Le retour. — La flotte sur l'Acésine. — Combat contre les Maliens. —Alexandre en danger de mort. — Combats sur l'Indus inférieur. — Départ de Cratère. — Combats dans le delta de l'Indus. — Navigation d'Alexandre sur l'Océan. — Son départ de l'Inde.On pouvait être aux derniers jours d'août 326 lorsque l'armée macédonienne se prépara, sur les bords de l'Hyphase, à revenir en arrière. D'après les ordres du roi, les troupes élevèrent, sur la rive du fleuve, douze grands autels[1], semblables à des tours, en action de grâces aux dieux qui jusqu'ici avaient accordé aux Macédoniens de s'avancer toujours victorieux, et en même temps à la mémoire de ce roi et de cette armée. Alexandre sacrifia sur ces autels, tandis que les troupes célébraient des joutes de toutes sortes, conformément à l'usage hellénique[2]. Alors l'armée se mit en route vers l'Occident. La route
traversait un pays allié ; on n'avait d'autres difficultés à vaincre que
celle d'une pluie toujours torrentielle. On arriva au bord de l'Hyarotès ;
puis, après l'avoir traversé ainsi que la contrée de Pendant ce séjour, le frère du prince Abisarès de Kaschmir et quelques autres petits princes du haut pays voisin arrivèrent avec des présents de prix, pour offrir leurs hommages au grand roi. Abisarès, en particulier, envoyait trente éléphants, et, en réponse à l'ordre que le roi lui avait envoyé d'avoir à se présenter en personne, il faisait protester de son entière soumission, alléguant comme excuse une maladie.qui le retenait au lit et l'empêchait de se rendre près d'Alexandre. Comme les Macédoniens que le roi avait envoyés à Kaschmir confirmaient cette déclaration et que la conduite actuelle du prince semblait garantir sa soumission à l'avenir, sa principauté lui fut laissée à titre de satrapie ; on fixa le tribut qu'il devrait payer dorénavant, et l'on étendit même sa puissance jusque sur la principauté d'Arsace (Ouraça), dans le voisinage de Kaschmir[4]. Après les sacrifices solennels offerts pour la consécration de la nouvelle ville, Alexandre traversa l'Acésine, et, vers le milieu de septembre, les différentes divisions de l'armée se réunirent à Bucéphala et à Nicæa sur l'Hydaspe. Ce fut une grande et féconde pensée qu'eut le roi de ne
pas sortir de cette région du fleuve de l'Indus, qu'il venait de traverser de
l'ouest à l'est, en suivant pour retourner dans son empire le même chemin par
lequel il était venu, mais au contraire de faire également sentir dans les
régions inférieures du fleuve la puissance de ses armes, et d'y répandre
aussi la semence des mœurs helléniques. Son attitude vis-à-vis de ce inonde
indien nouvellement découvert n'était pas celle d'un souverain immédiat ;
elle était dictée par les relations qui venaient d'être ouvertes pour la
première fois avec ces peuples, et calculée sur le développement successif de
ces liaisons nouvelles et de l'œuvre qu'il avait commencée ; sa suzeraineté
ne pouvait avoir une action efficace, ni même offrir une garantie de durée,
si la satrapie indienne restait le seul lien servant d'intermédiaire avec le
fleuve du Cophène. Bien que cette satrapie fût la voie principale des
relations mutuelles, il fallait cependant que la ligne entière du fleuve de
l'Indus fût entre les mains des Macédoniens, et que les populations qui
habitaient la région inférieure du fleuve apprissent à connaître la même
influence que les peuples des Cinq-Fleuves avaient subie ; il fallait agir envers
eux d'une manière d'autant plus décisive que beaucoup d'entre eux, et
particulièrement les Malliens et les Oxydraques, se prévalaient de leur
indépendance, détestaient et méprisaient toute influence étrangère ; il était
nécessaire avant tout que cette influence elle-même acquit, par des colonies
helléniques fondées sur l'Indus, un point d'appui et une garantie d'autorité.
C'était dans ce dessein qu'Alexandre, dès le moment où il avait quitté
l'Hydaspe pour se diriger vers l'est, avait donné l'ordre de construire la
grande flotte d'eau douce sur laquelle il avait l'intention de descendre
jusqu'à l'Indus et jusqu'à Pendant les quatre mois qu'Alexandre était resté éloigné de l'Hydaspe, l'état extérieur de cette contrée où il avait condé ses deux villes s'était complètement transformé. La saison des pluies était passée ; les eaux commençaient à rentrer dans leur ancien lit ; d'immenses champs de riz couvraient de leur luxuriante végétation le sol fertile naguère encore submergé et s'étendaient en aval sur la rive gauche du fleuve, tandis que la rive opposée, au pied des hauteurs boisées, disparaissait, sur une étendue de plusieurs milles, sous les chantiers où des centaines de navires, grands et petits, étaient soit en construction, soit déjà terminés. Du bois flotté venant des montagnes, des bateaux remplis de provisions de toutes sortes, des transports pour le matériel de construction et de guerre se réunissaient sur ce point du fleuve, dont la rive était animée de la manière la plus étrange par le va-et-vient que pouvait offrir, dans un camp ou une halte, cette armée composée de soldats de toutes les nations. Avant tout, Alexandre prit soin d'achever la construction des deux places fortes qui, fondées rapidement sur un sol peu élevé, avaient beaucoup souffert dans leurs retranchements de terre et dans leurs baraquements à cause de la violence des eaux. On commença à préparer alors les vaisseaux ; Alexandre nomma trente-trois triérarques, comme c'était la coutume chez les Hellènes ; il les choisit parmi les hommes les plus riches et les plus qualifiés de son entourage, et cette liturgie, l'honneur de fournir un gréement confortable et solide devint pour eux l'objet d'une émulation très favorable à l'entreprise même[5]. La liste de ces triérarques donne un aperçu fort instructif de l'entourage du roi. Elle comprend vingt-quatre Macédoniens : les sept gardes du corps du roi, ainsi que Peucestas qui avait été dernièrement élevé, lui huitième, à cette dignité ; le stratège et hipparque Cratère ; parmi les stratèges de la phalange, Attale ; parmi les chiliarques des hypaspistes, Néarque ; ensuite Laomédon, qui n'était pas soldat, Androsthène, qui, après le retour à Babylone, fit contourner l'Arabie à la flotte. On ne mentionne pas les noms des onze autres Macédoniens ; il est possible que plus d'un parmi eux appartint, comme Laomédon, au service civil ou à celui de l'intendance, car l'étendue et l'importance de ces services, dans une armée comme celle d'Alexandre, se comprennent d'eux-mêmes, bien que les historiens n'en parlent pas. On trouve ensuite, parmi les triérarques, six Hellènes, au nombre desquels étaient le secrétaire du roi, Eumène de Cardia, et Médios de Larissa, un des confidents les plus intimes d'Alexandre ; enfin le Perse Bagoas et deux princes royaux de Cypre. Il n'est plus possible de reconnaître si ces triérarques s'occupèrent de l'équipement de toute la flotte ou seulement de celui des gros navires, c'est-à-dire des quatre-vingts navires à trente rameurs. Pour former l'équipage de la flotte, on choisit dans l'armée les Phéniciens, les Égyptiens, les Cypriotes et les Grecs des îles et de la côte d'Asie ; on les répartit sur les embarcations en qualité de matelots et de rameurs, et en moins d'un mois tout fut prêt pour le départ. Sur les eaux du fleuve se balançaient déjà mille navires de toutes sortes[6] parmi eux se trouvaient les quatre-vingts vaisseaux qui avaient été armés comme navires de guerre et deux cents embarcations non pontées pour le transport des chevaux ; tous les autres, qu'on avait réquisitionnés tels qu'on les trouvait sur les rives voisines, étaient destinés au transport des troupes ou devaient être chargés de vivres et du matériel de guerre et suivre la flotte. Un texte d'une valeur douteuse nous apprend que, précisément à ce moment, de grands transports durent arriver des rives voisines, avec de nouvelles troupes composées de six mille cavaliers et plusieurs milliers de fantassins[7]. Le départ de la flotte était fixé aux premiers jours de novembre[8]. Le roi convoqua les hétœres et les ambassadeurs indiens qui se trouvaient à l'armée, pour leur faire les communications qui étaient encore nécessaires. Il dut leur exprimer l'espérance que la paix qu'il avait rendue à la contrée des Cinq-Fleuves serait fondée d'une manière durable et garantie par ses dispositions. Le prince Porus vit confirmée l'extension de son territoire, qui comprenait maintenant sept peuples et deux mille villes et s'étendait jusque dans le voisinage de l'Hyphase, et l'on fixa ses rapports avec les princes voisins Abisarès, Sopithès et Phégée ; Taxila fut reconnu comme prince indépendant dans ses anciens et nouveaux domaines ; on mentionna les principautés dépendantes comprises dans le territoire de la satrapie de l'Inde, avec leur tribut et leurs autres obligations envers le satrape de cette contrée ; puis on licencia leur contingent, ainsi que celui des autres peuples indiens. Puis vinrent les instructions pour la suite de la campagne : le roi lui-même, avec tous les hypaspistes, les Agrianes, les archers et l'escorte de la cavalerie, formant en tout environ huit mille hommes, devait monter la flotte[9], dont le commandement général fut donné au chiliarque Néarque ; Onésicritos d'Astypalée obtint le commandement du vaisseau royal. Sur les deux rives du fleuve devaient s'avancer les autres troupes, séparées en deux colonnes, dont l'une, sous les ordres de Cratère, devait suivre la rive droite ou occidentale, tandis que l'autre, plus nombreuse et comprenant les deux cents éléphants, devait marcher sur la rive gauche, sous la conduite d'Héphestion. Ces deux colonnes reçurent l'ordre de s'avancer aussi rapidement que possible et de faire halle après avoir marché trois jours en descendant le fleuve[10], afin d'attendre la flotte. Philippe, qui avait reçu la satrapie de l'Inde, devait les rejoindre à cet endroit. Avant le départ, l'armée eut encore à célébrer une solennité funèbre : l'hipparque et stratège Cœnos avait succombé à une maladie. Les documents historiques semblent indiquer que le roi n'avait pas oublié le rôle qu'il avait joué sur les bords de l'Hyphase ; il fut enseveli d'une manière brillante, eu égard aux circonstances[11]. Enfin le jour fixé pour le départ arriva. Dès le matin commença l'embarquement des troupes ; sur les deux rives du fleuve, Héphestion et Cratère firent avancer en brillante ligne de bataille leurs phalanges, leurs cavaliers et leurs éléphants. Tandis que chaque escadre se rangeait l'une après l'autre, le roi offrit un sacrifice solennel sur la rive du fleuve, suivant la coutume hellénique. Sur l'avis du prêtre macédonien, il sacrifia aux dieux nationaux, à Poséidon, à la secourable Amphitrite, à l'Océan, aux Néréides et au fleuve Hydaspe ; puis il monta sur son vaisseau, s'avança jusqu'au bord de l'avant, fit des libations avec une coupe d'or, fit sonner le signal du départ, et au même instant les rames de tous les navires frappèrent les eaux, au bruit des trompettes et des cris de joie. L'escadre aux voiles de mille couleurs fendit les eaux ; les quatre-vingts vaisseaux de guerre s'avançaient les premiers, descendant le fleuve dans le plus bel ordre ; c'était un merveilleux et indescriptible spectacle. Rien de comparable au bruissement des rames de tous les navires frappant les eaux d'un seul coup, puis s'élevant et s'abaissant alternativement, à ces ordres que faisaient retentir les commandants des vaisseaux pour donner aux rameurs le signal de s'arrêter ou de reprendre leurs mouvements, aux acclamations des matelots lorsqu'ils plongeaient leurs rames dans le fleuve ; les cris résonnaient avec d'autant plus force que les rives étaient plus élevées, et revenaient répétés par les échos des ravins, tantôt à droite, tantôt à gauche. Puis le fleuve s'enfonçait de nouveau dans de sombres forêts, et les cris des navigateurs retentissaient au loin dans la solitude des bois. Les Indiens, par milliers, se pressaient sur les rives du fleuve et contemplaient avec admiration cette armée qui passait devant eux, et ces chevaux de bataille montés sur des vaisseaux aux voiles bariolées, et cet ordre admirable de l'escadre qui ne se dérangeait jamais ; leurs cris de joie répondaient aux acclamations des rameurs, et ils accompagnaient la flotte le long du fleuve en faisant entendre leurs chants, car aucun peuple n'est plus porté à la musique et à la danse que les Indiens[12]. Après trois jours de navigation[13], le roi arriva au