HISTOIRE DE L'HELLÉNISME

TOME DEUXIÈME. — HISTOIRE DES SUCCESSEURS D'ALEXANDRE (DIADOQUES)

LIVRE PREMIER. — CHAPITRE PREMIER.

 

 

Mort d'Alexandre. - Organisation du gouvernement par les généraux. - Arrhidée proclamé roi par l'infanterie. - Conflit entre la cavalerie et l'infanterie. - Transaction entre les deux partis. - Les lustrations. - Mort de Méléagre. - Partage des satrapies.

Alexandre est le premier auquel l'histoire ait donné le nom de Grand. Quelle que soit l'origine de ce surnom, sa persistance peut être regardée comme une preuve de l'impression qu'ont produite sur ses contemporains et sur la postérité la personne du conquérant et ses hauts faits.

On peut se demander ce qu'il faut plus admirer, ou l'audace de ces plans qu'il exécute avec un bonheur toujours constant, ou les mesures par lesquelles il pensait assurer la durée de son œuvre, ou leurs effets, qui ont survécu pendant des siècles à l'œuvre elle-même.

Dix ans lui ont suffi pour détruire l'empire des Perses, pour soumettre l'Asie jusqu'aux déserts de la Scythie, jusqu'au cœur de l'Inde, pour métamorphoser ces vastes régions où il commença à répandre la civilisation hellénique et pour ouvrir la mer du Sud. Ses expéditions, conquêtes et découvertes tout à la fois, réunissent la partie jusque-là connue et la partie inconnue de l'Orient en un seul empire.

Au retour de l'Inde, après une année non de repos, niais d'activité prodigieuse consacrée à organiser ses vastes conquêtes, il semble vouloir entreprendre une œuvre plus audacieuse encore. On ne pouvait guère expliquer autrement ses formidables préparatifs, en pleine voie d'exécution au printemps de l'année 323, lorsqu'il se rendit d'Ecbatane à Babylone.

De toutes les parties du vaste empire arrivaient des troupes de toute arme et de toute sorte : l'Asie fournit des cavaliers, la Grèce des mercenaires, les satrapies des bataillons exercés à la macédonienne ; des constructeurs et des capitaines de vaisseaux, des marins des côtes de la Méditerranée se rassemblaient à Babylone. On savait qu'au commencement de l'été on allait se mettre en marche vers l'Occident ; que Néarque, avec la flotte de l'Euphrate, contournerait l'Arabie : il était question d'immenses armements qui se faisaient en même temps dans les ports de la Méditerranée ; on croyait savoir qu'après la circumnavigation de l'Arabie, une expédition serait tentée contre Carthage ou l'Italie, ou bien encore qu'après avoir doublé les côtes encore inconnues de l'Afrique du Sud, ou devait s'emparer, en passant par l'Océan occidental et les colonnes d'Héraclès, du bassin ouest de la Méditerranée, occupé par les Carthaginois, et des régions qu'il baigne ; qu'une fois maître de la Méditerranée, après avoir répandu la civilisation grecque sur ses côtes jusqu'à Tartessos et Lises, on allait achever et asseoir sur une base à jamais inébranlable l'édifice hardi d'un empire universel.

Le roi avait donné l'ordre de commencer les mouvements. Après les funérailles d'Héphestion, l'armée de terre devait se mettre en marche le 22 du mois Dœsios, et la flotte partir le 23.

Cinq jours avant, Alexandre tomba malade : la fièvre augmentait de jour en jour. Il fallut retarder le départ jusqu'à nouvel ordre. Déjà la santé d'Alexandre excitait les plus vives inquiétudes. Les stratèges et les hipparques restaient à demeure dans les antichambres de la salle où le roi était couché : les capitaines et les chefs de bataillons se tenaient nuit et jour dans la cour du château ; les vétérans macédoniens, se pressant aux portes du palais, demandaient à voir leur roi une dernière fois. On les fit défiler devant son lit : déjà il ne pouvait plus parler. Ses forces déclinaient rapidement : le 28 Dœsios, il expira.

D'abord, nous dit un de nos auteurs, les vastes espaces du château retentirent de lamentations et de gémissements : puis le silence se rétablit peu à peu. Après la première explosion de douleur, on se demandait anxieusement ce qu'on allait devenir.

Des pages partaient du château et parcouraient les rues, en répandant la triste nouvelle. La foule s'amassait devant les portes : Macédoniens et Barbares, soldats et bourgeois, tous se pressaient dans la cour. Les Asiatiques, gémissant sur la mort du roi, l'appelaient le plus juste et le plus doux des maîtres ; les Macédoniens et les Grecs, le prince toujours victorieux, le plus vaillant, le plus illustre de tous ; ils ne se lassaient pas de le louer, de parler de sa maladie insidieuse et de sa fin, de songer à leur propre avenir, qui n'était que trop sombre. Ainsi grandissait dans les cœurs douloureusement serrés l'incertitude et la perplexité : la tension des esprits devenait inquiétante. Qui serait l'héritier d'Alexandre ? On sentait bien qu'on n'était pas sûr du lendemain, que l'armée restait sans guide et l'empire sans chef. Chaque instant pouvait amener de l'imprévu, une révolte,  de sanglants conflits. On commençait à se laisser aller aux prévisions les plus désolantes. Depuis longtemps déjà la nuit était tombée : çà et là des troupes s'étaient mises sous les armes ; les habitants de la ville dans leurs maisons attendaient les événements, se gardant bien de faire voir de la lumière ; de temps à autre un appel isolé, un tumulte soudain, retentissaient dans le grand silence de la nuit[1].

Cette description est peut-être plus pittoresque qu'exacte : mais il suffit de réfléchir à la situation pour comprendre combien le moment était terrible.

Le roi étant mort sans laisser aucune instruction relativement à ce qu'il fallait faire après lui, l'armée, l'empire, le sort de la moitié d'un monde, se trouvaient comme en face d'un abîme ; d'un moment à l'autre tout pouvait s'effondrer, n'être plus qu'un immense chaos.

Le plus pressé était d'établir un semblant d'ordre et de direction, un état de choses provisoire, quel qu'il fût.

Cette tache s'imposait naturellement à ceux qui avaient approché Alexandre de plus près, qui avaient été les confidents de ses projets, les organes de sa volonté, aux sept gardes du corps[2]. On dit que, lorsqu'il avait vu son mal s'aggraver, il avait remis à l'un d'eux, Perdiccas, peut-être le premier en grade par l'ancienneté[3], l'anneau avec lequel il fallait sceller, pour en attester la provenance, les ordres à donner, même pour les jours suivants. Si le fait est exact, Perdiccas avait jusqu'à un certain point le droit de prendre l'initiative. Les six autres étaient sans doute d'accord avec lui pour convoquer, comme d'ailleurs Alexandre l'avait fait lui-même dans des moments décisifs, les principaux des hétœres et les commandants en chef de l'armée[4], afin de discuter et de décider ce qu'il y avait à faire. Que Perdiccas ait ou non, pour éviter toute apparence de prétention ou de privilège, déposé l'anneau qui lui avait été confié sur le trône, à côté des autres insignes royaux, et qu'il s'en soit remis aux officiers assemblés du soin d'arrêter les mesures à prendre, il fallait cependant quelqu'un pour présider à la délibération.

Perdiccas posa d'abord la question. Fallait-il remplacer le roi mort, et comment ? Il semble bien qu'on ne tomba pas tout de suite d'accord sur la nécessité de donner un successeur à Alexandre, pour conserver avec l'hérédité la monarchie et l'unité de l'empire. On pouvait certainement faire valoir avec raison que l'unité résidait en Alexandre seul ; que, sans lui ou un autre plus grand que lui, elle était impossible ; qu'il fallait sacrifier de cette unité autant qu'il était nécessaire pour maintenir, dans le détail et dans l'ensemble, l'ordre de choses récemment créé. D'autre part, l'unité et l'hérédité paraissaient plus simples et plus conformes au droit.

Mais, qui était appelé par le droit de succession ? Il y avait bien un fils d'Alexandre, Héraclès, né de Barsine, veuve de Memnon : mais Barsine n'avait jamais passé pour l'épouse d'Alexandre ; elle vivait à Pergame avec son enfant[5].

Les épouses légitimes d'Alexandre, c'était Roxane, c'était Statira. Roxane attendait ses couches dans trois mois ; mais donnerait-elle le jour à un enfant mâle ? Et le fils d'une Bacrienne allait-il porter le diadème des rois de Macédoine ? Il y avait bien encore à Babylone un rejeton de la famille royale, Arrhidée, frère consanguin du roi ; mais il était simple d'esprit[6] et d'ailleurs bâtard : le roi Philippe l'avait eu d'une danseuse thessalienne.

Dans quel sens les officiers réunis en conseil résolurent-ils cette question, on l'ignore : les sources, examinées de près, ne s'accordent pas sur ce point, et surtout elles ne nous donnent pas la moindre idée de l'inextricable difficulté de la situation, de la gravité et des conséquences de la résolution prise. On peut induire de la conduite ultérieure de Perdiccas qu'il fit passer en première ligne le maintien de l'unité monarchique de l'empire, sous quelque forme que ce fût. On prétend que Néarque aurait parlé en faveur du fils de Bassine, mais cette assertion soulève des doutes : on se demande si le navarque, si prudent d'ordinaire et qui n'était même pas Macédonien de naissance, aurait voulu courir le risque de s'entendre reprocher qu'il songeait à servir les intérêts de son beau-frère. Il est plus admissible que Ptolémée ait proposé, comme on le dit encore, un gouvernement composé des chefs d'armée. Cela prouverait combien il trouvait la situation critique, et avec quelle intuition hardie il indiquait d'avance jusqu'où il fallait reculer pour échapper au danger. On parait n'avoir fait mention d'Arrhidée dans le conseil que pour l'écarter comme impossible.

On finit par s'arrêter à une résolution qui maintenait pour le moment l'unité de l'empire et faisait la part de l'imprévu. Si Roxane donnait le jour à un fils, ce fils aurait l'empire : Perdiccas et Léonnatos seraient ses tuteurs pour l'Asie, Antipater et Cratère pour l'Europe[7].

Mais l'assemblée qui prenait cette décision avait-elle le droit de la prendre ? Alexandre lui-même, à l'apogée de sa puissance, n'avait-il pas fait décider les affaires importantes par les troupes réunies ? Il se peut que les hétœres de la cavalerie se soient tenus pour satisfaits de ce qu'il plairait aux grands seigneurs de décréter en conseil de guerre ; mais l'infanterie des pézétæres et des argyraspides n'était rien moins que calme en apprenant qu'on allait disposer de l'empire sans sa coopération ; au contraire, les. attroupements grossissaient à vue d'œil du côté des fantassins, et l'idée dut leur venir bien vite qu'il n'était pas besoin d'une si longue délibération si l'on n'avait pas de mauvaises intentions : car enfin, on avait le fils de Philippe ; il était l'héritier naturel et il se trouvait sur les lieux[8].

