Léonnatos et Eumène. - Perdiccas et Eumène marchent contre la Cappadoce. -
Perdiccas contre les Pisidiens. - Néoptolème et Eumène. - Nicæa. - Cléopâtre.
- Cynane et Eurydice. - Fuite d'Antigone. - Ptolémée. - Perdiccas fait ses
préparatifs de guerre. - Départ d'Antigone avec ses troupes. - Guerre en
Asie-Mineure. - Mort de Cratère et de Néoptolème. - Les Étoliens contre Polysperchon.
-Puissance de Ptolémée. - Cyrène au pouvoir de Ptolémée. - Expédition de
Perdiccas contre l'Égypte. - Mort de Perdiccas. - Ptolémée à l'armée royale.
- Jugement des partisans de Perdiccas. - Intrigues d'Eurydice. - Rébellion de
l'armée. - Antipater gouverneur général.
Les renseignements relatifs à l'époque des Diadoques qui
sont parvenus jusqu'à nous ne nous montrent jamais que l'agitation incessante
et la désorganisation dont le monde est travaillé ; nulle part il n'est
question d'éléments fixes et modérateurs, du vaste ensemble qu'ébranle ce
mouvement et de la lenteur avec laquelle il s'opère.
Il y avait cependant de ces éléments inertes et
résistants. Ce n'est pas seulement le caractère passif et le génie propre des
peuples orientaux, dont il nous a été conservé au moins un exemple frappant
dans les décrets des prêtres égyptiens, à l'époque où Ptolémée portait encore
le titre de satrape ; mais chez les dominateurs aussi, il y a des habitudes
et des formes, des forces conservatrices qui ne sont domptées que peu à peu
par les progrès de la décomposition.
Le peuple macédonien et son armée gardent un penchant
prononcé pour la monarchie, surtout pour l'ancienne dynastie indigène, et les
règnes glorieux de Philippe et d'Alexandre ont donné à ce sentiment tout
national une forme bien nette, qui ne s'effacera plus. Avant tout, l'armée a
ses grands souvenirs ; elle conserve une habitude du commandement et de
l'obéissance qui persiste malgré les mutineries et les révoltes passagères.
Il y a plus : chaque arme a ses traditions particulières, ses distinctions et
ses droits ; les différents corps ont chacun une organisation fermée et
constituent comme autant de communautés démocratiques : tout cela ne rend
peut-être pas les troupes plus faciles à manier, mais leur donne une plus
grande force d'action et de résistance. La soldatesque, comme au temps de
Wallenstein et de Banner, forme, en dehors et en dépit de la politique, une
puissance avec laquelle doit compter celui qui dirige les affaires.
Alexandre a su dominer et employer avec une entière
liberté cet instrument ; il s'entendait à manier la masse des soldats aussi
bien que les officiers des grades les plus élevés, et c'est là une preuve
plus convaincante que bien d'autres de la supériorité de son génie, de la
puissance absorbante de son esprit et de sa volonté. Les désordres qui
suivirent sa mort montrent tout ce qu'il avait su contenir et réprimer de
passions violentes et explosives chez ses hipparques, ses stratèges, ses
gardes du Corps et ses satrapes. Ces désordres mêmes permettent de juger
combien le système fondé par lui était bien conçu. Les formes de son empire
durèrent longtemps après sa mort, plus longtemps que ne l'eût fait supposer
la désastreuse faiblesse de ceux qui portèrent après lui le nom de roi. Ce
n'est pas un roi qui succédait au conquérant : Un
enfant et un imbécile, comme dit le vers allemand, allaient le
remplacer.
Qu'il nous soit permis de citer ici par anticipation un
trait à l'appui de nos allégations. Certainement chacun des satrapes, des
stratèges et autres grands d'Alexandre aspirait à une domination
indépendante, à une puissance personnelle. Si les uns hésitaient en calculant
à froid, si les autres étaient arrêtés par la crainte d'un voisin plus
puissant, d'autres enfin par le danger d'un premier pas, tous avaient la même
convoitise, une convoitise qui croissait à mesure que le succès devenait plus
probable. Et cependant, personne n'osa prendre le titre de roi aussi longtemps
que vécurent l'enfant et l'imbécile. Même
après la fin tragique des deux infortunés, six années entières s'écoulèrent (jusqu'en 306) avant qu'un des successeurs crût pouvoir mettre le diadème sur son
front. Il y a plus : dans le dernier siècle de l'empire perse, les satrapes
avaient pris l'habitude de frapper des monnaies portant leur nom[1]. Ce fait ne se
reproduisit plus sous Alexandre, et nous pouvons bien voir là une preuve des
modifications importantes qu'il apporta à la condition des satrapes ; et
cette transformation se maintint, après la mort d'Alexandre, tant que son
empire subsista de nom. Naturellement les satrapes, et certainement aussi les
stratèges, faisaient frapper des monnaies d'or et d'argent, mais à l'effigie
et au nom des rois légitimes. C'est à peine si de petits signes accessoires,
tels que l'aigle de Ptolémée, l'ancre de Séleucos, le demi-lion de Lysimaque,
trahissent l'intention de revenir au système des satrapes battant monnaie.
Encore ces premiers essais ne doivent-ils pas remonter au delà de 311. Sur le
grand nombre des satrapes de l'est et de l'ouest, il n'en est pas un qui se
soit permis des manifestations de cette nature.
Sans doute, les satrapes, tels que les avait institués le
premier partage, avec le pouvoir souverain qu'ils exerçaient dans leurs
provinces, et toute la liberté, en fait de politique intérieure, que leur
laissaient les coutumes de l'État et de la région administrée par eux,
pouvaient arriver à se créer une sorte de principauté territoriale ; mais le
gouverneur général n'en avait pas moins autorité sur eux au nom de l'Empire,
et le droit qu'il avait de les destituer lui donnait le moyen de les
maintenir dans les limites de leurs attributions.
Ce système offrait un grave danger. Nous avons dû supposer
que, loin des délibérations d'où sortit, à Babylone, le régime en question,
la puissance militaire dans les satrapies, qu'Alexandre avait en règle
générale séparée de l'autorité civile et placée à côté des satrapes, était
subordonnée à ceux-ci. Si donc les satrapes avaient le commandement des
forces militaires attribuées à leur territoire, ils trouveraient facilement
l'occasion et le prétexte d'étendre leurs pouvoirs et d'attacher les troupes
à leur personne. Voilà où était le danger sérieux pour l'unité de l'empire.
C'était ce même système qui avait déjà visiblement hâté la dissolution de
l'empire perse. Les efforts du gouverneur général devaient donc tendre à
mettre en vigueur, avec l'armée royale, qui n'avait plus de conquêtes à
faire, ce qu'on pourrait appeler la stratégie
générale de l'empire, et, en vertu de ses fonctions, à prendre des
mesures pour rappeler au pouvoir militaire des satrapes qu'il était à la
disposition de l'empire.
Lors de la répartition des satrapies en 323, il avait été
décidé qu'Antigone et Léonnatos partiraient, l'un de la Grande-Phrygie,
l'autre de la Phrygie
sur l'Hellespont, pour aller, à la tète de leurs armées, soumettre la Paphlagonie et la Cappadoce pour le
compte d'Eumène. Antigone jugea à propos de ne point obéir aux ordres qu'il
reçut à ce sujet. Non seulement cette expédition n'eût été d'aucun avantage
pour lui, mais encore elle l'eût montré dépendant des ordres du gouverneur
général, envers lequel il n'était rien moins que disposé à la soumission. Il
en était autrement de Léonnatos. Ce dernier était parti de Babylone avec des
forces importantes, dans l'intention de terminer tout d'abord la campagne de
Cappadoce, et de se rendre ensuite dans sa satrapie sur les bords de
l'Hellespont. Ce fut pendant qu'il marchait sur la Cappadoce[2] que Hécatée de
Cardia, envoyé par Antipater, vint réclamer son secours. Hécatée était en
outre porteur de lettres secrètes de la part de la royale veuve, Cléopâtre,
sœur d'Alexandre, qui invitait Léonnatos à se rendre à Pella, pour s'assurer
du pays de Macédoine et accepter sa main. Quelle perspective pour l'entreprenant
et ambitieux Léonnatos ! Il renonça sans hésitation à la campagne dirigée
contre la Cappadoce
et fit ses efforts pour déterminer Eumène à prendre part à cette nouvelle
expédition, qui devait, disait-il, préserver l'empire d'un des coups les plus
terribles dont il pût être atteint. Il lui demandait de faire acte de
dévouement à l'empire en mettant de côté, pour le moment, ses propres
intérêts : et d'ailleurs, la lutte terminée en Grèce, on pourrait attaquer
Ariarathe avec d'autant plus de promptitude et de vigueur. Eumène hésitait à
le suivre. Du vivant d'Alexandre, objectait-il, il avait demandé plusieurs
fois que la liberté fût rendue à Cardia, sa patrie. C'était là le motif de la
haine que lui portait Hécatée, qui, on le voyait bien par ce message, était
l'ami le plus dévoué d'Antipater. Il avait donc à craindre qu'Antipater, pour
complaire à Hécatée, ne se crût tout permis contre lui. Sa vie même, il le
craignait, pouvait être menacée dans le voisinage d'Antipater. Alors
Léonnatos lui déclara que les rapports qui unissaient Antipater et Hécatée
n'étaient pas tels qu'il se l'imaginait. Il lui confia que le tyran de Cardia
lui avait fait, de la part de Cléopâtre, des propositions secrètes, ne
tendant à rien moins qu'au renversement du stratège de Macédoine : il lui mit
sous les yeux la lettre de Cléopâtre. Le salut d'Antipater n'était qu'un
prétexte pour passer en Europe ; le but véritable de l'expédition, c'était la
prise de possession de la Macédoine[3].
Eumène ne pouvait plus alléguer la crainte qu'il avait
d'Antipater pour refuser son concours[4] ; mais il était
maintenant en possession d'un secret dont les conséquences devaient avoir sur
les destinées de l'empire une influence incalculable. A quoi lui aurait servi
de passer en Europe avec Léonnatos ? Au contraire, en communiquant les plans
de Léonnatos au gouverneur général, il s'assurait la reconnaissance de ce
dernier. Partout les satrapes s'efforçaient plus ou moins ouvertement de se
soustraire à l'autorité de Perdiccas ; le gouverneur général, d'autre part,
était résolu à faire valoir énergiquement le pouvoir qu'il avait en mains au
nom de l'Empire. Tôt ou tard donc on en viendrait à un conflit ; et le
gouverneur général avait tout intérêt à gagner, en prévision de la lutte qui
se préparait, des amis véritablement dévoués qu'il armerait de la plus grande
puissance possible. Eumène n'était. pas encore en possession de sa satrapie,
et les satrapes, quand bien même il embrasserait leur parti, n'avaient aucun
intérêt à l'aider à s'en emparer. Au contraire, il se pourrait qu'ils eussent
avantage à laisser à Ariarathe, ennemi déclaré de l'empire et par conséquent
du gouverneur général, la puissance considérable dont il disposait. Tels
furent sans doute les motifs qui dictèrent à Eumène sa conduite, conduite qu'on
pourrait presque qualifier de trahison, si l'on considère la franchise avec
laquelle Léonnatos s'était ouvert à lui. Pendant que ce dernier s'imaginait
l'avoir déjà gagné à ses projets, ou du moins espérait l'y gagner bientôt,
Eumène fit charger ses bagages dans le silence de la nuit et quitta
précipitamment le camp avec 300 cavaliers, 200 hommes d'armes et 5.000
talents d'or. Il se rendit auprès de Perdiccas et lui révéla les plans de
Léonnatos. Il s'établit vite entre ces deux hommes des rapports d'autant plus
étroits que leurs intérêts étaient communs. A partir de ce moment, l'habile
Cardien devint le conseiller le plus intime du gouverneur général et son
partisan le plus fidèle[5].
