HISTOIRE DE L'HELLÉNISME

TOME DEUXIÈME. — HISTOIRE DES SUCCESSEURS D'ALEXANDRE (DIADOQUES)

LIVRE QUATRIÈME. — CHAPITRE DEUXIÈME (288-278).

 

 

Le royaume égyptien. - L'empire de Séleucos. - Le royaume de Thrace. - Coalition contre Démétrios. - Commencement de la guerre. -Démétrios chassé de Macédoine. - Partage de la Macédoine. - Démétrios en Grèce. - Paix entre Démétrios et Pyrrhos. - Expédition de Démétrios en Asie. - Agathoclès contre Démétrios. - Négociations de Démétrios avec Séleucos. - Dernière entreprise de Démétrios. - Captivité de Démétrios. - Pyrrhos chassé par Lysimaque. - Mort de Démétrios. - Les héritiers du trône en Syrie et en Égypte. - Caractère de Lysimaque. - Expédition de Lysimaque contre Héraclée. - Assassinat d'Agathoclès. - Guerre entre Séleucos et Lysimaque. - Plan de Séleucos. - Assassinat de Séleucos. - Ptolémée Céraunos roi de Macédoine. - Areus contre les Étoliens. - Situation d'Antigone. -Les fils d'Arsinoé assassinés. - Les Celtes sur le Danube. - Expédition de Brennus. - Antigone roi de Macédoine. - Conclusion.

L'Orient avait joui d'une paix presque continue durant dix ans ; l'expédition de Ptolémée contre Cypre ne l'avait interrompue que pour peu de temps, et sans laisser derrière elle de nouveaux conflits avec le voisin de Syrie ; cette belle île était maintenant au pouvoir du Lagide, dont l'empire, dont les peuples s'élevèrent rapidement au plus haut degré de prospérité. Les arts et les sciences brillaient d'un nouvel éclat dans ce pays de civilisation immémoriale, et trouvaient des honneurs, des loisirs et des encouragements à la cour très cultivée d'Égypte ; Alexandrie était le centre du commerce du monde, et des navires égyptiens allaient aux rivages de l'Inde et de l'Éthiopie, dans les eaux de l'Hespérie et dans le Pont ; des prostagmes royaux administraient les nomes de Sésostris, qui commençaient à s'helléniser, et les lois des antiques Pharaons étaient appliquées concurremment avec les nouveaux règlements du roi macédonien. Les temps nouveaux avaient là leur plus bel épanouissement.

Dans les vastes territoires de l'Asie, on commençait aussi à connaître les bienfaits de la paix ; on ne peut assez louer ce que Séleucos vieillissant fit pour son empire. Il obéit à une inspiration de véritable sagesse politique lorsqu'il modifia le système administratif de son immense empire, qui jusque-là avait compris peut-être dix à douze satrapies à peine, et le distribua en plus de soixante-dix satrapies : de cette façon, il ramena la puissance. considérable et toujours menaçante des satrapes à des proportions qui permettaient de les surveiller facilement et de les maintenir dans l'ordre ; quant aux détails de cette organisation, nous ne les connaissons pas. Il prit une autre mesure plus importante encore et plus salutaire à l'État, mesure qui semblait indiquée par la nature du pays et sa composition ethnologique. Les pays de la plaine du Tigre jusqu'à la mer Méditerranée, habités par des populations dont les langues étaient de la même famille, dont les religions se ressemblaient pour le fond et dont la civilisation était plus apte que celle de l'Orient à recevoir des coutumes hellénistiques, devaient devenir le véritable noyau de sa monarchie ; les pays de l'Iran, sorte de forteresse élevée, avec leurs peuples guerriers et pillards épars dans la montagne, les tribus nomades de l'intérieur, les institutions d'une civilisation si originale en Médie, sur le fleuve Caboul et dans les plaines de la Bactriane, formaient un monde à part, qui, entraîné par l'expédition d'Alexandre dans la grande lutte, commença bientôt à reprendre ses coutumes particulières et semblait ne pouvoir se rapprocher de la vie hellénistique que plus lentement et sous des formes bien plus profondément modifiées. C'est conformément à ces indications que Séleucos divisa son empire ; tandis qu'il gardait pour lui la partie occidentale, il donna à son fils Antiochos, qu'il avait eu de la Sogdienne Apama[1], les régions supérieures. On raconte que l'amour d'Antiochos pour sa belle-mère Stratonice, fille de Démétrios de Macédoine, fut la cause occasionnelle de ce partage, fait dans des conditions qui sont caractéristiques pour le père et le fils. Stratonice était jeune et belle[2] : Antiochos l'aima, et, désespérant de combattre une passion sans espoir, résolut de mourir de faim. Le médecin Érasistrate reconnut bien que le jeune prince était en proie à une douloureuse maladie de l'âme : il remarqua combien il restait paisible quand les beaux pages ou les femmes de la reine entraient dans l'appartement ; mais, quand elle venait elle-même et s'approchait, en silence et le visage affectueux, de son lit de douleur, il rougissait, soupirait profondément, tremblait de fièvre, pâlissait et cachait dans son oreiller son visage baigné de larmes. C'est en vain que le fidèle médecin l'interrogea ; il comprit pourtant la cause des souffrances d'Antiochos. A chaque instant le père, anxieux, l'interrogeait sur la cause du mal : à la fin, Érasistrate lui déclara que son fils était gravement malade ; qu'il était torturé par un amour qui ne pourrait jamais être satisfait ; qu'il voulait se jeter clans les bras de la mort parce que la vie n'avait plus d'espérances pour lui. Le roi lui demandant avec sollicitude qui était cette femme et si elle ne pouvait pas être donnée à son fils, le médecin répondit : C'est ma femme, seigneur. Tu es mon serviteur fidèle, reprit le roi, sauve mon fils : il est ma joie et mon espérance. Alors le médecin changea de langage : Comment pouvez-vous me demander cela, ô roi ? si c'était votre épouse, la donneriez-vous vous-même pour l'amour de votre fils ? S'il était possible, répondit Séleucos, qu'un dieu ou un homme tournât vers elle les pensées de mon fils, c'est avec joie que je la donnerais, elle et tout mon royaume, pour le sauver. Eh bien ! seigneur, dit Érasistrate, vous n'avez plus besoin de médecin ; vous pouvez sauver votre fils : c'est Stratonice qu'il aime ! Séleucos assembla son armée et déclara devant elle qu'il avait fait son fils Antiochos roi des satrapies supérieures, avec Stratonice comme reine ; il espérait que son fils, qui lui était soumis et fidèle en toutes choses, n'aurait pas d'objections à faire à cette union ; que si la reine répugnait à ce changement extraordinaire, il priait les amis de la persuader.que ce qui est juste et beau, c'est ce qui est utile au bien général.

Telle est la tradition[3]. Il est bien possible que cette conduite de Séleucos lui ait été dictée en partie par des considérations se rapportant au père de la reine ; il venait justement d'incorporer la Cilicie à son empire, et ce n'est certainement pas sans son aveu que Ptolémée avait occupé Cypre. Ce partage de l'empire ne devait pas en briser l'unité. Pourtant il semble qu'il y ait eu des différences essentielles dans les institutions et l'administration des deux moitiés : il est remarquable de voir le grand nombre de villes hellénistiques qui s'élevèrent dans la partie inférieure de l'empire ; les différentes provinces, avec des dénominations tirées de la patrie macédonienne, semblaient constituer une sorte de Macédoine asiatique ; la civilisation hellénistique se répandit peut-être plus vite encore et plus profondément en Syrie que dans le pays du Nil, et, avec elle, la prospérité du pays et le culte de l'art et de la science se développèrent davantage et avec une plus grande activité.

Pendant que l'empire des Lagides et celui des Séleucides commençaient ainsi à se fonder solidement et à se développer, le troisième des grands empires, celui de Lysimaque, n'avait pas encore poussé de racines aussi profondes dans le sol qui lui était assigné ; une série de villes helléniques sur la côte, surtout Byzance du côté de l'Europe, Cyzique du côté.de l'Asie, se maintenaient dans une complète indépendance ; la Pentapole de Thrace, entre l'Hæmos et l'embouchure du Danube, était, par son alliance avec les Gètes, les Scythes, les villes grecques de la côte scythique, assez puissante pour conserver son autonomie ; la guerre entreprise contre les Gètes en 291 avait môme pu mettre pour un instant en question l'existence du royaume, et, à l'issue de cette guerre, la puissance de Lysimaque était considérablement affaiblie. Des conditions semblables ne pouvaient pas contribuer à la consolidation des nouvelles conquêtes en Asie, d'autant moins que celles-ci, remplies de nombreuses et antiques cités helléniques et liées à la Grèce par des rapports étroits, devaient opposer au nouveau régime monarchique des difficultés infiniment plus grandes que la Syrie ou l'Égypte. Lysimaque, lui aussi, fondait des villes, ou, pour parler plus exactement, dépouillait d'antiques cités de leurs noms et de leur constitution, pour s'assurer leur possession par une nouvelle organisation municipale ; ainsi, Éphèse particulièrement, qui avait conservé le plus longtemps ses relations avec Démétrios, fut réunie aux cités de Colophon et de Lébédos, rapprochée de la mer et nommée du nom de la reine Arsinoé ; un conseil non élu, et avec lui des magistrats appelés épiclètes, prirent la place de l'ancienne démocratie. Il est très vraisemblable qu'on établit des constitutions municipales de ce genre dans les cités helléniques et les nouvelles villes de l'Asie-Mineure, partout où ce fut possible. Nous avons mentionné plus haut que les dynastes de Bithynie inaugurèrent en 298/7 une ère particulière, sans doute en prenant le titre de rois, ce qui permet de croire qu'ils avaient agrandi leur territoire ; le royaume du Pont, qui inaugure également cette même année une ère particulière, ne profita sans doute pas moins de la faiblesse du royaume de Thrace. Quant à Héraclée sur le Pont, on raconte que la reine Amastris, qui avait gardé des relations étroites avec Lysimaque, fut assassinée par ses deux fils Cléarchos et Oxathrès ; c'était une sorte de rupture avec Lysimaque.

Telle était à peu près la situation vers l'année 288, dans le temps où se répandit la nouvelle des immenses préparatifs de Démétrios de Macédoine. Ces armements menaçaient la sécurité de chacun des trois rois. Lysimaque était le premier et le plus exposé, car ses possessions d'Europe étaient les plus voisines de la Macédoine et les plus faciles à aborder de ce côté ; le conquérant macédonien devait se tourner d'abord contre elles pour gagner l'Hellespont, et l'Asie-Mineure aurait vite succombé devant une attaque. Séleucos avait à craindre pour la possession de la Cilicie, et, lors même que le téméraire et infatigable Démétrios ne s'emparerait d'abord que de l'Asie-Mineure, c'en était fait de la tranquillité de l'Orient si péniblement rétablie. Enfin Ptolémée ne possédait Cypre que depuis peu de temps : si Démétrios venait dans ses eaux avec ses immenses forces navales, cette possession si difficilement conquise était perdue pour lui et l'importance maritime de l'Égypte remise en question.

Les trois royaumes, en face d'un danger égal à celui de la dernière lutte contre le père de Démétrios, conclurent ou renouvelèrent la même coalition, afin de pouvoir faire face à l'agression de celui dont le despotisme menaçait les petits rois, les dynastes, la liberté des villes helléniques, la liberté commerciale de Rhodes, de Cyzique, de Byzance, le monde entier ; ils pouvaient espérer que tout le monde se joindrait à eux pour défendre la liberté des États contre celui qui, avec une brutale violence, songeait à rétablir l'empire et la monarchie universelle. On peut rattacher à ces combinaisons politiques le fait que la veuve du jeune roi Alexandre assassiné par Démétrios, Lysandra, fille de Ptolémée, fut mariée à Agathoclès, le fils de Lysimaque ; depuis que Lysimaque avait renoncé formellement aux droits de son gendre Antipater dans le traité de paix de 292, on pouvait prendre parti contre l'usurpateur Démétrios pour la veuve du prince assassiné, comme la seule héritière légitime de la couronne de Macédoine. En effet, Phila, l'épouse de Démétrios, n'était pas la fille d'un roi de Macédoine ; c'est son frère Cassandre qui le premier avait obtenu le diadème. Les alliés invitèrent Pyrrhos à se joindre à leur coalition, en lui faisant observer que Démétrios n'avait pas encore terminé ses armements et que son royaume était en proie au désordre ; ils ne comprendraient pas que Pyrrhos ne profitât pas de cette occasion de s'emparer de la Macédoine[4] ; s'il la manquait, le roi de Macédoine le forcerait bientôt de combattre dans le pays même des Molosses pour les temples des dieux et les tombeaux de ses pères. Ne lui avait-il pas enlevé son épouse, et avec elle l'île de Corcyre ? N'était-ce pas une raison suffisante pour se tourner contre lui ? Pyrrhos promit d'entrer dans la coalition.

Démétrios était encore occupé de ses préparatifs d'invasion en Asie, lorsqu'arriva la nouvelle qu'une grande flotte égyptienne avait fait son apparition dans les eaux helléniques et provoquait partout les Grecs à la défection ; on lui rapporta en môme temps que Lysimaque s'avançait de la Thrace contre les provinces du nord de la Macédoine. Démétrios courut sans tarder au devant de l'armée thrace, chargeant son fils Antigone de la défense de la Grèce. Déjà se montraient de fâcheuses dispositions dans son armée ; à peine fut-il parti qu'arriva la nouvelle que Pyrrhos avait aussi pris les armes contre lui, qu'il avait envahi la Macédoine, que, s'étant avancé jusqu'à Bérœa, il avait pris la ville et campait avec son armée sous ses murs, pendant que ses ! stratèges parcouraient le pays jusqu'à la mer et menaçaient Pella. Le désordre ne faisait que croître dans l'armée, irritée d'avoir à combattre Lysimaque, un héros, l'un des fidèles d'Alexandre ; plus d'un rappelait qu'il avait avec lui le fils de Cassandre, le maitre légitime du royaume.

Les dispositions des troupes et le danger que courait la capitale décidèrent Démétrios à se retourner contre Pyrrhos[5]. Il laissa à Amphipolis Andragathos pour couvrir la frontière[6], revint en toute hâte avec l'armée, franchit l'Axios et vint camper près de Bérœa en face de Pyrrhos. Un grand nombre d'habitants de la ville occupée par les Épirotes vinrent rendre visite à leurs amis et parents : Pyrrhos, disaient-ils, était aussi doux et humain que brave ; ils ne pouvaient assez louer sa conduite envers les citoyens et les prisonniers. Des gens envoyés par Pyrrhos vinrent aussi se mêler à eux : le temps était arrivé, disaient-ils, de secouer le joug pesant de Démétrios ; Pyrrhos était digne de régner sur le peuple le plus noble du monde ; c'était un vrai soldat, plein de condescendance et de bonté, le seul qui fût encore parent de la glorieuse maison d'Alexandre. Ils trouvèrent des oreilles bien disposées, et le nombre devint grand de ceux qui désiraient voir Pyrrhos. Celui-ci mit son casque, qui était reconnaissable à son grand panache et à ses cornes, pour se montrer aux Macédoniens. Lorsqu'ils aperçurent le royal héros, entouré de Macédoniens et d'Épirotes dont le casque était couronné de feuilles de chêne, ils mirent aussi des feuilles de chêne sur leurs casques et passèrent en foule du côté de Pyrrhos, le saluèrent comme leur roi, et lui demandèrent le mot d'ordre. C'est en vain que Démétrios se montra dans les allées du camp ; on lui cria qu'il ferait bien de penser à son salut, que les Macédoniens étaient las de coucher en plein air pour son plaisir. Au milieu des cris ironiques de l'armée, Démétrios courut à sa tente, changea de vêtements, et s'enfuit presque sans escorte jusqu'à Cassandria. L'insurrection grondait dans le camp avec une fureur croissante : on cherchait le roi qu'on ne trouvait pas ; on se mit à piller sa tente, à s'arracher les objets précieux qu'elle renfermait, à se frapper les uns les autres ; une véritable bataille s'engagea, et la tente était déjà en pièces lorsqu'arriva Pyrrhos, qui s'empara du camp et rétablit l'ordre en peu de temps[7].

Cette crise eut lieu la septième année après que Démétrios était devenu roi de Macédoine[8] ; l'opinion était tellement révoltée partout contre lui qu'il ne s'éleva pas une voix en sa faveur, sur aucun point du territoire. Il s'était réfugié à Cassandria sur le golfe Thermaïque, d'où il s'embarqua eu toute hâte pour gagner la Grèce. Phila, l'épouse si souvent outragée du roi fugitif, désespéra de tout salut ; ne voulant pas survivre à la honte de son époux, elle s'empoisonna[9].

Cependant, en Macédoine, Pyrrhos avait été proclamé roi du pays. Eu ce moment, Lysimaque arriva à son tour[10], et, se fondant sur ce que la chute de Démétrios avait été leur œuvre commune, il réclama le partage du pays ; on se disputa, et on fut sur le point de décider la querelle par les armes. Pyrrhos aima mieux proposer un arrangement, car il n'était encore nullement sûr des Macédoniens ; il connaissait leurs sympathies pour le vieux général d'Alexandre. Il abandonna à Lysimaque les pays arrosés par le Nestos, et, à ce qu'il parait, les contrées que l'on désignait sous le nom de Macédoine nouvellement conquise[11]. Comme Antipater, le gendre de Lysimaque, qui avait espéré être enfin ramené dans son royaume paternel, se plaignit amèrement avec son épouse Eurydice que Lysimaque lui eût arraché lui-même la Macédoine, celui-ci le fit mettre à mort : quant à sa fille, il la condamna à un emprisonnement perpétuel[12].

La chute de Démétrios excita chez les Grecs les mouvements les plus divers : ils eussent été dès le commencement plus décidés si la flotte égyptienne ne s'était pas contentée, comme il parait qu'elle le fit, d'occuper quelques ports de l'Archipel. En d'autres endroits, les garnisons macédoniennes et le voisinage du jeune Antigone empêchèrent des scènes plus fâcheuses : le poste important que ce dernier semble avoir laissé à Corinthe maintint sans doute l'ordre dans le Péloponnèse ; du moins, on ne nous parle d'aucun mouvement dans la péninsule. Antigone lui-même, à ce qu'il parait, était en route pour la Thessalie, afin de porter secours, si c'était possible, au royaume menacé de deux côtés à la fois. Il arriva trop tard : son père, en fugitif, avec un petit nombre de compagnons, arriva, ce semble, incognito auprès de lui en Béotie. L'armée de son fils, les garnisons de quelques localités, quelques aventuriers qui se joignirent à lui, lui constituèrent une nouvelle petite armée : on eût dit bientôt que son ancienne fortune allait lui revenir. Il s'efforça de gagner à sa cause l'opinion publique ; il proclama la liberté de Thèbes ; par là, il pouvait espérer s'assurer la possession de la Béotie[13].

Ce n'est qu'à Athènes qu'il se passa des événements sérieux et de grande conséquence. Aussitôt après avoir appris la chute de Démétrios, les Athéniens s'étaient soulevés pour rétablir leur liberté[14]. Olympiodoros se mit à la tête du mouvement ; il eut la gloire, lorsque les meilleurs citoyens, découragés par des tentatives manquées, n'osaient plus rien espérer, de prendre une courageuse résolution et de se mettre en avant au péril de sa vie[15]. Il appela sous les armes jusqu'aux vieillards et aux adolescents et les conduisit au combat contre la forte garnison macédonienne[16] Il la battit et la força à se retirer sur le Musée : l'assaut fut donné ; l'intrépide Léocritos fut le premier sur la muraille, et sa mort héroïque exalta l'enthousiasme de tous ; après un court combat, le Musée fut pris[17]. Puis les Macédoniens, ceux de Corinthe, sans doute, s'étant empressés d'envahir l'Attique, Olympiodoros s'avança contre eux, appela à leur tour les Éleusiniens à la liberté, et, se mettant à leur tête, battit les ennemis[18].

