HISTOIRE DE L'HELLÉNISME

TOME DEUXIÈME. — HISTOIRE DES SUCCESSEURS D'ALEXANDRE (DIADOQUES)

LIVRE QUATRIÈME. — CHAPITRE PREMIER (301-288).

 

 

Démétrios en Grèce. - Ptolémée et Lysimaque. - Séleucos et Démétrios. - Le congrès de Rossos. - Agathocle et Cassandre contre Corcyre. -Brouille entre Démétrios et Séleucos. - Intrigues de Cassandre en Grèce. - Démétrios contre Athènes. - Le tyran Lacharès. - Démétrios s'empare d'Athènes. - Démétrios contre Sparte. - Pyrrhos roi d'Épire. - Alexandre et Antipater. - Mort d'Alexandre. - Démétrios roi de Macédoine. - Démétrios contre Thèbes et Athènes. - Lysimaque contre les Gètes. - Il est fait prisonnier. - Démétrios contre la Thrace et Thèbes. - Les Pythies à Athènes. - Alliance de Démétrios avec Agathocle. - Sa campagne contre Pyrrhos. - Sa magnificence. - Invasion de Pyrrhos en Macédoine. - Son alliance avec Démétrios. - Préparatifs de Démétrios pour la guerre contre l'Asie.

Après la bataille d'Ipsos et la perte de l'empire paternel, Démétrios avait voulu se tourner avec sa flotte vers le pays qu'il avait conquis et délivré, dont il croyait avoir mérité la reconnaissance ; l'ambassade des Athéniens lui montra combien il s'était fait illusion. Il aurait été encore assez fort pour châtier la ville ingrate, mais il devait s'attendre à ce qu'elle implorât le secours de Cassandre et l'engageât ainsi dans une lutte au-dessus de ses forces ; il renonça donc à une entreprise dont le résultat probable eût été de mettre Athènes non pas entre ses mains, mais dans celles du roi de Macédoine. Il passa avec sa flotte devant le Pirée et se rendit à l'Isthme : Corinthe, Mégare, et peut-être d'autres places de l'Hellade et du Péloponnèse étaient encore occupées par ses troupes, et partout subsistaient les constitutions libérales qu'il avait établies deux ans auparavant ; peut-être trouverait-il là plus de reconnaissance qu'à Athènes. Il fut déçu dans cette espérance : chaque jour lui apportait l'avis d'une nouvelle défection ; ici ses garnisons avaient été chassées, là les troupes de Cassandre avaient fait leur entrée, ailleurs les libres constitutions étaient renversées, et on avait fondé des oligarchies ou des tyrannies dans l'intérêt de la Macédoine ; bientôt l'Hellade et le Péloponnèse lui furent à peu près complètement arrachés, et il dut se contenter de la possession de Corinthe et de Mégare. Pour ne pas rester inactif, il mit Pyrrhos, le jeune roi sans royaume, à la tête des affaires grecques et reprit la mer avec sa flotte. Il se dirigea d'abord au nord, vers la Thrace : le roi Lysimaque ne possédait pas de flotte ; il était encore en Asie-Mineure et ne pouvait protéger son pays ; rien n'empêchait Démétrios de dévaster les riches côtes de l'Hellespont et de la Propontide, et de faire un immense butin. Déjà il était en état de payer à ses troupes une solde considérable ; le nom et l'or du héros attiraient les mercenaires de près et de loin, et son armée s'augmentait tous les jours. Un événement imprévu vint alors donner à ses destinées une tournure encore plus favorable[1].

L'alliance des quatre rois contre Antigone, née de l'intérêt commun, dura à peine aussi longtemps que cet intérêt l'exigeait : déjà, avant la fin de la lutte, le Lagide s'était à peu près retiré, et les traités qui suivirent la bataille d'Ipsos montrèrent de quel œil méfiant s'observaient Séleucos et Lysimaque eux-mêmes ; l'un et l'autre croyaient devoir se tenir réciproquement sur leurs gardes. Séleucos avait un empire immense et une armée qui était peut-être plus forte, du moins plus redoutable par ses éléphants, que celle des autres rois réunis ; la Syrie et la Phénicie lui furent attribuées après coup, certainement parce qu'il les exigea : il fallait s'attendre à le voir bientôt maître également de la mer ; il avait l'Orient, qu'Antigone n'avait pas possédé ; il était aussi hardi que ce prince, avec cela plus souple, ce qui le rendait plus dangereux que ne l'avait été Antigone.

Lysimaque devait tout d'abord supposer que la première pensée de Séleucos serait de s'annexer l'Asie-Mineure, et il lui fallait se tenir prêt à toutes les éventualités : Plistarchos en Cilicie, les princes de la Cappadoce, du Pont et de l'Arménie, n'étaient pas un boulevard assuré ; seule une alliance avec Ptolémée pouvait le mettre à l'abri du danger.

Ptolémée vint au devant de lui avec les mêmes préoccupations. Lui aussi il ne pouvait plus douter que, si Séleucos faisait marcher son armée au retour vers la Phénicie, ce ne pouvait être pour lui conquérir cette région ; peut-être aussi avait-il reçu déjà de Lysimaque la nouvelle des conventions faites entre les trois rois au lendemain d'Ipsos ; il devait tenir beaucoup à se fortifier en s'associant avec un allié qui, en cas de besoin, pouvait attaquer par derrière le roi de l'Orient s'il devenait trop audacieux à l'égard de l'Égypte.

Parmi les fragments de Diodore, il s'en trouve un très remarquable qui semble se rapporter à ce temps. Après sa victoire sur Antigone, dit l'historien, Séleucos marcha sur la Phénicie et commença, conformément aux traités conclus, à s'approprier la Cœlé-Syrie. Comme Ptolémée avait déjà occupé les villes, il se plaignit que Séleucos, quoique son allié, eût accepté qu'on lui attribuât un pays déjà occupé par l'Égypte, et ne s'étonna pas moins que les rois ne lui eussent rien donné des conquêtes faites par eux, à lui qui pourtant avait pris part à la guerre contre Antigone. Séleucos répondit à ces reproches qu'il était juste que ceux-là disposassent des conquêtes qui avaient vaincu l'ennemi les armes à la main ; qu'en ce qui concernait la Cœlé-Syrie, il voulait bien, en considération de l'amitié existante, s'abstenir pour le moment d'étendre ses acquisitions et laisser à des délibérations futures le soin de décider quelle conduite il convenait de tenir contre des alliés qui voulaient s'attribuer des avantages exagérés[2].

Ptolémée n'en dut mettre que plus de hâte à conclure un accord avec Lysimaque. La preuve qu'ils réussirent à s'entendre, c'est qu'ils devinrent beaux-frères ; Lysimaque épousa Arsinoé, la fille de Ptolémée[3]. Il faisait par là un grand sacrifice à la raison d'État[4], car il aimait de tout son cœur sa Pénélope, la noble Perse Amastris ; dès que les marches multiples, les prises de possession, les détails d'organisation qui absorbèrent toute son attention après la bataille d'Ipsos le lui permirent, il l'avait fait venir à Sardes et y avait passé l'hiver avec elle. Maintenant, Amastris se sépara de lui et retourna à Héraclée, pour consacrer sa grande intelligence et son amour à l'éducation de ses fils et à l'administration de l'État[5].

Séleucos, de son côté, observa sans doute le rapprochement de ses deux puissants voisins avec une attention inquiète ; il connaissait trop bien ce Lagide calculateur, plein de sang-froid, n'abandonnant aucune de ses espérances, pour pouvoir lui laisser l'avantage qu'il prenait. Lysimaque était, aux côtés du sage Lagide, un dangereux adversaire ; il avait, si c'était possible, autant d'opiniâtreté qu'Antigone, et la dernière campagne avait montré avec quelle ténacité et quelle habileté il savait mener la guerre ; il était en possession de grandes forces ; pendant les vingt années de sa domination, il avait su rester presque toujours en dehors des grandes luttes et accumuler d'énormes ressources en argent ; la situation de son royaume lui donnait une excellente occasion de les employer à des enrôlements sur une grande échelle. L'intime alliance entre les deux rois devait pousser Séleucos à chercher également un puissant allié : son choix pouvait hésiter entre Cassandre et Démétrios ; le premier était trop éloigné, trop intimement associé avec Lysimaque par son frère Plistarchos et d'autres circonstances[6] ; s'il s'était décidé pour lui, Démétrios, l'ennemi le plus acharné de Cassandre, aurait passé infailliblement du côté de Ptolémée et de Lysimaque, qui lui auraient volontiers laissé la Grèce et les Iles pour être assurés du concours de sa flotte ; dans ces conjonctures, la puissance de Cassandre aurait été plus que neutralisée. Séleucos résolut de demander à Démétrios son amitié et la main de sa fille Stratonice[7].

Rien ne répondait davantage aux désirs de Démétrios ; il s'y attendait sans doute, car sa fille est déjà auprès de lui. Il part aussitôt avec toute sa flotte pour la Syrie, en longeant les côtes de l'Asie-Mineure, abordant tantôt sur un point, tantôt sur un autre. Il apparaît à la hauteur de la Cilicie, et est forcé d'y laisser aborder quelques vaisseaux. A peine cette nouvelle est-elle arrivée à Tarse que Plistarchos croit à une trahison ourdie par Séleucos ; il se trouve trop faible pour la résistance, abandonne sa principauté et se réfugie auprès de son frère, pour se plaindre que Séleucos, allié avec l'ennemi commun, l'ait trahi en faveur de celui-ci. Dès que Démétrios apprend cette fuite, il aborde aussitôt avec toutes ses forces près de Cyinda, s'empare de ce qui reste là du Trésor, emporte les 1.200 talents sur ses navires, et, tout en laissant le pays occupé, gagne à force de voiles Rossos, à la pointe méridionale du golfe d'Issos. Séleucos l'y attend déjà ; Phila, elle aussi, y est venue de Cypre avec sa fille. Les deux rois se font un accueil loyal, sans méfiance, avec des sentiments vraiment royaux ; Séleucos reçoit d'abord ses nobles hôtes dans son camp, puis Démétrios lui fait accueil sur son magnifique vaisseau à treize rangs de rames ; le temps se passe en fêtes et en négociations ; les rois viennent l'un chez l'autre sans escorte, sans armes, le cœur ouvert et plein de confiance : enfin la belle fiancée est conduite dans le camp de Séleucos, et fait à ses côtés son entrée solennelle dans la nouvelle capitale d'Antioche. Quant à Démétrios, il revint avec sa flotte en Cilicie.

Les deux rois durent s'entendre à ce congrès de Rossos sur de nombreuses et importantes questions. Si Démétrios occupa la Cilicie, ce ne put être qu'avec l'assentiment formel de Séleucos : il devait lui être agréable de voir cesser le voisinage gênant de Plistarchos ; il pensait sans doute que Démétrios scellerait volontiers leur nouvelle amitié par l'abandon de ce pays si important pour la Syrie, surtout si d'autres avantages devaient lui être accordés en retour.

Les événements du temps qui suivit immédiatement, cinq grandes années, sont extrêmement obscurs ; nous ne connaissons que quelques faits isolés, d'après différents fragments de Diodore et quelques inscriptions attiques qui nous donnent des indications pleines de lacunes ; la biographie de Démétrios dans Plutarque, où l'on pourrait espérer trouver les grandes lignes de l'ensemble, est pour ces années plus superficielle encore que dans ses autres parties. Le récit suivi dans lequel nous allons encadrer ces indications isolées est, en ce qui concerne la chronologie, absolument hypothétique.

Nous trouvons d'abord ce renseignement, que Démétrios, après les entrevues de Rossos, envoya son épouse Phila en Macédoine pour le justifier des accusations portées par Plistarchos auprès de son frère Cassandre[8]. Une justification était superflue, si Phila ne devait apporter que cela ; il est permis de supposer que sa mission allait plus loin, et qu'elle devait essayer de préparer avec Cassandre un accommodement que Démétrios pouvait désirer afin de ne pas être réduit uniquement à l'amitié de Séleucos, accommodement auquel Séleucos avait peut-être donné son assentiment pour s'assurer, contre l'alliance des souverains de l'Hellespont et du Nil, un allié qui pouvait menacer par derrière la puissance thraco-asiatique. Pour que cet accommodement réussit, Démétrios devait faire des offres qui eussent quelque importance pour Cassandre ; il devait être prêt à sacrifier à Cassandre les pays grecs, qui autrement l'eussent assuré sur ses derrières ; il le pouvait, si, tirant parti des débris de la domination paternelle à Cypre et des villes phéniciennes qu'il possédait encore, il réussissait à sauver le pays qui s'étend derrière la côte phénicienne, la Cœlé-Syrie. La liberté des Hellènes peut avoir été la formule convenue à Rossos ; on laisserait à Cassandre l'odieux des actes de violence qui devaient donner à ce mot de liberté la signification qu'il avait dans l'esprit des contractants[9] Pyrrhos tenait encore l'isthme en qualité de stratège de Démétrios ; de ce que Démétrios fit venir en Cilicie son épouse Déidamia, sœur de ce dernier[10], on peut conclure qu'il comptait abandonner l'Hellade pour arriver à faire la paix avec Cassandre.

Fut-elle conclue, cette paix par laquelle la Grèce ou une partie de la Grèce était abandonnée au Macédonien ?

Les années qui suivent montrent qu'après la grande solution d'Ipsos, après la destruction de la puissance qui, sous le masque de la liberté, avait tenu la Grèce dans une dépendance plus humiliante que n'avaient fait Antipater et Cassandre eux-mêmes, elles montrent, dis-je, qu'à Athènes on crut enfin ouverte l'ère de la véritable liberté. A la place de Stratoclès et des autres partisans serviles de Démétrios, des patriotes éprouvés, Olympiodoros, Philippide le poète, Démocharès, qui revint sans doute en ce moment, prirent la direction des affaires. Athènes avait payé assez cher sa fidélité envers le libérateur ; un grand nombre de citoyens de l'Attique étaient parmi ceux qui succombèrent ou furent pris à Ipsos ; la ville ne semblait encourir aucun reproche, si, après la bataille, elle séparait sa cause de la cause de celui dont la défaite la jetait dans des dangers sans fin, encore moins si elle pensait à maintenir son indépendance, même contre ceux qui l'avaient abattu.

On rapporte que les Phocidiens d'Élatée consacrèrent à Apollon un lion d'airain, en souvenir du secours qu'Olympiodoros leur amena d'Athènes lorsque Cassandre assiégeait leur ville et grâce auquel les assiégeants furent obligés de se retirer[11]. Au même ordre de faits semble se rapporter un autre témoignage qui nous apprend qu'Olympiadoros, au moment de l'invasion de Cassandre en Attique, courut en Italie pour demander du secours, et que cette alliance fut la principale raison pour laquelle Athènes échappa à la guerre avec Cassandre[12].

Ainsi Cassandre — certainement après la grande solution intervenue en Phrygie, peut-être au printemps de l'année 300 —, avait franchi les Thermopyles et pénétré en Grèce. L'alliance d'Athènes avec les Étoliens le força à renoncer à l'attaque de l'Attique, et les secours athéniens lui firent abandonner le siège d'Élatée ; du moins, les renseignements de source athénienne l'affirment. On ne nous dit pas si Pyrrhos, le stratège de Démétrios, resta à l'isthme tranquille spectateur de ce qui se passait, ou s'il fit quelque chose. Une notice un peu postérieure nous montre le roi Cassandre occupé à des entreprises dans une tout autre direction. Depuis que Pyrrhos avait été chassé par les Molosses et que Néoptolémos était devenu leur roi (304), il avait en Épire une influence prépondérante[13] ; il se jeta sur l'île voisine, Corcyre, que Démétrios avait arrachée en 303 à l'aventurier spartiate Cléonymos et qu'il avait, selon toute apparence, proclamée libre. Comme Démétrios était trop loin et l'avait peut-être abandonnée, elle aura demandé des secours en Sicile au puissant roi Agathocle[14] ; hardi et ambitieux comme il l'était, celui-ci saisit sans doute avec empressement l'occasion de se mêler des affaires grecques. Déjà Cassandre avait passé son infanterie sur de nombreux navires et tenait la ville si étroitement investie par terre et par mer, qu'elle semblait devoir se rendre à bref délai. Alors arriva Agathocle, qui se jeta aussitôt avec son escadre sur la flotte macédonienne : un combat extrêmement vif s'engagea ; il s'agissait pour les Macédoniens de sauver leurs navires, sans lesquels Cassandre aurait été perdu avec son armée ; les Syracusains combattaient pour la gloire de vaincre, sous les yeux de l'Hellade, les Macédoniens vainqueurs de l'univers. Enfin les Syracusains remportèrent la victoire, et tous les vaisseaux macédoniens furent livrés aux flammes. Si, à ce moment, Agathocle avait fait débarquer ses troupes et les avait fait marcher tout de suite contre les Macédoniens, il les aurait trouvés dans le plus grand désordre et les aurait vaincus au premier choc ; il se contenta de faire descendre ses troupes sur le rivage et d'élever des trophées de victoire[15]. Il est probable qu'il y eut des négociations et que l'on accorda la retraite libre aux Macédoniens, à condition que Corcyre resterait désormais sous la domination d'Agathocle[16]. Ce dernier fut rappelé lui-même par les affaires de son pays.