L'important, à cette heure, pour Perdiccas, c'était de
mettre cet ami fidèle et dévoué en possession des provinces qui lui étaient
échues en partage. Une campagne contre Ariarathe venait d'autant plus à
souhait qu'elle lui offrait l'occasion de passer. avec ses troupes en Asie-Mineure,
où les deux satrapes les plus puissants, Antigone et Léonnatos, avaient, avec
une indépendance menaçante, méconnu ses ordres. Au commencement de l'année
322, l'armée royale s'avança. vers la Cappadoce, sous le commandement du roi
Philippe, de Perdiccas et d'Eumène. Ariarathe marcha à leur rencontre avec 30.000
hommes d'infanterie et 15.000 cavaliers. Les Macédoniens Turent vainqueurs
dans deux batailles ; 4.000 Cappadociens furent tués, 5.000 faits
prisonniers, et, dans le nombre, le vieux prince lui-même. On le mit en croix
avec les siens ; les Cappadociens obtinrent leur pardon et la garantie de leurs
droits. Le pays fut donné en satrapie à Eumène, qui prit aussitôt les
dispositions nécessaires et choisit, pour s'assurer la nouvelle satrapie, ses
fonctionnaires civils et militaires parmi ses fidèles[6]. Son intention
était de rester auprès de Perdiccas, tant pour être toujours prêt à
l'assister au conseil et à l'action que pour ne rien perdre de son influence
en demeurant éloigné du camp royal. Aussi quitta-t-il bientôt sa nouvelle
province pour se rendre en Cilicie, où se trouvait cantonnée l'armée royale[7].
On pouvait être alors au printemps de 322. Léonnatos était
déjà tombé dans la lutte contre les Hellènes ; Cratère avait repris la route
de la Macédoine
; Lysimaque, après une lutte courte mais meurtrière contre Seuthès, prince
des Odryses, avait battu en retraite pour se préparer à une nouvelle
expédition[8]
; Antipater se trouvait derrière le Pénée, hors d'état d'exercer la moindre
influence sur les affaires de l'autre côté de l'Hellespont : Perdiccas, qui
avait pris pied en Asie-Mineure par son expédition de Cappadoce, pouvait donc
avancer dans la voie où il s'était engagé ; il pouvait songer à rétablir, par
un exemple sévère, l'autorité de l'empire sur les satrapes. Antigone, dans la Grande-Phrygie,
s'était rendu coupable d'une grave insubordination ; les rois lui envoyèrent
l'ordre de se présenter devant leur tribunal. Perdiccas pouvait compter que
le fier satrape ne viendrait pas et qu'il faudrait avoir recours contre lui à
la force des armes. Pour être tout à fait à portée au moment de la lutte et
s'ouvrir un chemin vers la
Phrygie, il résolut d'entreprendre une expédition contre
les villes de Laranda et d'Isaura, dans cette partie de la Pisidie qui est située
entre la Cilicie
âpre et la Phrygie. Du vivant
même d'Alexandre, les Pisidiens, indomptés dans leurs montagnes, avaient
résisté avec le plus grand succès aux généraux du roi ; il était enfin temps
de les châtier.
Laranda fut prise rapidement et sans peine[9]. La plupart des
habitants furent massacrés, les autres vendus comme esclaves, et la ville
elle-même rasée au niveau du sol. L'armée s'avança ensuite contre la grande
ville, solidement fortifiée, d'Isaura. Une nombreuse garnison la défendait,
et elle était suffisamment pourvue de munitions de guerre et de provisions de
toute sorte. Les Isauriens combattirent pour leur indépendance avec un
courage extraordinaire. Deux fois les assiégés repoussèrent l'assaut, mais
avec de grandes pertes, et il ne leur restait plus assez d'hommes pour garnir
d'une façon suffisante le sommet des remparts. Instruits par la destruction
de Laranda du sort qui les attendait si leur ville était prise, ils
préférèrent préparer eux-mêmes la ruine à laquelle ils ne pouvaient plus
échapper. Ils enfermèrent les vieillards, les femmes et les enfants dans les
maisons, et dans l'ombre de la nuit mirent le feu en plusieurs endroits de la
ville à la fois : puis, pendant que l'intérieur de la ville était en flammes,
tous les hommes en état de porter les armes s'élancèrent sur les remparts
pour les défendre jusqu'au dernier moment. A la lueur de l'immense incendie,
les troupes macédoniennes s'avancèrent, cernèrent les murs et tentèrent un
assaut de nuit. Les Isauriens se battirent avec une valeur peu commune,
forcèrent les ennemis à abandonner l'attaque, puis, descendant des remparts,
ils se précipitèrent ensemble dans les flammes. Le lendemain matin, lorsque
les Macédoniens revinrent, ils entrèrent sans obstacle dans la ville embrasée
et réussirent à arrêter les progrès du feu. Les lieux incendiés furent livrés
au pillage, et, en fouillant les décombres, les Macédoniens trouvèrent une
grande quantité d'or et d'argent dans les cendres de cette cité, naguère si
opulente[10].
Pendant ce temps, Eumène se trouvait dans sa satrapie de
Cappadoce. Perdiccas l'y avait envoyé parce que Néoptolème, satrape de la
province voisine d'Arménie, lui paraissait tout aussi peu sûr qu'Antigone.
Sans doute le satrape d'Arménie, avec son humeur hautaine, avait de grandes
visées ; mais Eumène, par sa prudence et son adresse, réussit à le gagner, ou
du moins à entretenir extérieurement avec lui d'excellents rapports. Eumène
n'en mit pas moins le temps à profit pour faire tous ses préparatifs en vue
d'une lutte imminente. Cette guerre en perspective n'était point populaire
parmi les Macédoniens, et il semblait dangereux de compter uniquement, pour
la faire, sur des troupes si arrogantes et si pleines de morgue militaire. La
province administrée par Eumène avait de tout temps brillé par sa cavalerie.
Le satrape se hâta de former un corps de cavaliers indigènes qui pût, le cas
échéant, tenir tête aux phalanges. Il accorda aux habitants propres au
service de la cavalerie exemption complète d'impôts, donna à ceux dont il
était particulièrement sûr des chevaux et des armes, les encouragea par des récompenses
et des distinctions, et les exerça dans l'art de manœuvrer et de combattre à
l'européenne. En peu de temps, il eut à sa disposition un corps de 6,500
cavaliers parfaitement exercés, si bien que les phalanges elles-mêmes,
étonnées, se montrèrent immédiatement plus disposées à servir[11].
De son côté, Perdiccas se préparait d'autre façon à la
guerre qui menaçait. Naturellement, le satrape de Phrygie entretenait avec
Antipater d'amicales relations. Ce dernier venait de soumettre heureusement
les Grecs ; uni à Cratère, il commandait alors à des forces considérables et
disponibles. C'était pour Antigone un point d'appui, et une réserve qui
pouvait lui paraître parfaitement sûre. C'est sans doute pour lui enlever cet
appui que Perdiccas demanda à Antipater la main de sa fille. Elle arriva en
Asie, accompagnée d'Archias et d'Iollas, pour l'épouser[12].
Mais ce plan fut traversé par une intrigue de la reine Olympias,
qui détestait Antipater avec toute la violence de son âme passionnée. Après
sa haine, ce qui lui tenait le plus au cœur, c'était l'orgueil de la
domination et la puissance de la maison royale. Elle voyait clairement les
efforts que faisaient Antipater et les autres gouverneurs pour arriver à un
pouvoir indépendant. Ses sympathies devaient être pour Perdiccas, qui,
quelles que fussent ses intentions pour l'avenir, travaillait à maintenir la
majesté et l'unité de l'empire. Assisterait-elle à présent, tranquille, à la
réconciliation des deux grands représentants des tendances opposées ? Si
Perdiccas abandonnait jamais la cause des rois, du moins ne fallait-il pas
que ce fie en faveur d'Antipater. Aussi la reine, vers l'époque où Nicæa se
rendait en Asie, fit-elle offrir au gouverneur général la main de sa fille
Cléopâtre, veuve du roi d'Épire. C'était le meilleur moyen, lui semblait-il,
de lier les intérêts du puissant gouverneur général sinon à la fortune des
rois, du moins à celle de la maison royale.
Perdiccas et son conseil pesèrent longtemps et mûrement
cette proposition. D'un côté, on pouvait objecter que Perdiccas, par ce
mariage, se lierait les mains. Pour ajouter au pouvoir suprême qu'il possédait
déjà en fait dans l'empire le nom et les insignes de ce pouvoir, point
n'était besoin de chercher le vain prétexte de droits légitimes ; mieux
valait se fortifier par une alliance avec Antipater. Sans doute, une union
avec la famille royale donnerait aussi de grands résultats, des résultats
même plus grands certainement, mais plutôt au profit de la famille royale
qu'à celui de Perdiccas, car les droits légitimes de Cléopâtre seraient
toujours considérés comme le fondement de sa puissance à lui. D'autre part,
on pouvait alléguer que la puissance du gouverneur général lui venait de ce
qu'il était le représentant de la royauté et de ses droits ; c'est comme tel
qu'il était sûr des Macédoniens, et c'était une situation qu'il ne devait
abandonner à aucun prix. Seule une alliance avec une princesse de sang royal
lui frayait le chemin qui devait le conduire à de plus hautes destinées. Le roi
Philippe Arrhidée, étant bâtard, n'avait que peu de droits au trône, et il
serait facile de détacher de ce prince, l'homme le plus simple d'esprit du
royaume, les Macédoniens qui l'avaient élu dans un moment de précipitation.
Le fils d'Alexandre était l'enfant d'une Asiatique, et, lors du règlement de
la succession, les phalanges avaient fait à plusieurs reprises de cette
origine un sujet d'objections. Donc Cléopâtre, la seule de toute la maison
royale qui fût issue d'un mariage régulier et assorti, restait l'héritière
légitime. Perdiccas possédait déjà le pouvoir dans sa plénitude ; dès qu'il
serait l'époux de Cléopâtre, les Macédoniens le reconnaîtraient sans peine
pour maître et pour roi.
Perdiccas se décida à épouser pour le moment Nicæa, ne
voulant pas se brouiller avant l'heure avec Antipater, qui se trouvait alors
tout-puissant par suite de la soumission des Hellènes. Il savait parfaitement
qu'il existait, entre Antipater d'une part et Antigone et Ptolémée de
l'autre, une union très étroite, et qu'il lui serait peut-être impossible, si
Antipater se déclarait pour eux, de maintenir les gouverneurs sous le joug.
Son dessein était de tomber à l'improviste sur le satrape de Phrygie, qui ne
pourrait de si tôt, vu l'éloignement, recevoir du secours d'Égypte ; de se
déclarer ensuite ouvertement l'adversaire d'Antipater en épousant Cléopâtre,
et de passer en Europe pour y faire valoir tous les droits que semblerait lui
conférer son mariage avec la seule héritière légitime de la maison royale[13].
Ces desseins, si grandioses et si bien conçus en
apparence, furent inopinément menacés, et c'est du sein même de la maison
royale que s'éleva le danger.
Le roi Philippe, devenu régent au nom du fils mineur de
son frère et harcelé par des chefs illyriens, avait jadis épousé, lui aussi,
une Illyrienne. De cette union était née Cynane, une fille qu'il avait
mariée, dès qu'elle fut en âge, à cet Amyntas qui aurait dû obtenir la
royauté. Amyntas lui-même était un personnage insignifiant ; mais ses droits
pouvaient servir de prétexte à ceux qui, après l'assassinat de Philippe,
avaient conspiré pour écarter Alexandre de la succession au trône.
Lorsqu'Alexandre revint de sa première expédition en Grèce, on découvrit des
complots dans lesquels le nom d'Amyntas jouait un rôle : il fut condamné et
exécuté. Cynane lui avait donné une fille, Adéa[14] ou, comme on
l'appela plus tard, Eurydice. Alexandre fiança la jeune veuve au prince des
Agrianes, Langaros, qui lui était resté fidèle dans les pénibles luttes de
l'année 334 ; mais Langaros mourut avant que les noces fussent célébrées, et
Cynane désormais préféra rester veuve.
