§ III. — LES MARTYRS.Notre but n'est pas de réfuter la thèse de Dodwell De paucitate martyrum, mais de montrer comment il y a eu des martyrs, sans chercher à évaluer combien. A priori, d'ailleurs, il est clair qu'il faut se résigner à les ignorer en majeure partie, depuis cette multitudo ingens[1], dont parle Tacite sous Néron, jusqu'aux héros bien autrement nombreux de la persécution de Dioclétien. En effet, les martyrologes et les actes des martyrs nous ont été transmis dans un état déplorable ; mais souvent aujourd'hui on se préoccupe moins de déblayer ces ruines que de les faire entièrement disparaitre. Le terrain se trouve alors libre, soit pour édifier un système préconçu[2], soit pour laisser régner un certain vague qui cache la réalité. Il y a des auteurs, par exemple, qui ont un culte spécial pour les martyrs inconnus ; ils les honorent sur la colline du Vatican, connue dans le huis clos des demeures privées[3] ; mais veut-on spécifier le nom de quelques-unes des victimes, ils préfèrent douter s'il y a eu des persécuteurs, assez semblables en cela aux Athéniens qui avaient élevé un autel au Dieu inconnu, et qui, lorsque l'Apôtre leur dit : Ce Dieu, je vous l'annonce, s'écrièrent qu'ils l'entendraient une autre fois. La tendance vraiment scientifique n'est pas purement négative, elle cherche le positif, et sait discerner au milieu de documents de valeur fort illégale les renseignements utiles qu'ils renferment. M. Le Blant, le savant épigraphiste de la Gaule
chrétienne, vient de formuler ainsi les règles d'une sage critique : Une confrontation soutenue avec les enseignements fournis
par le droit civil et criminel, avec le texte des meilleurs actes, avec les
points solidement établis par le témoignage des anciens, telle est à mes yeux
la voie ouverte pour établir le degré de créance due aux récits
hagiographiques. C'est aussi celle qu'il a suivie pour son travail si
intéressant sur les textes non compris dans les Acta sincera de Ruinart[4]. Avant d'examiner
l'origine des actes des martyrs en général[5], il avait fait
une première étude sur les actes grecs de sainte Thècle, la célèbre vierge
d'Iconium en Phrygie, convertie par saint Paul et placée par la tradition en
tête des témoins du Christ appartenant à son sexe. Nous y relèverons à la
suite un seul détail, qui est topique pour notre sujet[6] ; au moment où
l'Apôtre est censé traduit devant le tribunal, ces paroles sont soufflées à
son accusateur : Λέγε
αύτον
χριστιανόν
καί άπολεΐται
συντομώς. — Si deferantur et arguantur, puniendi sunt,
avait écrit Trajan ; ainsi, des apocryphes mêmes résulte la vérité de la
situation. Devrons-nous donc nous étonner de ce qu'ailleurs M. Le Blant nous
apprend[7] : Alors que le juge, au début de l'interrogatoire, demande
au fidèle quel est son nom, quelle est sa famille, sa condition, sa patrie,
au premier comme au dernier âge des persécutions, en Occident comme en
Orient, un grand nombre de martyrs répondent par un seul mot : Je suis
chrétien[8]. Cette déclaration uniforme à laquelle rien ne se réfère
dans les exhortations connues, qui peut l'avoir ainsi inspiré en des lieux,
en des temps si divers, si ce n'est une série d'instructions, perdues pour
nous, mais répandues autrefois dans toutes les églises par des écrits comme par la parole ? — Il n'y avait
d'autres instructions que celles qui préparaient les catéchumènes au baptême.
Du jour où ils étaient devenus chrétiens par l'onction du Christ[9], signum Christi, ils savaient qu'ils encouraient
la peine de la mort. La foi était pratique dans ces temps. Les empereurs se
chargeaient de la rendre telle, non pas qu'ils envoyassent tous les fidèles
au martyre, mais tous devaient être prêts à aller jusque-là. Ce sont les
empereurs qui ont enseigné le mot d'ordre : Je suis chrétien, en faisant du
nom chrétien un crime. Ce qu'il met lui-même si clairement en évidence, M. Le
Blant ne l'apercevait pas lorsqu'il voulait déterminer les crimes punis dans
le nom chrétien[10],
et les lois qu'il a invoquées n'ont pu servir de base, du moins à la
persécution dont nous sommes uniformément témoins pendant tout le deuxième
siècle. Il faut avouer que la perspective d'être appelé d'un moment
à l'autre à témoigner de sa croyance était propre à tremper les âmes. Nous
voyons l'ancienne homélie, connue sous le nom de IIe épître de saint Clément,
mêler aux exhortations communes de morale ce précepte d'une utilité immédiate
: N'ayons pas peur de sortir de ce monde[11]. Après avoir
cité la parole de Jésus-Christ à ses apôtres : Vous serez comme des agneaux
au milieu des loups, l'auteur trouve tout naturel d'ajouter au texte sacré
cette question de saint Pierre : Et quand les loups auront dévoré les agneaux
? La réponse avait été donnée d'avance ; mais elle a rencontré une formule
célèbre dans la lettre de l'évêque d'Antioche[12] : Je suis le froment de Dieu, moulu par les dents des bêtes
féroces, afin d'être trouvé le pain blanc du Christ. Assurément, Aubé
est mal venu à traiter ce langage d'exaltation de
cabinet[13],
et s'il donne de bonnes raisons contre l'authenticité des actes attribués aux
compagnons de saint Ignace, c'est gratuitement qu'il nie celle de ses
lettres, déjà citées par saint Irénée et Origène. L'évêque de Lyon savait que
le vaillant chrétien pour avoir affirmé sa foi avait été condamné aux bêtes[14], mais il n'a
mentionné ni l'auteur, ni le lieu de la sentence. Le docteur Alexandrin parle
formellement de son exécution à Rome[15]. Ignace lui-même,
dans sa lettre aux Romains, se présente à eux comme déjà jugé ; il les
supplie de ne pas lui témoigner une bienveillance intempestive en demandant
sa grâce[16]
: Je ne vous commande pas, ajoute-t-il, comme Pierre et Paul ; ils étaient apôtres, je suis condamné
; ils étaient libres, je suis pour le moment esclave [servus pœnœ][17]. Mais lorsque j'aurai souffert, je deviendrai l'affranchi
de Jésus-Christ, et en lui je ressusciterai libre. A présent, j'apprends à me
renoncer dans les liens. Depuis la Syrie jusqu'à Rome, c'est pour moi un
combat sur terre et sur mer, de jour et de nuit, enchaîné que je suis à dix
léopards, je veux dire le piquet de soldats[18]. C'était ainsi que saint Paul avait accompli la traversée de Césarée à Rome ; seulement, lui, en avait appelé au tribunal de l'empereur, tandis que saint Ignace redoutait au contraire qu'on fit en son nom cet appel. Or, le recours n'était encore possible que s'il avait comparu devant le légat propréteur, et non devant l'empereur, comme le veulent les actes qui sont postérieurs à Eusèbe. Du moins, la tradition générale de la fin du troisième siècle rattache son martyre au règne de Trajan, et une tradition particulière, dont la chronique de Jean Malalas d'Antioche, mieux informée pour cette époque, nous a transmis l'écho[19], le place au temps de la guerre des Parthes, après le terrible tremblement de terre de décembre 115. Dès le printemps suivant, Trajan, qui avait passé l'hiver dans la capitale de la Syrie, rentra en campagne, marcha sur Babylone et Ctésiphon, soumit le roi d'Édesse et confia la province de Mésopotamie au célèbre prince maure, Lusins Quietus, honoré déjà du consulat l'année précédente[20]. A son départ, il avait laissé en qualité de légat de Syrie Hadrien, qui, croissant toujours dans la faveur de l'impératrice Plotine, devait bientôt lui-même, grâce à une adoption feinte, porter avec la couronne le nom de Trajan. M. Harnack fait valoir, entre antres, cette considération pour retarder l'épiscopat du martyr jusqu'au nouveau règne, 117-138[21]. Nous croyons juste d'en tenir compte, mais sans attendre Trajan Hadrien empereur, il nous suffit que l'année 116 à Antioche ait vu Hadrien gouverneur, et Ignace condamné aux bêtes. La lettre aux Romains[22], datée du 24 août (qui en 116 était un dimanche), ramène bien la condamnation vers l'entrée en charge du légat impérial, vu le temps nécessaire pour se rendre par terre d'Antioche à Smyrne. Quant à la sentence même, elle n'a rien que de conforme aux goûts contemporains[23] ; les provinces étaient appelées à fournir les amphithéâtres de Rome, et cette habitude dut être réfrénée à la fin du deuxième siècle, sans doute parce qu'elle exigeait un déplacement trop fréquent de troupes détachées. M. Aubé a déclaré que le chemin indiqué dans les lettres n'est pas un chemin raisonnable[24]. On peut s'en rapporter cependant aux gens du pays ; ils sauront mieux que d'autres expliquer pourquoi, au quatrième et au cinquième siècle notamment, à rage par excellence des conciles et de la navigation ecclésiastique, les évêques de Syrie[25] n'adoptaient guère la voie de mer lorsqu'ils allaient, soit à Constantinople, soit à Rome ; le voyage de saint Paul offre un exemple de ses inconvénients. Du reste, l'itinéraire militaire qui reliait l'Orient à l'Italie passait précisément par le nord de la Grèce[26], et s'il résulte des lettres que ce fut celui-là qu'on suivit, nous y voyons plutôt une présomption nouvelle en faveur de leur authenticité. Saint Ignace, prisonnier pour le nom chrétien[27], traversa donc à pied l'Asie Mineure ; les chrétiens qui n'étaient pas sur sou chemin envoyaient des députations le saluer, et s'efforçaient, souvent en vain, d'adoucir ses gardes par des présents. Il passa par Philadelphie, où il rencontra des hérétiques venus d'Éphèse ; quant aux fidèles de cette ville, avec ceux de Magnésie et de Tralles, ils l'allèrent trouver à Smyrne, d'où il adressa une missive à chaque Église ; de là également, il en expédia une aux Romains par Éphèse et la nier. Continuant ensuite sur Alexandria Troas, il s'embarqua pour Neapolis, après avoir écrit aux Philadelphiens et pris congé par lettre des fidèles de Smyrne et de leur évêque[28]. On lui adjoignit en route deux confesseurs, Zosime et Rufus, et on le fit entrer à Philippes[29] dans la grand'route qui, par la Macédoine et l'Illyrie, conduisait à Dyrrachium en face des cotes d'Italie. Le martyre de ses compagnons est inscrit au 18 décembre, celui de l'illustre évêque[30] au 20, jour de la fête romaine des Sigillaria ; quelques débris de son corps échappés à la dent des bêtes furent rapportés à Antioche : saint Jérôme les y voyait honorer au cimetière, hors la porte du faubourg Daphné[31]. Son anniversaire était solennellement célébré par son Église, et nous possédons une homélie que pour l'occasion prononça saint Jean Chrysostome : témoignage dont il faut en somme tenir compte, puisque c'est un successeur qui parle à des concitoyens. Il est curieux de trouver, pour ainsi dire, une contrefaçon de l'histoire de saint Ignace dans le récit qu'a fait de la mort de Pérégrinus Lucien de Samosate : certains détails ont dei être pris par lui dans nos lettres mêmes[32]. Il nous représente son héros[33] initié à la doctrine des chrétiens et jeté pour ce motif en prison, on il resta tant qu'il plut au gouverneur de Syrie, ce qui indique qu'il avait été arrêté à Antioche. Son arrestation était considérée comme une calamite pour la secte dont il avait été l'un des chefs. Or, il y eut plusieurs députations de la communauté chrétienne établie dans des villes d'Asie qui vinrent le visiter, l'encourager et lui apporter, en gagnant les gardiens, quelque soulagement. Après d'autres aventures et sa mort volontaire qu'il décrit, l'écrivain païen ajoute[34] : On rapporte qu'il adressa à presque toutes les villes célèbres des lettres contenant ses dernières dispositions, des conseils et des préceptes, et qu'il choisit dans ce but parmi ses compagnons des porteurs, qu'il appelait messagers mortuaires et courriers des enfers. Saint Ignace avait dit, en effet, à l'évêque de Smyrne, que ne pouvant écrire à toutes les Églises, il le priait d'écrire à sa place et de choisir parmi les frères quelque porteur actif, qu'il conviendrait d'appeler le courrier de Dieu. Saint Polycarpe se conforma à la volonté du martyr en réunissant ses lettres, tant celles reçues directement que celles qu'il put recueillir, et en les faisant circuler selon les demandes qui lui furent adressées[35]. Nous possédons encore le billet d'envoi par lequel il répondit aux Philippiens, vers la fin de 116 ou le commencement de 117, car il considérait déjà l'évêque d'Antioche comme arrivé au lieu du repos après avoir combattu le bon combat, mais il n'en avait pas eu la nouvelle, et il les priait de s'enquérir des détails de sa fin. En attendant, il les confirmait dans l'imitation de Jésus-Christ et leur répétait le mot toujours de circonstance : Si notre tour vient de souffrir pour son nom, sachons lui rendre gloire[36]. Cependant la paix régnait dans la province d'Asie, que parcourait saint Ignace en allant subir sa condamnation. Au moment de s'embarquer pour l'Europe, il eut la consolation d'apprendre que l'orage qui s'était abattu sur son Église, et qui apparemment avait enveloppé plusieurs brebis avec le pasteur[37], s'était tout à coup dissipé : la congrégation retrouvait ses membres ; un instant dispersée, elle pouvait désormais se reconstituer[38]. Que se passait-il donc en Syrie ? C'était le contrecoup des événements