On raconte que l'infanterie se porta au palais du roi et en tira Arrhidée, qu'elle acclama sous le nom aimé de Philippe. Or, même si les membres du conseil avaient eu sous la main les hétœres de la cavalerie pour barrer le chemin à cette foule tumultueuse, ils auraient certainement succombé sous le nombre, dans le château même. Il fallait donc à tout prix gagner du temps en négociant.

Parmi les membres du conseil se trouvait le stratège Méléagre, fils de Néoptolème, qui déjà avait pris part avec sa phalange à l'expédition du Danube. C'est lui que la réunion délégua auprès des fantassins, sur lesquels il avait une grande autorité, afin de les apaiser et d'obtenir leur concours pour l'exécution des résolutions prises[9].

Que Méléagre se soit chargé de cette mission avant qu'on ne connût la proclamation d'Arrhidée comme roi, ou qu'il ait blâmé la décision du conseil et n'ait accepté la commission que pour donner le change, toujours est-il qu'il se rallia aussitôt à la cause populaire. qui offrait les plus brillantes perspectives à son ambition.

Il s'agissait de forcer Perdiccas et son parti à reconnaître les faits accomplis. Le prétexte et le but de la première démonstration, qui ne pouvait manquer de se produire, fut d'obtenir les insignes do la royauté pour le nouveau roi. Il parait qu'on en vint aux mains dans les appartements même où gisait encore le cadavre d'Alexandre ; les cavaliers enraient été repoussés, et Séleucos aurait protégé avec le bataillon des pages royaux la retraite de Perdiccas et des autres gardes du corps[10].

Repoussés, mais non vaincus, ils se rallient devant les portes de Babylone. Là campait la cavalerie : elle tenait les abords de la ville. En rase campagne, l'infanterie ne pouvait guère les entamer : eux, au contraire, pouvaient mander des renforts et disposer des ressources des satrapies. Le choix de l'infanterie avait été dicté par le patriotisme macédonien le plus dédaigneux : en prenant le fils qui allait naître de la Persane, ils s'assuraient, au pis aller, le concours des Asiatiques.

C'était là pour le parti de Méléagre un grave danger. Plus il hésiterait à le braver, plus le péril serait grand. Méléagre essaya, dit-on, de se tirer d'embarras en cherchant à assassiner Perdiccas, comme si Philippe lui en avait donné l'ordre. La situation du parti appuyé sur la cavalerie n'était pas moins embarrassante : ils seraient bien avancés, après la lutte et la victoire, s'il leur fallait acheter le triomphe au prix du massacre de l'infanterie macédonienne et du meurtre d'Arrhidée, un malheureux digne de compassion !

Les deux partis devaient accepter avec joie un compromis. Le secrétaire particulier d'Alexandre, Eumène de Cardia, appartenait au parti de la cavalerie[11], mais il était resté à Babylone. Il commença à parlementer avec quelques-uns des chefs et à les exhorter à la paix, disant que lui, étranger, restait personnellement en dehors de ces dissensions funestes entre Macédoniens ; il n'avait en vue que la grande cause de l'empire, d'où dépendait le salut du monde hellénique et de l'Asie[12]. Le Grec avisé réussit à se faire écouter : il est possible que d'autres Hellènes, chefs de mercenaires dans l'armée, aient appuyé ses démarches ; le Thessalien Pasas, l'Arcadien Amissos, furent envoyés avec Périlaos aux troupes campées devant la ville, pour négocier avec elles au nom du roi[13]. Puis les députations se succédèrent de part et d'autre ; il s'engagea des négociations où Eumène notamment paraît avoir rendu des services signalés à Perdiccas et à la cause de l'empire. Perdiccas lui-même devait désirer un arrangement, pour ne pas rester plus longtemps un simple chef de parti : placé près d'un roi faible, il était sûr d'éclipser bientôt l'influence de l'odieux Méléagre[14].

On finit par conclure un accord sur les bases suivantes : les cavaliers macédoniens reconnaissaient le roi proclamé par l'infanterie ; celle-ci accordait en retour que, si la reine Roxane donnait le jour à un fils, ce fils serait également roi[15]. Il était stipulé de plus qu'Antipater serait stratège en Europe, Cratère prostate du royaume, Perdiccas chiliarque comme l'avait été Héphestion, et Méléagre hyparque[16]. Arrhidæos était chargé de conduire le corps d'Alexandre au temple d'Ammon[17]. Le traité une fois juré, les phalanges sous la conduite de Méléagre et les escadrons de la cavalerie sous les ordres de Perdiccas quittèrent leurs positions pour se réunir sous les murs de la ville, et rentrèrent ensuite dans la capitale, ne formant plus comme auparavant qu'une seule armée.

Ce traité mettait fin aux dissensions du moment[18], et jetait les premières bases des destinées futures de l'empire. En reconnaissant le nouveau roi, on se prononçait pour le maintien de l'empire et de son unité. Le gouvernement garda ses anciennes formes, et les satrapies demeurèrent aux mains des titulaires en fonction. Il n'y eut de changements importants que pour les grands commandements militaires et les provinces européennes. Comme Cratère n'était pas encore arrivé en Europe, Antipater conservait dans toute leur étendue des pouvoirs qu'il aurait dû lui céder, suivant l'ordre donné par Alexandre dans l'été 324. Cratère reçut la charge la plus élevée qu'il y eût à la cour dans la hiérarchie macédonienne, la prostate ou présidence du royaume ; il faut dire que, maintenant qu'il était en marche avec ses 10.000 vétérans, c'était une nomination sans effet immédiat, un simple titre honorifique. L'hyparchie de Méléagre n'était pas sans doute le commandement en chef de l'infanterie ; c'était la seconde place dans l'état-major de l'armée : mais Parménion avait déjà occupé un poste semblable[19]. La chiliarchie de Perdiccas n'était pas davantage une innovation. Alexandre avait emprunté cette charge aux usages de la cour des Perses. Le chiliarque n'était pas seulement le chef des nobles chevaliers appelés parents du roi ; mais, en toute autre circonstance aussi, il venait immédiatement après le roi ; il était constamment à ses côtés[20] : c'était un véritable grand-vizir de l'empire. Sous Alexandre, il est vrai, cette charge conférait simplement au titulaire les plus grands honneurs après le roi : aussi l'avait-il donnée à son plus intime ami, et, lui mort, il décida qu'elle resterait inoccupée, pour que le nom d'Héphestion y demeurât à jamais attaché[21]. Perdiccas, en reprenant cette chiliarchie des parents du roi (ce nom parait avoir été aussi rétabli), avait toutes les attributions d'un maire du palais et paraissait à même de prendre un pouvoir absolu, si le roi manquait de force ou d'autorité.

Si quelqu'un était à la hauteur de ces importantes fonctions, c'était Perdiccas, qui se sentait assez fort pour les exercer dans la plénitude de leurs droits et prérogatives. L'illustration de sa naissance, son rang élevé[22], ses longs états de service dans l'entourage des rois Philippe et Alexandre ; ajoutez à cela une personnalité habile, perspicace, impérieuse ; tout devait lui assurer sur les autres généraux comme sur les masses une supériorité qu'il avait assez d'empire sur lui-même pour dissimuler, autant que la prudence le commandait : l'occasion, aussi hardi dans la parole que dans l'action, imposant sa volonté et assuré du succès. Cette marche ferme et décidée vers le pouvoir suprême donne à sa physionomie la noblesse de l'audace, à ses actions la logique rigoureuse et vigoureuse dont il avait besoin avant tout dans sa position.

C'est qu'en effet, maintenant encore, malgré le retour de l'ordre et de la paix, cette anarchie complète de l'armée qui avait abouti aux dispositions présentes révélait des tendances complètement incompatibles avec la discipline militaire et sur lesquelles on ne pouvait rien fonder de durable. Mis en possession du pouvoir suprême par le consentement unanime des Macédoniens, Perdiccas voulut montrer qu'il entendait l'exercer librement, dans toute sa rigueur, et au besoin contre les Macédoniens eux-mêmes. A tout prix, il lui fallait dominer la situation ; l'autorité seule pouvait maintenir la cohésion de l'ensemble. Partager le pouvoir avec Méléagre qu'il haïssait, qu'il craignait, c'était impossible : l'ambitieux et remuant hyparque trouverait assez d'occasions dans l'exercice de sa charge pour tramer de nouvelles intrigues. La confiance que lui accordaient les phalangites, le grand nombre des mécontents et des brouillons, — il y en avait même parmi les grands, — le rendaient doublement dangereux. C'est lui que Perdiccas choisit pour montrer, par un exemple de sévérité impitoyable et tranchante, comment il saurait être le maître.

Depuis la sédition militaire, la souillure du sang versé était restée sur l'armée ; des Macédoniens avaient tué des Macédoniens : il fallait des lustrations solennelles pour purifier l'armée[23]. A cet effet, suivant les usages nationaux, on coupe un chien en deux parties égales, et les deux moitiés sont placées à quelque distance l'une de l'autre en pleine campagne : toute l'armée défile dans l'intervalle. On porte en tête du cortège les armes de l'ancien roi ; puis vient le roi lui-même, entouré des gardes du corps, des nobles, des hétœres de la cavalerie ; les différents corps d'infanterie ferment la marche. Les lustrations terminées, la cavalerie et l'infanterie prennent position l'une en face de l'autre, et un combat simulé entre les deux corps termine la cérémonie[24]. C'est ainsi que les choses se passèrent cette fois ; d'un côté se rangea la cavalerie avec les éléphants, sous le commandement du roi et de Perdiccas, de l'autre, l'infanterie avec Méléagre. Sitôt que la cavalerie s'ébranla, l'infanterie, dit-on, manifesta une certaine inquiétude, comme si l'on s'apprêtait à lui jouer un mauvais tour. En rase campagne, devant la cavalerie et les éléphants, impossible pour elle de se sauver. Perdiccas, aux côtés du roi, à la tête d'un escadron, vint droit sur la première ligne d'infanterie et demanda, au nom du roi, à chaque bataillon de lui livrer les meneurs de la dernière révolte, menaçant à la moindre hésitation d'attaquer avec la cavalerie et de lancer les éléphants sur les phalanges. Devant de telles menaces et surtout de telles forces, l'infanterie impuissante fit ce qu'on lui demandait. Plus de trente soldats furent livrés, jetés aux pieds des éléphants et écrasés par eux[25].