Mais alors arriva la nouvelle que Démétrios avait fait sa jonction avec son fils et qu'il s'avançait contre Athènes à la tête d'une armée de plus de 10.000 hommes ; il parut impossible de résister à de telles forces. Il est probable que les Athéniens tournèrent les yeux de tous les côtés pour trouver du secours : des inscriptions parvenues jusqu'à nous nous montrent qu'ils s'adressèrent même au roi Spartocos sur le Bosphore et à Audoléon, le roi dos Péoniens ; nous apprenons ainsi que ces deux rois firent les plus belles promesses et envoyèrent le premier 15.000, le second 7.500 médimnes de blé[19]. Pyrrhos surtout, auquel on s'était adressé, promit ses secours, et l'on résolut de se défendre aussi longtemps que possible. Démétrios arriva devant la ville, et commença les opérations avec la dernière énergie. Alors, raconte-t-on, les Athéniens lui envoyèrent le philosophe Cratès, homme très considéré dans ce temps-là, qui, soit par ses prières en faveur des Athéniens, soit en lui représentant ce qui était en ce moment le plus utile à ses intérêts, le décida à lever le siège et à embarquer sur toute sa flotte réunie ses 11.000 hommes d'infanterie et un certain nombre de cavaliers, pour les conduire en Asie[20]. Ce renseignement, dans la forme où il nous est donné, ne peut être exact[21] : ce ne fut certainement pas sans une nécessité des plus urgentes que Démétrios abandonna le siège d'une ville dont la reprise aurait assuré sa domination sur la Grèce : il faut croire plutôt que l'approche de Pyrrhos donna du poids aux paroles de Cratès ; peut-être Démétrios se retira-t-il dans le Pirée, peut-être à Corinthe. Pyrrhos arriva ; les Athéniens le reçurent avec les témoignages de la plus vive allégresse et lui ouvrirent l'acropole, afin qu'il y offrit un sacrifice à Athéna ; en redescendant, il dit qu'il remerciait les Athéniens de leur confiance, mais que, s'ils étaient sages, ils feraient bien de ne jamais ouvrir leurs portes à un roi. Il conclut ensuite avec Démétrios une convention sur laquelle nous n'avons d'autre renseignement qu'une allusion faite en passant et d'où il résulte que les clauses de cet arrangement restèrent un secret pour les Athéniens eux-mêmes[22]. Les conditions de ce traité n'ont guère pu être que celles-ci : Démétrios renonçait à la Macédoine ; Pyrrhos le reconnaissait comme maître de la Thessalie et des États grecs qu'il possédait à ce moment, ainsi que de Salamine, de Munychie et du Pirée ; quant à Athènes, elle était déclarée par les deux rois libre et indépendante.

Quel que soit le jugement que l'on porte sur Démétrios, il faut reconnaître en lui une élasticité de caractère, un besoin d'agir et d'oser que l'on ne retrouve guère dans n'importe quelle autre figure historique. Il sait combien de fois déjà, dans sa vie agitée, il s'est relevé de la chute la plus profonde pour atteindre de nouveau une haute et puissante situation ; peut-être sa bonne étoile viendra-t-elle encore une fois à son secours. A peine a-t-il reconquis une certaine position en Grèce, que, n'ayant plus rien à espérer en Macédoine, il tourne toutes ses pensées vers la grande entreprise qui a causé sa chute ; il veut atteindre l'Asie, où il espère remporter de grands succès. Il faut convenir que les circonstances sont favorables ; Lysimaque est encore occupé dans ses nouvelles conquêtes de Macédoine, et déjà une guerre a failli éclater entre Pyrrhos et lui à propos du partage de la Macédoine ; il faut que Lysimaque soit sur ses gardes en face de ce prince ambitieux et intrépide, qui a eu de la peine à se contenter d'une partie du tout ; il n'aura pas le loisir de défendre l'Asie, où règne partout le plus grand mécontentement contre lui, le plus cupide de tous les Diadoques, et où certainement on se souviendra d'un temps meilleur, le temps d'Antigone et Démétrios. Démétrios déteste ce Lysimaque, ce trésorier, comme il l'appelle, cet homme insignifiant qui ne sait pas même justifier la réputation de brave soldat dont on l'honore, et à qui une chance imméritée jette les fruits des victoires remportées par d'autres.

Démétrios quitta la Grèce avec sa flotte et une armée qui n'était pas sans importance, en y laissant comme commandant son valeureux fils Antigone. Il arriva à Milet, où il trouva Eurydice, la sœur de Phila ; elle avait quitté la cour d'Alexandrie, où elle avait assez longtemps supporté d'être 'traitée avec peu d'égards par le roi son époux, et pas seulement par lui ; elle vivait à Milet avec sa fille Ptolémaïs, qui en 300 avait été fiancée à Démétrios ; il est possible que la ville lui eût été donnée, selon l'usage du temps, en toute propriété[23]. Démétrios, en sa qualité d'ennemi du roi d'Égypte, trouva le meilleur accueil ; il célébra ses noces avec Ptolémaïs[24]. De là, il parcourut la Lydie et la Carie ; beaucoup de villes se soumirent volontairement, d'autres furent prises de force. Il était évident que le gouvernement de Lysimaque était profondément détesté dans ces régions ; plusieurs même de ses stratèges, qui avaient là leurs commandements, passèrent à Démétrios et lui amenèrent de l'or et des troupes : chaque jour voyait croître ses forces. Sardes aussi, la capitale de la Lydie, fut prise[25].

Ce n'est que dans le premier moment que l'Asie-Mineure se trouva sans défense. Lysimaque avait assez de forces pour envoyer en Asie une armée considérable, sous le commandement de son fils Agathoclès. Démétrios n'osa pas marcher au devant de lui ; bientôt il ne crut plus être en sûreté en Lydie et en Carie, et il se retira vers la Phrygie. Il est difficile de comprendre pourquoi, ayant une flotte qui devait être considérable, il s'éloigna de la côte : il aurait dû, à ce que l'on pourrait penser, renoncer à tout plutôt qu'à la mer ; en tout état de cause, il lui serait ainsi resté la vaste mer, un rocher quelque part dans ses eaux et une couple de camarades fidèles avec lesquels il aurait pu mener la vie de corsaire. Mais il se leurrait de plans fantastiques : il voulait s'ouvrir, avec sa petite armée, un chemin jusqu'en Arménie ; de là il espérait révolutionner la Médie, s'établir solidement dans les provinces supérieures, et, en cas de besoin, trouver dans les rochers assez de nids d'aigle qui lui offriraient un refuge assuré. Il négligea de s'occuper des dangers les plus pressants. Il ne pouvait déjà plus choisir le chemin le plus court à travers la Phrygie ; les mouvements d'Agathoclès le forcèrent à se tourner vers le sud. Arrivé au versant oriental du Tmolos, il pénétra dans l'intérieur du pays, et Agathoclès le suivit de plus en plus près ; d'heureuses escarmouches firent gagner quelque avance à Démétrios, mais Agathoclès couvrit tout le pays d'alentour de ses troupes légères et empêcha complètement son ennemi de fourrager. Déjà l'armée de Démétrios commençait à manquer de subsistances, et le soupçon se répandait parmi les troupes qu'on allait les conduire en Arménie. En proie à une détresse croissante, elles franchirent le Méandre et s'avancèrent vers le Lycos. La proximité de l'ennemi qui les poursuivait les obligeait à se hâter ; elles manquèrent le gué : à l'endroit où il fallut passer le fleuve, le courant était très violent et assez profond. Aussitôt Démétrios fit avancer dans le fleuve les cavaliers qui avaient des chevaux grands et forts et les disposa sur quatre rangées pour amortir le courant ; à l'abri de cet étrange rempart, qui brisait jusqu'à un certain point la force du courant, il fit passer son infanterie, mais avec de grandes pertes[26]. L'armée continua sa route, constamment suivie par l'ennemi, au milieu d'une détresse croissante, souffrant de l'humidité et du froid de l'automne, précoce dans ces régions montagneuses ; la privation persistante d'une nourriture convenable engendra une cruelle épidémie qui enleva 8000 hommes. Il n'y avait. plus d'espoir d'arriver en Arménie ; il n'était ni possible ni prudent de revenir en arrière, depuis qu'Éphèse, le dernier point de la côte qui tenait encore, avec l'aide du pirate Ænétos, le général de Démétrios, avait été prise en trahison par Lycos, stratège de Lysimaque[27]. Démétrios était sur le versant septentrional du Taurus, où une rencontre avec Agathoclès l'aurait absolument anéanti ; il ne lui restait d'autre ressource que de franchir le Taurus et la frontière de Cilicie. Il marcha en toute hâte sur Tarse en Cilicie ; il aurait bien voulu éviter de fournir au roi Séleucos un prétexte à hostilités, et il espérait trouver quelque moyen de sortir de la Cilicie par le nord, mais tous les passages étaient déjà barrés' par Agathoclès. Démétrios était enfermé, son petit corps de troupes dans la plus triste situation, sa position désespérée. Il ne lui restait plus d'autre issue qu'une démarche humiliante auprès de Séleucos ; il lui fit dire que la fatalité le poursuivait, qu'il avait tout perdu et qu'il n'avait plus d'espoir que dans la générosité de Séleucos.

Séleucos fut touché sans doute de la triste destinée et des prières d'un homme tombé si bas ; il envoya aux stratèges du pays l'ordre de procurer à Démétrios tout ce qui était nécessaire au service royal et de quoi entretenir ses troupes. Mais que faire ensuite ? Dans les délibérations qui eurent lieu à ce sujet, Patroclès[28], l'un des amis, qui jouissait d'une grande considération auprès du roi, exposa que les frais occasionnés par Démétrios et son armée étaient la moindre des choses, mais que le roi devait faire attention que Démétrios prolongeait de plus en plus son séjour dans le royaume ; que ce prince avait toujours été parmi tous les rois le plus violent et le plus avide de nouveautés, et qu'il était maintenant dans une situation capable de pousser aux résolutions extrêmes même un caractère naturellement pacifique. La prudence exigeait qu'on se préparât à toute éventualité. Séleucos rassembla un corps de troupes considérable et partit à leur tête pour la Cilicie.

Aussitôt que la générosité de Séleucos eut sauvé Démétrios des dangers les plus pressants, ce dernier semble avoir conçu de nouvelles espérances. N'avait-il pas possédé autrefois la Cilicie ? peut-être réussirait-il maintenant à s'y établir et à s'y maintenir. La marche de Séleucos le jeta dans le plus grand trouble : la bienveillance de Séleucos n'avait donc eu pour but que de dissimuler la trahison ; on voulait le cerner et l'enlever. Il se retira sur les points du Taurus les plus faciles à défendre et envoya de nouveau à Séleucos : qu'on lui accorde au moins la liberté de s'éloigner pour aller fonder chez des Barbares lointains un royaume indépendant où il passera tranquillement le reste de ses jours ; si Séleucos lui refuse cette liberté, qu'il lui permette au moins de passer l'hiver dans ces régions avec ses troupes ; il n'avait sans doute pas l'intention de le chasser de la sorte, en cette misère extrême, nu et dépouillé de tout, et de le livrer à ses ennemis. Séleucos poussa la condescendance jusqu'à lui faire offrir d'aller prendre pour deux mois ses quartiers d'hiver en Cataonie, à condition qu'il enverrait comme otages les principaux de ses amis ; en même temps, il fit occuper fortement les passages qui conduisent en Syrie : quant à Agathoclès, qui, dans sa poursuite, avait franchi les frontières du royaume, il l'invita, maintenant que Démétrios était en son pouvoir, à s'en retourner, promettant de s'appliquer à écarter tout danger ultérieur. De son côté, Démétrios se sentait encore trop fort pour consentir à toutes les conditions de Séleucos ; il ne pouvait pas supporter la pensée de se soumettre formellement. La nécessité le força à des déprédations ; il fit des courses d'une folle témérité ; son courage, l'excitation sauvage de cette lutte dernière et désespérée, le rendaient redoutable, lui et ses bandes ; partout où il rencontrait de petits corps de troupes ennemies, ces derniers étaient vaincus et massacrés ; bientôt il osa s'en prendre à des corps plus nombreux. Séleucos envoya ses chars à faux ; ils furent repoussés et mis en déroute. Démétrios pénétra jusqu'aux passages qui conduisent en Syrie, battit les postes qui les gardaient et se rendit maitre de la route stratégique qui mène en Orient. Alors ses espérances grandirent : il occupait les environs d'Issos ; ses troupes étaient pleines de courage et prêtes à toutes les audaces ; il espéra pouvoir gagner une bataille ; son étoile semblait l'avoir sauvé encore une fois. Séleucos voyait avec inquiétude la tournure que prenait cette lutte étrange : il regretta d'avoir renvoyé Agathoclès ; seul, il n'osait combattre Démétrios, dont il craignait avec raison le bonheur, le courage et le talent militaire.

Encore une fois, la fortune avait souri au royal aventurier pour le perdre d'autant plus sûrement. Épuisé par les efforts inouïs des derniers mois, Démétrios tomba très dangereusement malade ; en ce moment même où chaque jour avait son importance, où chaque heure pouvait devenir décisive, il resta quarante jours dans son lit. Tout fut paralysé ; le désordre fit des progrès terribles parmi ses troupes ; un grand nombre de soldats passèrent à l'ennemi, beaucoup se dispersèrent. Séleucos se gardait bien d'attaquer ; les forces de l'ennemi allaient se détruire elles-mêmes. A peine rétabli, vers le mois de mai 286, Démétrios partit d'Issos. On pensait qu'il allait revenir en Cilicie, mais il tourna vers l'est, et franchit, dans le silence de la nuit, les défilés de l'Amanos ; le lendemain matin, ses bandes descendirent dans la Cyrrhestique, où elles pillèrent, massacrèrent, et se livrèrent à d'effroyables excès. Aussitôt Séleucos marcha contre lui, et établit son camp en face du sien, persuadé que Démétrios allait se haler de battre en retraite. Mais, au contraire, ce dernier résolut de le surprendre pendant la nuit ; il espérait que la soudaineté de l'attaque, le désordre, l'obscurité de la nuit, lui assureraient le succès. C'est avec des cris de joie que ses troupes reçurent l'ordre de l'attaque ; elles furent aussitôt sous les armes, attendant le signal. Cependant, deux peltastes étoliens se glissèrent jusqu'aux avant-postes ennemis, et demandèrent qu'on les conduisit au plus vite devant le roi ; ils trahirent le secret de l'attaque projetée. Séleucos, qu'on avait réveillé au milieu de son sommeil, s'arma à la hâte en disant : Nous avons affaire à une bête sauvage. Il ordonna de faire sonner l'alarme par toutes les trompettes de l'armée ; pendant que les troupes s'assemblaient, il fit allumer des branchages devant les tentes et conduire les troupes' hors du camp avec des cris de guerre. Lorsque Démétrios approcha et qu'il vit ces feux innombrables, lorsqu'il entendit les trompettes et les cris de guerre, il comprit que son projet était éventé et battit en retraite[29].

Le lendemain matin, Séleucos attaqua. Démétrios fit reculer un peu les ennemis sur son aile droite, et pénétra dans le chemin creux qu'abandonnaient les troupes de Séleucos. Aussitôt Séleucos accourut, accompagné d'hypaspistes d'élite et de huit éléphants ; il rangea ceux-ci le long du chemin, descendit de cheval, jeta son casque, puis, tenant sa lance en avant, il s'avança au bord du chemin creux et intima à haute voix aux ennemis l'ordre de s'arrêter : C'est de la folie, leur dit-il, de suivre plus longtemps ce chef de brigands affamé, lorsqu'ils peuvent entrer au service d'un roi opulent, qui possède un royaume et n'a pas à le conquérir ; ils doivent bien voir que, s'il avait voulu, ils seraient depuis longtemps domptés ; lui seul les a arrachés à la mort par la famine ; s'il les a épargnés jusqu'ici, ce n'est pas pour l'amour de Démétrios, mais parce qu'il avait espéré voir revenir à la réflexion des hommes aussi vaillants, qu'il désire sauver à tout prix : qu'ils viennent à lui, et ils seront sauvés. Les soldats poussèrent des cris d'approbation, jetèrent leurs armes et saluèrent Séleucos comme leur roi[30].

C'est à grand'peine que Démétrios, avec un petit nombre d'amis et de compagnons, put se sauver et s'enfuit vers les passages de l'Amanos : caché dans un bois, il attendit la nuit ; il voulait de là se réfugier en Carie, à Caunos, où il espérait trouver sa flotte. Lorsqu'il sut qu'il n'y avait pas de vivres même pour un jour, il modifia son plan et se tourna au nord vers le Taurus ; Sosigène, l'un des amis, offrit au roi les quatre cents pièces d'or qu'il avait encore sur lui ; avec cette somme, on pourrait peut-être parvenir à gagner la mer. On partit avant la fin de la nuit, en reprenant la direction du sud, pour atteindre le port le plus voisin. Cependant Séleucos, pour empêcher Démétrios de gagner la Syrie, avait fait occuper les monts Amaniens par un corps considérable sous les ordres de Lysias, avec ordre d'allumer partout des feux sur les contreforts de la montagne[31]. Lorsque Démétrios aperçut ces feux, il retourna aux lieux qu'il venait de quitter : ce fut une nuit pleine de terreurs ; du petit nombre de compagnons qui l'entouraient encore, plusieurs le quittèrent secrètement, les autres renonçaient à tout espoir. L'un d'eux osa dire qu'il fallait se rendre. Démétrios tira son épée pour le tuer ; les amis l'en empêchèrent, le calmèrent, mais lui avouèrent qu'il ne restait pas d'autre issue : il envoya alors quelques amis à Séleucos pour lui annoncer qu'il se rendait à sa discrétion.

Séleucos les accueillit avec bienveillance. Ce n'est pas, dit-il, la bonne étoile de Démétrios, c'est la mienne qui l'a conservé et m'a donné l'occasion de montrer ma clémence. Il ordonna qu'on dressât pour Démétrios une tente royale, et qu'on le reçût avec de grands honneurs ; il envoya Apollonide, un des anciens amis de Démétrios, pour le saluer et l'amener. Lei courtisans s'empressèrent de témoigner lé plus grand respect à un homme que leur maître recevait avec tant de bonté, et qui prendrait certainement bientôt sur lui la plus grande influence. Dans le camp régnait la plus vive curiosité de voir le Poliorcète. Les plus prudents ne voyaient pas tout cela sans méfiance : ils représentèrent au roi qu'il devait prendre ses précautions, et que l'on pouvait craindre une émeute en faveur de Démétrios. Cependant Apollonide avait salué Démétrios et lui avait apporté la nouvelle de la clémente résolution de son maître ; beaucoup de courtisans étaient venus auprès de lui : Démétrios crut qu'il allait faire son entrée dans le camp non comme un prisonnier, mais comme un roi. Alors parut un détachement de 1.000 hommes à pied et à cheval, sous les ordres de Pausanias : on entoura Démétrios ; les assistants furent éloignés, Démétrios placé au milieu de la troupe et emmené en silence. Démétrios fut conduit dans la forteresse d'Apamée sur l'Oronte. Entouré d'une garde nombreuse, il fut du reste traité en roi ; Séleucos lui envoya de ses propres domestiques, lui fit donner tout l'argent dont il avait besoin, et lui procura en 'abondance tout ce qui était nécessaire à sa personne et à sa petite cour ; tous les amis eurent la permission de parler à Démétrios ; les chasses royales, les manèges, les jardins lui furent ouverts ; des courtisans, qui vinrent de la part de Séleucos, apportèrent la bonne nouvelle que ce dernier n'attendait que l'arrivée d'Antiochos et de son épouse venant des provinces supérieures pour mettre complètement fin à sa détention[32].

C'était pour Séleucos un avantage inappréciable que d'avoir Démétrios en sa puissance ; non seulement il avait réduit à l'inaction l'ennemi que seul peut-être il avait encore à craindre, mais, ce qui devait lui paraître infiniment plus important, il avait à sa disposition le plus violent adversaire de Lysimaque. Il y avait déjà, en effet, entre les cours de Lysimachia et d'Antioche une tension qui tenait à bien des causes : depuis le départ de Démétrios, les affaires en Europe avaient pris un cours qui, en élevant extraordinairement la puissance de Lysimaque, pouvait exciter de graves appréhensions.