de l'automne 116 qui se faisait sentir. Profitant des circonstances critiques qu'avait à traverser l'armée romaine dans la guerre contre les Parthes, les Juifs, qui depuis longtemps rongeaient impatiemment leur frein, s'étaient révoltés à la fois en Mésopotamie, en Cyrénaïque et en Égypte. On peut avoir une idée de l'épouvante dont leurs sanglantes menaces frappèrent ce dernier pays, grâce à la découverte faite par M. Miller d'un fragment intéressant de la fin du vingt-quatrième et dernier livre, Άράβιος, d'Appien, jusqu'ici entièrement perdu[39]. Cet historien, qui exerçait alors les premières fonctions municipales à Alexandrie, nous raconte lui-même sa fuite précipitée dans la barque d'tin Arabe, et le danger qu'il courut en s'égarant dans les diverses branches du Nil. Le savant éditeur[40] fait remarquer avec raison que l'état ainsi décrit du fleuve correspond au printemps ou à l'automne, c'est-à-dire avant ou après les inondations : la seconde période convient mieux à la date de la répression, qui fut immédiate et terrible. Turbo, pour l'Afrique et file de Chypre ; Quietus, pour l'Asie, parurent les sauveurs de l'Empire. En pareille conjoncture, l'attitude des chrétiens était connue, et, soit pour les récompenser, soit pour les ménager, on les laissa tranquilles. Ce parti convenait au caractère d'Hadrien, qui ne croyait jamais payer trop cher les avantages de la paix. Le règne de ce prince fut une époque de jouissance et de prospérité matérielles. Dès le début, il acheta la sécurité des frontières par l'abandon des provinces menacées ; à l'intérieur, l'ordre ne fut troublé que par une dernière révolte des Juifs en Palestine, 133-136, dont nous avons déjà parlé[41], et qu'il chargea ses lieutenants S. Julius Severus et Q. Lollius Urbicus de réprimer. Son goût pour les voyages d'un côté, son indifférence sceptique de l'autre, favorisèrent, indirectement le développement du christianisme dans tout l'empire, et Eusèbe constate, en même temps que ce développement[42], l'adoucissement général des mœurs. Nous ne voulons point méconnaître les causes complexes qui avaient porté la civilisation d'alors à un si haut degré de raffinement, mais il n'en est pas moins certain que le monde païen se trouvait, sans en avoir conscience, imprégné des principes de l'Évangile, et cela au moment où la philosophie stoïcienne, ayant dit son dernier mot, allait finir impuissante sur un trône. Cependant, Hadrien était débauché ; est-ce à cette raison ou à un fond naturel de férocité habilement dissimulé[43] qu'il faut attribuer les actes de cruauté qui souillèrent le commencement et la fin de son règne ? Peu après son arrivée à Rouie, il avait fait mettre à mort quatre personnages consulaires qui lui portaient ombrage. Lorsqu'il eut longuement parcouru les provinces les plus lointaines et qu'il revint malade, blasé et avide de repos, il s'abandonna de nouveau à ses instincts soupçonneux et violents. Ses coups tombèrent sur ceux qui l'entouraient et sur les membres de sa propre famille. C'est ainsi que, sous de futiles prétextes, il fit périr son beau-frère Servien et le petit-fils de celui-ci, Fuscus, en l'an 136. Rien d'étonnant qu'il ait alors ravivé la persécution contre les chrétiens de la capitale. Un livre sorti de l'Église romaine, très-probablement vers cette époque, le Pasteur d'Hermas, peint naïvement la terreur que devait inspirer aux fidèles la rupture d'une trêve de plusieurs années[44]. Hermas fait tous ses efforts pour combattre en lui-même et dans les autres la διψυχία, sorte de doute découragé, dont l'apparition laisse entrevoir plus d'une défection chez les contemporains[45]. On s'accorde néanmoins à placer vers ce moment le martyre du pape saint Télesphore, auquel saint Irénée a rendu un éclatant témoignage[46], témoignage d'autant plus précieux que nous ne savons d'ailleurs absolument rien sur ce pontife. Nous possédons, en revanche, un récit très-détaillé, et par suite confus et corrompu (sixième siècle), relatif à un groupe de martyrs de cette époque : réduits à ces renseignements insuffisants, on aurait pu être tenté de ne pas les nommer dans cet exposé historique, mais le silence n'est plus permis depuis que les monuments sont venus témoigner en leur faveur. Nous voulons parler des tombes d'Alexandre[47], de Théodule et d'Eventius, découvertes en 1855, au septième mille de la voie Nomentane, et de celle de Quirinus, signalée en 1863, dans le cimetière de Prétextat. Arrêtons-nous un instant à ce dernier endroit. Un ancien
itinéraire de la première moitié du septième siècle enseignait aux pèlerins
quelles reliques ils avaient à y visiter : Ibi
invenies sanctum Urbanum episcopum et confessorem, et in altero loco
Felissimum et Agapitum martyres et diaconos Sixti, et in tertio loco Cirinum
martyrem, et in quarto Januarium martyrem[48]. M. de Rossi a
retrouvé différentes inscriptions qui lui ont permis de distinguer trois des
lieux de sépulture ;.restait une crypte, de la construction la plus soignée,
qui conservait, avec des fragments d'inscription damasienne, malheureusement
très-incomplets[49],
les débris d'un sarcophage antique en marbre blanc, sur lequel était
représenté le défunt orné de la laina patricienne. Or, le récit en question
donne à Quirinus la qualité de tribun (on sait
qu'il y avait des tribuns de rang sénatorial), et il se termine par la
mention suivante : Corpus autem ejus christiani
sepelierunt in via Appia in cœmeterio Prœtextati[50]. L'attribution
de la crypte à la sépulture du tribun parait rationnelle ; aussi
refusons-nous de souscrire à cette sentence que : nulle
inscription n'atteste, nul indice ne peut permettre d'établir, ni que les
l'estes de Quirinus y aient reposé, ni que ce personnage soit mort martyr, ni
qu'Hadrien ait ordonné son supplice[51]. Pourquoi
ensuite M. Aubé est-il disposé à admettre que le même empereur a fait mettre
à mort Getulius, avec son frère le tribun Amantius, et Cerealis converti par
eux ? Nous nous garderons de le contredire sur ce point, d'autant plus qu'ici
encore nous avons des monuments, qu'a indiqués le jeune archéologue romain,
chargé de l'étude des cimetières chrétiens appartenant à la région suburbicaire,
M. Stevenson[52]. Les condamnations de fonctionnaires[53] et d'officiers que nous venons d'énumérer sont parfaitement d'accord avec les circonstances de temps et de lien, telles qu'elles résultent de l'histoire d'Hadrien. Spartien dit formellement que ce prince réprima la violence de sa cruauté jusqu'an moment où, dans sa villa de Tivoli, la maladie le conduisit aux portes du tombeau, et qu'alors il fit périr beaucoup de monde, soit ouvertement, soit par des voies détournées[54]. Tel est le souvenir attaché à son séjour dans la somptueuse résidence que sa fantaisie originale s'était créée. Lorsque aujourd'hui on en va visiter les restes, on aperçoit, avant d'arriver, sur le bord de la route, au neuvième mille de Rome, d'antres ruines qui imposent un instructif rapprochement. On reconnaît les débris d'une double basilique[55], aux absides adossées l'une à l'autre et communiquant entre elles. La plus petite basilique, ou celle dont l'abside a trois niches, contenait une confession sous laquelle reposaient les corps des martyrs. L'examen de la construction prouve qu'elle était destinée à recouvrir des tombeaux primitivement à ciel ouvert et demeurés l'objet d'une grande vénération : c'étaient ceux des sept frères, fils de Getulius, et celui de Symphorose[56], leur mère. Celle-ci avait pour frère un des membres principaux du sénat municipal de Tivoli, et se trouvait par suite plus facilement exposé à être accusé de christianisme. Ce fut à l'occasion d'un sacrifice solennel païen qu'eut lieu la dénonciation[57]. On ne sait pas précisément le rôle des prêtres d'Hercule dans cette affaire : prirent-ils l'initiative, ou furent-ils seulement appelés à intervenir au procès, peu importe. M. Aubé vante leur esprit tolérant et leur incrédulité notoire[58] ; ils étaient cependant pour quelque chose dans ces supercheries où l'on persuadait à Hadrien malade qu'il guérissait les aveugles[59]. Bref, la veuve de Getulius ayant rappelé à l'empereur la mort de son mari pour le nom du Christ[60], et ayant, malgré les mauvais traitements, persisté dans son refus de sacrifier, fut précipitée dans le fleuve qui passe à Tivoli. Son frère Eugène retira son corps, et, disent les actes, in suburbana ejusdem civitatis sepelivit. C'est un des jours suivants que ses enfants : Crescent, Julien, Nemesius, Primitivus, Justin, Stractée et Eugène furent conduits à leur tour au temple d'Hercule, où leur obstination à rester fidèles à la foi de leurs parents fut punie de divers supplices. Ils furent jetés dans une fosse commune, mais à un moment de répit, correspondant sans doute au départ d'Hadrien pour Baïes, où il mourut le 10 juillet 138, les chrétiens leur donnèrent une sépulture honorable auprès de leur mère. Que faut-il penser des actes mêmes qui nous rapportent ces faits ? Les dernières opinions, lesquelles se sont du reste produites en dehors de la considération des monuments, ont varié suivant les systèmes. Overbeck, qui admet l'authenticité des actes[61], tient surtout à prouver que rien n'a été changé par le successeur de Trajan à sa politique vis-à-vis des chrétiens. M. Aubé, au contraire, rejette cette authenticité, préoccupé qu'il est d'atténuer la persécution[62]. Entre les deux, se place Görres, qui voit en sainte Symphorose et ses sept fils des personnages historiques, et reconnait que leurs actes étaient déjà mentionnés dans la compilation hiéronymienne (cinquième siècle)[63] ; mais il est d'avis que les actes que nous possédons sont postérieurs en date pour une double raison : 1° à cause d'une certaine formule qui les termine ; 2° à cause de la différence des noms des fils dans les deux documents[64]. A cette dernière objection, M. Stevenson avait répondu eu prouvant que la diversité résulte d'une transposition dans le texte si confus du martyrologe et en justifiant pleinement le texte des actes[65]. Quant à la première, Hilgenfeld n'a pas eu de peine à opposer à Görres une formule analogue appartenant à la passion de saint Polycarpe qui, de l'aveu de tous, est du milieu du deuxième siècle[66]. Il reste donc que les actes mentionnés dans le martyrologe lui sont certainement antérieurs, et que leur témoignage est digne de foi, soit qu'on ait affaire à un remaniement d'un texte plus ancien, soit qu'on y recueille l'écho d'une tradition sûre et immédiate. Une preuve que cette tradition est contemporaine de l'événement, c'est l'appellation païenne de l'époque qu'elle a conservée pour le lieu du martyre : Ad septem biothanatos (βιαιοθανάτους), alors que cette autre : Ad septem fratres, ne tarda pas à lui succéder et demeura pendant des siècles. Ces jeunes enfants n'avaient pas été, selon l'image du livre du Pasteur[67], semblables à des plantes qui dès qu'elles voient le soleil se dessèchent : ainsi certains hommes, lorsqu'ils entendent le bruit de la persécution, ne prennent conseil que de leur lâcheté, sacrifient aux idoles et rougissent du nom de leur Maître. D'après Hermas, le devoir actuel du chrétien consistait à porter allègrement[68] ce nom et à ne pas apostasier ; pour lui, c'est la seule chose en question, nous l'avons déjà vu, et il ne se lasse pas de le répéter. Le temps n'était plus où l'on pouvait rester dans la foi sans faire les œuvres de la foi[69], comme ces convertis qui, s'étant enrichis et ayant conquis une position considérée dans le monde, perdaient par orgueil le souci de la vérité et quittaient le commerce des justes pour vivre avec les païens. Il ne fallait plus de compromis, tels que se les permettaient ces gens d'une foi mal assise, qui allaient demander aux devins la bonne aventure et corrompaient leur jugement au pied des chaires des faux prophètes[70]. Cette dernière allusion montre que l'Église de Rome commençait à être travaillée, à l'égal de l'Église d'Alexandrie, par les sectes gnostiques ; les relations des deux villes étaient si fréquentes qu'il n'y a pas lieu de s'en étonner, et nous avons été édifiés sur les chrétiens d'Égypte par la curieuse lettre d'Hadrien. L'état des esprits dépeint dans le Pasteur paraît donc bien conforme à ce qu'il de ait être à la fin du règne de ce prince. La même date nous est suggérée par quelques détails relevés au corps de l'ouvrage. La naïveté de l'auteur est connue ; son exposition théologique s'en ressent, surtout parce qu'il l'accompagne perpétuellement de comparaisons plus ou moins heureuses, où il se meut si peu à l'aise, que quelques commentateurs y ont voulu voir des visions véritables. Dans l'une d'elles, il s'agit d'une vigne, dont le propriétaire, ayant à s'absenter, remet la culture à un individu honoré de sa confiance. C'était un esclave ; à son retour, satisfait de la gestion de cet homme, il parle à son fils et à ses amis de l'adopter comme héritier, et lui envoie des mets de sa table que celui-ci partage avec les autres esclaves. Les esclaves reconnaissants font des vœux