C'est par cette exécution que Perdiccas inaugura son gouvernement ; le roi lui-même avait été obligé d'ordonner ou du moins de permettre la mort de ceux qui l'avaient élevé au trône. Méléagre ne pouvait plus douter du sort qui l'attendait lui-même ; pendant cette scène affreuse, il n'avait pas osé, dit-on, quitter sa place à la tête des phalanges ; mais, lorsque les troupes furent rentrées dans leurs quartiers, ne se trouvant plus assez en sûreté dans son propre domicile, il se réfugia dans un temple, croyant peut-être que la sainteté du lieu le protégerait. Mais Perdiccas avait décidé sa perte, et il trouva aisément un prétexte ; Méléagre, suivant lui, avait voulu attenter à ses jours, et, en prenant la fuite, il avouait lui-même qu'il méritait la mort. Sur l'ordre du roi et de son chiliarque, on le mit à mort sur les marches même de l'autel.

Perdiccas agit comme il était nécessaire ; du moment qu'il s'attribuait le devoir et qu'il avait l'intention de prendre les rênes du pouvoir, ces premiers actes montrèrent toute l'énergie et la décision qu'exigeaient son rôle officiel et les circonstances. L'exemple de Méléagre apprendrait aux chefs d'armée comment Perdiccas comptait traiter ses adversaires. L'armée, qui à la mort d'Alexandre avait dépassé les limites sinon de ses droits du moins de la subordination[26], et qui s'apprêtait à devenir le modèle des prétoriens et des janissaires des siècles futurs, était ramenée d'un seul coup à l'obéissance et à la discipline, la seule garantie qui pût assurer l'existence de l'empire. Il fallait que la royauté et ses représentants pussent compter sur l'armée, si l'on voulait faire face avec succès à d'autres périls qui n'étaient déjà que trop imminents.

La noblesse militaire macédonienne avait toujours conservé cette morgue et cette confiance souvent présomptueuse en elle-même qui, à la fois condition et résultat de ses incomparables qualités militaires, ne se courbait que devant la supériorité intellectuelle d'un Alexandre, et que le grand roi lui-même avait parfois jugé à propos de ménager. Sans doute, Alexandre savait prendre ses hétœres : il les dominait par sa supériorité personnelle ; il savait aussi se les attacher par leurs propres faiblesses, qu'il utilisait tout en paraissant les dissimuler, tantôt usant avec eux d'une munificence royale, tantôt les comblant d'honneurs militaires, tantôt se montrant affable et indulgent pour les fautes commises. Tout cela avait fait de son entourage une milice fière et soumise à la fois, si bien qu'on a peine à reconnaître ce corps d'élite si distingué par ses qualités, son énergie et son dévouement, dans ces chefs violents, avides do pouvoir, pleins d'astuce et de haine, ne connaissant plus les limites de la raison et même du possible, que nous rencontrons au temps des Diadoques. Mais la mort d'Alexandre avait brisé le lien puissant qui les contenait jusque-là ; le débat aussitôt engagé sur la succession au trône leur fit sentir pour la première fois qu'ils n'avaient plus de maure, et leur apprit à ne plus compter qu'avec leurs intérêts. La révolte de l'infanterie, appuyée seulement par un petit nombre d'officiers supérieurs[27], les avait obligés à faire encore une fois cause commune et à prendre parti pour un homme pris dans leurs rangs ; mais, dès l'instant que cette révolte était étouffée, Perdiccas lui-même devenait par le fait l'objet de leur défiance et de leur jalousie[28], en détenant seul c'e pouvoir sur lequel tous avaient des prétentions ou du moins des espérances. Avait-il une valeur supérieure, plus d'exploits à son compte ? était-il digne de les commander tous ? La raison décisive était-elle que, issu de la famille des princes d'Orestide, il avait des rois parmi ses aïeux ? Mais Polysperchon aussi et Léonnatos, le garde du corps[29], se trouvaient dans le même cas. D'ailleurs, dans les circonstances présentes, la capacité valait mieux que la naissance, et la maison royale devait seule être privilégiée. La raison était-elle que Perdiccas, déjà garde du corps sous Philippe, se trouvait peut-être le plus ancien en grade ? Mais c'était maintenant moins que jamais le moment de faire passer le vrai mérite après les hasards de l'ancienneté. Si Alexandre, comme on le croyait et l'affirmait peut-être déjà à ce moment, avait donné en mourant son anneau à Perdiccas, son intention avait été simplement de confier en garde au plus ancien de son entourage l'insigne de la royauté, jusqu'à ce qu'on se fût arrêté à un parti. Quant au récit d'après lequel le roi, comme on lui demandait qui allait se charger de l'empire, aurait répondu le meilleur ! et donné en même temps son anneau à Perdiccas, c'était une anecdote insignifiante ou une fable inventée dans l'intérêt du chiliarque. Si donc Perdiccas avait su s'emparer complètement du pouvoir suprême, moitié par sa prudence avisée, moitié par sa sévérité foudroyante, beaucoup de ceux qui l'avaient soutenu jusque-là pouvaient déjà le regretter. Le parti des grands, qui avait arraché le pouvoir à l'infanterie et à son chef Méléagre, devait, s'il ne voulait tout perdre, chercher l'occasion de résister ouvertement à l'ambition de ce nouvel adversaire, plus dangereux encore que le premier.

Détourner ce péril avant qu'il ne fût déclaré, tout était là pour Perdiccas : il devait chercher à empêcher que la coalition des grands. qui s'était faite pour lui, ne se reformât contre lui ; il devait séparer, isoler leurs intérêts, pour concentrer davantage l'autorité entre ses mains et la rendre plus. efficace. Le moyen le plus direct et le plus naturel d'y parvenir était une nouvelle répartition des emplois et des satrapies. Il pouvait éloigner ainsi du gouvernement et de l'entourage du roi les plus dangereux de ses anciens amis, et, par surcroît, faire valoir à leurs yeux comme une faveur et une récompense ce qu'on aurait pu tout aussi bien appeler un exil[30]. Il était sûr que les généraux accepteraient cet arrangement s'ils croyaient se rapprocher par là du but de leurs convoitises, c'est-à-dire se créer une souveraineté indépendante. Lui-même d'ailleurs pouvait penser que, si ces chefs ainsi isolés cherchaient à se soustraire à l'autorité royale, il lui serait toujours facile, au nom du roi et avec une armée toute prête à sa disposition, de réprimer les tentatives particulières d'usurpation et de maintenir sa propre autorité[31].

Il y a bien une tradition qui attribue ce plan à Ptolémée Lagide[32] ; mais elle ne contredit nullement ce qui précède et ne prouve pas davantage que le plus prudent et le plus avisé des officiers supérieurs ait encore agi en cette circonstance dans l'intérêt du chiliarque. Celui-ci avait pour le moment tout l'avantage de son côté, mais il se trompait dans ses calculs pour l'avenir : le Lagide, qui raisonnait plus à froid, n'hésitait pas à sacrifier les avantages immédiats pour atteindre plus sûrement son but plus tard. Échapper à la surveillance du chiliarque comme à l'influence des coteries que la réunion des grands provoquait nécessairement à la cour ; dans la position de satrape, indépendante de fait, gouverner un riche pays pour son compte, avec des pouvoirs aussi étendus que possible ; travailler à le transformer en domaine indépendant et se suffisant à lui-même, puis, s'appuyer sur cette base solide pour résister à l'autorité du chiliarque et finalement à celle d'un empire qui, en définitive, ne pouvait pas durer ; telles devaient être les visées qui firent proposer ce plan par le Lagide. Le chiliarque l'approuva au nom du roi, et les grands l'acceptèrent sans objection.

Cette circonstance, et ce fait que le plan fut suggéré par le Lagide, font supposer un compromis par lequel l'autorité impériale accordait à ceux qui consentaient à la laisser aux mains de Perdiccas des avantages destinés à les dédommager jusqu'à un certain point et à garantir leur sécurité.

C'est sans doute uniquement la question militaire qui fit adopter ce compromis. Si, dans le système d'Alexandre, la stratégie était généralement séparée de la satrapie, on pouvait alléguer maintenant des motifs plausibles pour modifier ce régime. En prévision des circonstances difficiles que l'on allait traverser, il fallait que dans chaque satrapie tous les pouvoirs fussent concentrés en une seule main, et, pour garantir l'unité de l'empire, il fallait laisser à chacun de ses membres la cohésion, la compétence et les moyens pour le défendre et pour en répondre, chacun de son cité ; à condition toutefois que l'autorité supérieure se réserverait le droit d'envoyer des ordres militaires aux satrapes dans certaines circonstances déterminées, et, le cas échéant, d'employer les milices locales pour les intérêts de l'empire[33].

Au lendemain même des lustrations, les généraux furent convoqués en conseil, et Perdiccas leur exposa au nom du roi que, vu les circonstances difficiles et en considération des grands services que beaucoup d'entre eux avaient rendus au roi et à l'État, il avait paru bon d'introduire quelques changements dans le régime des satrapies et dans les commandements militaires. Les indications plus spéciales que donnent à ce sujet les auteurs nous permettent de passer en revue les personnages les plus marquants qui jouent un rôle au cours de l'histoire des Diadoques : c'est pourquoi nous entrerons ici dans le détail[34].

Perdiccas devait, suivant l'arrangement adopté, rester dans l'entourage immédiat du roi et prendre le commandement en chef de toutes les troupes royales. Revêtu de pouvoirs illimités comme administrateur de l'empire, il aurait le sceau royal et transmettrait les ordres royaux à tous les fonctionnaires, aussi bien dans l'armée que dans l'administration[35].

Sa charge de commandant de la cavalerie[36] passa à Séleucos, fils d'Antiochos, qui commandait jusque-là la garde noble. A peine âgé de trente ans[37], il s'était signalé d'une façon éclatante à la tête de son corps dans la campagne de l'Inde, notamment à la bataille de l'Hydaspe. A la fête nuptiale de Suse, il avait épousé la fille d'un prince de la Sogdiane, Spitamène ; son caractère tenace et résolu, sa force physique extraordinaire[38] jointe à un mélange singulier de bonhomie et de prudence réfléchie, qui est le trait marquant de sa physionomie, l'avaient sans doute fait considérer par l'administrateur de l'empire comme particulièrement apte à une fonction où il aurait vu avec déplaisir un général plus ancien, autorisé par ses services à avoir plus de prétentions.

Séleucos fut remplacé à la tête de la garde noble par Cassandre, fils d'Antipater, qui, peu avant la mort du roi, était venu à Babylone avec une mission de son père. Du même âge que Séleucos[39] et sans avoir pris part de sa personne aux glorieuses campagnes d'Asie, il se vit rapidement élevé à un des plus hauts grades de J'armée. Perdiccas espérait peut-être s'attacher le père en honorant le fils ; peut-être aussi voulait-il avoir dans la main un gage de la docilité d'un homme qui, en raison de ses hautes fonctions et de la capacité dont il y avait fait preuve durant de longues années, pouvait se croire appelé avant tout autre à la direction des affaires.