lieu où Cratère et Héphestion devaient attendre la flotte ; ils étaient déjà campés sur les deux rives du fleuve. Armée et flotte firent halte pendant deux jours en cet endroit, afin de donner au satrape Philippe le temps d'arriver avec l'arrière-garde de la grande armée. Les forces militaires macédoniennes comprenaient en tout, à l'heure présente, 120.000 combattants[14] ; dès qu'elles furent réunies, le roi prit les dispositions qu'exigeait l'entrée prochaine dans un pays étranger, et tout d'abord celles qui étaient nécessaires pour soumettre la contrée jusqu'à l'embouchure de l'Acésine ; Philippe, en particulier, fut détaché sur la gauche, pour descendre jusqu'à ce fleuve et s'assurer de sa rive occidentale ; Héphestion et Cratère continuèrent à s'avancer à droite et à gauche de l'Hydaspe, un peu dans l'intérieur des terres. Tout l'effectif de l'armée devait se réunir de nouveau au delà de l'embouchure de l'Acésine, pour commencer, à partir de ce point, la campagne contre les Malliens et les Oxydraques. Déjà, en effet, on avait reçu la nouvelle des importants préparatifs que faisaient ces populations guerrières et nombreuses ; on rapportait que déjà les femmes et les enfants avaient été mis à l'abri dans les places fortes, et que plusieurs milliers d'hommes armés étaient réunis sur les bords de l'Hyarotès. Le roi crut n'en devoir hâter qu'avec plus de zèle l'ouverture de la campagne, avant que l'ennemi n'eût achevé ses préparatifs. Après deux jours de repos, la flotte continua donc à descendre le fleuve ; partout où elle abordait, les populations se soumettaient volontairement ou étaient facilement subjuguées. Alexandre espérait atteindre, le cinquième jour, le confluent de l'Acésine et de l'Hydaspe. Il avait appris déjà que cet endroit était d'une navigation difficile, que les deux fleuves mêlaient leurs eaux avec beaucoup de violence en formant de nombreux tournants, pour continuer ensuite leur course commune et impétueuse dans un lit resserré[15]. Ces rapports lurent répandus dans la flotte, en même temps qu'on exhortait sérieusement les navigateurs à la prudence. Vers la fin du cinquième jour de voyage, on entendit du côté du sud un violent fracas, semblable au bruit que produit une mer houleuse en se brisant sur les rochers ; les rameurs de la première escadre s'arrêtèrent saisis d'étonnement, ne sachant si c'était la mer, ou un orage, ou quelque autre chose qui était près d'eux. Instruits alors, et exhortés à travailler vigoureusement lorsqu'ils approcheraient de l'embouchure, ils continuèrent à s'avancer. Le fracas devenait toujours plus violent ; les rives se resserraient ; déjà l'on apercevait le confluent, un endroit où le choc des deux fleuves produisait des vagues furieuses et écumantes. Le courant de l'Hydaspe se précipite perpendiculairement sur la colonne d'eau de l'Acésine et lutte contre elle en formant des tourbillons et en mugissant avec fureur, puis les deux fleuves, avec la vitesse d'une flèche, continuent, entre deux rives étroites, leur course agitée. Les matelots qui tenaient la barre exhortèrent une seconde fois les rameurs à travailler avec une prudence et une vigueur extrême, afin de surmonter à force de rames le courant, qui sans cela emporterait les vaisseaux dans les tournants où ils seraient perdus sans ressource, et afin de sortir le plus promptement possible du passage où le lit du fleuve se trouve resserré pour arriver enfin à l'endroit où les eaux recouvrent leur liberté. Déjà le courant emportait les vaisseaux. Les rames et le gouvernail ne conservaient la direction qu'au prix d'indicibles efforts ; plusieurs navires furent vaincus, entraînés dans les tournants où la force de l'eau les faisait tourbillonner ; leurs rames furent brisées, leurs flancs endommagés, et ils n'échappèrent qu'à grand peine au danger de sombrer. Ce furent particulièrement les longues embarcations qui coururent de grands dangers ; deux d'entre elles, poussées l'une contre l'autre, furent fracassées et s'enfoncèrent ; des bateaux plus légers furent jetés à la rive. Les larges embarcations de transport furent plus heureuses : comme elles étaient trop larges pour que le courant pût les faire tournoyer, lorsqu'elles se trouvaient prises par un tournant, la force de l'eau les remettait elle-même dans leur direction. On rapporte qu'Alexandre lui-même, avec son vaisseau, se trouva en danger manifeste de périr dans un de ces tournants, tellement qu'il avait déjà enlevé son vêtement de dessus afin de se précipiter dans les eaux et de se sauver à la nage[16]. La flotte sortit enfin de cet endroit périlleux, mais non sans avoir éprouvé des pertes importantes. Une lieue plus loin, on atteignit le point où les eaux devenaient plus libres et plus tranquilles ; le fleuve, à cet endroit, se dirige vers la droite en contournant des collines qui s'élèvent sur la rive et derrière lesquelles on peut aborder commodément à l'abri de la rapidité du courant, tandis que la rive, sur un long parcours, était disposée de manière à permettre de recueillir facilement les débris et les cadavres. Le roi fit atterrir la flotte en cet endroit et donna l'ordre à Néarque de faire réparer le plus promptement possible les avaries qu'avaient subies les embarcations. Il profita lui-même de ce répit pour faire une excursion dans le pays, afin que les Sibes et les Agalasses, peuples guerriers de cette région que l'Acésine séparait des Maliens et des Oxydraques[17], ne pussent porter secours à ces derniers en les aidant à résister à l'attaque imminente des Macédoniens. Après une marche de dix milles, employée à répandre l'effroi par des dévastations, Alexandre arriva devant la capitale des Sibes, ville d'une certaine importance, qui fut prise d'assaut sans grande peine, ou qui, selon une autre version, se soumit volontairement[18]. A son retour sur l'Acésine, Alexandre trouva la flotte
prête à mettre à la voile ; Cratère était aussi dans le camp ; Héphestion et
Philippe étaient arrivés en amont du confluent. On prit immédiatement des
dispositions pour l'expédition contre les Malliens, dont le territoire
commençait à sept milles de là en aval, près de l'embouchure de l'Hyarotès,
et s'étendait au loin vers le nord, sur la rive de ce fleuve. Le roi savait
qu'ils s'attendaient à être attaqués et qu'ils se tenaient prêts ; ils
devaient bien penser que l'armée macédonienne descendrait jusqu'à
l'embouchure de l'Hyarotès et pénétrerait par là sur leur territoire, car
leur pays était séparé de l'Acésine par un désert sans eau de plusieurs
milles de largeur, et par conséquent semblait à l'abri d'une attaque partant
des environs de la station des vaisseaux. Le roi résolut de prendre cette
route par laquelle ils l'attendaient le moins, de diriger une attaque
soudaine contre la partie supérieure de leur pays, non loin des frontières de
De leur côté, les Malliens et les Oxydraques, à la nouvelle de l'approche d'Alexandre, avaient, dit-on, fait taire leurs anciennes rivalités et s'étaient engagés par des otages à se porter mutuellement secours. Ils avaient réuni une armée très considérable, composée de plus de soixante mille fantassins, dix mille cavaliers et sept cents chariots de guerre ; mais, comme ils faisaient partie des Arattes, c'est-à-dire des Indiens qui n'avaient pas de prince, ils s'étaient tellement divisés lorsqu'il s'était agi de choisir un général commun, que leur armée se démembrait et que les contingents des divers districts se retiraient chacun dans leurs places fortes. Il est vrai que ce que nous avançons ici ne repose sur aucune autorité particulière ; mais le fait semble ressortir des détails du plan d'opération conçu par Alexandre[19]. D'après d'autres versions[20], les Maliens et les Oxydraques avaient dessein de se coaliser : ils auraient eu alors des forces importantes à opposer aux Macédoniens, et ce fut précisément pour prévenir leur coalition par son attaque qu'Alexandre redoubla de promptitude. Le jour désigné pour le départ, vers le milieu de novembre, le roi se mit en route ; il était accompagné des hypaspistes, des archers, des Agrianes, de la phalange de Pithon, de la moitié des hipparchies macédoniennes et des archers à cheval. Le désert commençait à une petite distance de l'Acésine ; après une marche de cinq heures, on trouva de l'eau, et l'on fit halte en cet endroit ; puis à midi, lorsque les troupes furent un peu reposées et que chacun eut rempli d'eau son bidon, on se remit en route et on s'avança en toute hâte, pendant le reste du jour et pendant la nuit suivante. Le matin, après une marche de près de huit milles, on aperçût du côté de l'orient la ville des Malliens, Agalassa[21], avec ses fortifications. Un grand nombre de Malliens s'y étaient réfugiés et campaient, sans gardes et sans armes, sous les murs de la place, qui ne pouvait contenir toute, la multitude. Ils étaient tellement persuadés qu'une surprise du côté du désert était impossible, qu'en voyant l'armée s'approcher, ils pensèrent que c'était tout autre chose, ne pouvant s'imaginer que ce fussent les Macédoniens. Déjà les cavaliers d'Alexandre étaient au milieu d'eux ; inutile de penser à la résistance : des milliers d'hommes furent massacrés ; ceux qui purent s'enfuir se réfugièrent dans la ville qu'Alexandre fit investir par sa cavalerie, en attendant que ses fantassins arrivassent pour commencer l'attaque. Aussitôt que ceux-ci se présentèrent, le roi envoya en toute hâte Perdiccas, avec deux hipparchies et les Agrianes, vers une ville voisine[22] dans laquelle beaucoup d'Indiens s'étaient réfugiés, lui donnant pour instructions d'observer cette place avec le plus grand soin, toutefois sans rien entreprendre contre elle avant que l'armée, venant d'Agalassa, ne se fût approchée, afin que les fuyards ne pussent s'échapper dans l'intérieur du pays et y répandre la nouvelle que les Macédoniens étaient dans le voisinage. Pendant ce temps, Alexandre commença l'attaque ; les Indiens, qui dans la première surprise avaient été fort maltraités, désespérèrent de pouvoir défendre leurs murailles et abandonnèrent en courant les portes et les tours. La plus grande partie tomba sous les coups des Macédoniens qui les poursuivaient ; quelques milliers seulement purent se retirer dans la forteresse, du haut de laquelle ils se défendirent avec le courage du désespoir. Les Macédoniens furent repoussés dans plus d'un assaut, mais enfin leur exaspération croissante, les exhortations et l'exemple de leur roi, l'épuisement de leurs adversaires, leur firent obtenir la victoire, et ils se vengèrent des peines qu'elle leur avait coûtées en faisant un horrible massacre parmi les Indiens ; des deux mille combattants qui avaient défendu la forteresse, pas un seul n'échappa. Cependant Perdiccas avait trouvé la ville contre laquelle il avait été envoyé déjà abandonnée par ses habitants. Il se hâta de se mettre à la poursuite des fugitifs et les rejoignit en effet ; ceux qui ne parvinrent pas à se sauver sur l'autre bord du fleuve, ou dans les marécages qui couvraient la rive, furent massacrés.. De son côté, le roi n'avait accordé à ses troupes que quelques heures de repos après s'être emparé de la forteresse d'Agalassa ; il ne laissa qu'une faible garnison dans cette citadelle et, à l'entrée de la nuit, il donna l'ordre de marcher vers l'Hyarotès, afin de couper la retraite sur la rive opposée aux Malliens des environs. Vers le matin, il atteignit le gué du fleuve ; la plupart des ennemis avaient déjà passé l'eau. Ceux qui étaient restés en arrière furent exterminés, puis le roi traversa lui-même le fleuve : il atteignit bientôt les bandes des fuyards, et le carnage commença de nouveau ; ceux qui purent s'échapper se réfugièrent dans une place forte du voisinage ; les autres se rendirent au vainqueur. Dès que l'infanterie fut arrivée, Alexandre envoya Pithon, avec sa phalange et deux divisions, contre cette place, qui tomba au premier assaut ; tous les Malliens qui s'y trouvaient furent faits prisonniers de guerre, et Pithon, après cette victoire, vint de nouveau rejoindre le roi. Cependant Alexandre s'était avancé contre une ville brahmanique, dans laquelle un grand nombre de Malliens avaient également cherché un refuge ; il en avait aussitôt investi les murailles et avait commencé à les faire miner. Les Indiens, fort maltraités par les projectiles des assiégeants, se retirèrent dans la citadelle de la ville ; une division de Macédoniens, qui s'était avancée avec une témérité par trop