pour que leur compagnon continue à s'élever dans l'estime du maître. Ce dernier apprend le fait, et le l'apporte à son fils et à ses conseillers, qui approuvent de plus en plus son choix[71]. Sans entrer dans l'application de la Similitude cinquième, nous nous contenterons d'observer que si certains termes proviennent des paraboles de l'Évangile, le sens principal est différent et se trouve tout entier dans l'adoption proposée. Or, à défaut de textes connus auxquels la comparaison ait pu être empruntée, Hermas ne l'aurait-il pas puisée dans les circonstances qu'il avait sous les yeux ? Le choix d'un successeur adoptif devint une question brillante, lorsque Hadrien se vit sérieusement atteint. L. Ceionius Commodus adopté sous le nom d'Ælius Cæsar, en 136, mourut le 1er janvier 138. L'empereur ne pouvait souffrir ceux que l'opinion publique ou une position élevée semblait désigner ; il décida alors la perte de son beau-frère Servien, qu'il honorait cependant, et à qui il avait d'abord songé ; or, parmi les griefs qui lui furent imputés se trouvait[72] celui d'avoir envoyé des mets de sa table aux esclaves du prince. D'un autre côté, Dion Cassius rapporte[73] qu'Hadrien convoqua ses principaux amis et conseillers pour leur annoncer que son choix s'était porté sur Antonin : suit dans le texte l'éloge que l'empereur fit de lui en cette occasion. Voilà des traits caractéristiques qui donneraient, jusqu'à un certain degré, à la Similitude d'Hermas une couleur locale. On en peut dire autant d'un autre point, capital pour qui a lu le Pasteur. En effet, l'image qui revient le plus souvent dans ce livre, c'est une tour, figure mystique de l'Église : Hermas en décrit la construction très au long en deux endroits ; il entre dans des détails si naturels, qu'il est difficile qu'il n'ait pas assisté à la scène même. Elle se passe[74] sur un terrain submergé, comme serait la rive basse d'un fleuve ; ou voit apporter des blocs tout taillés qui seront simplement posés les uns sur les autres ; d'autres pierres demandant à être travaillées jonchent les abords ; celles qui sont rejetées comme impropres roulent jusqu'à l'eau, où l'on dirait qu'elles veulent entrer. Un premier soubassement en pierre formant un vaste carré, muni d'une ouverture[75], et surmonté de quatre assises, s'élevait au-dessus du niveau de la plaine environnante, et, à travers l'ouverture, on fit pénétrer les matériaux dans l'intérieur, par où l'on continua l'édification de la tour. Un moment les travaux furent interrompus, et le maître vint pour les examiner ; il vérifiait chaque pierre et ordonna d'en changer un certain nombre, puis il s'en alla avec son cortège. Une foule d'ouvriers furent occupés à bâtir, des femmes de la campagne portaient les pierres. Enfin lorsque tout fut terminé, la tour paraissait d'une seule pièce et avait l'aspect d'un monolithe. Hermas parvient assurément à rencontrer une application pour chacun de ces faits en particulier, mais les applications ne seraient pas moins originales parce que les faits lui auraient été fournis par la réalité. Si donc on songe qu'à l'époque du retour d'Hadrien à Rome, en 135, celui-ci s'était imaginé de prouver son talent d'architecte, qu'au nombre de ses constructions il faut compter son mausolée, tour gigantesque qui subsiste encore aujourd'hui[76] ; que cette tour est précisément située sur le bord du Tibre, à l'extrémité du pont qui fut aussi son œuvre ; que d'ailleurs Hermas (c'est lui-même qui nous l'apprend) avait occasion de longer le Tibre, soit pour se rendre à son champ, soit autrement, ou trouvera naturel qu'un spectateur simple et un peu borné fût frappé de la masse de l'édifice, de la grandeur de l'entreprise, et s'en inspirât pour y trouver un symbole matériel dit développement de la religion chrétienne. Ces considérations trouvent leur place à côté d'un témoignage d'origine italienne ou africaine, le fragment découvert par Muratori dont la date est voisine de 180, qui s'exprimait ainsi qu'il suit au sujet de notre auteur[77] : Le Pasteur a été écrit de notre temps, il y a peu, dans la ville de Rome, par Hermas, sous le pontificat de son frère Pie, évêque de l'Église de Rome. — Témoignage exactement reproduit par les documents romains, tels que le poème contre Marcion[78], et la chronique d'Hippolyte dans le catalogue Libérien. Pour les raisons que nous venons d'exposer, nous fixerons seulement avec Harnack la composition du livre aux deux ou trois années qui précédèrent ce pontificat (139-154). Le pape qui avait succédé au martyr saint Télesphore était saint Hygin (130-139), lequel, d'après nous, est personnifié dans la Vision deuxième par l'évêque Clément, chargé d'envoyer le livre aux villes du dehors. Nous voyons également dans saint Hygin l'auteur de l'homélie, appelée à tort déjà du temps d'Eusèbe[79] seconde épître de saint Clément, et dont le genre a tant de rapport avec celui du Pasteur. Énonçons enfin une conjecture relative à Hermas : le succès de l'ouvrage du vertueux laïque n'a-t-il pas pu contribuer à faire élire son frère Pie, qui, par une circonstance remarquable, portait le même nom que l'empereur, en face duquel il devait exercer la souveraineté spirituelle ? A l'époque d'Antonin le Pieux, les gnostiques levaient hardiment la tête dans la capitale de l'empire. C'est à Rome, en effet, que l'hérésie vint elle-même faire condamner ses doctrines, et que Valentin originaire d'Égypte, et Cerdon de Syrie, après avoir été quelque temps tolérés dans l'Église, durent s'écarter de la communion des fidèles[80]. C'est à Rome, que saint Justin, tout en présentant dès le début du nouveau règne sa première apologie en faveur de ses coreligionnaires[81], avait ouvert contre les sectes dissidentes la première école théologique, qui créa à coté des évêques, juges de la foi, l'enseignement des docteurs : double catégorie toujours soigneusement distinguée par Hermas. C'est à Rome qu'Hégésippe arriva de la Palestine, vérifiant l'orthodoxie des différentes Églises d'après la succession des pasteurs : à Corinthe, il rencontra Primus ; à Rome, Anicet[82]. C'est encore à Rome et sous le même saint Anicet que saint Polycarpe[83], évêque de Smyrne plus qu'octogénaire, vint provoquer la solution d'une question non plus seulement de dogme, mais de discipline, qui ne fut tranchée définitivement qu'un peu plus tard par le pape saint Victor[84]. Son voyage est de l'année 154, et correspond apparemment à l'entrée en charge de son collègue dans l'épiscopat ; à son retour, il fit peut-être la traversée avec le proconsul d'Asie qui devait le condamner à mort l'année suivante. Ici nous adoptons les conclusions de M. Waddington sur la date du gouvernement de T. Statius Quadratus[85], malgré le travail récent de Wieseler pour défendre l'ancienne chronologie[86], et nous allons analyser sommairement au point de vue qui nous occupe, la lettre célèbre de l'Église de Smyrne à l'Église de Philomelium et à toutes les portions de l'Église catholique résidant en divers lieux, texte bien fait pour désarmer la critique et ne laisser place qu'à l'admiration. La présence de l'empereur en Orient[87] expliquerait au besoin la renaissance de la persécution ; elle ranimait le zèle religieux de ces populations dont l'hostilité croissait avec le nombre des chrétiens. Combien de fois l'effervescence païenne ne viola-t-elle pas les conditions mêmes posées dans les rescrits de Trajan et d'Hadrien ! Arrestations par la foule, exécutions tumultuaires devenaient chose commune en pays grec, et le chef de l'État se contentait de recommander aux cités de se conformer autant que possible aux précédents. Mais les magistrats se voyaient la main Forcée et allaient plus loin qu'ils ne voulaient ; nous en trouvons un exemple chez le rhéteur Quadratus. Il avait condamné à différents supplices plusieurs chrétiens de la ville de Philadelphie : Germanicus en particulier, livré aux bêtes, avait excité la fureur des spectateurs par sou courage. Toutefois un Phrygien nommé Quintus, qui venait d'arriver de ses montagnes et avait persuadé à un ou deux autres de se joindre volontairement aux martyrs, céda aux instances du proconsul qui cherchait à le faire apostasier[88]. Il devait être le douzième à verser son sang, une victime manquait à la foule. Elle réclama, aux cris de : A mort les athées ! qu'on cherche Polycarpe ![89] Le vénérable évêque avait consenti à s'éloigner un peu de la ville, des agents furent lancés à sa poursuite ; le vendredi soir, sa retraite ayant été découverte, il demanda aux policiers une heure afin de terminer ses prières : après quoi on le fit monter sui : un âne, et pendant la route, l'officier de paix Hérode qui s'était chargé de l'amener, et son père Nicétas[90], arrivant avec une voiture, le conduisirent jusqu'à l'amphithéâtre, où il fit son entrée le samedi. Jeté violemment à bas du véhicule, Polycarpe fut conduit devant le proconsul au milieu d'un immense tumulte. Quadratus lui demanda de maudire le Christ. Le saint vieillard refusa de blasphémer Celui qu'il servait, dit-il, depuis quatre-vingt-six ans et qui ne lui avait jamais fait de mal[91]. Pline le Jeune, lui aussi, avait soumis à pareille exigence les prévenus de christianisme, sachant bien que leur attachement au nom du Christ constituait tout leur ceinte. Je suis chrétien, répéta le martyr. Le proconsul jugea la douceur impuissante comme les menaces et fit publier par son héraut la sentence : Polycarpe s'est avoué chrétien. — Dans l'amphithéâtre même, il était inutile d'ajouter quelle était la peine[92]. La foule demanda un lion. Cependant le fonctionnaire qui donnait les jeux, Philippe de Tralles, déclara que le tour des bêtes féroces était passé. Il n'y eut alors qu'une voix : Que Polycarpe soit brûlé vif. Les Juifs qui se signalaient par leur acharnement, et qui étaient en grand nombre à cause du repos du samedi, ne crurent pas violer le sabbat en apportant des ateliers et des bains voisins du bois de toute sorte pour le bûcher, et quand le martyr achevé d'un coup d'épée eut rendu le dernier soupir, ce furent encore eux qui suggérèrent à Nicétas d'aller trouver le proconsul pour lui faire refuser la faveur généralement accordée d'enlever le corps. On le laissa consumer par les flammes, et les chrétiens ne recueillirent que des os calcinés. Ceci se passait le 23 février 155, vers deux heures de l'après-midi[93]. Les habitants de Smyrne s'étaient écriés au moulent de la condamnation : C'est le docteur de toute la province, le père des chrétiens, l'ennemi de nos dieux, qui enseigne à tant de monde à ne pas leur sacrifier et à ne pas les adorer[94]. Grâce à cette grande notoriété, qui s'étendait, on le voit, jusque parmi les païens, nous possédons des détails sur la fin de saint Polycarpe ; mais l'auteur de la lettre ne daigne pas nous donner les noms de ses compagnons dans la confession de la foi. On peut estimer par là combien peu il serait légitime d'inférer du silence des textes ou des monuments l'absence de martyrs au milieu du second siècle. Leur histoire était chose banale, tant que la législation de Trajan demeura en vigueur. Il fallait qu'une circonstance nous fournit l'occasion d'en être instruits. Tel est le cas de ces chrétiens mis à mort cinq ans plus tard, en 160, par le préfet de la ville, à Rome, sous les yeux du gouvernement central. Saint Justin, étant présent dans la capitale, prend la plume voir dénoncer au Sénat des faits qui datent d'hier et d'avant-hier[95]. Une femme, séparée de corps d'avec son mari, est accusée par lui d'être chrétienne ; elle lui rappelle qu'il reste à liquider la séparation de biens, et elle obtient à cet effet un sursis de l'empereur. Le mari se venge sur celui qui a converti sa femme ; il recommande à un centurion de ses amis le coupable, nommé Ptolémée, qui après une longue détention est traduit devant le préfet, et sur le simple aveu de sa qualité de chrétien, envoyé au supplice ; un certain Lucius se récrie à la vue de cette procédure sommaire ; le préfet lui demande s'il est. chrétien, et le fait emmener à son tour, un autre passant de même[96]. Il n'y a donc aucun doute, les chrétiens sont hors la loi, car dans ces circonstances il n'est invoqué contre eux aucune disposition légale[97], et si l'on vient nous dire qu'on leur appliquait la loi des Douze Tables, nous voudrions savoir en vertu de quel privilège ils étaient appelés, seuls entre tous, à bénéficier d'un texte qui du temps de Cicéron passait déjà pour suranné[98]. Marc-Aurèle a-t-il modifié en quoi que ce soit cet état de choses ? Saint Justin pourra répondre, lui qui prévoyait ce que sa protestation devait lui coûter[99]. Il l'avait terminée par un appel, empreint de découragement, à la piété et à la philosophie du gouvernement[100]. Mais c'est précisément accusé par un philosophe qu'il allait périr, condamné par un philosophe, sous un empereur philosophe. M. Aubé a discuté et établi dans sa thèse sur saint Justin, d'après les travaux de Borghesi et de Mgr Cavedoni, la chronologie des préfets de Rome de cette époque[101]. Q. Lollius