Elle avait dans les veines le sang ardent de sa mère,
l'Illyrienne. Elle suivait l'armée à la guerre ; les aventures et les
expéditions étaient ses délices, et plus d'une fois elle prit personnellement
part aux combats. Dans une guerre contre les Illyriens, elle tua leur reine
de sa propre main et ne contribua pas peu, en poussant une charge furieuse
dans les rangs ennemis, au succès de la journée. De bonne heure, elle avait
dressé sa fille Eurydice aux armes et lui avait donné l'habitude des
expéditions guerrières. Cette princesse de quinze ans, belle, impérieuse,
belliqueuse comme elle l'était, héritière de la couronne soustraite à son
père par son grand-père, parut à sa mère un moyen tout trouvé de rentrer sur
la scène du monde, d'où les intrigues d'Antipater l'avaient écartée.
Brouillée avec ce dernier et avec son parti, il lui
fallait chercher parmi les adversaires de son ennemi à qui offrir, avec la
main de sa fille, ses hautes prétentions. Puisque Cléopâtre projetait, par
son mariage avec le puissant gouverneur général Perdiccas, d'exercer dans
l'empire une influence souveraine, il ne lui restait plus, à elle, qu'à se
créer un tiers parti entre le gouverneur général et les satrapes. Ce fut au
roi Philippe qu'elle résolut de conduire sa fille. Brusquement elle partit de
la Macédoine
à la tête d'une petite troupe, se dirigeant en toute hâte vers le Strymon ;
mais Antipater s'y était porté avec des troupes pour l'arrêter[15]. La lance à la
main, elle et sa fille chargèrent les lignes ennemies, qui furent rompues.
D'autres postes qui cherchèrent à lui barrer le chemin furent également
culbutés, et cette expédition bizarre traversa sans encombre l'Hellespont,
entra en Asie et continua sa route vers le camp du roi. Perdiccas envoya des
troupes à sa rencontre sous le commandement d'Alcétas, avec ordre d'attaquer
la reine partout où il la trouverait, et de la ramener morte ou vive. Mais,
en présence de cette princesse courageuse, de la fille de Philippe, les Macédoniens
refusèrent de combattre[16] ; ils
réclamèrent la fusion des deux armées et le mariage de la jeune princesse
avec le roi. Il était temps qu'Alcétas exécutât les ordres sanguinaires qu'il
avait reçus. En vain Cynane rappela-t-elle avec une éloquence hardie sa
naissance royale, la noire ingratitude d'Alcétas et de Perdiccas et la
trahison dont on l'avait enveloppée ; Alcétas, conformément aux ordres de son
frère, la fit mettre à mort. L'armée exprima hautement son mécontentement,
qui menaçait de dégénérer en révolte ouverte contre le gouverneur général, et
on ne l'apaisa qu'à grand peine, en fiançant Eurydice à Philippe Arrhidée.
Perdiccas espérait, après s'être débarrassé de la mère, venir facilement à
bout de la fille. La jeune princesse fit son entrée dans le camp royal, et la
puissance de Perdiccas parut sortir de ce péril plus grande et mieux
affermie. Eurydice était à sa portée ; le sort de cette princesse était entre
ses mains. Il semblait toucher à son but suprême, quand un événement
inattendu vint hâter le dénouement.
Perdiccas avait espéré qu'Antigone, cité devant un
tribunal macédonien, refuserait de se rendre à cette sommation et fournirait
ainsi l'occasion de procéder contre lui avec toute la rigueur que mérite un
rebelle déclaré, auquel cas il n'était point douteux que le satrape ne fût
écrasé par les forces du gouverneur général. Antigone avait promis de se
présenter et de fournir les preuves de son innocence ; puis, secrètement, il avait
quitté sa satrapie avec son fils Démétrios et ses amis, avait gagné la côte,
et, montant sur des vaisseaux athéniens qui se trouvaient dans ces parages[17], s'était rendu
en Europe auprès d'Antipater. Les choses tournaient au gré de Perdiccas. Sans
doute, le sort du satrape coupable, auquel il s'apprêtait à infliger un juste
châtiment, était maintenant un objet de pitié, même pour l'armée, qui n'avait
que trop l'habitude de raisonner et de critiquer, ce dont elle ne se fit pas
faute à cette occasion. Aux yeux des soldats, Antigone passait maintenant
pour une victime injustement poursuivie. Il avait raison, le noble satrape,
quand le sanguinaire gouverneur général n'avait pas respecté même les membres
de la famille royale, de ne pas vouloir confier sa vie à un tribunal qui,
évidemment, ne serait pas convoqué pour l'amour de la justice. La fuite
d'Antigone en Europe présageait, disait-on, à l'empire de grandes luttes
intestines ; il ne s'était risqué à prendre la fuite qu'avec la certitude que
Cratère, Antipater, et d'autres encore peut-être prendraient les armes pour
soutenir sa cause. C'était là précisément ce qu'attendait et désirait le
gouverneur général. Ce n'était plus sa faute alors, à lui, si l'on en
arrivait à une rupture et à une lutte décisive. Cratère et Antipater avaient
bien vaincu les Grecs, mais non les Étoliens, qui tenaient encore la campagne
contre. eux et leur donnaient pleinement à faire. Pour le moment, les deux
satrapes ne pouvaient donc que peu de chose en faveur d'Antigone. Cette
circonstance, qu'il s'était enfui auprès d'eux, servait à établir la preuve
de leur culpabilité et de leur complicité. Il s'agissait de prévenir la
coalition naissante et de les frapper avant qu'ils pussent prendre
l'offensive, et le moyen d'atteindre Antipater en Macédoine même était tout
indiqué par l'offre de Cléopâtre et de sa mère Olympias.
Jusque-là Perdiccas avait continué son jeu vis-à-vis de la
fille d'Antipater. Cette fois, il envoya Eumène, avec de riches présents, à
Sardes, où Cléopâtre s'était retirée. Il lui fit dire qu'il avait résolu, pour
l'épouser, de renvoyer Nicæa à son père[18]. Immédiatement
la reine donna son consentement. Nicæa, répudiée, retourna dans la maison
paternelle.
C'est avec raison que Perdiccas voyait dans le Lagide son
adversaire le plus dangereux. A partir du moment où il avait prit possession
de sa satrapie[19],
Ptolémée s'était préparé à la lutte contre Perdiccas, lutte qu'il
reconnaissait inévitable. Il avait commencé par se débarrasser de l'ancien
gouverneur de l'Égypte, Cléomène, qui, d'après les dispositions prises à
Babylone, devait servir sous lui en qualité d'hyparque. II était naturel, en
effet, que Cléomène, dépouillé de son ancien pouvoir, se rangeât du côté de
Perdiccas[20].
Les exactions effroyables qu'il avait exercées dans sa satrapie fournissaient
assez de motifs de lui faire son procès. Le trésor de 8.000 talents, que
Cléomène avait amassé, fut confisqué par le satrape. Ce dernier s'en servit
aussitôt pour enrôler des troupes, que la gloire de son nom pouvait attirer
en grand nombre, et pour améliorer la situation du pays, que l'administration
rapace de Cléomène avait plongé dans la plus profonde misère[21]. Ptolémée
s'entendait mieux qu'aucun autre des généraux d'Alexandre à gagner
l'affection des peuples qu'il avait à gouverner. Sous son intelligente
direction, et grâce aux dispositions extraordinairement douces pour l'époque
qu'il prit à l'égard des indigènes, le pays se releva rapidement. Le commerce
actif avec les contrées d'outre-mer, qui s'était déjà concentré dans
Alexandrie, offrait à cette contrée, si riche de sa nature, un débouché
avantageux pour ses produits. Ajoutez à cela la position géographique de
l'Égypte, exceptionnellement favorable en cas de guerre. Entouré presque de
tous côtés de déserts dont les rares habitants, des peuplades nomades de Bédouins,
ne constituaient aucun danger, le bassin du Nil n'étant accessible à une
armée de terre que d'un seul côté, le lotie de la côte de Syrie. Encore cette
route offrait-elle à l'ennemi des difficultés sans fin, lui rendant les
communications très pénibles, et, en cas d'insuccès, la retraite presque
impossible. Les forces égyptiennes, au contraire, renforcées de tous les
avantages d'un terrain malaisé et coupé en tous sens, facile à inonder, ayant
constamment à proximité des provisions et des ressources de toute sorte,
trouvant enfin à chaque pas qu'elles feraient en arrière une nouvelle
position aussi solide que la première, n'avaient presque qu'à se tenir sur la
défensive peur être sûres de la victoire. Du côté de la mer, le pays est plus
ouvert à l'invasion : mais il suffit d'une défense tant soit peu bien
organisée pour arrêter l'ennemi sur la côte, et encore l'accès malaisé des
bouches du Nil rend-il un débarquement fort pénible. Alexandrie, le seul
point propre à l'attaque, avait été suffisamment fortifiée par les soins prévoyants
de son fondateur. Par un heureux concours de circonstances, l'Égypte s'agrandit
encore rapidement et sans peine d'un
territoire qui, outre qu'il couvrait ses derrières, était par lui-même de
grande valeur.
Vers l'époque de la mort d'Alexandre, et selon toute
apparence à l'occasion de cet événement, avaient éclaté dans la Cyrénaïque des
troubles à la suite desquels tout un parti de Cyrénéens, chassés de la ville
de Cyrène, se joignirent aux exilés de la ville de Barca et allèrent chercher
du secours à l'étranger. Ils s'unirent à Thibron. Thibron était ce Spartiate qui,
pendant l'automne de 324, s'était rendu avec Harpale, le grand trésorier
d'Alexandre, du Ténare en Crète, y avait assassiné son compagnon, s'était
emparé de ses trésors et avait gardé à son service les 6.000 mercenaires
venus avec Harpale. Appelé par les Cyrénéens exilés, il passa avec ses hommes
en Libye, fut vainqueur dans une rencontre sanglante, et se rendit maitre du
port d'Apollonie, à deux milles de Cyrène ; puis il marcha contre la ville
elle-même, en fit le siège, et contraignit enfin les Cyrénéens à, demander la
paix. Ils eurent à, payer 500 talents et à livrer la moitié de leurs chars de
guerre : en outre, les bannis devaient être réintégrés dans leurs biens. En
même temps, les envoyés de Thibron se rendaient dans les autres villes de la Cyrénaïque,
pour les inviter à s'unir à lui afin de combattre les tribus libyennes
voisines. Deux de ces villes au moins se joignirent à lui : Barca et Euespéria.
