus (JUSTIN, ibid.).

[34] Voyez ZONARAS. C'est à cette expédition d'Æmilius que se rapporte le fragment de Denys d'Halicarnasse (XVII, [12 fr. Vatic.]) où l'expression : άρουρας άκμαίον ήδη τό σιττικόν θέρος έχούσας indique la date précise ; on moissonne dans ces pays au commencement de juin.

[35] L'histoire de cette expédition de Pyrrhos en Italie et en Sicile nous est parvenue dans un état lamentable. L'antiquité avait là-dessus des renseignements en abondance et des rapports faits à différents points de vue : on s'en aperçoit aux contradictions souvent extraordinaires dont fourmillent les textes que nous avons devant nous. Il n'est malheureusement plus possible de les ramener tous à leurs sources originales. Il faut placer en première ligne les βασιλικά ύπομνήματα (PLUT., Pyrrhos, 21) ou έργων ύπομνήματα (PAUSAN., I, 12, 3). Denys d'Halicarnasse (XIX, 11) dit qu'ils ont été rédigés par Pyrrhos lui-même ; mais l'expression de Pausanias : στι δ νδρσι βιβλα οκ πιφανσιν ς συγγραφν, χοντα πγραμμα ργων πομνματα, fait supposer qu'ils ne sont pas l'œuvre de Pyrrhos, qui, comme tacticien tout au moins, eût été un écrivain distingué. Seulement, ces Mémoires ont été naturellement rédigés d'après ses indications. En tout cas, c'était une source abondante, dont se sont servis Denys et Pausanias. — Nombre de citations démontrent que Hiéronyme de Cardia avait aussi traité de cette guerre dans son grand ouvrage historique ; sa partialité pour Antigone n'a pas pu ne pas influer ici sur son jugement (PAUSAN., I, 13, 8). — Un auteur qui a dû avoir son importance, c'est Proxénos, qui était sans contredit un contemporain de Pyrrhos ; il est à remarquer qu'il avait écrit, outre ses Ήπειρωτικά, un traité περί πόρων Σικελικών (STEPH. BYZ., s. v. Γέλα), et un autre intitulé Λακωνική πολιτεία (ATHEN., VI, p. 267) ; il est naturel de supposer que l'un et l'autre de ces écrits se rattachaient aux deux expéditions de Pyrrhos. — Quant aux Ήπειρωτικά de Critolaos, il suffit de lire comme échantillon l'histoire fabuleuse rapportée par Plutarque (Parall. min., 6). — Les Ήπειρωτικά de Philochore (fr. 186. 187, car on est en droit de substituer au nom de Philostéphanos donné par Harpocration la leçon du ms. de Heidelberg, qui est abrégé, mais ancien), si tant est que cette guerre y ait été comprise, ont dû contenir des renseignements fort intéressants. Nous verrons que Philochore a joué un rôle dans les complications survenues entre Athènes et la Macédoine, et il a survécu de dix ans à Pyrrhos. On trouverait peut-être dans le fragment sur Sybaris (fr. 207 ap. ATHEN., IX, p. 393) un léger indice tendant à prouver qu'il avait fait entrer dans son ouvrage la guerre d'Italie. — En fait de partisans des Siciliens et Italiotes, nous pouvons mettre en première ligne l'ouvrage spécial de Timée de Tauroménion (DION., I, 6. CIC., Ad fam., V, 12. POLYB., III, 72), d'où Diodore et Trogue-Pompée paraissent avoir tiré leur narration. — Il est à peu près certain que les Ίταλικά d'Antigone (de Carystos, comme l'indique la place qu'il occupe dans la série d'auteurs cités par Denys d'Halicarnasse, I, 6) comprenaient aussi cette période, correspondant à la jeunesse de l'auteur. — Le Zénon qui a écrit τν Πρρου γεγραφς στρατεαν ες ταλαν κα Σικελαν (DIOG. LAERT., VII, 35) est le Rhodien que Polybe (XVI, 15 sqq.) tance si vertement. — Il est assez étonnant, à coup sûr, qu'un Carthaginois, Proclès, fils d'Eucrate, ait aussi écrit sur Pyrrhos ; Pausanias (IV, 35, 3) cite de lui précisément. une appréciation du talent militaire de Pyrrhos. Il est vrai que des éditeurs modernes regardent ce passage comme une glose. Un autre passage tiré de Proclès (II, 21, 7) appartenait visiblement au récit de la mort du roi. — Il est évident qu'à Rome on avait sous la main quantité de souvenirs, mais il est certain aussi que la tradition orale a contribué à dénaturer les faits. Fabius et Cincius ont dû compléter le peu que leur fournissaient les chroniques officielles avec ce qu'ils ont pu se faire raconter par les survivants de cette époque. Dans les fragments des Annales d'Ennius, on reconnait parfaitement la teinte romaine répandue sur la narration. Cent ans plus tard écrivaient C. Claudius Quadrigarius et Valerius Antias, l'un et l'autre sans la moindre critique ; la seule raison pour laquelle on les mentionne ici, c'est que certaines assertions se couvrent de leur autorité.