grande, s'était introduite avec eux dans la citadelle, mais elle ne put résister à la supériorité du nombre ; sa retraite fut presque coupée, et elle dut se replier après avoir éprouvé des pertes considérables. Cette circonstance augmenta l'exaspération des troupes ; aussitôt Alexandre donna l'ordre d'appliquer les échelles, en même temps qu'il faisait miner les murailles ; à la première tour qui s'écroula, entraînant avec elle la partie des murs qui y attenait et ouvrant ainsi une brèche, Alexandre fut le premier sur les décombres ; les Macédoniens se pressèrent à sa suite en poussant des cris de joie, et en peu de temps, malgré le courage des ennemis, les murailles furent débarrassées de leurs défenseurs ; un grand nombre d'Indiens périrent en combattant ; les autres se réfugièrent dans les constructions, y mirent le feu, et, tandis que l'incendie dévorait tout autour d'eux sans trouver d'obstacle, ils se mirent à lancer, de l'intérieur des maisons en flammes, des traits et des poutres sur leurs ennemis, jusqu'à ce qu'ils succombassent eux-mêmes brûlés par le feu ou suffoqués par la fumée. Ceux qui tombèrent vivants entre les mains des Macédoniens étaient en petit nombre ; cinq mille Indiens environ avaient péri dans l'assaut ou dans l'incendie de la citadelle. Les efforts surhumains des cinq derniers jours avaient épuisé les troupes ; Alexandre les laissa reposer pendant une journée dans cette ville, puis elles se remirent en route avec une vigueur nouvelle pour aller conquérir les autres villes des Maliens situées sur la rive sud de l'Hyarotès ; mais partout déjà les habitants s'étaient enfuis avant leur arrivée. Il semblait inutile de poursuivre chacune des bandes de fugitifs ; les soldats se contentèrent de détruire les villes. Plusieurs jours s'écoulèrent ainsi ; puis une journée de repos fut accordée aux troupes, afin qu'elles pussent reprendre de nouvelles forces pour attaquer la plus grande ville de ce côté du fleuve, une ville où beaucoup de Malliens, confiants dans la force de ses murs, avaient dû se retirer. Afin de ne pas permettre que la rive boisée qui s'étendait en amont du fleuve servit de refuge aux Malliens dispersés, en arrière des mouvements qu'on exécuterait ensuite, ni de lieu de rendez-vous d'où ils pourraient tenter une diversion périlleuse, on envoya en arrière, sur le bord du fleuve, la phalange de Pithon, l'hipparchie de Démétrios et un nombre suffisant de troupes légères, avec consigne de donner la chasse à tous les Indiens dans les bois et les marais et de massacrer tous ceux qui ne se soumettraient pas volontairement. Le roi s'attendait à un combat acharné ; il s'avança lui-même avec les autres troupes contre la ville dont nous venons de parler ; mais l'effroi général que les armes macédoniennes avaient répandu était si grand, que les Indiens, désespérant de pouvoir se maintenir dans la grande ville, l'abandonnèrent pour se retirer au delà du fleuve voisin et occuper sa rive septentrionale, justement assez élevée, dans l'espoir de parvenir à empêcher, du haut de cette position certainement favorable, le passage des Macédoniens. Dès qu'Alexandre fut instruit de cette circonstance, il s'avança rapidement avec toute la cavalerie, après avoir donné l'ordre aux fantassins de le suivre sans retard. Arrivé sur le bord du fleuve, il fit incontinent commencer la traversée, sans se soucier de la ligne des ennemis déployée sur l'autre rive. Les Indiens, frappés d'effroi devant la hardiesse de cette manœuvre, se retirèrent en rangs serrés, sans tenter un combat inégal ; mais, lorsqu'ils eurent remarqué qu'ils n'avaient devant eux que quatre à cinq mille hommes de cavalerie, leur ligne de bataille tout entière, qui comptait bien cinquante mille combattants, se retourna contre Alexandre et sa colonne de cavalerie, et s'efforça de les repousser de la rive dont ils avaient déjà pris possession. Ce fut avec peine et grâce seulement à une suite de mouvements habiles, au moyen desquels on évita toute mêlée, que les cavaliers purent se maintenir sur ce terrain difficile, jusqu'à ce que peu à peu les divisions des troupes légères et particulièrement les archers fussent arrivés, tandis qu'on apercevait déjà sur l'autre rive l'infanterie pesante qui s'avançait. Alexandre commença alors à marcher en avant, mais les Indiens n'osèrent pas attendre l'attaque ; ils se retournèrent et prirent la fuite dans la direction d'une ville voisine, munie de puissantes fortifications[23]. Les Macédoniens les poursuivirent vivement, tuèrent un grand nombre de fuyards, et ne s'arrêtèrent que sous les murs de la place. Alexandre fit aussitôt investir la ville par la cavalerie ; mais les fantassins arrivèrent trop tard dans la soirée et tous les soldats étaient trop fatigués, les cavaliers par la traversée du fleuve et la poursuite rapide, les fantassins par une marche longue et difficile, pour qu'on pût rien entreprendre de plus ce jour-là ; on établit donc le camp tout autour de la ville. Le lendemain, dès la première lueur du jour, le roi, à la tête d'une moitié de l'armée, et, Perdiccas, à la tête de l'autre moitié, donnèrent l'assaut contre les murailles de tous les côtés à la fois. Les Indiens, incapables de les défendre, se' retirèrent sur toute la ligne et se réfugièrent dans la citadelle, qui était très fortifiée. Alexandre, de son côté, fit enfoncer les portes de la ville et pénétra dans la place à la tête de ses troupes, sans trouver de résistance ; puis il traversa les rues en se dirigeant vers la forteresse. Celle-ci était munie de fortes murailles ; les tours étaient pourvues de nombreux défenseurs, et les travaux d'un siège, sous les projectiles des ennemis, offraient de grands dangers. Les Macédoniens n'en commencèrent pas moins à miner les murs, tandis que d'autres soldats apportaient deux échelles d'escalade et tentaient de les appliquer, mais les traits que l'ennemi lançait sans interruption du haut des tours firent hésiter même les plus courageux. A cette vue, le roi saisit une échelle ; tenant son bouclier de la main gauche, son épée de la droite, il gravit les échelons ; Peucestas et Léonnatos s'élancent après lui sur la même échelle ; un vieux capitaine, nommé Abréas, monte sur une autre. Déjà le roi a atteint les créneaux ; le bouclier appuyé devant lui, il combat et se défend tout à la fois ; il précipite un ennemi à la renverse du haut des murs, un coup d'épée en abat un second ; en un instant, le vide se fait devant lui, il escalade les créneaux ; Perdiccas, Léonnatos, Abréas, le suivent ; déjà les hypaspistes, en poussant de grands cris, se pressent sur les deux échelles, mais celles-ci, surchargées, se brisent, et la retraite du roi, qui se tient sur les créneaux, se trouve coupée. A sa brillante armure, au panache de son casque, les Indiens l'ont reconnu ; personne n'ose l'approcher, mais les flèches, les javelots, les pierres lancées du haut des tours et du haut dé la forteresse, pleuvent sur lui ; ses fidèles lui crient de sauter en arrière et d'épargner sa vie : d'un regard il mesure la hauteur de la muraille en dedans de la forteresse ; déjà ce bond téméraire est accompli. Le voilà seul .en dedans des murs ennemis ; le dos appuyé à la muraille, il attend ses adversaires. Déjà ils osent l'approcher, déjà leur chef le serre de près ; Alexandre le transperce d'un coup d'épée ; d'un coup de pierre, il renverse un second ennemi ; un troisième, un quatrième tombent sous l'épée du roi. Les Indiens reculent et commencent à lancer contre lui des flèches, des piques, des pierres, tous les objets qui leur tombent sous la main ; son bouclier le protège encore, mais bientôt son bras se fatigue. Déjà Peucestas, Léonnatos, Abréas, ont sauté du haut des murs à ses côtés, mais Abréas est atteint d'un coup de pierre au visage, il tombe. Les Indiens, en le voyant à terre, poussent des cris de joie et continuent à lancer leurs projectiles avec un redoublement d'ardeur ; une flèche vient frapper la poitrine du roi ; son armure est transpercée ; un flot de sang jaillit et avec lui le souffle du poumon. Dans l'ardeur du combat, le roi ne le remarque pas ; il continue de se défendre ; mais la perte du sang l'épuise, ses genoux chancellent ; il perd connaissance et tombe en s'appuyant sur son bouclier. Les Indiens se pressent contre lui avec une fureur sauvage ; cependant Peucestas s'est placé sur le roi renversé, il le couvre avec le bouclier d'Ilion dont il est porteur ; Léonnatos le protège de l'autre côté ; mais déjà ils sont atteints par une grêle de flèches, c'est à peine s'ils peuvent encore se tenir debout et le roi perd tout son sang. Pendant ce temps, la plus vive agitation règne en dehors des murs ; les Macédoniens ont vu leur roi se précipiter dans la ville ; il est impossible qu'il parvienne à se sauver, et ils ne peuvent le suivre. On veut appliquer des échelles, des machines, des arbres, mais tout cela ne sert qu'à faire perdre du temps, et un instant de retard peut causer sa mort ; il faut le suivre. Les uns enfoncent des piquets dans les murs et s'en servent pour grimper, les autres montent sur les épaules de leurs camarades et parviennent jusqu'aux créneaux ; ils aperçoivent alors le roi étendu par terre, les ennemis se pressant autour de lui, et Peucestas qui déjà s'affaisse. Ils sautent de la muraille en poussant des cris de rage et de douleur et se groupent rapidement autour de leur roi tombé ; ils serrent leurs boucliers les uns contre les autres, foncent en avant et repoussent les Barbares. D'autres se ruent contre la porte, la font voler en éclats, enlèvent les battants des gonds, et les colonnes se précipitent dans la forteresse en poussant des cris de fureur. Maintenant ils se jettent sur l'ennemi avec un redoublement d'énergie ; tous ceux qu'ils rencontrent sont frappés à mort ; femmes, enfants, sont transpercés ; c'est dans le sang que leur vengeance doit s'assouvir. D'autres placent le roi sur son bouclier et l'emportent : la flèche est encore enfoncée dans sa poitrine ; on essaie de l'arracher, mais un crochet la retient ; la douleur réveille le roi de son évanouissement, il soupire et demande qu'on enlève la flèche de la blessure en élargissant la plaie avec son épée. On y parvient enfin ; le sang s'échappe en abondance et le roi perd de nouveau connaissance ; la vie et la mort semblent se le disputer. Les amis entourent sa couche en versant des larmes ; les Macédoniens se tiennent devant sa tente : ainsi se passent la soirée et la nuit[24] Déjà des nouvelles de ce combat, de la blessure et de la mort du roi étaient parvenues dans le camp situé à l'embouchure de l'Hyarotès, et y avaient causé une agitation indescriptible. D'abord on n'entendit que des cris, des plaintes et des larmes, puis le calme revint ; on commença à se demander ce qu'on allait devenir, et cette question redoubla encore les inquiétudes, le découragement, les plaintes et l'indécision. Qui allait conduire l'armée maintenant ? comment retournerait-elle au pays ? comment trouver la route ? comment pourvoir au voyage à travers ces distances sans fin, ces fleuves terribles, ces montagnes désertes et ces solitudes ? comment se défendre contre tous ces peuples guerriers qui n'hésiteraient plus à défendre leur liberté, à reconquérir leur indépendance et à assouvir leur vengeance contre les Macédoniens, maintenant qu'ils n'avaient plus Alexandre à redouter ? Et quand arriva la nouvelle que le roi vivait encore, ce fut à peine si on put y croire ; on doutait qu'il eût été possible de l'arracher à la mort, lorsqu'une lettre du roi lui-même arriva pour annoncer qu'il serait bientôt de retour au camp : on dit alors que la lettre avait été fabriquée par les gardes du corps et les stratèges afin d'apaiser les esprits, que le roi était mort et qu'ils n'avaient plus ni guide ni espoir de salut. Cependant Alexandre était réellement sauvé, et au bout de sept jours, sa blessure, quoiqu'elle fût encore ouverte, n'offrait plus de danger. Les nouvelles qui arrivaient du camp et la crainte que la persuasion de sa mort ne causât des désordres dans l'armée le portèrent à ne pas attendre son complet rétablissement et à retourner dès lors parmi les troupes. Il fit disposer un yacht sur lequel on plaça un lit de malade, protégé par une tente ; puis, s'étant embarqué, il descendit l'Hyarotès : pour éviter l'ébranlement, on ne se servait pas des rames et l'embarcation était entraînée seulement par le cours du fleuve ; le quatrième jour enfin, elle