En attendant, pour s'attacher les mercenaires, il leur
avait -permis de piller le port. Les marchandises qui s'y trouvaient en
entrepôt et les biens des habitants fournirent un riche butin ; mais,
lorsqu'il s'agit de le partager, des querelles s'élevèrent. Le Crétois
Mnasiclès, un des capitaines de Thibron, homme décidé à tout et arrogant, eut
à rendre compte de sa conduite lors du partage. Il préféra abandonner la
cause de Thibron, et, gagnant Cyrène, il s'y répandit en récriminations sur
la cruauté et la perfidie de son général. A son instigation, les Cyrénéens,
qui n'avaient encore livré que 60 talents, suspendirent les paiements
ultérieurs, déclarèrent nul et non avenu le traité conclu, et prirent de
nouveau les armes. A cette nouvelle, Thibron fit saisir quatre-vingts
citoyens de Cyrène, qui se trouvaient précisément dans Apollonie, et,
renforcé des Barcéens et des Euespériens, alla mettre une seconde fois le
siège devant la ville. La résistance, dirigée par Mnasiclès, fut couronnée de
succès, et Thibron se retira sur Apollonie. Les Cyrénéens se hâtèrent d'aller
avec une partie de leur garnison dévaster les territoires de Barca et
d'Euespéria, et, tandis que Thibron accourait avec le gros de son armée au
secours des deux villes, Mnasiclès fit une sortie avec les Cyrénéens, surprit
Apollonie, se rendit maître du peu de troupes que Thibron y avait laissées et
occupa le port. Ce qu'on y trouva encore de marchandises ou autres biens fut
rendu aux propriétaires ou mis de côté. Thibron n'osa pas marcher tout de
suite sur Apollonie ; il se jeta avec son armée vers Taucheira, dans l'ouest
de la province, avec l'intention d'y faire venir sa flotte et d'aviser
ensuite. Cependant, par suite de la prise d'Apollonie, la flotte était privée
de sa station ; les équipages devaient descendre à terre chaque jour pour se
procurer des vivres, et bientôt il leur fallut pénétrer à l'intérieur des
terres, la côte ne fournissant plus assez de provisions. Les paysans libyens
s'attroupèrent, guettèrent les matelots, en tuèrent un grand nombre et firent
beaucoup de prisonniers. Les autres se réfugièrent sur leurs vaisseaux. Mais,
pendant qu'ils faisaient voile vers les villes amies de la Syrte, il s'éleva une
tempête qui dispersa la flotte et détruisit la plus grande partie des vaisseaux
; le reste fut jeté par les vents et les flots soit du côté de Cypre, soit à
la côte d'Égypte.
La situation de Thibron commençait à devenir critique ;
cependant il ne perdit pas courage. Il envoya des affidés dans le
Péloponnèse, au marché des mercenaires, qui se tenait au Ténare. Quelques
mois auparavant, Léosthène avait enrôlé pour la guerre Lamiaque tous les
soldats qui s'y étaient rassemblés. Pourtant, les émissaires de Thibron y
trouvèrent encore 2.500 hommes qu'ils prirent à leur solde et avec lesquels
ils s'embarquèrent à la hâte pour la Libye. Sur ces entrefaites, les Cyrénéens,
encouragés par leurs précédents succès, avaient risqué le combat contre
Thibron lui-même ; il avait éprouvé une grande défaite. Juste à ce moment,
alors qu'il désespérait déjà de son salut (on
pouvait être au printemps de 322), arrivèrent les troupes fraîches du
Ténare. Immédiatement, il fit de nouveaux plans et conçut des espérances plus
hardies. Les Cyrénéens, de leur côté, se préparaient avec la plus grande
énergie à une nouvelle et inévitable lutte. Ils allèrent chercher des secours
chez tous les peuples libyens des alentours et jusqu'à Carthage[22] ; ils réunirent
Une armée de 30.000 hommes. Une bataille s'engagea. Thibron remporta la
victoire et soumit ensuite les villes de la contrée. Les Cyrénéens, dont les
chefs étaient restés sur le champ de bataille, confièrent à Mnasiclès le
commandement en chef et se défendirent avec la dernière opiniâtreté. Thibron
avait à plusieurs reprises tenté d'enlever Apollonie, et ses troupes
cernaient étroitement Cyrène elle-même. Bientôt la détresse augmenta dans la
cité assiégée ; des troubles
commencèrent à se produire, et le bas peuple, excité selon toute apparence
par Mnasiclès, chassa de la ville les riches, dont une partie passa dans le
camp de Thibron, pendant que l'autre s'enfuyait en Égypte. Ces derniers
informèrent le satrape de ce qui se passait dans la Cyrénaïque
et le prièrent de les ramener dans leur patrie[23].
Rien ne pouvait arriver plus à propos pour lui que cette
demande. Il lui serait facile de remporter la victoire, vu l'état
d'épuisement où se trouvaient les parties belligérantes. Vers l'été de 322,
il envoya en Cyrénaïque, sous le commandement du Macédonien Ophélas[24], un corps
considérable de troupes de terre et de mer. A leur approche, les exilés qui
s'étaient réfugiés auprès de Thibron résolurent de se joindre à elles. Leur
dessein fut découvert, et ils furent tous mis à mort. Les meneurs de la
populace de Cyrène, redoutant les représailles des exilés s'ils rentraient dans
la ville à la suite des Égyptiens, firent à Thibron des propositions de paix
et s'allièrent à lui pour repousser Ophélas. Pendant ce temps, ce dernier se
mettait à l'œuvre avec toute la prudence requise. Il envoya un détachement
contre Taucheira, sous le commandement d'Épicycle d'Olynthe, et se dirigea
lui-même sur Cyrène. Il rencontra Thibron : celui-ci, complètement défait,
s'enfuit vers Taucheira, où il espérait trouver un abri, et tomba entre les
mains d'Épicycle. Ophélas chargea les Taucheirites du soin de le châtier. Ils
le battirent de verges, le traînèrent ensuite à Apollonie, qu'il avait si
cruellement ravagée, et finalement le mirent en croix[25]. Les Cyrénéens,
cependant, résistaient toujours. Ophélas ne put venir à bout ;d'eux qu'à
l'arrivée de Ptolémée lui-même qui, à l'aide de ses troupes fraîches,
s'empara de la ville et annexa la province à sa satrapie[26].
C'était un grand avantage que d'avoir conquis des pays
grecs, mais c'en était un plus grand encore quo de s'être présenté à eux
comme un véritable sauveur, en mettant fin à une effroyable anarchie. Le nom
de Ptolémée fut dès lors célébré au loin dans tout le monde grec, et déjà,
depuis les campagnes d'Alexandre, il était populaire au plus haut degré chez
les Macédoniens. On dit que, plus la guerre semblait à prévoir entre lui et
l'armée royale, plus le nombre augmentait de ceux qui accouraient à Alexandrie
pour entrer à son service, tous prêts, quelles que
fussent la grandeur et l'évidence du danger pour lui, à sacrifier leur vie
pour son salut. Le bruit courait qu'il était seulement de nom le fils
de Lagos, mais qu'en réalité il était fils du roi Philippe. En effet, il
avait dans le caractère, dans les manières, quelque chose qui rappelait le
fondateur de la puissance macédonienne. Seulement il était plus doux, plus
affable, et se montrait toujours plein d'égards. Nul, parmi les successeurs
d'Alexandre, ne sut mieux que lui conserver par la modération et accroître,
tout en sauvant les apparences, la puissance que sa bonne étoile lui avait
fait échoir ; nul ne sut avec plus de perspicacité s'arranger de façon à se
faire soulever et porter plus loin par le flot montant. On peut dire que, dès
le commencement, il reconnut que la tendance de l'époque était de transformer
le royaume en une série de petits États indépendants, et il sut en faire la
base de sa politique. Son pouvoir fut le premier qui se transforma en État
dans le sens des nouvelles idées, et il resta jusqu'au bout le chef et l'âme
de cette tendance qui devait assez tôt prévaloir dans l'empire. C'est dans
cet esprit que fut conclue son alliance avec Antipater, alliance qui, à
l'issue de l'année 322, était devenue bel et bien une coalition contre le
gouverneur général.
Déjà les malentendus entre ce dernier et les potentats de
l'Occident commençaient à prendre un caractère plus sérieux ; déjà Perdiccas
avait pris possession de la
Cappadoce pour le compte d'Eumène et cité Antigone de
Phrygie à son tribunal. Antigone alors s'était enfui en Europe, peut-être
déjà d'accord avec Ptolémée, ainsi que le fait présumer ce qui arriva par la
suite.
Lors de la grande convention de Babylone, pendant l'été de
323, il avait été décidé que le corps d'Alexandre serait transporté en grande
pompe dans le temple d'Ammon. L'organisation et la direction du convoi devaient
être confiées à Arrhidæos.
A la fin de l'année 322, tous les préparatifs étaient
terminés ; le gigantesque char, destiné à recevoir le cercueil royal, avait
été construit avec une magnificence incomparable. Sans attendre l'ordre du
gouverneur général, Arrhidæos partit de Babylone[27]. Le char funèbre
s'avançait accompagné d'un immense et solennel cortège ; de près et de loin
une foule innombrable accourait sur la route qu'il suivait, soit pour admirer
la splendeur du catafalque et du convoi, soit pour rendre les derniers
honneurs au grand roi. C'était une créance générale parmi les Macédoniens que
le corps du roi, comme jadis celui de l'Œdipe thébain, aurait ce pouvoir
merveilleux de faire du pays où il reposerait dans la tombe une terre
prospère et puissante entre toutes. Cet oracle avait été rendu par le vieux
devin Aristandre de Telmesse, peu après la mort du roi[28].
Que Ptolémée partageât cette croyance ou qu'il désirât
l'exploiter à son avantage, peu importe ; il avait sans doute d'autres motifs
encore pour s'entendre avec Arrhidæos et l'engager à partir sans les ordres
du gouverneur général. Il pouvait redouter que Perdiccas, pour donner plus de
solennité au convoi, n'accompagnât le corps en Égypte avec l'armée royale.
C'en était fait de sa situation dans les provinces à lui confiées, s'il s'y
montrait une autorité plus grande que la sienne, une force militaire sous un
commandement autre que le sien[29]. Ainsi qu'il
avait été convenu avec Ptolémée, Arrhidæos conduisit le cortège funèbre à
Damas. En vain Polémon, général de Perdiccas, qui se trouvait près de là,
voulut s'y opposer ; il ne put faire respecter les ordres précis du
gouverneur général. Le convoi funèbre traversa Damas, se dirigeant vers
l'Égypte. Ptolémée, pour rehausser la pompe des funérailles, alla avec son
armée jusqu'en Syrie au-devant des cendres royales. On les conduisit à Memphis,
pour y reposer jusqu'à ce que le splendide mausolée qui devait servir, à
Alexandrie, à la sépulture des rois fût en état de les recevoir[30].
Arrhidæos avait quitté Babylone de son propre chef ; le
Lagide était allé à sa rencontre jusqu'en Syrie, et tous deux avaient
poursuivi leur route au mépris des instructions expresses adressées au
stratège Polémon. C'étaient là, des actes de révolte ouverte contre la première
autorité de l'empire, tout aussi coupables que la conduite des gouverneurs
d'Europe à l'égard du satrape fugitif de Phrygie.
Perdiccas assembla ses amis et ses fidèles en conseil de
guerre. Il déclara que Ptolémée avait bravé les ordres des rois au sujet des
restes d'Alexandre, et qu'Antipater et Cratère avaient donné asile au satrape
fugitif de Phrygie. Tous, ils étaient armés pour une lutte qu'ils cherchaient
à provoquer. Il s'agissait de maintenir contre eux l'autorité de l'empire ;
il fallait chercher à les prévenir et à lés battre l'un après l'autre. La
question était de savoir si l'on attaquerait d'abord l'Égypte ou la Macédoine. Les
uns recommandaient de se rendre en Macédoine[31] : c'était le
cœur de la monarchie ; Olympias s'y trouvait, et la population se soulèverait
aussitôt en faveur de la maison royale et de ses représentants. Néanmoins, on
se :décida pour une expédition contre l'Égypte. Il fallait d'abord écraser
Ptolémée, pour l'empêcher, pendant la campagne d'Europe, de se jeter en Asie
à la tête de ses troupes d'élite et de couper ainsi les communications de
l'armée royale avec les provinces du nord. Antipater et Cratère étaient
encore aux prises avec les Étoliens ; on viendrait facilement à bout d'eux
après la chute de Ptolémée.