Notre récit doit sauter d'un point à un autre pour trouver peut-être encore quelques traces d'une histoire suivie. Nous établissons en note la possibilité d'un rapport entre le Lagide et l'expédition d'Agathocle à Corcyre, car nous n'avons là-dessus aucun renseignement certain[17]. Une autre notice, qui se rapporte à quelques années après, dit que Démétrios détruisit la ville de Samarie[18]. Ptolémée avait certainement gardé aussi longtemps que possible Samarie, dont Alexandre avait déjà fait un poste militaire important et qui avait été occupée par des vétérans macédoniens ; si Démétrios a conquis cette ville, il est probable qu'il avait pris aussi Gaza, et possédait par conséquent toute la Cœlé-Syrie avec la Phénicie. Il avait enlevé ces territoires à Ptolémée et non à Séleucos, qui avait déclaré à l'Égyptien qu'il réservait à un autre moment la solution de la question de Cœlé-Syrie. Séleucos aura été enchanté de voir Démétrios la reprendre et la trancher ; de cette manière, le Lagide avait dans son voisinage un adversaire qui le forçait à renoncer à demander satisfaction pour les traités conclus après Ipsos, et, d'un autre côté, les forces du Lagide étaient suffisantes pour tenir Démétrios en haleine et fidèle à l'alliance de son voisin de Syrie. La situation de Séleucos gagnait en force et en influence prépondérante à mesure que les deux adversaires se contrebalançaient et se paralysaient réciproquement par une rivalité croissante. Mais le Lagide devait être doublement affligé en constatant combien sa situation était mauvaise s'il ne possédait ni Cypre ni les villes phéniciennes ; même le florissant commerce d'Alexandrie, duquel dépendait la prospérité du pays du Nil, devait souffrir beaucoup si l'audacieux Démétrios, le tyran des mers, lui était hostile.

On nous apprend que, par l'entremise de Séleucos, les deux rois conclurent un traité de paix et d'amitié, et que, pour le sceller, Ptolémaïs, fille de Ptolémée, fut fiancée à Démétrios[19]. On nous dit encore que Pyrrhos, qui tenait les places fortes de l'Hellade à lui confiées par Démétrios, s'embarqua comme otage pour l'Égypte[20]. Il faut donc que, dans le traité, il y ait eu des conditions pour lesquelles Démétrios donna des otages à l'Égyptien ; si c'est lui et non Ptolémée qui les fournit, nous pouvons en conclure, semble-t-il, que Démétrios avait en main quelque gage qu'il s'obligeait à abandonner dans certaines conjonctures ou dans un certain délai. On pourrait penser à la Cœlé-Syrie, à la Phénicie, à Cypre ; en tout cas, pour le moment, Démétrios était et restait en possession de ces importants territoires.

La situation de Démétrios ne pouvait pas être devenue précisément plus forte à la suite de cette paix qui ouvrait la possibilité d'un changement dans ses possessions territoriales sur ces rivages. Nos renseignements nous permettent seulement de constater que Séleucos sut aussitôt peser sur ce point faible, et qu'il commença à relâcher ses rapports avec Démétrios. Il lui demanda de lui céder la Cilicie contre une somme d'argent proportionnée ; Démétrios s'y refusa, et on le comprend : en effet, la possession des côtes depuis les promontoires ciliciens jusqu'à Gaza, et celle de Cypre, cette sorte d'acropole maritime derrière elles, était aussi favorable que possible à sa domination sur mer. Séleucos lui fit une seconde proposition, celle de lui vendre au moins Tyr et Sidon : il lui avait rendu de si grands services qu'il pouvait bien attendre de lui ce témoignage d'amitié ; sans lui et l'alliance de famille procurée par lui, il aurait été perdu après la défaite d'Ipsos ; s'il n'y consentait pas, il retirerait de lui sa main protectrice. Démétrios était encore moins disposé à céder sur ce point : perdre mille batailles comme celle d'Ipsos, il ne voulait pas payer du moindre sacrifice son alliance avec Séleucos ; ce qu'il possédait, il le garderait ; céder une possession lui paraissait plus humiliant que de la perdre. Il renforça les garnisons des villes. Si nous pouvons admettre comme probante l'affirmation de Plutarque, on regardait généralement les exigences de Séleucos comme extrêmement injustes et violentes : Séleucos possédait déjà assez de territoires, et voilà qu'il s'apprêtait, lui qui régnait de la mer de Syrie jusqu'à l'Indus, à persécuter pour la possession de deux villes ce Démétrios, son parent par alliance, déjà si cruellement frappé par le destin[21]. Démétrios s'était-il obligé peut-être, dans sa paix avec le Lagide, par des articles tenus secrets pour Séleucos, à ne se démettre de ses possessions sur ces rivages, dans le cas où il y renoncerait, qu'en faveur de l'Égypte ? Sa pensée était-elle peut-être de ne rien céder sur ce point, bien plus, de profiter de la possession de ces territoires, les mieux pourvus qu'il y eût en forces maritimes, pour conquérir par mer les autres côtes de l'Asie-Mineure, les fies, la Grèce elle-même, ou tout au moins le Péloponnèse, dans le cas où il aurait existé avec Cassandre une entente qui aurait cédé à ce dernier les pays helléniques au nord de l'isthme ?

Mais Cassandre avait battu en retraite devant Élatée ; l'alliance des Étoliens et des Athéniens, l'expédition d'Olympiodoros à Élatée, avaient suffi pour le faire renoncer à l'entreprise que nous supposons avoir été faite d'accord avec Démétrios ; son coup de main sur Corcyre nous le montre occupé de projets qui ne visaient à rien moins qu'à la fondation d'une souveraineté maritime sur les mers qui sont à l'ouest de la Grèce. Le plus grave, c'est que sa retraite hors de la Grèce permit aux Athéniens de s'élever de nouveau au rang de puissance indépendante ; ils avaient déjà l'alliance des Étoliens, la reconnaissance d'Élatée ; les Béotiens étaient certainement prêts à se joindre à eux, plus prêtes encore les villes de l'Eubée, parmi lesquelles Carystos n'avait pas cessé de leur être fidèle : à Athènes, il y avait désormais au pouvoir des hommes que Démétrios savait être des patriotes résolus et ses adversaires les plus déclarés.

Il a sans doute pensé qu'il fallait intervenir là, afin de ne pas laisser, par une plus longue hésitation, grandir davantage le mouvement hellénique qui venait de commencer. Peut-être cette considération l'avait-elle déjà décidé à s'entendre avec l'Égypte. Il commença contre Athènes une guerre qu'un décret du peuple attique désigne sous le nom de la guerre de quatre ans[22].

Le peu qu'il est possible de savoir de cette guerre, il faut le chercher dans des renseignements insuffisants et fortuits ; la date elle-même n'en peut être fixée qu'à peu près, et par des voies indirectes.

Les Athéniens devaient s'attendre à la guerre depuis qu'ils avaient forcé Cassandre à la retraite. Il existe une inscription athénienne du mois d'août 299, dans laquelle, sur la proposition de Philippide, une couronne d'or est décernée à Posidippos, pour s'être adjoint à une ambassade envoyée au roi Cassandre et s'être rendu, d'après le témoignage des ambassadeurs, très utile à l'objet de leur mission[23]. Comme, dans un autre décret en l'honneur de Philippide, on le loue d'avoir décidé le roi Lysimaque non seulement à rendre la liberté à plus de 300 des Athéniens pris à Ipsos, mais encore à faire (en 399/8) un don de 10.000 médimnes de froment à la ville d'Athènes[24] ; comme Démocharès, dans un décret honorifique que son fils proposa en sa faveur plusieurs années après, est loué d'avoir provoqué une ambassade à Ptolémée et d'être allé lui-même auprès de Lysimaque, ce qui procura à la ville de la part du premier un don de 50 talents et de la part du second un autre don de 30 talents[25], nous voyons clairement comment Athènes se préparait à la guerre qui la menaçait, et comment elle trouva du secours auprès des rivaux de Démétrios. Enfin, ce qui est plus important encore, le traité avec Cassandre avait réconcilié les deux partis athéniens hostiles à Démétrios, les patriotes et les macédonistes : contre Démétrios, Démocharès et Lacharès se donnaient la main, et Stratoclès gardait le silence.

Ce fut probablement dans le courant de l'année 298[26] que Démétrios, après avoir renforcé pour plus de sûreté les garnisons de ses villes phéniciennes, syriennes et siliciennes, mit à la voile pour commencer sa campagne contre Athènes. Il partait avec une flotte puissante ; ses garnisons de Mégare et de Corinthe lui offraient de solides points d'appui, et il pouvait espérer en finir vite avec la puissance athénienne. Près de la côte d'Attique, il fut surpris par une tempête- dans laquelle il perdit la plus grande partie de sa flotte et beaucoup de ses troupes ; il parvint à se sauver lui-même. Avec ce qui lui restait de ses forces, il commença à attaquer le littoral de l'Attique, mais sans résultat. Il envoya à Cypre pour faire venir de nouveaux navires. Quant à lui, il se dirigea vers le Péloponnèse pour assiéger Messène : on combattit avec acharnement ; une flèche de catapulte lui perça la joue et le mit à deux doigts de la mort ; sa convalescence fut longue. Enfin Messène et quelques autres villes qui avaient fait défection comme elle furent reprises. De là il retourna vers l'Attique.

Nous avons su comment Athènes s'était préparé à cette difficile lutte contre Démétrios, comment les partis démocratique et macédonien marchaient en se donnant la main, comment notamment Démocharès agissait pour trouver un appui en Égypte et à Lysimachia, pendant que Lacharès voulait négocier une alliance avec la Macédoine. Seule la Macédoine paraissait capable d'apporter, dans un danger si pressant, les rapides secours qui étaient nécessaires, au lieu que la flotte que promettait Ptolémée, outre des secours en argent, ne pouvait apparaître qu'après un long délai, et que les 100 talents que Lysimaque voulait ajouter aux 30 déjà donnés ne pouvaient sauver Athènes dans le cas où son ennemi acharné viendrait à frapper un grand coup[27].

Le premier renseignement certain que nous trouvons concerne la mort de Cassandre. Il mourut en 297 d'une maladie de consomption. Il n'avait pas cessé d'être hostile à la liberté d'Athènes, et sa liaison avec Lacharès ne devait lui servir qu'à remettre la ville sous le joug de la Macédoine, dans les conditions qu'elle avait déjà subies. Il eut pour successeur le fils qu'il avait eu de Thessalonice, Philippe, prince maladif, qui pouvait avoir dix-huit ans[28]. Philippe maintint les. relations que son père avait nouées avec Athènes, et, dans les circonstances critiques où l'on était, Démocharès lui-même ne pouvait dédaigner une assistance qui ne venait plus d'un despote redouté ; il faisait partie de l'ambassade que les Athéniens envoyèrent au roi. On raconte que le jeune roi la reçut avec bienveillance et demanda aux députés ce qu'il pouvait faire pour être agréable aux Athéniens, à quoi Démocharès aurait répondu : qu'il se fit pendre. Le jeune Philippe aurait alors apaisé les assistants, qui témoignaient hautement leur mécontentement, en leur disant de laisser aller impuni ce Thersite. Quant aux autres ambassadeurs, il leur aurait recommandé de dire à leur retour aux Athéniens qu'il y avait plus d'orgueil à parler ainsi qu'à écouter une telle injure sans se fâcher[29]. Philippe parait néanmoins avoir fait un mouvement en faveur des Athéniens, non pour leur complaire, mais parce que les succès de Démétrios étaient un grand danger pour la Macédoine. Il marcha sur Élatée, où il pouvait espérer trouver, maintenant qu'il apparaissait comme le défenseur des Grecs contre Démétrios, un meilleur accueil que son père trois ans auparavant. Mais la phthisie l'emporta après un règne de quatre mois[30]. La royauté passa à son frère Antipater.

Cependant le roi Démétrios, avec une flotte renforcée, avait paru dans les eaux attiques : il réussit à prendre Égine ; Salamine elle-même, qui depuis 318 était séparée d'Athènes, tomba en son pouvoir. Démocharès fut envoyé de nouveau au dehors ; il conclut avec les Béotiens un traité de paix et d'alliance, et les entraîna à la lutte contre Démétrios[31]. Il se rendit auprès du roi Antipater et reçut de lui 20 talents qu'il apporta au démos à Éleusis[32].

C'est peut-être au moment où il était absent et où le peuple d'Athènes, jeunes et vieux, était dans la campagne d'Éleusis, que Lacharès commença à exécuter son plan criminel. Nous sommes à peu près sans renseignements sur les détails ; nous savons seulement qu'il chassa Démocharès de la ville[33], et qu'il fit voter une loi qui punissait de mort quiconque parlerait de faire la paix ou un compromis avec Démétrios[34]. Pouvait-on par hasard s'attendre à pareille chose de la part de Démocharès et de son parti ? En tout cas, Lacharès avait de son côté la masse de la population, qui devait depuis longtemps trouver les fatigues de la lutte trop pénibles et. désirer être sauvée à tout prix par la Macédoine ; le temps du tyran Démétrios de Phalère était resté dans la mémoire de la populace comme un bon souvenir. Lacharès mit fin à la démocratie existante, avant que le roi Démétrios ne vint la restaurer à sa façon ; il agissait dans l'intérêt des puissances qui avaient à craindre les progrès de Démétrios ; il était à la solde de la Macédoine et de la Thrace, dont les intérêts communs n'avaient fait que s'unir d'une manière plus étroite par le mariage du jeune roi Antipater avec Eurydice, la fille de Lysimaque[35].

Lacharès est rangé par les écrivains de l'antiquité parmi les plus odieux tyrans : ils l'accusent d'avoir été, plus que tous les autres, cruel envers les hommes, impie envers les dieux[36] ; ils le comparent à Denys de Syracuse et le montrent, comme celui-ci, exerçant le pouvoir en forcené, appréhendant constamment la trahison et l'assassinat[37] Son régime augmenta les souffrances de la ville pressée par l'ennemi, au point qu'il y eut contre lui des conspirations et des émeutes, qui, du reste, n'eurent pas de succès. Cependant Démétrios avait pris pied solidement sur le territoire de l'Attique ; il s'était emparé d'Éleusis au sud et de Rhamnonte sur la côte orientale ; de là il dévastait le territoire de la ville[38]. Comptant sur l'opinion hostile au tyran, il envoya de Salamine au Pirée des hommes de confiance, pour inviter les habitants à tenir prêtes des armes pour mille hommes, et leur dire qu'il allait venir afin de combattre pour eux ; telle était la haine qu'inspirait Lacharès, que ceux du Pirée acceptèrent cette proposition et que Démétrios devint maître du port[39]. Il commença alors le blocus effectif de la ville ; un navire qui apportait du blé à Athènes fut saisi, et l'on pendit le propriétaire et le pilote. Cette sévérité détourna tous les capitaines de navires de tenter d'aborder à Athènes, aussi les provisions commençaient-elles à s'épuiser ; une mesure de sel coûtait 40 drachmes ; pour un talent, on avait à peine vingt boisseaux de blé ; la détresse était à son comble ; on mangeait de l'herbe, des racines, des insectes ; on raconte qu'un père fut presque assommé par son fils pour la possession d'un rat mort[40]. Lacharès lui-même enleva dans ce temps la parure d'or de la Pallas de Phidias et les boucliers d'or de l'architrave du Parthénon[41], et néanmoins il était forcé de se contenter pour sa propre table de misérables baies sauvages[42]. Enfin les Athéniens virent de l'Acropole apparaître près d'Égine une flotte de 150 voiles que Ptolémée envoyait à leur secours. Mais déjà Démétrios avait reçu des renforts de Cypre et de Péloponnèse ; aussitôt que ses 300 vaisseaux se montrèrent sur la mer, la flotte égyptienne, le dernier espoir des Athéniens, s'éloigna[43].