[36] Avec les textes mutilés dont nous disposons, on ne parvient pas à se faire une idée suffisamment nette de Cinéas et de ses rapports avec Pyrrhos. Son éloquence, son habileté politique était aussi grande que son dévouement au roi. C'est une de ces situations comme il y en a beaucoup dans cette époque surexcitée et qui montrent à quel point les princes avaient compris que la culture intellectuelle est une puissance. Cinéas, dont la mémoire était un objet d'étonnement, était aussi un écrivain distingué. Outre un ouvrage sur la tactique, que Cicéron a encore connu, il avait écrit notamment des Θετταλικά (STEPH. BYZ., s. v. Δωδώνη. Έφύρα). Cinéas était d'abord contre l'expédition d'Italie. L'étrange dialogue entre lui et le roi, tel que le rapporte Plutarque, doit être tiré de Denys d'Halicarnasse, bien que Dion Cassius (fr. 38) s'en réfère à Plutarque quand il y fait allusion, ce qui n'eût pas été nécessaire si, comme on le suppose, Dion suivait le plus souvent Denys. Il ne vient certainement pas d'une bonne source, comme Hiéronyme, par exemple ; il est trop incolore, trop peu localisé dans une période donnée des complications politiques (ainsi le τών νύν ύβριζόντων πολεμίων ne peut s'appliquer qu'à Séleucos et ne lui convient pas) ; ce n'est guère qu'une digression morale, tout à fait dans le goût de Denys. Du reste, un fragment des τομάρια d'Aristonymos (ap. STOB., Floril., I, p. 257 éd. Lips.) se rapporte à la conversation susdite : Thémistius aussi (Orat. X, p. 167 éd. Dindorf) y fait allusion (d'après Plutarque probablement), etc.

[37] Cette condition, on peut l'inférer de la conduite tenue par le roi lors de son entrée à Tarente ; l'exemple d'Agis, cité plus haut, montre que de pareilles concessions n'étaient pas chose inconnue à Tarente ; en Grèce, on avait déjà conféré à Philippe, à Alexandre, en vue de la lutte contre les Barbares, des pouvoirs identiques.

[38] ZONARAS.

[39] Suivant Plutarque, Cinéas conduisit lui-même les troupes en Italie. Zonaras, qui dans cette partie de son histoire n'est qu'un judicieux abréviateur de Dion, distingue deux envois : il dit que Milon est arrivé μετ' ού πολύ.

[40] ZONARAS. FRONTIN., I, 4, 1.

[41] Ptolemæus Ceraunusbella cum Antiocho et Pyrrho composuit, datis Pyrrho auxiliis quibus iret contra Romanos defensum Tarentum (TROG. POMPÉE, Épit. XVII).

[42] Tel est le récit de Justin (XVII, 2 : cf. XVIII, 4). Il est possible qu'en ce qui concerne le mariage, il y ait confusion entre Ptolémée Céraunos et son père. Comme Pyrrhos s'embarqua avec moins de cavalerie et d'éléphants qu'un ne dit ici, et qu'en outre il est expressément attesté (PAUSAN., I, 12) que les éléphants emmenés par lui étaient les siens, ceux qu'il avait enlevés à Démétrios, on est tenté de croire que le corps auxiliaire macédonien ne partit pas immédiatement avec lui ; mais l'expression de Justin : cui nulla dilationis ex infirmitate virium venia esset, interdit cette supposition. Le chiffre de 4.000 cavaliers est bien fort ; peut-être, si l'on trouve insuffisante une conjecture proposée plus haut, peut-être y avait-il dans le nombre des Thessaliens : parmi les Macédoniens aussi, bon nombre ont pu s'attacher à la cause de Pyrrhos ; c'étaient des gens dont il y avait bénéfice à se débarrasser.

[43] Aio te, Aeacida, Romanos vincere posse (ENNIUS, fr., p. 78 éd. Lips.) CIC., Divin., II, 56. DIO CASS. ap. MAI, p. 160. Minucius Félix (éd. Lugd. 1672, p. 241) dit : De Pyrrho Ennius Apollinis Pythii responsa finxit, cum jam Apollo versus facere desiisset.

[44] JUSTIN., XVIII, 1.

[45] σύδέ τό έαρ έμεινεν (DIO CASS. ap. MAI, loc. cit.). Zonaras suit Dion Cassius. Comparaison faite avec les événements de Macédoine, cette date de 280 est parfaitement sûre. C'est en apparence seulement que Polybe (II, 20, 6) y contredit ; il affirme, en fin de compte, que la traversée de Pyrrhos a eu lieu τώ προτέρω έτει τής τών Γαλατών έφόδου, et, en effet, elle s'est effectuée six ou huit mois avant, dans l'année olympique précédente. Les données quelque peu divergentes que l'on trouve dans Pline (XVII, 6, 21), Aulu-Gelle (XVII, 21) et autres s'expliquent d'autre manière.

[46] PLUTARQUE, Pyrrhos, 15. L'opinion qui veut que Pyrrhos ait eu aussi avec lui des troupes illyriennes et italiennes repose sur une méprise, car Dion (fr. 39) fait allusion, comme on le voit par la mention de Philippe de Macédoine (le fils de Cassandre) à une époque bien antérieure. J'ignore d'où Pline (III, 16) a tiré l'absurdité qu'il raconte, à savoir que Pyrrhos avait voulu jeter un pont d'Apollonie à Hydronte pour y faire passer ses troupes.

[47] A entendre Pausanias (I, 12), Pyrrhos passa en Italie avec ses vaisseaux à l'insu des Romains, et, une fois arrivé, sa présence ne leur fut pas connue tout de suite. Pausanias, superficiel comme toujours, a dû interpréter de cette façon ce qu'il a lu dans les Mémoires royaux sur la traversée et le débarquement opérés sans encombre.

[48] Voyez les Fasti triumphales, si tant est qu'ici ils méritent créance.

[49] Voyez ZONARAS.

[50] Plutarque dit : avec une grande armée. Il y avait certainement dans cette armée des alliés en grande quantité ; on cite notamment les Frentans (PLUT., Pyrrhos, 17). On a souvent fait remarquer que Plutarque, ou l'auteur qu'il suit, appelle le consul Albinus au lieu de Lævinus. Avec Lævinus marchait la huitième légion, celle de Campanie (OROS., IV, 3).

[51] ZONARAS. Pour les détails précis, voyez NIEBUHR (III, p. 542).

[52] SERVIUS ad Virg., Æn., IX, 43.

