ESSAI SUR LES RAPPORTS DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE AVEC L'ÉTAT ROMAIN PENDANT LES TROIS PREMIERS SIÈCLES

 

PREMIÈRE PARTIE. — RAPPORTS DES JUIFS ET DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE AVEC L'ÉTAT ROMAIN JUSQU'EN 96.

 

 

Le christianisme n'a pas eu Rome pour berceau : il est sorti des entrailles du judaïsme. De cette origine est résultée aux yeux des Romains la confusion des chrétiens avec les Juifs dans les premiers temps de l'Église. Nous avons donc d'abord à déterminer le moment où cette confusion cesse. Tel est l'objet de notre première partie, où nous suivrons pas à pas le développement extérieur du christianisme.

C'est en qualité de Juif que, dès sa naissance à Bethléhem, le divin Fondateur de l'Église eut affaire à l'État romain dans la personne de C. Sentius Saturninus, chargé d'opérer le recensement de la Palestine[1]. Saint Luc, dans son Évangile[2], place cette opération sous le gouvernement de P. Sulpicius Quirinius, qui fut légat propréteur de Syrie dès l'an 5 avant notre ère. Le même personnage gouverna une seconde fois cette province de l'an 6 à l'an 10 après Jésus-Christ[3], et à son entrée en charge, il établit un chevalier romain à la tête de l'administration de la Judée avec le titre de procurateur cum jure gladii. Il est facile dès lors d'entendre la pensée du Samaritain saint Justin, lorsqu'il dit à propos de Bethléhem, dans sa première Apologie à l'empereur Antonin[4] : C'est une bourgade du pays des Juifs, éloignée de trente-cinq stades de Jérusalem, dans laquelle est né Jésus-Christ, comme vous pouvez l'apprendre par les registres du cens confectionnés sous Quirinius, votre premier procurateur en Judée.

Le prompt accomplissement d'une formalité requise par le pouvoir romain avait donc marqué le premier pas de Jésus-Christ. La doctrine qu'il prêcha plus tard à ses disciples ne devait pas démentir ce présage. Mais telle n'était point l'attitude de la nation juive tout entière. Les pharisiens surtout se signalaient par leurs tendances anti-romaines, et, chose curieuse, c'est précisément au sujet de la formalité dont nous venons de parler que Josèphe nous les a dépeints : Il y avait, dit-il[5], une portion des Juifs qui se vantaient de leur exactitude à observer la loi de leurs pères, qui feignaient de jouir de la faveur divine, et ils avaient pour eux le inonde des femmes ; ce sont les pharisiens, gens très-capables de résister aux rois, pleins de circonspection, d'ailleurs cédant ouvertement au désir de lutter et de nuire. Alors que tout le peuple juif prêta serment de fidélité à l'empereur et au gouvernement du roi, ces hommes, au nombre de plus de six mille, refusèrent de jurer. Et l'historien rapporte qu'à cette occasion ils répandaient le bruit de l'avènement d'un roi prédit à l'avance, devant régner sur l'univers, et qu'Hérode inquiet fit périr tous ceux de sa maison qui avaient cru à leur parole[6]. Il est difficile de ne pas l'approcher ces différents faits des recherches que les mages provoquèrent dans les livres des prophètes au sujet du Messie, ainsi que du massacre des Innocents qui s'ensuivit[7].

Cependant Hérode était mort en avril, quatre ans avant notre ère ; son fils Archélaüs, confirmé, malgré les Juifs, par Auguste en Judée, y fut remplacé, dix ans après, comme nous l'avons vu, par un procurateur romain. Hérode Antipas, son frère, sut rester plus longtemps tétrarque de Galilée. Ce fut lui qui ordonna la décollation de saint Jean-Baptiste[8], populaire parmi les Juifs, quoique ennemi de l'astuce des pharisiens, et digne sous tous les rapports d'être appelé le précurseur du Christ. Cet Hérode le tétrarque, joua un rôle dans la Passion à Jérusalem, et fut plus tard, l'an 39 après Jésus-Christ, exilé par Caligula à Lyon avec sa femme Hérodiade : tous deux allèrent mourir en Espagne[9]. C'est aussi afin de plaire aux pharisiens qui avaient lapidé le diacre Étienne après la destitution de Pilate en l'an 36, qu' Hérode Agrippa Ier, arrivant de Rome où Claude venait de lui conférer le titre de roi, s'empressa de faire périr par le glaive saint Jacques le Majeur, frère de saint Jean et fils de Zébédée[10]. Il ne survécut que deux ans à sa victime. Les données assez détaillées de Josèphe, qui concordent du reste avec le récit des Actes[11], permettent de fixer sa mort à Césarée après le troisième anniversaire de l'avènement de Claude, janvier 41. Le jus gladii échappa alors aux Juifs par le rétablissement des procurateurs, et la persécution, d'abord forcée de suivre les voies légales, comme le remarque justement M. Wallon[12], s'en affranchit à la faveur d'un interrègne dans l'administration romaine, dont le grand prêtre Anan, sadducéen farouche nommé par Hérode Agrippa II[13], profita pour faire mourir en 62, avec quelques autres, saint Jacques le Mineur, évêque de Jérusalem et parent de Jésus-Christ. Josèphe et Hégésippe[14] rapportent qu'il fut lapidé, mais Hégésippe ajoute qu'il avait été précipité du haut du Temple ; ils s'accordent également sur son titre de Juste, et sur le mécontentement que sa mort causa chez une partie du peuple[15]. Les mécontents reçurent satisfaction lors de l'arrivée du procurateur Albinus, qui destitua le grand prêtre.