On était justement au commencement du printemps de l'année
321. Perdiccas se dirigea sur l'Égypte avec les rois et l'armée de l'empire.
La flotte, commandée par Attale, reçut l'ordre de suivre l'armée, pendant que
celle de la mer Égée restait sous le commandement de Clitos, avec mission de
fermer l'Hellespont[32]. Eumène, qui
avait déjà tant de fois fait ses preuves, devait parer une attaque éventuelle
du côté de l'Europe. Ce fut à cette fin, semble-t-il, qu'on lui confia, outre
sa satrapie de Cappadoce, celle de la Petite-Phrygie,
vacante depuis la mort de Léonnatos[33], celle de Carie
qu'avait occupée Asandros, et enfin celles de Lycie et de Phrygie,
abandonnées par Antigone[34]. Il fut nommé
stratège, avec pouvoir absolu, de toutes les satrapies en deçà du Taurus[35]. Le gouverneur
général Plaça son frère Alcétas, Néoptolème, satrape d'Arménie, et le satrape
de Cilicie, Philotas, dont la province fut donnée à Philoxénos[36], sous les ordres
d'Eumène. Il lui laissa nombre de capitaines des plus distingués, avec
quelques troupes, et le chargea de rassembler, dans les satrapies de
l'Asie-Mineure autant d'hommes qu'il pourrait, de s'avancer jusque dans les contrées
que baigne l'Hellespont, et de rendre impossible à l'ennemi toute tentative
de débarquement[37].
En effet, c'était là le point menacé tout d'abord. Vers
l'époque où Perdiccas partait de la Pisidie[38] avec l'armée
royale pour prendre la route d'Égypte, l'armée macédonienne s'avançait à
grandes journées vers l'Hellespont.
Antipater et Cratère avaient résolu de se mettre en marche
dès qu'ils avaient reçu la nouvelle apportée par Antigone, lequel la tenait
de Ménandre, satrape de Lydie, que Perdiccas était sur le point d'épouser
Cléopâtre et de renvoyer la fille d'Antipater. Aussitôt ils conclurent avec
les Étoliens la paix dont il a déjà été question et se rendirent en toute
hâte en Macédoine, pour envahir l'Asie le plus vite possible. Ce fut alors
qu'ils apprirent que Perdiccas était parti pour l'Égypte avec l'armée royale.
Ils envoyèrent à Ptolémée d'Égypte pour l'informer du danger qui les menaçait
tous et lui promettre qu'ils allaient passer l'Hellespont avec toutes leurs
forces, traverser à marches forcées l'Asie-Mineure et la Syrie pour apparaître à
temps sur les derrières du gouverneur général. Il fut décidé que Cratère
recevrait l'hégémonie de l'Asie et qu'Antipater conserverait celle d'Europe[39]. Durant son
absence, Polysperchon serait stratège de Macédoine. Au printemps de 321,
l'armée macédonienne, sous le commandement de Cratère, se trouvait sur les
bords de l'Hellespont : Antipater était avec lui ; Antigone parait-il,
commandait la flotte[40].
Eumène ne pouvait se dissimuler que sa tâche était plus
difficile et plus dangereuse qu'on n'aurait pu le prévoir. A la vérité, les
tentatives faites auprès des Étoliens pour les pousser
[..... ici la page 107 de l'ouvrage est illisible
.....]
volontiers : elles haïssaient Eumène, en sa qualité de
Grec, et étaient dévouées corps et âme à Cratère. Ils n'eurent pas non plus
grand'peine assurément à gagner le navarque Clitos. Ainsi, les généraux franchirent
sans obstacle 1'Hellespont et pénétrèrent en Asie. Ils ne rencontrèrent de
résistance nulle part. Ils réclamèrent et obtinrent de toutes les villes
grecques libres des contingents, absolument comme s'il se fût agi d'une
guerre pour le salut de l'empire contre l'arbitraire et la violence[41]. On eût dit
qu'Eumène abandonnait l'Asie-Mineure à leurs forces supérieures. Le printemps
était passé et les généraux pouvaient avoir déjà pénétré dans la Grande-Phrygie,
lorsque Néoptolème d'Arménie leur envoya un message secret. C'était contre sa
volonté, leur faisait-il dire, qu'il avait embrassé la cause de Perdiccas ;
il était tout décidé à faire cause commune avec Cratère, et il prouverait par
sa conduite envers Eumène que ses propositions étaient sincères. Il chercha à
confirmer ses promesses en attentant perfidement à la vie du Cardien, auquel
il portait une haine profonde. Ses plans échouèrent ; Eumène découvrit la
trahison. Mais, avec sa prudence habituelle, il dissimula, et se contenta
d'intimer au satrape l'ordre de venir immédiatement avec son armée en
Cappadoce. Comme le satrape n'obéit pas, il marcha contre lui en toute hâte ;
Néoptolème, plein de confiance dans l'infanterie macédonienne de son armée,
alla à sa rencontre. Un combat acharné s'engagea : les Macédoniens de
Néoptolème écrasèrent l'infanterie asiatique d'Eumène ; lui-même faillit
perdre la vie. Mais, avec ses excellents cavaliers cappadociens, il remporta
une victoire décisive, s'empara des bagages ennemis, culbuta enfin
l'infanterie macédonienne et la força, après une défaite complète, à mettre
bas les armes et à jurer fidélité à Perdiccas. Cette victoire fut pour Eumène
d'une importance extraordinaire, non seulement parce qu'elle augmentait ses
forces, mais surtout parce qu'il avait, avec une armée asiatique, enfoncé ces
phalanges macédoniennes réputées invincibles. Ses derrières assurés, il
pouvait avec plus de confiance marcher contre Cratère[42].
Déjà des ambassadeurs étaient venus le trouver, lui
apportant de la part d'Antipater et de Cratère les propositions les plus
séduisantes. Les généraux étaient prêts, s'il voulait abandonner la cause du
gouverneur général, non seulement à lui laisser les satrapies qu'il possédait
déjà, mais à y ajouter encore une nouvelle province et à placer une armée sous
ses ordres. On le priait de ne pas rompre d'une façon si malheureuse la
longue amitié qui l'unissait à Cratère. Antipater, de son côté, était disposé
à oublier les anciennes querelles et à devenir pour lui un ami fidèle. Eumène
prit le parti le plus difficile. Il savait bien que, n'étant point Macédonien
de naissance, il ne trouverait de solide appui à sa puissance que dans
Perdiccas ; il ne pouvait que se soutenir et tomber avec le gouverneur
général. Il fit répondre aux généraux qu'il ne commencerait point, pour une
cause injuste, à lier amitié avec celui dont il était l'ennemi depuis tant
d'années, surtout en voyant comment Antipater se comportait envers ceux dont il
s'était longtemps dit l'ami. Quant à son vieux et honoré camarade Cratère, il
était prêt à tout tenter pour le réconcilier avec le gouverneur général. La
cupidité et la trahison gouvernaient le monde ; mais, pour lui, il voulait
servir et servait la bonne cause injustement attaquée, et, tant qu'il
vivrait, il se sacrifierait pour elle corps et biens plutôt que de trahir ses
serments[43].
En même temps que la réponse d'Eumène, et au moment où
l'on délibérait sur les mesures qui restaient à prendre, arriva Néoptolème.
Il avait fui après la perte de la bataille, et, rassemblant autour de lui 300
cavaliers environ, avait gagné à la hâte, par la route la plus courte, le
camp macédonien, où il venait chercher aide et protection. Il rapporta
l'issue du combat. Il était à prévoir, à son avis, qu'Eumène, ne s'attendant
point de sitôt à l'arrivée des Macédoniens, se livrerait avec son armée aux
douceurs de la victoire. D'ailleurs, il ne pouvait pas compter sur ses
troupes : les Macédoniens de son armée avaient pour le nom de Cratère une
telle vénération qu'ils ne consentiraient à aucun prix à combattre contre
lui. Si, sur le champ de bataille, ils entendaient sa voix et reconnaissaient
son panache, ils passeraient à lui avec armes et bagages. Les généraux se
convainquirent qu'il ne fallait point, après la défaite de Néoptolème,
laisser sur leurs derrières Eumène avec des forces qu'il ne serait sans doute
plus difficile d'écraser maintenant. Il fut décidé qu'Antipater prendrait les
devants en Cilicie avec la plus faible partie de l'armée, et que Cratère,
avec 20.000 hommes d'infanterie et 2.000 cavaliers appartenant presque tous
aux troupes macédoniennes, marcherait, accompagné de Néoptolème, sur la Cappadoce, où il
espérait surprendre Eumène au dépourvu. Cratère partit aussitôt et se dirigea
à marches forcées vers la contrée où l'on croyait que campait l'armée
d'Eumène[44].
Ils se trompaient en supposant que le prudent général
croyait tout danger passé. Après sa victoire sur Néoptolème, Eumène était
prêt pour le nouveau combat auquel il devait s'attendre. Il ne devait pas
céder à l'ennemi l'avantage de l'offensive, et son devoir était de ne point
laisser refroidir dans l'inaction et la retraite le courage de ses troupes,
que leur récente victoire n'avait pas peu enflammé. Il eût été dangereux que
ses soldats apprissent le nom de celui qu'ils allaient combattre, et son
premier soin fut de le leur laisser ignorer autant que possible. Sachant que
le nom de Cratère suffirait à décider sa défaite, il fit répandre le bruit
que Néoptolème vaincu, ayant trouvé l'occasion de réunir des cavaliers
cappadociens et paphlagoniens, voulait, de concert avec Pigrès, essayer de
résister[45].
C'est contre cet ennemi qu'il donna l'ordre de marcher. Il
conduisit l'armée par des routes écartées, où aucune nouvelle de l'ennemi ne
pouvait arriver aux siens. Mais qu'adviendrait-il s'il ne remportait pas une
victoire décisive, ou si les troupes s'apercevaient pendant l'action qu'elles
combattaient contre Cratère ! Il ne pouvait se dissimuler que, dans ce cas,
livré à la fureur de ses propres soldats et de ses ennemis, il était perdu
sans ressource. Plusieurs fois il fut sur le point de révéler à ses
confidents et aux officiers supérieurs l'état des choses ; mais n'était-ce
point s'exposer à voir le secret trahi, la seule chance de succès perdue ? Il
prit le parti de se taire et de jouer jusqu'au bout cette partie téméraire.
On devait rencontrer l'ennemi le jour suivant, et tout le
monde encore était persuadé qu'on avait affaire à Pigrès et à Néoptolème. On
raconte que, pendant la nuit, Eumène eut un songe significatif. Il lui sembla
voir deux Alexandres marcher l'un contre l'autre, chacun à la tête d'une
armée rangée en bataille. Athéna se portait au secours de l'un, Déméter au
secours de l'autre. Le parti d'Athéna succomba, et Déméter posa une couronne
d'épis sur le front du vainqueur. Eumène interpréta ce songe en sa faveur.
N'allait-il pas combattre pour le beau pays d'Asie-Mineure, comblé
précisément à l'heure actuelle des bénédictions de Déméter ? tout à l'entour
s'étendaient les champs couverts de moissons mûrissantes. Il apprit en outre
que le mot d'ordre des ennemis était Athéna et Alexandre. Son mot d'ordre à
lui, pour le jour de la bataille, fut Déméter et Alexandre. Il ordonna à ses
troupes de se couronner d'épis, eux et leurs armes : les dieux avaient
annoncé que c'était là le signe de la victoire.
Le matin de la bataille, Cratère prit ses positions sur le
terrain, sachant qu'Eumène se tenait de l'autre côté de la colline. Il
harangua ses troupes, et enflamma, comme il savait le faire, leur ardeur
belliqueuse ; il leur promit de leur laisser piller le camp et les biens de
l'ennemi vaincu. Puis il rangea son armée en bataille. Les phalanges et le
reste de l'infanterie formaient le centre ; la cavalerie, qui devait ouvrir
l'attaque, fut placée aux deux ailes : on présumait que cela suffirait pour
rompre les lignes ennemies. Cratère prit le commandement de l'aile droite et
remit celui de l'aile gauche à Néoptolème.