On ne nous renseigne pas sur les autres changements que dut entraîner dans l'état-major de l'armée[40] le renouvellement du personnel des satrapies, dont nous allons parler. La répartition des provinces était chose plus importante.

La satrapie d'Égypte, qui comprenait la vallée du Nil proprement dite et les deux régions en dehors du Delta, appelées par les Égyptiens Arabie et Libye[41], était, grâce à sa position géographique, à sa prospérité rapide, à sa capitale Alexandrie, fondée depuis quelques années à peine et déjà florissante, une des provinces les plus importantes de l'empire. Alexandre avait mis une prévoyance et une prédilection toute particulière à organiser l'administration de l'Égypte ; il s'était attaché notamment à ne pas réunir une trop grande puissance dans une seule main. C'est abusivement que Cléomène de Naucratis, le nomarque des cercles de l'Arabie, qui gérait en même temps les revenus de la satrapie entière, avait pris avec le temps les attributions effectives d'un satrape[42]. Dans la nouvelle organisation, la province eut un satrape unique, le garde du corps Ptolémée Lagide, et on décida que Cléomène resterait en Égypte à titre d'hyparque.

La satrapie de Syrie en deçà de l'Euphrate comprenait le pays entre le fleuve et la côte, et contenait les principautés phéniciennes. Nous ne savons en quelles mains elle avait été remise dans les dernières années d'Alexandre. Elle fut donnée cette fois à Laomédon, fils de Larichos d'Amphipolis et Mytilénien de naissance. Si peu qu'il soit question de lui dans l'histoire d'Alexandre, il a chi être cependant un des hommes les plus remarquables de l'entourage du roi ; avec Néarque, Ptolémée et son frère Érigyios, il avait été mêlé en 337 à ces intrigues si connues en faveur d'Alexandre et forcé de quitter le royaume. Une fois sur le trône, Alexandre l'avait rappelé, et, en 332, comme il possédait la langue syrienne, il avait été chargé de garder les prisonniers de guerre[43]. Il ne parait pas avoir occupé d'autres fonctions militaires ; mais il était au nombre des trente-deux. triérarques de la flotte de l'Indus, et ce fait nous montre qu'il occupait un rang et une place distingués parmi les grands.

Au point de vue militaire, la Cilicie avait une importance toute particulière, puisqu'elle assurait les communications entre l'est et l'ouest de l'Asie. Aussi, en 332, Alexandre avait-il réuni dans cette province la satrapie et la stratégie, et confié cette charge importante à un de ses gardes du corps, Balacros, fils de Nicanor. Celui-ci venait d'être tué dans un combat contre les montagnards du Taurus. La province fut dévolue cette fois au taxiarque Philotas[44].

A l'ouest de la Cilicie se trouve la Pamphylie, réunie à la Lycie depuis la conquête d'Alexandre. Elle avait eu d'abord pour satrape Néarque, qui en 326 avait amené des troupes dans l'Inde. Peut-être ces pays furent-ils adjugés de nouveau à l'ancien gouverneur[45] ; peut-être cependant parut-il nécessaire de le maintenir à la tête de la flotte macédonienne dans les mers du Sud, et de laisser provisoirement sa satrapie aux mains d'Antigone.

Antigone, fils de Philippe[46], était depuis l'an 333 déjà satrape de la Grande-Phrygie. Il appartenait à la vieille génération des généraux macédoniens ; prudent, expérimenté, d :une résolution calme, il avait dû pendant ces dix dernières années donner à son autorité la ferme assiette dont elle avait besoin, surtout dans cette province entourée de brigands et d'alliés presque indépendants. Au sud, les monts Taurus étaient habités par des tribus pisidiennes qui parfois infestaient même la grande route militaire frayée à travers les passages difficiles de Termessos et de Sagalassos : tout récemment encore, Balacros avait perdu la victoire et la vie en luttant contre les deux villes des Isauriens et des Larandiens. Au nord-est, dans la partie de la Cappadoce baignée par le Pont-Euxin, régnait le vieux prince Ariarathe, qui pendant une longue suite d'années s'était efforcé d'augmenter sa puissance militaire, et qui passait pour avoir 30.000 fantassins et 15.000 hommes d'excellente cavalerie[47].

Les rapports avec les voisins du côté du nord, les Paphlagoniens, paraissent avoir changé alors du tout au tout : en 333, ils s'étaient soumis spontanément au roi, à la condition qu'ils conserveraient leurs princes et que leur frontière ne serait pas franchie par les troupes macédoniennes, et on les avait placés sous la suzeraineté du satrape de la Phrygie riveraine du Pont-Euxin. Quels furent les changements introduits, nous l'ignorons[48] ; ce qui est certain, c'est que la Paphlagonie allait être englobée désormais dans le gouvernement d'Eumène, lequel ne pouvait être établi que par la force des armes.

Eumène, en effet, devait gouverner comme satrape la Paphlagonie, la Cappadoce et le littoral du Pont-Euxin jusqu'à Trapézonte à l'est[49]. Natif de Cardia en Chersonèse, et fils de Hiéronymos, Eumène, déjà au service de Philippe depuis 352, puis secrétaire particulier d'Alexandre, était, en sa qualité de Grec, d'autant moins aimé des grands de Macédoine que le roi l'avait distingué à plusieurs reprises, et récemment encore en le mariant à la fille d'Artabaze. Connaissant ces dispositions des grands, l'habile Cardien, à la mort du roi, s'était tenu à l'écart, sans se mêler au conflit entre la noblesse et les phalanges, disant qu'il ne convenait pas à un étranger de s'immiscer dans les querelles des Macédoniens. Nous avons vu quelle part importante il prit par la suite à l'accommodement intervenu.

Le souvenir de ce service et do la situation antérieure d'Eumène, d'autre part, l'idée que, s'il restait à Babylone sous le coup d'une disgrâce et la rancune au cœur, il pouvait devenir des plus dangereux, ont pu décider Perdiccas à lui faire sa part. La nomination à une satrapie ne signifiait pas autre chose. Cette satrapie, il devait la conquérir, sinon tout entière, du moins en grande partie ; et c'est au prince Ariarathe, un ennemi puissant, qu'il fallait l'arracher. Antigone reçut par écrit l'ordre de faire cette conquête ; il pouvait paraître avantageux d'engager en compagnie d'Eumène ce satrape puissant, aux visées ambitieuses, dans une guerre qui devait lui coûter du temps et de l'argent et ne lui procurer aucun avantage en cas de victoire, mais lui donner un voisin habile et puissant qui, quand on lui demanderait la récompense des services rendus, attacherait plus étroitement ses intérêts à la cause du lieutenant-général de l'empire.

En Carie, la vieille princesse Ada d'Alinda était morte, sans doute du vivant même d'Alexandre : le pays devint une satrapie immédiate de l'empire. On ne dit pas à qui elle fut adjugée d'abord ; ce fut probablement à ce même Asandros[50] qui la gouverna depuis. Asandros, était un fils du vieux Philotas et un frère de Parménion. Il avait déjà reçu en 334 la satrapie de Lydie ; mais, en 330, il avait rejoint l'armée en Bactriane avec de nouvelles troupes. Il a dû s'en retourner avec le roi et se trouver à Babylone lors du partage.

L'ancien satrape de Lydie, Ménandre[51], était également venu à Babylone avec des troupes fraîches peu de temps avant la mort du roi : on lui rendit la satrapie qu'il avait occupée.

Infiniment plus importante, du moins au point de vue militaire, était la troisième satrapie du littoral occidental, qu'on appelait la Phrygie sur l'Hellespont. C'est par là que passait la grande route d'Asie en Europe, et quiconque était maître de la Phrygie pouvait couper au moins les communications par voie de terre. Pour le passage de l'Hellespont, c'était en quelque sorte la tète de pont du côté de l'Asie et une excellente position pour surveiller un ennemi venant d'Europe. Après Calas fils d'Harpalos, c'est Démarchos[52] qui avait commandé dans la région. Dans les circonstances actuelles, où il y avait des divisions et des conflits à prévoir, cette satrapie avait une double importance. Si Léonnatos, le garde du corps, qui semblait destiné tout d'abord à partager l'autorité suprême avec Perdiccas et qui, par son attitude décidée à la tète de la cavalerie, avait plus que personne contribué à la victoire de Perdiccas, si Léonnatos, disons-nous, reçut cette satrapie, c'est que probablement il renonça à partager le pouvoir avec Perdiccas, préférant une charge qui lui assurait évidemment une influence plus grande qu'une place à ses côtés, et Perdiccas, de son côté, préférait peut-être aussi confier un poste aussi important à un homme dont il croyait avoir éprouvé le dévouement lors de la révolte. Léonnatos reçut l'ordre de s'associer avec Antigone pour ouvrir en commun la campagne contre Ariarathe.

Les affaires d'Europe furent réglées par l'administrateur de l'empire d'une façon assez singulière. Non content de partager le pouvoir entre Cratère et Antipater, comme il avait été stipulé déjà dans le traité avec Méléagre, il en détacha toute la Thrace à l'est de l'ancienne frontière macédonienne, c'est-à-dire le pays des Odryses et des Thraces au delà de l'Hémos, régis jusqu'alors par des stratèges particuliers soumis au gouverneur de la Macédoine, et il en fit une satrapie à part. La défaite du dernier stratège Zopyrion et la nécessité d'opposer une digue solide à la poussée des Scythes vers le Danube pouvaient justifier ces mesures ; mais le but réel de Perdiccas était de soustraire la Chersonèse et les pays voisins, autrement dit le chemin de la Macédoine, à l'influence d'Antipater, qui ne pouvait guère se trouver très satisfait des arrangements pris à Babylone. Ce fut le garde du corps Lysimaque[53] qui reçut la satrapie de Thrace. C'était un des officiers supérieurs les plus vigoureux et les plus entreprenants de l'armée[54], de plus, très dévoué à Perdiccas.