En dépit de la paix jurée avec Démétrios, Pyrrhos, poussé par Lysimaque et voulant gagner par des conquêtes l'attachement des Macédoniens, avait excité la Thessalie à la défection et attaqué plusieurs villes dans lesquelles se trouvaient encore des garnisons de Démétrios et d'Antigone[33], de sorte qu'il n'y restait guère plus à Antigone que la ville forte de Démétriade. La convention que le Molosse violait ainsi sans scrupule avait amèrement trompé les espérances des Athéniens, qui comptaient rentrer en possession de Munychie et du Pirée ainsi que du Musée ; ils ne s'attachèrent qu'avec plus de force à Lysimaque, qui leur faisait les plus belles promesses[34]. Lysimaque ne travaillait pas avec moins d'ardeur à aliéner à Pyrrhos le cœur des Macédoniens ; le roi Audoléon de Péonie tenait pour lui ; les luttes de son fils Agathoclès accroissaient sa puissance en Asie-Mineure, et il avait fait poursuivre Démétrios fugitif jusqu'au-delà des limites de son royaume. Lorsque Démétrios eut été enfermé dans la Cilicie et rendu à peu près inoffensif[35], Lysimaque se retourna vers la Macédoine ; son dessein n'était rien moins que d'enlever à Pyrrhos la couronne de Macédoine. Pyrrhos était campé dans la région montagneuse d'Édesse ; Lysimaque l'enferma, coupa ses communications, et le réduisit à une détresse croissante. En même temps, Lysimaque s'efforçait de gagner les principaux de la noblesse macédonienne ; il négociait avec eux tantôt verbalement, tantôt par écrit : C'est une indignité, leur disait-il, qu'un étranger, un prince Molosse, dont les ancêtres n'avaient pas cessé d'être soumis aux Macédoniens, puisse régner aujourd'hui sur l'empire de Philippe et d'Alexandre ; c'est une indignité plus grande encore que les Macédoniens l'aient élu eux-mêmes, et soient devenus infidèles à l'ami et au compagnon d'armes de leur grand roi ; il est grand temps que les Macédoniens se souviennent de leur antique gloire et reviennent à ceux qui l'ont conquise avec eux. La voix de Lysimaque, et plus encore son or, trouva accès partout ; partout, dans la noblesse et dans le peuple, se montrèrent des dispositions favorables au roi de Thrace. Pyrrhos renonça à se maintenir plus longtemps dans sa position d'Édesse et marcha vers les frontières de l'Épire ; il se mit en rapports avec Antigone, qui, profitant des circonstances, s'était sans doute avancé de nouveau en Thessalie. Lysimaque marcha contre les armées réunies des deux princes et gagna une bataille à la suite de laquelle Pyrrhos renonça complètement au trône de Macédoine, et la Thessalie, sauf Démétriade, tomba avec le royaume de Macédoine au pouvoir de Lysimaque[36].

Séleucos ne pouvait voir sans inquiétude les progrès de la puissance de Lysimaque ; Pyrrhos, même allié à Antigone, s'était montré trop faible pour faire contrepoids au puissant souverain de la Thrace, de la Macédoine et de l'Asie-Mineure. De là sans doute les hésitations de Séleucos, lorsqu'il s'était agi de procéder énergiquement contre Démétrios en Cilicie ; de là sa magnanimité surprenante, lorsque ce dernier avait été obligé de se rendre à lui : il dut songer en cas de besoin à ramener en scène Démétrios, à l'envoyer avec une armée en Europe, et, par son rétablissement sur le trône de Macédoine, à reconstituer l'équilibre qui seul 'pouvait assurer la stabilité de ce monde naissant composé d'États hellénistiques. Il vint de plusieurs côtés des sollicitations implorant la mise en liberté de Démétrios, et il n'en vint pas seulement de quelques villes et de quelques dynastes[37] : Ptolémée et Pyrrhos, eux aussi, semblent avoir négocié dans ce sens. Antigone faisait les efforts les plus ardents : il offrait de renoncer à toutes les possessions qui lui restaient, de se constituer lui-même comme otage, si Séleucos voulait rendre la liberté à son père ; il envoya prier les rois de vouloir bien appuyer sa proposition. De tous les côtés, on assiégeait Séleucos. Lysimaque seul faisait des objections sérieuses : si Démétrios était rendu à la liberté, disait-il, le monde serait de nouveau livré à la guerre et au désordre ; aucun des rois n'aurait la sécurité dans ses possessions. Il offrait 2.000 talents si Séleucos voulait débarrasser le monde du prisonnier. C'est avec des paroles sévères que Séleucos renvoya les ambassadeurs qui le croyaient capable non seulement de manquer à sa parole, mais de commettre un pareil crime sur un prince qui lui était doublement apparenté par des alliances de famille. Il correspondit par écrit avec son fils Antiochos en Médie sur la conduite à tenir à l'égard de Démétrios ; il avait l'intention de le rendre à la liberté, de le ramener d'une manière éclatante dans son royaume. Il eut soin que, dès maintenant, dans tout ce qu'on faisait pour Démétrios, le nom d'Antiochos et de son épouse, la fille de Démétrios, fussent prononcés.

Cependant Lysimaque semblait perdre complètement de vue les affaires helléniques et éviter avec soin toute occasion de dissentiment avec Séleucos ; la mise en liberté de Démétrios se faisait attendre jusqu'à devenir incertaine. Ce dernier écrivit lui-même à son fils Antigone, à ses amis et stratèges de la Grèce[38], de ne pas espérer son retour et de se méfier s'il arrivait des lettres avec son sceau, de se conduire comme s'il était mort, ajoutant qu'il transmettait à son fils Antigone toutes les villes et contrées qu'il possédait, tous ses droits et la couronne elle-même. Quant à lui, il abandonnait les espérances qu'il avait nourries dans les premiers temps de sa captivité : il passait son temps à chasser, à lutter, à monter à cheval ; mais bientôt il se fatigua de ces exercices et occupa ses loisirs et sa paresse à des banquets, au jeu de dés, à la débauche, autant peut-être pour étourdir le chagrin qui le rongeait que par goût naturel ; peut-être voulait-il hâter la fin d'une vie sans espérances. Dans la troisième année de sa captivité[39], il devint malade et mourut dans la cinquante-quatrième année de son existence agitée. Séleucos regretta amèrement de ne l'avoir pas sauvé ; de tous les côtés on l'accusa d'être la cause de la mort prématurée du roi.

Il n'aura pas manqué de rendre à sa dépouille les honneurs les plus éclatants. Les cendres de Démétrios furent envoyées en Grèce dans une urne d'or, et Antigone vint avec toute sa flotte jusqu'aux îles, afin de les escorter jusqu'à Corinthe ; toutes les villes auprès desquelles il aborda déposèrent des couronnes sur l'urne et envoyèrent des députations funèbres pour accompagner les restes du héros. Lorsque la flotte, selon le récit de Plutarque, fut arrivée devant Corinthe, l'urne funéraire fut placée sur le pont. du navire, parée de la pourpre et du diadème, exposée à la vue de tous, sous la garde d'honneur de jeunes hommes. ; le célèbre joueur de flûte, Xénophantos, était assis près de l'urne et exécutait une mélodie funèbre du caractère le plus religieux ; les rameurs, frappant la mer en cadence, firent approcher le vaisseau du rivage ; des milliers d'hommes l'attendaient et suivirent l'urne qu'Antigone portait en pleurant. Après la cérémonie funèbre à Corinthe, les cendres furent portées, pour être ensevelies, en Thessalie, dans la ville de Démétriade, que le roi avait fondée[40].

Telle fut la fin du roi Démétrios : sa vie agitée et aventureuse, telle que l'histoire n'en offre guère de semblable, est, comme l'époque des Diadoques elle-même, une tempête incessante qui finit par s'épuiser elle-même ; elle commence splendide et éblouissante, pour s'éteindre d'une façon répugnante, dans la décomposition et la pourriture. Démétrios personnifie d'une manière frappante la fermentation de cette époque étrange : plus elle tend au repos et à une solution définitive, plus son activité à lui devient incohérente et dépourvue. de plan ; son temps est passé dès que l'immense agitation de l'époque des Diadoques commence à s'éclaircir et à se calmer. L'astre le plus éclatant dans cette nuit orageuse qui suivit la mort d'Alexandre perd ses rayons aussitôt que commence à poindre un jour plus paisible ; on peut regarder avec étonnement sa grandeur excentrique, mais sa chute elle-même ne peut éveiller en nous de sympathie plus intime. Ce qui lui donne une physionomie originale dans l'histoire, c'est qu'il s'attache à l'idée, au fantôme de l'unité du grand empire d'Alexandre, alors que les éléments qu'il contient travaillent à le décomposer complètement ; c'est qu'il prend constamment cette idée pour le prétexte d'entreprises toujours nouvelles, plus fantastiques les unes que les autres ; c'est que lui, élevé dans l'Orient, devenu lui-même un despote oriental, il cherche à la réaliser à la tête des Hellènes et des Macédoniens. Il a méconnu l'élément positif de cette époque, la semence jetée par Alexandre, semence qui a levé durant une lutte de cinquante ans et qui déjà était en pleine croissance. C'est le caractère des évolutions historiques, que, pendant qu'on bataille pour une foule d'autres questions, elles suivent tranquillement et sûrement leur cours ; celui-là seul qui les comprend et les aide de son concours fonde quelque chose de durable. Ainsi, après. la mort d'Alexandre, la lutte pour l'unité de l'empire semble absorber toutes les forces et dicter la conduite des partis ; mais, ce qui est durable, c'est le principe de l'hellénisme, qui, lorsque la fureur des combattants s'est apaisée, se montre réalisé et assuré pour des siècles. C'est dans l'intérêt de ce principe que la reconstitution de l'unité du grand empire occidento-oriental devait se montrer impossible, afin que la fusion de l'élément occidental avec les différents éléments des races orientales pût se réaliser sous la forme d'autant d'organismes hellénistiques : c'est ce principe qui rend la domination du Lagide si inébranlable et si grandiose ; c'est lui qui fait la puissance de Séleucos.

Nous approchons de la conclusion de cette époque. Les trois rois Lysimaque, Séleucos et Ptolémée, les derniers compagnons des luttes d'Alexandre, sont des vieillards : à côté d'eux, le fils de l'Épigone Démétrios, Antigone, est réduit à la possession de l'Hellade, et Pyrrhos d'Épire, que les forces de Lysimaque tiennent éloigné des frontières macédoniennes, commence à tourner ses velléités guerrières du côté de la péninsule des Apennins. Les trois vieillards ont à leurs côtés des fils dans toute la force de l'âge, auxquels ils songent à laisser leur couronne si péniblement conquise et affermie sur leur tête par des luttes infinies. Déjà Séleucos a cédé à son fils Antiochos, âgé de quarante ans, la royauté de la Haute-Asie. Ptolémée, lui aussi, se hâte de mettre avant sa mort le royaume entre les mains d'un successeur : l'aîné de ses fils, Ptolémée, que l'on surnommait Céraunos, l'éclair, à cause de la violence de son caractère[41], lui était né d'Eurydice, aujourd'hui répudiée ; il aimait mieux son autre fils Ptolémée, plus doux de caractère et né de sa chère Bérénice, celui qui s'appela plus tard Philadelphe[42]. Le vieux roi doit avoir consulté là-dessus plus d'une fois ses amis ; on rapporte que Démétrios de Phalère, qui, occupé désormais de travaux littéraires, vivait à Alexandrie entouré d'une grande considération et au rang des premiers amis du roi, se prononça pour le droit de l'aîné[43] : le roi se décida néanmoins à donner la couronne à son fils préféré. C'est avec de bruyantes et joyeuses acclamations que les Macédoniens d'Égypte apprirent la résolution du roi[44], et Ptolémée Philadelphe commença à régner en 285[45]. Deux ans après mourut Ptolémée Soter, dans la quatre-vingt-quatrième année de son âge : c'était, parmi les successeurs d'Alexandre, sinon le plus grand et le plus noble, du moins certainement celui qui, dès le début, comprit le mieux la tendance de l'époque et celui des Diadoques qui laissa après lui le royaume le plus consolidé et le mieux ordonné.

Ptolémée Soter no vit point les tristes résultats que la préférence qu'il accordait à son plus jeune fils devaient avoir pour sa maison ; ce fut pourtant de son vivant, sans doute, que Céraunos, la victime de cette préférence, et ses deux frères quittèrent la cour d'Alexandrie. Ptolémée Céraunos se rendit en Thrace, chez Lysimaque, dont le fils et futur successeur Agathoclès était marié avec Lysandra, la sœur légitime du prince fugitif. La cour d'Alexandrie, de peur que l'influence de Céraunos ne troublât l'entente cordiale avec la Thrace, négocia un mariage entre le jeune roi Ptolémée et Arsinoé, fille du roi Lysimaque et de la princesse macédonienne Nicæa[46].

De tous les compagnons de guerre d'Alexandre, c'est Lysimaque qui arriva le dernier à se faire une grande situation : ce n'est qu'après la bataille d'Ipsos qu'il prit rang parmi les grandes puissances, et même alors il eut à soutenir les luttes les plus pénibles avec ses voisins du nord, les Thraces. Il était généralement connu comme un intrépide et vigoureux homme de guerre[47] ; il ne semble pas avoir été d'une intelligence remarquable, mais il savait guetter le moment favorable et dissimuler ses desseins[48]. Si l'on peut, d'après les renseignements peu nombreux qui sont arrivés jusqu'à nous, esquisser de lui un portrait d'ensemble, on le placerait volontiers au nombre des caractères ordinaires, qui, loyaux et actifs par habitude, se montrent parfaitement estimables et honnêtes tant qu'ils mènent une existence effacée et sans incidents considérables. Il déteste du fond du cœur le tempérament génial de Démétrios ; c'est de tout cœur aussi qu'il aime sa femme, la princesse perse Amastris, dont la noblesse de sentiments et l'élévation de caractère lui imposent ; il se sépare d'elle néanmoins aussitôt :que les intérêts politiques semblent l'exiger, mais il ne cesse de parler à sa nouvelle épouse Arsinoé d'Égypte des grandes qualités de cette femme ; il lui cite sans cesse ce qu'elle a dit soit dans une circonstance, soit dans une autre[49]. Il sait apprécier la valeur de l'argent : il amasse de grands trésors, sans les dissiper comme Démétrios dans la magnificence et le luxe, sans se plaire comme Ptolémée à protéger les arts et les sciences[50]. C'est dans sa verte vieillesse qu'il trouve coup sur coup les occasions d'agrandir sa puissance, et il en use chaque fois que la chose est' possible. Jamais il ne domine les circonstances, il se laisse guider par elles : c'est en entrant en scène au moment opportun qu'il gagne l'Asie-Mineure, chasse le belliqueux Pyrrhos de la Macédoine, multiplie ses acquisitions. Il manque de cette énergie de caractère au moyen de laquelle Séleucos et Ptolémée ont su constituer le noyau solide de leurs royaumes ; il semble se contenter d'ajouter d'une manière tout extérieure de nouvelles possessions aux anciennes. Il s'entend tout aussi peu à créer dans son entourage un ordre de choses bien réglé ; à sa cour règnent des coteries dont il ne sait pas être le maître, et, pendant qu'il élève jusqu'au ciel la mémoire de la magnanime Amastris, Arsinoé intrigue contre son futur successeur Agathoclès et son épouse Lysandra. Son amour paternel n'est pas assez vif pour qu'il ne le mette pas de côté pour un caprice, un soupçon, un intérêt considérable ; il a condamné à une prison perpétuelle sa fille Eurydice, parce qu'à plusieurs reprises elle a sollicité avec son époux Antipater de Macédoine la restauration de son trône ; il a fait assassiner son gendre, qui était venu en suppliant, afin de s'emparer de son royaume. La suite de notre récit révèlera des actes encore plus odieux ; elle montrera chez ce vieillard une cupidité et une faiblesse de caractère qui finiront par le perdre, lui, sa maison et son royaume.

Après que Lysimaque fut devenu le maitre unique de la Macédoine, il avait tout d'abord commencé une guerre nouvelle contre la Thrace ; nous n'avons pas de détails sur cette guerre[51] : ensuite il avait marché contre Héraclée. Nous avons déjà mentionné l'assassinat d'Amastris par ses deux fils Cléarchos et Oxathrès. On dit que Lysimaque trouva ce meurtre si affreux et si abominable qu'il ne crut pas devoir le laisser impuni. Il cacha pourtant soigneusement sa résolution et lit semblant de ne pas enlever à Cléarchos sa vieille et tendre affection : il réussit à lui ôter toute espèce de souci, puis il lui annonça sa visite, prétextant d'avoir à s'entretenir avec lui du bien public. Il fut introduit dans Héraclée ; là il parla aux deux frères avec l'autorité d'un père et les fit ensuite mettre à mort, l'un d'abord, l'autre ensuite. Il plaça la ville sous son autorité. pilla les richesses que les tyrans avaient amassées depuis de longues années ; puis il permit aux citoyens d'établir une démocratie comme ils le désiraient. Il retourna ensuite en Thrace[52].

A son retour, Lysimaque ne tarissait pas en racontant de quelle manière admirable Amastris avait administré Héraclée, comment elle avait accru la prospérité de la ville, comment, par la fondation d'Amastris, elle avait ranimé et poussé à une nouvelle activité de vieilles localités en décadence, comme tout était admirable et vraiment royal à Héraclée. Ses louanges irritèrent la reine Arsinoé ; elle le pria de lui faire don de la ville. D'abord Lysimaque s'y refusa : c'était, disait-il, un cadeau trop précieux ; ne possédait-elle pas déjà la belle Cassandria en Macédoine ? du reste, il avait promis à la ville sa liberté. Mais la reine savait le mener, et elle n'eut de cesse qu'il ne se rendit à ses prières. C'est ainsi qu'Héraclée, avec Amastris et Dion, devint la propriété d'Arsinoé. Elle y envoya le Kyméen Héraclide, pour administrer la ville en son nom c'était un homme tout dévoué à la reine, très dur et très tyrannique ; il opprima de la façon la plus dure les citoyens, qui avaient commencé à jouir de leur liberté recouvrée, en fit mettre un grand nombre à mort et confisqua leurs biens[53].