Eumène, de son côté, avait aussi disposé son armée en
ordre de bataille. Son infanterie se montait bien aussi à 20.000 hommes, mais
elle se composait en majeure partie d'Asiatiques, qui n'étaient pas en état
de tenir tête aux phalanges macédoniennes de l'armée ennemie. C'était sa
cavalerie, supérieure en nombre — il avait dans cette arme 5.000 hommes de
troupes excellentes, quoique jeunes pour la plupart —, qui devait décider du
succès de la journée. Il la répartit sur les deux ailes. Sur la gauche, en
face de Cratère, il plaça deux hipparchies de cavaliers asiatiques, sous le
commandement de Pharnabaze[46] et du Ténédien
Phœnix, avec ordre de charger l'ennemi dès qu'il serait en vue, de ne reculer
à aucun prix, de ne prêter l'oreille à aucun appel de l'ennemi, bref, de ne
rien entendre, même s'il voulait parlementer. Il prit lui-même le
commandement de l'aile droite et rassembla en agéma
autour de lui 300 cavaliers d'élite, afin de combattre en personne contre
Néoptolème.
La ligne des cavaliers d'Eumène franchit au trot, en rangs
serrés, les collines qui coupaient le champ de bataille, et, dès que l'ennemi
fut en vue, ils se précipitèrent au galop, au son retentissant de la musique
militaire et en poussant le cri de guerre. Cratère, voyant avec étonnement ce
qui se passait, exprima à haute voix sa colère contre Néoptolème, qui l'avait
trompé en assurant que les Macédoniens d'Eumène feraient aussitôt défection.
Après avoir exhorté dans une courte allocution ses cavaliers à la bravoure,
il donna le signal de l'attaque. Le choc eut lieu d'abord entre l'aile qu'il
commandait et l'aile opposée de l'ennemi ; il fut d'une violence extrême.
Bientôt les lances furent rompues ; on tira le glaive et l'on combattit avec
un acharnement effroyable. Le succès fut longtemps incertain, par suite de la
supériorité numérique des cavaliers ennemis. Cratère était lui-même au
premier rang, infatigable, au plus épais des ennemis, renversant tout sur son
passage, toujours digne de son ancienne renommée et de son maître Alexandre.
Enfin, l'épée d'un Thrace lui perça le flanc ; il s'abattit avec son cheval ;
les escadrons lui passèrent sur le corps l'un après l'autre sans le
reconnaître : il luttait contre la mort. Ce fut dans cet état que le trouva
et le reconnut Gorgias, un des généraux d'Eumène. Gorgias descendit de
cheval, le déclara son prisonnier et laissa un poste pour le garder. Les
Asiatiques poursuivirent leur charge victorieuse, et les Macédoniens, se
voyant privés de leur chef, se replièrent avec de grandes pertes sur la ligne
des phalanges.
Cependant l'action s'était aussi engagée sur l'autre aile.
Deux fois déjà l'attaque s'était renouvelée ; ce ne fut qu'à la troisième
qu'Eumène et Néoptolème se rencontrèrent. Ils se précipitent l'un sur l'autre
avec une fureur effroyable, essayant de la lance, de l'épée ; à la fin, ils
lâchent la bride sur le cou de leurs chevaux, et, se prenant à bras le corps,
se saisissent par la crinière de leur casque et les bandes de leur cuirasse.
Leurs chevaux, effrayés de ces tiraillements et de ces secousses, se dérobent
sous eux ; tous deux tombent sur le sol, roulant l'un sur l'autre, luttant,
proférant des imprécations, incapables de se relever sous le poids de leurs
armures Enfin Néoptolème se redresse ; Eumène, d'un coup de poignard, lui
coupe le tendon du jarret. Arc-bouté sur l'autre genou, le blessé continue à
Dîner avec rage, et, tout épuisé qu'il est, il frappe trois fois son
adversaire sans lui faire de blessure profonde. Un nouveau coup qu'Eumène lui
porte à la gorge lui enlève ses dernières forces : il s'affaisse mourant.
Eumène, la raillerie et l'insulte à la bouche, se met à lui enlever son
armure ; alors, rassemblant le reste de ses forces, il pousse son épée dans
le ventre de son ennemi. Mais le coup porté par sa main mourante reste
inoffensif, et il assiste de son dernier regard au triomphe de son ennemi
mortel.
Cependant l'épouvantable mêlée où est engagée la cavalerie
ondoie dans la plaine. Eumène, quoiqu'il se sente couvert de blessures et
ruisselant de sang encore chaud, se jette de nouveau sur un cheval. Les
ennemis commencent à céder et à se replier sur leurs phalanges. Eumène, à
travers. des escadrons en fuite et ceux qui les poursuivent, vole sur le
champ de bataille vers l'autre aile, où il suppose qu'on est encore au fort
du combat. Les ennemis ont déjà vidé le terrain, et il apprend que Cratère
est tombé. Il s'élance vers lui, et, le voyant qui respirait encore et qui
gardait sa connaissance, il saute à bas de son cheval et l'embrasse tout en
larmes. Il maudit la mémoire de Néoptolème ; il déplore le sort de Cratère et
le sien propre, qui l'a mis dans la nécessité de combattre contre un ancien
ami, un vieux compagnon d'armes, et de causer sa mort ou de succomber
lui-même. C'est clans ses bras qu'expire Cratère, le plus magnanime et le
plus illustre des capitaines d'Alexandre, celui que le grand roi estimait
entre tous[47].
La cavalerie macédonienne, battue sur tous les points,
s'était repliée vers les phalanges. Épuisé par ses blessures, Eumène, qui ne
voulait pas risquer le gain de la journée en attaquant l'infanterie
macédonienne encore intacte, fit donner le signal de la retraite. Il dressa
les trophées et enterra ses morts. Ses envoyés allèrent annoncer aux troupes
ennemies que, toutes battues. qu'elles étaient, sans chefs et entre les mains
de leur adversaire, ce dernier leur offrait cependant une capitulation
honorable. Ceux qui ne voulaient pas embrasser sa cause et celle du
gouverneur général étaient libres de rentrer en paix dans leurs foyers. Les
Macédoniens acceptèrent ses offres, jurèrent d'observer le traité et se
retirèrent, suivant ses instructions, dans les localités du voisinage qui
leur furent assignées. Mais leur soumission n'était qu'apparente. Dès qu'ils
se furent un peu reposés des marches forcées et du combat, et qu'ils eurent
rassemblé des vivres en quantité suffisante, ils partirent dans le silence de
la nuit et marchèrent à toute vitesse dans la direction du sud, pour
rejoindre Antipater. A la nouvelle de cette violation de la foi jurée, Eumène
leva le camp pour se mettre à leur poursuite. Mais, redoutant la supériorité
et le courage éprouvé des phalanges macédoniennes, arrêté aussi par la fièvre
que lui donnaient ses blessures, il renonça à son dessein[48].
Eumène avait gagné cette bataille dix jours après la
défaite de Néoptolème[49]. Ses affaires et
celles du gouverneur général n'auraient pu prendre une tournure plus
favorable. Il avait Coupé la retraite sur la Macédoine à
Antipater et à son année ; les satrapies de l'Asie-Mineure lui étaient
ouvertes ; il n'y avait plus personne pour lui barrer le chemin. Sa gloire
était dans toutes les bouches. Deux fois il avait vaincu des forces
militaires supérieures aux siennes ; il avait vaincu Cratère. Il est vrai :que
les guerriers macédoniens de tous les pays s'indignaient que le Grec de
Cardia eût occasionné la mort du noble Cratère, le favori de ces vétérans qui
avaient soumis l'Asie, le seul homme qui fût digne de toute leur Confiance.
Mais Eumène profita de toute les occasions polir témoigner tous les regrets
que lui causait la mort de son vieil ami, et la vénération qu'il gardait
jusque dans la mort à relui dont il n'avait pas été en son pouvoir d'épargner
la vie. Il lui fit faire de pompeuses funérailles, et renvoya ses cendres aux
siens pour qu'ils lui rendissent les derniers honneurs[50].
Il s'empressa de tirer tout le parti possible des
victoires remportées. Les instructions du gouverneur général lui interdisant
de quitter l'Asie-Mineure, il passa de la Cappadoce dans les
satrapies de l'ouest, pour s'en assurer de nouveau et prêter main-forte
autant que possible à ses alliés d'Europe, en prenant position dans le
voisinage de l'Hellespont.
En Europe aussi, les affaires du gouverneur général
marchaient à merveille. On avait décidé les Étoliens à reprendre les
hostilités, malgré lés conventions jurées dans les premiers mois de l'année
avec Antipater et Cratère. Au printemps, dès que les deux généraux furent
passés en Asie, ils avaient réuni une armée de 12.000 hommes d'infanterie et
de 400 cavaliers. Puis, sous la conduite de l'Étolien Alexandre, ils étaient
entrés en campagne contre la ville locrienne d'Amphissa, dévastant son
territoire et occupant quelques-unes des villes environnantes. Le général
macédonien Polyclès accourut pour débloquer la ville. Les Étoliens allèrent à
sa rencontre, le battirent, le tuèrent, lui et bon nombre de ses troupes, et
firent prisonniers le reste. On en vendit une partie comme esclaves ; l'autre
fut rendue à la liberté contre une forte rançon. Enhardis par de pareils
succès et par les encouragements qu'ils recevaient d'Asie, ils envahirent la Thessalie. La plus
grande partie de la population se souleva contre la Macédoine ;
Ménon de Pharsale rejoignit les Étoliens, à la tête de la cavalerie
thessalienne. Leur armée s'élevait maintenant à 25.000 hommes d'infanterie et
1,500 cavaliers ; ils enlevèrent l'une après l'autre toutes les villes
occupées par les garnisons macédoniennes. C'était vers le temps où Eumène
remportait ses victoires. Il ne manquait plus qu'un soulèvement des Grecs
proclamant leur liberté. Le gouverneur général avait déjà reçu d'Athènes des
informations qui lui faisaient concevoir les meilleures espérances. Dans
d'autres endroits encore, l'effervescence et l'enthousiasme pour la liberté
allaient croissant. La voix publique se déclarait naturellement en faveur de
Perdiccas[51]
; on le savait précisément en voie de châtier le satrape qui venait
d'anéantir aussi la liberté des villes grecques en Libye.
Au printemps de l'année 321, le gouverneur général, accompagné
des deux rois et de la jeune reine Eurydice, avait quitté, à la tète de
l'armée royale, la Pisidie
et la Cappadoce,
pour marcher par Damas sur la frontière égyptienne ; comme il l'avait fait
l'automne précédent, lorsqu'il s'était agi de punir Antigone, il convoqua
l'armée pour juger le satrape d'Égypte. Il attendait un arrêt en vertu duquel
il comptait achever ce qu'il avait commencé. L'acte d'accusation portait sans
doute que le satrape d'Égypte avait refusé l'obéissance qu'il devait aux rois
; qu'il avait combattu et soumis les Grecs de la Cyrénaïque, auxquels Alexandre avait garanti la
liberté ; qu'il s'était enfin emparé des dépouilles mortelles du roi défunt et
les avait conduites à Memphis[52]. D'après le seul
renseignement (il provient de la meilleure
source) qui nous soit parvenu touchant ce jugement, il faut croire que
Ptolémée comparut en personne pour se défendre devant l'armée rassemblée[53]. Il avait sans
doute sujet de compter sur l'impression produite par une confiance si loyale,
sur sa popularité chez les Macédoniens et sur l'aversion qui régnait contre
l'impérieux gouverneur général. Sa défense fut écoutée avec une faveur
croissante, et il fut absous par le verdict de l'armée. Malgré cet
acquittement, le gouverneur général resta décidé à la guerre. Cette conduite
ne fit que lui aliéner davantage l'esprit des troupes. La guerre contre
l'Égypte n'était rien moins que de leur goût ; bientôt les murmures
éclatèrent : Perdiccas essaya d'étouffer cet esprit d'insubordination par de
sévères exécutions militaires. Toutes les représentations des capitaines et
des stratèges furent vaines : fantasque, ne tenant compte de rien, il traita
même les grands d'une façon despotique, privant de leur commandement les
officiers les plus méritants, ne se fiant qu'à lui et à sa volonté. Ce même
homme, qui après avoir commencé la carrière de sa grandeur avec tant de
prudence et de réserve l'avait poursuivie avec énergie et constance,
semblait, à mesure qu'il se rapprochait du but suprême, de la souveraineté
absolue ; perdre de plus en plus la clarté de vues et la modération qui
seules auraient pu lui faire franchir le dernier pas, le plus dangereux de
tous[54].