Si celui-ci ne pouvait plus compter sur l'ancien administrateur de l'empire en Macédoine, les ordres donnés par Alexandre pendant l'été de 324 lui fournissaient assez de prétextes pour enlever à Antipater un commandement qui constituait un danger pour le nouveau régime. Mais Cratère avec ses vétérans n'avait pas encore dépassé la Cilicie, et Antipater gardait encore toute son autorité en Macédoine : il y était trop puissant pour que Perdiccas pût l'attaquer ouvertement dès à présent. En outre, on avait des raisons de craindre que les Grecs, en apprenant la mort d'Alexandre, ne prissent les armes, et Antipater était seul pour le moment en état de leur tenir tète. En le dispensant de céder son commandement à Cratère pour conduire une armée fraîchement recrutée en Asie, on semblait lui accorder une faveur dont il serait peut-être reconnaissant. Pour tout le reste, Perdiccas s'en tint à ce qui avait été décidé avant la lustration de l'armée. Antipater, comme stratège investi de pleins pouvoirs, Cratère, comme prostate[55], reçurent donc dans leurs attributions tout le pays situé à l'est de la satrapie de Lysimaque, c'est-à-dire la Macédoine, l'Illyrie, le pays des Triballes, des Agrianes, l'Épire jusqu'aux monts Cérauniens et toute la Grèce[56].

Tandis que, dans les provinces occidentales de l'empire, on avait opéré presque partout des changements considérables, l'Orient presque tout entier resta sous le gouvernement des satrapes en fonctions. Les satrapies de cette région commencèrent dès lors à se trouver plus complètement abandonnées à elles-mêmes : éloignées comme elles l'étaient des contrées marquées par la force des choses pour être le théâtre de la lutte future, elles n'avaient qu'une importance secondaire pour le règlement définitif des affaires du monde. On dut aussi chercher à éviter autant que possible tout changement de régime chez des peuples à peine soumis encore et peu habitués au gouvernement des Macédoniens. Il sera cependant à propos d'énumérer les satrapies d'Orient, ne fût-ce que pour donner une idée de l'extension de l'empire et rappeler les vastes relations qu'on avait nouées.

L'Extrême-Orient, c'est-à-dire le pays entre l'Hydaspe et l'Hyphase, restait entre les mains du roi Porus ; il n'est plus fait mention des deux principautés de Phégée et de Sopithès sur l'Hyphase ; probablement la satrapie du Bas-Indus tomba sous la domination du même roi[57]. A côté de lui, entre l'Hydaspe et l'Indus, Taxile conserva ses anciennes possessions[58]. Les deux rois étaient à peu près indépendants de l'empire, qui ne parvint à rétablir son prestige et faire valoir ses droits dans ces contrées que bien des années plus tard.

La satrapie de l'Inde en deçà du fleuve, possédée jusqu'en 324 par Philippe, fils de Machatas, l'Élymiote, et administrée par intérim après sa mort par le chef des troupes qui y étaient cantonnées, fut donnée à Pithon, fils d'Agénor, qu'Alexandre avait laissé en 325 à la tète des pays de l'Indus inférieur[59].

La satrapie du Caucase, pays des Paropamisades, resta entre les mains d'Oxyartès, père de Roxane. L'Arachosie el la Gédrosie restèrent également réunies sous l'autorité de Sibyrtios ; l'Arie et la Drangiane conservèrent leur ancien satrape, Stasanor de Soles[60].

Au nord du Caucase, Amyntas, fils de Nicolaos, gouvernait depuis 329 la Bactriane : comme il était mort, à ce qu'il semble, Philippe lui succéda, et la Sogdiane fut confiée à un grand du pays. Lors du soulèvement des colons helléniques, en 325, ce gouverneur doit avoir été révoqué pour négligence ou pour un motif quelconque, et Philippe administra désormais les deux provinces[61]. La Parthie, avec l'Hyrcanie et la Tapurie, resta à Phratapherne.

Il y eut quelque changement, parait-il, dans les provinces limitrophes du côté de l'ouest. Atropatès, dont Perdiccas avait épousé la fille à Suse, conserva la satrapie de la Petite-Médie[62] ; Pithon, fils de Crateuas, le garde du corps, fut nommé satrape de la Grande-Médie, avec Ecbatane pour résidence. Avec son caractère remuant et ambitieux[63] ce général devait trouver bientôt l'occasion de tirer de sa position un parti extrêmement remarquable. Il éclipsa complètement Atropatès ; le Perse avisé se contenta prudemment de gouverner la Médie du nord, que traverse la riche vallée de l'Araxe, et l'Atropatène passa comme principauté indépendante à ses fils et petits-fils.

La satrapie d'Arménie, située entre la Médie et les provinces qu'Eumène devait occuper, fut remise — on ne sait trop à qui elle appartenait jusque-là — à l'archi-hypaspiste Néoptolémos, qui se vantait de descendre des Æacides[64].

La satrapie limitrophe du côté du sud, c'est-à-dire la Mésopotamie ou Syrie au delà du fleuve, fut le lot d'Archélaos, probablement ce même Archélaos, fils de Théodoros, qui avait été stratège de la Susiane depuis 330. La satrapie de Babylonie passa à Archon[65].

On ne saurait dire avec certitude à qui échut la satrapie de Suse[66] ; on ne sait pas non plus si la Parætacène continua de former une satrapie spéciale, ou si elle fut réunie à la Médie ou à la Perse. La Perse même conserva son ancien gouverneur, Peucestas, et la province limitrophe de Carmanie resta à Tlépolémos, nommé par Alexandre en 323.

Telle fut la répartition des satrapies. Si le lieutenant-général de l'empire voulait éloigner les autres grands du centre de l'empire et les écarter de l'armée, pour avoir dans sa main cette force toujours prête, pour garder vis-à-vis des satrapes sa supériorité et s'assurer de leur obéissance, il devait avant tout se rendre complètement maître de cette armée. Ce qui s'était passé récemment aux portes de Babylone avait assez brisé l'arrogance des phalanges[67] pour que le moment parût venu de flatter leur orgueil par un acte important qui les attacherait au nouveau régime. Alexandre avait chargé Cratère de nombreuses et coûteuses missions : si on les lui laissait remplir, il fallait non seulement laisser à sa disposition des sommes énormes, mais encore mettre à contribution le Trésor royal dans une mesure que Perdiccas ne pouvait accepter sans déplaisir. Pour annuler les ordres d'Alexandre, Perdiccas, selon la coutume nationale, convoqua les Macédoniens en assemblée générale : il leur dit qu'il avait trouvé dans les papiers du roi[68] les plans que Cratère était chargé d'exécuter.

Les projets furent lus successivement : on devait construire pour la campagne projetée vers l'Occident une flotte de mille vaisseaux de guerre plus grands que les trirèmes : les docks, ports et arsenaux nécessaires seraient établis sur les côtes aux endroits les plus convenables, et on tracerait une grande route militaire le long des rivages de Libye jusqu'aux colonnes d'Héraclès. On devait ensuite favoriser autant que possible la fondation de villes nouvelles, et notamment la réunion des bourgades séparées en une seule enceinte fortifiée ; on faciliterait l'émigration d'Europe en Asie et réciproquement, pour faire disparaître par toute espèce de mélanges et d'égalisation les différences entre les sujets asiatiques et européens. Enfin, on devait construire un certain nombre de grands édifices, dont voici la liste : en l'honneur de Philippe de Macédoine et pour lui servir de monument funéraire, une pyramide aussi élevée que la plus grande de l'Égypte ; six grands temples, qui devaient coûter chacun mille cinq cents talents, c'est-à-dire à Dion en Macédoine, en l'honneur de Zeus ; à Amphipolis sur le Strymon, pour Artémis Tauropole ; à Cirrhos en Macédoine pour Athèné ; à Délos, à Delphes et à Dodone pour les dieux du pays, etc. Perdiccas fit remarquer que le Trésor avait déjà été fortement mis à contribution pour les funérailles d'Héphestion, dont il fit connaître la dépense : il était inutile de se mettre à construire la flotte et la route militaire de la Libye, puisque raisonnablement on ne devait plus songer à la campagne contre Carthage, l'Italie ou l'Ibérie. Les Macédoniens laissèrent voir leur admiration pour les vastes plans d'Alexandre ; mais, comme leur exécution offrait d'énormes difficultés et que les circonstances ne s'y prêtaient pas, on résolut d'annuler les dispositions du roi[69].

Quelques semaines à peine s'étaient écoulées depuis la mort du grand roi, depuis la fin de sa vie, celle du moins qu'il tenait des hommes[70], et comme son souvenir était déjà relégué à l'arrière-plan ! comme on s'écartait de la voie hardie qu'il avait si heureusement frayée ! Dans toutes les résolutions concernant l'empire, on sentait un mouvement de recul irrésistible et une action dissolvante. Sur un point seulement, tous étaient unanimes : chacun voulait tout sacrifier à son propre intérêt. Déjà les premiers symptômes de l'ambition et de la jalousie, les vieilles rancunes que la main ferme du roi avait si longtemps contenues, éclataient çà et là comme des éclairs annonçant la tempête. Et cela, non seulement dans l'armée et entre ses chefs. La reine Roxane, qui se trouvait près d'Alexandre à ses derniers moments, écrivit à la reine Statira, qu'il avait épousée à Suse, pour la prier de venir à Babylone et de s'y mettre en sûreté sous la protection du lieutenant-général et de l'armée. Quant elle fut venue, et avec elle sa sœur Drypétis, la jeune veuve d'Héphestion, les deux princesses furent traîtreusement assassinées. Avec elles s'éteignait la famille des rois de Perse : les cadavres furent jetés dans un puits que l'on combla ensuite. Perdiccas savait tout cela, et prêta même son concours[71]. Sur ces entrefaites, Roxane accoucha d'un garçon, qui fut acclamé par l'armée sous le nom de roi et d'Alexandre[72].

C'est à ce moment qu'eurent lieu les funérailles du roi[73]. La puissance macédonienne y apparut pour la dernière fois unie et en paix. Les nouveaux satrapes se rendirent ensuite chacun dans sa province : ils ne devaient plus se retrouver désormais que sur les champs de bataille.

 

 

 



[1] CURT., X, 5 : probablement d'après Clitarque. Trogue-Pompée (JUSTIN, XIII, 1), suivant, à ce qu'il semble, la narration de Douris, comprend tout autrement la situation. Une troisième manière de voir, que l'on retrouve dans les extraits d'Arrien, dans Diodore (XVIII, à partir du ch. 2) et dans Plutarque (Eumen., à partir du ch. 3) remonte à Hiéronyme de Cardia.

[2] Arrien (De reb. succ., I, § 2) nomme comme présents Perdiccas, Léonnatos, Ptolémée, Lysimaque, Pithon, Aristonous. Il laisse de côté Peucestas, qui, d'après les Éphémérides, se trouvait à ce moment à Babylone ; et il a raison, car Peucestas, en acceptant la satrapie de Perse, cessait d'être somatophylaque, comme Balacros quand il était devenu en 333 satrape de Cilicie, et Ménès quand il avait été nommé en 331 hyparque du littoral syrien (ARRIAN, II, 12, 2 ; III, 16, 9). Peut-être, comme on le verra tout à l'heure, Arrhidæos (Arrhabæos) avait-il été ou allait-il être nommé garde du corps à la place de Peucestas.