Le fils aîné de Lysimaque, à qui revenait l'héritage du trône, était Agathoclès, le même qui avait conduit avec autant de courage que d'habileté la campagne contre Démétrios, un prince noble et chevaleresque, extrêmement aimé à la cour, à l'armée, surtout en Asie-Mineure, où il avait sans doute commandé pendant plusieurs années ; on se réjouissait de voir en lui et en ses enfants les héritiers du trône. Seule, Arsinoé voyait tout cela avec envie et amertume. Ses enfants, les enfants d'une fille de roi, devront-ils donc céder la place à ce fils d'une Odryse ? Ils vivront donc un jour par la faveur d'Agathoclès et de ses enfants ? Elle-même cédera alors son rang à cette Lysandra, sa belle-sœur, qu'elle méprisait déjà dans la maison paternelle, et elle devra se contenter de ces maigres douaires d'Héraclée et de Cassandria ? Ses enfants approchaient de la majorité ; il était temps d'agir, si elle voulait leur assurer le trône de Thrace. Peut-être s'est-il passé dans son âme quelque drame plus intime encore. Agathoclès était beau et chevaleresque ; de quoi servait à la reine de partager la couche d'un vieillard ? Lysandre était la plus heureuse. On se racontait que la reine avait cherché à faire la conquête du jeune prince, mais ce dernier aimait son épouse ; il se déroba à la faveur équivoque de sa belle-mère et se détourna d'elle avec dédain. Arsinoé ne respira plus que vengeance. Le fugitif Ptolémée Céraunos étant venu à Lysimachia, elle forgea des plans avec lui. Elle commença par circonvenir Lysimaque : elle ne pouvait, di-. sait-elle, assez le remercier d'avoir voulu lui donner dans Héraclée un asile dont elle aurait grand besoin bientôt. Elle s'entendit à pousser au comble les inquiétudes et les soupçons du vieillard. Le tremblement de terre qui venait de détruire presque la capitale n'était-il pas un signe trop clair du ciel ? Il serait bien douloureusement affecté d'apprendre qu'il avait assez vécu au gré de quelqu'un qu'il aimait plus que qui que ce fût au monde : on vivait dans un temps de forfaits abominables ! Enfin, elle prononça le nom d'Agathoclès et s'en référa au témoignage de Ptolémée, qui méritait certainement d'être cru, puisque l'épouse d'Agathoclès était sa sœur légitime : ce dernier, inquiet pour la vie de son noble protecteur, lui avait tout révélé à elle. Le roi crut à la calomnie ; il s'empressa de prévenir un crime dont Agathoclès n'aurait pas été capable. Le fils pressentait les intrigues de la reine ; lorsqu'on lui présenta à la table de son père des mets empoisonnés, il prit du contrepoison et sauva sa vie. Il fut alors jeté en prison ; Ptolémée se chargea de l'assassiner[54]

A présent, Lysimaque devait se sentir en sécurité. Du moins, comme s'il n'avait plus rien à craindre, il osa tous les crimes et toutes les violences pour agrandir son domaine. C'est dans ce temps que dut mourir Audoléon, le vieux prince des Péoniens, peut-être dans une insurrection que doit avoir provoquée un membre de sa famille. Lysimaque ramena le fils d'Audoléon, le jeune Ariston, dans l'héritage paternel, comme s'il avait tenu à la faveur des Péoniens. Mais lorsqu'après le sacre, qui consistait dans un bain dans le fleuve Astacos, on se fut assis au festin royal, sur un signe de Lysimaque, on vit paraître des hommes armés pour assassiner le jeune prince : celui-ci réussit à grand' peine à sortir et à s'élancer sur un cheval ; il se réfugia sur le territoire voisin, chez les Dardaniens[55]. Lysimaque occupa le pays ; un des fidèles d'Audoléon lui montra, dans le fleuve Sargentios, l'endroit où lui-même il avait immergé les trésors du roi[56]. Ces agrandissements de territoire, ces trésors et les décrets de gratitude et d'honneur que les Athéniens ne cessaient de rendre en sa faveur[57], durent donner au vieux roi la confiance que tout allait bien.

Mais la fin d'Agathoclès avait fait dans le pays et au loin une profonde impression. Alexandre, le frère de la victime, sa veuve avec ses enfants s'enfuirent en Asie auprès de Séleucos ; la désapprobation générale de cet acte horrible éclata tout haut. Lysimaque chercha, par les mesures les plus sévères, à maîtriser l'opinion ; beaucoup des amis d'Agathoclès furent arrêtés et exécutés. Il ne fut pas si facile de faire taire les stratèges et les troupes en Asie-Mineure ; beaucoup passèrent à Séleucos ; Philétæros de Tios, qui avait à Pergame la garde du Trésor royal, un des plus fidèles partisans d'Agathoclès, se détacha de Lysimaque, envoya un héraut à Séleucos et se rendit à lui avec le Trésor de 9.000 talents. Lysimaque n'avait sans doute pas prévu de telles conséquences ; alors lui vinrent les preuves convaincantes qu'Agathoclès avait été complètement innocent : il n'en vit qu'avec plus d'inquiétudes les orages qui commençaient à gronder autour de lui. Il avait donné assez de motifs de plaintes à la cour de Syrie ; qu'arriverait-il si maintenant Séleucos allait franchir le Taurus et demander satisfaction ? La cour des Lagides avait reçu aussi une insulte : la veuve du prince assassiné était la sœur du jeune roi Ptolémée, et ce dernier ne pouvait voir d'un œil tranquille que Céraunos, à qui la couronne d'Égypte avait été arrachée à son profit, prît une si grande influence à la cour de Thrace. Lysimaque avait à craindre que Séleucos et Ptolémée ne se liguassent contre lui, et Agathoclès, qui aurait combattu pour lui, n'était plus. Il fallait au moins prévenir l'alliance des deux rois. Lysimaque se hâta d'envoyer au jeune roi Ptolémée sa fille Arsinoé, dont on avait demandé la main à Alexandrie ; Ptolémée aura vu dans ce fait la garantie que son frère consanguin, qui n'avait nullement renoncé à la pensée de devenir le maître de l'Égypte, avait perdu son influence redoutée sur la cour de Thrace.

Céraunos n'avait plus de raison de prolonger son séjour à Lysimachia ; lui aussi s'enfuit, maintenant que la Thrace était devenue à peu près l'alliée de l'Égypte, auprès de celui contre lequel cette alliance était dirigée, auprès de Séleucos[58]. Celui-ci l'accueillit amicalement, comme étant le fils d'un ami et la victime d'une grave injustice ; Séleucos lui promit d'avoir soin, après la mort de son père, qu'il recouvrât le royaume auquel seul il avait droit[59]. Lysandra et Alexandre pressaient aussi le roi de commencer la guerre contre Lysimaque ; il a pu venir aussi de l'Asie-Mineure de nombreuses prières dans le même sens. Mais le vieux Ptolémée vivait encore : Séleucos semble avoir ajourné encore, par égard pour lui, le commencement des hostilités contre la Thrace.

L'histoire de la guerre qui va suivre est extrêmement obscure. On dit que Lysimaque, à la nouvelle des révoltes survenues en Asie-Mineure, chercha à prendre les devants, qu'il passa en Asie avec une armée et commença les hostilités[60] ; il tenta certainement de reconquérir les villes et les pays qui avaient fait défection. Nous ne trouvons nulle part d'indication sur l'époque où Séleucos prit part à la lutte, ni sur la manière dont il le lit ; ce n'est qu'après la mort de Ptolémée Soter, en 283, qu'il semble s'être mis en campagne, avec une armée composée d'Asiatiques et de Macédoniens et un grand nombre d'éléphants. La conquête de l'Asie-Mineure dut lui être assez facile ; il semble presque que Lysimaque, forcé par des insurrections sur sa droite et sur sa gauche, recula devant Séleucos jusqu'à l'Hellespont sans oser livrer bataille. D'un autre côté, Séleucos ne semble pas avoir pris le chemin le plus court pour trouver Lysimaque ; il dut parcourir lentement l'Asie-Mineure pour en prendre possession, afin de disputer ensuite à Lysimaque non plus l'Asie-Mineure, mais son royaume d'Europe. Au cours de cette expédition, Séleucos vint aussi à Sardes : Théodotos, qui avait été placé là par le roi de Thrace à la garde du Trésor, tint contre Séleucos dans la citadelle ; le roi mit sa tête à prix pour cent talents, et là-dessus, Théodotos, pour les gagner lui-même, ouvrit les portes de la citadelle[61]. Les villes et îles grecques du littoral, mécontentes du gouvernement de Lysimaque, semblent s'être unies à Séleucos[62] ; partout, dans les villes, le parti des Séleucisants[63] avait la prépondérance : Lysimaque recula jusque dans la Phrygie d'Hellespont. C'est dans la plaine de Coros[64] que les deux rois se rencontrèrent pour la bataille décisive. La défaite de Lysimaque fut complète ; il tomba lui-même sous les coups de l'Héracléote Malacon ; l'armée semble avoir mis bas les armes. Le cadavre de Lysimaque resta sur le champ de bataille ; ce fut son fils Alexandre qui demanda la permis-mission de l'ensevelir. On le chercha longtemps en vain ; le chien du roi, qui était resté près du cadavre et qui avait éloigné les oiseaux et les animaux de proie, fit reconnaître le corps du roi déjà en décomposition. Alexandre amena les restes de son père à Lysimachia, et les déposa dans le Lysimachion[65].

Cette bataille mit fin à la guerre[66]. Nous ne pouvons que faire des conjectures sur la manière dont Séleucos se comporta, après cette victoire, à l'égard du royaume de Lysimaque. La reine avait pris la fuite avec ses enfants ; comme on nous dit qu'Alexandre demanda à la veuve d'Agathoclès le corps du roi[67], il faut en conclure qu'elle avait reçu de Séleucos certains droits, qui ne peuvent avoir été que ceux d'une tutrice de ses enfants, des enfants d'Agathoclès, qui étaient les héritiers légitimes du trône : il ne parait pas incroyable que Séleucos eût le dessein de leur laisser les pays que Lysimaque avait possédés à l'origine ; quant à l'Asie-Mineure, il l'aura incorporée à son grand empire. Il resta plusieurs mois dans l'Asie-Mineure pour en régler les affaires, notamment pour prendre une autorité plus ferme sur les villes. Nous ne savons en détail que ce qui se passa à Héraclée[68]. Les Héracléotes, aussitôt qu'ils eurent reçu la nouvelle de la chute de Lysimaque, nouèrent des négociations avec Héraclide et lui promirent de riches dédommagements s'il quittait la ville et les laissait rétablir leur ancienne liberté. Comme non seulement il s'y refusa, mais qu'il punit même durement plusieurs citoyens, ils gagnèrent la garnison et ses chefs, firent Héraclide prisonnier, rasèrent la citadelle, établirent Phocritos comme administrateur de la ville et entrèrent en négociations avec Séleucos. Cependant Zipœtès de Bithynie fit sur le territoire d'Héraclée des incursions et brigandages dont on ne se défendit qu'avec peine. Séleucos envoya Aphrodisios en Phrygie et dans les pays sur le Pont, pour y recevoir les hommages et organiser le nouveau régime : à son retour, Aphrodisios se loua beaucoup des autres villes et pays, mais il désigna Héraclée comme n'étant aucunement dévouée au roi ; lors donc que les ambassadeurs de la ville arrivèrent, le roi leur parla durement et les menaça de les réduire à la soumission. Les Héracléotes s'empressèrent de prendre des précautions pour toutes les éventualités ; ils conclurent une alliance avec Mithradate du Pont, avec Byzance et Chalcédoine, laissèrent rentrer les citoyens précédemment exilés et proclamèrent à nouveau l'indépendance de la cité.

A la fin de l'année 281, les affaires de l'Asie-Mineure devaient être réglées : si Séleucos voulait, comme nous l'avons supposé, conserver le royaume de Thrace aux enfants d'Agathoclès, sous sa régence et celle de leur mère, il restait encore la couronne de Macédoine, au sujet de laquelle Séleucos s'était réservé de prendre une décision spéciale. Le vieux roi avait l'ardent désir de revoir le pays de son enfance, qu'il avait quitté plus de cinquante années auparavant, avec le jeune héros Alexandre, lui-même étant bien jeune encore[69] ; c'est là qu'étaient les tombeaux de ses parents, ces lieux si chers de la patrie dont il avait transporté les noms aux pays et aux villes de son royaume de Syrie ; c'est là qu'était ce peuple dont, après tout, il n'avait pas trouvé l'égal dans le vaste Orient : au soir de sa vie si riche en actions, être roi de Macédoine, vivre là paisiblement, faisant le bonheur de ses sujets et honoré de tous, c'était à ses yeux la plus belle conclusion d'une vie agitée. Il laissa à son fils Antiochos l'Asie, de l'Hellespont à l'Indus ; lui, le dernier compagnon des luttes d'Alexandre, le seul survivant de l'âge héroïque, puisque partout, en Épire, en Grèce, en Thrace, en Égypte, en Asie, les trônes étaient occupés par une nouvelle génération, il songeait sans doute, une fois roi du pays d'où étaient partis les conquérants du monde, non pas à jouer le rôle de puissance suprême appuyée sur la force matérielle, mais à exercer partout une influence conciliatrice ; il devait espérer, semblable à un père au milieu des jeunes souverains qui l'entouraient, prodiguant des conseils, apaisant les rivalités, honoré de tous, donnant à sa chère Macédoine l'honneur et la félicité, gardien en quelque sorte de la paix universelle qui deviendrait enfin durable, voir se développer l'ère nouvelle dont les germes avaient été semés par Alexandre. C'est avec ces espérances, qui font du moins honneur au cœur du vieux roi, que Séleucos franchit l'Hellespont à la fin de l'année 281.

C'était le dernier écho de l'idée qui, depuis la mort d'Alexandre, avait agité le monde politique, la dernière forme sous laquelle l'unité de l'empire pouvait continuer de vivre, au moins d'une manière idéale. Mais il était dit que cette dernière possibilité elle-même serait convaincue d'impossibilité : l'hellénisme, que la Macédoine avait introduit dans le monde, ne devait pas revenir en Macédoine sous une forme extranationale ; l'empire du monde ne devait pas être restauré par l'initiative de l'Asie hellénistique.

Des oracles avaient averti Séleucos de ne jamais aller du côté d'Argos. Lors donc qu'il eut franchi l'Hellespont et comme il était en route pour Lysimachia, il passa près d'un autel élevé, dit-on, en ce lieu par les Argonautes et que les habitants du voisinage appelaient Argos. Au moment où Séleucos contemplait ce monument d'une haute antiquité et s'informait de son origine et de son nom, Ptolémée Céraunos survint et le transperça par derrière[70]. Le meurtrier s'élança ensuite sur son cheval, courut à Lysimachia, où il ceignit le diadème ; puis, entouré d'une suite brillante d'hommes armés, il vint dans l'armée de Séleucos, qui, surprise, troublée, sans chef, se soumit et le proclama roi[71].

Tel est le peu que la tradition nous rapporte : il n'y a rien qui nous explique la suite des événements qui ont rendu possible et fécond en résultats ce crime affreux. La reine Arsinoé n'avait-elle pas la main dans cette affaire ? Après la défaite de Lysimaque, elle s'était sauvée à Éphèse ; mais, lorsque les Séleucisants de la ville se soulevèrent, ouvrirent de force lés portes de la citadelle, la rasèrent, mirent à prix la vie de la reine, elle fit monter une servante dans la litière royale et gagna le port en toute hâte, avec une escorte de satellites ; elle-même, vêtue de haillons, la figure barbouillée et méconnaissable, elle put se sauver jusqu'au port, monta secrètement sur un navire et s'enfuit[72]. Peu de temps après, elle est avec ses fils dans sa ville de Cassandria en Macédoine ; elle espérait sans doute que les Macédoniens se soulèveraient après la mort de Séleucos en faveur de son fils aîné, qui avait près de dix-huit ans ; du moins, sa conduite à l'égard de Ptolémée, lorsque celui-ci noua des négociations avec elle, fut telle qu'il n'est guère possible de supposer une entente entre elle et lui. Aussi n'est-ce pas avec le parti de l'odieuse reine que Ptolémée dut se mettre :en rapport pour prendre d'abord un pied solide en Thrace : il parait allié avec les Héracléotes, qui ne détestaient pas moins Arsinoé que Séleucos. Certainement les alliés d'Héraclée, notamment Byzance et Chalcédoine, étaient d'accord avec Ptolémée ; il paraît croyable que Philétæros à Pergame commençait aussi à redouter Séleucos ; la puissance de Séleucos aura excité en d'autres lieux aussi la haine et la crainte[73]. On peut bien admettre que, en Thrace notamment, l'opinion n'était rien moins que favorable au roi Séleucos ; en effet, ce royaume, autrefois puissant et indépendant, n'était plus guère en ce moment, malgré la promesse de Séleucos de maintenir les droits des enfants d'Agathoclès, qu'une province du grand empire de Séleucos, et le parti d'Agathoclès, quelque nombreux qu'il fût, devait s'éloigner de ses enfants dans la mesure où il désirait le maintien de la puissance et de l'indépendance du royaume. A coup sûr, les citoyens de Lysimachia et les autres Macédoniens et Grecs établis dans le pays ou servant comme mercenaires dans l'armée furent aisément gagnés ou tout disposés à l'être au plan de Ptolémée, et, comme une partie des troupes de Lysimaque avait passé au service de Séleucos, Ptolémée pouvait avec d'autant plus d'assurance oser assassiner le vieux roi au milieu de son entourage, dans le voisinage de son armée.

Quai qu'il en soit, Ptolémée devint roi : les amis de Séleucos s'enfuirent sans doute en Asie ; Philétæros de Pergame acheta à Ptolémée le corps du roi et l'envoya à Antiochos. On ne dit pas ce que devinrent la veuve, le frère et les enfants d'Agathoclès.

Parmi les incommensurables vicissitudes de l'époque des Diadoques, la mort de Séleucos fut la plus fatale ; elle rompit tous les liens déjà formés et fut le commencement d'une nouvelle série d'immenses ébranlements. Ceux-ci se succédèrent coup sur coup, et l'irruption soudaine de Barbares du nord, l'invasion des Celtes, survenant aussitôt après les premières secousses dans les pays les premiers et les plus gravement éprouvés, acheva la débâcle.

Le meurtrier avait eu beau se parer aussitôt du diadème, Antigone prit les armes en Grèce, et, allié avec les Étoliens[74], il se hâta d'accourir en Macédoine pour faire valoir ses prétentions ; Antiochos envoya son général Patroclès en Asie-Mineure, pour comprimer les soulèvements qui éclataient sur un grand nombre de points et préparer une expédition en Europe. Une insurrection dans la Séleucide, l'invasion du roi d'Égypte dans la Syrie méridionale, le retint dans la première de ces provinces ou l'appela dans la seconde. L'armée qui était partie avec Séleucos pour Lysimachia s'était ralliée au meurtrier. Il est facile de comprendre qu'il négligea d'abord l'Asie-Mineure ; à la tête de la flotte thrace, appuyé par les vaisseaux d'Héraclée, parmi lesquels se trouvait un vaisseau à huit rangs, le porte-lion, il courut prévenir l'invasion d'Antigone en Macédoine. Il y eut un combat naval dans lequel Antigone eut le dessous ; la flotte vaincue se retira vers la Béotie, pendant que Ptolémée, avec son armée de terre, pénétrait en Macédoine et y prenait les rênes du gouvernement[75]. Il députa aussitôt vers son frère en Égypte, pour lui faire savoir qu'il renonçait à ses prétentions sur l'Égypte et que, par la défaite de l'ennemi de leur père, il était devenu roi de Macédoine et de Thrace : il priait son frère de lui accorder son amitié. Alors commença la guerre sur terre contre Antigone, pendant que, de l'autre côté de la mer, Patroclès marchait contre les alliés de Céraunos.

C'est surtout de la conduite que tiendrait Pyrrhos que tout allait dépendre. Les Tarentins, sérieusement menacés par les Romains, avaient imploré son secours dès le printemps de 281 ; comme une armée romaine était venue détruire les moissons au moment où elles mûrissaient sur leur territoire, ils avaient renouvelé leur prière d'une manière plus pressante. Pyrrhos avait certainement suivi avec une attention croissante les débuts de la lutte de Séleucos contre Lysimaque, qui lui avait arraché la couronne de Macédoine ; peut-être attendait-il le moment favorable où il pourrait décider à son avantage en Europe cette guerre dont l'issue était incertaine en Asie. La victoire du puissant Séleucos sur 'l'Hellespont, son plan avoué d'aller en Macédoine, mirent fin aux espérances qui lui avaient fait repousser la première proposition de Tarente ; il envoya Cinéas pour conclure le traité avec les Tarentins, et le fit suivre, dès l'automne de 281, d'un premier envoi de troupes. Mais l'assassinat de Séleucos, l'acceptation par Céraunos de la couronne de Thrace, changèrent pour Pyrrhos la situation ; la Macédoine était sans maitre pour le moment ; l'armée molosse était le plus près et prête à faire la guerre : pourtant, le traité avec Tarente et plus encore le corps déjà envoyé rendaient absolument nécessaire une expédition en Italie. Les trois rois rivalisèrent d'efforts, non pour gagner son assistance, car il aurait exigé en retour la Macédoine, mais pour le décider à ne pas abandonner l'œuvre déjà commencée de la délivrance de l'Italie, qui lui offrait du reste un riche dédommagement pour la couronne de Macédoine. Antigone lui prêta des vaisseaux pour la traversée ; Antiochos fournit des subsides ; Céraunos s'offrit, quelque pressant besoin qu'il eût lui-même de ses forces, à lui envoyer 5.000 fantassins, 4.000 cavaliers, 50 éléphants pour l'expédition d'Italie. Dès avant le printemps de 280, le roi des Épirotes prit la mer, en rendant, pour ainsi dire, Ptolémée de Macédoine responsable de la sécurité de son royaume[76].