Lacharès désespéra de pouvoir tenir plus longtemps et résolut de chercher son salut dans la fuite : habillé en paysan, le visage couvert de suie et portant sur le dos une charge de fumier, il se glissa par une des portes de l'enceinte de la ville, se jeta ensuite sur un cheval et partit au galop, les poches pleines de dariques. Des cavaliers de la cavalerie légère de Démétrios furent bientôt à ses trousses : le fugitif jeta quelques pièces d'or, et les cavaliers descendirent de cheval pour les ramasser ; grâce à ce jeu, qu'il renouvela plusieurs fois, Lacharès réussit à passer la frontière de Béotie[44].

Aussitôt que le tyran fut parti, les Athéniens, en proie à une misère indescriptible, se hâtèrent d'envoyer à Démétrios des ambassadeurs pour se rendre à discrétion, bien qu'ils n'eussent sans doute que peu à espérer de lui. Démétrios fit son entrée dans la ville, et ordonna au peuple de se rassembler au théâtre ; il fit entourer la scène de ses troupes, puis il monta lui-même sur le logeion et commença à parler : sans colère et sans menaces, avec douceur et indulgence, il leur exposa ce qu'il avait fait pour eux et ce qu'ils avaient fait pour lui ; mais tel était son amour pour Athènes qu'il leur pardonnait encore aujourd'hui ; il n'était venu que pour délivrer la ville de la tyrannie et croyait qu'il était plus digne de lui de pardonner que de punir ; il rétablissait à l'avenir les autorités qui étaient les plus chères au peuple[45] ; pour mettre fin à la famine, il faisait don aux Athéniens de 100.000 boisseaux de blé. A ce propos, dit-on, il lui échappa une expression incorrecte, qui provoqua une rectification de la part des citoyens assis sur les gradins ; on assure que Démétrios remercia en riant et promit pour cette leçon 5.000 boisseaux de plus[46]. Cette scène, très inattendue, il faut en convenir, mit le peuple hors de lui ; les Athéniens criaient et applaudissaient avec une fureur digne des bacchantes ; ils se jetaient dans les bras les uns des autres en pleurant de joie ; dans toutes les rues et sur les places se répétaient ces cris et ces louanges ; à la tribune, on combla à l'envi Démétrios d'éloges et d'honneurs, mais Démoclide surpassa tous les orateurs en proposant de conjurer Démétrios d'accepter Munychie et le Pirée comme un don du peuple athénien[47]. Démétrios accepta et garda les deux ports.

Nous avons mentionné plus haut un renseignement d'après lequel Samarie aurait été détruite par Démétrios ; cet événement est placé par les chronographes anciens dans l'année 297 ou 296. Nous ne pouvons plus savoir comment la guerre s'était allumée dans cette. région ; il est possible que l'Égyptien, voyant Démétrios complètement absorbé dans la guerre de quatre ans, ait fait les premières tentatives pour tirer à lui la Cœlé-Syrie, et que Démétrios ait donné l'ordre de détruire plutôt Samarie que de la laisser tomber dans les mains de l'Égyptien. II n'est pas douteux que Séleucos n'ait été bien vite sur les lieux pour s'approprier ce que Démétrios abandonnait[48]. La prise d'Athènes était un événement grave pour ces rois, non moins que pour la Macédoine et la Thrace ; Démétrios avait préféré abandonner la Cœlé-Syrie plutôt que de renoncer à la conquête ou à la délivrance d'Athènes. Si donc on ne voulait pas le laisser devenir trop puissant, il fallait se hâter de lui barrer le chemin en Grèce.

Ptolémée n'avait pas pu, avec sa flotte, faire lever le siège d'Athènes, mais il avait encore en main une arme avec laquelle il pouvait faire une blessure plus profonde à son audacieux adversaire. A sa cour vivait toujours Pyrrhos d'Épire ; les manières habiles et chevaleresques du prince lui avaient conquis la faveur des dames de la famille royale, et Bérénice, qui parmi toutes avait le plus d'influence sur Ptolémée, était tout-à-fait engouée de lui ; ce fut certainement grâce à elle que Ptolémée lui donna pour épouse Antigone, fille de cette princesse et sœur du prince Magas de Cyrène. A partir de ce moment, elle travailla à lui procurer les moyens et l'occasion de rentrer dans ses États héréditaires. Néoptolémos y était devenu odieux à cause de la dureté de son gouvernement ; les désordres en Grèce, les rapides changements de souverain en Macédoine, lui ouvraient les plus belles perspectives, et l'âme de ce prince, audacieux et habile guerrier, était affamée d'exploits et de gloire. Ptolémée, de son côté, devait se hâter de fonder en Europe une puissance capable de s'opposer à celle de Démétrios : la Macédoine était entre les mains d'un enfant ; Lysimaque était trop préoccupé de son intérêt et de celui de „son gendre, intérêt qui ne s'accordait pas partout avec celui du royaume égyptien et auquel Ptolémée ne pouvait opposer qu'une influence acquise par les fiançailles de sa fille Lysandra avec le jeune prince macédonien Alexandre, frère cadet de Philippe. Sans doute, Pyrrhos avait été envoyé à Alexandrie comme otage ; niais ou bien il s'était produit, au cours des événements, un différend que l'on pouvait regarder comme une violation du traité de la part de Démétrios, ou peut-être Démétrios considéra-t-il lui-même comme telle l'envoi de la flotte égyptienne en Attique. Quoi qu'il en soit, Pyrrhos se rendit en Épire, soutenu par l'argent et les troupes de Ptolémée ; de peur que le roi Néoptolémos ne s'adressât à quelque puissance étrangère pour demander des secours, il conclut avec lui un traité, d'après lequel ils devaient gouverner en commun[49]. Pour le moment, il ne pouvait pas encore chercher querelle à Démétrios. Afin de trouver tout de suite des forces à opposer à ce dernier, Ptolémée semble s'être mis en rapport avec Sparte : on ne comprendrait pas autrement que cet État, qui depuis, la défaite de 330 était complètement impuissant et n'avait plus paru sur la scène politique, eût osé maintenant se risquer dans une lutte avec Démétrios et la continuer pendant des années. Les Spartiates, sous le commandement de leur roi Archidamos, doivent s'être mis les premiers en campagne et avoir commencé la guerre[50], car Démétrios, parti d'Athènes contre eux, les trouva déjà en Arcadie, non loin de Mantinée. Au sud-ouest de la ville, le Lycée, couvert de forêts, séparait les armées. Les troupes de Démétrios n'étaient pas peu en souci : n'étant pas encore familiarisées avec les chemins creux, elles devaient craindre que les Spartiates, couverts par l'ombre des forêts de la montagne, ne réussissent à les surprendre et à les tourner. Il faisait un temps horrible ; le vent du nord soufflait avec fureur : Démétrios, qui occupait le côté septentrional de la montagne, donna l'ordre de mettre le feu à la forêt ; l'incendie se répandit avec une violence terrible et força les Spartiates à se retirer en toute hâte[51]. Démétrios les suivit suries routes découvertes ; sans qu'il y eût de combat en forme, les Spartiates reculèrent comme des vaincus jusque dans le voisinage de leur ville, et, comme elle n'avait jusque-là que les murs élevés en 347 contre Polysperchon, ils la fortifièrent en toute hâte avec des fossés, des retranchements et des palissades[52]. Démétrios les suivit encore ; on en vint aux mains dans la vallée de l'Eurotas : les Lacédémoniens furent battus, perdant 500 morts et 200 blessés ; il semblait que la ville elle-même allait tomber entre les mains de l'ennemi, car elle ne pouvait opposer une grande résistance[53].

Rarement la fortune a fait passer un prince par d'aussi étranges vicissitudes que Démétrios ; en ce moment même, où il est sur le point d'achever la conquête du Péloponnèse par la prise de Sparte, il venait de perdre tout ce qu'il possédait en dehors de la Grèce. Les villes de l'Asie qui étaient encore en sa possession, notamment Éphèse[54], Lysimaque s'en était emparé ; Séleucos avait occupé les provinces de Cilicie et de Phénicie[55] ; Ptolémée avait pris possession de l'île de Cypre, sauf la ville de Salamine, où la noble Phila était assiégée avec les enfants de Démétrios[56]. De la Macédoine, où une lutte s'était déclarée entre les fils de Cassandre, on avait appelé Démétrios au secours : occupé de sa guerre contre Sparte, il n'avait pas pu se rendre tout de suite à l'invitation ; il apprit alors que Pyrrhos l'avait prévenu, qu'il avait pris pour lui une partie du pays, et qu'il était occupé à négocier un traité de paix. Si cette paix était signée, toutes les perspectives d'intervention en Macédoine qui s'offraient à Démétrios se fermaient. Sauver ses possessions d'outre-mer était désormais pour lui chose impossible ; cela lui aurait coûté la possession de la Grèce à peine conquise, c'est-à-dire ce qui devait lui servir à fonder une puissance en Europe. Il courut donc pour sauver de ce côté ce qui pouvait encore être sauvé ; il fallait avant tout songer à la Macédoine. Sa retraite à travers la Laconie ressembla à une fuite ; les Spartiates, sortis de leur ville, le poursuivirent et blessèrent beaucoup de soldats de son arrière-garde. Démétrios franchit à la hâte un défilé, puis il y fit réunir toutes ses voitures de bagages et y mit le feu ; la flamme arrêta les poursuivants assez longtemps pour que sa colonne de marche eût pris une avance suffisante[57]. Après cela, il traversa en hâte l'Arcadie, franchit l'Isthme et marcha vers la Béotie : il envoya à la Ligue béotienne, qui lui était hostile, un héraut pour lui déclarer la guerre ; le lendemain du jour où le héraut avait remis la lettre de son maître aux béotarques à Orchomène, Démétrios était déjà à Chéronée ; les Béotiens durent céder[58]. Thèbes seule, paraît-il, lui résista : c'est là que s'était réfugié Lacharès. Démétrios ne voulut pas prendre le temps d'assiéger la ville ; ce qui se passait en Macédoine l'obligeait à se hâter, car la paix de Pyrrhos n'était pas encore jurée[59].

Pyrrhos s'était engagé à régner en commun avec le roi Néoptolémos. Mais bientôt cet accord fut troublé ; ce que disent là-dessus les auteurs, encore que sommaire et de tour anecdotique, nous donne cependant une idée des affaires molosses. Néoptolémos était détesté des Épirotes, et le jeune et ambitieux Pyrrhos se trouvait partout gêné et entravé par son corégent. Selon une vieille coutume, les rois se réunissaient tous les ans avec leurs sujets dans la localité molosse de Passaron : ils offraient un sacrifice à Zeus Areios, juraient de régner conformément aux lois, et en échange recevaient du peuple le serment de conserver la royauté selon les lois des ancêtres. Les deux rois arrivèrent aussi cette fois avec leurs amis, sacrifièrent et jurèrent, donnèrent et reçurent des présents : parmi tous les autres, Gélon, un fidèle partisan de Néoptolémos, se montra très assidu auprès de Pyrrhos, et lui fit cadeau de deux attelages de beaux bœufs de labour. Myrtillos, l'échanson du roi, était là et pria le roi de lui faire cadeau des taureaux : comme le roi les donna à un autre, il s'en alla tout irrité. Gélon s'approcha de lui et l'invita à venir avec lui dans sa ferme ; la vue du beau jeune homme l'avait ravi, et il aurait tout fait pour obtenir sa faveur. Ils se mirent à boire ensemble, et Gélon, ivre de vin et d'amour, lui dit : N'es tu pas offensé cruellement ? Il est odieux à tous, délivrons le peuple : n'est-ce pas toi qui lui présente le vin ? Myrtillos feignit de consentir à tout, mais, le repas fini, il confia à Pyrrhos ce qui s'était passé ; celui-ci le loua et lui ordonna de conseiller à Gélon de mettre dans la confidence le grand échanson[60], afin d'avoir plus de témoins. Gélon, de son côté, rapporta tout à son maître ; bientôt, espérait-il, l'acte serait accompli. Néoptolémos ne put cacher sa joie ; il confia tout à ses amis, et, étant invité chez sa sœur Cadmeia, il lui en parla aussi. Il croyait n'être entendu de personne ; il n'y avait en effet d'autre témoin que la femme de Samon, lequel était préposé aux troupeaux et aux pâturages de Néoptolémos : elle était au lit ; elle tourna son visage vers la muraille et feignit de dormir, mais elle entendit tout. Le lendemain, elle alla trouver la reine Antigone et lui découvrit ce qu'elle avait appris : celle-ci rapporta la chose à son époux. Pyrrhos commanda pour le moment le silence. Les principaux des Épirotes lui étaient dévoués : à plusieurs reprises, ils l'avaient engagé à ne pas se contenter d'une part de la royauté, mais à unifier le royaume dont il était l'héritier et auquel il était appelé par le droit aussi bien que par son génie audacieux et par son talent de général. Il avait maintenant une autre considération à faire valoir c'est que sa propre sûreté demandait qu'il agît sans retard contre Néoptolémos, avant que ses projets homicides ne se réalisassent. Il l'invita à un festin, à propos d'un sacrifice, et le fit assassiner à table[61]. C'est ainsi que le royaume molosse se trouva de nouveau unifié et dans la main du prince qui devait porter le plus haut sa gloire.

L'événement que nous venons de raconter montre bien le caractère patriarcal et rustique de la civilisation du pays, et combien elle est en arrière sur la culture de l'époque, sa politesse à la cour et dans les camps. Avec Pyrrhos, une nouvelle vie semble s'introduire dans le pays : dans son entourage, il y a un grand échanson, une des nombreuses charges que nous voyons à la cour d'Alexandrie comme en Égypte, il a près de lui des amis, des gardes du corps. Il partage avec les autres rois la passion de fonder de nouvelles villes ; en l'honneur de sa belle-mère, il construit la ville de Bérénice sur la Chersonèse épirote. Son éducation personnelle est essentiellement celle d'un soldat ; a poussé très loin l'art et les sciences de la guerre, comme le montrent ses écrits théoriques sur la tactique. Hannibal l'a appelé le plus grand de tous les généraux, et l'on prétend que le vieil Antigone, à qui l'on demandait quel était à ses yeux le plus grand capitaine, répondit : C'est Pyrrhos, quand il sera plus âgé. Il était dans son caractère d'être plus apte à livrer des batailles qu'à s'occuper des innombrables soins du quartier général'. Il était téméraire, violent, brusque dans ses résolutions, passant promptement, au moment du danger, à d'autres moyens et à d'autres buts ; surtout il allait toujours en avant. Il aimait à s'entendre appeler l'aigle. Son extérieur était celui d'un homme de guerre : son regard ferme inspirait la terreur ; ses dents supérieures, adhérentes les unes aux autres, lui donnaient un air farouche ; son pas, qui semblait enfoncer le sol, la vivacité de ses mouvements, toute l'attitude de son corps rappelait l'Alexandre des batailles[62] ; toutefois, il n'avait pas moins de bonté et de douceur quand il s'agissait de gagner les cœurs, et il savait par ce charme attirer à lui les peuples étrangers et leur donner le désir de l'avoir pour roi. Il s'inquiétait moins de ce qui était une fois acquis, et il ne s'efforçait jamais de s'attacher les partisans qu'il avait gagnés. Les parvenus qui de son temps avaient rang de prince étaient entourés de flatteurs-et de courtisans ; Pyrrhos avait des amis et s'efforçait de gagner le cœur des hommes distingués : les autres avaient dans leur propre famille des ennemis mortels, et des traîtres à leur cour et dans leur armée ; la vie domestique de Pyrrhos était heureuse et la fidélité de ses Épirotes inviolable. Lorsqu'il apprit à connaître les Romains et qu'il les vit supérieurs à tout ce qu'il avait pu se figurer d'un peuple de son temps, il oublia que la guerre faisait d'eux ses ennemis ; passionné pour eux, il avait cru qu'il pourrait les gagner en donnant ouvertement une expression aux sentiments de son cœur. Et ce roi chevaleresque, que les destins changeants ont depuis sa jeunesse ballotté dans tous les sens, dont le danger et le malheur ont de bonne heure trempé le caractère, est maintenant le seul maître et seigneur d'un peuple qui l'admire et d'un pays qui, voisin des désordres de la Grèce et de la Macédoine, est situé de manière à lui permettre d'étendre sa puissance sur l'une et sur l'autre. L'occasion ne tarda pas à se présenter[63].