[53] La date est, d'après Polybe (I, 7, 6) : καθ´ ν καιρν Πρρος ες ταλαν περαιοτο. Suivant Denys d'Halicarnasse (XIX, 1), il est vrai, Decius n'est allé à Rhégion que sur l'ordre de Fabricius. C'est aussi l'opinion de l'auteur qui rapporte (ap. ÆLIAN., Var. Hist., V, 20) que les habitants de Rhégion, pour envoyer des provisions aux Tarentins assiégés par les Romains et torturés par la faim, jeûnaient un jour sur dix.

[54] JUSTIN., XVIII, I.

[55] C'est ici que se place l'anecdote rapportée par Frontin (IV, 1, 3). Pyrrhos dit à son officier recruteur : tu grandes elige, ego fortes reddam.

[56] Voyez Plutarque, Appien (Samnit., 8) et Zonaras. Tite-Live (XXIII, 7) dit : superba Pyrrhi dominatio et miserabilis Tarentinorum servitus.

[57] On trouve la correspondance au complet dans Denys (XVII, p. 15-18), mais ce ne sont pas, à coup sûr, les lettres authentiques.

[58] DION., XVIII, 1. ZONARAS. FRONTIN., IV, 7, 7.

[59] Denys l'appelle Oblacus Vulsinius ; c'était un Frentan, préfet de cavalerie.

[60] Blessé par C. Minucius, le primus hastatus de la quatrième légion (OROSE, IV, 1. FLORUS, I, 18),

[61] La description de la bataille est faite d'après les relations de Zonaras, de Plutarque, et un fragment de Denys (XVIII, p. 1-4). Sur la date de la bataille, il est impossible de préciser. Florus dit que le roi combattit cum totis viribus Epiri, Thessaliæ, Macedoniæ ; par conséquent, les troupes de Ptolémée Céraunos étaient arrivées.

[62] ZONARAS. DION CASSIUS ap. MAI, p. 171. DIODORE, XXII. OROSE (IV, 1) rapporte expressément ce mot, qui se trouve aussi dans Aurelius Victor (De Vir. ill., 35), à la bataille de Siris ; Plutarque (Pyrrhos, 21) en donne une variante qu'il place après la bataille d'Asculum.

[63] ZONARAS.

[64] DION CASSIUS, fr. 4.

[65] Ce chiffre est celui d'Hiéronyme (ap. PLUTARQUE, Pyrrhos, 17), qui a pu se renseigner dans les Mémoires de Pyrrhos. Les chiffres beaucoup plus considérables que donnent Denys et Orose (d'après Tite-Live) n'ont aucune valeur en comparaison.

[66] On dit que Pyrrhos consacra un ex-voto dans le temple de Zeus à Tarente avec cette inscription :

Ceux que nul encore n'avait vaincus, ô Père qui trônes sur le haut Olympe,

Je les ai battus en campagne, et eux m'ont battu aussi.

La dite inscription doit avoir à peu près la même valeur que les Fastes triomphaux de cette année, où il est dit que le proconsul L. Æmilius Barbula triomphe de Tarentineis Samnitibus et Sallentineis. — On a pensé que les merveilleux bronzes de Siris pourraient bien avoir quelque rapport avec cette bataille ; mais BRÖNSTED lui-même ne voit là qu'une fantaisie ingénieuse.

[67] DION CASSIUS, ap. MAI, p. 171 et ZONARAS, VIII, 3.

[68] JUSTIN, XVIII, 1. Les Brettiens allèrent rejoindre le roi (EUTROPE, II, 12).

[69] APPIAN., Samnit., 10.

[70] Après des victoires importantes, si l'on croit au triomphe de Ti. Coruncanius, catalogué dans les Fastes triomphaux à la date des Kal. Febr. de l'an 279.

[71] FLORUS, I, 18.

[72] Ce sont les termes employés par NIEBURH, p. 581.

[73] prope captam urbem a Prænestina arce prosperit (FLOR., I, 18. Cf. EUTROP., II, 7. AUREL. VICT., 39). Appien (Samn., 10, 3) ne le fait avancer que jusqu'à Anagnia. Comme les Romains n'ont pas dû affaiblir, en détachant des garnisons à Préneste et autres lieux, leur armée qui avait mission de couvrir Rome et non pas de garder autant de petites localités que possible, il n'y a pas de raison péremptoire de douter que Pyrrhos ait poussé jusqu'à Préneste. Le silence d'Appien ne prouve rien, attendu que de son troisième livre des 'Ρωμαΐκά (γ' Σαυνιτική) il ne reste que des extraits dans les compilations faites par ordre de Constantin Porphyrogénète.

[74] L'histoire des négociations entre Pyrrhos et Rome est dans un désordre inimaginable. Ce n'est pas simplement le caractère du roi (voyez POLYÆN., VI, 8, 3), c'est surtout le cours des événements qui a décidé Pyrrhos à faire des offres de paix lors de sa marche sur Rome. Cette hypothèse éclaircit dans une certaine mesure des difficultés qui seront exposées plus loin. Nous n'avons là-dessus aucun renseignement, à moins que l'on ne rapporte à ce fait une assertion contenue dans l'entretien que suppose Denys (XVIII, 20). On peut encore rattacher à ces pourparlers le renvoi préalable de 200 captifs, que Justin (XVIII, 1) distingue nettement des négociations avec Fabricius, et que Trogue-Pompée n'a pas de imaginer de lui-même.

[75] DION CASSIUS ap. MAI, p. 172.

[76] DION CASSIUS ap. MAI, p. 173.