[3] Peut-être aussi Alexandre lui avait-il, après la mort d'Héphestion, confié le commandement de la cavalerie. Si Héphestion devait continuer à être appelé chef de ce corps, il fallait cependant bien que les fonctions de chiliarque fussent gérées par quelqu'un, et elles revenaient au plus haut dignitaire de l'armée et de la cour.

[4] CURT., X, 6, 1. — DIODORE, XVIII, 2. — JUSTIN, XIII, 2. On fit comme avant la bataille de Gaugamèle (ARRIAN, III, 16, 4). Il est possible cependant que cette fois, à la mort du roi, on n'ait convoqué que les hétœres, stratèges, hipparques, autrement dit, rien que des Macédoniens : les auteurs ne disent rien là-dessus.

[5] Diodore (XX, 20), à la date de 310, appelle Héraclès έπτακαίδεκα έτη γεγονώς. Justin (XV, 2, 3) dit au même propos : qui fere annos XIIII excesserat. Il devait par conséquent être né vers 327 ou 324 : et cependant Parménion, — qui avait, dit-on, conseillé à Alexandre de nouer des relations avec Barsine, — ne faisait plus partie personnellement de l'entourage du roi depuis 330, et à la fin de cette année il avait déjà été mis à mort. Barsine avait eu déjà de Memnon un fils, et auparavant, de — Mentor, qui était déjà mort en 338, — trois filles, dont l'aînée avait épousé Néarque à Suse. Si elle avait mis au monde Héraclès en 324, elle aurait déjà été d'un certain âge, et d'autant moins attrayante pour Alexandre, qui était plus jeune qu'elle. Le duc DE LUYNES a publié (Essai sur la numismatique des satrapies, pl. XVI) une médaille qui, d'après son type (un lion déchirant un taureau), appartient à la Cilicie : elle porte au revers la légende אלכסנרך au droit une tête de femme avec ...ברםֹ. A supposer que BLAU (Wiener Numism. Zeitschrift, 1876, p. 235) ait d'aussi bonnes raisons pour reconnaître le nom de Barsine que pour celui d'Alexandre, il faudrait bien en conclure que Barsine avait reçu comme dotation une ville de Cilicie, peut-être Tarse. Mais BRANDIS (Münzkunde, p. 431) substitue à la leçon de Blau la leçon plus exacte עחהט, dans laquelle SIX (Monnaies d'Hiérapolis en Syrie, excellent article de la Numism. Chron., N. S., XVIII, p. 103) reconnaît une abréviation de בובה עהח (Athe Thabe), l'Ατταγάθη d'Hesychius (Άττ' άγαθή = Dea bona).

[6] Diodore (XVIII, 2) le dit ψυχικοΐς πάθεσιν συνεχόμενος άνιάτοις. On a voulu, en conséquence, corriger dans Justin (XIII, 2, 11) valitudinem majorem (épilepsie) en valitudinem animorum.

[7] D'après Quinte-Curce (X, 6, 19), Perdiccas hésite à accepter la primauté (summam imperii) qu'on lui offre : hærebat inter cupiditatem pudoremque, et quo modestius quod expectabat appeteret, pervicarius oblaturos esse credebat. Itaque cunctatus diuque quod ageret incertus, ad ultimum tamen recessit et post eos qui sedebant proximi recessit. Puis vient, sur la proposition du somatophylaque Pithon, la nomination des tutores (CURT., X, 7, 8. Cf. JUSTIN, XIII, 2, 14).

[8] Il est a remarquer que Justin (XIII, 1, 7) parle comme si l'infanterie avait renouvelé à la mort d'Alexandre les scènes d'Opis : ut hostem amissum gaudebant et securitatem nimiam et adsidua belli pericula exsecrantes, etc.

[9] Diodore parle de plusieurs délégués : on est tenté de supposer que les stratèges furent envoyés auprès de leurs phalanges, Méléagre peut-être à leur tête, comme le premier par rang d'ancienneté. D'après Justin, on envoya avec Méléagre Attale, ou bien un stratège ou taxiarque dont on n'a point parlé encore, celui que mentionne Arrien (De succ. Alex., ap. PHOT., § 33), — ou le fils d'Andromène, le Tymphéen qui avait épousé la sœur de Perdiccas ; seulement, comme nous le verrons plus tard, il n'est guère possible d'appliquer à ce dernier ce que dit plus loin Justin (XIII, 3, 7) : Attalus ad interficiendum Perdiccam ducem partis alterius mittit.

[10] Quingenti cum eo orant spectatæ virtutis, Ptolemæus quoque se adjunxerat ei puerorumque regia cohors (CURT., X, 7,17). Le chef de cette cohorte était Séleucos ; et Arrien (De success. Alex., I, § 3) le range parmi ceux qui tenaient pour Perdiccas. Les autres détails que l'on trouve dans Quinte-Curce et Justin, si dramatiques qu'ils soient, paraissent être de pure invention, notamment l'assertion : Perdiccas, ne abducendo equites abrupisse a cetero exercitu rideretur, in urbe substitit. Si, dans l'extrait trop succinct que Photius a fait de l'Histoire des successeurs d'Alexandre par Arrien, on pouvait utiliser la moindre allusion, on tirerait peut-être du début la conclusion que c'est cette transaction qui a mis fin au premier conflit engagé dans le palais royal entre l'infanterie et la cavalerie. Pour mon compte, je n'ose pas aller jusque-là.

[11] D'après Plutarque (Eumen., 1), Eumène aurait obtenu l'hipparchie de Perdiccas après la mort d'Héphestion, lorsque Perdiccas remplaça le défunt comme chiliarque. La chose est peu vraisemblable.

[12] PLUTARQUE, Eumen., 3. DIODORE, XVIII, 2. C'est dans ces circonstances qu'il faut placer l'anecdote racontée par Plutarque (Eumen., 1) : à l'entendre, l'archi-hypaspiste Néoptolème aurait dit, après la mort d'Alexandre, qu'il avait accompagné Alexandre avec le bouclier et la lance, tandis qu'Eumène portait les tablettes et le poinçon.

[13] Igitur a rege legatur Pasas Thessalus et Amissus Megalopolitanus et Perilaus (CURT. X, 8, 15) : ce dernier était probablement, un Macédonien, sans doute le même qui se trouve cité dans Diodore (XIX, 64) comme stratège d'Antigone. Il n'est guère possible, en fin de compte, que les deux personnages grecs soient tout simplement inventés par Clitarque.

[14] D'après Quinte-Curce (X, 8, 22), qui fait venir les propositions de l'infanterie, les fantassins demandent simplement à Perdiccas ut Meleagrum tertium ducem acciperent : haud ægre id impetratum est. Ce qui Arrien dit de la convention conclue à la suite des pourparlers montre que cette version est le contre-pied de la vérité.

[15] JUSTIN, XIII, 4, 3. L'extrait d'Arrien ne mentionne pas cette clause : elle doit avoir existé, car désormais il est toujours question des rois : leurs noms figurent officiellement dans le décret des Nasiotes en l'honneur de Thersippos (C. I. GRÆC., II, n° 2166. App. p. 1024). Nos sources ne disent pas comment on devait s'arranger pour la tutelle de cet enfant. La qualification d'Alexandre Ægos, jadis employée de temps à autre, provient du Canon des Rois de PETAU, celui-ci ayant trouvé dans son manuscrit et accepté la leçon Άλέξανδρος ΑΙΓΟΣ pour ΑΛΛΟΣ.

[16] Il y a ici un passage important dans les extraits d'Arrien. Justin (XIII, 4, 5) est plus superficiel. Le texte d'Arrien se trouve expliqué par un fragment de Dexippos (fr. 1). Il ne s'agit sans doute pas de la fonction d'έπίτροπος, telle que la remplit le Lynceste Aéropos après la mort d'Archélaos (DIODOR., XIV, 37), Ptolémée d'Aloros après la mort d'Alexandre Ier (ÆSCHIN., De falsa leg., § 29), et Philippe après la mort de Perdiccas, comme έπίτροπος de son petit-neveu Amyntas (JUSTIN, VII, 5, 9). Le mot προστασία ne doit pas signifier simplement le decus regium, comme le pense WESSELING (ad Diodor. XVIII, 49) et comme Diodore l'emploie en effet quelque part (XVII, 34) : c'est ce qui parait résulter d'un texte du même Diodore (XVIII, 23).

[17] D'après le décret en l'honneur de Thersippos, il est hors de doute que son vrai nom était Arrhabæos ; et dans un passage tout au moins de Polyænos (VII, 30, un stratagème qu'on a tout lieu de rapporter à Cyzique), la leçon des mss. est Άριβαίου ou Άριββαίου. Diodore (XVIII, 3. 26. 39. 51, etc.) écrit toujours Άρριδαΐος. On voit par la méprise de Justin (XIII, 4, 6) : jubetur Arrhidæus rex corpus Alexandri in Ammonis templum deducere, combien la corruption du nom est ancienne. C'est précisément pour cette raison que je n'ai pas osé abandonner la tradition des manuscrits, d'autant plus qu'on ne donne jamais ni le nom du père, ni quoi que ce soit indiquant l'origine de ce personnage. Naturellement, c'est un des grands, et le vrai nom indiquerait la famille des Lyncestes ; peut-être est-ce un fils de l'hipparque Amyntas, petit-fils d'Arrhabæos et arrière-petit-fils du roi Aéropos. La mission d'accompagner le cadavre et la situation qu'occupe plus tard cet Arrhabæos font supposer qu'il avait pris parmi les somatophylaques la place de Peucestas.

[18] D'après Quinte-Curce (X, IO, 9), le cadavre d'Alexandre est resté sept jours abandonné ; Élien (Var. Hist., XII, 61) dit trente jours.

[19] Le fait que, dans le mauvais catalogue de l'armée d'Alexandre donné par Diodore (XVII, 17), Parménion commande toute l'infanterie, ce fait, dis-je, ne prouve rien. L'expression d'Arrien : Μελέαγρον δέ ΰπαρχον Περδίκκου, indique la vraie situation, bien que le mot ΰπαρχο soit employé de bien des façons.

[20] CORNEL. NEPOS, Conon, 3. Cf. DIODORE, XVIII, 48.

[21] ARRIAN, VII, 11, 10.

[22] On trouve des détails sur son caractère dans Élien (Var. Hist., IX, 3. XII, 16, XII, 39), et dans bien des passages de Diodore : Quinte-Curce (X, 7, 81, parlant de lui et de Léonnatos, les appelle regia stirpe genitos. Au temps de la guerre du Péloponnèse, le prince d'Orestide était Antiochos (THUCYD., II, 80), et Oronte, le père de Perdiccas, pouvait être le petit-fils ou le fils de cet Antiochos.