Urbicus resta en charge de 155 environ jusqu'en 160 ; il était mort lorsque parut la dernière Apologie[102]. Il fut remplacé par P. Salvius Julianus, le célèbre jurisconsulte, rédacteur de l'Édit perpétuel, auquel succéda, le 1er janvier 163, Q. Junius Rusticus, pour la deuxième fois consul l'année précédente, et jadis précepteur de Marc-Aurèle. Il parait assez naturel que Rusticus ait tenu son ancien élève au courant des affaires, d'autant plus que celui-ci ne quitta pas Rome tant que L. Verus, son frère adoptif et depuis le 7 mars 161 son associé à l'empire, fut retenu en Orient par la guerre contre les Parthes[103]. Ce ne fut donc pas à son insu que saint Justin, dont l'école, selon le témoignage de Tatien, avait été dénoncée par un rival, Crescent le cynique[104], que saint Justin, disons-nous, comparut devant le préfet de la ville avec six chrétiens arrêtés chez lui. Nous avons leurs noms : Chariton, Charite, sans doute sœur du précédent ; le Cappadocien Evelpistus, esclave de César ; Hiérax, originaire d'Iconium et probablement aussi esclave ; Péon et Liberianus. Dans leur interrogatoire authentique que nous possédons[105], Rusticus fait allusion à la réputation d'éloquence de saint Justin, preuve qu'il avait entendu parler de ses Apologies[106] ; il s'enquiert avec insistance de leur lieu de réunion et parait peu satisfait de la réponse de saint Justin, qui déclara qu'on se réunissait où l'on pouvait ; que, quant à lui, ses auditeurs l'allaient trouver dans son domicile privé aux thermes de Timothée sur le Viminal, et encore qu'il venait seulement d'arriver pour la seconde fois à Rome[107]. Était-ce curiosité de la part du préfet, ou cherchait-il à se renseigner afin de procéder à de nouvelles arrestations ? En tout cas, il ne fait aucun crime à l'accusé de ces réunions, il se repent presque de lui avoir posé la question et s'écrie : Du reste, es-tu, oui ou non, chrétien ? — Oui, je suis chrétien, répond aussitôt saint Justin[108]. C'était là son crime. Rusticus avait commencé par lui dire : Obéis aux dieux et soumets-toi aux empereurs[109]. Il lui adresse en dernier lieu une sommation générale ainsi qu'à ses compagnons : Approchez tous ensemble, dit-il, et sacrifiez aux dieux. Sur leur refus unanime, il prononce la sentence suivante : Que ceux qui n'ont pas voulu sacrifier aux dieux et obtempérer à l'édit de l'empereur soient fouettés et emmenés pour subir la peine capitale, conformément aux lois[110]. L'édit mentionné est incontestablement le rescrit de Trajan (cette fois empereur est au singulier) : ce sont ses dispositions qui ont été rigoureusement observées[111] ; pour ce qui est des lois qui arrivent à la fin, on ne leur a emprunté que la pénalité, qui en effet ne se trouvait pas déterminée dans l'instruction impériale. Le choix en était laissé à l'arbitraire du juge, exclusivement toutefois parmi les peines capitales, et le magistrat stoïcien ne se montre pas plus cruel que ses contemporains[112]. C'est à Marc-Aurèle qu'il appartenait, de réformer la législation sur ce point, comme il le fit sur un assez grand nombre d'autres ; mais il ne voulut pas connaître les chrétiens[113]. Sa faiblesse, en même temps qu'un secret orgueil qui n'était pas incompatible avec les opinions de l'école, l'empêchèrent de dominer les préjugés de son temps. Après tout, on ne peut pas absolument lui reprocher de n'avoir point été un Constantin, mais on ne peut non plus le rayer de la liste des persécuteurs. Il l'était par tradition, sinon par instinct ; aussi bien le fut-on autour de lui. Méliton de Sardes nous apprend incidemment[114] que L. Sergius Paullus, proconsul d'Asie vers 165, à l'exemple sans doute d'Urbicus et de Rusticus dont il devait occuper la place en 170, fit périr l'évêque de Laodicée, Sagaris ; peu importent les circonstances qui sont ignorées, il appliquait le rescrit de Trajan. On n'a aucune raison de croire que personne se soit fait une arme contre les chrétiens des précautions édictées par Marc-Aurèle[115] en vue d'un autre danger social, à savoir les progrès toujours croissants de la sorcellerie dans la religion, voire même dans la philosophie païenne, que M. Boissier décrit ainsi à la fin des Antonins[116] : Elle se réduit à n'être le plus souvent qu'une casuistique pédante ou une déclamation de rhétorique. En même temps elle encourage toutes les superstitions, elle prend la défense des oracles et des devins, elle pratique la magie ; elle tend à devenir une théurgie compliquée et ridicule. Elle s'unit si étroitement à tous les cultes populaires que ce nom de philosophe, qu'au dix-huitième siècle on donnait chez nous aux incrédules, est bien près de ne désigner alors qu'un illuminé. Lucien nous a conservé les aventures d'un proconsul d'Asie, P. Mummius Sisenna Rutilianus, dupé par l'imposteur Alexandre d'Abonotique[117], qui disait d'ailleurs n'avoir d'autres ennemis que les épicuriens et les chrétiens. Si les mesures prises furent impuissantes, en serons-nous étonnés, lorsque nous voyons l'empereur en personne recouru' au magicien égyptien Arnuphis[118] lors de son expédition contre les Quades eu 174 ? Nous voulons parler de cette pluie qui sauva l'armée romaine exténuée, et que païens et chrétiens ont revendiquée comme obtenue par leurs prières[119]. Le fait, devenu l'objet de tant d'explications diverses, est cependant fort simple ; une chose est constante, l'acte religieux des combattants dans une situation désespérée. Tous furent appelés par Marc-Aurèle à y prendre part ; déjà à Rome, au moment du premier départ contre les Marcomans, il avait agi de même, ajoutant les rites étrangers aux rites romains, si grande était la peur[120]. Que parmi les soldats il y eût des chrétiens, rien d'extraordinaire, surtout dans une légion stationnée en un pays où, cinquante ans auparavant, Pline en avait trouvé un si grand nombre[121]. On ne peut douter que la legio XII fulminata n'ait été appelée à fournir son appoint à la défense du Danube[122] ; le danger pressait, et Pertinax fut mandé de Syrie en cette occasion. Lorsque le détachement[123] regagna ses quartiers de Mélitène, chrétiens et païens racontèrent l'événement chacun à leur façon ; Apollinaire, évêque d'Hiérapolis, nous a transmis la version chrétienne, apparemment dans son Apologie, où Eusèbe l'a trouvée[124]. Les soldats chrétiens auraient mis genou en terre, selon la manière de prier des fidèles, et l'efficacité de leur démarche aurait prêté à une transformation du nom de leur légion en celui de fulminante. lei ne voit-on pas que le grec, accentué différemment, favorise la confusion du latin, κεραυνοβόλος, fulminatrix — κεραυνόβολος, fulminata ? Quelqu'un sur le moment, peut-être l'empereur lui-même, aura fait le jeu de mot, qu'ensuite l'histoire a consacré. Quoi qu'il en soit, les barbares furent repoussés, et les chrétiens n'en continuèrent pas moins à être persécutés. Il est donc inutile de faire observer la fausseté du document qui se trouve attaché aux manuscrits des Apologies de saint Justin[125], et qui, sous forme d'une lettre de Marc-Aurèle au sénat, comme le rescrit supposé d'Antonin, interdit les accusations de christianisme et prononce la peine de mort contre les accusateurs. Cette lettre, qu'on le remarque, n'est pas mentionnée par Apollinaire. Eusèbe en parle seulement par ouï-dire et sur l'autorité de Tertullien. En effet, l'orateur africain la connaissait déjà avant la fin du deuxième siècle[126] ; ce qui nous semble nul indice de son origine exclusivement occidentale. Cette opinion se confirme par le fait qu'elle omet précisément la légion de Mélitène parmi les détachements de troupes qu'elle énumère[127]. D'un autre côté, les renseignements qu'elle donne sur la présence et les fonctions de T. Claudius Pompeianus[128], gendre de l'empereur, sur le séjour de celui-ci à Carnuntum, sur la charge de T. Vitrasius Pollion qui était bien alors préfet du prétoire[129], montrent qu'ils ont été puisés à une source authentique. Aussi placerions-nous volontiers le lieu de la falsification à Rome (le grec trahit la même provenance) ; nous ajouterons : sous le règne de Pertinax, 1er janvier-28 mars 193[130]. Pertinax, nous le savons, était accouru sur la frontière menacée, il assistait à la bataille : un témoignage non moins précis qu'inattendu, la chronique d'Eusèbe, à l'année 172, le mentionne au nombre des généraux de Marc-Aurèle[131], et des spectateurs de l'événement miraculeux, et ce témoignage est indépendant de la lettre où il ne figure pas à côté de son protecteur et collègue Pompeianus[132]. L'absence de son nom s'explique, si la lettre fut mise en circulation après qu'il était devenu empereur. Mais dans ce cas, ne s'exposait-on pas à voir le document convaincu de fausseté lorsqu'il lui tomberait sous les yeux ? A cela il est facile de répondre par l'intérêt même de la supposition de la pièce. Il y avait treize ans que Marc-Aurèle était mort et que Commode bouleversait l'empire. Pertinax montant sur le trône représentait précisément une réaction contre ce gouvernement dans le sens des traditions de Marc-Aurèle[133]. Or, les chrétiens qui, depuis la mort de celui-ci, jouissaient d'une tranquillité relative et bénéficiaient jusqu'à un certain point, comme nous le verrons, de la législation qu'établissait la lettre, avaient grand avantage à placer l'origine de cette législation du vivant de ce prince. Il n'en était déjà plus ainsi pendant le règne si court de Didius Julianus, qui fut élu par les prétoriens pour tirer vengeance des meurtriers de Commode[134]. A partir du 2 juin 193, un ordre de choses régulier ayant recommencé avec l'Africain Septime Sévère, Tertullien pouvait, six on sept ans plus tard, invoquer de bonne foi le texte apocryphe en faveur du christianisme. Qu'on le remarque d'ailleurs, les circonstances n'y étaient pas dénaturées, le beau rôle seulement était attribué aux soldats chrétiens. Mais n'avaient-ils aucune raison d'être fiers ? Si peu nombreux qu'on les admette, ne s'étaient-ils pas agenouillés en face de l'armée païenne tout entière pour prier leur Dieu[135] ? Cela n'impliquait-il pas de la part de l'empereur une reconnaissance tacite et au moins momentanée de leur culte ? Telle est la conséquence que tirait l'auteur de la lettre, et il en plaçait l'expression sur les lèvres de Marc-Aurèle sous forme d'une résolution à accomplir[136]. En réalité, le prince n'eut pas ce sentiment ; il était alors occupé à rédiger ses Pensées et songeait moins aux antres qu'à lui même. Comme écrivait Avides Cassius, son rival, tandis qu'il philosophait, les fonctionnaires étaient maîtres absolus des provinces[137]. C'est alors que Méliton lui demandait avec une certaine ironie s'il était bien sûr que les instructions officielles publiées en sou nom émanassent authentiquement de lui[138]. Cependant, eussent-elles été lancées à son insu, il ne les eût pas désavouées, car elles étaient favorables à la persécution, et les faits prouvent que sa politique ne varia jamais sur ce point. Le renseignement fourni par l'évêque de Sardes pour la province d'Asie est confirmé, pour la Grèce, par Athénagore, qui écrivait sons Marc-Aurèle et Commode ; pour l'Orient, par Théophile d'Antioche, dont le troisième livre suivit de près la mort de Mare-Aurèle[139]. Il doit être généralisé, sur le témoignage du païen Celse[140], lequel déclare, en se moquant des chrétiens, que s'il y eu a encore quelques-uns qui se cachent, on va les rechercher pour les condamner à mort. Et Minucius Félix faisait répéter la même chose à Cæcilius[141] : Voici maintenant que les derniers châtiments vous attendent : les supplices, les croix que vous adorez et auxquelles on vous attache, le feu même annoncé par vous comme si redoutable. Nous possédons enfin, pour un coin de ce sombre tableau, une légende explicative qui permet de juger de la fidélité de tout le reste[142]. Ce coin si heureusement éclairé est notre terre des Gaules, et le rayon de lumière, un trait de filiale reconnaissance de ses Églises vis-à-vis de la descendance spirituelle de saint Jean à qui elles étaient redevables de l'Évangile[143]. Le récit, simple et éloquent, continence ainsi : Les serviteurs du Christ résidant à Vienne et à Lyon en Gaule à leurs frères d'Asie et de Phrygie dans la même foi et la même espérance en la rédemption, paix, salut et honneur au nom de Dieu le père et de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Puis vient la description de la tempête qui fondit sur les fidèles de Lyon pendant l'été 177. Ils furent d'abord exclus des maisons, des bains ; de la place publique : on ne voulait plus qu'ils parussent nulle part. La populace ameutée poussait des cris contre eux, les frappait et leur lançait des pierres ; par les soins combinés de l'autorité militaire et de l'autorité municipale, ils furent mis en prison eu attendant l'arrivée du légat propréteur. Lorsqu'on les amena devant son tribunal, un jeune homme de naissance illustre, dévoué aux bonnes œuvres, Vettius Epagathus, ayant élevé la voix pour prendre leur défense, fut arrêté, et le légat, constatant