Pendant qu'Antigone combattait Céraunos et ses alliés, il venait d'éclater en Grèce une guerre allumée sans doute par Ptolémée d'Égypte, pour faciliter autant que possible à son frère le maintien de sa domination sur la Macédoine ; qui assurait sa propre situation en Égypte. Les Spartiates envoyèrent partout en Grèce des émissaires chargés d'appeler les Hellènes à la lutte pour la liberté. Une étrange effervescence se manifesta partout ; quatre villes achéennes, de la Ligue depuis longtemps dissoute, renouvelèrent l'ancienne alliance[77] ; à Athènes — Salamine, le Pirée et Munychie étaient toujours occupés par Antigone — un décret honorifique proposé par Démocharès ranima le souvenir de Démosthène[78] ; des décrets en l'honneur d'officiers macédoniens qui, dans le soulèvement de 287, avaient embrassé la cause de la liberté, furent comme une invitation à suivre cet exemple[79] ; de grands honneurs furent décernés aux vaillants éphèbes qui avaient gardé pendant l'année précédente le poste important du Musée, ainsi qu'à leurs officiers[80] : il était visible que l'opinion s'échauffait à Athènes. C'est à ce moment qu'Avens, roi des Spartiates, se mit en campagne avec une armée assez considérable. Il en voulait aux Étoliens, les alliés d'Antigone ; un arrêt des Amphictyons contre les Étoliens, qui s'étaient emparés par force du territoire sacré de Cirrha et l'avaient profané par la culture[81], était le prétexte de cette guerre. Areus marcha contre Cirrha, détruisit les semailles, pilla la ville, brûla ce qu'il ne pouvait emporter. Lorsque les bergers de la montagne virent cette exécution, ils se rassemblèrent au nombre d'environ 500, tombèrent sur les ennemis dispersés, qui, ne connaissant pas le nombre des assaillants et saisis d'effroi parce que la fumée qui montait autour d'eux dans les airs les empêchait de voir au loin, commencèrent à fuir : 9.000, dit-on, furent massacrés, les autres dispersés. Lorsque, après cette étrange défaite[82], les Spartiates firent un appel pour recommencer la guerre, beaucoup de villes refusèrent leur concours, persuadés que les Spartiates avaient pour but non la liberté de la Grèce, mais l'extension de leur puissance. 'foute cette entreprise qui, dans l'état des choses, aurait pu avoir du succès, échoua par l'inintelligence de cet orgueilleux roi spartiate, qui étalait sa magnificence et tenait une cour comme les puissants monarques de nom macédonien. Quelque lourde que semblât l'oppression aux tenants de la liberté, qui voyaient les créatures d'Antigone dominer dans leurs cités sous le nom d'administrateurs, phrourarques, tyrans, les oligarques de Sparte ne surent pas exciter leur enthousiasme ; au lieu d'obtenir l'alliance des Étoliens, fût-ce au prix de quelques sacrifices, ils attaquèrent la Ligue, qui, à partir de cette époque, ne cessa d'être l'ennemie du Péloponnèse.

L'attaque des Spartiates aura suffi sans doute pour décider à revenir sans retard dans leur pays les Étoliens qui étaient partis pour la Macédoine. Du coup, l'entreprise d'Antigone avait échoué[83] ; il dut, pour le moment, renoncer à disputer la Macédoine à son rival, et se contenter de ce qu'il possédait encore dans les pays helléniques. Ce n'était rien moins qu'un empire, une puissance territoriale bien circonscrite ; il n'avait sous son autorité immédiate que peu de villes ; dans d'autres, il ne possédait que des amis, un parti, une influence dans chaque ville il avait contre lui un parti adverse ; il avait contre lui l'avidité de Sparte, que partout il trouvait sur son chemin, et, derrière Sparte, la puissance de l'Égypte. Tel était dans ce temps l'état de l'Hellade : partout des partis incessamment occupés h s'entre-déchirer et à se contrecarrer, uni. situation énervée et énervante, un ensemble plus que jamais sans unité et sans direction, en pleine dissolution, un néant politique. Ajoutons à cela une circonstance remarquable, que nous fait connaître superficiellement une indication isolée : à l'époque où la Ligue achéenne fut renouvelée, les villes achéennes avaient été moins encore que les autres éprouvées par les guerres et la peste[84]. Ces mots nous permettent. par comparaison, de compléter l'image de la profonde misère de ces temps, misère politique et morale qui minait la santé des pays grecs. La peste dévastatrice apparaît, cette fois comme tant d'autres, pour ainsi dire à l'état de force historique : en même temps effet et cause, elle met fin h la période de décadence en balayant les restes d'un passé qui s'est survécu et en faisant place nette pour des organismes nouveaux. Si la peste, pendant ces années, a épargné les villes de l'Achaïe, c'est que c'est en Achaïe précisément qu'allait s'éveiller déjà une vie nouvelle pour la Grèce, une vie dont nous trouvons déjà les germes dans l'alliance des quatre villes.

L'attaque des Spartiates contre Cirrha tomba au moment où le blé était en herbe. Ce doit avoir été vers le temps où le stratège Patroclès, qu'Antiochos avait envoyé avec une armée au-delà du Taurus, arrivait par la Phrygie, pour rétablir, à ce qu'il paraît, dans les villes grecques du littoral le pouvoir royal, dont elles avaient sans doute salué la fin lors de l'assassinat de Séleucos. Héraclée sur le Pont, probablement menacée la première de son attaque, préféra lui envoyer une députation ; lui, de son côté, se contenta de conclure un traité de paix et d'amitié avec cette ville puissante, dans le but, à ce qu'il semble, d'arriver plus tôt aux positions plus importantes de l'Hellespont. Il poursuivit son chemin à travers la Bithynie.

C'est là, sur le territoire entre le golfe d'Astacos, le Bosphore et le Pont, que le vieux Zipœtès avait agrandi sa souveraineté dans de longues luttes contre les villes grecques, Héraclée notamment, contre les stratèges d'Alexandre, contre Lysimaque, et que, depuis 298/7, il avait pris le titre de roi[85]. En ce moment régnait son successeur, son fils aîné Nicomède ; celui-ci eut l'audace de surprendre l'armée de Patroclès, lorsqu'elle vint sur son territoire, et il l'anéantit complètement. Il devait certainement s'attendre à un contrecoup terrible de la puissance séleucide ; il se hâla donc de s'assurer l'assistance des puissants Héracléotes. Il acheta leur amitié par la restitution de ce que son père leur avait arraché : Tion, à l'est de la ville sur la côte ; Ciéras, dans l'intérieur ; la côte de Thrace qui s'étend jusqu'au Bosphore. Mais Zipœtès, sans doute son frère cadet, qui ou bien avait reçu le territoire thrace comme héritage de son père ou bien s'en empara alors, résista aux Héracléotes et les combattit avec des chances diverses.

Si Antiochos avait espéré faire valoir par Patroclès ses droite jusqu'à l'autre rive de l'Hellespont, il voyait maintenant, par la défaite de ce dernier, sa puissance complètement paralysée pour l'instant dans ces régions, et la guerre qu'il avait commencée contre l'Égyptien pour la possession de la Cœlé-Syrie occupait là toutes ses forcés ; et cependant il tenait extrêmement à se maintenir dans les importantes provinces de l'Hellespont. On nous apprend qu'il fit la paix avec Céraunos ; s'il la fit effectivement, il dut, reconnaissant la double couronne de ce dernier[86], renoncer à ses prétentions sur la Thrace et la Macédoine. Il avait d'autant plus de raisons de le faire qu'Antigone était leur ennemi commun : l'attaque par mer de celui-ci contre la Macédoine avait échoué ; il n'avait pas obtenu plus de résultats sur terre, mais sa flotte semble être restée dans le voisinage de l'Hellespont. Nous apprenons de bonne source qu'une guerre avait éclaté entre Antiochos et Antigone ; que les deux rois avaient fait longtemps des armements, sans en venir aux coups ; que Nicomède avait pris parti pour Antigone, d'autres pour Antiochos. Ces autres étaient à coup sûr Zipœtès, peut-être telle ou telle ville grecque, comme, par exemple, Cyzique avec sa nombreuse flotte. Nous apprenons encore que Nicomède avait reçu différents secours, en particulier treize trirèmes d'Héraclée ; qu'il avait occupé avec ses vaisseaux une position en face de ceux du Séleucide, mais que, des deux côtés, on avait évité de livrer bataille. Peut-être la flotte syrienne tenait-elle l'Hellespont et empêchait-elle, en se maintenant là, la réunion de la flotte de la Propontide avec celle d'Antigone, qui pouvait être stationnée à Ténédos.

Ces événements doivent appartenir à l'année 279. La même année fut décisive pour les destinées de la Macédoine.

Par ses succès sur Antigone et la paix avec Antiochos, Ptolémée Céraunos avait assez rapidement consolidé sa puissance en Macédoine et en Thrace. Mais il avait encore à compter avec les prétentions des enfants de sa demi-sœur Arsinoé et de Lysimaque. Le plus âgé de ces derniers, Ptolémée, avait fait alliance avec le prince illyrien Monounios et avait envahi la Macédoine[87] ; nous ne connaissons pas l'issue de la lutte. Céraunos choisit une voie plus mystérieuse pour se débarrasser du prétendant et entrer en possession de Cassandria, où résidait Arsinoé. Il fit proposer à la reine une de ces unions qui, selon les mœurs égyptiennes, n'avaient rien de choquant. Une femme aussi experte en intrigues ne pouvait manquer de pénétrer les intentions de son frère. Elle avait tout osé pour ses fils, même le forfait le plus épouvantable ; devait-elle maintenant s'engager dans un mariage qui ôterait certainement à ses enfants leur dernier espoir de rentrer en possession du royaume paternel ? Ptolémée lui fit dire qu'il voulait gouverner en commun avec ses fils ; il n'avait pas combattu contre eux pour leur enlever leur royaume, mais pour le leur rendre ; elle n'avait qu'à envoyer un ami fidèle en présence duquel il confirmerait ses paroles par les serments les plus sacrés. La reine hésita longtemps ; pleine d'anxiété en songeant au caractère farouche et vindicatif de son frère, trop faible pour opposer une sérieuse résistance, elle se résolut enfin à accepter la proposition. Le roi, dans un temple, en présence d'un envoyé de sa sœur, jura que la demande qu'il faisait de la main de la reine était sérieuse ; qu'elle serait son épouse et reine ; qu'il ne contracterait pas d'autre mariage et n'aurait pas d'autres enfants que les siens. La reine arrive ; Ptolémée la reçoit avec une tendresse affectée ; des noces splendides sont célébrées ; dans l'assemblée générale, il la pare du diadème et fait proclamer qu'elle est la reine de Macédoine. Elle, à son tour, l'invite à venir dans sa ville de Cassandria et prend les devants pour tout préparer : les temples et les rues sont ornés de guirlandes ; partout près des temples les victimes attendent ; ses deux fils, Philippe et Lysimaque, couronnés de fleurs et revêtus d'habits de fête, courent au-devant du roi pour le recevoir. Il embrasse les enfants et les caresse ; aussitôt qu'il est arrivé à la porte du château, il fait occuper par ses satellites la cour, les abords et la muraille, et donne l'ordre de mettre les enfants à mort. Ceux-ci fuient dans l'intérieur du château auprès de leur mère et cherchent un asile sur ses genoux, mais les assassins les ont suivis et les massacrent, au milieu des baisers, des cris de douleur de leur mère, qui se jette en vain au-devant des poignards. Elle s'enfuit avec deux servantes dans l'île sainte de Samothrace, à qui elle avait fait du bien au temps de sa prospérité[88].

C'est alors que s'éleva sur le Danube la terrible tempête qui devait fondre d'abord sur les versants méridionaux de l'Hæmos, puis se décharger en coups formidables jusqu'au cœur de l'Hellade et de l'Asie-Mineure.

Des peuplades celtiques avaient pénétré depuis trois ou quatre générations jusque vers l'Orient, dans les pays de population illyrienne. Le monde grec septentrional sentit le premier effet de cette poussée lorsque les Triballes, franchissant les montagnes, pénétrèrent au sud jusqu'à Abdère ; ils avaient été chassés de leur ancien séjour sur la Morava par les Autariates, qui avaient été eux-mêmes refoulés, parait-il, par les Celtes ; ils avaient dû rebrousser chemin près d'Abdère et n'étaient pas rentrés dans leur ancien territoire, mais s'étaient établis plus à l'est, entre le Timok et le Danube, en déplaçant les Gètes. Les progrès du royaume de Macédoine depuis le commencement du règne de Philippe forcèrent aussi les peuples du Nord à se tenir de plus en plus tranquilles : lorsqu'en 335 Alexandre était arrivé jusqu'au Danube, après ses rapides victoires sur les Triballes et les Gètes, les Celtes voisins avaient aussi envoyé auprès de lui ses ambassadeurs et. conclu avec lui un traité d'amitié[89]. C'est alors que le mouvement des peuples celtiques, se tourna avec plus de violence contre l'Italie : alors viennent ces horribles expéditions de brigandage poussées par-dessus l'Apennin jusqu'à Tarente, qu'un grand historien a appelées la première étape de la destruction de la prospérité primitive de l'Italie. Au bout des dix premières années de l'époque des Diadoques, les tribus orientales des Celtes semblent être revenues à leur agitation ; poussés par elles, paraît-il, les Autariates abandonnèrent leur territoire, qui avait appartenu autrefois aux Triballes, sur la Morava, et Cassandre les établit dans les monts Orbélos[90]. Mais lorsqu'en Italie, après de longues luttes, les Senones et les Boïens eurent été défaits par les Romains dans une grande bataille en 284 et dans une seconde l'année suivante, comme la puissance de ces derniers et leurs établissements s'avançaient irrésistiblement au-delà de l'Apennin jusqu'à l'Adriatique, des masses de plus en plus compactes paraissent avoir quitté l'Italie et s'être déversées dans les régions illyriennes. Les principautés d'Illyrie et de Thrace, les Autariates, Dardaniens et Triballes au premier rang, derrière eux les Péoniens, les Agrianes et les Gètes, ne furent pas assez fortes pour arrêter l'inondation ; un afflux venu des pays parcourus et dévastés ne fit qu'augmenter la violence de cet effroyable déluge. La rapide décadence du royaume de Macédoine après le Poliorcète, les guerres de Pyrrhos, d' Antigone, de Lysimaque pour sa possession, les luttes de Lysimaque d'abord contre les Gètes, ensuite contre Séleucos, la terrible fin de ce dernier, ébranlèrent complètement le boulevard qui défendait lé monde hellénique et hellénistique contre les Barbares du Nord.

Les Celtes n'ont sans doute pas tardé à connaître cet état de choses. Leur première grande expédition de brigandage fut dirigée, non pas vers le sud, dans le royaume de Pyrrhos[91], mais vers l'est, contre la Thrace. Cambaulès entra dans la vallée de l'Hèbre ; mais là il apprit combien les Grecs étaient forts et puissants, et, comme ses bandes n'étaient pas assez nombreuses, il n'osa pas pénétrer plus loin[92].

C'est alors que commença ce temps d'épouvantable confusion, la lutte de Céraunos contre Antigone et contre Antiochos, la levée de boucliers d'Areus de Sparte, le passage de Pyrrhos en Italie ; mais ce qui dut agir davantage encore, ce sont les récits de ceux qui étaient partis avec Cambaulès : c'était merveille de voir la richesse de ces pays des Grecs, des ornements d'or dans les temples, de riches mobiliers dans les maisons privées, de belles femmes partout. Un peuple innombrable accourut pour de nouvelles incursions[93]. Divisés en trois bandes, ils partirent de leur pays en 279 : l'une, sous Céréthrios, se dirigea vers l'est, contre le pays des Triballes et des Thraces ; une seconde, sous Brennos et Acichorios[94], contre la Péonie ; une troisième enfin, sous Bolgios, contre l'Illyrie et la Macédoine.

Il eût fallu toutes les forces de la Macédoine pour leur barrer le chemin[95] Mais Ptolémée Céraunos avait envoyé une partie de ses troupes avec Pyrrhos en Italie ; avec ce qui lui restait, il était en campagne contre Monounios, auprès duquel Ptolémée, fils de Lysimaque, avait trouvé un asile. Lorsque Monounios et les Dardaniens, à l'effrayante nouvelle du départ des Celtes, envoyèrent des ambassadeurs au roi de Macédoine pour lui offrir la paix et une alliance, avec la coopération de 20.000 soldats, il repoussa leur offre : c'en serait fait de la Macédoine, si le peuple qui avait subjugué tout l'Orient avait besoin du secours des Dardaniens pour la défense de ses frontières.

Déjà le torrent des hordes celtiques, conduites par Bolgios, se répandait sur l'Illyrie, et s'approchait de la frontière occidentale de la Macédoine. Ptolémée se moqua de l'offre qu'ils firent d'épargner la Macédoine si on voulait leur payer un tribut : c'était l'effet de la terreur inspirée aux Celtes par les armes macédoniennes ; il ne leur accorderait la paix qu'à condition qu'ils livreraient leurs princes comme otages et remettraient leurs armes. Peu de jours après, les Celtes sont sur le territoire macédonien. En vain les amis du roi lui conseillent de ne pas livrer de bataille avant d'avoir concentré toutes ses troupes : avec une folle témérité, il s'avance au-devant d'un ennemi supérieur en nombre et risque la bataille. Les Macédoniens ne peuvent résister à la supériorité numérique des Barbares, à leur impétuosité ; ils reculent ; l'éléphant qui porte le roi tombe blessé ; le roi lui-même, criblé de blessures, tombe respirant encore entre les mains des Celtes, qui l'égorgent et portent, comme un trophée de victoire, sa tête au bout d'une lance[96] ; l'armée est en partie massacrée, en partie faite prisonnière ; sans plus trouver de résistance, la horde sauvage se répand dans le pays et le pille. Seules les murailles des villes, que les Barbares ne savent pas prendre d'assaut, offrent encore quelque protection : le plat pays est tout entier en leur pouvoir ; ils y exercent, selon leur horrible coutume, le pillage, l'incendie et le meurtre ; l'amour le plus effréné du butin est le seul sentiment qui les conduise.

Après la mort de Ptolémée[97], son frère Méléagre prit la couronne. Il n'était pas capable de sauver le pays : les Macédoniens le détrônèrent deux mois après, et, comme il n'y avait pas d'autre héritier du 'sang royal, ils proclamèrent roi Antipater, le neveu du roi Cassandre. Ce n'était pas non plus l'homme de la situation. Sosthène, un noble Macédonien, le força à renoncer à la couronne ; il appela aux armes tous ceux qui étaient propres au service ; il combattit avec un courage infatigable coutre les hordes dispersées pour piller ; il les repoussa de plus en plus loin et délivra le pays : lorsque l'armée le salua du nom de roi, il refusa de prendre une couronne aussi trompeuse qu'enviée et se contenta du titre de stratège des Macédoniens[98].