approcha du camp. L'annonce de l'arrivée d'Alexandre l'avait précédé, mais un petit nombre seulement y croyaient. On apercevait déjà lé yacht avec son pavillon qui descendait le courant ; les troupes, dans une anxieuse attente, se tenaient le long du fleuve. Le roi fit enlever le pavillon afin que tous le vissent. On se figura encore que c'était le cadavre du roi qu'amenait la barque ; mais avant d'atteindre la rive, Alexandre leva le bras, comme pour saluer ses troupes ; alors ces milliers de soldats poussèrent des cris de joie ; ils étendaient les bras vers le ciel ou vers leur roi, et les larmes de joie se mêlaient aux cris d'allégresse sans cesse renouvelés. Alors le yacht s'approcha de la rive ; quelques hypaspistes amenèrent une litière pour transporter le roi de la barque dans sa tente, mais il ordonna qu'on lui amenât un cheval. Quand l'armée le vit monté sur son coursier, il s'éleva un tel cri de joie, de tels applaudissements accompagnés de coups frappés sur les boucliers, que la rive opposée ainsi que les forêts d'alentour en retentirent. Le roi mit pied à terre près de la tente qu'on avait dressée pour lui, afin que ses guerriers le vissent aussi marcher ; alors tous se pressèrent autour de lui, pour toucher sa main, ses genoux, ses vêtements, pour le voir de près, pour lui adresser une bonne parole, pour lui jeter des banderoles et des fleurs. C'est lors de cette réception que dut se produire le fait raconté par Néarque. Quelques amis avaient reproché au roi de s'exposer ainsi au danger, lui disant qu'une telle conduite était celle d'un soldat, mais non celle d'un général. Un vieux Béotien, qui les avait entendus et qui avait remarqué le mécontentement du roi, s'approcha et dit dans le dialecte de son pays : « A l'homme l'action, ô Alexandre ; mais qui agit doit souffrir ». Le narrateur ajoute que le roi lui marqua son assentiment et, même plus tard, n'oublia pas cette bonne parole. La rapidité avec laquelle Alexandre s'était emparé de la capitale des Malliens avait produit une impression profonde sur toutes les populations des environs. Les Malliens eux-mêmes, bien que les Macédoniens n'eussent rien entrepris contre la vaste étendue de leur territoire, désespérèrent de pouvoir leur résister plus longtemps ; ils envoyèrent une ambassade et se soumirent humblement au roi, eux et leur pays. Les Oxydraques ou Soudraques, qui partageaient avec les Malliens la réputation d'être les peuples les plus courageux de l'Inde et qui pouvaient mettre en campagne des forces considérables, préférèrent se soumettre. Une ambassade formée des commandants des villes, des seigneurs de la contrée et de cent cinquante des principaux habitants, arriva avec des présents et revêtue de pleins pouvoirs pour accepter toutes les conditions qu'imposerait Alexandre. Ces envoyés dirent que, s'ils ne s'étaient pas présentés plus tôt devant le roi, il fallait leur pardonner, car, plus qu'aucun autre peuple de l'Inde, ils aimaient leur liberté qu'ils avaient conservée depuis des temps immémoriaux, depuis l'expédition du dieu que les Grecs appelaient Dionysos ; mais qu'ils se soumettaient volontiers à Alexandre, car il devait certainement descendre des dieux, ainsi que le prouvaient ses hauts faits. Ils ajoutaient qu'ils étaient prêts à recevoir le satrape qu'il établirait, à payer tribut et à livrer des otages en aussi grand nombre que l'exigerait le roi. Alexandre demanda mille des plus nobles du peuple, qui devaient, à son choix, le suivre comme otages, ou combattre avec lui jusqu'à ce qu'il eût soumis les autres contrées de l'Inde. Les Oxydraques envoyèrent les mille otages et ajoutèrent volontairement cinq cents chariots de guerre portant chacun son conducteur et deux combattants ; le roi renvoya alors généreusement les mille otages, mais il incorpora les chariots de guerre dans son armée, et le territoire de ces peuples, avec celui des Malliens, fut réuni à la satrapie de l'Inde, sous les ordres de Philippe. Une fois complètement rétabli, Alexandre rendit grâces aux dieux de sa guérison par des sacrifices solennels et des joutes, puis il quitta son camp assis à l'embouchure de l'Hyarotès. Pendant le temps qu'on avait passé dans ce pays, le roi avait fait construire encore quantité de nouveaux vaisseaux, de sorte qu'un nombre de troupes bien plus considérable qu'auparavant pouvait maintenant descendre le fleuve avec lui ; il était accompagné de 10.000 fantassins armés à la légère, des archers et des Agrianes et de 1.700 cavaliers macédoniens. Le roi descendit ainsi du cours de l'Hyphase[25], jusqu'au confluent du grand fleuve de Pandjnad et de l'Indus. Les Abastanes (Ambastha) avaient été les seuls peuples que Perdiccas, en passant, avait dû contraindre par la force à se soumettre ; tous les autres, de près ou de loin, avaient envoyé des ambassades avec de nombreux et riches présents consistant en tissus magnifiques, pierres précieuses, perles, peaux de serpents aux couleurs variées, écailles de tortues, lions et tigres apprivoisés. De nouveaux vaisseaux à trente rameurs, ainsi que des bâtiments de transport en nombre considérable, que le roi avait fait construire dans le pays des Xathras, descendaient le fleuve[26]. A l'endroit où l'Indus reçoit le Pandjnad, les cinq affluents de l'Est réunis, et où se trouve le centre naturel du commerce des régions de l'intérieur avec l'embouchure de l'Indus, Alexandre résolut de fonder une ville hellénique, qui devait être aussi importante pour la domination du pays que considérable et florissante par le commerce de l'Indus[27]. Cette ville devait être le point le plus méridional de la satrapie de Philippe, et celui-ci resta dans cet endroit avec des forces imposantes, composées de toutes les troupes thraces et d'un nombre proportionnel d'hommes pesamment armés pris dans les phalanges. Il était chargé notamment de pourvoir de son mieux à la sécurité du commerce dans ces parages, d'établir sur l'Indus un port spacieux, un chantier pour la construction des vaisseaux et un magasin de vivres, et de favoriser de toutes manières la prospérité de cette Alexandrie. On pouvait être au mois de février de l'année 325, lorsque l'armée macédonienne quitta Alexandrie pour s'avancer dans le bassin inférieur de l'Indus. La plus grande partie des troupes avec les éléphants, sous la conduite de Cratère, longeait la rive orientale du fleuve : de ce côté, en effet, la route était meilleure et les populations n'y étaient pas encore toutes portées à se soumettre. Quant au roi, il descendit le fleuve avec les troupes que nous avons nommées plus haut. Armée et flotte arrivèrent sans obstacle dans le pays des Çoudras, que les Hellènes nommaient Sogdes ou Sodres, et s'arrêtèrent dans leur capitale[28]. On fit de cette ville une colonie hellénique sous le nom d'Alexandrie Sogdienne ; elle fut pourvue d'importantes fortifications, d'un port, d'un chantier pour les vaisseaux, et fut désignée pour être la résidence du satrape de l'Indus inférieur, dont le territoire devait s'étendre depuis l'embouchure du Pandjnad jusqu'à la mer. Pithon y fut placé comme satrape, avec une armée de 10.000 hommes[29]. La position d'Alexandrie Sogdienne est une des plus importantes pour le cours inférieur de l'Indus ; le caractère du fleuve, du pays et des populations commence à changer ici d'une manière considérable. Les chaînes de montagnes de Soliman, qui ont accompagné l'Indus du nord au sud, se tournent à l'ouest presque à angle droit, vers les défilés de Bholan. Le désert, qui était resté jusque-là voisin de l'Indus, du côté de l'est, s'éloigne ; le fleuve envoie ses bras à droite et à gauche et forme ainsi un grand nombre d'îles et de bas-fonds ; une contrée basse, fertile et bien peuplée s'étend sur les rives du fleuve, et bientôt le voisinage de l'Océan se fait sentir. Une autre circonstance non moins remarquable vient encore se joindre à celles-ci ; tandis que, du côté de l'est, un pays plat, uniforme, s'étend à perte de vue, dès qu'on s'avance au sud on voit s'élever au-dessus de la plaine occidentale une muraille d'imposantes montagnes qui enclot le pays et se prolonge jusqu'au cap Monz. Le cours actuel de l'Indus s'avance en décrivant un grand arc jusqu'au pied de ces montagnes, puis se retourne à l'est, vers Hyderabad, où commence le delta. Dans l'antiquité, le fleuve suivait la corde de cet arc dans la direction du sud, de Bhoukor à Hyderabad, et baignait près de Bhoukor une chaîne de collines basses et calcaires, dans laquelle il a fait aujourd'hui une trouée en se dirigeant à l'ouest. Ces collines portent encore les débris d'Alor, l'ancienne capitale du pays du Sindh. Cette dernière contrée ressemble à un jardin ; les coteaux sont ornés de vignobles, l'encens du climat brûlant d'Arabie, les champs de fleurs des chaudes et humides contrées des tropiques, le maïs des rives marécageuses du fleuve, poussent ici côte à côte ; des villes, des villages en nombre considérable ornent le pays ; un commerce incessant anime le fleuve et ses canaux, et la population méridionale, chaudement colorée, gouvernée par des princes, est complètement différente des peuples qui habitent l'Indus supérieur. La caste des brahmanes y occupe le premier rang, et son influence est décisive sur les affaires publiques ; la conduite du prince est dirigée autant par les préjugés religieux que par la défiance et des rivalités sans fin ; c'est là une marque caractéristique qui, dans le cours des siècles, au milieu de tous les changements de gouvernements, de religion et même de nature, est toujours restée la même. Le caractère particulier de ce pays et de ses habitants fit aussitôt sentir ses effets pour Alexandre. La soumission des Manions avait fait cesser toute résistance de la part des populations, et l'armée était arrivée jusque dans le pays des Sogdes en poursuivant une campagne de succès non interrompus, mais c'était en vain qu'Alexandre comptait sur la soumission volontaire des populations plus éloignées ; ni princes, ni ambassades de princes ne vinrent présenter leurs hommages au maître du pays de l'Indus ; les suggestions des orgueilleux brahmanes ou la confiance dans leurs propres forces les avaient portés sans doute à mépriser le puissant étranger. Seul, le prince Sambos[30] s'était librement soumis ; il dépendait de Mousicanos, qui était plus puissant que lui, et il peut se faire qu'il ait mieux aimé servir un maitre étranger qu'un prince voisin. Alexandre le confirma dans son pays de montagnes, en qualité de satrape[31], ou, pour parler plus exactement, lui laissa son territoire aux mêmes conditions qu'aux princes tributaires de la satrapie de l'Inde supérieure. La position indépendante que semblaient vouloir conserver Mousicanos et les autres princes du pays força le roi à recourir encore à la force des armes. Partant d'Alexandrie Sogdienne, il descendit l'Indus aussi rapidement que possible, et, pénétrant dans le bras du fleuve qui se dirigeait du côté des montagnes et conduisait à la résidence de Mousicanos, il atteignit les frontières du territoire de ce prince avant que celui-ci eût pu s'attendre à une surprise. Effrayé par l'approche du danger, Mousicanos chercha à faire oublier son orgueilleuse attitude par une humble et prompte soumission ; il vint en personne au devant du roi et lui apporta de nombreux et riches présents, parmi lesquels se trouvaient tous ses éléphants ; il se soumit, lui et son pays, à la clémence d'Alexandre et avoua qu'il avait fort mal agi ; c'était le plus sûr moyen d'exciter la générosité du roi. Le prince obtint son pardon, et son territoire lui resta, sous la suzeraineté macédonienne. Alexandre admira la splendide nature de cette contrée ; puis, comme la résidence du prince, qui était dans une position très favorable pour maintenir tout le pays, avait besoin d'être assurée par une forteresse et par une garnison macédonienne, Cratère reçut l'ordre d'y construire une citadelle[32]. Le roi se mit en marche avec les archers, les Agrianes et la moitié des hipparchies contre le pays des Præstiens et contre le prince Oxycanos, ou, comme d'autres le nomment, Porticanos[33]. Ce prince, qui n'avait pas l'intention de se soumettre, s'était enfermé dans sa capitale avec des forces considérables. Le roi s'approcha et prit sans peine une des premières villes de la principauté ; mais le prince, que n'éblouissait pas l'exemple de Mousicanos, attendit l'ennemi derrière les murailles de sa résidence. Alexandre arriva et commença le