[77] C'est à cette circonstance que se rapporte le fragment intéressant de Dion Cassius dans MAI (loc. cit.). Pyrrhos avait grand'peur d'être cerné parles Romains dans des régions inconnues, et, comme ses alliés en étaient irrités (c'était plutôt à cause de la retraite décidée pour cette raison), il dit qu'il voyait bien par le pays même combien ils étaient inférieurs aux Romains : le sol romain était bien cultivé, etc. ; celui de ses amis si ravagé, qu'on ne s'apercevait pas même qu'il eût jamais été habité.

[78] APPIAN., Samnit., 10, 3. On racontait la même anecdote à propos de Cinéas, lorsqu'il avait assisté à Rome aux levées de volontaires. La tradition courante ne conserva que le mot saillant et modifia à son gré la situation qui l'encadrait.

[79] C'est ce que dit expressément Appien. Le fait est, du reste, confirmé par la campagne de l'année suivante. NIEBUHR était d'avis que Pyrrhos avait pris ses quartiers d'hiver à Tarente : mais comment le roi aurait-il éloigné ainsi l'armée de toutes les positions conquises et rendu par là aux Romains la liberté de leurs mouvements ? comment aurait-il imposé aux Tarentins et Lucaniens la charge de, l'entretien des troupes, alors que l'on pouvait hiverner sur le territoire ennemi ? Que Pyrrhos soit allé de sa personne à Tarente, Dion Cassius (fr. 146) et Zonaras le disent, et la chose par elle-même est parfaitement compréhensible.

[80] Les manuscrits de Frontin (IV, 1, 24) donnent Serunium, Sitrinum, Serinum : le cod. Palat., porte Firmum. NIEBUHR a corrigé en Ferentinum. Mommsen suit le cod. Palat. ; mais à Firmum, sur la côte de l'Adriatique, non loin d'Ancône, ces deux légions se seraient trouvées bien éloignées : il était plus nécessaire de couvrir la via Latina.

[81] La principale difficulté est la chronologie. NIEBUHR, avec son merveilleux talent de critique, a opté pour un arrangement qui séduit au premier abord, mais qui a d'autant moins de chances d'être exact. Le récit le plus suivi de toute cette guerre, celui de Zonaras, place la mission de Fabricius après la retraite sur la Campanie, et celle de Cinéas ne vient qu'ensuite. Zonaras est le fidèle abréviateur de Dion, et il est entendu que, pour les temps anciens, Dion suit principalement Denys et Tite-Live ; peut-être a-t-il encore usé accessoirement de Plutarque, en le combinant avec ses deux autres sources. Le système de Dion (connu par Zonaras) concorde avec celui de Tite-Live : on le voit par l'Épitomé du livre XIII (ad urbam Romam processit. C. Fabricius missus... Cineas legatus a Pyrrho ad Senatum missus) et par ce qu'en a extrait Eutrope (II, 12). Même résultat avec Florus (I, 18, 15). Quant à Denys, NIEBUHR affirme qu'il relatait les deux missions en ordre inverse : nous avons de lui (XVIII, 5-27) les négociations entre Fabricius et Pyrrhos, et, en effet, il est question aux ch. 7 et 20 d'une paix que le Sénat aurait repoussée ; de plus, Appien (Samn., 10), que NIEBUHR considère comme n'ayant fait qu'abréger l'ouvrage de Denys aussi loin que le conduisait son devancier, place expressément la mission de Cinéas avant celle de Fabricius. Enfin, Plutarque (Pyrrhos, 20) adopte le même ordre, et il avait, lui aussi, Denys sous les yeux : peut-être même l'avait-il pris exclusivement pour guide, bien qu'il connût aussi Hiéronyme. Mais précisément au sujet de ces négociations, ils s'écartent notablement l'un et l'autre de Denys. Appien, par exemple, rapporte en deux endroits des traditions divergentes, qu'il n'a pas dû trouver ainsi juxtaposées dans Denys. Enfin, dans Denys, la série des fragments qui concernent l'ambassade de Fabricius commence par les mots : τι Πρρου το πειρωτν βασιλως π τν Ῥώμην στρατιν ξαγαγντος βουλεσαντο πρεσβευτς ποστελαι. Cela veut dire, si ce début des extraits de Porphyrogénète n'est pas altéré, que Denys plaçait cette légation non pas après celle de Cinéas, mais à une date antérieure, avant le moment où doit avoir eu lieu, d'après NIEBUHR, la mission de Cinéas. Le récit de Justin est malheureusement trop peu précis pour qu'on puisse s'en servir comme de point de départ, et Valère Maxime (II, 7, 15), qui prétend que les captifs ramenés (par Fabricius évidemment) étaient précisément les soldats commandés pour la campagne d'hiver, ne saurait, en sa qualité d'anecdotier, être pris pour garant d'une opinion opposée à d'autres textes. Restent donc les trois systèmes, de Tite-Live avec Dion et Zoneras, de Plutarque et Appien, de Denys. La relation de Denys se termine à la mise en liberté des captifs, qui doit servir de préliminaire à un traité de paix (c. 27), et l'auteur ne peut entendre par là que les négociations de Cinéas. Si réellement l'ordre chronologique (c. 5) est entaché d'erreur, ayant été dérangé par l'abréviateur, et si l'interprétation que nous donnons de la fin est exacte, alors les allusions signalées ci-dessus (p. 143, 2) doivent être rapportées, comme nous le disions, à des propositions de paix déjà repoussées, et Denys se trouve d'accord sur la question qui nous préoccupe avec les relations inspirées par Tite-Live. Tite-Live suivait des annalistes romains, et il n'est guère admissible que ceux-ci aient substitué le récit qu'ils donnent à une page qui eût été si glorieuse pour Rome, au lieu de montrer Rome opposant un refus à Cinéas au moment du suprême danger. Si cette version plus flatteuse se rencontre dans Arrien et Plutarque, cela prouve que la tradition occupée à embellir les faits trouva aussi des adhérents, et peut-être Tite-Live avait-il déjà dit que certains auteurs racontaient les choses de cette façon. C'était le cas pour Ennius, comme le montre assez claire. ment, ce semble, le fragment cité par Cicéron (De off., I, 12). NIEBUHR invoque, en faveur de l'antériorité qu'il accorde à la mission de Cinéas, la vraisemblance intrinsèque ; ce n'est, suivant lui, qu'au moment où Pyrrhos marchait sur Rome qu'il a pu formuler, par l'intermédiaire de Cinéas, les prétentions dont parle Appien : mais il a parfaitement bien pu le faire après avoir rétrogradé en Campanie.