En Macédoine, depuis la mort du jeune roi Philippe, il régnait un épouvantable désarroi dans la maison de Cassandre. Son deuxième fils, Antipater, avait obtenu la couronne. A peine sorti de l'enfance, il devait être encore, avec son frère Alexandre, sous la tutelle de leur mère Thessalonice, la fille du grand Philippe : ils étaient déjà mariés, l'aîné, Antipater, avec Eurydice, fille de Lysimaque, Alexandre avec Lysandra[64], fille de Ptolémée. Bientôt la jalousie et la discorde se mirent entre les jeunes frères : Antipater[65] se plaignait que sa mère cherchait à avantager son favori Alexandre[66] et à lui faire avoir l'empire tout entier ; il assassina sa mère, le dernier rejeton de la race du roi Philippe. C'était à peu près au commencement de l'année 293. Alexandre se sauva par la fuite ; il se tourna vers Démétrios pour lui demander son assistance, mais celui-ci était encore absorbé par les affaires helléniques. Alexandre s'enfuit alors en Épire. Pyrrhos lui promit du secours, mais réclama en retour les provinces de Tymphæa et Parauæa, dans l'ancienne Macédoine, et, parmi les nouvelles conquêtes macédoniennes, l'Acarnanie, l'Amphilochie et Ambracie, la plus grande des villes grecques de cette région[67]. Alexandre y consentit, et Pyrrhos occupa les pays cédés, comme il avait occupé Corcyre, acquise par son mariage avec Lanassa de Syracuse[68] ; son royaume s'étendait alors de l'Achéloos aux monts Cérauniens. Il se mit ensuite en marche avec une armée, pour ramener Alexandre en Macédoine : Antipater s'enfuit avec son épouse en Thrace, pour demander assistance à son beau-père Lysimaque. En guerre avec les Gètes, Lysimaque ne put lui accorder de secours ; il désirait à tout prix voir la paix rétablie avant que Démétrios n'intervint. Alexandre fut aisément gagné, mais comment arrêter le jeune aigle dans son essor ? Lysimaque espéra y arriver par une supercherie originale ; il écrivit à Pyrrhos, sous le nom de Ptolémée, une fausse lettre dans laquelle il l'invitait à renoncer à cette guerre moyennant trois cents talents qu'Antipater lui paierait. Pyrrhos reconnut aussitôt la supercherie, car, au lieu du salut habituel de Ptolémée : le père à son fils, la lettre portait : le roi Ptolémée au roi Pyrrhos, salut. Quelque irrité que fût Pyrrhos de cette tromperie de Lysimaque, il conclut la paix. Les trois rois se rencontrèrent pour la jurer ; on amena comme victimes un taureau, un bélier et un bouc, mais le taureau tomba avant d'être atteint par la hache ; les autres se mirent à rire, mais le devin Théodotos déconseilla la paix à son maître Pyrrhos, car ce signe indiquait, d'après lui, que Fun des trois rois mourrait : c'est pourquoi Pyrrhos ne jura pas la paix[69]. Voilà ce qu'on raconte : Pyrrhos avait sans doute de bonnes raisons pour prendre prétexte de ce signe des dieux et garder les mains libres. Les deux frères paraissent s'être partagé la Macédoine ou l'avoir possédée en commun[70].

C'est en ce moment que Démétrios arrivait de la Grèce avec son armée. Avec quel plaisir Alexandre se serait vu débarrassé de ce sauveur, qu'il avait appelé lui-même quelques mois auparavant ! Il avait payé assez cher les secours du Molosse ; maintenant qu'il était en paix avec son frère, une nouvelle guerre ne pouvait amener que de nouvelles pertes. Déjà Démétrios était en Thessalie, au delà des Thermopyles ; le jeune roi courut au devant de lui jusqu'à Dion, à la frontière méridionale de ses États, et le reçut là avec les plus grands honneurs : il remercia les dieux de ce que le différend avec son frère Mt aplani, et assura le roi qu'il n'avait plus besoin du secours qu'il était venu lui apporter. Les politesses réciproques dissimulaient à peine chez Alexandre une inquiète méfiance, chez Démétrios le dépit de voir ses espérances trompées. Invité par Alexandre à un festin, Démétrios apprit d'un jeune homme qu'on en voulait à sa vie, et qu'il devait être assassiné pendant le repas. Démétrios résolut cependant de s'y rendre : il ordonna à ses capitaines de faire prendre les armes à ses soldats ; ensuite, il se rendit au lieu du festin avec les pages royaux et les emmena avec lui dans la salle, en leur ordonnant d'y rester jusqu'à ce qu'il se levât de table. Alexandre avait une suite moins nombreuse, et n'osa pas à exécuter ce qu'il avait projeté. Démétrios se leva bientôt de table, disant qu'il n'était pas en état de boire davantage. Le lendemain, il donna l'ordre du départ : différentes nouvelles, disait-il, le forçaient à s'en retourner ; il priait Alexandre de ne pas mal interpréter son prompt départ ; il espérait avoir une autre fois plus de loisir et rester plus longtemps auprès de lui. Le jeune roi exprima sa joie de ce que Démétrios le quittait spontanément et sans rancune, et lui demanda de lui accorder l'honneur de l'accompagner en Thessalie avec son armée : son dessein était, en feignant la confiance et en restant avec Démétrios au milieu de son armée, de trouver plus sûrement l'occasion d'exécuter son plan. Démétrios le prévint. Arrivés à Larissa, il invita Alexandre à sa table : tout-à-coup Démétrios se lève ; Alexandre craignant que ce ne soit un signal, se lève avec lui et suit Démétrios sur les talons jusqu'à la porte. En sortant, Démétrios crie à ses gardes : Frappez celui qui me suit ! et il sort ; c'est en vain que la suite d'Alexandre cherche à le sauver, elle est massacrée avec lui. En mourant, le jeune roi regretta avec imprécations de n'avoir pas vécu jusqu'au lendemain ; c'est Démétrios qui aurait été étendu là à sa place[71].

La nuit qui suivit fut une nuit d'agitation et de trouble ; les Macédoniens qui étaient venus avec le jeune roi[72] craignaient que Démétrios ne les fit aussi massacrer. Le lendemain matin, le roi leur fit dire de ne rien craindre, qu'il désirait leur parler, et se justifier de ce qui s'était passé. Il vint : certainement, le roi Alexandre avait été tué par ses ordres, mais le soin de sa propre sécurité l'avait obligé à cet acte ; s'il était venu, c'est qu'il avait été appelé par le jeune roi à son secours ; au lieu de reconnaissance, c'est la mort qu'on lui destinait ; à Dion déjà, Alexandre avait conspiré contre sa vie ; à Larissa, s'il avait hésité un jour de plus, sa mort devenait inévitable ; le meurtre et la trahison sont choses familières dans la maison de Cassandre. Fallait-il des preuves ? Antipater n'avait-il pas déjà persécuté et outragé la race chérie de Philippe et d'Alexandre ? N'était-ce pas lui qui, par son fils Iollas, avait fait présenter la coupe empoisonnée au grand roi ? Cassandre n'est-il pas l'assassin d'Olympias, de Roxane, de l'enfant royal qu'elle avait mis au monde ? De son mariage odieux avec la dernière héritière de la maison royale était né Antipater, le meurtrier de sa mère : est-ce donc cet homme-là qu'ils voulaient avoir pour roi ? C'est dans son père Antigone et en lui-même que la famille d'Alexandre avait toujours trouvé les défenseurs les plus fidèles ; lui, Démétrios, avait à punir les crimes d'Antipater et de Cassandre sur ses fils, afin que la Macédoine ne gémit pas plus longtemps sous le joug d'une famille qui lui avait enlevé son honneur, sa gloire, son grand roi ; les mânes d'Alexandre et de Philippe ne trouveront de repos que quand ils verront la maison des assassins exterminée et leur royaume passer aux mains de leur vengeur[73]. Telles sont les paroles et autres semblables que le roi dut adresser aux Macédoniens : le fait de les avoir épargnés après de tels événements et de proclamer maintenant une amnistie générale décida de leurs voix : ils proclamèrent Démétrios roi de Macédoine, et l'accompagnèrent en cette qualité dans son nouveau royaume. Si Antipater était déjà rentré dans sa part du royaume, il dut certainement s'enfuir de nouveau chez Lysimaque pour lui demander du secours[74]. Tout le pays se prononce pour le roi Démétrios. Il est reçu partout avec sympathie ; personne ne veut prendre le parti du parricide : avec le roi Démétrios et son jeune fils Antigone, l'enfant de la renommée princesse Phila qui déjà se distingue dans l'armée de son père[75], on espère enfin des jours plus heureux pour la Macédoine.

C'est ainsi que Démétrios était devenu roi de Macédoine : sans doute il avait perdu toutes les possessions asiatiques qu'il avait sauvées après la chute du grand empire de son père ; Salamine de Cypre avait fini elle-même par succomber ; son épouse et ses enfants étaient prisonniers de Ptolémée ; mais il était le maître de la Macédoine et de la Grèce, et il possédait une puissance plus considérable que celle qui avait permis jadis à Alexandre de tenter la conquête du monde. Déjà, par une amnistie plénière en faveur des partisans de Cassandre et de ses fils, il avait commencé à acquérir une popularité que son amabilité personnelle, la gloire qu'il avait acquise, l'orgueil militaire des Macédoniens flatté par la grandeur de ses plans, arriveront facilement à agrandir et à consolider ; plus la Macédoine avait dû se trouver abaissée par la domination de trois enfants, plus elle était fière maintenant de pouvoir se relever sous le sceptre du héros de Cypre et de Rhodes, du roi auquel son père avait transmis des droits glorieux à l'empire unifié d'Alexandre. Car ce n'est rien moins que ce but que désormais Démétrios va poursuivre de toutes ses forces ; déjà son esprit aventureux s'abandonne aux plus audacieuses espérances.

Mais, pour le moment, il faut convenir qu'il avait encore en Europe assez d'affaires pressantes. Pyrrhos avait en sa possession une bonne partie de l'Occident macédonien. Antipater s'était réfugié auprès de Lysimaque, qu'il ne cessait de solliciter de lui rendre son héritage paternel, et Démétrios avait des motifs d'être soucieux en songeant à ce roi de la Thrace et de l'Asie-Mineure, qu'il haïssait profondément et qui le lui rendait bien. Enfin il était loin d'être assez assuré de la Grèce et du Péloponnèse pour se sentir à l'abri de toute inquiétude : Pyrrhos était intimement lié aux Étoliens par une alliance armée ; les Spartiates, par leur heureuse résistance, avaient repris des forces nouvelles et commençaient à entrer en rapports avec Thèbes, qui n'était pas encore soumise ; même à Athènes, il se passait des choses inquiétantes, et on pouvait craindre que Ptolémée ne fit son possible pour maintenir la Grèce dans un état de surexcitation qui devait empêcher Démétrios d'entreprendre désormais quoi que ce soit. Il est vrai que Ptolémée, non content de recevoir avec les plus grands honneurs les prisonniers de Salamine, la sœur de son épouse et les enfants de Démétrios, leur avait rendu la liberté et les avait renvoyés avec de riches présents ; mais il avait peut-être agi de la sorte en considération de sa propre fille, la veuve d'Alexandre, qui se trouvait sans doute encore au Pouvoir de Démétrios : somme toute, il avait un trop grand intérêt à ne pas laisser la puissance de Démétrios se consolider en Europe.

Si avisé qu'il fût, Ptolémée lui-même ne comprenait pas la nature insondable de son adversaire. Pourquoi ne réussit-il pas à prendre et à lier ce nouveau Protée ? Les uns sont grands quand il s'agit d'acquérir, les autres, de conserver : Démétrios a en réalité, comme autrefois Alcibiade, le don génial, quelque part que le jette son destin, de redevenir aussitôt le centre vivant de la situation, de s'accommoder de telle sorte aux circonstances qu'on croirait qu'elles lui sont familières dès le début, de travailler avec leur concours comme si elles étaient les instruments nécessaires et seuls possibles de sa volonté et de ses plans ; ce sont partout les éléments positifs, actifs, vivants, qu'il sait saisir, diriger, combiner pour l'action. Au moment où il va atteindre au sommet, il roule dans l'abîme, mais là il saisit la première occasion favorable pour reprendre son élan, remonte avec une nouvelle et plus grande audace, pour tomber deux fois plus bas et se relever de ce coup avec une nouvelle et étonnante crânerie ; quelque profonde que fût sa chute, jamais il n'a perdu courage ; quelque haut qu'il montât, jamais il n'a eu le souci de se maintenir : c'est en tout l'homme du moment, et avec le moment changent son caractère, sa fortune, ses plans.

Les auteurs parlent peu des rapports de Démétrios avec les Macédoniens, et ce peu se rapporte aux dernières années de son court règne. Les premières ont dû être toutes différentes : il n'est pas possible que la population de la Macédoine fût déjà tombée dans l'indolence des peuples vaincus de l'Asie ; Démétrios, avec ses quelques milliers de soldats, n'a pas pu établir un camp de condottiere dans la patrie d'Alexandre et de Philippe ; il a dû savoir complaire à la nation, réveiller ou du moins tenter de réveiller dans les premiers temps ses éléments vivaces, les entraînements trop brutalement méconnus de son glorieux passé, pour reconstituer en elle l'esprit national. Il est vrai que l'histoire des Macédoniens a cette analogie avec celle de la maison royale, que leur puissance comme la sienne va graduellement en s'abaissant, en s'usant jusqu'à la destruction finale. Mais cette révolution dure plus de deux siècles, et l'époque des Diadoques ne contient que les premières phases de cette triste décadence. Sous Cassandre, ce peuple vainqueur du monde et dont l'histoire se confond avec celle du monde est rentré dans la sphère bornée d'une politique qui déjà ne s'étend plus au-delà des limites étroites du temps de Philippe ; déjà il a cédé à son voisin d'Épire des territoires considérables ; déjà il a fait abandon de son influence sur la Grèce, et s'est vu éclipser par les empires qu'il a lui-même conquis. Mais il va se relever, car il a désormais pour roi reconnu le fils de cet autre roi qui a voulu reconstituer le grand empire des conquêtes et qui a succombé parce qu'il n'a pas demandé pour ses entreprises l'assentiment de la patrie macédonienne ; Démétrios a hérité des prétentions de son père et saura les faire valoir en s'appuyant sur la puissance et la fierté d'un peuple qui a conservé ses vertus guerrières ; il est maître des pays helléniques, et il les soumettra de nouveau au nom macédonien ; sous lui, la Macédoine combattra pour reconquérir ses conquêtes perdues. L'échec complet de cette tentative va donner la preuve que le temps d'un empire macédonien réunissant l'Europe et l'Asie est irrévocablement passé.

Les textes signalent à peine quelques moments isolés de la suite de cette étrange évolution. La première entreprise de Démétrios devenu roi de Macédoine fut dirigée non contre Lysimaque, ni contre Pyrrhos, mais contre la Grèce. Cléonymos, l'aventurier spartiate de rang royal, avait pénétré avec une armée en Béotie et avait été reçu par la ville de Thèbes, dans laquelle demeurait Lacharès, le tyran fugitif d'Athènes ; les villes béotiennes, excitées par le Thespien Pisis, qui, par ses qualités de guerrier expérimenté et de sage conseiller, avait une grande influence dans leur Ligue[76], rompirent la paix qu'elles avaient conclue avec Démétrios l'année précédente. Le roi accourut aussitôt, fit avancer contre Thèbes ses puissantes machines de siège et commença le siège de la ville. Cléonymos s'enfuit alors ; Lacharès se cacha dans un égout et se sauva à Delphes, pour gagner de là la Thrace[77] : quant aux Béotiens, ils se soumirent. Démétrios plaça des garnisons dans les villes, mit à rançon la contrée, à la tête de laquelle il plaça comme administrateur et harmoste Hiéronyme de Cardia, l'historien, l'ami d'Eumène. On avait craint que Démétrios, imitant l'exemple d'Alexandre, ne détruisit Thèbes ; il pardonna le passé. Cherchant à gagner à sa cause le puissant Pisis, il le nomma polémarque de Thespies ; il semblait que, devenu le maître de ses anciens concitoyens, ce personnage se ferait le partisan de la puissance contre laquelle ils s'étaient insurgés[78].