[23] Infensus seditionis auctoribus repente ignaro collega lustrationem castrorum propter regis mortem (?) in posterum edicit (JUSTIN, XIII, 4, 7). L'assertion de Quinte-Curce, à savoir que Méléagre s'est associé pour cette lustration avec Perdiccas, communi consilio opprimendi noxios, parait être une explication de pure rhétorique.

[24] TITE-LIVE, XL, 6 et 13. D'après Hesychius (s. y. Ξανθικά), on procédait régulièrement à la lustration dans le mois de Xanthicos, qui cette année-là pouvait correspondre au mois de mars ; ici, c'est une lustration extraordinaire.

[25] ARRIAN, loc. cit. JUSTIN, XIII, 4. CURT., X, 9, 14-21. XVIII, 4. Ainsi Hiéronyme, qui était présent à Babylone, donne le chiffre de 30 suppliciés : Quinte-Curce va jusqu'à 300. D'après Quinte-Curce, l'exécution eut lieu conspectu totius exercitus ; d'après Justin (XIII, 4, 9), sur l'ordre secret de Perdiccas (occulte jubet). Diodore raconte le fait après la répartition des satrapies, contrairement à Arrien et à la nature même de l'incident.

[26] JUSTIN, XIII, 2, 2.

[27] En dehors de Méléagre el de ce problématique Attale, nous n'en connaissons pas un seul : parmi les chefs de phalange que nous savons avoir été en fonctions à cette époque, Alcétas, frère de Perdiccas, Attale (fils d'Andromène), marié avec Atalante, sueur de Perdiccas, Philotas, qui reçut bientôt après la satrapie de Cilicie, n'étaient évidemment pas du parti opposé.

[28] ARRIAN, ap. PHOTIUS, I, 5.

[29] CURT., X, 7, 8. Léonnatos peut avoir été d'une branche collatérale de la famille royale, car il est dit originaire de Pella (ARRIAN, VI, 28, 4). Comme Arrien appelle son père tantôt Antéas (VI, 28, 4. III, 5, 5 : Onasos est dans ce dernier passage une fausse leçon), tantôt Anthès (ap. PHOT., 69 a 12), tantôt Eunos (Indic., 18), on ne sait quel est le nom exact. Alexandre l'avait nommé garde du corps en 331 (ARRIAN, III, 5, 5), et c'est peut-être par erreur que Diodore (XVI, 94) le cite déjà parmi les gardes du corps de Philippe.

[30] JUSTIN, XIII, 4, 9.

[31] Il est fort étonnant de voir Diodore (XVIII, 3) raconter la répartition des satrapies avant l'exécution des émeutiers et le meurtre de Méléagre : ceux qui contestent que Diodore suive Hiéronyme attachent de l'importance à cette remarque. Seulement, la chose n'est pas plus explicable si Diodore a copié Douris ; surtout, ce n'est pas Douris qui lui aurait indiqué Méléagre au lieu de Ménandre comme satrape de Lydie.

[32] PAUSANIAS, I, 8.

[33] Les auteurs ne disent mot de ce compromis, de ce changement de système ; mais, comme on trouve par la suite le dernier système réellement appliqué, on peut conclure avec quelque certitude qu'il y a eu modification.

[34] perducto in urbem exercitu (CURT., X, 10, 1). Il y a, pour cette répartition, six listes qui, comme le montre l'ordre suivi dans l'énumération, reposent toutes sur un même prototype. Deux d'entre elles, celle de Quinte-Curce (X, 10) et celle de l'extrait d'Arrien (τά μετά Άλέξανδρον) ne contiennent que la première moitié, tandis que Diodore (XVIII, 3), Justin (XIII, 3), Orose (III, 24), qui représente à tout le moins un ancien manuscrit de Justin, et l'extrait de Dexippos dans Photius, donnent la liste complète. Justin a eu sous les yeux un catalogue autrement disposé (Douris) que Diodore et Dexippos (Hiéronyme) : Arrien est d'accord avec ces derniers auteurs.

[35] Comme, d'après le témoignage exprès de Diodore, la chiliarchie passe à Séleucos, c'est que Perdiccas a échangé cette dignité contre une plus haute, et cette charge plus élevée ne peut être que celle d'έπιμελητής αύτοκράτωρ, qui en tout cas se trouve mentionnée expressément quelques années plus tard (DIODOR., XVIII, 39). Cette opinion se trouve confirmée encore par un passage où Diodore (XVIII, 2) donne déjà par anachronisme à Perdiccas le titre de έπιμελητής τής βασιλιείας.

[36] DIODORE, XIII, 4. Justin (XIII, 4, 17) qualifie cette fonction de summus castrorum tribunatus.

[37] D'après Porphyre (in EUSEB. ARMEN., I, p. 249), Séleucos est mort en 281, dans la 75e année de son âge.

[38] LUCIAN, De dea Syria. APPIAN, Syriac., 57. Élien (Var. Hist., XII, 16) le qualifie de άνδρεΐος.

[39] Athénée (I, 18) raconte, d'après Hégésandros, qu'à l'âge de 35 ans il était encore obligé de rester assis à table à côté de son père, au lieu de se coucher sur un lit, parce qu'il n'avait pas encore abattu de sanglier à la chasse.

[40] Il serait intéressant, par exemple, de savoir sous quelle forme a subsisté l'institution des gardes du corps ; mais sur ce point, comme sur toute l'organisation militaire en vigueur durant les années suivantes, il n'y a rien de bien clair à tirer des auteurs. Seul Aristonous, qui parait avoir été particulièrement lié avec Perdiccas, continua à faire partie des gardes du corps, et sans doute en la même qualité, comme approchant la personne du roi.

[41] Arrien dit : Λιβύης καί όσα τής Άράβων γής ξύνορα Αίγύπτω. Naturellement, il ne s'agit ici que des contrées de Tiarabia et de Niphæat. A coup sûr, le nom de Libye tout court ne comprend pas Cyrène ; il n'embrasse même pas tout le domaine que l'on désignait, au point de vue politique, par le terme de Libye. Les monnaies qui portent ΛΙΒΥΩΝ et parfois le type d'Alexandre montrent que le mot n'est pas simplement employé comme expression géographique et ethnographique, mais qu'il a désigné à une certaine époque une communauté politique, composée probablement de tribus nomades du désert. Nous n'examinerons pas ici si l'M phénicien que l'on rencontre sur ces monnaies doit s'entendre des Macédoniens, des Marmarites, ou des Makæens (voyez les diverses explications proposées dans C. MÜLLER, Numismatique de l'ancienne Afrique, I, p. 133) ; en tout cas, les Mer-mer-ti qui, d'après une inscription hiéroglyphique de l'an 211 (LEPSIUS, Zeitschr., IX, p. 1), ont été soumis par Ptolémée sont les tribus du désert qui habitent entre l'Égypte et la Cyrénaïque. — Dans la répartition des satrapies, la Cyrénaïque parait avoir été d'abord considérée comme faisant partie de l'Hellade libre. — Quant à l'Arabie, Pline (V, 15), parlant probablement d'après Posidonius, dit : ultra Pelusiacum Arabia est ad mare Rubrum pertinens... Ostracine Arabia finitur.

[42] JUSTIN, XIII, 4, 11. On donne parfois à Cléomène le titre inexact de satrape.

[43] ARRIAN, III, 6.

[44] Philotas est donné dans Arrien (III, 29. IV, 25) comme chef d'une phalange. Il joue dans les discordes ultérieures un rôle assez appréciable, comme partisan de Perdiccas.

[45] Justin est seul à affirmer que Néarque a reçu la Lycie et la Pamphylie : Diodore (XVIII, 3) prétend que les deux provinces ont été assignées à Antigone. Il serait étonnant que l'amiral, qui était évidemment un des personnages les plus influents de la cour, fût sorti de là les mains vides : ses relations antérieures avec la Lycie et la Pamphylie, et la situation de ces provinces, si propice à la marine, semblent donner plus de poids encore à l'assertion de Justin. Malheureusement, il est impossible de déterminer la date de la lutte engagée, au rapport de Polyænos (V, 35), entre Néarque et Antipatridas au sujet de Telmessos.

[46] Le renseignement donné par Élien (Var. Hist., XII, 13) provient évidemment de quelque écrit où l'on se moquait d'Antigone ; Élien a dû l'emprunter à Douris, l'adversaire des Antigonides, qui se plaisait à ces impertinences. On en trouve, du reste, toute une anthologie colligée par Élien (Var. Hist., XII, 43) probablement dans les Μακεδονικά de Douris. Ce que dit Justin (XIII, 4, 10) de Ptolémée (quem ex gregario milite Alexander virtutis causa provexerat) porte la même marque de fabrique. Comment Alexandre, dès le début de la guerre, aurait-il fait d'un αύτουργός un satrape de Phrygie ? Comment s'expliquer que, comme le dit Élien (Var. Hist., XII, 16), il ait été inquiet de l'ambition de ce personnage ? Antigone était à coup sûr de grande famille et Diodore (XXI, 1) ne dit pas le contraire quand il emploie, en parlant de lui, l'expression : έξ έδιώτου γενόμενος δυνάστης. Du reste, avant de recevoir la satrapie de Phrygie (333), il avait été stratège des contingents d'infanterie fournis par la Ligue hellénique, et, d'après la version arménienne d'Eusèbe (I, p. 248, éd. Schœne), il entrait déjà dans la soixantaine au moment où nous sommes.

[47] DIODORE, XVIII, 16. Cf. un passage où le même auteur (XXXI, 19, 4) parle de la prétendue généalogie qui faisait descendre Ariarathe d'une ancienne famille princière de la Perse. On ne nous dit pas si la Haute-Cappadoce, qu'Alexandre parcourut en 333 et qu'il plaça sous les ordres du satrape Sabictas (?) ne fut pas peut-être réunie plus tard à une autre satrapie, par exemple, à la Grande-Phrygie (Cf. CURT., IV, 1, 35). D'après WADDINGTON (Revue Numism., 1861, p. 2 sqq.), c'est à cet Ariarathe qu'appartiennent les monnaies d'argent, frappées probablement à Sinope et à Gazioura, avec la légende אריוות. Sur les belles monnaies de cuivre avec la même légende, voyez MERZBACHER (Wiener Num. Zeitschr., 1871, p. 427). Il a été question de ces monnaies et des doutes qui planent sur leur attribution dans l'Histoire d'Alexandre.