Dans ces temps de détresse, alors que chaque ville était réduite à elle-même, Apollodoros avait à Cassandria le gouvernement de la ville : le péril général le mit à même de s'arroger un pouvoir absolu ; accusé de tendre à la tyrannie, il s'abaissa aux plus humbles prières. Une fois acquitté, il joua le rôle de protecteur de la liberté et feignit une haine profonde pour les tyrans ; il proposa une loi pour chasser de la ville Lacharès, l'ancien tyran d'Athènes, qui, après la mort de Lysimaque, fuyant de pays en pays, était venu se réfugier là : il l'accusait d'avoir conclu avec le roi Antiochos une alliance dirigée contre la liberté de la ville. Comme un de ses partisans proposait de lui donner une garde du corps, il s'y opposa lui-même ; il institua une fête en mémoire de la reine Eurydice, qui avait proclamé la liberté de Cassandria, et il obtint que la garnison que Ptolémée Céraunos avait placée dans la citadelle sortit librement pour aller à Pallène et que des terres lui fussent assignées dans cette presqu'île. Lorsqu'il crut avoir conquis suffisamment la confiance des citoyens, il se mit à l'ouvre ; il fit, au dire des auteurs, tuer un jeune garçon, mêler son sang au vin et rôtir sa chair ; il servit dans un repas à ses amis de cette chair et de ce vin, afin d'être assuré de leur fidélité par leur participation à ce forfait mystérieux et épouvantable. C'est avec ces complices qu'il s'empara de la tyrannie et qu'il l'exerça : en fait de cruautés et d'horreurs, il dépassa tout ce qu'on avait fait avant lui. Il, prit à sa solde des Celtes, qui, par leur barbarie, étaient aptes à devenir les ministres sanguinaires de sa cruauté. Les concussions, les exécutions, les débauches les plus abominables purent s'abriter en toute sécurité sous leur protection ; la populace, gorgée et flattée par le tyran, voyait avec plaisir l'oppression et l'arrogance qu'il faisait peser sur les riches ; un Sicéliote. Calliphon, qui avait appris les procédés du despotisme à la cour des tyrans de Sicile, était son conseiller : c'était pour eux un plaisir de tuer, de mettre à la torture des femmes et des vieillards, pour leur faire découvrir la cachette où ils avaient déposé leur or et leur argent ; l'élévation de la solde attirait des Celtes de plus : en plus nombreux, qui, avec la populace assauvagie, étaient les suppôts du tyran[99]. C'est là tout au moins un exemple de ce qu'était la situation de la Macédoine un an après l'invasion des Celtes.

Les Celtes, qui en 270 étaient sortis de chez eux non pour chercher une nouvelle patrie, mais pour conquérir du butin[100], s'étaient retirés en grande partie après avoir dévasté et pillé la Macédoine ; également Brennos et Acichorios avaient quitté la Péonie : Céréthrios, dont l'expédition avait été dirigée sur la Thrace, semble avoir fait de même. On profita du repos de l'hiver pour préparer de nouvelles incursions ; Brennos était dévoré d'envie en voyant que Bolgios avait rapporté de Macédoine un butin plus riche que le sien ; il ne cessait de recommander, dans les assemblées du peuple et dans les conseils tenus avec les chefs, une expédition dans les pays grecs qui n'avaient pas encore été pillés. Il amena, dit-on, dans l'assemblée des prisonniers grecs de petite taille, misérablement vêtus, avec les cheveux coupés ras, puis il fit placer à côté d'eux des Celtes de haute taille couverts de leurs armes : il n'y avait, disait-il, qu'à marcher contre ces êtres chétifs pour les battre : immenses étaient les trésors qu'ils possédaient, les ex-votos en or dans leurs temples, les ustensiles d'argent dont ils se servaient dans leurs banquets[101]. Aussi une nouvelle expédition fut-elle résolue ; d'énormes masses armées se rassemblèrent, 152.000 hommes à pied, dit-on, et 20.400 cavaliers, dont chacun était accompagné de deux valets armés, au total, une armée de plus de 200.000 combattants, sans compter les femmes, les enfants et les vieillards[102]. C'est au printemps de 278 qu'ils se mirent en route. Une fois sur le territoire des Dardaniens, une troupe de 20.000 hommes, sous Léonnorios et Lotarios, se détacha, par mésintelligence, de la masse principale et prit la direction de l'est ; Brennos, avec le reste de l'armée, marcha vers le sud pour atteindre la Macédoine[103].

Sosthène appela les Macédoniens aux armes et se défendit contre ces redoutables ennemis ; ce n'est pas sans avoir subi des pertes considérables qu'ils continuèrent leur marche vers la Thessalie[104].

La Grèce apprit avec épouvante l'approche des Barbares ; on se hâta de faire des armements. C'est aux Thermopyles qu'on voulait marcher contre l'ennemi : il semblait que là il était possible de le repousser. Il fallait cette frayeur extrême et le danger commun pour grouper ceux qui se sentaient les premiers menacés ; les Péloponnésiens restèrent chez eux, en se disant que les Barbares n'avaient pas de vaisseaux pour passer jusque chez eux, et qu'ils défendraient aisément la route de terre derrière les murailles et les retranchements de l'Isthme[105]. Parmi les Hellènes d'au-delà de l'Isthme, les Béotiens mirent sous les armes 10.000 hoplites et 500 cavaliers ; les Phocidiens, 3.000 hoplites et 500 cavaliers ; les Locriens Opontiens, 700 hommes d'infanterie ; les Mégariens, 400 hommes et quelques cavaliers ; les Étoliens, 7.000 hommes pesamment armés, avec des troupes légères et des cavaliers en nombre considérable[106] ; ce sont eux qui fournirent le plus grand nombre de soldats ; d'Athènes vinrent 1.000 hommes d'infanterie et 500 cavaliers, et en outre, toutes les trirèmes qui pouvaient prendre la mer[107]. L'armée alliée reçut, en fait de troupes royales, 500 hommes d'Antiochos sous Télésarchos, et 500 d'Antigone sous Aristodémos. Même en tenant compte de ce que la partie de la Grèce dont les villes prirent part à cette guerre était précisément celle qui avait été le plus durement éprouvée par la peste, il faut avouer que le nombre des troupes mises en campagne était peu considérable ; dans la guerre Lamiaque, Athènes avait encore pu mettre sur pied un effectif plus que quadruple ; mais il faut dire que, du moment que les citoyens ne prenaient plus les armes et que l'État engageait des mercenaires, les caisses publiques n'étaient certainement pas en mesure de fournir davantage[108].

Lorsque cette armée hellénique, forte à peine de 30.000 hommes, fut réunie aux Thermopyles, arriva la nouvelle que les Celtes avaient pénétré dans la Phthiotide. Des troupes légères et des cavaliers furent envoyés sur le Sperchios, pour démolir les ponts et mettre le plus d'obstacles possible an passage. Brennos arriva ; voyant que le rivage opposé était occupé, il envoya à l'entrée de la nuit 10.000 hommes, pour franchir le fleuve plus bas, à l'endroit où il coule lentement à travers des marais et des prairies ; le lendemain matin, ils étaient tous de l'autre côté, et l'avant-garde hellénique se retira en toute hâte. Alors Brennos obligea les riverains du Sperchios à établir de nouveaux ponts à la place de ceux qui avaient été rompus : ils s'acquittèrent rapidement de cette besogne, non seulement par crainte dés Barbares, mais aussi dans l'espoir d'être bientôt débarrassés d'eux. Aussitôt les Celtes franchirent le fleuve et marchèrent sur Héraclée ; ils pillèrent et dévastèrent les environs, tuant les habitants dans la campagne ; des déserteurs vinrent du camp des Hellènes, rapportant que le défilé était barré et rempli de troupes de telle et telle ville. Sans perdre son temps à essayer de prendre d'assaut Héraclée, qui, quoique hostile aux Étoliens parce qu'ils l'avaient forcée à adhérer à leur Ligue, était néanmoins prête à se défendre avec acharnement, Brennos marcha en toute hâte vers le défilé. Il s'y engagea une chaude bataille ; protégés par leur position autant que par leurs lourdes armures, appuyés par les vaisseaux qui s'étaient approchés aussi près que possible du rivage et lançaient des projectiles de toute nature, les Hellènes défendirent le passage avec succès ; les Celtes furent forcés de battre en retraite.

Sept jours après, Brennos essaya de s'emparer du sentier qui d'Héraclée conduit de l'autre côté de l'Œta ; un riche temple d'Athéna, situé sur le sommet de la montagne, promettait un butin satisfaisant, mais le général d'Antiochos, Télésarchos, défendit le chemin avec le plus grand courage : il tomba, mais les Celtes durent reculer. Ces inutiles efforts les fatiguaient ; du reste, tout le pays d'alentour était épuisé. Brennos savait que les Étoliens formaient la partie la plus nombreuse de l'armée ennemie ; s'il pouvait les forcer à rentrer dans leur pays, la prise des Thermopyles était à peu près certaine. Il envoya 40.000 hommes en arrière, sous Orestorios et Comboutis, pour franchir le Sperchios et envahir l'Étolie par la Thessalie. Ils pénétrèrent jusqu'au bourg étolien de Callion, où ils commirent des atrocités inouïes : le meurtre, l'incendie, le viol, furent exercés avec une fureur sauvage ; on dit même qu'ils burent le sang des victimes ; ils se répandirent, pillant et incendiant, dans les vallée :s du pays. A cette nouvelle, les Étoliens qui se trouvaient aux Thermopyles rentrèrent au plus vite dans leur pays ;les citoyens de Patræ vinrent de l'Achaïe à leur secours ; femmes, vieillards, enfants prirent les armes ; on occupait les chemins creux par où les Celtes étaient obligés de passer ; on tombait sur eux avec une fureur toujours nouvelle : on dit que la moitié des ennemis périt pendant la retraite.

Cependant l'armée principale des Celtes était toujours devant les Thermopyles : les Héracléotes et les Ænianes, pour se débarrasser des Barbares, s'offrirent alors à leur montrer un chemin pour franchir l'Œta ; c'était le même qu'Éphialte avait montré aux Perses deux cents ans auparavant. Favorisé par le brouillard, Brennos, accompagné d'une troupe choisie, commença à escalader la montagne : la masse principale, sous Acichorios, resta en arrière sur le territoire des Ænianes. Les Phocidiens, qui occupaient le chemin, ne virent l'ennemi que quand il fut tout près d'eux. Leur résistance fut courageuse — l'Athénien Cydias tomba ici en combattant vaillamment au premier rang —, mais elle fut inutile ; les Celtes descendirent la montagne comme un torrent furieux, et les Grecs, complètement tournés dans le défilé, n'eurent d'autre ressource que de se sauver sur les trirèmes athéniennes : les troupes helléniques se dispersèrent pour aller défendre leur propre pays.

C'est alors que le torrent dévastateur des Barbares se répandit sur la Grèce : d'un côté Brennos[109], d'un autre Acichorios avec le reste de l'armée et les bagages. Les trésors du temple de Delphes excitaient leur convoitise. Les Phocidiens de toutes les villes se réunirent en grande hâte ; ils virent se ranger sous leurs drapeaux 400 Locriens d'Amphissa, 200 Étoliens, prêts à défendre le temple ; le plus grand nombre des Étoliens se mit en marche pour surprendre la multitude chargée de butin que commandait Acichorios et lui enlever dans des attaques répétées une partie des trésors ; pendant ce temps, Brennos continuait de marcher sur Delphes.

Les événements qui se passèrent là ont été ornés par les Grecs de légendes miraculeuses. Une tourmente de neige en plein été, un tremblement de terre, des orages épouvantent l'esprit des Barbares, au moment où ils s'approchent en sacrilèges du sanctuaire du dieu ; des flammes tombent du ciel pour les exterminer ; des héros sortent du sein de la terre pour les effrayer de leurs redoutables menaces ; c'est avec le concours des dieux que les Hellènes réconfortés combattent pendant toute la journée : à l'entrée de la nuit, ils se retirent à Delphes. Mais le dieu combat pendant la nuit pour son sanctuaire ; des blocs de rochers roulent du sommet du Parnasse sur les Barbares et les écrasent par centaines ; des tourbillons de neige leur fouettent le visage. Mais eux, ne reconnaissant pas la présence de la divinité, renouvellent le combat le lendemain matin ; les Grecs sortent de la ville, des gorges de la montagne, et attaquent les Barbares de flanc et par derrière ; les dieux eux-mêmes, Apollon, Artémis, Athéna, se mêlent aux combattants en poussant des cris de guerre. Une terreur panique s'empare des Barbares ; clans leur fureur aveugle, ils tournent leurs armes les uns contre les autres ; Brennos tombe frappé mortellement et toute l'armée des Celtes est anéantie ; des milliers d'hommes qui étaient venus là, il n'en reste pas un seul en vie.

Tel est le récit des Grecs, qui, s'il est poétique, n'est pas conforme à la vérité. Ce qui est vrai, c'est que les Celtes reçurent un coup terrible à Delphes ; les difficultés du terrain, le mauvais temps, la bravoure incontestable des quelque quatre mille défenseurs du lieu saint durent causer la mort d'un grand nombre d'entre eux ; maintenant que Brennos était tombé, ils se hâtèrent de suivre le conseil de leur chef mourant et de battre en retraite[110]. Mais la masse de ces Barbares n'avait pas cessé d'être redoutable ; l'année restée sur le Sperchios n'était pas anéantie ; des bandes isolées paraissent avoir longtemps encore infesté les passages et les routes de la Grèce[111]. De la bande venue à Delphes, une partie — on les appelle Tectosages — rentrèrent, dit-on, dans leur lointaine patrie[112]. D'autres, sous Comontorios et Bathanatos, chargées d'un riche butin, reprirent le chemin par lequel elles étaient venues, dans la direction des passages du nord, attaquées à chaque pas par ceux qu'elles avaient maltraités. Arrivées là, elles se séparèrent dans le pays des Dardaniens ; celles qui étaient commandées par Bathanatos allèrent en Illyrie et s'établirent à l'endroit où la Save se jette dans le Danube : les autres, sous Comontorios, anéantirent la puissance des Triballes et des Gètes et fondèrent le royaume de Tylis sur les deux versants de l'Hæmos[113].

Enfin l'essaim qui, dès le printemps, s'était détaché de la masse principale sous Lotarios et Léonnarios traversa la Thrace, en la dévastant, levant des tributs sur ceux qui demandaient la paix, écrasant ceux qui essayaient de résister, et arriva jusque dans les environs de Byzance. La riche et puissante cité essaya la lutte sans succès ; elle dut s'obliger à payer tribut : les villes amies lui envoyèrent à cet effet des cotisations ; Héraclée fournit 4.000 statères. Les hordes celtiques continuèrent leur course en mettant à contribution les riches cités du littoral de la Propontide, et ramassèrent tout le butin qu'elles purent ; elles entendirent parler d'une manière si séduisante de la richesse de la côte opposée qu'elles résolurent d'y passer ; elles prirent Lysimachia par un coup de main, dévastèrent ensuite la Chersonèse, d'où elles voyaient çà et là, comme au-delà d'un fleuve, les riches cultures du rivage asiatique[114]. Mais Byzance refusa de fournir des vaisseaux pour le passage : Antipater, le stratège de la rive opposée, ne se prêta pas davantage à les passer. Alors la plus grande partie de l'expédition, sous Léonnorios, revint sur ses pas vers Byzance ; pendant ce temps, Loutarios s'emparait des deux trirèmes et des deux yachts qu'Antipater avait fait aborder sous prétexte d'escorter son ambassadeur, et passait sa bande de l'autre côté, pour s'établir d'abord solidement à Ilion et pour commencer de là ses razzias en Asie[115].

Comme il résulte d'un renseignement fourni en passant qu'en cette année Antigone a fait la guerre à Antiochos en Asie, comme un deuxième nous apprend qu'Antigone a pu disposer de Pitana en Éolide, comme nous trouvons même des traces d'une bataille navale qui a donné une tournure favorable aux affaires d'Antigone[116], l'attitude du stratège syrien sur l'Hellespont permet de supposer que la guerre des deux rois était déjà terminée et qu'une paix avait été conclue entre eux : c'est sans doute dans les stipulations de ce traité qu'Antigone renonça à ses prétentions et à ses garnisons en Asie, qu'Antiochos le reconnut en retour comme ayant seul des droits sur la couronne de la Macédoine et qu'il lui fiança sa sœur Phila[117].

En effet, depuis le terrible mouvement des Celtes refluant de l'Hellade, la Macédoine était en proie au plus affreux désordre. Sosthène était mort ; plusieurs prétendants s'étaient levés à la fois pour s'approprier le pays ou quelques-unes de ses parties : on cite parmi eux Antipater, Ptolémée, Arrhidæos[118]. La Macédoine n'aurait pas pu se sauver par ses propres forces, encore moins la Thrace.

Après cela,. nous trouvons Antigone avec sa flotte et ses éléphants près de Lysimachia ; on ne nous dit pas comment il y est arrivé, mais il est certain-que ce fut après que Loutarios fut passé à Ilion. A Lysimachia, le roi reçoit des ambassadeurs des Celtes (de Comontarios, à ce qu'il paraît) qui lui offrent de lui vendre la paix ; il accueille les ambassadeurs avec beaucoup de magnificence, leur montre ses vaisseaux de guerre, ses éléphants de guerre. A leur retour, les ambassadeurs rapportent qu'ils ont vu des trésors dans le camp royal, et qu'ils Sont gardés avec la dernière négligence. Ce récit réveille la cupidité des Barbares, qui partent pour surprendre un si riche butin ; trouvant le camp sans enceinte, sans gardes, abandonné comme par une fuite précipitée, ils y pénètrent d'abord avez circonspection, craignant une trahison, puis le pillent sans être dérangés, après quoi, ils se tournent vers les vaisseaux et se mettent également à les piller ; puis, surpris tout à coup par les rameurs, par les troupes qui reviennent en toute hâte, paralysés par une sorte de terreur panique, ils sont massacrés[119].

La victoire de Lysimachia a ouvert à Antigone le chemin de la Macédoine ; il peut, jusqu'à nouvel ordre, abandonner la Thrace aux Barbares de Tylis.

Il entreprit de mettre fin à l'anarchie en Macédoine[120]. Il prit à sa solde une bande de Celtes sous Bidorios, celle peut-être qui, après leur retraite de Grèce, était restée en Macédoine, et qui, après la malheureuse journée de Lysimachia, aima mieux gagner de l'argent que subir une seconde défaite : une pièce d'or par homme, telle était la convention. De tous les prétendants, Antipater semble avoir seul essayé de résister. Après qu'il eut été battu, les 9.000 Celtes demandèrent la solde convenue, une pièce d'or, même pour les non-valeurs, les femmes et. les enfants ; ayant subi un refus, ils commencèrent à proférer des menaces, puis Antigone envoya après eux : les chefs crurent sans doute qu'il les craignait et qu'il se décidait à payer ; ils vinrent auprès de lui, et, une fois qu'ils furent en son pouvoir, ils se laissèrent marchander ; on s'arrangea avec eux pour trente talents, une pièce d'or par homme[121].

Suivant l'exemple d'Antigone, Nicomède invita à venir en Asie la bande de Léonnorios, qui pendant longtemps avait été un assez lourd fardeau pour le territoire de Byzance ; il la prit à sa solde ainsi que celle de Loutarios, pour en finir enfin avec Zipœtès. Le traité, que les dix-sept chefs jurèrent avec lui, portait qu'ils lui seraient fidèles à perpétuité, à lui et à ses successeurs, qu'ils n'entreraient au service de personne sans son aveu, qu'ils auraient les mêmes amis et les mêmes ennemis que lui, mais que tout particulièrement ils seraient prêts à secourir les Byzantins, les Héracléotes, les Calchédoniens, les Tianiens et les Ciéraniens. Ce sont eux qui restèrent en Asie-Mineure sous le nom de Galates et qui furent longtemps encore la terreur de leurs voisins, au près et au loin.

Lorsque la Macédoine se retrouva unie et réglée sous le gouvernement d'Antigone, les Celtes en Thrace et sur le Danube furent forcés de se tenir tranquilles. Dans l'Hellade, on célébra surtout les journées de Delphes ; après les dieux, c'étaient les Étoliens et Athènes qui avaient sauvé l'Hellade. Nous avons des restes d'une inscription athénienne qui contient la proposition de Cybernis, dont le père Cydias était tombé aux Thermopyles ; nous y lisons : Attendu que les Étoliens ont résolu de fonder des fêtes et des jeux en l'honneur de Zeus Soter et d'Apollon Pythien, en souvenir des luttes contre les Barbares qui étaient venus attaquer les Hellènes et le sanctuaire d'Apollon commun à tous les Hellènes et contre lesquels le peuple d'Athènes a aussi envoyé les soldats d'élite et les chevaliers, afin de prendre part aux combats qui ont eu pour but le salut commun, et attendu que la Ligue des Étoliens et son stratège ont envoyé dans ce but une ambassade à Athènes... Suivent quelques fragments, dans lesquels il parait être question de luttes ou concours poétiques qu'Athènes aurait ajoutés au programme. Cette merveilleuse délivrance a été célébrée également par de nombreuses offrandes et œuvres d'art[122]. Pausanias décrit, parmi les statues votives de Delphes, celles des Étoliens : statues d'Apollon, d'Artémis, d'Athéna, qui ont combattu contre les Celtes. On croit reconnaître dans l'Apollon du Belvédère une copie d'une de ces offrandes[123].