[82] Le cens de l'an 280 donna 278.222 citoyens : on ne saurait évaluer le nombre des prisonniers. Justin, qui puise dans des auteurs grecs, donne a cette mission un tout autre but.

[83] Je laisse de côté les anecdotes rebattues qui courent sur le compte de Fabricius ; il est devenu, pour ainsi dire, la personnification mythique de toutes les vertus romaines de l'époque. Le fameux dialogue rapporté par Denys et que complètent les fragments dus à A. MAI ne peut naturellement, pas plus prétendre à l'exactitude ou plutôt à la vérité historique que l'histoire des éléphants dans Plutarque.

[84] Cette dernière version est celle qu'adopte NIEBUHR. Le Sénat aurait décrété la peine de mort pour les prisonniers, au cas où ils essaieraient de rester à Rome au mépris de la parole donnée. C'est ainsi que Plutarque (Pyrrhos, 20) et Appien (Samn., 10) racontent les choses. Cette fois encore, NIEBUHR se trompe en supposant qu'ils ont pris l'un et l'autre leurs informations dans Denys. NIEBUHR remarque lui-même que l'autre version a pour elle non seulement à tradition émanée de Tite-Live, mais encore Ennius (ap. CIC., De Off., I, 12) et Cicéron lui-même (De Off., I, 12 et III, 31. 32). Tous ces témoignages, et celui de Denys par surcroît, suffisent, ce semble, à prouver que tous les prisonniers ont été remis en pleine liberté.

[85] JUSTIN, XVIII, 2 et VAL. MAXIME, III, 7, 10, Le péril le plus pressant, qui aurait pu décider Rome à accepter un secours si dangereux, c'est-à-dire celui qui menaçait les environs immédiats de Rome, était passé. L'alliance conclue dès l'année suivante entre Rome et Carthage montre que Rome consentait parfaitement à signer un traité dans lequel elle accordait autant qu'elle recevait.

[86] POLYBE, III, 24. Ce traité peut être celui de 347 (TITE-LIVE, VII, 27) ou celui de 306 (TITE-LIVE, IX, 43).

[87] VAL. MAXIME, III, 7, 10.

[88] PLUTARQUE, Pyrrhos, 14.

[89] Ceci d'après Pline (VII, 24). On ajoute même : omnem circumfusam plebem (ap. SENEC., Controv. I, p. 66 éd. Bipont.). Il y a une allusion au fait dans Cicéron (Tuscul., I, 24).

[90] Zonaras est le seul, dit NIEBUHR, qui donne ce renseignement. On voit par ses mots (ap. MAI, p. 177) que Zonaras l'a emprunté, au circonspect Dion. Il ne se trouvait pas dans Tite-Live (cf. XXXIV, 4. VAL. MAXIME, IV,3, 14. ÆLIAN. ap. SUID., s. v. δώς), mais probablement dans Denys. Plutarque assure que tous les présents furent refusés : cette assertion a plus de poids sous la plume de Justin et de Diodore (XXII, 5, 3), car, chez eux, elle peut passer pour venir de Timée. Cela ne veut pas dire que cette autorité soit décisive. On n'admire un Fabricius qu'autant qu'il y a un Rufinus pour faire contraste. Rome reste digne d'admiration, même en faisant le sacrifice de ces types abstraits.

[91] Le récit le plus détaillé est celui d'Appien. Il dit que Pyrrhos offrit son amitié et son alliance, pourvu que les Tarentins y fussent compris, que les autres Grecs d'Italie fussent reconnus libres et autonomes et que les Lacaniens, Brettiens, Samnites, Dauniens, rentrassent en possession de tout ce que les Romains leur avaient enlevé. Seulement, Appien supposait que ces ouvertures avaient été faites avant que Pyrrhos marchât lui-même sur Rome. Eutrope (II, 12) dit : ut Pyrrhos eam partem Italiæ, quam jum armis occupaverat, obtineret. Il est impossible qu'il ait exigé la Campanie pour lui ou qu'il ne l'ait pas réclamée pour les Samnites. D'après Tite-Live (Épit. XIII), Pyrrhos se contenta de demander qu'on lui permît de venir lui-même à Rome pour négocier la paix. Suivant Plutarque (Pyrrhos, 18), le roi exigea alliance pour lui, impunité pour les Tarentins, moyennant quoi il promettait d'aider les Romains à soumettre l'Italie. Bref, tous les renseignements sont aussi insuffisants que contradictoires.

[92] Cicéron a pu lire encore sa harangue. Les Annales d'Ennius (dicere illa quæ versibus persecutus est Ennius. CIC., De Senect., 6, avec un fragment du poème) ont dû contenir de la substance du discours primitif plus qu'il n'y en a dans l'élucubration de Denys et dans les morceaux qui lui ont été empruntés, depuis Plutarque jusqu'à Zonaras.

[93] DION CASSIUS ap. MAI, p. 176.

[94] ENNIUS, p. 85 éd. Lips

...decretum est fossare corpora telis,

dum quidem anus homo Romæ toti superescit.

Pour le reste, voyez Plutarque, Zonaras, et Eutrope (II, 13).

[95] PLUTARQUE, Pyrrhos, 19. Appien (Samnit., 10) donne une version quelque peu différente.