A Athènes, sans doute en partie par l'influence des Spartiates ou de la puissance étrangère dans l'intérêt de laquelle ils agissaient, il s'était ourdi une conjuration qui ne se proposait rien moins que de chasser la garnison laissée par Démétrios au Pirée et d'établir pour tout de bon la liberté, qui n'était encore jusque-là, en somme, qu'un vain mot. Les conjurés entrèrent en relations avec le Carien Hiéroclès, l'un des chefs mercenaires de la garnison, et convinrent avec lui qu'il leur ouvrirait les portes pendant la nuit et les laisserait entrer ; Hipparchos et Mnésidémos conduisaient l'affaire. Mais Hiéroclès dénonça le plan au commandant Héraclide, lequel donna ordre de laisser entrer les conjurés. Ceux-ci vinrent, dans le silence de la nuit, au nombre de 420 ; Héraclide les fit recevoir par 2.000 hommes armés, qui les massacrèrent pour la plupart[79]. Démétrios prit prétexte de cet événement pour procéder coutre Athènes comme le demandait son intérêt actuel, c'est-à-dire l'intérêt macédonien ; on lui livra tous ceux qui avaient parlé dans les assemblées du peuple et prêché la guerre contre lui, jusqu'ici le zélé défenseur de la démocratie la plus absolue : il leur rendit la liberté, en disant qu'il valait mieux pardonner que punir[80] ; il laissa rentrer les anciens partisans de Démétrios de Phalère, même Théophraste[81], tous ennemis de la démocratie autant par leurs théories que par leurs habitudes, et dont la réapparition dans la ville brisait la puissance du démos, malgré la conservation des formes démocratiques. Enfin Démétrios plaça dans la ville même une garnison macédonienne, pour laquelle on fortifia le Musée, le rocher qui est à l'entrée des Longs Murs[82]. Au fond, Athènes était maintenant une ville de province macédonienne.

Pendant ce temps, il s'était passé dans le royaume de Thrace des événements qui promettaient d'être extrêmement favorables à la nouvelle royauté de Démétrios et à ses plans ultérieurs. Lysimaque avait eu sérieusement à lutter au-delà de l'Hæmos contre les forces réunies de la Pentapole et des Gètes sur le bas Danube ; il ne semble pas qu'il ait soumis d'une manière durable les cinq villes grecques, et l'empire des Gètes se maintint sous le roi Dromichætès. Les maigres renseignements qui sont arrivés jusqu'à nous ne nous permettent pas de savoir sous l'empire de quelles préoccupations Lysimaque resta aussi inactif pendant les luttes de Démétrios dans l'Hellade et dans la Macédoine. L'étude des monnaies des rois postérieurs de la Bithynie nous révèle que c'est en l'année 298/7 que commence l'ère de ce royaume ; c'est sans doute en cette année que le dynaste Zipœtès prit le titre de roi : s'il agrandit son territoire, ce ne put être d'abord qu'aux dépens de Lysimaque, dont le domaine enfermait presque la Bithynie dans tous les sens. Le fait le plus rapproché par la date que racontent nos sources montre Lysimaque engagé dans une guerre nouvelle contre les Gètes[83]. Il avait envoyé contre eux son fils Agathoclès : la campagne finit mal ; Agathoclès fut fait prisonnier. Les Gètes le renvoyèrent à son père avec des présents[84] ; ils espéraient par là gagner l'amitié du roi et se faire restituer le territoire qui leur avait été enlevé, puisqu'ils devaient renoncer à l'espoir de vaincre un monarque allié avec les plus puissants potentats, au près et au loin[85]. Mais, après un tel succès, la puissance des Gètes sur les derrières de Lysimaque était assez considérable pour le détourner de toute tentative qu'il eût pu faire en faveur d'Antipater, son gendre réfugié chez lui, en profitant des troubles de la Macédoine. II repoussa les instances toujours renouvelées de sa fille et de son jeune époux, qui le poussaient à les ramener de force dans leur patrie ; son premier but, dès qu'il aurait les mains libres, devait être d'humilier les Gètes ; il conclut avec Démétrios une paix par laquelle il le reconnaissait comme roi de Macédoine et lui cédait formellement la partie du territoire macédonien attribuée à Antipater[86].

De cette manière, il se trouva enfin en mesure de renouveler la lutte contre Dromichætès[87] ; à quelle occasion ou sous quel prétexte, nous l'ignorons. Lysimaque semble s'être mis en campagne avec une armée exceptionnellement forte ; le jeune Cléarchos d'Héraclée était avec lui. Un chef de l'armée des Gètes[88] vint comme transfuge dans le camp du roi ; il voulait, disait-il, indiquer un chemin par lequel on pouvait surprendre l'ennemi. On eut confiance en lui ; il conduisit l'armée dans de vastes déserts, où l'on manqua bientôt d'eau et de vivres : les Gètes harcelaient l'armée ; c'est en vain qu'on cherchait à se défendre contre eux ; la détresse alla jusqu'au désespoir. Les amis conseillèrent au roi de se sauver, comme il le pourrait, en abandonnant l'armée[89] ; il répondit qu'il n'était pas juste d'acheter honteusement son salut en trahissant les amis et l'armée Lorsqu'enfin il n'y eut plus le moindre espoir, il se rendit prisonnier avec son armée. Comme on lui offrait un peu d'eau à boire, il s'écria : Maudite soit, ma lâcheté, d'avoir abandonné un si beau royaume pour une si courte jouissance ![90] Alors arriva Dromichætès, qui salua et embrassa le roi, l'appela son père et le conduisit avec son fils dans la ville d'Hélis.

A la nouvelle de la défaite de Lysimaque, Démétrios était parti avec une armée pour envahir son royaume[91], qu'il espérait trouver sans défense. Le bruit en arriva certainement chez les Gètes, et Dromichætès n'était pas assez Barbare pour ne pas comprendre quel était son avantage. Les Gètes se réunirent en masse, exigèrent que le roi prisonnier leur fût livré pour être puni, car il convenait, d'après eux, que le peuple, qui avait partagé les dangers, décidât du sort réservé aux prisonniers. Dromichætès leur répondit qu'il était de leur intérêt de sauver le roi, car, s'ils le mettaient à mort, d'autres s'empareraient aussitôt de son royaume et deviendraient aisément pour eux des voisins plus dangereux que Lysimaque : s'ils suivaient ses conseils, non seulement ils obligeraient Lysimaque à une reconnaissance éternelle, mais de plus, ils recouvreraient les territoires conquis par lui et auraient en sa personne un ami et un fidèle voisin. Les Gètes approuvèrent ces arguments ; après quoi, Dromichætès alla choisir parmi les prisonniers les amis et les serviteurs de Lysimaque et les conduisit auprès de leur roi. Ensuite, pendant qu'on préparait les sacrifices, il l'invita avec ses amis, ainsi que les principaux de sa propre nation, à un festin. On avait préparé deux sortes de tables : les sièges de celles- qui étaient destinées aux étrangers étaient couvertes de tapis précieux qui faisaient partie du butin, auprès des tables des Barbares, le sol était couvert de nattes grossières ; pour les étrangers, des tables d'argent couvertes de mets exquis et de friandises à la mode hellénique, pour les Gètes, des viandes et des légumes, en petite quantité, servis dans des plats de bois, sur des tables rustiques ; puis on apporta le vin, pour les étrangers dans des coupes d'or et d'argent, pour les Gètes dans des cruches de bois et des cornes à boire. Et lorsqu'on eut bu déjà copieusement, le roi Dromichætès remplit la grande corne à boire et la présenta à Lysimaque en disant : Quel repas, ô mon père, te paraît royal, celui des Macédoniens ou le nôtre, à la mode thrace ? Lysimaque répondit : Le repas macédonien, à coup sûr ! Eh bien ! mon père, reprit Dromichætès, comment as-tu pu quitter une vie si opulente et si luxueuse pour venir chez nous, des Barbares, qui vivons comme les animaux sauvages, dans notre pays qui est rude et glacial et pauvre en fruits de la terre ? Comment as-tu pu conduire tes armées, en dépit de leur naturel, dans des contrées où ils sont incapables de passer les nuits à la belle étoile et dont ils ne peuvent supporter les frimas et les bourrasques nocturnes ? Lysimaque répondit : Je ne connaissais pas les intempéries de votre pays et le danger d'une telle guerre ; mais maintenant, je te dois une reconnaissance éternelle et je serai ton fidèle allié : si tu le veux, emmène chez toi, comme fiancée, la plus belle de mes filles, afin qu'il y ait entre toi et moi un témoignage durable de notre alliance. C'est ainsi qu'ils firent un pacte de paix et d'amitié. Lysimaque restitua au roi des Gètes les territoires qu'il lui avait enlevés : le Danube devait former la limite de leurs empires. Dromichætès embrassa le roi, attacha le diadème à son front, et le renvoya dans sa patrie avec tous ses amis comblés de ses dons[92].

C'est ainsi que Lysimaque et ce qui le touchait de plus près fut sauvé, mais pour le moment, au point de vue militaire, il ne comptait plus ; même s'il lui fut permis de racheter par une rançon ses troupes prisonnières, ce qui n'est guère vraisemblable d'après certaines indications du récit ci-dessus, il fallait néanmoins beaucoup de temps pour qu'une armée aussi éprouvée fût reformée. Lysimaque n'aurait pas pu défendre son royaume contre l'invasion de Démétrios ; il n'aurait pu le repousser, si un mouvement sur les derrières de la Macédoine ne fût venu à son secours au moment Opportun.

Les Béotiens, qui venaient de se faire pardonner un soulèvement, se révoltèrent de nouveau : les excitations du dehors ne devaient pas être étrangères à ce mouvement, car nous voyons aussitôt après Pyrrhos, le fidèle 'allié du Lagide, se mettre en marche avec une armée ; pour le Lagide, en effet, il était du plus haut intérêt de sauver le royaume de Thrace menacé par Démétrios.

A la nouvelle de la défection des Béotiens, Démétrios renonça à son expédition en Thrace, ce qu'il fit d'autant plus volontiers qu'il apprit en ce moment le retour de Lysimaque ; il traversa en toute hâte la Thessalie. Arrivé en Béotie, il trouva les Béotiens déjà mis à la raison par son fils Antigone ; Thèbes seule tenait encore, et Démétrios prit aussitôt ses dispositions pour faire le siège de cette ville forte.

Cependant Pyrrhos avait envahi la Thessalie ; il s'était avancé déjà jusqu'aux Thermopyles. Il fallait à tout prix sauver les Thermopyles. Démétrios laissa son fils devant Thèbes, et se dirigea en toute hâte avec la plus grande partie de son armée vers le défilé ; Pyrrhos l'évita et se retira. Laissant alors 10.000 hommes d'infanterie et 1.000 cavaliers pour couvrir la Thessalie, Démétrios retourna en Béotie pour continuer le siège de Thèbes : la ville fut étroitement investie, une hélépole construite ; cette machine de siège était si énorme qu'en deux mois on put à peine la faire avancer de 600 pas. Les Béotiens se défendirent avec une bravoure extrême, et les assiégeants subirent d'autant plus de pertes que Démétrios faisait trop souvent engager le combat ou donner un assaut sans aucun motif, par caprice ou par impatience. Un jour que beaucoup de soldats étaient encore tombés dans un combat inutile, Antigone osa faire à son père des représentations sur ce parti pris de sacrifier aussi inutilement de braves troupes. Démétrios, dit-on, lui répondit : De quoi t'inquiètes-tu ? Es-tu obligé de fournir encore le pain et la solde aux morts ? Il s'exposait lui-même au danger avec une folle témérité ; à l'assaut, il était souvent l'un des premiers ; dans une de ces occasions, une flèche lui fit au cou une blessure qui mit sa vie en danger. Le siège semble avoir tramé en longueur ; mais enfin la ville fut obligée de se rendre, et les Thébains s'attendaient de la part du vainqueur à une sévérité extrême ; ils se souvenaient de ce mot d'un sage : Cassandre a rebâti Thèbes pour un second Alexandre. Si Démétrios, contre toute attente, se montra clément, l'honneur en revient à Antigone, qui représentait les sentiments plus doux et plus modérés d'un temps nouveau. Le père se contenta de la condamnation à mort de dix ou treize citoyens, et de l'exil de ceux des autres qui étaient les plus coupables[93] ; il rendit à la ville sa constitution[94] : naturellement il laissa une garnison dans la Cadmée, comme il y en avait une sur le Musée d'Athènes. Les temps étaient passés où le mot de libre démocratie était inséparable du nom de Démétrios ; comme roi de Macédoine, il était obligé de suivre ces mémos principes politiques qu'il avait si souvent combattus en face de Cassandre. Il était en ce moment véritablement maître de la Grèce, qui, à l'exception de Sparte et de l'Étolie, lui était entièrement soumise[95].

Il nous est-impossible de savoir si Sparte continua la lutte contre Démétrios, ni dans quelles conditions elle le fit. Les Étoliens, favorisés par le voisinage du royaume épirote et alliés avec lui, se montrèrent constamment ennemis, et ennemis audacieux, de Démétrios et de la Grèce qui lui était soumise. Les Locriens, leurs voisins, marchaient avec eux ; ils avaient occupé Delphes, et lorsque, dans l'automne de la troisième année de la CXXIIe Olympiade, on voulut célébrer la grande fête pythique, ils barrèrent les passages dits des Trois-Voies et empêchèrent les autres Hellènes de se rendre aux Jeux pythiques. Démétrios décida que, comme le chemin de Delphes était barré par les Étoliens, la célébration de la fête d'Apollon incombait aux Athéniens, dont il était le dieu patronymique et l'ancêtre ; en conséquence, les Pythies, avec tous les jeux qui s'y rapportent, luttes, théories, sacrifices solennels, etc., seraient célébrées désormais à Athènes, et les solennités de cette année auraient lieu dès ce moment dans cette ville. Cette innovation étrange fut mise en pratique dès cette année 290 ; c'est peut-être, dans l'histoire des cultes helléniques, le premier exemple qu'une cérémonie religieuse, attachée absolument à une localité déterminée par sa fondation,  son mythe, l'habitude d'un grand nombre de siècles, ait été arbitrairement transportée dans un autre lieu par des considérations d'ordre rationnel[96].

Après ces fêtes d'Athènes, Démétrios retourna en Macédoine pour y passer l'hiver. Déjà les Macédoniens commençaient à se plaindre sérieusement : les troupes étaient indisciplinées, querelleuses, insolentes et ennemies de tout ordre social, une plaie pour le citoyen et le paysan ; le roi lui-même se complaisait dans une immoralité sans vergogne, dans une vie de scandaleuses débauches ; de toutes les grandes choses qu'on pouvait avoir espéré de lui, aucune ne s'accomplissait ; on n'avait pas même reconquis les territoires pris par Pyrrhos, et les luttes en Grèce n'apportaient aucun bénéfice au pays, à peine un peu de gloire ; on voyait dans les autres pays s'accroître la stabilité, le bien-être, l'éclat, et la Macédoine, au lieu de redevenir forte, tombait de plus en plus bas. Le roi ne se souciait pas de cet état de choses : ses pensées étaient toutes à des projets toujours nouveaux et de grande portée. Le vieil Agathocle de Syracuse lui envoya son fils Agathocle, pour conclure avec lui un traité d'amitié : Démétrios le reçut avec de grands honneurs, le revêtit d'un habit royal et le combla de dons ; il renvoya avec lui Oxythémis[97], l'un des amis, pour recevoir le serment confirmant l'alliance conclue ; il donna à ce dernier la mission secrète d'étudier les affaires de la Sicile, de voir s'il y avait là quelque chose à faire, de tirer parti de tous les moyens possibles pour y établir l'influence macédonienne[98]. Vers le même temps, Lanassa, la fille d'Agathocle et l'épouse de Pyrrhos, envoya dire à Démétrios qu'il était indigne d'elle de partager la couche du roi d'Épire avec des femmes barbares ; que, si elle avait supporté de vivre à côté de la fille de Ptolémée[99], elle ne voulait pas être dédaignée pour des concubines, la fille du brigand Bardylis, celle du Péonien Audoléon[100] ; qu'elle avait quitté la cour de Pyrrhos et se trouvait à Corcyre, l'île qu'elle avait apportée en dot : elle invitait Démétrios, l'ami de son père, à y venir pour célébrer son mariage avec elle.

Quelles grandes perspectives lui ouvraient ces relations ! Puisqu'il voyait les Grecs de l'Asie-Mineure sous la puissance de Lysimaque, ceux de Libye sous le joug de Ptolémée, quoi de plus naturel que de vouloir, à ses possessions, c'est-à-dire à la Macédoine et à la Grèce proprement dite, ajouter celles des Grecs d'Italie et de Sicile, pour exécuter enfin contre les Carthaginois en Occident les projets de guerre auxquels Alexandre avait déjà pensé[101] ? Des conquêtes de ce côté étaient peut-être plus faciles et certainement non moins glorieuses qu'une lutte en Orient, lutte pour laquelle, du reste, elles pouvaient lui donner des ressources plus puissantes. Démétrios avait déjà noué des relations avec le peuple romain, dont la puissance commençait à s'étendre en Italie. Ces relations pouvaient lui être utiles au moment voulu ; il avait renvoyé des corsaires romains qu'il avait capturés dans les eaux helléniques, se fondant sur la parenté des Romains et des Grecs[102]. Ses forces militaires lui faisaient de la guerre une nécessité, car son armée permanente était, par son importance, hors de proportion avec l'étendue du territoire qui lui appartenait ; il avait besoin d'une guerre pour la nourrir, l'occuper, assurer sa cohésion, pour débarrasser enfin son pays de la soldatesque orgueilleuse et violente qui en était le fléau.