simplement qu'il était chrétien, le joignit aux autres sur-le-champ. Le premier jour, dix apostasies remplirent de tristesse les chrétiens non encore arrêtés qui, s'exposaient à toutes les insultes afin d'encourager les confesseurs par leur présence. Ou continua les arrestations dans les deux Églises de Lyon et de Vienne : le légat avait ordonné de rechercher tous les chrétiens[144]. Quelques esclaves païens subirent la question au sujet de leurs maîtres, et donnèrent raison aux bruits infâmes qui avaient cours parmi le vulgaire. Dès lors les païens les plus modérés firent éclater leur indignation, et la parole de l'Évangile se vérifia : Un temps vieillira où l'on croira glorifier Dieu en vous mettant à mort. Les martyrs furent soumis aux plus atroces traitements ; on n'épargna même pas les apostats, dont quelques-uns confessèrent la foi, entre autres une femme nommée Biblias. Plusieurs des victimes, épuisées par les supplices, succombèrent dans la prison ; de ce nombre fut le vénérable évêque de Lyon, Pothin. Lors de sa comparution devant le magistrat, ce dernier lui ayant demandé qui était le Dieu des chrétiens, le vieillard nonagénaire dit : Tu le sauras, si tu t'en montres digne. Cette réponse lui valut d'être accablé de coups de pied et de coups de poing, et assailli de projectiles de tout genre, si bien qu'il ne survécut que deux jours. Un diacre originaire de Vienne, Sanctus, fut torturé à deux reprises différentes : il ne répétait qu'une chose : Je suis chrétien. On le condamna aux bêtes, ainsi que le généreux néophyte Maturus, l'esclave Blandine et Attale de Pergame, l'un des plus connus du peuple païen : en leur honneur fut donnée une représentation spéciale. Lorsque vint le tour de Blandine, aucun animal n'approcha du poteau, où faible et délicate elle était attachée les bras en croix : elle fut reconduite dans sa prison ; quant à Attale, il arriva à l'amphithéâtre, dont il fit le tour au milieu des trépignements de la foule, précédé d'un écriteau portant ces mots : Hic est Attalus christianus ; mais le légat, apprenant qu'il était citoyen romain, suspendit l'exécution. Il en référa à l'empereur, tant pour lui que pour le reste des prisonniers. Ceux-ci profitèrent du délai pour réconcilier les apostats. Le rescrit de Marc-Aurèle arriva à Lyon avant le ter août, date de l'assemblée des provinces des Gaules auprès de l'autel de Rome et d'Auguste ; c'est la transcription du rescrit de Trajan. Le légat ordonna que les chrétiens citoyens romains eussent la tête tranchée, et que les autres fussent exposés aux bêtes. On interrogea à part ceux qui avaient renié la foi, afin de les absoudre ; le médecin Alexandre, d'origine phrygienne, mais depuis longtemps fixé en Gaule, les encourageait à réparer leur faute. Il excita ainsi la fureur des assistants qui le dénoncèrent, et le légat le condamna à paraitre dans l'amphithéâtre en même temps qu'Attale, ayant fait sur ce point une concession contraire à la loi, afin de plaire à la multitude. Attale fut brûlé sur une chaise de fer rougi ; faisant allusion aux festins de Thyeste que l'on reprochait à ses frères, il disait avec vérité aux spectateurs : C'est vous qui mangez de la chair humaine. Blandine avait été réservée pour le dernier jour, avec un enfant de quinze ans, Ponticus, qui mourut regardant les païens en face. Blandine, comme une noble mère, observe l'auteur du récit, ayant exhorté tous ses enfants et les ayant envoyés victorieux devant elle au souverain Maitre, se hâtait, joyeuse de les rejoindre. Enveloppée dans un filet, les cornes du taureau moins inhumain que la foule l'achevèrent. Lin outrage final fut infligé aux martyrs : les corps de ceux qui étaient morts en prison furent donnés à dévorer aux chiens ; les autres dépouilles, exposées pendant six jours et gardées par des soldats, furent brûlées et jetées dans le Rhône. Le magistrat avait fait preuve d'autant d'acharnement que le peuple, violant par trois fois les instructions impériales, en ordonnant spontanément les recherches, en ne relâchant pas les apostats, en méconnaissant la dignité d'un citoyen romain ; il est vrai que ce citoyen était chrétien, et nous devons à cette circonstance d'ignorer le nom du nouveau Verrès[145]. Il est peu probable qu'au moment où les chrétiens étaient dans les pros mixes l'objet de telles rigueurs, ils fussent exempts de sévices dans la capitale de l'empire. Nous lisons dans les actes de sainte Cécile : Urbis prœfectus sanctos Dei fortiter laniabat et inhumata corpora eorum jubebat derelinqui[146]. Ces mots nous dépeignent la situation. Marc-Aurèle était parti pour sa dernière expédition contre les Marcomans au commencement d'août 178, avec son fils Commode, depuis un an revêtu du titre d'Auguste. Minucius Félix était alors témoin, à Home, des traitements que l'on infligeait aux saints de Dieu, et lui-même entendait tourner en dérision la sépulture chrétienne. La lettre des fidèles de Lyon dit formellement[147] que la pensée des païens était d'ébranler chez les martyrs la croyance à la résurrection des corps : à la même époque, Athénagore mettait les païens en contradiction avec eux-mêmes, les priant de concilier leur accusation d'anthropophagie avec l'existence de cette croyance[148], et il composait un traité spécial sur la résurrection. Cependant les actes déjà cités nous apprennent que Valérien et Tiburce, l'époux et le beau-frère de l'illustre Cécile, tous deux convertis par elle, usaient de leur influence et de leur fortune pour éluder l'interdiction inique du préfet de la ville. Ils recueillaient les corps des martyrs et leur donnaient place dans d'antiques sépultures de famille le long de la voie Appienne. Non loin du monument bien connu de Cæcilia Metella commençait à se former ainsi le cimetière chrétien dit de Calliste, dont l'archéologie moderne, reconstituant les terrains distincts et parfaitement délimités (areœ), a pu suivre l'extension successive[149]. Les généreux chrétiens furent dénoncés au préfet, qui les fit comparaître, et qui, rappelant leur noble extraction (ils étaient fils d'un vir clarissimus), voulut leur persuader de sacrifier au nom des empereurs (invictissimi principes). Comme ils n'y consentaient pas, l'assesseur du préfet lui fit remarquer que tout délai était inutile et aurait l'inconvénient de permettre aux accusés de soustraire leurs biens à la confiscation : lorsque ensuite la peine serait appliquée, il ne trouverait plus rien[150]. Alors la sentence fut prononcée, et un endroit à quatre milles de Rome désigné pour le lieu de l'exécution. Cet endroit est connu ; c'est le pagus Triopius, célèbre par une villa que le riche sophiste maître de Marc-Aurèle, Hérode Atticus, venait précisément d'y faire construire. Valérien et Tiburce, emmenés par le greffier militaire de service, nommé Maxime, refusèrent encore une fois de brûler de l'encens devant la statue de Jupiter, et s'agenouillèrent d'eux-mêmes pour qu'on leur tranchât la tête[151]. Maxime, touché de leur fermeté, se déclara aussi chrétien et subit le martyre à coups de fouets plombés. Cécile ne les sépara pas dans la sépulture qu'elle leur donna[152] auprès du cimetière voisin de Prétextai ; leurs tombes n'étaient pas souterraines, mais à fleur de sol, et furent réunies dans une cella memoriœ. Le Liber pontificalis décrit ainsi les travaux exécutés à cet endroit par le pape Adrien Ier en 772 : Ecclesiam beati Tiburtii et Valeriani atque Maximi, seu basilicam sancti Zenonis, una cum cœmeterio sanctorum Urbani pontificis, Felicissimi et Agapiti atque Januarii et Cyrini (Quirini) martyrum foris portam Appiam uno cohœrentes solo, quœ ex priscis marcuerant temporibus a noro restauravit. L'évêque Urbain, mentionné ici, est celui par qui furent baptisés Valérien et Tiburce, mais il avait fini par être confondu avec le pape du même nom, dont le pontificat dura de 222 à 230, tandis que le pape contemporain de la fin de Marc-Aurèle se nommait Éleuthère, 175-189. Le premier Urbain était-il un évêque étranger éloigné de son siège par la persécution ? On a pensé qu'il avait une juridiction spéciale sur le pagus Triopius, où les actes disent qu'il se cachait dans le cimetière. Quoi qu'il en soit, sainte Cécile fut arrêtée à son tour : on la voit dans l'interrogatoire[153] traitée d'abord avec quelque égard ; de son côté, ses réponses dénotent une fière assurance digne de sa race, libre et sénatoriale par droit de naissance. Le préfet la taxa de hauteur ; elle répliqua : Autre chose est d'être hautaine, autre chose est d'être ferme ; je n'ai pas parlé avec hauteur, mais avec fermeté. Il lui cita le rescrit de Trajan, exactement dans la forme que Marc-Aurèle venait d'adopter à l'égard des chrétiens de Lyon, et faisant allusion au rescrit d'Hadrien, il ajouta : Les accusateurs sont là qui certifient que tu es chrétienne ; si tu renonces à ta foi, ils payeront immédiatement les conséquences de leur accusation. Sainte Cécile n'en continua pas moins à. professer son mépris des idoles. Alors le préfet s'écria : J'ai supporté jusqu'ici les injures qui m'étaient personnelles en philosophe, je ne puis tolérer celles qui s'adressent aux dieux, parole bien placée sur les lèvres d'un fonctionnaire de l'empereur stoïcien[154]. Et il donna ordre, sans doute par ménagement, peut-être afin d'éviter le bruit, qu'elle fût reconduite chez elle et étouffée dans son caldarium. La tentative n'ayant pas réussi, le bourreau envoyé pour la décapiter frappa trois coups niai assurés qui ne l'achevèrent pas encore. Elle profita du temps qu'elle survécut pour régler la transformation de sa maison en église, sous le nom d'un ami, et le rédacteur des actes ajoute que cette église existait au moment où il écrivait. Nous répétons la remarque, moins à propos de la basilique que tout le monde peut voir au Transtevere, qu'à propos de la date où les actes furent rédigés. Au début du récit, il y est clairement parlé du triomphe de la foi, qui suivit Constantin : l'écrivain prend la plume pour rajeunir les titres de gloire que les martyrs ont légués aux générations ultérieures. Cette composition se place vers le commencement du cinquième siècle et sert d'encadrement à un fond plus ancien[155]. Le passage relatif à la sépulture de sainte Cécile est intéressant ; il est ainsi conçu : Tunc sanctus Urbanus corpus ejus auferens cum diaconibus morte sepelicit eam inter collegas silos episcopos ubi sunt omnes confessores et martyres collocati. Or, dans la crypte des papes au cimetière de Calliste., on a retrouvé plusieurs épitaphes, dont celle du pape Urbain qui faisait partie d'un tombeau construit à plat. Mais il n'avait été précédé à cet endroit que par un seul pontife, tandis qu'après lui les tombes, se multipliant dans un emplacement restreint, durent être encastrées de chaque cité de la muraille. Ceci nous prouve que jusqu'au milieu du troisième siècle, l'état des lieux, tel qu'il nous est présenté par les actes, ne se vérifiait pas encore ; il est donc permis de rejeter à une époque assez postérieure la confusion de l'évêque Urbain[156] avec le pape de ce nom, lequel en réalité fut enterré près de sainte Cécile, mais cinquante ans après elle. L'hypogée appartenait à la gens Cœcilia ; un de ses membres chrétiens, dans l'intervalle, en fit don aux pontifes romains, qui y établirent leur sépulture, et déplacèrent même plus tard à cet effet le sarcophage de la sainte en le mettant dans une crypte contiguë et plus large. C'est là qu'en 821 il fut découvert par le pape Pascal Ier, qui le transféra à la basilique du Transtevere, avec les corps de Valérien, Tiburce et Maxime ; dans ses recherches, il avait pris les actes pour guide, et ceux-ci reçurent alors une éclatante confirmation. Un diplôme manuscrit du Vatican nous a conservé le procès-verbal de la reconnaissance qu'effectua le pape, omnia nostris manibus pertractantes, dit-il ; mais de plus, une seconde reconnaissance eut lieu, il n'y a pas trois cents ans, et nous avons le récit de témoins oculaires tels que l'archéologue Bosio et l'historien Baronius. Nous sommes donc sur un terrain aussi solide que les savants de nos jours, lorsqu'ils exhument les pharaons qui vivaient tant de siècles avant l'ère chrétienne. Le 28 octobre 1599, le corps de la célèbre martyre fut trouvé intact comme an jour de sa mort, 16 septembre 178 ; il était renfermé dans un coffre de cyprès ; la pose était celle qu'une sculpture célèbre a immortalisée[157]. Les débris de sa robe de soie et d'or étaient encore reconnaissables[158] ; les actes rapportent que, jeune fille, elle était déjà vêtue de la sorte, ce qui est une marque de sa haute naissance : du reste, ce luxe commença précisément à s'introduire sous Marc-Aurèle, puisque de pareils vêtements ayant appartenu à Faustine et à Commode furent vendus parmi des objets précieux[159]. A ses pieds étaient les linges imbibés de sang, que, d'après les actes, les chrétiens avaient employés pour essuyer la plaie de la tête à demi détachée (bibulis linteaminibus extergebant) ; un petit fragment du crâne, coupé par la hache du licteur, y