siège ; le troisième jour, il avait fait tant de progrès, que le prince se retira dans la citadelle de la ville et voulut nouer des négociations ; mais il était trop tard, une brèche était déjà ouverte dans les murs de la forteresse : les Macédoniens se précipitèrent à l'intérieur, les Indiens furent battus, malgré leurs efforts désespérés, et le prince fut tué. Après la chute de la ville et la mort du prince, il fut facile de soumettre les autres villes de cette riche contrée, qui étaient en grand nombre, et Alexandre les abandonna au pillage ; il espérait effrayer les peuples par le sort des Præstiens et les décider à lui offrir de bon gré la soumission qu'il pouvait exiger par la force. Mais déjà une agitation nouvelle s'était fait jour sur un point où l'on n'aurait pas dû s'y attendre. Le prince Sambos avait vu avec effroi que Mousicanos non seulement était demeuré impuni, mais était même arrivé à une haute faveur près du roi, et il crut qu'il avait à craindre maintenant le châtiment de sa défection. Les brahmanes de sa cour, sans autre intérêt que la haine contre le conquérant étranger, surent entretenir ses inquiétudes et l'amener enfin à la démarche la plus malencontreuse qu'il pût faire ; il s'enfuit dans le désert, laissant son pays en proie au trouble et à l'insurrection. Le roi s'y rendit en toute hâte ; Sindomana[34], la capitale, ouvrit ses portes et s'en remit d'autant plus volontiers à la clémence d'Alexandre qu'elle n'avait pas pris part à la défection ; les éléphants et les trésors du prince furent livrés, et les autres villes du pays suivirent l'exemple de la résidence ; une seule, où les brahmanes qui avaient conseillé la défection s'étaient retirés, osa résister, mais elle fut prise, et les brahmanes coupables furent exécutés[35]. L'aveugle fanatisme de la caste sainte, d'autant plus sauvage qu'il avait moins d'espérance, ne s'effraya pas du sort des brahmanes de Sambos et sut, pendant l'absence du roi, pousser le prince Mousicanos et les populations de son pays à la haine la plus violente contre les étrangers, à une révolte ouverte et au massacre de la garnison macédonienne. L'insurrection, comme une flamme, avait gagné les deux rives du fleuve ; chacun courut aux armes, et, si la force de la volonté et du commandement avait égalé la rage des insurgés, le roi se serait trouvé dans une position difficile. Mais à peine Alexandre s'approchait-il que Mousicanos s'enfuit de l'autre côté de l'Indus ; le roi envoya Pithon à sa poursuite et se porta lui-même contre les villes, qui, sans appui mutuel, sans commandement intelligent, sans espoir de salut, tombèrent rapidement aux mains du vainqueur[36]. Le châtiment de la défection fut sévère ; un nombre immense d'Indiens périrent dans les assauts ou furent exécutés après la victoire ; les survivants furent vendus comme esclaves, leurs villes détruites, et le petit nombre de celles qui restèrent debout furent munies de citadelles avec garnison macédonienne pour surveiller cette terre couverte de débris et de ruines. Mousicanos lui-même fut pris ; il fut reconnu digne de mort, ainsi qu'un grand nombre de brahmanes, et ils furent pendus sur les routes du pays dont ils avaient causé le malheur. Le roi revint alors à sa flotte et à son camp[37] ; l'énergique rigueur avec laquelle il avait étouffé et puni les rébellions semblait avoir enfin produit sur l'esprit des Indiens l'impression qu'on en attendait. Avant tous les autres, le prince Mœris[38] de Pattala, dont la puissance s'étendait sur le delta de l'Indus, se hâta de se rendre à discrétion. Il vint à Alexandrie, se soumit, lui et son pays, à la clémence du roi, et fut en retour investi du gouvernement de son pays, aux mêmes conditions qu'on avait imposées à Mousicanos et autres princes dont les possessions étaient situées dans les limites des satrapies macédoniennes. Après avoir obtenu de lui des renseignements plus précis sur la nature du delta de l'Indus qui commence à Pattala, sur les bouches du fleuve et sur l'Océan dans lequel elles déversent leurs eaux, Alexandre le renvoya dans son pays, avec ordre de tout disposer pour recevoir l'armée et la flotte. La soumission de Mœris, le dernier prince qui eût encore
conservé son indépendance dans la contrée de l'Indus, terminait les
opérations militaires de la campagne ; du moins on n'avait plus à attendre aucun
combat important et général, et c'est tout au plus si l'on devait encore
rencontrer dans la région de l'Indus qui restait à parcourir quelques
résistances isolées et quelques désordres faciles à réprimer. On n'avait plus
besoin de toutes les forces militaires réunies ; l'heure du retour
approchait. Le désir du roi était de découvrir un chemin par mer entre l'Inde
et Le tiers de l'infanterie environ se tenait prêt à marcher
vers l'Arachosie, sous les ordres de Cratère ; cet officier avait avec lui
les phalanges d'Attale, d'Antigène[42], de Méléagre,
une partie des archers, tous les éléphants et de plus les hétœres pied et à
cheval qui, n'étant plus propres au service, devaient retourner dans la
patrie. D'après les ordres qui lui furent donnés, il devait traverser
l'Arachosie et Après avoir ainsi expédié Cratère, le roi partit lui-même ; il descendit le fleuve avec la flotte, tandis que Pithon, avec les archers à cheval et les Agrianes, suivait le cours du fleuve sur la rive gauche, pour peupler les villes qui s'y trouvaient situées avec les habitants du voisinage[45], réprimer le reste des désordres dans ce pays si rigoureusement puni, et rejoindre à Pattala le gros de l'armée. Héphestion conduisait les autres troupes à cette même ville, en marchant sur la rire droite de l'Indus. Dès le troisième jour de voyage, Alexandre reçut la nouvelle que le prince de Pattala, au lieu de tout préparer pour recevoir l'armée, s'était enfui dans le désert avec la majeure partie des habitants, peut-être par crainte du puissant roi, mais plus vraisemblablement à l'instigation des brahmanes. Alexandre n'en mit que plus de promptitude à s'avancer ; partout, les localités avaient été abandonnées par leurs habitants. Il atteignit Pattala vers la fin de juillet[46]. Les rues et les maisons étaient désertes ; les habitants avaient emporté tout leur mobilier ; la grande ville paraissait morte. Les troupes légères furent aussitôt envoyées pour courir sur les traces des fuyards ; quelques-uns d'entre ceux-ci furent conduits devant le roi, qui les reçut avec une douceur à laquelle on ne s'attendait pas et les renvoya vers leurs compatriotes pour les inviter à revenir en paix dans leurs habitations et à leurs affaires sans se mettre en peine de leur sort à venir, car il leur serait permis de vivre, après comme avant, selon leurs mœurs et leurs lois. Sur cette promesse du roi, la plupart revinrent, et Alexandre put commencer l'exécution de son grand plan, pour lequel il lui était si important de posséder les bouches de l'Indus. Il pressentait ou il apprit que cette même mer où l'Indus
déversait ses eaux formait le golfe Persique, et qu'il était possible, par
conséquent, de trouver un chemin par mer pour gagner l'embouchure de
l'Euphrate et du Tigre. Sa puissance, qui pour la première fois mettait en
rapport immédiat les peuples les plus éloignés, ne devait pas être fondée
simplement sur la force des armes, mais plus encore sur les intérêts des
peuples eux-mêmes ; il devait songer avant tout à établir des relations
commerciales, à fonder une vaste association de toutes les parties encore si
éloignées de l'empire, et à réaliser des rapports, inconnus aux siècles
précédents, qui embrasseraient le monde et les peuples. Partout cette pensée
avait été présente à son esprit ; les villes qu'il avait fondées pour la
domination militaire de l'Iran et du Touran étaient autant de points où
pouvaient s'arrêter les caravanes ; les places fortes qu'il avait fondées
dans l'Inde garantissaient la sécurité de la route qui descendait de l'Ariane
et traversait la région des Cinq-Fleuves, ainsi que la navigation sur l'Indus
et sur ses affluents ; Alexandrie d'Égypte, depuis quatre ou cinq ans qu'elle
existait, était déjà un point central pour le commerce des mers qui entourent
Pattala, située au point de division des branches qui forment le delta de l'Indus, s'offrait d'elle-même comme entrepôt commercial entre l'intérieur et l'Océan, et en même temps, au point de vue militaire, elle commandait le pays de l'Indus inférieur. En conséquence, Héphestion fut chargé de fortifier avec le plus grand soin la citadelle de la ville, et ensuite d'établir un chantier pour la construction des vaisseaux et un port spacieux à côté de la cité. En même temps, le roi envoya plusieurs détachements de troupes dans la région déserte et sans arbres qui commençait à l'est, non loin de la ville, en chargeant les soldats de creuser des puits et de rendre cette contrée habitable, afin de faciliter aussi de ce côté les relations avec Pattala et d'ouvrir aux caravanes les régions du Gange et du Dekhan. Une attaque soudaine des hordes qui habitaient ce désert ne fit que troubler un instant le travail. Après un séjour prolongé, pendant lequel la construction de la citadelle se trouva à peu près terminée et l'établissement du chantier pour les vaisseaux déjà assez avancé, le roi résolut d'explorer en personne les bouches de l'Indus, afin de vérifier par lui-même jusqu'à quel point elles étaient navigables et commodes pour le commerce, et pour pénétrer jusque dans l'Océan, où pas un Grec n'avait encore pénétré. Il voulut suivre d'abord le principal bras du fleuve, qui s'écartait à droite ; tandis que Léonnatos marchait sur la rive intérieure avec mille cavaliers, neuf mille hoplites et l'infanterie légère, il descendit lui-même le fleuve avec les embarcations les plus rapides de sa flotte, les demi-trirèmes, les vaisseaux à trente rames et quelques cercoures[47], sans même prendre de pilotes qui connussent le fleuve, car les habitants de Pattala et les Indiens en général ne naviguaient jamais, et d'ailleurs les riverains prenaient la fuite dès que les Macédoniens s'approchaient. Il se confiait dans le courage et dans l'adresse de ses matelots, et ne pouvait prévoir à quelle épreuve la puissance inouïe des phénomènes océaniques devait les soumettre. On était précisément au milieu de l'été, au moment où le fleuve, considérablement grossi, submerge en partie ses rives les plus basses et rend la navigation d'autant plus périlleuse. Le premier jour, on s'avança sans rencontrer d'obstacle particulier ; mais le second jour, à dix milles environ au-dessous de Pattala, un vent violent se mit à souffler du sud et fit gonfler les eaux du fleuve, de sorte que les vagues s'élevaient houleuses et écumantes ; plus d'une embarcation coula et d'autres furent notablement endommagées. On se hâta de gagner la rive, pour réparer les avaries aussi bien et aussi rapidement que possible ; en même temps le roi envoya des soldats armés à la légère, pour s'emparer de quelques-uns des riverains en fuite qui connussent ces parages. Le lendemain on continua à s'avancer avec ces indigènes ; le grand fleuve s'élargissait de plus en plus entre ses rives plates, et désertes ; on commença à sentir le vent plus frais de la mer ; les vagues devenaient plus fortes et la manœuvre des rames plus difficile ; une forte brise de mer soufflait de l'avant et repoussait les eaux du fleuve qui grossissait et dont la navigation semblait devenir périlleuse. Les embarcations s'engagèrent dans un canal que montrèrent les pêcheurs dont on s'était emparé la veille. Les eaux roulaient toujours avec plus de force et de rapidité, et ce ne fut qu'avec de grands efforts qu'on parvint à faire approcher assez promptement de la terre les embarcations. A peine avaient-elles abordé que le fleuve commença à baisser avec la même rapidité ; les bateaux restèrent à sec pour la plupart, ou s'enfoncèrent dans la vase du rivage ; on était stupéfait et indécis. Quelques heures se passèrent ainsi ; enfin on voulut aller remettre à flot les embarcations, pour gagner, n'importe où, une eau navigable. Mais voici que le terrible phénomène recommençait ; les flots s'enflaient en mugissant, submergeaient la vase du marais et élevaient avec eux les embarcations qui s'y trouvaient enfoncées ; grossissant avec une rapidité toujours croissante, les vagues venaient se briser contre les parties plus résistantes de la berge ; les bateaux qui avaient cherché là un refuge étaient jetés sur le côté, tellement que