C'est avec ces pensées et ces espérances que Démétrios dut commencer la guerre de l'année 289. Si une expédition en Occident devait être tentée, il fallait avant tout que la Macédoine eût la sécurité de ce côté : Pyrrhos avait encore en sa possession des territoires macédoniens ; il était allié aux Étoliens, dont les armes étaient dominantes jusqu'au versant oriental du Parnasse. C'est contre ces deux ennemis que fut. dirigée d'abord la guerre, qui eut sans doute pour prétexte le barrage des Trois-Voies delphiques de la part des Étoliens. Démétrios envahit leur pays et le dévasta[103] ; comme autrefois, les Étoliens durent se réfugier avec femmes et enfants dans la montagne. Pour achever leur soumission, une partie de l'armée resta dans le pays sous les ordres de Pantauchos, le stratège éprouvé[104] qui unissait à une force physique peu commune une grande habileté, la plus brillante bravoure personnelle et la superbe confiance en lui-même d'un vieux soldat. Comme Pyrrhos, ainsi qu'il s'y attendait, accourait au secours de ses alliés, Démétrios marcha au devant de lui avec la plus grande partie de son armée, en dirigeant sa marche de manière à rendre impossible à ses adversaires de se prêter le concours qu'ils attendaient l'un de l'autre. Les deux rois se manquèrent ; pendant que Démétrios parcourt l'Épire, en la dévastant et la pillant, puis, sans s'occuper de la direction prise par son adversaire, passe à Corcyre où il célèbre ses noces avec Lanassa, Pyrrhos s'avance en Étolie. Il rencontre les avant-postes de Pantauchos : les deux armées se rangent en bataille et le combat s'engage. Pantauchos cherche le roi ; il l'appelle en combat singulier, et Pyrrhos, qui ne le cède à personne en force et en témérité, court à travers la mêlée sanglante au devant du gigantesque Pantauchos. Ils combattent avec leurs lances, qui bientôt volent en éclats, puis ils s'attaquent avec l'épée courte ; ils luttent corps à corps avec une adresse qui n'a d'égale que leur acharnement. Pantauchos blesse le roi à la main, Pyrrhos blesse son ennemi à la hanche ; leur fureur ne fait que s'accroître : enfin le général tombe frappé au cou ; les amis l'emportent grièvement blessé. Les Épirotes se précipitent sur les phalanges macédoniennes, les rompent, et remportent une victoire complète : les Macédoniens fuient dans le plus grand désordre. Telle fut l'issue de cette journée, où, rien que parmi les Macédoniens, il y eut 5.000 prisonniers. L'Étolie est délivrée ; Pyrrhos, l'aigle, comme ses troupes l'acclament, retourne en Épire à la tête de son armée victorieuse, afin de rencontrer l'armée de Démétrios, mais ce dernier, à la nouvelle de la défaite des siens, a levé le camp en toute hâte ; il est rentré en Macédoine[105].

C'est pour Démétrios un fatal début : non seulement il voit échouer ses plans de conquête en pays d'outre-mer et s'évanouir l'espoir de reprendre des territoires appartenant autrefois à la Macédoine ; ce qu'il y a de plus grave, c'est que l'auréole dont la victoire avait entouré ses armes a disparu. Le nom de l'aigle commence à exercer son charme magique sur les Macédoniens eux-mêmes : Pyrrhos, se disent-ils maintenant, est le seul d'entre les rois chez qui l'on retrouve l'audace d'Alexandre ; seul il lui ressemble par la réflexion et le courage ; les autres sont de vains imitateurs du grand roi, qui croient lui ressembler quand ils penchent comme lui la tête de côté, portent la pourpre comme lui ou se font suivre d'une garde du corps ; Démétrios est comme un comédien, qui joue aujourd'hui le rôle d'Alexandre, et qui pourra peut-être représenter demain celui d'Œdipe fugitif[106].

Démétrios ne prit nul souci de cet état de l'opinion. Il ne fit qu'exagérer encore — tel est du moins le récit de Plutarque, qui remonte à Douris[107] — la magnificence et la dépense de sa cour ; il ne se montrait jamais qu'avec tout l'appareil royal, avec un double diadème, des chaussures de pourpre, un manteau de pourpre broché d'or ; depuis une année entière, on travaillait pour lui à une chlamyde ornée des dessins les plus artistiques ; c'était tous les jours des festins, dont le luxe dépassait tout ce qu'on avait cru possible jusqu'alors. Il était inabordable pour tous ceux qui n'appartenaient pas à sa cour, et même les personnes de sa cour ne s'approchaient qu'avec les formes du plus strict cérémonial ; les suppliants étaient rarement admis, et, s'il se décidait enfin à les recevoir, il se montrait dur, orgueilleux et despotique ; une ambassade athénienne attendit à sa cour pendant deux ans avant d'être admise, et, de tous les Hellènes, c'étaient encore les Athéniens qui étaient les plus privilégiés[108]. Autrefois les Macédoniens, le peuple' comme la noblesse, étaient habitués à vivre en rapports familiers avec leurs rois, à leur parler et à discuter librement avec eut ; maintenant il leur fallait s'habituer à voir Démétrios entouré d'un essaim servile de courtisans, se livrant à la débauche et fantasque comme un Sardanapale ; ils le voyaient mépriser, blesser, rejeter leurs traditions, leurs droits, tout ce qui leur était cher. Un jour qu'il sortait à cheval, avec un air plus affable que de coutume, et que beaucoup de gens s'empressaient autour de lui, pour lui présenter des requêtes, il prit les suppliques et ordonna aux solliciteurs de le suivre ; puis, arrivant au pont de l'Axios, il jeta toutes les pétitions dans le fleuve[109]. Il semblait braver à dessein les mauvais sentiments qui avaient déjà pénétré bien avant dans le cœur de son peuple : on se rappelait le roi Philippe, qui prêtait amicalement l'oreille à toutes les prières ; on vantait le bonheur des Épirotes, qui avaient pour roi un véritable héros ; même le temps de Cassandre passait pour un temps heureux auprès de l'insolent gouvernement de Démétrios. Le sentiment devint de plus en plus général que cela ne pouvait pas durer longtemps ainsi, que le trône national n'était pas fait pour un despote asiatique, et qu'il ne fallait qu'une occasion pour que la domination de Démétrios fût brisée.

C'est alors qu'il tomba malade : il était à Pela cloué sur son lit de souffrances. Cette nouvelle décida Pyrrhos à envahir la Macédoine[110], ne fût-ce que pour la mettre au pillage ; mais, quand il vit les Macédoniens venir à lui par troupes nombreuses pour entrer à son service, il pénétra plus avant, jusqu'à Édesse. Démétrios, dès que sa maladie lui laissa quelque relâche, se hâta de compléter son armée, qui était très réduite à la suite de désertions en masse ; puis il marcha contre Pyrrhos, qui, n'étant pas prêt à livrer des batailles décisives, ramena son armée eu arrière. Démétrios réussit à le rejoindre dans les montagnes et à détruire une partie de l'armée ennemie.

Il venait une fois de plus de montrer l'élasticité de son caractère, son génie inépuisable en ressources devant la nécessité ; malgré le mécontentement général de son peuple, malgré des défections par milliers, il avait réussi, en courant, à chasser l'ennemi. Il n'aura pas cru devoir prendre la peine d'apaiser aussi et de gagner les esprits qui se détournaient de lui. Soit par orgueil, par légèreté, par dégoût des hommes, Démétrios négligea les mesures les plus pressantes, les plus nécessaires. Ce qui excitait son imagination, c'était de nouvelles fantaisies, de nouvelles aventures.

Il fit la paix avec Pyrrhos[111] : mais ce ne fut pas seulement afin d'assurer ses derrières en cas de nouvelles entreprises ; il tenait à gagner un soldat, un général de cette valeur, pour s'en faire un auxiliaire et un allié. Il lui fit certainement abandon formel des deux provinces macédoniennes ; peut-être fut-il convenu entre eux que Démétrios ferait la conquête de l'Orient, tandis que Pyrrhos ferait celle de l'Occident[112], où déjà les choses étaient préparées par Oxythémis à la cour de Syracuse, Agathocle supprimé[113], et tout en un tel désordre qu'une attaque hardie promettait un succès assuré. Alors se réaliserait complètement, sous Démétrios et Pyrrhos, la grande pensée d'une double conquête du monde, qui n'avait réussi qu'à moitié du temps des deux Alexandre de Macédoine et d'Épire, et s'accomplirait la grande mission à laquelle semblaient appelés par leur situation dans le monde les deux royaumes de Macédoine et d'Épire, appuyés l'un sur l'autre.

Démétrios employa tout l'hiver de 289-288 à des préparatifs vraiment formidables. Plutarque dit que ses armements étaient à la hauteur de ses espérances et de ses plans. Il mit sur pied une armée de 98.000 fantassins et près de 12.000 cavaliers ; il fit construire des vaisseaux au Pirée, à Chalcis et à Pella : il se rendait lui-même sur les chantiers, donnait son avis, mettait la main à l'ouvrage. Une flotte fut réunie comme le monde n'en avait jamais vu de semblable ; elle comptait 500 vaisseaux de guerre, parmi eux des navires de quinze et seize bancs de rameurs, constructions gigantesques, qui étonnaient par leurs énormes proportions et plus encore par la facilité et la sûreté avec lesquelles on pouvait les manœuvrer[114].

Ces allégations, il faut le dire, ne sont pas sans causer quelque étonnement. Le plus grand vaisseau qu'on eût jamais vu n'avait que onze rangs de rameurs : c'est Démétrios qui l'avait fait construire : le plus grand cèdre du Liban, haut de 130 pieds et d'un diamètre de trois brasses d'homme, avait servi à faire la quille[115] ; les Héracléotes avaient 1.600 rameurs sur leur huit-rangs, le porte-lion[116]. D'après un calcul très-modéré, et si l'on admet que la grande majorité des navires avaient cinq ou six rangs, il fallait à Démétrios plus de 100.000 rameurs ; on ne comprendrait pas, sans son caractère tyrannique et le peu de cas qu'on faisait des lois en ce temps-là, qu'il lui fût possible de recruter par la conscription forcée un si grand nombre de matelots. Le total des hommes qu'il réunit pour son immense entreprise montait certainement à près de 300.000, et il ne possédait que la Macédoine, la Thessalie et la plupart des pays helléniques. Dans de telles conditions, ces chiffres semblent dépasser toutes possibilités statistiques, surtout si l'on considère combien les guerres et les colonisations qui duraient depuis plus de quarante ans avaient dû diminuer la population de ces pays. On ne saurait se représenter sous des couleurs trop sombres le désarroi que dut produire dans le pays un aussi formidable recrutement, l'état lamentable de la Macédoine et de la Grèce, en supposant même que la majorité de ces soldats et de ces marins fussent des mercenaires, des étrangers, des vagabonds attirés par l'or du roi. Quand nous ne posséderions sur le gouvernement de Démétrios que ce relevé de ses armements, cela suffirait pour caractériser son despotisme inimaginable, plus entier que celui des souverains mongols. Si l'on pense aux ressources financières nécessaires pour ces levées et ces constructions, pour le matériel en bois, en fer, cordages, munitions, etc., on se demande où il peut se les être procurées. Eût-il conservé tous les trésors que son père avait rapportés des provinces supérieures ou extorqués aux sujets de son royaume, ils n'auraient certainement pas suffi ; or, tout ce que le père avait amassé avait été en partie dépensé pour ses guerres, en partie pris par l'ennemi, et Démétrios avait fait ce qu'il fallait pour dissiper le reste. Il n'est que trop vraisemblable qu'il extorqua ce dont il avait besoin à ses sujets de Grèce et de Macédoine, et qu'il les força à lui construire et à lui armer des vaisseaux. On ne saurait décrire tout ce que la Grèce et la Macédoine ont enduré alors de souffrances et fait de sacrifices ; mais on comprend quelle effroyable haine couvait contre Démétrios, haine qui allait bientôt trouver l'occasion d'éclater.

 

 

 



[1] PLUTARQUE, Démétrios, 31. Peut-être est-ce ici qu'il faut placer le débarquement soudain dont on a fait le récit tout à l'heure ; en tout cas, Éphèse était encore et resta assez longtemps aux mains de Démétrios.

[2] DIODORE, XXI, 1, 5. Il résulte du passage des Exc. Hœsch., d'où est tiré le texte en question, que ceci se passait avant l'attaque de Cassandre sur Corcyre (XXI, 2, 1).

[3] Arsinoé est la fille de Bérénice (PAUSANIAS, 1, 7, 1) : elle née au plus tard, comme l'indique ce mariage, en 316. On a déjà relevé souvent l'erreur commise par Memnon. Ptolémée avait eu d'Eurydice, fille d'Antipater, au moins quatre enfants. Qu'il l'ait épousée en 322 ou en 320, il est probable qu'elle était encore sa femme quand Arsinoé naquit : du reste, Plutarque (Pyrrhos, 4) parle expressément de plusieurs épouses que le roi avait en même temps.

[4] D'après Plutarque (Démétrios, 31), on croirait que c'est vers cette époque que le fils de Lysimaque épousa la fille de Ptolémée, Lysandra. Mais Pausanias (I, 9, 7), dans une note rectificative, place ce mariage d'Agathoclès après l'expédition contre les Gètes (292) ; et la chose est d'autant plus vraisemblable qu'en 281 évidemment les enfants d'Agathoclès sont encore mineurs, car on ne parle pas d'eux à propos des prétentions élevées sur la Thrace et, la Macédoine. De plus, Lysandra, épouse de cet Alexandre qui fut mis à mort en 294, est certainement la même personne que l'épouse qu'on connaît plus tard à Agathoclès. Il est vrai que Pausanias (I, 10, 3), en contradiction avec le passage précité, dit que Lysimaque s'est marié alors qu'Agathoclès avait déjà des enfants de Lysandra ; mais alors, Amastris aurait été sa femme jusqu'en 292, ce qui, étant donné les événements d'Héraclée et des enfants d'Arsinoé, est impossible.

[5] Memnon (ap. PHOT.) dit qu'elle fonda par la suite la ville d'Amastris avec la population de quatre autres bourgades de Paphlagonie.

[6] Évidemment, les deux princes avaient les mêmes intérêts vis-à-vis des peuplades limitrophes du nord, que nous verrons bientôt assez puissantes. On ne sait si Nicæa, la sœur de Cassandre, vivait encore et si elle était encore à la cour de Lysimaque.

[7] PLUTARQUE, Démétrios, 31. Sa mère est Phila, sœur de Cassandre, et elle est née après son frère Antigone Gonatas, par conséquent au plus tôt en 317.

[8] PLUTARQUE, Démétrios, 32.

[9] WOOD (Discoveries at Ephesus, 1877, App. p. 10) publie un décret, provenant du temple d'Artémis, en l'honneur de Nicagoras de Rhodes.

[10] PLUTARQUE, Démétrios, 32. Elle tomba malade en Cilicie et y mourut.

[11] PAUSANIAS, X, 18, 7 ; X, 34, 3.

[12] PAUSANIAS, I, 26, 3. On vient de citer le passage où Pausanias (X, 34, 3) dit que le secours amené par Olympiodoros aux Phocidiens a fait échouer le siège. Ces indications ne s'appliquent bien à aucune des guerres qui ont éclaté entre Athènes et Cassandre avant l'année 302/1 : et si, ce qui parait hors de doute, l'ambassade qu'une inscription (C. I. ATTIC., II, n° 297) dit avoir été envoyée à Cassandre a eu pour résultat de faire avorter cette fois la guerre, il faut admettre que le danger se trouvait déjà heureusement écarté en août 299 (Métagitnion Ol. CXX, 2), époque de la rédaction du décret en l'honneur de ladite ambassade.

[13] Dans l'Eusèbe arménien (I, p. 242 éd. Schœne), il est dit au chapitre des Thetaliorum reges : quem Kasandrus excipit imperalque Epiro et Thetaliis annis XIX.