Avec la fin de l'invasion celtique, notre récit est arrivé à un point qui clôt, à un certain point de vue, l'antistrophe de l'époque d'Alexandre.

La Macédoine, après les vicissitudes inouïes de sa puissance, est ébranlée jusque dans ses fondements ; son antique énergie nationale et sa situation intérieure sont profondément altérées. En Thessalie et dans les pays en deçà des Thermopyles, la peste et l'invasion celtique ont, après les luttes sans fin des partis à l'intérieur et des chefs militaires au dehors, renversé les derniers restes de l'ordre et de la stabilité d'autrefois. D'autres éléments historiques s'avancent au premier plan ; la Ligue des Achéens est fondée ; celle des Étoliens accroît rapidement son importance : ces deux ligues et la royauté à Sparte, qui passe par une transformation radicale, sont les noms qui vont dominer désormais la vie politique de l'Hellade. On sent qu'une ère nouvelle a commencé ; les guerres qui occupent encore Pyrrhos en Italie appartiennent déjà par leur caractère à la période suivante, pendant laquelle la puissance de Rome commencera à peser sur le monde hellénique et hellénistique.

La Macédoine restaurée par Antigone aura à lutter encore une fois pour son existence, puis, sous son habile direction, elle prendra une assiette solide et la gardera durant trois générations consécutives. L'empire thrace de Lysimaque a disparu sans laisser le moindre vestige. L'empire celtique de Tylé en détient la partie continentale, tandis que les villes helléniques du littoral, depuis l'Hellespont jusqu'à l'embouchure du Danube, maintiennent leur liberté ; et, quoique ce soit souvent au prix des plus grands efforts, quoique plus souvent encore elles soient en querelle les unes avec les autres, elles sont toutes riches et puissantes par le commerce florissant qu'elles savent conserver entre leurs mains.

En Asie-Mineure, la souveraineté de Pergame commence à prendre forme ; après une grande victoire sur les Galates, elle se parera du diadème et verra grandir son importance comme puissance hellénistique, intermédiaire entre l'Orient et l'Occident. Les autres pays de l'Asie-Mineure appartiennent les uns à des princes indigènes, comme la Bithynie, la Cappadoce, le Pont, l'Arménie, les autres à l'empire des Séleucides ; des villes helléniques du littoral et des îles voisines, plusieurs tomberont, en gardant toutefois une liberté nominale, sous la suzeraineté du Lagide ; seule, Rhodes se maintient dans une sage indépendance entre les petites et les grandes puissances hellénistiques. L'Asie supérieure, depuis le Taurus jusqu'à l'Inde, est tout entière au pouvoir des Séleucides ; le temps n'est pas encore venu où les peuples du haut Iran et de la Bactriane, plus rebelles à l'esprit occidental, se sépareront violemment de la Syrie complètement hellénisée. Le royaume d'Égypte, gouverné maintenant par Ptolémée Philadelphe, est le plus solidement constitué ; bientôt il aura à éprouver sa force dans de nouveaux combats avec les Séleucides, dans la lutte pour la possession de la Cœlé-Syrie.

La question qui domine toute la politique dans l'âge des Diadoques, celle de savoir si l'on peut conserver l'empire d'Alexandre et son unité, et par quels moyens, n'existe plus ; toutes les solutions, toutes les formes possibles, tous les équivalents ont. été essayés en vain : l'impossibilité de réunir politiquement les peuples de l'Orient et de l'Occident en un empire, en une monarchie universelle, est démontrée ; la critique de ce qu'Alexandre a voulu, de ce qu'il a essayé de créer, est arrivée à son terme. Ce qui subsiste seul, Ce qui grandit et s'élargit sans cesse, comme l'onde sur les flots ébranlés, c'est le résultat des audaces créatrices de son idéalisme dédaigneux de tout ménagement, c'est ce qu'il a voulu donner comme instrument et comme soutien à son œuvre, c'est la fusion de l'esprit hellénique avec celui des peuples de l'Asie, la création d'une nouvelle civilisation commune à l'Occident et à l'Orient, l'unité du monde historique dans le cadre de la, culture hellénistique.

 

FIN DU DEUXIÈME VOLUME.

 

 

 



[1] C'est ce que dit en propres termes Arrien (VII, 4), qui appelle Apama la fille de Spitamène. Strabon (XII, p. 548, 749) en fait une fille d'Artabaze (EUSEB., Apamea Persis), mais c'est une erreur : cet Antiochos, qui mourut en 281 à 64 ans, était né l'année qui suivit la fête nuptiale de Suse, fête célébrée au printemps de 324. Le texte d'Arrien confirme le récit passablement défiguré de Malalas (VIII, p. 198 éd. Bonn.).

[2] Stratonice, fille de Démétrios et de Phila, était plus jeune que son frère Antigone (Gonatas), né en 318/7 : elle devait avoir 15 ans à peine quand elle fut mariée en 300 à Séleucos.

[3] Appien (Syr., 54) fait de l'Euphrate la limite de partage : cette assertion parait erronée. D'après Julien (Misopog., p. 348), Antiochos n'aurait épousé sa belle-mère qu'après la mort de son père. Les sources principales à consulter pour ce récit, qui ne doit pas venir de Douris, sont, outre Appien et Plutarque, l'écrit bizarre de Lucien sur la Déesse syrienne : une foule d'allusions à cette histoire se trouvent dispersées çà et là Plutarque la donne comme contemporaine de la prise de possession de la Macédoine par Démétrios. Le fils aîné issu de ce mariage, Antiochos II, né vers 292, mourut vers 247 à l'âge de 44 ans.

[4] PLUTARQUE, Démétrios, 44. Pyrrhos, 10 : la coalition lui attribue la Macédoine pour sa part de butin.

[5] Pausanias (I, II, 2) présente les choses autrement ; il dit que Démétrios battit Lysimaque à Amphipolis et qu'il lui aurait enlevé la Thrace, si Pyrrhos n'était venu à la rescousse.

[6] POLYÆN., IV, 12, 2.

[7] PLUTARQUE, Démétrios, 45. Pyrrhos, 11.

[8] PLUTARQUE, Démétrios, 44. Eusèbe (Thetal. Reg., I, p. 242 et 246 éd. Schœne) attribue à Démétrios 6 ans et 6 mois. On voit par les feuilles de chêne que le fait eut lieu après le printemps et avant la fin de l'automne ; on peut considérer l'année 288 comme tout à fait certaine.

[9] PLUTARQUE, Démétrios, 44.

[10] D'après Polyænos (IV, 12, 2), il avait pris Amphipolis par la trahison d'Andragathos.

[11] PAUSANIAS, I, 10, 2.

[12] JUSTIN., XVI, 2. D'après Diodore (XXI. Ecl. VII, 490) et Eusèbe, Antipater aurait déjà été mis à mort par Démétrios.

[13] PLUTARQUE, Démétrios, 46.

[14] PLUTARQUE, Démétrios, 46.

[15] PAUSANIAS, I, 25, 2.

[16] En ce qui concerne la date de ce soulèvement, voici ce qu'on peut démêler. Dans un décret honorifique (C. I. ATTIC., II, n° 307) daté de l'archontat de Callimède (290/89), on mentionne dans la liste de ceux pour qui on a offert des sacrifices le Conseil et le peuple des Athéniens, leurs femmes et leurs enfants (les mots qui suivaient ont été grattés). L'année suivante (ibid., n° 308), décret analogue, sous l'archontat de Thersilochos, de la... prytanie, 24me jour de la prytanie, 20 Elaphébolion : le nom de la prytanie (Antigonide ou Démétriade) a été enlevé. (On voit que cette année n'était pas embolismique, et que la prytanie en question était la neuvième). Ce décret a donc été rédigé et gravé en un temps où l'on révérait encore les noms de Démétrios et d'Antigone ; ce n'est qu'après le mois de mars de l'archontat de Thersilochos (288) qu'eut lieu le soulèvement des Athéniens. On peut admettre qu'il n'éclata que l'année suivante (archontat de Glaucippos ?), car, d'après le décret honorifique inséré dans la Vie des X Orateurs (p. 850), Démocharès est rentré à Athènes sous l'archontat de Dioclès (287/6), et le cours des événements contemporains semble bien indiquer que l'insurrection d'Athènes ne fut pas retardée jusqu'à l'archontat de Dioclès.

[17] Parmi les officiers de Démétrios, il y en eut quelques-uns qui passèrent aux Athéniens ; c'est ce que nous apprennent les décrets en l'honneur de Strombichos (C. I. ATTIC., II, n° 317) et d'un autre officier (ibid., n° 318).

[18] PAUSANIAS, I, 26 et 29, 13. Il est étonnant que Plutarque, parlant du soulèvement des Athéniens, ne fasse pas mention d'Olympiodoros. Le nom de ce personnage a comme disparu de partout ; Diogène Laërce (V, 57) ne le nomme que comme un ami de Théophraste, qui lui confia en dépôt un exemplaire de son testament.

[19] C. I. ATTIC., II, n° 311 et 312. Ces deux documents sont datés de l'archontat de Diotimos (286/5). D'après les recherches historiques faites sur le calendrier par liman (in Rhein. Museum, XXXIV [1879], p. 388 sqq.), l'archontat de Diotimos correspondrait à Ol. CXXIII, 1 ; celui d'Isæos, à l'an 2 ; celui d'Euthoos, à l'an 3 de la même olympiade. Les combinaisons exposées par USENER (Philologue, XXXIX [1880], p. 488) ne concordent ni avec le cycle intercalaire, ni avec les traditions historiques. Un décret rendu en l'honneur de Zénon sous l'archontat de Dioclès (Άθηναΐον, 1877, p. 241) tombe dans les premiers mois de l'année et ne permet pas, par conséquent, de reconnaître si la dite année a été embolismique. Il va de soi que l'opinion émise ci-dessus dans le texte n'est qu'hypothétique et n'a pas la prétention d'être autre chose.

[20] PLUTARQUE, Démétrios, 46.

[21] Il est certain que Cratès, fils d'Antigène, jouissait auprès de Démétrios d'une grande considération, comme avant lui Polémon, un Athénien aussi, qui avait été le prédécesseur de Cratès à l'Académie. Il est hors de doute que, parmi les écrits de Cratès, il y avait aussi des λόγους δημηγορικούς καί πρεσβευτικούς ; mais cela ne prouve pas que, dans le cas présent, Démétrios se soit laissé convaincre par les arguments de Cratès.

[22] PLUTARQUE, Pyrrhos, 12. L'allusion se trouve dans les Joueuses de flûte de Phœnicide (MEINEKE, Fr. Com. Græc., IV, p, 509). On peut admettre que ces διαλύσεις ont été conclues à la fin de l'été 287.

[23] Pour qu'elle pût accueillir Démétrios, il fallait qu'elle eût le droit de disposer de la ville. Sans doute Ptolémée lui avait fait donation de Milet, genre de libéralité dont on rencontre plusieurs exemples. Mais à quelle époque Milet avait-elle bien pu être au pouvoir du Lagide ? Est-ce qu'après la bataille d'Ipsos Lysimaque n'aurait pris possession du littoral que jusqu'au Latmos ? La ville fut-elle adjugée à l'Égypte plus tard, par le traité passé entre Ptolémée et Démétrios, le traité pour lequel Pyrrhos servit d'otage ?

[24] C'est de Ptolémaïs que Démétrios eut Démétrios dit le Beau (PLUTARQUE, Démétrios, 53).

[25] PLUTARQUE, Démétrios, 46.

[26] PLUTARQUE, Démétrios, 46. POLYÆN., IV, 7, 12. César indique le même moyen avec son vim fluminis equitatu refringere. Dans l'écrit de Lucien intitulé Le Navire ou les Souhaits, Samippos trace un plan d'opérations contre l'Asie qui parait imité de l'expédition de Démétrios.

[27] POLYÆN., V, 19. Frontin (III, 3, 7) cite l'archi-pirate Mandron, et fait remarquer qu'Éphèse était l'entrepôt où les pirates écoulaient leur butin.

[28] Ce doit être le personnage plusieurs fois mentionné par Strabon.

[29] PLUTARQUE, Démétrios, 49. POLYÆN, IV, 9, 2.

[30] PLUTARQUE, Démétrios, 19. POLYÆN., IV, 9, 3.

[31] PLUTARQUE, Démétrios, 49. POLYÆN., IV, 9, 5.

[32] PLUTARQUE, Démétrios, 50. Il n'est pas possible de préciser la date : les indications des chronographes ne donnent que les années en chiffres ronds, et elles sont de plus fautives en ce qui concerne l'époque de la captivité. Ainsi, ils comptent l'année de la bataille d'Ipsos (a. Abr. 1716 = 301) comme la dernière du vieil Antigone ; la suivante (a. Abr. 1717 = 300) comme la première de Démétrios : ils attribuent à celui-ci 15 années comme Asianorum Rex, et, à la date de 284 (a. Abr. 1733), S. Jérôme met en note : Demetrius Asiæ semet ipsum Seleuco traditit. Pour lui, cette année correspond à Ol. CXXIV, 1 ; pour Eusèbe, à Ol. CXXIV, 2 : par conséquent, ce n'est pas l'année olympique qu'ils ont trouvée dans leurs sources. Il parait impossible de s'arrêter à une solution définitive. CLINTON (Fast. Hell. II, 242) et C. MÜLLER (Fr. Hist. Græc., III, p. 706) placent la capture de Démétrios en janvier 286 ; elle doit à tout le moins avoir eu lieu quelques mois plus tard, attendu que les deux mois d'hivernage offerts par Séleucos mènent déjà les choses, à eux seuls, jusqu'en mars 286.

[33] Plutarque (Pyrrhos, 12) emploie, en parlant de ces villes, une expression invariable : πεισθείς ύπό Λυσιμάχου Θετταλίαν άφίστη καί ταϊς λληνικαϊς φρουραίς προσεπολέμει.

[34] C'est la conclusion à tirer de ce fait, que, comme l'atteste le décret en l'honneur d'Audoléon (C. I. ATTIC., II, n0 312), ce personnage promet aux Athéniens toute l'assistance nécessaire pour leur faire reconquérir le Pirée, aussi bien que Lysimaque (C. I. ATTIC., II, n° 314).

[35] L'expression de Plutarque (Pyrrhos, 12) : Δημητρίου καταπολεμηθέντος έν Συρία, n'est pas parfaitement exacte.

[36] PLUTARQUE, Pyrrhos, 12. PAUSANIAS, I, 10, 2. D'après Dexippos (ap. SYNCELL., p. 506 éd. Bonn.), Pyrrhos fut sept mois roi de Macédoine, et l'Eusèbe arménien (I, p. 233, éd. Schœne et App. 13) dit : mensibus autem septem Ol. CXXIII, 2 Macedoniis imperat, octavo autem successit Lysimachus. Dans le Canon, Eusèbe place ces sept mois en l'an d'Abrabam 1728 ; S. Jérôme en 1729 ; l'un et l'autre en Ol. CXXIII, 1. Par conséquent, cette année olympique, qui correspond effectivement à 288/7, doit être celle qu'ils ont trouvée dans leurs sources. On arrive à de tout autres conclusions en suivant Pausanias (I, 10, 2). Cet auteur prétend que Lysimaque et Pyrrhos restèrent amis tant que Démétrios lutta contre Séleucos. Il ne faut pas attacher trop d'importance à ce fait que l'Eusèbe arménien donne 4 ans et autant de mois à Pyrrhos dans les Thetaliorum Reges, et 3 ans 4 mois dans le tableau afférent au chapitre.

[37] PLUTARQUE, Démétrios, 51. Parmi ces villes figurent probablement en première ligne les villes grecques d'Asie-Mineure. Cf. DIODORE, XXI, 18, 3. (Exc. de virt. et vit., p. 561).

[38] Plutarque (Démétrios, 51) dit : Démétrius... manda en même temps aux officiers et aux amis qu'il avait à Athènes et à Corinthe... Cependant, Athènes était déjà délivrée à ce moment-là.

[39] DION CHRYSOSTOME, XLIV, p. 598. D'autres disent à peu près la même chose. Plutarque (Démétrios, 52) assure qu'il est mort à 54 ans. Il l'a dit plus haut (c. 3) âgé de 22 ans, lors de la bataille de Gaza (312). Si ce chiffre est exact, Démétrios serait né en 334 ou 335, et la date de sa mort tomberait en 282 ou 281.

[40] PLUTARQUE, Démétrios, 52. 53. Strabon (IX, p. 436) appelle Démétriade βασιλειον μέχρι πολλοΰ τοΐς βασιλεΰσι τών Μακεδόνων.

[41] PAUSANIAS, I, 19, 4 ; 16, 3. — MEMNON ap. PHOT., p. 225 b. 16. Il devait avoir plus de 30 ans à l'époque : je ne connais pas de renseignement plus précis sur ce point.

[42] Ptolémée Philadelphe avait alors 24 ans.

[43] Il était τών πρώτον τολμηρόν, ou, comme le dit Plutarque (De exsilio, 7, p. 602) sans employer d'expression officielle. Élien (Var. Hist., III, 17) dit : νομοθεσίας ήρξε. Diogène Lette (V, 78) signale l'intervention de Démétrios en faveur du fils aîné. On a déjà indiqué plus haut que Démétrios quitta la Macédoine à la mort de Cassandre. Polyænos (III, 15) dit de lui : Démétrios de Phalère, sachant que le roi de Thrace voulait s'emparer de sa personne, se cacha dans une voiture à foin et se rendit ainsi dans le pays voisin. Comme il n'est fait mention nulle part d'un séjour de Démétrios en Thrace, ceci peut avoir eu lieu lors de l'invasion que fit Lysimaque en Macédoine après la mort de Cassandre, en faveur du jeune Antipater ; en ce cas, Démétrios doit s'être réfugié en Épire, pays voisin de la Macédoine, et de là en Égypte. La façon dont le traita Lysimaque a été pour lui une raison de plus de ne pas opiner, dans la question de la succession au trône d'Égypte, pour Philadelphe, le frère d'Arsinoé, celle-ci femme de Lysimaque et exerçant un empire absolu sur son royal époux. A cette époque, les rapports entre les cours, même aussi éloignés et indirects que ceux-ci, doivent entrer en ligne de compte.

[44] Justin (XVI, 2) dit : contra jus gentium minimo natu ex filiis ante infirmitatem regnum tradiderat ejusque rei populo (c'est-à-dire, suivant l'usage alexandrin, les Macédoniens) rationem reddiderat, cujus non minor favor in accipiendo quam patris in tradendo regno fuerat. Inter cætera patris et filii mutuæ pietatis exempla etiam ea res juveni populi amorem conciliaverat, quod pater regna ei publice tradito privatus officium regi inter satellites fecerat.

[45] Dans le canon des Rois, le règne de Ptolémée II date du 1er Thoth de l'an 464 de Nabonassar, c'est-à-dire du 2 novembre 285. Voyez IDELER, Ueber die Reduction ägyptischer Daten, p. 8.

[46] Elle donna à Ptolémée Philadelphe deux fils, Ptolémée (Évergète) et Lysimaque, et une fille, Bérénice (SCHOL. THEOCR., XVII, 128). La sœur de Philadelphe, Arsinoé, pour l'amour de laquelle il répudia sa première épouse Arsinoé, ne vint en Égypte qu'après 279.

[47] JUSTIN, XV, 3.

[48] MEMNON, c. 6.

[49] MEMNON, c. 7, 1.

[50] Au témoignage de Carystios de Pergame, il expulsa de ses possessions les philosophes (ATHEN., XIII, p. 610). Il avait son Trésor à Pergame et à Tirizis, une forteresse dans les montagnes de Thrace (STRABON, XII, p. 319).