[48] D'après Diodore (XVI, 90, 2), Mithradate avait succédé en 337 à son père Ariobarzane comme souverain, et le même auteur dit plus haut (XV, 90, 3) qu'Ariobarzane était satrape de Phrygie. Il est à peu près certain qu'en somme la Paphlagonie était le domaine propre de cette dynastie. Suivant Diodore (XVI, 90), ce Mithradate est resté trente-cinq ans sur le trône. On ne voit pas bien si c'est du vivant d'Alexandre ou seulement à l'époque actuelle qu'il a perdu son héritier ; à partir de ce moment, il s'est rallié à Antigone et est resté en bon termes avec son fils Démétrios. Plutarque (Demetr., 4) fait ces deux princes du même âge, alors que Mithradate avait quelque chose comme quarante ans de plus que Démétrios (LUCIAN., Macrob., 13. Cf. WESSELING, ad Diodor., XIX, 41).

[49] DIODORE, XVIII, 3. Cf. Justin, Dexippos, Arrien et Quinte-Curce. Sur la profession et le rang de son père, voyez les commentateurs d'Élien (Var. Hist., XII, 43). D'après Théodoros Metochita (p. 789 éd. Müller), Eumène aurait encore reçu la Cilicie. C'est une assertion qui, comme tant d'autres chez ce grand-chancelier brouillon, est complètement inexacte : désormais je ne citerai plus ses allégations concernant Démétrios, Perdiccas, Pyrrhos, etc.

[50] Après les éclaircissements donnés par BÖCKH (C. I. GRÆC., n° 105), on doit considérer comme un fait acquis que le nom du satrape est bien tel que le donne Dexippos, et qu'il ne faut pas l'appeler Cassandros, bien qu'Arrien, Diodore, Quinte-Curce et Justin écrivent ainsi son nom.

[51] Il succéda à Asandros comme satrape en 331 (ARRIAN, III, 6. Cf. VII, 23, 1 : 24, 1). Ce doit être un Macédonien, et non pas, par conséquent, le Magnésien Ménandre, fils de Mandrogène, qui figure parmi les triérarques de la flotte de l'Indus (ARRIAN, Indic., 18).

[52] ARRIAN, Alex. success., I, 6.

[53] ARRIAN, Alex. success., I, 6. La concordance presque littérale du texte de Diodore (XVIII, 3) montre que l'un et l'autre suivent Hiéronyme. Les événements survenus sous Zopyrion et Memnon et relatés dans l'Histoire d'Alexandre montrent que jusque-là les deux stratèges de la région, celui de la Thrace au sud de la chaîne et celui du nord, étaient sous les ordres d'Antipater.

[54] ÆLIAN, Var. Hist., XII, 16.

[55] DEXIPP., loc. cit. Arrien aussi (p. 611 a 20. I, 3) l'appelle προστάτης. Quand Justin (XIII, 4) dit : regia pecuniæ cura Cratero traditur, il indique en effet une partie importante de ses attributions. La nature même des faits peut seule nous apprendre comment, dans le détail, Cratère et Antipater s'arrangèrent entre eux.

[56] Dexippos (loc, cit.) fournit le même catalogue qu'Arrien, avec une seule divergence, qui veut dire sans doute qu'une partie de l'Épire a été réunie à la Macédoine, et que !e royaume d'Épire est resté indépendant sous le sceptre d'Æacide.

[57] Du moins, dans le partage de 321, Porus garde τήν κατά τόν Ίνδον καί Πάτταλα (ARRIAN, loc. cit.). Justin et Diodore ne s'occupent pas du tout de lui à propos de ce partage, et l'extrait d'Arrien (p. 69) le passe sous silence ainsi que toutes les autres provinces de l'Est. Dexippos (ap. PHOT.) nomme Parus tout seul, mais en ajoutant une assertion fausse, à savoir que Porus a reçu οί έν μέσω Ίνδοΰ ποταμου καί Ύδάσπου νέμονται.

[58] Diodore (XVIII, 3) dit que les régions limitrophes des satrapies de la Haute-Asie restèrent sous l'autorité des rois qui entouraient Taxile, l'expression pourrait s'appliquer à la fois à Porus, à Phégée et à Sopithès. Justin dit : terras inter amnes Hydaspem et Indum Taxiles habet.

[59] In colonias in Indis conditus Pithon Agenoris filius millitur (JUSTIN, XIII, 4, 21.)

[60] On voit par Strabon (XIV, p. 683) et Diodore (XVIII, 39) que Stasanor est de Soles dans l'ile de Cypre.

[61] D'après Diodore, Philippe reçoit la Bactriane et la Sogdiane. A cette τύχη qui intervient ici, on peut reconnaitre un emprunt fait à Hiéronyme de Cardia, mais on se demande qui est cet Όρώπιος, si ce ne serait pas peut-être le Χοριήνης d'Arrien (IV, 21, 40). Le texte de Justin (XIII, 4, 23) est embrouillé à cet endroit par de mauvaises leçons : Bactrianos Amyntas sortitur, Sogdianos Sulceus Stagnor, Parthos Philippus, etc. Il répète plus loin (XLI, 4) le nom de Stagnor, disant qu'à la mort d'Alexandre, nulle Macedonum dignante Parthorum imperium Stagnori, externo socio, traditur. Comme, au partage de 322, Stasanor de Soles obtient la Bactriane et la Sogdiane en échange de l'Asie (DIODORE, XVIII, 39) tandis que Phratapherne garde la Parthie avec l'Hyrcanie, Justin a dû faire ici une confusion et la reproduire au deuxième passage indiqué.

[62] Justin (XIII, 4, 12, éd. Jeep) dit : Pitho Illyricus Mediæ majori, Atropatos minori socer Perdiccæ præponitur. Pitho est une correction pour le Philo de la plupart des mss. ; le bizarre illyrior ou illir, yllir est à coup sûr bien interprété, mais on n'explique pas par là qu'il s'agit de Pithon, fils de Crateuas d'Alalcomenæ, quand bien même l'emplacement de cette ville serait mieux fixé qu'il ne l'est par l'Άλαλκομεναί de Strabon (VII, p. 327) et la mention d'Étienne de Byzance : Άλκομεναί... πόλις Ίλλυρίας ; Arrien (Indic., l. c.) range expressément Pithon fils de Crateuas parmi les Macédoniens, et il le met ailleurs (Anab., VI, 28, 41, comme Έορδαΐος, à côté du Lagide Ptolémée. Rabaisser un Macédonien de ce rang et l'appeler Illyrien rentre tout à fait dans la manière de Douris, et c'est une preuve de plus que Trogue-Pompée l'a pris pour guide.

[63] ÆLIAN, Var. Hist., XIV, 48. — DIODORE, XVIII, 7. L'orthographe varie entre Python, Pithon, Peithon.

[64] Même dans les trois listes complètes, la satrapie d'Arménie est passée sous silence : Alexandre l'avait donnée en 331 à Mithrinès, l'ancien commandant de Sardes : on voit par Plutarque (Eumen., 4) qu'elle a été donnée cette fois à Néoptolémos l'Æacide. Cependant, il parait n'en avoir possédé réellement qu'une partie ; du moins, en 316, le satrape d'Arménie est Oronte (DIODORE, XIX, 23, 2), le même certainement qui l'avait été avant la bataille de Gaugamèle (ARRIAN, III, 8, 5).

[65] Άρχων (DIODORE, XVIII, 3), Pellæus (JUSTIN, XIII, 4, 23), fils de Clinias (ARRIAN, Indic., 48). D'après l'extrait de Photius, Dexippos nomme Séleucos au lieu d'Archon comme satrape de Babylone ; c'est là ou une erreur, ou une rectification anticipée de l'abréviateur.

[66] Justin (XIII, 4, 14) dit : Susiana gens Scyno (var. scinno, senio) adsignatur. On corrige en Cœno ; mais, après la mort de l'hipparque (ARRIAN, VI. 2, 1), on ne rencontre aucun personnage considérable portant ce nom. Il faut écrire Susiana Philoxeno, le même Philoxénos qui était arrivé quelques semaines auparavant à Babylone, et qui, en 331, avait joué un rôle des plus actifs lors de l'occupation de Suse (ARRIAN, III, 16, 6). Il n'était pas possible de ne rien donner à un homme de cette valeur.

[67] Je n'ose pas suppléer au silence des auteurs et insister dès maintenant sur le corps des argyraspides, qui se trouve si fort en évidence plus tard et qui dirigea un certain temps l'opinion dans l'armée macédonienne. Il est bien certain que, dans toutes les agitations relatées jusqu'ici, ce sont les troupes macédoniennes, et elles seulement, qui ont joué un rôle ; le grand nombre des milices barbares, grossi tout récemment encore par l'arrivée de nouvelles recrues, ne donne nulle part signe de vie. Avec les renseignements dont nous disposons, il est impossible de se faire une idée, même approchée, de la force de l'armée qui se trouvait à la disposition de l'administrateur de l'empire, de son organisation, des forces réparties dans les diverses satrapies, etc. Aussi la politique des années suivantes, où les armées jouent le premier rôle, est pour nous à peu près comme un calcul fait avec des nombres inconnus.

[68] DIODORE, XVIII, 4.

[69] DIODORE, XVIII, 1. Il n'y a aucune raison de suspecter ces renseignements. Des plans de constructions de toute sorte, des mesures comme les transportations d'Asie et d'Europe, enfin les immenses préparatifs pour une campagne d'Occident, sont tout à fait dans le goût d'Alexandre, et de pareils projets, confirmés par des analogies antérieures, se trouvent indiqués l'avance par une foule de dispositions, politiques et militaires, qui ont été signalées dans l'Histoire d'Alexandre.

[70] C'est une expression employée dans une inscription des Nasiotes.

[71] PLUTARQUE, Alex., s. fin. Plutarque, il est vrai, prétend que les meurtriers ont été soudoyés par Roxane.

[72] ARRIAN, p. 69. 6. 16. A en juger par l'endroit où Arrien place ce renseignement, l'assertion de Justin (XIII, 2), à savoir, que Roxane était enceinte de huit mois à la mort d'Alexandre, parait plus exacte que celle de Quinte-Curce (X, 6, 9), qui parle de six mois.

[73] C'est bien aux obsèques qu'Arrien (VII, 14) fait allusion, quand, à propos des 3000 acteurs qui jouèrent auprès du bûcher d'Héphestion, il dit : καί ούτοι ύστεγον έπ' Άλεξάνδρου τώ τάφω λέγουσιν ότι ήγωνίσαντο. Élien (Var. Hist., VII, 8) semble précisément s'en référer à ce passage. Du reste, le départ des satrapes nouvellement nommés, notamment de Ptolémée et d'Eumène, probablement aussi de Léonnatos, parait avoir été retardé au moins jusqu'en hiver.