adhérait encore. La dépouille de Cécile n'avait évidemment pas été remuée depuis le deuxième siècle[160]. Si l'auteur du cinquième siècle avait écrit d'imagination, il se serait vu convaincu d'imposture par un contrôle si rigoureux. Il en sort au contraire victorieux ; c'est apparemment qu'il s'était servi des documents les phis autorisés. Son ignorance historique fournit même une nouvelle preuve de sa bonne foi. Ainsi le martyrologe qu'Adon composa vers 858 en résumant les actes qu'il avait sous les yeux[161], termine la notice consacrée à sainte Cécile, où il avait été question d'Alexandre Sévère, par les mots suivants : Passa est autem beata virgo Marci Aurelii et Commodi imperatorum temporibus. Ces mots devaient exister dans quelque texte primitif ; ils disparurent généralement depuis qu'ils furent en contradiction flagrante avec le synchronisme adopté ultérieurement entre l'Urbain des Actes et l'empereur Alexandre. Or, à l'époque de ce dernier, l'empire ne se trouvait pas partagé entre plusieurs, comme le veut l'interrogatoire, et d'ailleurs la période qui s'étend de Septime Sévère à Maximin fut plutôt une trêve à la persécution. Les princes d'alors en effet n'éprouvaient pas le besoin de poursuivre l'Église. Nous avons constaté qu'il n'en fut pas de même des Antonins. Ainsi que l'a très-bien dit M. l'abbé Duchesne[162], il ne faut pas prendre au sérieux la thèse de Tertullien et de Lactance, qui ne veulent trouver d'ennemis des chrétiens que dans les mauvais empereurs. C'est le contraire qui est vrai. Les meilleurs empereurs se figuraient qu'ils sauvaient l'empire en arrêtant la propagande chrétienne ; sous des fous comme Commode et Héliogabale, sous des étrangers comme Alexandre Sévère et Philippe, le christianisme put respirer. Mais la loi qui ordonne de punir du dernier supplice les chrétiens fidèles à leur foi est une loi de Trajan, et les efforts des apologistes ne réussirent pas à en entraver l'exécution. On avait cru l'Afrique exempte de la persécution de Marc Aurèle : l'opinion générale mettait sous Septime Sévère le proconsulat de Vigellius Saturninus, qui, au témoignage de Tertullien[163], avait le premier tiré le glaive contre les chrétiens de ce pays. C'est donc à cette époque qu'était censé appartenir ce Nampliamo, connu avec ses compatriotes de Madaure, Miggine, Lucita et Sanaé, connue les prémices des martyrs sur la terre punique[164]. Leur mort, arrivée le 4 juillet, avait été suivie de près, le 17 du même mois, par l'exécution d'un autre groupe dont on possédait des actes authentiques, mais dans un état défectueux ; en particulier, la date consulaire ne pouvait être déterminée. Cependant la véritable lecture, M. Léon Renier[165] l'avait pressentie. La publication toute récente par M. Usener — dans le programme de l'Université de Bonn pour le 2e semestre de 1881 — du texte grec inédit de la Passio Scillitanorum, vient de lui donner entièrement raison. Toutes ces condamnations, avec le proconsulat de Saturninus[166], se trouvent reportées à l'année 180. Marc-Aurèle était mort, il est vrai, depuis le 17 mars ; mais le changement de régime résultant de l'avènement de Commode n'avait pu encore avoir son effet dans les provinces. En conséquence nous donnons, à sa place légitime, une traduction littérale du précieux document que nous a conservé dans son intégrité native[167] le ms. 1470 du fonds grec de la Bibliothèque nationale : Præsens étant consul pour la seconde fois avec Condianus (180), le 16 des calendes d'août, c'est-à-dire le 17 juillet, furent amenés pour comparaître clans le secretarium, à Carthage, Speratus, Narthallus, Cittinus, Donata, Secunda et Vestia. Le proconsul Saturninus dit : Vous pouvez obtenir le pardon de notre empereur, si vous venez à résipiscence. Le bienheureux Speratus répondit : Nous n'avons commis aucune mauvaise action, ni proféré aucune mauvaise parole, mais nous rendons grâces d'être maltraités pour le service de notre Dieu et notre Roi. Le proconsul Saturninus dit : Mais nous avons aussi un culte, et ce culte est simple : nous jurons par le génie naturel de l'empereur notre maître, et nous prions pour sa conservation ; il faut que vous en fassiez autant. Le bienheureux Speratus dit : Si tu me prêtes une attention calme, je te raconterai le mystère de la véritable simplicité. Le proconsul Saturninus dit : Tu vas commencer à dire du mal de notre religion, et je ne puis t'écouter ; mais plutôt jurez par le génie de notre maître. Le bienheureux Speratus dit : Je ne connais pas l'empire du siècle présent ; je loue et j'honore mon Dieu qu'aucun homme ne peut voir, car on y est impuissant avec les yeux du corps. Je n'ai pas dérobé ; lorsque j'achète quoi que ce soit, je paye l'impôt, et cela parce que je reconnais Notre-Seigneur comme le Roi des rois et le Maitre de toutes les nations. Le proconsul Saturninus dit aux autres : Apostasiez la susdite croyance. Le bienheureux Speratus dit : Une croyance dangereuse est celle qui se permet l'assassinat ou le faux témoignage. Le proconsul Saturninus dit : Gardez-vous de tremper ou paraître tremper dans une pareille folie et aberration. Alors le bienheureux Cittinus, prenant la parole, repartit : Nous craignons le Seigneur notre Dieu qui habite dans les cieux, et n'avons point d'autre crainte. La bienheureuse Donata dit : Nous rendons l'honneur à César comme César, mais la crainte à notre Dieu. La bienheureuse Vestia dit : Pour moi, je suis chrétienne, et la bienheureuse Secunda reprit : Je le suis aussi, et je me dispose à persévérer. Alors le proconsul Saturninus s'adressant au bienheureux Speratus : Tu demeures également chrétien ? Le bienheureux Speratus dit : Je suis chrétien. Tous les autres bienheureux dirent de même. Le proconsul Saturninus ajouta : Vous ne demandez aucun délai pour réfléchir ? Le bienheureux Speratus répliqua : Dans une alternative aussi tranchée, il n'y a pas lieu à délibération et à réflexion. Le proconsul Saturninus dit : Quels sont ces écrits qui se trouvent parmi vos affaires ? Le bienheureux Speratus dit : Nos livres sacrés, et de plus les épîtres du saint homme Paul. Le proconsul Saturninus dit : Je vous donne un terme de trente jours pour voir si peut-être vous deviendrez raisonnables. Le bienheureux Speratus répondit à cela : Je suis chrétien sans retour, et tous les autres ensemble répétèrent la même chose. Alors le proconsul Saturninus prononça contre eux la sentence ainsi conçue : Speratus, Narthallus et Cittinus, Donata, Vestia et Secunda, ainsi que les absents qui ont tous déclaré vivre à la façon des chrétiens : attendu que, un terme leur ayant été accordé pour revenir à la tradition romaine, ils se sont obstinés à ne pas vouloir changer d'avis, sont condamnés à être décapités. Alors l'athlète du Christ, Speratus, transporté de joie, adressa des remerciements à notre Dieu qui les avait appelés à mourir pour lui. Et le bienheureux Narthallus s'écria, plein de contentement : Aujourd'hui, nous sommes vraiment des martyrs agréables à Dieu dans le ciel. A ce moment, le proconsul Saturninus fit proclamer par le héraut les noms des bienheureux martyrs : Speratus, Narthallus, Cittinus, Veterius, Félix, Aquilinus et Lætantius[168], Januaria, Generosa, Vestia, Donata et Secunda. Alors tous ces bienheureux, rendant gloire à Dieu, disaient d'une seule voix : Nous te bénissons, Seigneur trois fois saint, et nous t'exaltons, de ce que tu as achevé d'une manière propice le combat de notre confession et de ce que ton règne s'étend aux siècles des siècles. Amen. Et tandis qu'ils disaient : Amen, ils périrent par le glaive, le 17 juillet. Les bienheureux étaient originaires de Scilli, en Numidie, et ils reposent près de Carthage, la métropole. Leur martyre s'effectua sous le consulat de Præsens et de Condianus et le proconsulat de Saturninus, et pour nous, sous le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui convient toute gloire, tout honneur, toute adoration avec l'Esprit très-saint et vivifiant, à présent et toujours et dans les siècles des siècles. Amen. |
[1] La proportion devait être certainement très-forte pour l'Église naissante de Rome. Mais bientôt le développement du christianisme dépassa de beaucoup la moyenne de rigueur de la persécution. C'est en présence de cet accroissement, qui paraissait à la fin du deuxième siècle extraordinaire aux chrétiens mêmes, qu'ORIGÈNE signale c. Celse, III, c. VIII-X, et leur grand nombre dès l'origine — et le petit nombre relatif des martyrs jusqu'à son époque.
[2] C'est le procède favori de Fr. GÖRRES dans ses études sur les persécutions. Voir la première en date : Uber die Licinianische Christenverfolgung, ein Beitrag zur Kenutniss der Märtyreracte (Iéna, 1875).
[3] V. Hist. des persécutions, p. 128 ; la Polémique païenne, p. 396, et Les chrétiens dans l'empire romain, p. 233. Cf. M. RENAN, Journal des savants, 1876, p. 697 : Dans les premières études que M. Aubé publia sur les persécutions, il penchait un peu trop du côté des solutions négatives... En lisant les premiers essais de M. Aubé, on eût pu orne tenté de croire que les persécutions furent en réalité peu de chose, que le nombre des martyrs ne fut pas considérable, et que tout le système de l'histoire ecclésiastique sur ce point n'est qu'une construction artificielle. Peu à peu la lumière s'est faite dans cet esprit juste et sincère. Nous reconnaissons bien volontiers que le dernier volume de M. Aubé renferme des jugements historiques plus équitables et plus vrais que les précédents.
[4] Mém. de l'Académie des inscriptions, XXX, 2e partie, p. 4 du tirage à part.
[5] Comptes rendus de l'Académie des inscriptions, 1879, p. 210, sur les sources des Acta martyrum. — Les procès-verbaux étaient écrits à l'audience par les mains des notaires païens, puis déposés dans les archives des chrétiens faisaient en sorte d'obtenir des copies qu'ils reproduisaient religieusement ou développaient dans des mesures diverses. Il est regrettable qu'ils n'aient pas profité davantage des facilités qu'accorda Constantin pour consulter les documents originaux, eu Afrique par exemple, à l'occasion du schisme des Donatistes.
[6] Annuaire de l'Association pour l'encouragement des études grecques (Paris, 1877), p. 260-272. Cf. Mémoire cité, p. 41.
[7] Mém. de l'Académie des inscriptions, t. XXVIII, 1re partie, p. 72 : la préparation au martyre dans les premiers siècles de l'Église.
[8] Cf. la passion de saint Carpus, pour prendre la dernière publiée, Revue archéologique, 1881, t. II, p. 354.
[9]
THÉOPHILE, Ad.
Autolyc., I, XII.
[10] Comptes rendus de l'Académie des inscriptions, 1806, p. 358-373 : Quelque nouvelle qu'ait été l'accusation de christianisme, je n'aperçois donc point que la société païenne ait dit chercher des armes d'exception.
[11] II Ep., V, éd. Funk, p. 150. — On a signalé avec raison dans ce document le plus antique spécimen de la prédication chrétienne, telle qu'elle est décrite dans SAINT JUSTIN, I Apol., LXVII, p. 181 de l'éd. Otto.
[12] Ep. de saint Ignace aux Romains, IV, éd. Funk, p. 216.
[13] Hist. des persécutions, p. 247.
[14] SAINT IRÉNÉE, Adv. hær., V, XXVIII, 3.
[15] ORIGÈNE, II hom. in Luc.
[16] Digeste, liv. XLIX, tit. I, fr. 29.
[17] Digeste, liv. XLVIII, lit. XIX, fr. 29.
[18] Loc. cit., p. 218. Cf. Ép. aux Tralliens, III, p. 204.
[19] L. XI, éd. de Bonn, p. 276. Sa principale source est, d'après Gutschmid, la chronographie de Domninus écrite vers 528, et composée elle-même à l'aide : 1° des Παρθικά d'Arrien, dont l'exactitude est bien connue ; 2° d'une histoire d'Antioche ; 3° de notices locales dans une proportion notable.
[20] Un souvenir confus de ces faits se retrouve dans les Actes syriaques de saint Barsamya (Documents relative in the carliest establishment of Christianity in Edessa, Londres, 1861. — Acta ss. martyrum Edessenorum Sarbelii, Barsimœi, ed. Mœsinger, fasc. I, Innspruck, 1874), qui parlent de l'an 15 de l'empereur Trajan César et d'une lettre d'Alusis proconsul. Görres considère cette dernière comme une édition remaniée de la correspondance de Pline, ainsi que la lettre apocryphe de Tiberianus, gouverneur de la Palestine 1re ; cf. Trajan und die christliche Tradition, dans Hilgenfeld's Zeitschrift, 1878. p. 35.
[21] Die Zeit des Ignatius, p. 71.
[22] Ép. cit., X, p. 22.
[23] DION CASSIUS, Ep. LXXIII, XV. Il s'agit du triomphe de Trajan sur les Daces en 106. Cf. Digeste, III, tit. XIX, fr. 31.
[24] Hist. des persécutions, p. 329, en note. Voir au contraire ZAHN, Ignatius von Antiochien (Gotha, 1873), p. 250-289.
[25] On se rappelle le concile d'Éphèse en 431, où le patriarche Jean, qui, parti d'Antioche au commencement de mai, avait demandé un mois pour venir, n'arriva que le 26 juin, et les conséquences de ce retard.
[26] T. L. F. TAFEL, De via militari Romanorum Egnatia qua Illyricum, Macedonia et Thracia jungebantur, dissertationes duæ (Tubingen, 1837 et 1841). Cf. STRABON, VI, III, 7.
[27] Ép. aux Éphés., I, p. 174. — Rom., IX, p. 222.
[28] Ép. à Polycarpe, VIII, p. 252.
[29] Ép. de saint Polycarpe aux Philipp., I, p. 266. — IX, p. 276.