Il avait l'avantage de posséder des troupes aguerries et
les éléphants d'Alexandre ; la flotte, sous les ordres de son beau-frère
Attale[55], était près des
bouches du Nil : il passa la frontière. A ce moment il reçut d'Asie-Mineure
la nouvelle que Néoptolème avait passé du côté de ses adversaires et
qu'Eumène, après l'avoir complètement battu, avait rallié la plus grande
partie de ses troupes. Il marcha à l'ennemi avec d'autant plus de confiance[56], atteignit
Péluse sans obstacle et y fit camper son armée. En dedans dé la branche
pélusiaque du Nil se trouvaient des places fortes isolées, d'où l'on pourrait
menacer les flancs de l'armée, lorsque l'expédition remonterait le fleuve, si
elles restaient aux mains do l'ennemi. Ces places fortes et les provisions de
toutes sortes qui se trouvaient en abondance dans l'intérieur du Delta,
tandis que la route dite d'Arabie traversait des pays peu cultivés, rendaient
nécessaire le transbordement de l'armée sur l'autre rive du bras pélusiaque
il était à présumer que les forces égyptiennes y prendraient leurs positions.
Si elles n'en faisaient rien, Perdiccas n'en avait pas moins besoin d'une
position d'où il pût diriger ses opérations contre l'Égypte, tout en restant
en communication avec sa flotte déjà ancrée devant Péluse, et où il lui serait
possible de se retirer, le cas échéant. Pour effectuer le passage avec plus
de facilité, Perdiccas fit déblayer un ancien canal ensablé qui aboutissait
au Nil[57]. Sans doute, on
procéda aux travaux sans les précautions voulues ; on ne prit pas garde que,
vu la quantité de limon déposée par l'eau du Nil, le canal, ensablé depuis
longtemps, devait avoir un fond beaucoup plus bas que le lit actuel du
fleuve. Une fois l'ancien fossé ouvert, l'eau du fleuve s'y engouffra soudain
avec une violence telle que les digues qu'on avait élevées, minées par les
affouillements, furent renversées, et que beaucoup d'ouvriers perdirent la
vie. Au milieu de la confusion qui suivit cette catastrophe, un grand nombre
d'amis, de capitaines et autres grands de l'armée, quittèrent le camp et passèrent
dans celui de Ptolémée[58].
Tels furent les débuts de la guerre d'Égypte. Cette
désertion de tant d'hommes considérables pouvait donner à réfléchir à
Perdiccas. Il convoqua les officiers de son armée, s'entretint d'un ton
affable avec chacun en particulier, faisant des cadeaux aux uns, donnant ou
promettant aux autres un avancement honorable. Puis, il les exhorta à ne
point faillir à leur ancienne renommée et à combattre vaillamment contre le
rebelle pour la cause des rois ; il les congédia enfin, en leur recommandant
de tenir les troupes prêtes au départ.
Ce fut au soir seulement que l'on fit connaître à l'armée,
en lui donnant le signal du départ, la direction qu'on allait suivre.
Perdiccas craignait qu'avec ces désertions continuelles sa marche ne fût
indiquée à l'ennemi. On s'avança en toute hâte pendant toute la nuit : enfin
le camp fut établi sur la rive, en face d'une place forte, le fort du
Chameau. A l'aube, après un court repos pris par les troupes, Perdiccas donna
l'ordre de passer le fleuve. Les éléphants venaient en tête, puis les
hypaspistes, les porteurs d'échelles et les troupes désignées pour l'assaut,
enfin l'élite de la cavalerie, qui devait repousser l'ennemi s'il s'avançait
pendant l'assaut. Perdiccas espérait, pourvu qu'il pût prendre pied sur la
rive opposée, mettre facilement en fuite, grâce à la supériorité de ses
forces, les troupes égyptiennes. Quant à ses soldats, il était persuadé, et
avec raison, que, malgré leur peu de sympathie pour lui, à la vue de
l'ennemi, ils oublieraient tout pour ne plus songer qu'à l'honneur militaire.
La moitié des soldats avaient passé le fleuve, et les
éléphants se mettaient déjà en mouvement contre la forteresse, lorsqu'on vit
des troupes ennemies se diriger en toute hâte de ce côté : on entendait le
son de leurs trompettes et leurs cris de guerre. Elles devancèrent les
Macédoniens sous les remparts et entrèrent dans le fort. Sans perdre courage,
les hypaspistes marchèrent à l'assaut ; les échelles furent dressées contre
les murs ; on poussa en avant les éléphants, qui renversèrent les palissades
et démolirent les parapets. Mais les Égyptiens défendaient vaillamment leurs
murs. Ptolémée, entouré de quelques soldats d'élite et revêtu de l'armure des
phalangites macédoniens, se tenait sur le rempart, la sarisse à la main,
toujours au premier rang des combattants. Il plongea sa lance dans l'œil de
l'éléphant placé en tête des autres et transperça sur son dos son cornac
indien ; il renversa les assaillants qui se trouvaient sur les échelles, en
blessa et en tua un grand nombre. Ses hétœres et ses officiers rivalisaient
de courage. Le cornac du second éléphant fut également précipité à bas de sa
bête et l'attaque des hypaspistes repoussée. Perdiccas lançait troupes sur
troupes à l'assaut, voulant à tout prix s'emparer de la forteresse. Ptolémée,
de son côté, enflammait les siens par la. parole et par l'exemple. On lutta
avec une ténacité incroyable, Perdiccas ayant pour lui tous les avantages du
nombre : tous deux sentaient qu'il y allait de l'honneur des armes, et cette
idée, aiguillonnant leur courage, provoquait de leur part les efforts les
plus extraordinaires.
Ce combat terrible se prolongea pendant toute la journée.
Des deux côtés, on comptait un grand nombre de morts et de blessés ; le soir
vint, et rien encore n'était décidé. Perdiccas donna le signal de la retraite
et regagna son camp.
Au milieu de la nuit, l'armée s'ébranla de nouveau.
Perdiccas espérait que Ptolémée resterait dans le fort avec ses troupes, et
qu'après une marche forcée de nuit on pourrait effectuer, ix quelques milles
en amont, le passage du fleuve. A la pointe du jour, il était en face d'une
des nombreuses îles que forme le Nil en ouvrant ses bras pour les refermer
aussitôt ; elle était assez large et assez spacieuse pour permettre à une
grandes armée d'y camper[59]. C'est là qu'il
résolut de conduire la sienne, malgré la difficulté qu'offrait le passage.
Les soldats avaient de l'eau jusqu'au menton et ne pouvaient résister au courant
qu'avec les plus grands efforts. Pour le rompre un peu, Perdiccas fit avancer
les éléphants dans le fleuve, en amont, sur la gauche des hommes en train de
traverser, pendant que les cavaliers y entraient en aval, pour recueillir et
transporter à l'autre bord ceux qui seraient entraînés par le courant. Déjà quelques
détachements avaient ainsi passé à grand'peine ; ils se trouvaient encore
dans le fleuve quand on s'aperçut que l'eau devenait plus profonde ; sous
leurs lourdes armures, les soldats coulaient à fond ; les éléphants et les
cavaliers enfonçaient aussi de plus en plus dans l'eau. Une panique immense
s'empara de l'armée ; on criait que l'ennemi avait bouché les canaux en amont
et que bientôt tout serait sous l'eau, ou bien que les dieux avaient déchaîné
les pluies dans les contrées du sud, et que c'était là ce qui faisait enfler
le fleuve ; les plus raisonnables comprenaient que le fond du fleuve, piétiné
par la multitude qui le traversait, cédait et se creusait. Il était
impossible de continuer le passage, et ceux qui se trouvaient dans l'île ne
pouvaient pas davantage revenir. Ils étaient complètement coupés et livrés à
l'ennemi, qu'on voyait déjà s'approcher avec des forces imposantes[60]. Il ne restait
plus qu'à leur donner l'ordre de repasser le fleuve du mieux qu'ils
pourraient. Heureux ceux qui savaient nager et avaient assez de vigueur pour traverser
la large nappe d'eau ! Beaucoup se sauvèrent ainsi et gagnèrent la rive sans
armes, à bout de forces et irrités. Les autres se noyèrent ou furent dévorés
par les crocodiles ; ou bien encore, entraînés toujours plus loin par le
courant, ils abordèrent au-dessous de l'île, à la rive ennemie. On constata
dans l'armée l'absence d'environ 2.000 hommes, parmi lesquels beaucoup de
capitaines.
Sur l'autre bord on voyait le camp des Égyptiens ; on voyait
les soldats de Ptolémée empressés à retirer de l'eau teint qui se débattaient
dans le fleuve, et la flamme des bûchers allumés çà et là pour rendre aux
morts les derniers honneurs. De ce côté-ci de l'eau régnait un morne silence
: chacun avait à chercher son camarade, son capitaine, et ne le trouvait plus
au nombre des vivants. Par surcroît, les vivres commencèrent à manquer ; et
il n'y avait aucune perspective d'échapper à cette effroyable situation. La
nuit tombait ; on entendait de ci et de là des plaintes et des imprécations.
Tant de braves guerriers avaient donc été inutilement sacrifiés ! Ce n'était
pas assez d'avoir perdu l'honneur des armes ; leur vie aussi était maintenant
exposée par l'imprudence de leur chef : être dévorés par des crocodiles,
c'était là maintenant la mort glorieuse réservée aux soldats macédoniens. Un
grand nombre de chefs se rendirent dans la tente du gouverneur général et
l'accusèrent ouvertement d'être la cause de ce malheur, ajoutant que les
troupes étaient surexcitées, qu'on manquait du nécessaire, que l'ennemi était
proche. Dehors, les Macédoniens des phalanges, qui s'étaient rassemblés
autour de la tente, appuyaient ces plaintes de leurs vociférations. Une
centaine de capitaines, ayant à leur tête le satrape de Médie, Pithon,
déclarèrent qu'ils déclinaient toute responsabilité pour l'avenir ; ils
signifièrent au gouverneur général qu'ils ne lui devraient plus obéissance et
sortirent de la tente. Alors quelques hétœres, conduits par le chiliarque Séleucos
et Antigène, le chef des argyraspides, envahirent la tente et se jetèrent sur
le gouverneur général[61]. Antigène lui
porta le premier coup ; les autres l'imitèrent à l'envi. Après une vive
résistance, Perdiccas, couvert de blessures, s'affaissa mort sur le sol.
Ainsi finit Perdiccas, fils d'Oronte, trois mois après
être devenu gouverneur général. Sa grande pensée, de maintenir l'unité de
l'Empire qui lui était confié, l'eût rendu digne d'un meilleur succès, s'il
s'y était voué avec plus de sincérité et de réflexion. Mais les vues
personnelles qui le dirigeaient, et l'enivrement de sa fortune grandissante,
qui l'entraîna bientôt à l'injustice, à la perfidie et aux mesures
despotiques, causèrent sa perte. Il n'était pas de taille à gouverner le
monde après Alexandre. Il croyait n'avoir plus qu'un pas à faire pour
atteindre son but, et ce dernier pas amena sa chute.