beaucoup chaviraient, tandis qu'un grand nombre d'autres se brisaient et s'enfonçaient ; les vaisseaux emportés, en désordre et sans moyen de salut, par la violence des flots, se heurtaient tantôt contre la rive, tantôt les uns contre les autres, et les collisions devenaient plus dangereuses à mesure que la furie des vagues grossissantes devenait plus violente. Tels furent les dangers et les pertes au prix desquels Alexandre fit la première expérience du flux et du reflux de l'Océan. Bien que le point où se trouvait le roi fût encore éloigné de dix milles au moins de l'embouchure proprement dite du fleuve, le mouvement était d'autant plus terrible que le flux avait à lutter contre l'énorme colonne d'eau que l'Indus pousse à sa rencontre, et que l'entrée du fleuve, large de deux milles, ouvre un plein accès à son irruption[48]. Aussitôt qu'Alexandre eut surmonté ces dangers et eut été instruit de leur retour périodique, il envoya, afin d'y échapper et tandis qu'on réparait les avaries des bateaux, deux solides embarcations vers l'île de Scillouta[49], en aval du courant. Là l'Océan, au dire des pêcheurs, était tout proche, et la rive était abritée et d'un abord facile. Les matelots rapportèrent la nouvelle qu'en effet l'île avait une rive commode, qu'elle était d'une grandeur considérable et bien pourvue d'eau potable ; en conséquence, Alexandre s'y rendit avec la flotte et fit aborder, sous la protection de la rive, la plus grande partie de ses vaisseaux. De cette île, on apercevait déjà les brisants couverts d'écume de l'embouchure de l'Indus et, par delà, l'horizon élevé de l'Océan ; à peine pouvait-on découvrir les rives basses, dépourvues d'arbres et de collines, qui bordaient le fleuve, large de deux milles. Alexandre gouverna en avant avec les meilleurs de ses vaisseaux, pour franchir l'embouchure proprement dite et éprouver si elle était navigable. Bientôt la côte occidentale disparut à ses regards, et les hautes vagues de l'Océan s'étendaient à perte de vue du côté du couchant. Après une navigation de quatre milles, on atteignit, vers l'est, une seconde île ; déjà la houle de l'Océan venait se briser tout autour sur ses côtes plates et sablonneuses. Comme le soir était venu, les vaisseaux retournèrent avec le flux vers l'île où la flotte avait abordé ; un sacrifice solennel à Ammon célébra, ainsi que le dieu l'avait ordonné par un oracle, cette première vue de l'Océan et de la dernière contrée au sud de la terre habitée. Le lendemain, le roi partit de nouveau, aborda dans l'île qu'il avait rencontrée la veille en mer et y sacrifia encore aux dieux qui, dit-on, lui avaient été désignés par Ammon ; puis il continua sa route en pleine mer, afin d'examiner autour de lui si l'on n'apercevait pas encore quelque terre ferme. Comme les rivages avaient déjà disparu de tous côtés et qu'on ne voyait plus que le ciel et l'eau, il sacrifia des taureaux à Poséidon et lança les victimes dans l'Océan, puis il fit des libations avec une coupe d'or qu'il jeta aussi dans les flots ; enfin, il fit de nouvelles libations aux Néréides, aux Dioscures sauveurs, à Thétis aux pieds d'argent, mère de son ancêtre Achille, les priant de recevoir favorablement son escadre et de la conduire vers l'Occident jusqu'aux bouches de l'Euphrate ; puis il jeta la coupe d'or dans la mer, en signe de prière. Ensuite il retourna vers la flotte et remonta le fleuve avec elle jusqu'à Pattala. Il y trouva la citadelle achevée et la construction du port commencée ; Pithon y était également arrivé avec son armée, après avoir exécuté les ordres qu'il avait reçus ; il avait rendu la tranquillité au pays plat et peuplé les nouvelles villes. Le roi avait appris à connaître le bras droit des bouches de l'Indus et les obstacles de toutes sortes qu'il présentait à la navigation, car les vents moussons et la crue des eaux du fleuve se réunissaient dans cette saison de l'année pour le rendre difficile. Il résolut de descendre et d'explorer également le second bras du fleuve, celui qui coule à l'est, afin de voir s'il n'était pas plus propre à la navigation. Après qu'on eut effectué un parcours assez considérable en descendant vers le sud-est, on trouva que l'eau s'élargissait de manière à former un très grand lac, alimenté par quelques affluents, grands et petits, qui venaient de l'est ; ce lac ressemblait à un golfe de l'Océan ; on y trouva même des poissons de mer. Des pilotes indigènes indiquèrent les endroits les plus favorables, et le roi fit aborder la flotte sur ses rivages, Il laissa en cet endroit la plus grande partie de ses troupes, avec toutes les cercoures, sous les ordres de Léonnatos, et descendit lui-même jusqu'à l'embouchure de l'Indus, en traversant le lac, avec les demi-trirèmes et les vaisseaux à trente rames. Il parvint jusqu'à la mer sans rencontrer la houle furieuse ni la marée haute qui rendait si périlleux le bras occidental et plus large de l'Indus ; il fit aborder près de l'embouchure et s'avança, avec quelques-uns de ses hétœres, à trois jours de marche le long du littoral, partie pour explorer la nature de la côte, partie pour faire creuser des puits à l'usage des navigateurs. Alors il retourna vers ses vaisseaux, puis traversa le lac avec eux et remonta jusqu'à Pattala, tandis qu'une partie de l'armée s'avançait sur la rive afin de creuser également des puits dans ces parages arides. De Pattala, il descendit pour la seconde fois dans le lac, prit des dispositions pour la construction d'un port et de plusieurs chantiers pour les vaisseaux et laissa en arrière une petite garnison pour protéger ces ouvrages[50]. Ainsi tout était convenablement organisé par rapport au grand plan du roi ; pour en achever la réalisation, il ne restait plus qu'une chose, mais c'était, il est vrai, la plus difficile et la plus périlleuse ; c'était la découverte de la route maritime qui devait réunir désormais l'Indus et l'Euphrate. Si l'on considère l'état des connaissances nautiques et géographiques à cette époque, on appréciera à sa juste valeur la hardiesse d'un tel plan. La construction des vaisseaux était imparfaite, ou du moins n'était pas appropriée aux conditions particulières de la navigation sur l'Océan ; on n'avait pour se diriger en mer que les astres et les côtes, dont naturellement le voisinage devait être souvent dangereux ; l'imagination des Hellènes peuplait l'Océan de prodiges et de monstres de toutes sortes, et les Macédoniens, si intrépides et si courageux lorsqu'ils avaient l'ennemi devant leurs yeux, étaient sans armes et non pas sans peur devant le perfide élément. Et puis, qui prendrait la conduite de l'expédition ? Le roi lui-même était assez hardi pour tenter les plus téméraires entreprises ; il était déjà prêt à braver de sa personne et à vaincre l'Océan ; mais il devait d'autant moins se mettre à la tête de la flotte que déjà, pendant sa campagne de l'Inde, il s'était produit dans l'empire bien des désordres qui exigeaient impérieusement son retour ; la route de Perse par terre était difficile, et, pour traverser ces contrées désertes et redoutables, les troupes de terre avaient besoin de l'avoir en personne à leur tête, car c'était seulement en lui qu'elle avaient une confiance absolue. Qui donc choisir pour conduire la flotte ? Qui aurait assez de courage, assez d'adresse, assez de dévouement ? Qui pourrait imposer silence aux préjugés et à la peur des troupes qui devaient former la flotte, et, au lieu de ces vaines imaginations qui leur faisaient croire qu'elles étaient abandonnées sans souci à un péril évident, leur inspirer confiance en elles-mêmes, confiance dans leur guide et dans l'heureux résultat de leur entreprise ? Le roi fit part de toutes ces pensées au fidèle Néarque et lui demanda conseil pour savoir à qui il devait confier ses vaisseaux. Néarque lui nomma les officiers les uns après les autres ; le roi les repoussa tous : l'un paraissait manquer de décision ; un autre n'avait pas assez de dévouement au roi pour s'exposer au danger à sa place ; d'autres manquaient d'expérience nautique ; ils ne connaissaient pas assez l'esprit des troupes, ou bien désiraient ardemment revoir leur patrie et retrouver les commodités d'une vie tranquille. Néarque, ainsi qu'il le raconte dans ses Mémoires, s'offrit enfin lui-même : Je veux bien, ô roi, prendre la conduite de la flotte et ramener sains et saufs, avec l'aide des dieux, hommes et vaisseaux jusque dans la terre de Perse, pourvu que la mer soit navigable et que surtout l'entreprise ne dépasse pas les forces humaines. Le roi lui répondit qu'il ne pouvait exposer à de nouveaux dangers un homme si fidèle et d'un si grand mérite. Les prières de Néarque n'en furent que plus pressantes, et le roi ne lui cacha pas qu'il était réellement, plus que tout autre, propre à remplir cette tâche. Les troupes, qui respectaient le chef éprouvé de la flotte et qui connaissaient l'affection profonde du roi pour lui, durent voir dans ce choix une garantie pour elles-mêmes, car Alexandre n'aurait certainement pas confié l'entreprise à un ami et à un de ses meilleurs généraux s'il avait conservé quelques doutes sur son résultat[51]. C'est ainsi que Néarque, fils d'Androtimos, natif de Crète et citoyen d'Amphipolis, fut mis à la tête de l'expédition maritime. Alexandre ne pouvait faire un choix plus heureux. Il est possible que les troupes destinées à la flotte aient d'abord été découragées et inquiètes de leur sort ; mais le choix de leur chef, l'excellence et la pompe des préparatifs, l'assurance avec laquelle leur roi promettait un heureux succès, la gloire de prendre part à l'entreprise la plus hardie et la plus périlleuse qu'on eût jamais tentée, enfin l'exemple du grand roi, qui avait pénétré jusqu'en plein Océan en traversant l'embouchure houleuse de l'Indus, tout cela leur fit attendre avec joie le jour du départ. Alexandre avait eu occasion de s'informer sur la nature des moussons ; ils soufflent régulièrement du sud-ouest pendant l'été et du nord-est pendant l'hiver : cependant, sur la côte de Gédrosie, qui s'étend précisément vers l'occident, ces moussons du nord-est se changent en un vent d'est constant ; celui-ci commence avec quelques oscillations en octobre, devient constant vers la fin du mois, et souffle ensuite sans interruption jusqu'en février. On devait naturellement profiter de cette particularité de l'Océan indien, très favorable pour la navigation qu'on voulait entreprendre le long des côtes, et fixer le départ de la flotte à. la fin d'octobre[52]. Celui de l'armée de terre ne devait pas être si longtemps retardé, car, d'une part, l'état de l'empire d'Alexandre demandait un prompt retour, et de l'autre, il fallait amasser des provisions sur la côte et y creuser des puits pour la flotte, qui ne pouvait s'approvisionner pour cette longue navigation. En conséquence, le roi décida que les vaisseaux resteraient jusqu'en novembre dans les stations de Pattala, fit amasser des provisions pour quatre mois afin de subvenir à l'entretien des troupes de mer, et se prépara lui-même à partir de Pattala. |
[1] ARRIAN, V, 29, 1 : ce qui ne veut pas dire, comme je l'ai cru jadis, que les τάξεις en question fussent des régiments de phalange. Sans doute, le roi avait avec lui, comme on le voit par Arrien (V, 20, 3), la moitié des Hétaires qui lui restait, l'élite de chaque corps d'infanterie, tous les Archers à cheval, les Agriens et les hommes de trait : mais on ne saurait démontrer qu'il y eût à l'époque plus de dix phalanges. Ce nombre de douze se rapportait-il aux douze dieux, comme le prétend Diodore (XVII, 95), ou tenait-il à quelque autre raison, c'est ce que nous n'examinerons pas ici. Pour ce qui concerne les ornements de ces autels et l'idée qu'on prête à Alexandre de faire croire, par la dimension colossale des ustensiles laissés en ce lieu, que les Macédoniens étaient une race de géants, les textes des auteurs ont été rassemblés par les commentateurs de Quinte-Curce (IX, 3, 19). On lisait, dit-on, sur les autels l'inscription suivante : A mon père Ammon, et à mon frère Héraclès, et à l'Athéna Prévoyante et à Zeus Olympien, et aux Cabires de Samothrace, et à l'Hélios indien et à mon frère Apollon. Philostrate (Vit. Apollon., II, 15) répète cette absurdité et ajoute qu'il y avait au milieu des autels une colonne de bronze portant l'inscription : Ici s'est arrêté Alexandre. D'après Suidas (s. v. Βραχμάνες), il y avait sur ladite colonne : Moi, le roi Alexandre, j'ai pénétré jusqu'ici.