[30] Une recension différente des actes de saint Ignare, qui n'est pas du reste plus ancienne que la première, a été tirée d'un ms. du Vatican par Dressel en 1857. D'après eux, il aurait été non-seulement exécuté, mais aussi jugé à Rome. On y relève seulement un détail curieux dans Patr. Apost., vol. II, p. 242. Le commentaire de ce passage nous sera donné plus loin par M. de Rossi.
[31] De vir. Ill., XVI. Cf. Digeste, liv. XLVIII, tit. XXIV, fr. 3. — Fr. 1.
[32] Les citations suivantes sont relevées par FUNK dans ses Prolégomènes aux Lettres de saint Ignace, p. L ; il suffira de les comparer aux précédentes.
[33] LUCIEN, Peregr, XI, XII, XIII et IV.
[34] LUCIEN, Peregr., CXLI. — Ep. A Polycarpe, VII, p. 252. FUNK fait remarquer le changement de θεοδρόμος en νερτεροδρόμος si naturel à la tournure d'esprit de Lucien. Ailleurs saint Ignace s'est servi de l'expression θεοπρεσβευτής.
[35] Ep. de saint Polyc. aux Philipp., XIII, p. 280. Cette collection, asiatique d'origine, ne comprit d'abord que six lettres de saint Ignace les manuscrits fournissent la preuve que la lettre aux Romains n'y fut jointe que plus tard.
[36] Ép. cit., VIII, p. 274.
[37] MALALAS, loc. supr. cit., parle du martyre de cinq femmes : il n'est pas possible de le contrôler sur ce point.
[38]
Ép. de saint Ign. aux Smyrn., XI, p. 242. Ép. aux Philadelph., X, p. 232.
[39] Revue archéologique, 1869, t. I, p. 101.
[40] Revue archéol., 1869, t. I, p. 108. — GRÆTZ, Geschichte der Juden, place aussi, d'accord avec Eusèbe, Hist. ecclés., IV, II, l'insurrection pendant l'automne 116 et l'hiver 117.
[41] A de sanglants massacres succéda l'épisode final du siège de Béther : les Juifs n'eurent plus désormais de patrie. Ils avaient profité d'un instant d'indépendance pour satisfaire leur haine contre les chrétiens, comme en témoigne SAINT JUSTIN, Première Apologie, XXXI, p. 94 de l'éd. Otto.
[42] Præpar. evang., IV, XVII, à propos des sacrifices humains. Cf. le païen PAUSANIAS, I, V, 5.
[43] SPARTIEN, Hadrien, XIV et XX.
[44] M. RENAN, Journal des savants, déc. 1876, p. 730 : À Rome, le livre du faux Hermas nous apparaît comme sortant d'un bain de sang. En retirant une certaine épithète qui est de style chez l'auteur, et en renversant l'image, nous sommes d'accord.
[45] PAST., Vis. II, III, 4, éd. Funk, p. 318. Cf. la Vis. II tout entière, qui est fort curieuse, p. 378.
[46] Adv. hær., III, III, 3.
[47] Il y a lieu de croire avec M. l'abbé DUCHESNE, Étude sur le Liber pontificalis, p. 150, que ce saint Alexandre, quoique honoré d'une vaste basilique sur son tombeau, n'est pas le prédécesseur de saint Télesphore ; mais à cause de l'illustration du martyr, l'endroit fut desservi par une série d'évêques de la campagne romaine : on a remis au jour un certain nombre de leurs épitaphes, Bull., 1864, p. 51.
[48] Itin. Salisb. ap. Rom.
sott., t. I, p. 180.
[49] C'était un éloge métrique assez long que M. de Rossi, même en y joignant un autre fragment venu en sa possession vingt ans auparavant, n'a pu encore reconstituer : les lettres YR (martyr ou Cyrinus, Κυρινος) sont, entre autres, reconnaissables. 1872, p. 32, 75, 78.
[50] Act. Sanct., t. III de mars (éd. d'Anvers), p. 813. Oiselle que soit la valeur de ce teste, il est certain qu'il faut lire Hadrianus et Sabina à la place de Aurelianus et Severina.
[51] Hist. des persécutions, p. 291. L'auteur au même endroit prête gratuitement une erreur à M. de Rossi, en disant : Januarius, Agatopus et Felicissimus, martyrisés, selon lui, avec sainte Félicité l'an 162. L'illustre savant a raconté plus d'une fois la scène émouvante du pape saint Sixte II frappé sur sa chaire pontificale, en 258, par les soldats de Valérien, dans le cimetière de Prétextat, avec ses deux diacres qui y demeurèrent enterrés.
[52] Il existe deux recensions de leurs actes : l'une où Getulius porte son véritable nom, l'autre où il est confondu avec le martyr Zoticus, très-postérieur en date. Cette confusion s'explique par le fait, que Getulius et son frère Amantius furent enterrés auprès de Gabies (auj. Torri) dans la Sabine, et Zoticus avec un autre Amantius auprès de l'antique Gabies du Latium ; de plus, un nommé Primitivus, qu'on est fondé à croire parent de Getulius, et arrêté avec lui dans la première de ces deux villes, fut exécuté et enterré non loin de la seconde sur la Voie de Préneste, d'où l'importante distinction réalisée par le travail de M. FURICO STEVENSON : Il cimitero di Zotico al decimo miglio della via Labicana, Modène, 1876. Une trace de la confusion subsiste à Rome dans des peintures du neuvième siècle, à l'église Saint-Sébastien sur le Palatin, qui, destinées à honorer le groupe Zoticus, représentaient le martyre du groupe Getulius : là CEREALIS est changé en IRENEUS.
[53] Cerealis, Acta sanct., t. II de juin (éd. d'Anvers), p. 264, porte le titre de rien-nus, qui désigna quelques années plus lard le vice-préfet de Rome. BORGHESI, Œuvres, I. VIII, p. 62, remarque, à propos du mot diœcesis trouvé sur une inscription du règne d'Hadrien, qu'AURELIUS VICTOR pourrait n'avoir pas eu tort d'écrire dans son Épitomé : officia same publica et palatina, nec non militiæ, in eam formam statuit, quæ paucis per Constantinum immutatis hodie perseverat.
[54] Hadrien, XXIII.
[55] V. la description détaillée faite par l'auteur de la découverte, M. STEVENSON, Scoperta della basilica di Santa Sinforosa e dei suoi selle figli al sono miglio della via Tiburtina (Rome, 1878). Cf. dans les Studi e documenti di storia e diritto (Rome, 1880), fasc. I, l'histoire de cette basilique au moyen âge, par le même.
[56] L'orthographe véritable doit être Syrupherusa, d'après une inscription qui a quelque rapport, ayant été tirée en 1737 de l'emplacement même de la basilique : MAFFEI, Mus. Veronense, p. CLIII, 1. Il ne faut pas s'étonner de la forme grecque du nom Συμφίρουσα. STRABON, qui mentionne l'Ήρακλειον de Tibur à côté du temple de la Fortune de Préneste, témoigne (au sujet de ces deux villes, V, III, 11). Les Actes de Getulius, loc. cit., disent qu'il avait converti autant de Grecs que d'indigènes de cette contrée de l'Italie.
[57] Ann. de la propag. de la foi, n° de mars 1879, lettre de Corée déjà citée : Le 13 mai dernier est morte la femme du roi précédent... A l'ouverture du deuil, il y a eu, à nu jour fixé, lamentation publique accompagnée de sacrifices dans chaque ville, chaque village, chaque hameau de tout le royaume... Habiter avec des païens un même village et ne point prendre part aux lamentations publiques, c'est faire un acte de mauvais citoyen, de rebelle et de chrétien ; y prendre part, c'est s'associer à un acte public de superstition.
[58] Hist. des persécutions, p. 290.
[59] SPARTIEN, Hadrien, XXV.
[60] RUINART, Acta martyrum, p. 71 (éd. de Ratisbonne).
[61] Studien, p. 139.
[62] M. DURUY trouve plus commode de la nier, t. IV, p. 100 : Sous Hadrien, nul, par ordre du prince, ne souffrit pour ses croyances dans sa personne et dans ses biens.
[63] Le Talmud de Babylone, Gittin 57a (c'est à M. Bouché-Leclercq que nous sommes redevables de cette indication), place sur les lèvres de R. Jehudah le récit de la comparution d'une mère anonyme avec sept fils anonymes devant Hadrien. Nous ne voudrions pas chercher là une allusion au martyre de sainte Symphorose. Par son caractère vague et sa tournure biblique, cc récit semble plutôt se rapporter à l'histoire des Macchabées. Mais la substitution d'Hadrien au roi Antiochus, le plus cruel ennemi d'Israël, prouve au mollis que l'empereur romain avait un renom de cruauté bien établi, et qu'il ne le doit pas seulement à son biographe, Marius Maximus, comme on l'a prétendu.
[64] Hilgenfeld's Zeitschrift, 1878, p. 48.
[65] Op. cit., p. 84 et s. L'auteur devançait la publication désormais prochaine, par MM. de Rossi et Duchesne, d'une édition critique du martyrologe hiéronymien qui en augmentera singulièrement la valeur.
[66] Hilgenfeld's Zeitschrift, 1879, p. 97.
[67] Similitude, IX, XXI, 3.
[68] Similitude, VIII, X, 3.
[69] Similitude, VIII, IX, 1.
[70] Mand., XI, 1.
[71] Similitude, V, II, 2-11.
[72] SPARTIEN, Hadrien, XXIII.
[73] Épit., LXIX, XX. C'est d'Hadrien que date la véritable autorité du conseil du prince.
[74] Vis., III, c. II, 4-9 (p. 351).
[75] Similitude, IX, c. II à c. IX.
[76] On pourrait objecter sa forme ronde. Cf. Vis., III, II, 5 (p. 356.) Or le mausolée se compose d'une substruction quadrangulaire de 104 mètres de côté, haute de 9 à 10 mètres, laquelle supporte une construction cylindrique en travertin, de 73 mètres de diamètre, jadis entièrement revêtue de marbre ; la hauteur totale est d'environ 50 mètres. Du reste, pour une comparaison, la forme précise importe moins que l'idée ; par exemple, les deux descriptions de la tour dans le livre même du Pasteur sont loin d'être identiques.
[77] Cité dans les Prolégomènes de l'éd. Funk, p. CX.
[78] Liv. III, v. 284.
[79] Hist. ecclés., III, XXXVIII, 4.
[80] SAINT IRÉNÉE, Adv. hær., III, IV, 3.
[81] Il y propose, c. XXVII, p. 84 de l'éd. Otto, à l'empereur un Syllabus de toutes les hérésies contemporaines qu'il avait rédigé. Sous le même titre parut au troisième siècle le livre des Philosophoumena, qui émane de l'école de saint Justin et qui, d'après l'habitude commune des anciens, a dû puiser largement dans ce premier traité, comme il puise dans saint Irénée.
[82] Hist. ecclés., IV, XXII, 2.
[83] SAINT IRÉNÉE, Adv. hær., III, III, 4. Cf. Hist. ecclés., V, XXIV, 14. C'est lui qui, en 116, recevait l'évêque d'Antioche conduit au martyre.
[84] Voir Revue des questions historiques, 1er juillet 1880 : la Pâque au concile de Nicée, où M. l'abbé à Duchesne montre qu'il ne s'agissait plus à cette époque de l'opposition de l'observance dominicale à celle du 14 nisan, mais de la supputation de la Pâque par rapport à l'équinoxe, difficulté propre à la Syrie et non à l'Asie Mineure. Du reste, déjà, vers 230, les Philosophoumena, VIII, V, rangent les quartodécimans parmi les hérétiques.
[85] Fastes, § 144.
[86] Die Christenverfolgungen, p. 34-101.
[87] Aristid. orat., éd. Dind., t. I, p. 433.
[88] Mart. Polyc., IV. Éd. Funk, p. 286.
[89] P. 286.
[90] C. VIII, p. 290. M. AUBÉ en fait son fils, Hist. des persécutions, p. 323 ; il pense aussi que les douze chrétiens s'étaient livrés ensemble : or, d'après les Actes, II, p. 284, quelques-uns seuls sont exceptés ; enfin ils ne périssent que onze, puisque Quintus avait apostasié, et Polycarpe fut le douzième selon la meilleure leçon, c. XIX, p. 302.
[91] C. IX, p. 292. PLINE, Ep. XCVII.
[92] C. XII, p. 294.
[93] C. XXI, p. 304.
[94] C. XII, p. 296.
[95] Deuxième Apologie, I, éd. Otto, p. 194. Cette requête du commencement de 161, ne fut pas adressée directement à l'empereur Antonin, lequel devait être à la campagne, et il mourut le 7 mars (CAPITOLIN, Antonin, XII.)
[96] Première Apologie, II, p. 200.
[97] BUCHELER, dans le 2e fasc. du Rheinisches usenen pour 1880, n'a pas fait attention qu'il affaiblit sans droit la thèse de saint Justin, qui est la nôtre, en proposant de supprimer αύτό τούτο μόνον devant le premier εί χριστιανός έστι. Par contre, il a raison de signaler comme des répétitions dans le texte όν Οΰρβικος έκολάσατο et είς δεσμά έμβαλόντα τόν Πτολεμαίον, quelques lignes plus haut.
[98] CICÉRON, De leg., II, XXIII.
[99] Deuxième Apologie, III, p. 202.
[100] Deuxième Apologie, XV, p. 242.
[101] Saint Justin philosophe et martyr, p. 68 et s. Cf. BORGHESI, Œuvres, t. VIII, p. 545.
[102] CAPITOLIN, Ant., VIII.