Bientôt Ptolémée fut instruit de ce qui s'était passé dans
le camp. Le lendemain matin, il traversa le fleuve et se fit. conduire auprès
des rois, leur apportant des présents ainsi qu'a leurs principaux officiers ;
il se montra affable et cordial envers tous et fut salué de tous côtés par
des cris d'allégresse. Puis on convoqua l'armée en assemblée ; Ptolémée parla
aux Macédoniens sur le ton qui convenait à la circonstance. La nécessité
seule l'avait obligé, dit-il, à combattre son vieux camarade ; il regrettait
plus que personne la mort de tant de braves : la faute en était à Perdiccas,
qui avait reçu le salaire qu'il méritait. Désormais, plus d'hostilité
d'aucune espèce. Il avait sauvé ce qu'il avait pu des soldats qui se
débattaient contre la mort au milieu du fleuve, et préparé les funérailles
des cadavres rejetés sur le rivage. Enfin, la disette étant dans le camp, il
avait donné ordre qu'on y apportât des vivres et tout ce qui était
nécessaire. Ses paroles furent accueillies par des cris de joie ; l'homme qui
tout à l'heure encore était l'ennemi des Macédoniens, qui leur tenait tête et
qu'ils avaient combattu avec tant d'acharnement, se trouvait maintenant au
milieu d'eux en toute sécurité, admiré, vanté comme un sauveur. C'était lui,
on le voyait bien, le vainqueur, et il se trouvait pour le moment en
possession incontestée de toute la puissance dont Perdiccas avait abusé. Il
s'agissait tout d'abord de savoir qui remplacerait Perdiccas et gouvernerait
au nom des rois. On exprima hautement le désir de voir Ptolémée s'en charger.
Mais la prévoyance et la circonspection du Lagide ne se laissèrent aveugler
ni par la séduction de telles offres, ni par ce brusque revirement de
fortune, ni par les joyeuses acclamations des Macédoniens. Il savait qu'en
dédaignant la plus haute charge de l'Empire pour la donner à un autre, il
cessait lui-même d'être au-dessous d'elle, qu'elle perdait son prestige aux
yeux du monde, et que, maintenue à titre gracieux par son bon plaisir, elle
servirait à le faire paraître d'autant plus puissant qu'il aurait en
apparence agi avec plus de désintéressement. Absolument comme si t'eût été
une récompense qu'il avait à distribuer, il recommanda lui-même à l'armée,
pour cette charge, ceux dont il se croyait l'obligé. C'étaient Pithon, le
satrape de Médie, qui avait fait le premier pas décisif contre Perdiccas en
passant dans le camp égyptien, et Arrhidæos, qui, au mépris des ordres de
Perdiccas, avait conduit le corps d'Alexandre en Égypte. Tous deux furent, au
milieu des acclamations, nommés gouverneurs généraux, avec une autorité
absolue[62].
Ils prirent le commandement jusqu'à nouvel ordre.
Les grands inconvénients qui résulteraient de ce partage
de l'autorité ne pouvaient rester ignorés des gens sensés. Ce brusque
changement de toute la situation devait nécessairement compromettre beaucoup
des amis de Perdiccas, et leur faire craindre toute la fureur de la foule
surexcitée. Un texte isolé[63] nous apprend que
Ptolémée s'efforça de rassurer par tous les moyens ceux qui auraient pu avoir
encore à redouter quelque chose de la part des Macédoniens. Même les gens de
mauvaise volonté durent reconnaître que Ptolémée, maître absolu pour le
moment, usait de son pouvoir avec autant de sagesse que de modération,
évitant de trancher du seigneur, ce qui rendait son omnipotence tout au moins
supportable.
Deux jours après le meurtre de Perdiccas arriva d'Asie-Mineure
la nouvelle qu'Eumène était vainqueur, que Cratère et Néoptolème avaient
succombé, et que les provinces d'Asie-Mineure étaient entre ses mains. Si ce
message avait été apporté deux jours plus tôt — c'est du moins ce que dit la
tradition qui remonte jusqu'à Hiéronyme, l'ami et le compagnon d'Eumène —,
personne, sans doute, n'eût osé porter la main sur Perdiccas ; ses troupes,
loin de songer à la révolte, auraient lutté contre les Égyptiens avec un
nouveau courage, et alors, suivant les prévisions humaines, nul autre
qu'Eumène n'eût le-premier parmi les Macédoniens[64]. Maintenant
l'armée regardait la victoire d'Eumène comme un malheur et une défaite
personnelle ; elle lui imputait à crime la mort de Cratère, pour qui on avait
une sorte de vénération. Toute la fureur de l'armée, aigrie par la révolte et
la défaite, se déchargea sur le scribe de Cardia. Le satrape d'Égypte dut
voir de bon œil les mauvaises dispositions des esprits se jeter dans cette
voie ; c'était pour lui le moyen d'atteindre le seul homme qu'il ne pouvait
espérer gagner et ceux qui avaient vaincu avec lui, avant qu'ils pussent
entreprendre autre chose. L'armée fut de nouveau convoquée pour juger Eumène
et les autres stratèges absents de Perdiccas. Ils furent, au nombre de
quinze, condamnés à mort, et parmi eux Alcétas, frère du gouverneur général ;
sa sœur Atalante, épouse de l'amiral Attale, qui se trouvait dans le camp,
fut exécutée sur-le-champ. Quant à Attale lui-même, il s'était rendu en toute
hâte avec la flotte de Péluse à Tyr, pour sauver le Trésor qui y était déposé
et rallier les débris du parti qui avait été dispersé aux bords du Nil.
Ensuite des messagers furent envoyés à Antipater dans la Syrie supérieure et à Antigone,
qui se trouvait à Cypre[65], pour les
presser de rejoindre au plus vite les rois à Triparadisos. L'armée elle-même,
sous la conduite des gouverneurs généraux, se mit en marche pour retourner en
Syrie : Ptolémée, à ce qu'il parait, resta en Égypte.
C'est pendant cette retraite qu'Eurydice, la jeune épouse
du roi Philippe Arrhidée, qui jusqu'alors s'était abstenue de toute participation
aux affaires de l'empire, encouragée par son secrétaire Asclépiodore,
commença à jouer vis-à-vis des gouverneurs généraux un rôle auquel sa
situation, non moins que son caractère, semblait l'autoriser. En sa qualité
d'épouse du roi, ayant à la gestion des affaires du royaume l'intérêt le plus
direct et le plus naturel, elle somma Pithon et Arrhidæos de ne plus la
frustrer à l'avenir de la part qui lui revenait dans la direction du
gouvernement. Tout d'abord les gouverneurs généraux ne dirent pas non ; mais
bientôt, lorsqu'on fut sur le point de rejoindre Antipater, inquiets de la
vieille inimitié de ce dernier contre Eurydice, ils refusèrent à la reine de
la laisser s'immiscer davantage dans leurs affaires : ils avaient toute la
responsabilité, disaient-ils, et ils agiraient donc seuls jusqu'à l'arrivée
d'Antipater et d'Antigone[66]. Mais Eurydice
avait les sympathies de l'armée ; elle était aimée comme princesse de la
maison royale et à cause de son caractère, qui était plutôt celui d'un soldat
que celui d'une femme. Par contre, depuis son expédition en Médie, dans
l'automne de 323, Pithon avait perdu la faveur des Macédoniens, et la
méfiance de alarmée à son égard se manifestait assez ouvertement. Les
intrigues de la jeune reine donnèrent tant à faire aux gouverneurs généraux
que, arrivés à Triparadisos, ils se virent forcés de se démettre de leur
dignité dans une assemblée des Macédoniens.
Les intrigues d'Eurydice n'avaient réussi qu'à moitié :
elle n'avait pas assez d'empire sur l'armée pour qu'il lui fût possible de
diriger à son gré l'élection d'un nouveau gouverneur général. L'armée nomma
Antipater[67],
choix qui devait aller à l'encontre de tous les désirs et de toutes les
espérances de la jeune reine.
Déjà Antipater et Antigone étaient arrivés dans les environs
de Triparadisos, et l'armée d'Antipater avait établi son camp sur l'autre
rive de l'Oronte. Dès qu'Antipater eut rejoint les Macédoniens, la première
chose que ceux-ci lui demandèrent fut. qu'on leur distribuât enfin l'argent
qu'Alexandre leur avait déjà promis comme récompense. Le vieil Antipater, en
face de l'arrogance de ces troupes intraitables, n'osa prendre une attitude
sévère et infliger des punitions disciplinaires. Il exprima ses regrets de
n'avoir pas pour le moment de quoi les satisfaire ; cependant, il y avait çà
et là quelques trésors royaux et, en temps et lieu, quand il en aurait pris
possession, il ferait droit aux justes réclamations des troupes. L'armée
écouta cette réponse avec dépit, et Eurydice attisa tant qu'elle put
l'irritation. Elle détestait Antipater, qui jadis ne l'avait pas soutenue,
elle et sa mère, comme il aurait dû le faire, et auprès duquel elle eût
bientôt perdu l'influence qu'elle venait à peine d'acquérir. Elle ne réussit
que trop bien : une véritable révolte éclata. La reine elle-même tint aux
troupes rassemblées un discours composé par Asclépiodore. Elle accusa
Antipater d'être aussi avare que négligent, de n'avoir pas mis en sûreté le
trésor que Perdiccas avait déposé à Tyr. Si l'on procédait ainsi avec les
trésors royaux, les Macédoniens pourraient attendre toute leur vie les
récompenses qu'ils avaient si bien méritées, les armes à la main, au prix de
leur sang ; il leur fallait rompre avec Antipater. Après elle, Attalos, un
des chefs de l'infanterie, prit la parole et accumula de nouvelles
accusations contre Antipater[68]. L'assemblée
devenait de plus en plus tumultueuse : ils ne laisseraient pas partir le
stratège qu'il n'eût donné de l'argent et se fût justifié ; et s'il ne le
pouvait pas, ils le lapideraient. En même temps, ils se postèrent devant le
pont par où Antipater devait nécessairement passer pour regagner le camp des
siens de l'autre côté de l'Oronte, dont le cours est excessivement rapide. La
situation devenait très critique pour Antipater ; le peu de cavaliers qu'il
avait avec lui n'étaient pas suffisants pour le protéger en cas d'attaque,
encore moins pour lui ouvrir un passage à travers les phalanges. Dans cette
extrémité, Antigone lui promit son aide ; il était d'intelligence avec le
chiliarque Séleucos. Tout armé, il traversa le pont au milieu des phalanges,
annonçant à chacun qu'il avait l'intention de parler devant l'armée. Les
Macédoniens ouvrirent leurs rangs devant l'illustre général, et le suivirent
pour entendre ce qu'il allait dire. Pendant que la foule se tenait autour de
lui, écoutant son apologie d'Antipater, un long et habile discours où il
mêlait les promesses, les exhortations, les paroles de conciliation, Séleucos
saisit le moment avec ses cavaliers. En rangs serrés et ayant Antipater au milieu
d'eux, ils passèrent le Pont au trot, défilant devant les Macédoniens, et
gagnèrent autre camp[69]. Antigone eut
grand'peine à se dérober à l'indignation de la foule. Antipater fut déclaré
déchu de sa dignité el destitué ; on eût dit que le pouvoir allait passer
tout entier aux mains d'Eurydice. Mais la vieille rivalité entre la cavalerie
et l'infanterie se ralluma. Les hétœres de la cavalerie se séparèrent du
reste de l'armée[70] : leurs
hipparques, sur l'ordre d'Antipater, revinrent dans son camp. Les phalanges
pouvaient craindre de se trouver livrées à elles-mêmes, sans chef et sans
discipline ; Eurydice elle-même s'effraya de la possibilité d'une attaque,
dont Antipater la menaçait : on se hâta de faire soumission. Dès le
lendemain, il fut décrété qu'Antipater était gouverneur général, avec pouvoir
absolu[71].
Antipater n'hésita pas à accepter le pouvoir qui lui était
pour la seconde fois remis. L'affaire la plus urgente et la plus importante
était de répartir les dignités et satrapies de l'empire conformément aux
nouvel état de choses. Il fallait procéder au partage avec une certaine
circonspection, le parti de Perdiccas n'étant nullement anéanti encore.
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