[14] Si l'on pouvait attribuer aux digressions historiques que l'on rencontre dans les Moralia de Plutarque la valeur de témoignages sûrs, on croirait plutôt (d'après un passage du De sera numinis vindicta, 12) qu'Agathocle est venu en ennemi. Plutarque rapporte, en effet, une réponse insolente du Sicéliote aux Corcyréens, qui se plaignaient des dévastations commises par lui dans leur île, et une réponse non moins dégagée aux gens d'Ithaque, qui réclamaient leurs moutons volés.

[15] DIODORE, XXI (Ecl., II, p. 489 et Exc. Vatic., p. 43).

[16] Polyænos (V, 3, 6) raconte qu'Agathocle s'était fait donner par les Syracusains 2.000 hommes, mais qu'ensuite il avait abandonné cette expédition et marché sur Tauroménion. Polyænos a l'air de croire qu'il s'agit de la Phénicie, mais il est clair que ce n'était pas là le but visé ; ce n'est pas non plus, semble-t-il, l'île liparienne de Phœnicoussa, mais la ville épirote de Phœnice, en face de Corcyre.

[17] Agathocle était marié avec une princesse égyptienne, Théoxena (Thexena, Theuxena, etc.), qui paraît bien être une belle-fille de Ptolémée, c'est-à-dire, une fille de Bérénice. Théoxena ayant duos parvulos vers 288 (JUSTIN., XXIII, 2, 6), le mariage ne peut avoir eu lieu plus tard que l'époque actuelle. Évidemment, l'intérêt du Lagide était de ne pas laisser la Macédoine devenir trop puissante sous Cassandre. Comme le dernier traité dé paix avait accordé à ce dernier un pouvoir illimité sur l'Hellade, on peut bien supposer que Ptolémée conclut cette alliance avec Agathocle en y stipulant, par clause secrète, que l'Égypte verrait d'un bon œil Agathocle occuper Corcyre. On ne trouve pas d'autre époque acceptable pour le mariage en question : deux ans plus tard, l'intérêt de l'Égypte était déjà représenté par Pyrrhos d'Épire ; si l'on veut remonter plus haut, par exemple, avant la bataille d'Ipsos, on a contre soi non seulement ces parvuli, mais surtout le fait que l'attaque dirigée contre Corcyre est la première ingérence d'Agathocle dans les affaires de la Grèce.

[18] EUSEB. ARMEN, p. 118 éd. Schœne : Demetrius rex Asianorum Poliorcetes appellatus Samaritanorum urbem a Perdicca constructam (ou incolis frequantatam) totam cepit (MAI traduit : vastat. Syncelle donne έπόρθησε). Cette indication se trouve dans l'Eusèbe arménien à l'année d'Abraham 1720 ; dans S. Jérôme, à l'année 1721, l'une et l'autre correspondant à Ol. CXXI, 1, de sorte qu'on ne sait au juste si le fait a eu lieu en l'an 297 ou 296 du calendrier julien.

[19] PLUTARQUE, Démétrios, 22. La mère de cette Ptolémaïs est Eurydice, fille d'Antipater, qui avait été fiancée à Ptolémée en 32t ; Ptolémaïs est, par conséquent, la nièce de Cassandre. Il se peut, comme le mariage n'a eu lieu, à ce qu'il semble, que quelques années plus tard, qu'elle ait été encore trop jeune à l'époque.

[20] PLUTARQUE, Pyrrhos, 4. On verra plus tard que ceci eut lieu quelques années avant 295.

[21] PLUTARQUE, Démétrios, 33.

[22] Le décret en l'honneur de Démocharès se trouve dans PLUTARQUE, Vit X Orat., p. 851.

[23] C. I. ATTIC., II, n° 297. L'inscription est datée de l'archontat d'Euctémon. Cf. DITTENBERGER, Attische Archonten (Hermes, II, p. 293).

[24] C. I. GRÆC., II, n° 314. Le document est du mois de Boédromion, un archonte qui se trouve cité également par Denys d'Halicarnasse (De Dinarch., 9). Comme Denys ne donne que neuf archontes pour les dix ans qui vont de Ol. CXIX, 4 à Ol. CXXII, I, et que la lacune peut se trouver à huit endroits différents, il est intéressant d'apprendre par le décret en question que le roi Lysimaque a donné, entre autres choses, un nouveau mat pour le peplos des Panathénées, qui étaient célébrées dans le premier mois de chaque troisième année olympique. Par conséquent, Euctémon doit avoir été archonte en Ol. CXX, 2 (299/8), et la lacune dans la liste de Denys se trouve plus loin.

[25] Dans le décret honorifique, l'énumération des services rendus par Démocharès ne suit aucun ordre chronologique ; à la suite d'un fait de l'an 287 viennent les ambassades à Lysimaque, à Ptolémée, à Antipater, cette dernière de l'année 296.

[26] Cette date n'est qu'hypothétique. Plutarque (Démétrios, 33) dit que Démétrios mit à la voile en apprenant que Lacharès cherchait à s'emparer de la tyrannie à Athènes. Ceci retarderait le commencement de la guerre jusqu'en 295, attendu que Démocharès fut expulsé par Lacharès, dès que celui-ci se fut fait tyran, et que pourtant ce même Démocharès put être envoyé auprès d'Antipater. Évidemment, l'expression de Plutarque est inexacte. Son témoignage écarté, il est impossible d'admettre que Démétrios n'ait commencé la guerre qu'un an après la mort de Cassandre.

[27] Voyez le décret en l'honneur de Démocharès (PLUTARQUE, Vit. X Orat., p. 851). Dans le décret en l'honneur d'Audoléon, prince des Péoniens (C. I. ATTIC., II, n° 312), on loue ce personnage de s'être montré, et en 287 et auparavant, συνεργών είς τήν έλευθερίαν τή πόλει. Cet auparavant ne peut guère s'appliquer à une autre époque qu'à la circonstance présente.

[28] PAUSANIAS, IX, 7, 3. Thessalonice, une fille du roi Philippe, avait été mariée à Cassandre en 316. D'après le calcul de C. MÜLLER (Fr. Hist. Grec., III, p. 705), Cassandre est mort en juillet 297. Pour des raisons que l'on trouvera dans l'Appendice du troisième volume, cet événement me parait devoir être placé dans les premiers mois de l'année 297. Avec les matériaux que nous avons, il est impossible de préciser davantage.

[29] SENEC., De ira, III, 23. Sénèque confond ce Philippe avec le père d'Alexandre, qu'il identifie, par une nouvelle méprise, avec le père d'Antigone. Il rapporte qu'on appelait Démocharès le parrhésiaste, ob nimiam et procacem linguam. Si suspecte que puisse être l'anecdote, on est en droit. d'accepter la situation qu'elle indique, tout aussi bien qu'on le fait avec les centaines d'anecdotes analogues racontées par Plutarque, Diogène, Athénée et autres. Le fait que Démocharès parut ainsi en qualité d'ambassadeur à la cour du jeune roi Philippe, c'est-à-dire, dans la première moitié de l'an 297, justifie ce qui a été dit plus haut.

[30] PAUSANIAS, IX, 7, 3. EUSEB. ARMEN., I, p. 246 éd. Schœne (dans le catalogue des Thetaliorum repes). Sur d'autres données, qui ne s'accordent pas avec la suite de la chronologie, voyez C. MÜLLER (Fr. Hist. Græc., III, p. 705).

[31] On lit dans le décret en l'honneur de Démocharès, où l'ordre chronologique n'est pas précisément observé, que les Béotiens devaient, comme les Thébains peu de temps avant la bataille de Chéronée, être en état d'hostilité contre Athènes et du parti de Démétrios, tandis que Thèbes penchait probablement plutôt du côté de la Macédoine.

[32] Dans le décret pour Démocharès, il est question des présents que Démocharès a obtenus pour Athènes de la part de Lysimaque et de Ptolémée, de sorte que le πείσαντι έλέσθαι ne se rapporte pas simplement au cadeau d'Antipater.

[33] Dans le décret, le άνθ' ών, vient immédiatement après le passage où il est dit que Démocharès a conclu la symmachie avec les Béotiens : cette alliance n'a donc pas été le seul motif, mais l'occasion prochaine de l'accusation contre Démocharès. Vu l'insuffisance des renseignements, il est impossible de se faire une idée bien nette de toute la conduite de Démocharès dans cette guerre. Nous devons en croire le témoignage de Polybe, quand il assure que Démocharès a été en tout temps et foncièrement un républicain loyal : ce qu'on peut dire de mieux en sa faveur, c'est qu'il s'est laissé duper par Lacharès.

[34] PLUTARQUE, Démétrios, 34.

[35] EUSEB. ARMEN., I, 38, p. 171. JUSTIN., XVI, 2.

[36] PAUSANIAS, I, 25. On verra plus loin que l'archonte Nicias, inscrit dans le catalogue de Denys à Ol. CXXI, 1, n'est entré en fonctions qu'au printemps de 295, et que Denys cite Antiphate comme archonte de l'année précédente : par conséquent, la tyrannie de Lacharès ne peut s'être établie qu'après l'entrée en charge d'Antiphate (Ol. CXX, 4), c'est-à-dire après juillet 297. On ne saurait préciser davantage et dire si ce fut plusieurs mois après, ou seulement au printemps de 296.

[37] PLUTARQUE, non posse suaviter, 6.

[38] PAUSANIAS, I, 25, 7.

[39] POLYÆN., IV, 7, 5. Il n'est guère possible d'interpréter autrement ce passage. L'auteur insinue que Démétrios trompa les gens du Pirée ; mais c'est là, ce semble, une finesse inventée après coup.

[40] PLUTARQUE, Démétrios, 34.

[41] PAUSANIAS, I, 25, 7 : 29, 16. PLUTARQUE, De Isid. et Osir., p. 379.

[42] Ce détail est fourni par le comique Démétrios (ap. ATHEN., IX, p. 405).

[43] PLUTARQUE, Démétrios, 34. Dans la liste d'archontes dressée par Denys (De Dinarch. 9), les noms énumérés après Euctémon — que nous pouvons placer en 299/8 (Ol. CXX, 2) — sont : Mnésidémos, Antiphate, Nicias, Nicostratos, Olympiodoros, Philippos, ce dernier en Ol. CXXII, 1. On trouve dans les inscriptions un archonte Nicias (C. I. ATTIC., II, n° 299), et un autre Nicias (C. I. ATTIC., II, n° 316), à une date postérieure (probablement Ol. CXXIV, 4). On voit par Plutarque (ibid.) et l'inscription (C. I. ATTIC., II, n° 300) confirme son dire, — que Lacharès, une fois tyran, n'avait pas fait comme jadis les Pisistratides ; au lieu de conserver la constitution démocratique, il avait supprimé formellement la démocratie. Comme l'inscription n° 299 est datée du 16 Munychion, du septième jour de la quatrième prytanie, nous sommes forcés d'en conclure que, durant la majeure partie de cette année 296/5 (Ol. CXXI, 4), il n'y a pas eu de prytanie, par conséquent, pas de séance du Conseil des Six-Cents. Que Lacharès ait établi un régime oligarchique ou qu'il ait été un despote militaire, toujours est-il qu'à la fin, sous la double pression du siège fait par Démétrios et de la disette dans la ville, il a dû se produire contre lui un mouvement devant lequel il a pris la fuite, peut-être un mouvement dirigé par le stratège Phædros (C. I. ATTIC., II, n° 331). Si ces conjectures sont exactes, la chute de Lacharès a eu lieu au printemps de 295. Pour plus amples détails, voyez l'Appendice.

[44] POLYÆN., III, 7, I. Pausanias (I, 25, 5) assure que Lacharès emporta jusqu'au manteau d'or de la Vierge. Cf. AD. MICHAELIS, Parthenon, p. 44.

[45] PLUTARQUE, ibid.

[46] PLUTARQUE, Apophth. s. v. Demetrius.

[47] PLUTARQUE, Démétrios, 34. PAUSANIAS, I, 25, 6. Naturellement, la proposition était de pure forme, attendu que Démétrios occupait les deux places.

[48] Dans les négociations qui eurent lieu plus tard au sujet de la Cœlé-Syrie (POLYÆN., V, 67), les plénipotentiaires syriens allèguent comme un titre de propriété absolument sûr et légal.

[49] PLUTARQUE, Pyrrhos, 5. A ce moment, le mariage de Pyrrhos avec Lanassa, fille d'Agathocle, était déjà chose convenue. DIODORE, XXI, 4. Exc. Hœsch. p. 151 sqq. Comme, dans un fragment qui se trouve à la suite dans la même série d'extraits, il est question du consul Fabius, on voit que, suivant la manière de compter de Diodore, Pyrrhos est revenu dès l'année de Q. Fabius Maximus Rullianus V et de P. Decius Mus IV, c'est-à-dire en 296. Peut-être ramenait-il les 150 navires qui s'étaient montrés devant Athènes.

[50] C'est ici probablement que se place l'attaque de Démétrios contre Argos, fait mentionné par Athénée (X, p. 415). Argos doit avoir été poussée à la défection par les Spartiates.

[51] POLYÆN., IV, 7, 9.

[52] PAUSANIAS, I, 13, 6. VIII, 8, 5. JUSTIN., XIV, 5, 6.

[53] PLUTARQUE, Démétrios, 35.

[54] C'est ici probablement qu'il faut placer l'indication fournie par les auteurs, à savoir que, Lysimaque, après avoir pris la ville, fort endommagée par des pluies torrentielles et des débordements de torrents, la reconstruisit sur un emplacement plus favorable et l'appela du, nom de son épouse (STEPH. BYZ., s. v. Έφεσος), ou, ce qui est moins vraisemblable, du nom de sa fille (EUSTATH. et DIONYS. PERIEGET., 423) Arsinoé (cf. STRABON, XIV, p. 640). Peut-être cependant le fait n'eut-il lieu qu'en 287, année où la ville fut prise une seconde fois. Du moins, les monnaies de Lysimaque citées par CADALVENE (Recueil de médailles grecques, p. 31) portent encore le nom d'Éphèse, tandis que d'autres, sur lesquelles on voit l'abeille d'Éphèse, portent au lieu de ΕΦ la légende ΑΡΣΙ, et, au revers, la tête de femme voilée que l'on considère comme étant celle d'Arsinoé (C. MÜLLER, Münzen des Lysimachos, p. 80. IMHOOF-BLUMER in von Salles Zeitschrift für Numism., III, p. 323). Le nom d'Arsinoé tomba de nouveau en désuétude après la mort de Lysimaque. Il semble bien aussi que, depuis l'infortune de Démétrios, le sanctuaire de Samothrace accepta volontiers la protection de Lysimaque. Il est possible que de cette époque datent et l'Άρσινοείον dédié par son épouse, l'Égyptienne Arsinoé, avec l'inscription qu'y a trouvée CONZE-BENNDORF, et le décret où l'île rend grâce à Lysimaque pour la protection accordée par lui aux pèlerins qui se rendent auprès des grands dieux de Samothrace.

[55] Ceci ne se trouve pas dans Plutarque (loc. cit.), et Pausanias (I, 6, 8) dit même le contraire ; mais le cours ultérieur des événements en fournit la preuve indubitable. En ce qui concerne la Palestine, on trouve une confirmation analogue du fait dans la mesure adoptée par Séleucos par suite de cette prise de possession, je veux dire la déportation d'une quantité de Juifs qui furent transplantés à Antioche et dans d'autres villes (cf. JOSEPH., Antiq. Jud., XII, 3. Contra Apion, II. EUSEB., II, p. 118 éd. Schœne : Seleucus in urbibus quas exstruxit Judœos collocavit, etc.). Eusèbe place le fait en l'an d'Abraham 1726 ; S. Jérôme, en 1727 ; tous deux, en Ol. CXXII, 3. Les Juifs restés sous le gouvernement de leurs grands-prêtres payèrent à Séleucos un tribut annuel de 300 talents d'argent (SEVER. SULPIC., Hist. Sacr., II, 17).

[56] C'est peut-être à cet événement que fait allusion le décret des Samiens cité par C. CURTIUS (Urkunden zur Geschichte von Samos [Weseler Programm, 1873, p. 5]). Le décret est rendu en l'honneur de Δήμαρχος Τάρωνος Λύκιος, lequel s'est montré secourable aux exilés Samiens. Si la reine était assiégée à Salamine, on comprendrait que Démarchos fût auprès d'elle au lieu d'être à son poste à Samos : il résulterait en même temps de ce document que Démétrios, peut-être dans son expédition de 302, avait conquis Samos, y avait placé une garnison sous les ordres de Démarchos, et qu'il avait perdu la possession de Me en perdant la bataille d'Ipsos.