[96] VAL. MAXIME, II, 7, 15. ZONARAS. EUTROPE, II, 13.

[97] Peut-être les levées commencèrent-elles déjà avant que Cinéas n'eût quitté Rome. Ce qui le ferait croire, ce sont moins les anecdotes rapportées par Plutarque et Appien (avec leur chronologie fautive) que la place où se trouve le fragment de Dion dans MAI, p. 176.

[98] APPIAN., II, 1.

[99] POLYBE, XVIII, 11.

[100] PLUTARQUE, Pyrrhos, 21. La narration qui a passé de l'ouvrage de Denys chez Dion, et de là dans Zonaras, porte tout à fait la marque fabuleuse de Timée : d'abord, l'altercation amicale des soldats qui se disputent à qui passera le fleuve, afin que la bravoure seule lutte pour le prix ; ensuite les chars armés de faux opposés aux éléphants ; puis le pillage du camp des Épirotes par leurs propres auxiliaires, la retraite autour du roi blessé, etc. Ce dernier trait se retrouve dans Ennius (Annal., p. 85, éd. Lips.). Au sujet de cette bataille, qui parait être devenue proverbiale (voyez TITIN., fr. 17 fab. inc. éd. Ribbeck), il s'est formé de bonne heure à Rome des traditions chargées d'ornements, comme, par exemple, le dévouement de Decius (ap. CIC., De Fin., II, 19). Les Romains s'attribuèrent la victoire. On trouve dans Frontin (II, 3, 21) une assertion étrange. Il prétend que Pyrrhos plaça à l'aile droite les Épirotes et les Samnites, à l'aile gauche les Brettiens, Lucaniens et Sallentins, au centre les Tarentins, comme étant les plus faibles ; à l'arrière-garde, les cavaliers et les éléphants. D'après Polybe (XVIII, 1) et par la force des choses, il est impossible que l'ordre de bataille ait été ainsi conçu.

[101] EUTROPE, II, 13. ZONARAS. Parce que Zonaras assure que les consuls, empêchés par le grand nombre de leurs blessés, n'ont pas marché après la bataille dans la direction du sud, mais se sont retirés en Apulie pour y prendre leurs quartiers d'hiver, faut-il placer la bataille en automne ? On se heurte partout ici à des obscurités.

[102] ZONARAS, VIII, 5.

[103] Les données fort divergentes qui concernent cet incident ont été réunies par NIEBUHR (III, p. 595). La forme première de l'histoire, avec ses deux versions, nous est donnée par Aulu-Gelle (III, 8). D'après Valerius Antias, Timocharès vint au camp et s'offrit à accomplir le meurtre par l'intermédiaire de ses fils, qui étaient échansons du roi, sur quoi Fabricius en référa au Sénat, et le Sénat fit avertir le roi sans nommer le traitre. D'après Claudius Quadrigarius, ce fut Nicias qui fit la proposition (le médecin, par une confusion assez explicable, s'appelle Cinéas dans Élien, Var. Hist., XII, 33), et ce ne fut pas le Sénat, mais Fabricius qui dénonça la trahison à Pyrrhos. Cette dernière version, peu modifiée, sauf dans la prétendue lettre des consuls où il y a divergence complète, se retrouve dans Plutarque (Pyrrhos, 21) ; il a dû la prendre dans Denys, qui puisait probablement à la même source que Quadrigarius et en usait tout aussi librement avec son auteur. Le récit de Valerius Antias a passé dans Valère-Maxime (VI, 5, 1). Tite-Live donnait les deux versions à la fois ; on en a pour preuve non-seulement un passage du livre XXXIX, 51, où les patres rappellent le récit de Valerius Antias, et un autre du livre XLII, 47, où le medicus provient de Quadrigarius, mais encore le procédé analogue d'Ammien Marcellin (XXX, 1, 22), Dion Cassius (p. 539 éd. Mai) a suivi Denys, mais il a indiqué tout au moins la variante fournie par Tite-Live. Je laisse de côté d'autres textes relatifs à cette histoire si souvent racontée, attendu qu'aucun ne renvoie à des sources originales.

[104] Les difficultés ne font que s'accroître si l'on veut tenir compte du renseignement que Plutarque (Parall. min., 6) a emprunté aux Ήπειρωτικά de Critolaos. Æmilius Paulus, y est-il dit, avait appris par un oracle qu'il remporterait la victoire sur Pyrrhos s'il élevait un autel à l'endroit où il verrait un homme s'engloutir avec son char dans la terre. Quelques jours après, Valerius Conatus avait eu un songe qui lui indiquait l'endroit en question. L'autel fut élevé, Pyrrhos battu, et Æmilius envoya à Rome 100 éléphants comme butin de guerre. L'histoire est assez incohérente, mais n'y aurait-il pas cependant au fond un fait réel ? Je n'ose pas l'admettre sur la foi de Critolaos ; nous ignorons en quel temps et en quel pays il a vécu. Voyez WESTERMANN, Quæst. Dem., IV, p. 9.

[105] POLYBE, III, 25, 4.

[106] C'est ainsi que le traité se trouve placé dans Tite-Live (Épit. XIII). Diodore (XXII, 7, 5) en fait également mention.

[107] Les monnaies ne le désignent pas précisément comme dynaste, mais comme fonctionnaire.

[108] Ceci résulte du πάλις employé par Diodore (Eclog. XXII, p. 495).

[109] C'est le nom que lui donnent Denys et Plutarque. Diodore l'appelle Thynion.

[110] APPIAN., Samnit., 12. Personne autre ne dit mot de ce traité, qui joue cependant un rôle considérable dans bien des histoires modernes.

[111] DIODORE, XXII, 7, 5.

[112] PLUTARQUE, Pyrrhos, 22.