[51] JUSTIN, XVI, 3, 3. C'est dans cet ordre que Justin énumère les faits : victor Lysimachus pulso Pyrrho Macedoniam occuparerat, inde Thraciæ ac deinceps Heracleæ bellum intulerat. On arrive à d'autres dates en suivant les indications de Diodore sur la durée des règnes des quatre tyrans d'Héraclée, dont il place le début en Ol. CIV, 1, 364/3 (DIODORE, XV, 81, 4. XVI, 36, 3 : 88, 5. XX, 77, 1). Il leur attribue 76 ans, et, d'après le témoignage de Memnon, Héraclée avait eu 84 ans de tyrannie à la mort de Lysimaque (été 281). Le régime aurait commencé par conséquent en 365, et les 76 ans de Diodore donnent la date de 289. Néanmoins, il ne faut pas trop faire fond sur le calcul de Diodore, attendu qu'il laisse de côté Satyros, lequel, d'après Memnon (c. 2, 5), à détenu la tyrannie pendant sept ans.

[52] MEMNON, c. 6.

[53] MEMNON, c. 7, 3.

[54] D'après le témoignage exprès de Memnon, c'est bien Ptolémée Cérau.nos qui fut le meurtrier. Ses relations avec Arsinoé, bien qu'elle fût la propre sœur de Philadelphe, sont confirmées par le fait qu'il l'épousa plus tard (MEMNON, c. 14, 1). Lucien (Icaromen, 15) affirme qu'Agathoclès était en rapports avec Séleucos, et avait eu dessein de détrôner son père.

[55] Le décret honorifique inséré dans le C. I. ATTIC., II, n° 314 montre qu'Audoléon était encore au pouvoir dans le mois Boédromion de l'archontat d'Euthios, que l'on fait correspondre avec une certitude suffisante à Ol. CXXIV, 1 (284/3). Polyænos (IV, 12, 3), qui est seul à parler de l'événement rapporté ci-dessus, dit : Lysimachus conduisit Ariston, fils d'Audoléon, en Péonie, qui était le royaume de son père, comme pour faire reconnaître aux Péoniens le jeune prince royal, et lui concilier leur affection. Si tout était en ordre dans le pays des Péoniens, on n'avait pas besoin de l'intervention de Lysimaque pour introniser l'héritier légitime. Peut-être ce jeune Ariston porte-il le nom de celui qui commandait les Péoniens dans l'armée d'Alexandre ; ce pouvait être son neveu ou petit-neveu.

[56] DIODORE, XXI, 13 (passage extrait de Tzetzès). Le confident d'Audoléon s'appelle Xermodigestos, un nom intéressant au point de vue linguistique.

[57] Tel est, par exemple, le décret en l'honneur d'un personnage έμ πίστει καί φιλία ών τοΰ βασιλέως Λυσιμάχου (C. I. ATTIC., II, n° 319) ; un autre (ibid., n° 320), en l'honneur de Bithys de Lysimachia, plus quelques passages du décret en l'honneur de Philippide (ibid., n° 314). Il s'agit généralement de dons en argent, et l'on sait, du reste, que l'État athénien gérait alors ses finances avec beaucoup de prévoyance et d'économie. Dans le décret voté pour honorer la mémoire de Démocharès, on le loue.

[58] PAUSANIAS, I, 16, 2 ; I, 10, 4. Cf. PAUSANIAS, X, 19, 7. CORN. NEPOS, De regibus, 3.

[59] MEMNON., c. 8, 1. — APPIAN., Syr., 62.

[60] PAUSANIAS, I, 10, 5.

[61] POLYÆN., IV, 9, 4.

[62] C'est ainsi que les Lemniens (PHYLARCH., XLI, ap. ATHEN., VI, p. 255) passent du côté de Séleucos. Il n'est plus possible de savoir à quel moment Lysimaque avait occupé l'île (et probablement aussi Imbros), si c'est en 301, ou par suite de quelque circonstance survenue plus tard.

[63] POLYÆN., VIII, 57. C'est à cette époque qu'il faut apporter aussi, ce semble, le passage où Polyænos (VI, 12) raconte comment Alexandre, le fils de Lysimaque, se glisse avec quelques compagnons dans la ville phrygienne de Cotiæon.

[64] PORPHYRE ap. EUSEB., I, p. 23 éd. Schœne.

[65] APPIAN., Syr. 64. MEMNON, c. 8, 2. De même Plutarque, dans sa dissertation intitulée : Quels sont les plus timides des animaux terrestres ou aquatiques. D'autres disent que le roi fut enseveli par le Thessalien Thorax (APPIAN., ibid.). Justin (XVII, 1) assure que Lysimaque avait 74 ans ; Appien dit 70. Tous deux sont en dehors de la vraisemblance, car, à ce compte, Lysimaque aurait été trop jeune au début de la guerre, en 331, pour les emplois importants qu'il remplit. Hiéronyme (ap. LUCIAN., Macrob., 11) lui donne 80 ans, ce qui doit être plus exact. En ce cas, il serait né en 361.

[66] Regnavit ab Ol. CXXIII, 2 mense quinto usque ad Ol. CXXIV annum tertium, qui efficiuntur anni V et menses VI (EUSEB. ARM., I, p. 233 éd. Schœne). D'après la remarque ingénieuse de A. VON GUTSCHMID, le traducteur arménien a rendu par mense quinto le grec άπό τών ε'μηνών. Naturellement, on ne peut rien conclure de là relativement à l'époque de l'année où eut lieu la bataille. D'après le Canon d'Eusèbe, la dernière année de Lysimaque correspond à l'an d'Abraham 1733 ; d'après S. Jérôme à 1734, c'est-à-dire, de part et d'autre, à Ol. CXXIV, 2. Même le renseignement fourni par Justin, à savoir que Séleucos fut assassiné sept mois après cette bataille, ne permet pas d'en préciser davantage l'époque.

[67] PAUSANIAS, I, 10, 4.

[68] MEMNON, c. 9.

[69] MEMNON, c. 12, 1.

[70] D'après Justin (XVI), 2), Séleucos fut assassiné sept mois après la bataille de Coroupédion. Lucien (De dea Syr., 18), qui probablement embrouille les choses à dessein, prétend qu'il est mort à Séleucie. J'ai cherché à éclaircir, dans l'Appendice du troisième volume, le désordre que l'on remarque chez les chronographes au sujet du laps de temps qui va de la mort de Séleucos à l'avènement d'Antigone, de 281 à 277.

[71] MEMNON, c. 12, 3.

[72] POLYÆN, VIII, 57.

[73] On peut le conjecturer par ce que dit Memnon (c. 19, 4).

[74] Il semble bien qu'Antigone allécha les Étoliens en promettant de leur donner une partie du territoire des Achéens (POLYBE, II, 45, 1 : 43, 9. IX, 34, 6).

[75] MEMNON, c. 13, 3.

[76] DION CASS. ap. MAI, p. 169. — JUSTIN, XVII, 2, 15.

[77] POLYBE, II, 41, 11. Polybe ajoute : dans la CXXIVe olympiade, celle qui commence en juillet 284 et finit en juin 280.

[78] Sous l'archontat de Gorgias (PLUTARQUE, Vit. X. Orat., p. 847), qui correspond, d'après les recherches de DITTENBERGER, à Ol. CXXV, 1 (280/79).

[79] C. I. ATTIC., II, n° 318.

[80] C. I. ATTIC., II, n° 316. Le document est daté de l'archontat de Nicias d'Otryne, qui doit correspondre, suivant le calcul de DITTENBERGER, à Ol. CXXIV, 3 (282/1).

[81] Justin (XXIV, 1, 4), qui est seul à raconter cette expédition, parle des Étoliens ; mais il est évident qu'il veut dire les Locriens Ozoles habitant la région.

[82] Cette absurdité se trouve dans Justin (XXIV, 1, 8), qui a dû la prendre non plus dans Douris, mais dans un auteur encore moins consciencieux.

[83] JUSTIN, XXIV, 1, 8.

[84] PAUSANIAS, VII, 7, 1.

[85] Memnon (c. 10) l'appelle encore ό Βιθυνών έπάρχων ; mais l'ère qui apparaît sur les monnaies de ses successeurs ne permet pas de douter qu'il n'ait pris cette année-là le titre de roi. Du reste, son père Bas avait déjà été un dynaste indépendant, et, en 279, Nicomède est dit dans Memnon (c. 18) ό τής Βιθυνίας βασιλεύς.

[86] Pulso Antigono cum regnum totius Macetioniæ occupasset, pacem cum Antiocho facit (JUSTIN, XXIV, 1, 8).

[87] TROGUE POMP., Prol. XXIV. Ce Ptolémée doit être né en 298, pour avoir déjà pu faire la guerre en 280. Le prince illyrien est appelé Monius dans ce prologue de Trogue-Pompée, et Mytillus dans celui du livre XXV. C'est le Monounios, prince des Dardaniens, dont j'ai donné le nom véritable (Das dardanische Fürstenthum in Zeitsch. für Alterth., n° 105) d'après l'unique tétradrachme qu'on connaisse jusqu'ici de lui. Cette médaille est au type d'Alexandre, correspondant à celui de la IVe classe dans L. MÜLLER, et porte la légende ΜΟΝΟΥΝΙΟΥ [ΒΑ]ΣΙΛΕΩΣ.

[88] C'est ainsi que Justin (XXIV, 2, 3) raconte le fait. Elle s'en alla en Égypte et se maria plus tard avec son frère Ptolémée Philadelphe. C'est à elle probablement que fait allusion Plutarque dans la Consolation à Apollonios, 19.

[89] Il est impossible de savoir quels Celtes avaient envoyé à Alexandre l'ambassade qui vint (DIODORE, XVII, 113) ou qu'on dit être venue (ARRIAN, VII, 15, 4) à Babylone en 323. Ce serait dépasser les limites de ma tâche que de m'étendre, à propos de ces questions ou d'autres semblables, sur les travaux des celtologues. J'ai appelé les Autariates Illyriens, d'après Strabon et d'autres auteurs. Quant aux vers curieux du Géryon du comique Éphippos (ATHEN., VIII, p. 346), qui paraissent dater des premières années d'Alexandre, et notamment le conseil donné au Μακεδών άρχων, j'ai essayé autrefois de les expliquer (Zeitschr. für Alterth., 1836. p. 1120).

[90] Cassandre aussi a combattu contre les Celtes : c'est ce qui résulte d'un témoignage de Théophraste recueilli par Sénèque (Quæst. nat. III, 11) : fuit aliguando aquarum inops Hæmus, sed cum Gallorum gens a Cassandro obsessa in ilium se contulisset et silvas cecidisset, ingens aquarum copia apparuit. Pline (XXXI, § 30) donne le même renseignement, et il y ajoute : cum valli gratia silvas cecidisset. Ce n'est pas dans le domaine de Lysimaque que Cassandre a de guerroyer contre les Celtes. D'après Hérodote (IV, 49), le Cios (Isker), descendant du Rhodope, fait brèche dans l'Hæmos ; c'est jusqu'à cet endroit probablement (environs de Sofia) que s'étendait le territoire des. Agrianes, qui en politique étaient du côté de la Macédoine.

[91] Justin (XXIV, 4) dit : tantum Gallici nominis terror, ut etiam reges non lacessiti ultro pacem ingenti pecunia mercarentur. Ceci parait s'appliquer aux petits princes, par exemple au prince illyrien (Bardylis ?), au Dardanien Monounios, au Gète Dromichnetès.

[92] PAUSANIAS, X, 19, 5.

[93] APPIAN, III, 5.

[94] Un examen réitéré des traditions relatives aux invasions des Celtes m'a amené à cette conviction, que Justin puise à une autre source que Pausanias et Diodore et que ces deux derniers auteurs prennent pour guide Hiéronyme, tandis que le récit fabuleux de Justin pourrait remonter à Timée. Le nom de Brennos peut bien être un titre princier : mais nos sources distinguent d'un façon trop précise entre le Brennos de cette expédition et Acichorios, pour qu'on puisse considérer ces deux chefs comme étant une seule et même personne.

[95] Il y a dans Polybe (IX, 35) un mot caractéristique de l'Acarnanien Lyciscos au sujet des services rendus par les Macédoniens. Lyciscos rappelle ensuite le souvenir de Ptolémée Céraunos, et de ce qui s'est passé après sa mort dans la bataille livrée.aux Celtes.

[96] JUSTIN., XXIV, 5. MEMNON, c. 14.

[97] PORPHYR. ap. EUSEB. ARM. p. 235 éd. Schœne. Porphyre, comme son contemporain Eusèbe, compte les années à la mode julienne, de sorte qu'il place la mort de Ptolémée Céraunos en mai 279.

[98] JUSTIN., XXIV, 5. — EUSEB., I, p. 236 éd Schœne. Antipater est appelé fils de Lysimaque dans la liste des Thetaliorum Reges (EUSEB. ARM., I, p 243 éd. Schœne), ailleurs (ibid., p. 236), neveu de Cassandre et fils de Philippe.

[99] DIODORE, XXII, 5 et 6.

[100] On trouve dans Memnon (c. 14) une assertion qui surprend : il dit des envahisseurs de la Macédoine : Γαλατικού μίρους τής πατρίδος μεταναστάντος διά λιμόν.

[101] POLYÆN, VII, 35. PAUSANIAS, X, 19, 5.

[102] Ces chiffres sont ceux de Pausanias (loc. cit.). Diodore (XXII, 9, 1) parle de 150.000 porte-boucliers gaulois et de 10.000 cavaliers, sans compter les équipages, où figurent 2.000 chariots. Justin (XXIV, 6) donne 150.000 hommes de pied et 15.000 cavaliers.

[103] Ibi (dans le pays des Dardaniens) seditio orta est... secessione facta a Brenno in Thraciam iter avertunt (LIV., XXXVIII, 16). Cf. SUIDAS, s. v. Γαλάται (extrait de Polybe) ; MEMNON, c. 19, 3.

[104] D'après Justin (XXIV,5,2), Sosthène est battu par les Celtes, tandis que Diodore (XXII, 9, 1) raconte les choses comme ci-dessus. Eusèbe (I, p. 236 éd. Schœne) dit : Σωσθένης δέ Βρέννον έξελάσας. Pausanias (X, 23, 9) indique d'une façon très précise la date de l'incursion de Brennos en pays grec : il la place sous l'archontat d'Anaxicrate (Ol. CXXV, 2), c'est-à-dire en 279/8.

[105] Pausanias (VII, 6, 4) parait avoir particulièrement en vue ici les Achéens : du moins, la conduite des autres Péloponnésiens est dictée par d'autres raisons encore. A propos des Messéniens (IV, 28, 2), il dit qu'ils n'ont pu se mettre en campagne, parce que Cléonymos et les Spartiates n'avaient pas voulu faire la paix avec eux : naturellement, la Messénie n'était pas alors au pouvoir d'Antigone. Les Arcadiens non plus (surtout probablement ceux de Mégalopolis) ne sortirent pas de chez eux, par crainte de Sparte (PAUSANIAS, VIII, 6) ; par conséquent, Antigone n'était pas non plus maitre du pays. La politique spartiate servait partout les intérêts de l'Égypte, et certainement, quoi qu'en dise Callimaque (Hymn. in Del., 184), l'hypothèse que l'Égypte aurait envoyé une flotte au secours des Hellènes menacés par les Celtes est insoutenable.

[106] Il manque au nombre des hommes armés à la légère, tel que le donne Pausanias (90 hommes), un second chiffre qui exprimait les milliers, car Pausanias dit : Αΐτωλών δέ πλείστη έγένετο στρατιά, plus, par conséquent, que les 10.500 Béotiens.

[107] PAUSANIAS, X, 20, 3. Il ne parle que de trirèmes, sans dire combien il y en avait. Ce qui est plus étonnant encore, c'est que, dans une inscription dont il sera question plus loin, il n'est même pas fait mention de l'envoi des vaisseaux (C. I. ATTIC., II, n° 323).

[108] Pausanias (X, 20, 5) dit : au reste, les Athéniens, à cause de leur ancienne prééminence, tinrent le premier rang dans l'armée. Vu le petit effectif qu'envoya Athènes, la chose parait bien invraisemblable. Le stratège de la Ligue étolienne alors en fonctions, Eurydamos, le premier fonctionnaire de cette nature que nous puissions signaler avec certitude, n'est pas cité à l'armée des Thermopyles. Il est probable qu'il n'y eut pas de commandant en chef à la tête de l'armée des alliés.

[109] Justin (XXIV, 7, 2) ajoute : Ænianum et Thessalorum duces, qui se ad prædæ societatem junxerant.

[110] Ceci d'après Diodore (XXII, 9, 2), passage où il est dit aussi que Brennos conseilla : βασιλέα δέ καταστήσαι Κιχώριον. Justin ne dit mot non plus de tout cela ; il assure même que : alter ex ducibus punitis belli auctoribus cum X millibus sauciorum citato agmine Græcia excedit.

[111] C'est en ce sens que KÖHLER explique l'inscription mutilée du C. I. ATTIC., II, n° 321, d'après laquelle, lors de la fête des Anthestéries, sous l'archontat de Démodes (Ol. CXXV, 3), c'est-à-dire au printemps de 277, la Voie Sacrée et le Dipylon avaient besoin d'are bien protégés pour que la procession pût avoir lieu sans encombre. La date du coup de main tenté sur Delphes résulte d'un passage où Pausanias (X, 23, 9) dit que l'archonte était alors Anaxicrate (279/8), et d'un texte de Polybe (II, 20, 6). Par conséquent, la défaite des Celtes à Delphes tombe avant le mois de juillet 278.

[112] JUSTIN., XXXII, 5, 6. Ce sont ceux dont les trésors, déposés à Tolosa, ont tant occupé les auteurs anciens.

[113] On croit retrouver le nom de Tylé ou Tylis dans Toulowsko Polye, non loin de la belle vallée de Kassanlyk.

[114] MEMNON, c. 19. LIV., XXXVIII, 16. Pausanias (X, 23, 9) fait allusion à cette expédition de Lotarios, quand il dit que les Celtes passèrent en Asie sous l'archontat de Démodés (Ol. CXXV, 3 = 278/7), c'est-à-dire vers le printemps de 277.

[115] STRABON, XII, p. 566.

[116] Bellum, quod inter Antigonum Gonatam et Antiochum Seleuci gestum est (TROG. POMP., Prol., XXIV). Puis vient la guerre de Céraunos contre Monounios, contre les Celtes, sa mort (279) ; ensuite, repetitæ inde Gallorum origines, et la campagne de Delphes (278). Le renseignement concernant Pitana se trouve dans Diogène Laërce (IV, 39). Sur l'allusion à une bataille navale que contient ce passage, voyez ci-après (tome III, livre premier, chap. III).

[117] JUSTIN., XXV, 4. On peut tout au moins admettre, sur la foi de ce texte, qu'il y a eu une paix conclue entre les deux rois : peut-être doit-on en inférer aussi que la dite paix a précédé la paix offerte à prix d'argent par les Celtes et la grande victoire de Lysimachia, car cette victoire vient immédiatement après dans Justin.

[118] Antipater pouvait être le fils de Philippe, frère de Cassandre (EUSEB., p. 236) ; Ptolémée, le fils de Lysimaque qui s'était réfugié chez les Dardaniens. Diodore (XXI, 4), au rapport de Dexippos, citait, après la mort de Céraunos, Ptolémée, Alexandre, Pyrrhos d'Épire (!).

[119] JUSTIN., XXV, 2, 7.

[120] La victoire de Lysimachia et l'avènement d'Antigone en Macédoine doivent appartenir encore à l'année 277 (voyez l'Appendice du tome III).

[121] Naturellement, il s'agit de talents d'argent à 300 statères environ. La bande tout entière monte à 30.000 âmes.

[122] PAUSANIAS, X, 16, 4 ; 15, 2. Il faut ajouter les portes d'ivoire dont parle Properce (II, 31, 13), ces portes dont un battant représente les Niobides, l'autre dejectos Parnassi vertice Gallos, plus un bas-relief provenant de Delphes (E. CURTIUS, Anecd. Delphica, p. 97), qui représente des cavaliers helléniques combattant contre des Celtes.

[123] Il suffit de rappeler ici les recherches provoquées depuis 1880 par la statuette en bronze du comte Stroganoff, statuette publiée par STEPHANI.