[57] POLYÆN., IV, 7, 10.

[58] POLYÆN., IV, 7, 11. — PLUTARQUE, Démétrios, 39.

[59] POLYÆN., III, 7, 2.

[60] PLUTARQUE, Pyrrhos, 5. Cf. PLUTARQUE, Alex., 74. C. I. GRÆC., II, Add. 1793 b.

[61] PLUTARQUE, Pyrrhos, 5.

[62] LUCIAN., Adr. indoct., 2.

[63] C'est vers cette époque, à ce qu'il semble, que Pyrrhos acquit Corcyre en épousant Lanassa, la fille d'Agathocle (DIODORE, XXI, 4. Exc. Hœsch., p. 151). Corcyre devait être la dot de Lanassa, car on voit que Pyrrhos s'y retire (PLUTARQUE, Pyrrhos, 10). Évidemment, Ptolémée devait encourager cette alliance, afin que le représentant de sa cause en Grèce accrût d'autant sa puissance, et Agathocle était trop occupé avec ses luttes en Italie pour accorder aux affaires de Grèce toute l'attention qu'avait dû souhaiter Ptolémée en lui donnant sa fille.

[64] SYNCELL. ap. MÜLLER, Fr. Hist. Græc., III, p. 695. PORPHYR. ap. EUSEB., I, p. 232 éd. Schœne. On a fait observer plus haut que c'était une fille d'Eurydice, la sœur de Cassandre.

[65] D'après Pausanias (IX, 7, 3), Alexandre est le plus jeune fils de Cassandre, et c'est ce que semble indiquer également Eusèbe (I, p. 232).

[66] Justin (XVI, 1) dit : quod post mortem mariti in divisione inter fratres regni propensior fuisse Alexandro videbatur. Ce partage paraît bien incroyable, et nul autre écrivain n'en parle. Cf. ce que disent : Plutarque, Démétrios, 36 ; Eusèbe, loc. cit. ; Pausanias, loc. cit. De même, dans l'ambassade susmentionnée de Démocharès, il n'est pas question d'un autre roi qu'Antipater.

[67] PLUTARQUE, Pyrrhos, 6, d'après la correction de NIEBUHR [III, 536]. La situation de la contrée résulte d'un texte d'Arrien (I, 7, 5) : la Tymphæa est la région des sources de l'Aoos, et l'Arachthos (Arta) arrose dans son cours supérieur la Parauæa.

[68] D'après Pausanias (I, 11, 6), Pyrrhos se serait emparé de Corcyre par la force des armes.

[69] PLUTARQUE, Pyrrhos, 6.

[70] Diodore (XXI, 7. Exc. Hœsch. p. 491) dit que Démétrios mit à mort Antipater. Justin (XVI, 1) parle aussi de inchoatam inter fratres reconciliationem. Il y a certainement une erreur dans le texte de l'Eusèbe arménien (I, 38, p. 171, éd. Mai) : Alexander autem uxore ducta Lysandra Ptolemæi, coorto sibi bello cum minore fratre Ptolemæo, auxilatorem invocavit Demetrium. D'après AUCHER (p. 328), le texte arménien omet le nom de Ptolémée dans le second membre de phrase, et PETERMANN dit également (p. 231, n° 7) : nec ego vidi in exemplari Venetiis asservato.

[71] PLUTARQUE, Démétrios, 37. JUSTIN., XVI, 1. Pausanias (IX, 7, 3) explique les choses d'une façon singulière, en disant qu'Antipater tua sa mère parce qu'elle lui préférait son jeune frère, mais que celui-ci appela Démétrios et se défit par lui de son frère Antipater. Cependant, cette divergence peut bien n'être que l'effet d'une narration trop écourtée, où Pyrrhos n'est même pas mentionné.

[72] Ces Macédoniens doivent être l'armée d'Alexandre. Ce prince avait eu besoin de cette escorte, non seulement pour sa dignité et pour le cas où son projet d'assassinat aurait réussi, mais parce que c'était à l'armée de décider entre les prétendants au trône.

[73] JUSTIN., XVI, 1.

[74] JUSTIN., XVI, 2, 4.

[75] PLUTARQUE, Démétrios, 37.

[76] Il est clair, par conséquent, qu'il y avait alors un κοινόν des Béotiens, ou qu'il se reforma à l'occasion de ce soulèvement.

[77] POLYÆN., III, 7, 2.

[78] PLUTARQUE, Démétrios, 39. DIODORE, XXI. Exc. de virt. et vit., p. 559.

[79] Ce que dit Pausanias (I, 29, 7) ne peut trouver place qu'à cette époque. J'associe au texte de Pausanias celui de Polyænos (V, 17) : il y est dit, il est vrai, que Démétrios se trouvait vers le même temps περί τήν Λυδίαν, mais c'est certainement une erreur. Il ne pourrait être question que de l'expédition de 287 ; mais, à ce moment-là, Pyrrhos était déjà allé à Athènes ; la garnison était déjà expulsée et la liberté de la ville reconnue par Démétrios lui-même. Il est bien possible qu'il y ait eu, dans l'auteur dont Polyænos s'est servi, un nom comme celui de Λουδίας, le fleuve de Macédoine.

[80] DIODORE, Exc. Vatic., XXI. p. 44 (XXI, 6, éd. Dindorf). On reconnait la place chronologique de ce fragment par la citation qui est faite des derniers mots, dans les Exc. Hœsch., p. 491 (DIODORE, XXI, 8) ; du moins, les anciennes éditions de Dindorf répètent ces paroles dans le second passage.

[81] PLUTARQUE, Vit. X Orat., p. 850 d. — DION., Dinarch., 2. Cf. PHOT., p. 496 b. 27 éd. Bekker. La date peut être déterminée assez exactement. Dinarque s'était enfui d'Athènes en septembre 307 ; de là au mois d'août 292, il s'était par conséquent écoulé près de 15 ans. Comme c'est sous l'archontat de Philippos que Dinarque et les autres exilés reçurent la permission de rentrer, Philippos doit être l'éponyme de Ol. CXXII, 1, année qui commença dans l'été de 292. Nous avons trouvé exacte jusqu'à l'archontat de Nicostratos (Ol. CXXI, 2) la liste d'archontes dressée par Denys ; pour les deux années suivantes jusqu'à Philippos (Ol. CXXI, 3-4), elle ne donne qu'un seul nom, Olympiodoros, un archonte dont l'année figure sur un décret en l'honneur du poète Philippide (C. I. ATTIC., II, n° 302). Le document en question ne suffit pas pour décider si l'archontat d'Olympiodoros doit être placé en Ol. CXXI, 3 ou CXXI, 4.

[82] L'opinion adoptée ici, à savoir que c'est bien maintenant, et non pas dès 299 que le Musée a été occupé et fortifié par Démétrios, se fonde sur un passage de Pausanias (I, 25, 5). En face de ce témoignage exprès, qui fait mention de la guerre intervenue entre les deux occupations, l'allégation sommaire de Plutarque (Démétrios, 34) a bien peu de valeur.

[83] DIODORE, XXI, 11, texte tiré des Exc. de virt. et vit., p. 257. Un passage des mêmes Excerpta (p. 258) parle de la clémence de Démétrios envers Thèbes vaincue. C'est le seul point de repère chronologique que nous ayons pour cette guerre des Gètes ; encore ne peut-il nous apprendre qu'une chose, à savoir que la guerre a eu lieu avant 202, mais non pas si elle a duré deux ans ou plus. En rapprochant un passage de Justin (XVI, 1, 19) : Lysimachus cum bello Dromichætis premeretur, d'un autre passage du même auteur (XVI, 2, 4) et d'un texte de Plutarque (Démétrios, 39 sub fin.), on arrive à cette conclusion, que l'expédition d'Agathoclès se place avant la paix conclue en Macédoine (294). On voit par Plutarque que Lysimaque fut fait prisonnier après la victoire de Démétrios sur Thèbes, par conséquent vers 291/0.

[84] Agathoclès est le fils de la princesse odryse que Polyænos (VI, 12) appelle Macris, un nom que PALMERIUS voulait transformer en Amastris, contre le témoignage de Pausanias (I, 10, 4).

[85] Diodore (XXI, 11) dit : συμπεφρονηκότων άπάντων σχεδόν τών δυνατωτάτων βασιλέων καί συμμαχούντων άλλήλοις. C'est une opinion que les Gètes n'auraient pas eue si Pyrrhos eût déjà envahi la Macédoine, ou même si Démétrios y eût été le maitre. On serait tenté de placer cette expédition d'Agathoclès avant la bataille d'Ipsos, mais il y a deux raisons qui en empêchent, d'abord, l'expression de Diodore (βασιλέων), que l'on ne pouvait pas employer tant qu'Antigone était au pouvoir, et ensuite, le fait que l'événement en question ne se trouve plus dans le livre XX.

[86] JUSTIN, XVI, 1, 19. TROGUE, XVI (les mss. donnent Doricetes). Justin dit : tradita ei altera parte Macedoniæ, quæ Antipatro genero ejus obvenerat, pacem cum eo fecit.

[87] Justin, Trogue-Pompée, Memnon, Polyænos, l'appellent roi des Thraces : seul, Strabon (VII, p. 302 et 305) le dit roi des Gètes, et Suidas (s. v. άναδρομή) roi des Odryses.

[88] Memnon (c. 5, 1) et Polyænos (VII, 25) ne sont pas exempts d'erreurs de détail. Polyænos dit : Dromichætès était roi des Thraces, Lysimaque, des Macédoniens. Le Macédonien porta la guerre en Thrace. Le Thrace trompa le Macédonien. Son général Æthès alla spontanément trouver Lysimaque..... Dromichætès le surprit et tua Lysimaque lui-même, et tous ceux qui étaient avec lui. Il périt 100.000 hommes. MAASWYK substituait au nom d'Æthès celui du prince odryse Seuthès (correction adoptée par WÖLFFLIN). S'il existait alors un prince odryse, c'était celui que l'on connait par une seule et unique monnaie. Cette médaille, entrée avec la collection Prokesch dans le Museum de Berlin, est un tétradrachme qui offre tout à fait le type des monnaies d'Alexandre de la cinquième classe ; au revers, à côté de Zeus assis, la légende ΚΕΡΣΙΒΑΥΛ ΒΑΣΙΛΕ, et sous le trône, le monogramme ΚΙ (peut-être identique au monogramme 184 de L. MÜLLER, Münzen des Lysimachos).

[89] DIODORE, XXI, 12, 2.

[90] PLUTARQUE, De ser. num. vind., 11 (IV, p. 18, éd. Tauchnitz). De sanit. tuend., 9 (I, p. 293, éd. Tauchn.). C'est là l'άναδρομή dont parle un prétendu fragment de Polybe (fr. 16).

[91] PLUTARQUE, Démétrios, 39. La seconde défection de Thèbes étant donnée comme la conséquence immédiate de ces événements, on peut ainsi fixer l'expédition de Lysimaque chez les Gètes à la date de 291.

[92] DIODORE, XXI, 12. STRABON, VII, p. 302. MEMNON ap. PHOT., V, 1. Pausanias (I, 9, 7) dit que, suivant les uns, Agathoclès seul, suivant les autres, Lysimaque seul avait été fait prisonnier.

[93] PLUTARQUE, Démétrios, 39. 40. DIODORE, XXI, 14.

[94] PLUTARQUE, Démétrios, 46. Voir un renseignement instructif dans une inscription datée du 12 Métagitnion (fin août 289) de l'archontat de Thersippos (C. I. ATTIC., II, n° 308).

[95] La chronologie de ces événements est incertaine. On voit par Plutarque que la seconde prise de Thèbes a eu lieu avant l'automne 290 (Ol. CXXII, 3, fête des Pythia). C'est un passage qui, de toute manière, est corrompu. Comme le siège de Thèbes dura assez longtemps, on peut supposer qu'il a commencé à l'automne 291, et placer la captivité de Lysimaque au printemps de la même année.

[96] PLUTARQUE, Démétrios, 40.

[97] C'est le même Oxythémis, fils d'Hippostratos, auquel les Athéniens avaient conféré, une dizaine d'années auparavant, le droit de cité (C. I. ATTIC., n° 243).

[98] Ces curieux renseignements se trouvent dans Diodore (XXI, 15), et l'exactitude en est confirmée par certains incidents survenus à la cour de Syracuse.

[99] Par conséquent, Antigone devait être déjà morte à cette époque.

[100] Plutarque (Pyrrhos, 10) dit : ταΐς βαρβάροις γυναιξίν, c'est-à-dire les deux déjà nommées. La fille du prince de Péonie doit être une sœur de l'Ariston dont il sera question ci-après. Il parait impossible que le père de Bircenna soit le même Bardylis qui avait déjà 90 ans quand il combattait contre Philippe (LUCIAN., Macrob., 10). Ne serait-ce pas un petit-fils de Bardylis, fils et successeur du prince Clitos, qui se serait appelé également Bardylis ?

[101] C'est pour cette expédition en particulier que Démétrios parait avoir projeté le percement de l'isthme de Corinthe (STRABON, I, p.54. PLINE, IV, 4 § 10).

[102] D'après Strabon (V, p. 232), qui associe ensuite d'une façon bizarre à cet incident la mention du temple dédié aux Dioscures sur le Forum.

[103] PLUTARQUE, Démétrios, 41. C'est en cette circonstance qu'il faudrait placer la dévastation de l'Étolie par Démétrios, dont parle Strabon (X, p. 451) si la leçon du cod. Medic. 2 (Πολιορκητοΰ au lieu de Αίτωλικοΰ) avait sa raison d'être ; mais la Vulgate est probablement plus exacte.

[104] Arrien (Ind., 18) cite parmi les triérarques de la flotte de l'Indus Pantauchos, fils de Nicolaos d'Aloros ; il est possible que ce soit précisément le personnage en question.

[105] PLUTARQUE, Pyrrhos, 7. Démétrios, 41.

[106] PLUTARQUE, Démétrios, 41.

[107] On reconnaît à certaines expressions de Plutarque un emprunt fait à Douris (ap. ATHEN., XII, p. 535).

[108] SCHORN (Geschichte Griechenlands, p. 20) a raison de conjecturer que, si Démétrios tenait ainsi l'ambassade à distance, c'est qu'il ne voulait ni renier ni tenir une promesse importante faite par lui, la promesse de délivrer Athènes de sa garnison.

[109] PLUTARQUE, Démétrios, 42.

[110] Plutarque (Pyrrhos, 10), faisant allusion à la victoire remportée sur Pantauchos, dit : όλέγω δέ ΰστερον... ένέβαλε.

[111] PLUTARQUE, Démétrios, 43. Pyrrhos, 10.

[112] Peut-être la guerre de Corcyre, pour laquelle Tarente envoie des vaisseaux au secours de Pyrrhos (PAUSANIAS, I, 12, 2), a-t-elle été entreprise après cette paix ; car il fallait bien qu'il commençât par reprendre Corcyre.

[113] La fin d'Agathocle est racontée d'une façon tout à fait différente dans Justin (XXIII, 2) et dans Diodore (XXI, 16). On voit par Justin qu'Agathocle, rentrant malade de son expédition contre les Bruttiens (291), renvoya dans son pays la princesse égyptienne avec ses deux enfants. Ce n'était pas, à coup sûr, pour leur épargner le malheur qui semblait les menacer ; au contraire, depuis les relations qu'il avait nouées avec Démétrios, Agathocle était La fin d'Agathocle est racontée d'une façon tout à fait différente dans Justin (XXIII, 2) et dans Diodore (XXI, 16). On voit par Justin qu'Agathocle, rentrant malade de son expédition contre les Bruttiens (291), renvoya dans son pays la princesse égyptienne avec ses deux enfants. Ce n'était pas, à coup sûr, pour leur épargner le malheur qui semblait les menacer ; au contraire, depuis les relations qu'il avait nouées avec Démétrios, Agathocle était en état d'hostilité vis-à-vis de l'Égypte, et c'est parce qu'il voulait assurer le trône à son fils Agathocle qu'il renvoya les in spem regni susceptos filios de Théoxena. — Il est certain qu'Oxythémis se conduisit réellement de la façon indiquée ci-dessus, car Diodore assure qu'il porta sur le bûcher Agathocle mis en un état effroyable par le poison de Ménon, mais vivant encore.

[114] PLUTARQUE, Démétrios, 43.

[115] PLINE, Hist. Nat., XVI, 40, § 203.

[116] MEMNON ap. PHOT., p. 225 b. 32, éd. Bekker (Fr. Hist. Græc., III, p.534).