[113] D'après Plutarque (Pyrrhos, 9) et Diodore (XXII, 8, 2), c'est Alexandre, et non pas Hélénos, comme le dit Justin (XXIII, 3), qui était fils de Lanassa.

[114] JUSTIN, XXIII, 1.

[115] Les mouvements signalés ici seraient certainement des plus étranges au point de vue militaire ; mais nous n'en pouvons indiquer que le but. Le détail, qui a dû répondre à la renommée stratégique de Pyrrhos, nous échappe complètement.

[116] APPIAN., Samnit., 11.

[117] JUSTIN, XVIII, 1. Comme Pyrrhos n'emmena en Sicile que 8.000 hommes de pied, ses garnisons en Italie ont dû être considérables.

[118] C'est le chiffre que donne le texte d'Appien rectifié par Moufta, texte où l'indication du nombre des cavaliers a disparu. D'après Plutarque (Pyrrhos, 22), le roi avait envoyé Cinéas en avant : il doit avoir été conclu des conventions militaires de toute sorte.

[119] Diodore (XXII, 8, 3) et Plutarque (Pyrrhos, 22) affirment que la flotte au complet comptait plus de 200 vaisseaux. Denys (XIX, 6) dit que toute la syracusaine, 200 navires, avait été remise à Pyrrhos.

[120] C'est le Monte Pellegrino, d'après HOLM, Geschichte Siciliens, II, p. 283. Les détails sont empruntés à Diodore (XXII, 10, 4-5) et Plutarque (Pyrrhos, 23).

[121] Il s'agit des rares et belles médailles que l'on trouve reproduites dans RAOUL-ROCHETTE, Mem. sur les médailles siciliennes de Pyrrhus, p. 118, pl. 1, n° 9. 10. 17 et VII, n° 16. Les médailles non moins belles avec la légende ΣΙΚΕΛΙΩΤΑΝ ont été interprétées par RAOUL-ROCHETTE dans le sens indiqué ci-dessus, et son opinion se trouve justifiée jusqu'à un certain point par l'expression de Polybe (VII, 4, 5). HEAD (History of the coinage of Syracuse dans la Numism. Chronicle, XIV, p. 67) est arrivé à un résultat tout différent : il pense que ces monnaies datent d'une époque postérieure, du temps d'Hiéron II, et HOLM (dans la Numism. Zeitschr. de VON SALLET, II, p. 349) s'est rallié à cette manière de voir. Il faut avouer que le postulat accepté ici, à savoir que Hiéron appelle ses sujets helléniques Sicéliotes par opposition aux habitants de la province romaine, n'est pas précisément de nature à recommander cette interprétation. On pourrait se fier davantage à l'opinion de HEAD en ce qui concerne les monnaies de cuivre avec l'Athéna Promachos et la légende ΣΥΡΑΚΟΣΙΩΝ, monnaies qu'il attribue au roi Pyrrhos (ibid. p. 87). Les monnaies d'argent portant la même effigie et la légende ΒΑΣΙΛΕΩΣ ΠΥΡΡΟΥ soulèvent des difficultés à raison de leur poids (de 5gr. 58 à 5gr. 39) : d'après MOMMSEN (Röm. Münzwesen, p. 85), les monnaies des Sicéliotes suivent le système des litres qui, à Syracuse où elles ont été frappées, aurait cessé avec Agathocle (ibid., p. 94). Je n'ai pas à discuter ici à nouveau l'intéressante question des monnaies de Pyrrhos frappées pour la Sicile.

[122] Comme les Lucaniens, Brettiens, Samnites, avaient toutes raisons de ne pas soutenir les ennemis de Pyrrhos, ces mercenaires n'auraient pu être recrutés que dans l'Italie romaine, et, en ce cas, avec le consentement de Rome. Les extraits de Diodore (XXII, 10, 5) ne parlent que de renforts tirés de Libye.

[123] Fast. capitol. cf. EUTROPE, II, 8. VAL. MAXIME, I, 8, 6.

[124] CICÉRON, Pro Arch., 4. Pro Balb., 22.

[125] Ce qui rend le fait vraisemblable, c'est que, l'année suivante, les Romains avaient déjà fait des acquisitions qui auraient certainement engagé Pyrrhos à accepter la paix.

[126] PLUTARQUE, Pyrrhos, 23.

[127] PLUTARQUE, Pyrrhos, 23. DION. HALICARNASSE, XX, 8. APPIAN., Samn., 12. Le fragment de Dion Cassius dans MAI, p. 177, trouve également sa place ici.

[128] PLUTARQUE, Pyrrhos, 23.

[129] Dion (dans MAI, p. 178) s'accorde d'une façon étonnante avec Justin (XXIII, 3, 7).

[130] confecto prælio cum superior fuisset (JUSTIN., XXIII, 3, 7).

[131] nostro magis milite suas auxit vires, quam suis viribus nos defendit, disent leurs ambassadeurs dans Tite-Live (XXIII, 42).

[132] ZONARAS, p. 49, 12.

[133] ZONARAS. Frontin (III, 6, 4) dit : adsumpta in præsidium Lucanorum manus, sans faire mention de Nicomachos. La citadelle de Crotone est inexpugnabilis (TITE-LIVE, XXIV, 3).

[134] PAUSANIAS, VI, 3, 5.

[135] PLUTARQUE, Pyrrhos, 23. JUSTIN., XXIII, 3.

[136] Appien (Samn., 12) dit : έπανήλθεν έτει τρίτω, par conséquent après l'été de 276 : ce pouvait être vers la fin de cette même année.

[137] Appien (ibid.) exagère probablement : dans Plutarque, le roi paraît avoir avec lui lors du débarquement 20.000 hommes de pied et 3.000 cavaliers ; mais ceci ne doit pas être plus exact.

[138] PLUTARQUE, Pyrrhos, 24.