[2]
On ne sait plus où se trouvaient ces douze autels. D'après ce que dit
Quinte-Curce (IX, 2, 2), à savoir qu'il y avait de l'autre côté du fleuve onze
jours de marche à travers le désert pour atteindre le Gange, on pourrait croire
que l'endroit en question est au-dessous du confluent de
[3]
Cette ville d'Alexandrie sur l'Acésine, sur la grande route que semble indiquer
Pline, correspondrait à peu près à
[4] D'après LASSEN (II, p. 165), le nom indigène de ce prince est Ouraça, ou plutôt c'est ainsi que s'appelait sa capitale, située à six jours de marche de Kaschmir.
[5] Cette forme hellénique de la triérarchie est mentionnée par Arrien (Ind. 18), confirmée par Plutarque (Eumène, 2) et Pline (XIX, 1). Il est impossible que la dépense imposée par le cahier des charges à chacun des trente-trois triérarques montât, comme le ferait croire Plutarque, à 300 talents, bien que dans cette circonstance, où le triérarque devait prendre aussi à son compte la construction des navires, les frais aient été plus considérables qu'à Athènes.
[6] όκτακόσιαι (ARRIAN, Ind., 19, 7). La rectification χίλιαι καί όκτακόσιαι est une simple conjecture. Il est vrai que le même Arrien (VI, 2, 4) porte : ού πολύ άποδεόντων τών δισχιλίων. Mais, d'autre part, Diodore (XVII, 95) et Quinte-Curce (IX, 13, 22), qui d'ordinaire enflent les chiffres, parlent ici de 1000 navires. Diodore dit : δεακοσίων μέν άφράκτων, όκτακοσίων δέ ύπηρετικών, comme s'il n'y avait pas eu de κατάφρακται en plus. Il ne faut pas prendre les 80 τριακόντοροι pour des triacontères comme en construisit plus tard Ptolémée II (ATHEN., p. 203 d) ; ce sont, au contraire, les petits vaisseaux de guerre (BÖCKH, Seeurkunden, p. 74). C'est bien, du reste, ce qu'indique Arrien dans le passage (VI, 5, 2) où il appelle les μακραί νήες de la flotte des δίκροτοι.
[7] Diodore (XVII, 95) compte, en fait d'alliés et de mercenaires helléniques, plus de 30.000 hommes de pied et environ 6.000 cavaliers, plus 25.000 excellentes panoplies pour fantassins et 100 talents de médicaments. Quinte-Curce (IX, 3, 21) parle de 7.000 hommes de pied envoyés par Harpale, 5.000 cavaliers venus de Thrace, l'un et l'autre détachement sous la conduite de Memnon, et 25.000 armures garnies d'or et d'argent.
[8] Strabon (XV, p.691) dit : peu de jours avant le coucher des Pléiades, c'est-à-dire avant le 13 novembre suivant Callippe, le contemporain d'Alexandre. Voyez IDELER, Ueber das Todesjahr Alexanders, p. 275.
[9] D'après ce chiffre total donné par Arrien (Ind. 19), on peut évaluer l'effectif des Agrianes et archers pris ensemble à 2.000 hommes, à moins qu'Arrien n'ait ajouté indûment dans un passage (VI, 2, 2) les Agrianes, qu'il a laissés de côté dans un autre (Ind. 19).
[10] Arrien (VI, 2) désigne la βασίλεια Σωπείθου comme le but vers lequel Héphestion doit marcher aussi rapidement que possible. C'est un nom dont il n'a pas fait mention au moment opportun, lors de la marche à travers le bassin de l'Hyphase. N'aurait-il pas peut-être confondu ce prince avec Spitacès ?
[11] ARRIAN, VI, 2, 1. L'expression de Quinte-Curce (IX, 3, 20) est encore plus sèche.
[12] ARRIAN, VI, 3, 5. Pline (XIX, 1) décrit surtout le magnifique spectacle des voiles multicolores.
[13] Au dire de Pline, Alexandre faisait 600 stades par jour : Quinte-Curce (IX, 3, 24) dit 40. Ils ont tort tous les deux. Au bout de huit jours, la flotte arrive à l'embouchure de l'Acésine ; or, de cet endroit au point de départ, il y a par voie de terre cinq à six jours de marche (voyez VINCENT, p. 110), et par eau (d'après la carte de MACARTNEY) environ 24 milles, c'est-à-dire — y compris les sinuosités de la rivière — quelque chose comme 40 milles. Certainement, Quinte-Curce n'a pas mis quadraginta pour quadringenta, comme Freinsheim propose de lire.
[14] ARRIAN, Indica, 19, 5.
[15] Les rapports des modernes confirment ces assertions. (Voyez VINCENT, p. 142). CHEREFFEDDIN (IV, 10, 52) dit de cet endroit : les vagues qui se forment en ce lieu le font paraître une mer agitée.
[16] CURT., IX, 4, 10. DIODORE, XVII, 96.
[17] Sur les Xoudraca et les Malava, voyez LASSEN (II, p. 171) et CUNNINGHAM (Geogr., I, p. 215 sqq.).
[18] BOHLEN (Das alte Indien, p. 208) pensait que ces Sibes (Σίβαι. ARRIAN, Ind., 5. STRAB., XV, p. 253. STEPH. BYZ., s. v. Diodore donne Σίβοι — orthographe moins bonne — et Quinte-Curce Sobii) étaient des serviteurs de Siva. LASSEN (I, p. 644) a réfuté cette opinion. Arrien ne s'arrête pas dans son Anabase à parler de ce peuple en particulier, attendu que naturellement il regarde comme un simple conte la généalogie qui le fait descendre d'Héraclès et qu'il voudrait encore moins, à l'exemple de Diodore, faire jouer un rôle politique à cette parenté avec l'Héraclide Alexandre. Cependant, il indique cette excursion en temps opportun (VI, 5, 9) : on voit par la place qu'elle occupe dans son récit que les Sibes habitaient dans la région comprise entre l'Acésine et l'Indus.
[19] D'après Quinte-Curce et Diodore.
[20] ARRIAN, VI, 11, 7.
[21] Ce nom ne se trouve pas dans Arrien, et dans Quinte-Curce (IX, 4, 5), qui concorde ici presque littéralement avec Diodore, il est caché sous la fausse leçon alia gens. Si embrouillé que soit le récit des deux auteurs, on parvient encore à discerner les points par où il s'accorde avec celui d'Arrien : Le superato amne de Quinte-Curce se rapporte à l'Acésine, qu'Alexandre dut traverser pour passer, du camp où il était revenu après l'expédition contre les Sibes, à la rive orientale de la rivière et dans le pays des Malliens. Sur les Malliens, voyez TOD, Rajastan, II, p. 292. 443. Agalassa, à huit milles de la station au-dessous du confluent de l'Hydaspe, coïncide avec l'emplacement de Pinde Schaich Moosa, à un mille et demi de l'Hyarotès.
[22] C'était peut-être bien Moree, non loin de la rivière.
[23] L'emplacement de cette ville est fort incertain. Je n'ose plus reproduire mes conjectures d'autrefois. MASSON (Narration, I, p. 402) croit retrouver la ville des Malliens dans Bot-Kamolia ; CUNNINGHAM (Survey, V) dans Moultan. Ce voyageur démontre que le Ravi ou Hyarotès avait autrefois un cours différent de celui d'aujourd'hui et se jetait dans l'Acésine à quelques milles au-dessous de Moultan. Il donne aussi (Survey, V, pl. 36) de la ville de Moultan un plan qui met en évidence la citadelle ainsi que sa situation sur une île de l'ancien Ravi.
[24] Arrien (VI, 11) a fait la critique des assertions contraires à la version exposée ci-dessus (d'après Ptolémée), de façon qu'il ne peut rester aucun doute sur les erreurs dont elles sont entachées. Il blâme tout particulièrement ceux qui affirment que le fait s'est produit dans le pays des Oxydraques, comme le racontent Quinte-Curce (IX, 4, 26), Lucien (Dial. mort., XIV, 14), Appien (B. Civil., II, 102), Pausanias (I, 6) et autres (ap. FREINSHEM. ad Curt., loc. cit.). Il signale une seconde erreur dans les noms de ceux qui se trouvaient dans la citadelle avec le roi. Plutarque (Alex., 63) nomme Peucestas et Limnæos ; Quinte-Curce (IX, 5, 45), Timæos et les trois gardes du corps Peucestas, Aristonous, Léonnatos ; Timagène et Clitarque (suivant Quinte-Curce) et après eux Pausanias (loc. cit.) et Etienne de Byzance (s. v. Όξύδρακαι) y ajoutaient le Lagide Ptolémée, qui se trouvait à dix milles au moins de là. Peucestas passait généralement dans l'antiquité pour le sauveur d'Alexandre (Alexandri magni servator. PLINE, XXXIV, 8). Nombre d'auteurs, outre la blessure reçue par Alexandre à la poitrine, parlaient d'un coup de massue sur la nuque. Le trait fut retiré soit par Perdiccas, soit par l'Asclépiade Critobule de Cos (appelé Critodème par Arrien), le célèbre médecin du roi Philippe, celui qui lui avait extrait de l'œil la flèche reçue à Méthone (PLINE, VII, 37). Plutarque (De fort. Alex., 11) raconte un peu autrement l'extraction du dard : on ne venait pas à bout de l'arracher à travers la cuirasse, et on n'osait pas scier la hampe, de peur de faire éclater l'os : Alexandre, voyant l'anxiété des assistants, commença à couper lui-même la hampe avec son poignard au ras de l'armure, mais sa main retomba inerte ; il ordonna alors d'y aller hardiment, reprochant à ceux qui l'entouraient leurs larmes et leur compassion, les appelant traitres parce qu'ils lui refusaient leur secours, etc.
[25] C'est de l'Hyphase et non pas de l'Hésudros (Çatadrou) que parle Arrien (IV, 14, 5).
[26] ARRIAN, VI, 15. Il est d'autant plus difficile de spécifier la situation de ces peuples, que Diodore et Quinte-Curce confondent tout, et que dans les Indica d'Arrien on rencontre d'autres confusions produites par des indications souvent fausses au sujet des diverses embouchures des cours d'eau : la seule chose qui paraisse certaine, c'est que le pays très étendu des Oxydraques ne dépassait pas beaucoup au sud l'embouchure de l'Hyarotès, qu'il commençait à la frontière des Malliens et s'étendait au delà des limites du Moultan actuel, jusqu'au confluent de l'Acésine et de l'Hyphase. Après avoir lu LASSEN (II, p. 173), je n'ose plus croire que les Xathras soient identiques aux Σόδρας de Diodore (XVII, 102), et qu'on puisse reconnaître dans leur nom des Kschatras nés d'un mélange de Kschatriyas (caste des guerriers) avec des Soudras. Les Xathras doivent avoir habité un pays boisé au bord de l'eau, car on a construit chez eux des navires. On n'a aucun renseignement sur les Abasthanas (Sambastes chez Diodore) et sur leur pays.
[27] Il est à peu près certain que, cette ville est la cinquième Alexandrie d'Etienne de Byzance, celle qu'il appelle έν τή Ώπιανή κατά τήν Ινδικήν : nous sommes ici dans le pays des Ώπίαι, à propos duquel Hécatée (fragm. 175 ap. STEPH. BYZ., s. v.) fait déjà la remarque : άπό δέ τούτων έρημίη. VINCENT (p. 136) a déjà exposé en détail combien la situation de la contrée est favorable au commerce. On ne doit pas s'étonner qu'il n'en soit plus question par la suite : les renseignements qui proviennent du temps de l'empire bactrien et indo-scythique sont trop clairsemés pour qu'on doive conclure que ce dont ils ne font pas mention n'existait plus.