[103] CAPITOLIN, Ant. phil., VIII et III.
[104] Or. adv. Græc., XIX.
[105] Il est regrettable que la traduction que M. AUBÉ en a donnée, Hist. des persécutions, p. 346, n'ait pas été faite sur l'original grec. La terminaison Charitina est une invention du cardinal Sirlet, le premier traducteur latin, pour répondre au féminin Χαριτώ. Les formes différentes præses et præfectus n'existent pas dans le texte qui reproduit invariablement le titre correct έπαρχος. V. la 3e éd. d'Otto, p. 266 et s., Corp. apol., vol. III, in fine.
[106] C. V, p. 276. Ce qui n'est pas la même chose que : si a capite per totum corpus flagellis corpus fueris. RUINART, Acta martyrum, p. 107 de l'éd. de Ratisbonne.
[107] C. III, p. 270.
[108] C. III, p. 272. — La compétence du préfet de Rome, en matière d'associations non reconnues, fut proclamée à nouveau par Septime Sévère, Digeste, liv. I, tit. XII, fr. I, § 14. Cette mesure coïncidait avec une extension de la liberté d'association.
[109] C. II, p. 268. Les deux empereurs sont Marc-Aurèle et Lucius Verus, et il n'est pas question ici d'édits. Le latin est donc doublement inexact : esto obediens imperatoris edictis. RUINART, p. 105.
[110] C. V, p. 278.
[111] PLINE, X, ep. XCVIII. — MICHELET est loin de saisir la portée du rescrit, lorsqu'il le résume ainsi (Fragments inédits, Revue historique, juill.-sept. 1876) : Exécutez les lois de l'Empire : ne cherchez pas les chrétiens ; seulement si vous les trouvez, jugez-les selon les lois. Et il ajoute : Ce mot est bien dans le caractère des Romains. Il y avait en effet des lois contre des associations secrètes, et c'est comme associations secrètes que, dans l'ignorance de la chose, les Romains devaient considérer les assemblées chrétiennes. n S'il en était ainsi, la procédure aurait dit être différente.
[112] M. RENAN traite les actes de saint Justin, Journal des savants, déc. 1876, p. 731, de composition bien postérieure à la mort du saint martyr, et où l'on prête à l'illustre Junius Rusticus un rôle que l'on est tout à fait autorisé à regarder comme calomnieux. Nous nous demandons si ce ne sont pas plutôt les actes qui se trouvent ici calomniés. Cette fois, nous sommes de l'avis de M. AUBÉ et d'OVERBECK, Studien, p. 118.
[113] C'est à eux qu'il semble faire allusion lorsqu'il dit que se guider par la raison utilitaire est le fait. Comm., III, XVI. Ainsi il aurait ajouté foi aux calomnies populaires.
[114] Hist. ecclés., IV, XXVI, 3, début de son livre sur la Pâque. Cf. ibid., V, XXIV, 5, la lettre de l'évêque de Smyrne, Polycrate. — Le même proconsul, ou un autre, mit à mort l'évêque cité immédiatement avant par Polycrate. La Vita Polycarpi récemment publiée par M l'abbé DUCHESNE (Paris, 1881), p. 27, nous apprend l'emplacement de son tombeau. Voici l'annotation du docte éditeur, p. 39 : Tempore Polycratis Smyrnæ sepulturant habebat, ubi étiam passus esse videtur. Translationis autem causa facile conjicitur ; sæculo quarto Eumenienses fideles exuviis præsulis sanctissimi carere noluerunt atque eas postliminii jure repetierunt a Smyrnæis.
[115] Digeste, liv, XLVIII, tit. XXIX, fr. 30. Cf. Pauli sentent., liv. V, tit. XXI, § 2. — M. DURUY, t. VI, p. 185 : Ce rescrit ne désignait pas nominalement les chrétiens, mais ils étaient à coup sûr compris parmi ceux qu'il devait frapper.
[116] La Religion romaine, t. II, p. 121.
[117] V. son histoire racontée tout au long par M. AUBÉ, la Polémique païenne à la fin du deuxième siècle, p. 117-125.
[118] DION CASSIUS, Ep., LXXI, VIII. Xiphilin prêche pour son saint lorsqu'il cherche à nier le fait, ibid., IX.
[119] CAPITOLIN, Ant. phil., XXIV. — La scène est représentée sur la colonne Antonine à Rome.
[120] CAPITOLIN, Ant. phil., XIII.
[121] LUCIEN également fait parler ainsi Alexandre, c. XXV.
[122] CAPITOLIN, Pertinax, II.
[123] Les chrétiens pouvaient y être en majorité, ou du moins en grand nombre ; naturellement il n'est pas question d'une légion entière, comme la légion thébaine. L'envoi de troupes détachées était fréquent ; au siège de Jérusalem, les légions d'Égypte détachèrent 2.000 hommes. Guerre des Juifs, V, I, 6. En 154, l'empereur se trouvant en Orient envoya chercher du renfort. Inscr. Regn. Neap., n° 4937. Il craignait la guerre, qui n'éclata qu'à l'avènement de Marc-Aurèle. Alors nous avons un exemple tout à fait probant : Pub. Julius Geminus Marcianus, qui était à Vienne en 161, conduit en Cappadoce des troupes provenant du Danube et du Rhin. V. les Mélanges d'épigraphie, de M. RENIER (Paris, 1854), p. 114 et s.
[124] Hist. ecclés., V, V, 3.
[125] Corp. Apol., éd. Otto, vol. I, p. 246.
[126] Apologétique, V.
[127] Loc. cit., p 248.
[128] Loc. cit., p 248. — Cf. SPARTIEN, Ant. Car., III.
[129]
Loc. cit., p 248. Cf. WADDINGTON, Fastes,
§ 142.
[130] OVERBECK, Studien, p. 133, tendrait à attribuer le rescrit d'Antonin au règne de Marc-Aurèle, et la lettre de celui-ci au règne de l'un de ses successeurs. Nous pensons qu'une origine et une date communes conviennent aux deux.
[131] Cité au vol. IX du Corp. apol., p. 491.
[132] CAPITOLIN, Pertinax, II. Cf. DION CASSIUS, qui a connu l'un et l'autre, Ep., LXXIII, III.
[133] HÉRODIEN, II, IV. — CAPITOLIN, Pertinax, V.
[134] SPARTIEN, Didius, II.
[135] Hist. ecclés., V, V, 1.
[136] Loc. cit., p. 252. — TERTULLIEN lui-même interprétait d'une manière hésitante ces paroles, Apologétique, V.
[137]
VULGAT. GALLICAN., Vit. Cass., XIV.
[138] Corp. Apol., IX, p. 411.
[139] Leg. pro christ., I. — Ad Autolyc., III, XXX.
[140] ORIGÈNE, C. Celse, VIII, LXIX.
[141] Octavius, XII.
[142] Hist. ecclés., V, préambule, où Eusèbe parle d'après l'importante collection martyrologique qu'il avait réunie, et dont on ne saurait trop regretter la perte. Le texte suivant, c. I à IV, en est extrait.
[143] Leurs rapports restaient si étroits, que l'hérésie de Montait, qui prit naissance en Mysie sous le proconsulat de Gratus (172-173) (WADDINGTON, Fastes, § 151), comptait déjà des adhérents à Lyon trois ans après. Cf. Hist. ecclés., c. III, 4, et c. XVI, 7. Le premier intermédiaire entre l'Asie et la Gaule avait été Rom ; v. la lettre des martyrs au Pape, ibid., c. IV, 2. Celui-ci servait de diacre à saint Anicet, lorsque saint Polycarpe vint à Rome.
[144] Il faut noter qu'il n'avait aucune autorité sur Vienne, qui faisait partie de la province proconsulaire de la Narbonnaise.
[145] La lettre des fidèles contenait à la fin le catalogue des martyrs par catégories : ceux qui avaient été décapités, ceux qui avaient été jetés aux bêtes, ceux qui étaient morts en prison et ceux qui y étaient encore renfermés. Sans compter ces derniers, et outre les dix nommés dans le corps de la lettre, cette liste donne encore trente-huit noms qui se retrouvent dans GRÉGOIRE DE TOURS, De glor. mart., XLIX, et dans ADON, au 2 juin. On peut les contrôler par la compilation hiéronymienne (cinquième siècle) qui avait emprunté directement la liste à la collection d'EUSÈBE, Hist. ecclés., I. V, IV, 3.
[146] MOMBRITIUS, Vitæ Sanctorum (Milan, 1475-1480), t. I, p. 186.
[147] Loc. cit. Cf. Octavius, XI et XXXIV.
[148] Leg. pro christ., XXXVI, où il annonce son traité plutôt qu'il n'y renvoie.
[149] Les travaux techniques de M. Michel de Rossi se trouvent publiés dans la Roma sotterranea de son frère.
[150] MÉLITON, Corp. apol., t. IX, p. 410. Cf. la lettre déjà citée d'AVIDIUS CASSIUS.
[151] Le Triopium appartenait à Appia Annia Regilla, femme d'Hérode Atticus. Sur ce dernier, voir la thèse de M. VIDAL-LABLACHE, soutenue en 1871.
[152] M. DE ROSSI a trouvé au cimetière de Prétextat l'épitaphe d'un Septimius Prætextatus Cæcilianus, nom qui indiquerait un lien de parenté avec les Cæcilii. Bull., 1872, p. 48.
[153] Cette partie, la plus ancienne des actes, était très-altérée dans le texte donné par BOSIO, Hist. pas. s. Cœcil. (Rome, 1600), et reproduit par LADERCHI, Acta, etc. (Rome, 1722).
[154] Quel était ce préfet philosophe ? Les actes l'appellent Almachius. M. de Rossi, qui lit Amachius, pense que ce n'est qu'un surnom.
[155] Roma sott., t. II, préf., p. XXXV et s. C'est à ce volume de M. de Rossi que nous empruntons la plus grande partie de ce qui suit.
[156] Celui-ci, nous le savons par ses actes et par les itinéraires des pèlerins cités plus haut, fut enterré au cimetière de Prétextat, non loin de là ; les restes d'un temple païen du pagus Triopius portent depuis longtemps le nom de saint Urbain alla Caffarella.
[157] Le 22 novembre est l'anniversaire de la dédicace de la basilique du Transtevere. C'est le cardinal Sfondrate, titulaire de cette église, qui procéda à l'ouverture du tombeau. Le sculpteur Maderno mit au-dessus de la statue, aujourd'hui devant l'autel, l'inscription suivante : En tibi sanctissimæ virginis Cæciliæ imaginem quam ipse integram in sepulchro jacentem vidi, eamdem tibi prorsus eodem corporis situ hoc marmore expressi.
[158] BARONIUS, Ann. ecclés., ad. ann. 821,
§ VII-XIX.
[159] CAPITOLIN, Ant. Phil., XVII. Idem, Pert., VIII. Cf. les Actes : Subtus cilicio induta, desuper auratis vestibus tegebatur.
[160] M. DE RICHEMONT, Nouvelles Études sur les catacombes romaines, p. 264. L'auteur, dont le chapitre relatif à cette discussion est fort intéressant, signale, après le P. Tongiorgi, une peinture sur albâtre, du musée Kircher, qui reproduit sainte Cécile dans la pose où elle a été découverte et fournit un élément de comparaison pour la description des vêtements. Malheureusement nous n'avons pu en juger nous-même, le musée étant fermé au public depuis tantôt trois ans per ragioni amministrative.
[161] Adonis Martyrologium, éd. Giorgi (Rome, 1745), préface : Collecti undecumque passionum codices. — V. p. 588, ibid., la notice du 22 novembre.
[162] Revue du Monde catholique, 11 août 1877, p. 332. — Depuis que le livre de KEIM, Celsus' wahres Wort (Zurich, 1873), a fait son chemin outre-Rhin, il s'est produit un revirement d'opinion, et aujourd'hui plus d'un écrivain allemand n'hésite pas à mettre Marc-Aurèle au nombre des plus farouches persécuteurs. Cf. Rudolf HILGENFELD, dans son article sur les rapports de l'État romain avec le christianisme pendant les deux premiers siècles, Zeitschrift für wissenschaftliche Theologie, 1881, p. 325. Cf. M. DRAESEKE, dans les Jahrbücher für protestantische Theologie de la même année.
[163] Ad. Scap., III.
[164] Le grammairien païen Maxime de Madaure écrivait à SAINT AUGUSTIN, Ép. 16 : Quis enim ferat, quis ferat... cunctis præferri diis immortalibus archimartyrem Namphamonem ?
[165] Cf. la dernière lettre écrite par BORGHESI, au t. VIII de ses Œuvres, p. 614.
[166] Quem constat consulem ordinarium a CXCV fuisse, dit l'auteur bien méritant de la découverte, loc. cit., p. 4.11 est certain, an contraire, que ce Saturninus, ayant dit obtenir le consulat douze ou treize ans avant son proconsulat, et devenu aveugle peu après, 180, ne peut être le même que le consul ordinaire de 198 (non de 195), qui l'était d'ailleurs pour la première fois.
[167] A l'hypothèse d'un original latin proposée par M. l'abbé DUCHESNE, Bulletin critique, 1881, p. 280, nous préférons l'opinion de M. AUBÉ, dans son Étude sur un nouveau texte des actes des martyrs Scillitains (Paris, 1881), où l'on trouvera, du reste, réunis tons les éléments de comparaison que nous possédons, y compris un texte latin découvert par M. Aubé lui-même.
[168] Le manuscrit porte : Κελεστΐνον, probablement pour Καιλαιστΐνον, καί Λαιτάντιον.