[139] ZONARAS, VIII, 6.

[140] Denys donne leurs noms : Euégoros fils de Théodoros, Balacros fils de Nicandros, Dinarchos fils de Nicias (XIX, 11).

[141] L'histoire est souvent racontée et rappelée par voie d'allusion dans Denys, Appien, Dion Cassius, Suidas (s. v. δεισιδιμονία d'après Appien), Tite-Live (XXIX, 8. 18) etc.

[142] DION., XIX, 11. Denys s'en réfère également à Proxénos. Il est permis de douter cependant que cette espèce de deisidæmonie ait été dans le caractère de Pyrrhos.

[143] OROSE, IV, 2. AUGUSTIN., De Civ. Dei, III, 17.

[144] TITE-LIVE, Épit. XIV. CICÉRON, De Divin. I, 10.

[145] VAL. MAXIME, IV, 3, 4. TITE-LIVE, Épit. XIV.

[146] Denys dit : trois fois autant de troupes ; Orose va jusqu'à 80.000 fantassins et 6.000 cavaliers.

[147] DION., XIX, 12. 13. 14. PLUTARQUE. OROS. LIV., Épit. XIV. FLORUS, I, 18. FRONTIN., II, 2, 1. Florus et Zonaras (p. 50) rapportent une histoire merveilleuse d'un jeune éléphant blessé dont les cris font accourir la mère et donnent le signal de la débandade. Le jeune éléphant devait avoir au moins 30 ans, car les éléphants ne font point de petits en captivité.

[148] JUSTIN., XXV. 3. Pausanias (I, 13) est plus précis. A coup sûr, Pyrrhos a dû envoyer aussi à la cour d'Alexandrie.

[149] C'est ce que disent Pausanias et Justin (loc. cit.).

[150] JUSTIN., XXV, 3, 4. On peut placer la date du retour au commencement de l'année 274 (έξαετή χρόνον άναλώσας, dit Plutarque [Pyrrhos, 26], et non pas πέμπτω έτει τήν Ίταλίαν λιπών, quinto demum anno, comme le veulent Zonaras [p. 50, 20] et Orose [IV, 2]). Sept années après que les premiers éléphants furent venus en Italie, dit Pline (VIII, 6), le triomphe amena à Rome les premiers qu'on y ait vus : il s'agit du triomphe de M'. Curius Dentatus au commencement de 274 (Fast. Capitol.). La remarque de Pline (XI, 37 § 71) : post centesimam vicesimam sextum Olympiadem, cum rex Pyrrhos ex Italie discessisset, ne donne point d'indication précise.

[151] TITE-LIVE, Épit. XIV. VELL., 1,14.

[152] TITE-LIVE, X, 46. XXIV, 9.

[153] C'est une bévue que commet Justin (XXV, 3) quand il dit que Pyrrhos, après sa victoire sur la Macédoine, rappela ses généraux de Tarente ; mais son fils Hélénos revint en effet avant cette date.

[154] FLORUS, I, 18. Cf. FEST. s. v. pieta.

[155] ZONARAS. LIV., Épit. XV. POLYBE, II, 24.

[156] Ceci résulte clairement d'un passage de Polybe (I, 8, 2), et il ne faut pas rapporter l'assertion embrouillée de Zonaras : τούς Μαμερτίνους... όμολογία (οί 'Ρωμαΐοι) προσεδήσαντο, à un traité entre Rome et les Mamertins, traité qui doit plutôt avoir été conclu entre Rome et Hiéron (voyez ci-après).

[157] NIEBUHR (p. 634) place la prise de Rhégion en 269, et, en effet, on trouve dans Denys (XX, 7) Γάΐος Γενύκιος, tandis que le consul de l'année adoptée ci-dessus est L. Genucius. Mais Orose dit en termes exprès que la prise de Rhégion eut lieu sequenti anno après celle de Tarente, et son dire est confirmé par les événements de Sicile (voyez ci-après).

[158] OROSE, IV, 5. Au chapitre 3, Orose prétend que les deux peuples en sont venus aux mains devant Tarente, ce qui n'est guère croyable.

[159] D'après Justin (XVIII, 2, 9), passage où, au lieu de hominis causa, corrigé par NIEBUHR en honoris causa, on lit aujourd'hui ominis causa. Le même fait se trouve mentionné dans Dion Cassius (Fr. Ursin. 147), Tite-Lire (Épit. XIV) et Valère-Maxime (IV, 3) : Eutrope (II, 15) y ajoute l'indication des consuls de 273.

[160] Strabon l'appelle encore πόλις εύνομωτάτη. Cf. ARISTOT., Polit. IV, 4, 3. On y faisait, comme à Sparte, des ξενηλασίαιLIAN., Var. Hist., XIII, 16).

[161] Pour plus amples détails, voyez mon article Das dardanische Füstenthum dans la Zeitschrift für Alterthumswissenschaft, 1836, n° 104. Le tétradrachme avec la légende ΜΟΝΟΥΝΙΟΥ Β ... ΛΕΩΣ qui s'y trouve publié pour la première lois et qui ressemble pour la frappe aux monnaies d'Alexandre, une pièce unique, appartient, comme j'ai essayé de le démontrer, au même roi dont le nom figure également sur des monnaies de Dyrrhachion. C'est le roi que Trogue-Pompée (Prol. XXIV) appelle Momus ou Nonius, Tite-Live (XLIV, 30) Honunus (Honuni Durdanorum principis filia), et que Polybe (XXIX, 5, 7) mentionne dans la formule τήν τοΰ Μενουνίου θογατέρα.

[162] Tite-Live (Épit. XV), après la paix conclue avec Tarente et le châtiment de la légion campanienne à Rhégion, dit : cum legatos Apolloniatium ad senatum missos quidam juvenes etc.