[28]
VINCENT (p. 119
sqq.) et POTTINGER
(p. 382) retrouvent l'emplacement de cette ville dans
[29] Arrien dit : Pithon et Oxyartès. TOD (op. cit., I, p. 92) regarde les Sogdi comme des Sodas, appartenant aux Pramares.
[30] C'est le nom donné par Arrien (VI, 16, 4). Ce personnage est appelé Sabos par Quinte-Curce (IX, 8, 17), Diodore (XVII, 102) et Strabon (XV, p. 701) ; Sabbas par Plutarque (Alex., 64) ; Ambigerus (var. Ambi regis) par Justin (XII, 10) ; Ambira rex par Orose (I, 19). D'après Lassen, le nom véritable devait être Çambhou.
[31]
VINCENT (p. 130
sqq.) a placé le siège de cette principauté des Indiens montagnards dans les
environs de Sebee, à 40 milles environ au nord-ouest de Bhoukor ou Alexandrie,
sans autre raison qu'une trompeuse ressemblance de nom. Il a contre lui la
distance, la population non hindoue du Sévestan et le témoignage exprès de
Strabon, d'après lequel la région confinait à
[32] ARRIAN, VI, 15. Le nom du prince Mousicanos est en même temps celui du pays : on retrouve Moûshika et sa résidence dans les ruines d'Alor (ou Arore, nom sous lequel la décrit WOOD, p. 49). Lorsqu'on partit d'Alexandrie en Sogdiane, Cratère était déjà passé sur la rive droite de l'Indus (ARRIAN, VI, 15, 5), et le διά τής Άραχώτων καί Δράγγων γής έκπέμπει du texte en question a l'air de n'être que le reste d'un renseignement sur la destination de ce détachement : de là ήδη έστελλε (ARRIAN, VI, 17, 3). Mousicanos ayant fait par la suite des concessions, Cratère dut recevoir l'ordre de s'arrêter, à peu près entre Sakkar et Shikarpour, à 4 milles de Bhoukor.
[33] On trouve Oxycanos dans Arrien, Porticanos dans Strabon, Diodore et Quinte-Curce. D'après LASSEN (II, p. 178), le nom exact, dérivé de celui du peuple ou du pays, Prashta (terrain montueux), serait Prâthaka. On doit conclure des expressions d'Arrien que, pour faire cette expédition, le roi s'est éloigné du fleuve, dans la direction de l'ouest nécessairement. Aussi CUNNINGHAM (Geogr., I, p. 260) parait avoir raison de chercher la ville des Prashta à Mahorta, où MASSON (Travels, I, p. 481) a trouvé une ancienne forteresse assez importante.
[34]
C'est ainsi que l'appelle Arrien : Strabon la nomme Sindonalia ou Sindonia. TOD (I, p. 218)
considère la ville indo-scythe de Minagara comme équivalant à Saminagara,
c'est-à-dire résidence (nagara) de Sambos.
Son emplacement près de
[35] Octoginta milia Indorum in illa regione cæsa Clitarchus est auctor (CURT., IX, 8, 15). Ce que raconte Quinte-Curce immédiatement avant, à savoir que les Macédoniens débouchèrent tout d'un coup sur la grande place de la ville par une galerie de mine qu'ils avaient creusée, est tout aussi digne de Clitarque, à qui Diodore (XVII, 102) emprunte aussi, sans le nommer, les 80.000 hommes tués. Suivant Plutarque (Alex., 64), ce sont les Brahmanes de Sabbas qui ont répondu au roi Alexandre par ces sophismes fameux qui, sans avoir de valeur philosophique appréciable, comme le remarque avec raison le judicieux Arrien (VI, 16, 5), ont passé dans l'antiquité pour l'indice d'une sagesse profonde. On y retrouve la subtilité des distinctions et la clarté superficielle dans laquelle tombe la sagesse hindoue, une fois qu'elle se dépouille des formes mythiques et mystiques.
[36] C'est ici qu'il faut placer la ville des Brahmes, Harmatalia (DIODORE, XVI, 103. CURT., IX, 8, 18), à l'assaut de laquelle fut blessé Ptolémée Lagide. Le récit merveilleux de son rêve sur le lit de repos du roi parait être de l'invention de Clitarque : du moins, Arrien n'en dit mot, et cependant il avait sous les yeux les Mémoires du même Lagide.
[37] ARRIAN, VI, 17, 1 ; c'est-à-dire en remontant le fleuve pour arriver à l'endroit où se trouvaient l'armée et la flotte. Celle-ci s'était certainement avancée vers le sud au delà d'Alor, ayant à côté d'elle l'armée (probablement sous Héphestion), tandis que Cratère était resté à Soukkor, attendant l'ordre de partir.
[38] Le nom de Mœris (var. Meris) se trouve dans Quinte-Curce (IX, 8. 28) et ne se trouve que là, de sorte qu'on n'en peut guère garantir l'exactitude. Cependant, LASSEN a fondé sur ce nom une combinaison extrêmement plausible. Il suppose que Mœris est un nom mat écrit pour Sœris ; que ce dernier nom est celui d'une dynastie, la dynastie des Saurya ; que c'est à ces Saurya que se rapporte le passage où Etienne de Byzance (s. v. Άλεξ.) appelle la quatorzième Alexandrie : έν Σωριανοίς, Ινδικώ έθνει ; enfin, que cette Alexandrie est la ville de Pattala, laquelle, au témoignage d'Arrien (VI, 17, 6 : 18, 2), a été rebâtie par Alexandre.
[39]
CURT., IX, 7, 1.
Quinte-Curce termine en disant : bis liberatus
(Bicon) cum
cæteris qui colonias a rege attributas reliquerunt, reverdit in patriam.
Diodore (XVII, 99) étend l'insurrection jusqu'à
[40]
ARRIAN, VI, 15.
CURT., IX, 8, 9.
Arrien dit que Pithon et Oxyartès reçurent la satrapie du Bas-Indus :
l'assertion parait d'autant moins exacte que les deux régions ne se touchaient
pas, mais se trouvaient séparées par la satrapie de
[41]
ARRIAN, VI, 27,
3. Quinte-Curce (IX, 10, 20) écrit : Orcinen
(Ocinen) et
Tariaspen (Zariaspen) nobiles Persas. Comme Arrien ne donnait qu'un
seul Ordanès, celui que Cratère fit prisonnier dans sa marche à travers
l'Arachosie,
[42] Arrien (VI, 17, 3) nomme ici Antigène comme chef d'un régiment, tandis qu'à la bataille de l'Hydaspe, où l'on ne mit en ligne que les hypaspistes et de l'infanterie légère, le même personnage commande avec Séleucos et Tauron τών πεζών τήν φάλαγγα. Si le nom est exact, ce passage nous fournit un exemple d'avancement.
[43]
Strabon (XV, p. 721) dit que Cratère, parlant de
l'Hydaspe, a traversé l'Arachosie et
[44] Diodore (XVII, p. 105) dit qu'Alexandre donna cet ordre au moment où il se trouvait dans la détresse la plus absolue dans le désert de Gédrosie, et qu'on put encore l'exécuter à temps. Cette allégation absurde permet de deviner la vérité, qui se comprend d'elle-même et qui se trouve confirmée à plusieurs reprises dans les Indica d'Arrien.
[45] ARRIAN, VI, 17, 5 : il s'agit des localités énumérées plus haut (VI, 17, 1) dans le pays de Mousicanos.
[46] L'emplacement de Pattala, là où le fleuve Indus se partage en deux bras et forme un delta, comme dit Arrien, pourrait, si ces branches du fleuve avaient été les mêmes autrefois qu'aujourd'hui, être fixé soit à la bifurcation de Tatta ou à celle d'Hyderabad. VINCENT a soutenu la première opinion, mais la description d'Arrien y est absolument contraire. D'après les traditions indiennes, le plus ancien endroit de la bifurcation est au-dessus d'Hyderabad, à Brahmanabad : pour plus amples détails, voyez LASSEN (II, p. 182). Strabon (XV. p. 759) marque l'époque de l'arrivée à Pattala par le lever (matinal) du Chien, moment où le débit du fleuve était à son maximum.
[47] ARRIAN, VI, 18, 4. Les ήμιόλιαι, ainsi appelées probablement parce qu'elles ont un rang et demi de rames, sont les navires de course ordinaires, c'est-à-dire exceptionnellement rapides : les κέρκουροι passent pour être d'origine cypriote ; ce sont évidemment des bâtiments de mer, de modèle plus petit.
[48] La déclamation de Quinte-Curce ne s'écarte pas sensiblement du récit judicieux d'Arrien (VI, 18). Il n'est guère possible aujourd'hui de préciser les stations du voyage.
[49] Cilluta, Scillutis, Psiltucis, suivant les divers auteurs. Le delta de l'Indus est sujet à de trop grands changements pour qu'on puisse retrouver ici chaque localité. La saillie que fait dans la mer la rive droite de l'embouchure fait supposer qu'une des trois Îles rangées côte à côte et formées par de larges bras du fleuve, probablement la deuxième, se trouvait là. Malheureusement, le début de la navigation de Néarque est devenu, en raison des changements survenus dans les stations qu'on lui assigne, trop obscur pour qu'on puisse en tirer quelque chose.
[50] Les relations et les cartes les plus récentes concernant les bouches de l'Indus ne connaissent point de lac proprement dit formé par un bras du fleuve, sauf le lac Sindri, qui s'est formé dans notre siècle sur le bras oriental de l'Indus (Pourana), artère ancienne et aujourd'hui très peu abondante. Comme Alexandre put s'avancer à trois jours de marche de la bouche orientale dans la direction de l'ouest, il est certain que, sur cette étendue de 10 à 15 milles, il n'a rencontré aucune des six autres bouches de l'Indus, au lieu qu'aujourd'hui, de la bouche de Rin (Kori) à la bouche voisine, il y a à peine 1 ½ mille ; il n'y a pas plus de 10 milles jusqu'à la bouche principale, et dans l'intervalle, il y a une série d'îles découpées par le courant. Dans ce qu'on appelle le Périple d'Arrien, il est dit (c. 40 : p. 24, éd. Hudson) du golfe de Baraka (Katschha, le Κάνθι κόλπος de Ptolémée) qu'on voyait dans cette région (de Minnagara) quantité de traces laissées par l'armée d'Alexandre. Suivant MAC MURDO (Bombay Transact., II, p. 236) et TOD (II, p. 290 sqq.), il y a à l'est du bras de Pourana un marais dans lequel se déversent plusieurs cours d'eau venant de l'est et qui, dans la saison des moussons du sud-ouest, se transforme en un véritable lac, nommé Aranya ou simplement Rin. Un large canal de décharge part de là et va se jeter dans le golfe de Koutsch. Ce pourrait être la région visitée par Alexandre ; comme Néarque, au dire de Strabon, évaluait la base du delta de l'Indus à 1.800 stades (45 milles), ce chiffre concorde d'une façon surprenante avec nos cartes dès qu'on mesure de la grande bouche de l'Indus à l'exutoire du marais. Dans le Périple (d'Arrien), le golfe de Barake est signalé comme dangereux et barré à l'entrée par quantité de bancs de sable ; on ajoute que la bande de terre qui l'entoure au sud se dirige à l'est et tourne ensuite à l'ouest ; peut-être l'Εΐρινος de l'auteur est-il le lac sur lequel a navigué Alexandre, l'Aranya avec un nom grécisé (TOD, Rajastan, II, p. 295).
[51] ARRIAN, Ind., 20.
[52] La date résulte des données suivantes. Au moment du lever de Sirius (έπιτολή, fin juillet), Alexandre était arrivé à Pattala (STRAB., XV, p. 691). Plutarque ne compte pour le voyage de Nicæa à Pattala que sept mois ; mais Strabon en compte dix, probablement en allant jusqu'à l'Océan, car en réalité on a employé de Nicæa à Pattala neuf mois (du commencement de septembre 326 jusqu'à la fin de juillet 325). Néarque mit à la voile le 22 septembre et rejoignit Alexandre au bout de 80 jours à peu près, vers le 16 décembre, en Carmanie. Alexandre avait marché deux mois de la frontière des Orites à Poura, et de l'Indus jusque chez les Orites il y a à peu près 40 milles, c'est-à-dire, en tenant compte de tous les empêchements rencontrés en route, pour au moins vingt jours de marche. De Poura au lieu de la rencontre, il n'y a pas tout à fait aussi loin. On peut donc compter, de l'Indus au point de jonction en Carmanie, un peu plus de trois mois, ce qui revient à dire qu'Alexandre est parti de Pattala vers la fin d'août.