En effet, à l'origine, les gouverneurs de province ne devaient pas être mal disposés vis-à-vis des gens qui leur étaient dénoncés sous l'appellation de chrétiens. En 112, le légat propréteur de la province de Bithynie, Pline le Jeune, hésitait encore sur la conduite à tenir à leur égard. Mais en 53, époque vers laquelle saint Paul comparut à Corinthe devant le frère de Sénèque, Gallion, proconsul d'Achaïe, ce dernier refusa d'entendre les plaintes des Juifs, ses accusateurs, en se fondant sur ce qu'il n'avait commis ni délit, ni quasi-délit[16]. Pilate à Jérusalem n'avait pas fait d'autre constatation au sujet de Jésus-Christ[17], et s'il agit en contradiction avec ses paroles, c'est qu'il eut peur de la foule et craignit de se compromettre auprès de l'empereur. Il ne devait pas nécessairement être indifférent ou hostile, comme il a été dit récemment[18] ; il lui était permis de se montrer bienveillant, ainsi que le fit Festus envers le même saint Paul à Césarée[19].

Si les Romains subissaient partout plus on moins l'influence des Juifs[20], ceux-ci ne leur étaient pas tellement sympathiques qu'ils se crussent obligés d'épouser leurs querelles intestines. Ce peuple savait au besoin invoquer les édits[21] qu'à différentes reprises il avait fait renouveler par les empereurs, sans être pour cela à l'abri de leurs caprices. Ainsi Claude, dont Josèphe nous a conservé l'édit[22] rendu l'an 42 en faveur des Juifs d'Alexandrie, puis étendu à ceux de tout l'empire, n'en chassa pas moins les Juifs de Rome en 49.

Si nous considérons la teneur du décret impérial, nous y trouvons deux choses : 1° une simple tolérance, 2° une condition apportée à cette tolérance. Il est juste, disait-il, que les Juifs dans le monde entier soumis à nos ordres, gardent librement leurs usages nationaux ; je les avertis aussi par la même occasion de ne pas abuser de nia condescendance et de ne pas mépriser les croyances des autres peuples, mais de s'en tenir à leurs propres lois. Et il fondait sa décision sur l'exemple d'Auguste qui, en effet, avait permis à Rome l'établissement de synagogues. Philon[23] nous fait assister aux débuts de la communauté juive dans le Transtevere : La plupart des prisonniers de guerre amenés en Italie (après les guerres de Pompée), ayant été affranchis, étaient devenus citoyens romains ; ils avaient reçu de leurs maîtres la liberté, sans qu'on les forçât de renoncer à aucun des usages de leur pays. L'empereur savait qu'ils avaient des proseuques où ils se réunissaient, surtout les saints jours de sabbat, et faisaient publiquement profession de la religion de leurs pères ; il savait qu'ils recueillaient des prémices et envoyaient des sommes d'argent à Jérusalem, par des députés qui les offraient pour les sacrifices. Cependant il ne les chassa pas de Rouie, il ne les dépouilla pas du droit de citoyens ; il voulut que leurs institutions fuissent maintenues aussi bien dans ce pays qu'en Judée ; il ne fil aucune innovation coutre nos proseuques, il n'empêcha pas les assemblées où s'enseignent nos lois, il ne s'opposa pas à ce qu'on recueillit les prémices... Aussi tous les peuples de l'empire, même ceux qui nous étaient naturellement hostiles, se gardaient de toucher à la moindre de nos lois.

Ces Juifs, qui portaient le nom de libertini[24], avaient, nous le savons par saint Luc, une synagogue à Jérusalem. Dès l'origine, ils montrèrent avec ceux de Cyrène, d'Alexandrie et d'Asie Mineure[25], une hostilité particulière aux chrétiens de Jérusalem. La même hostilité accueillit les fidèles qui introduisirent le christianisme à Rome. C'est ce que nous conclurons légitimement en rapprochant un texte de Suétone d'un passage des Actes, qui fait mention de l'expulsion des Juifs par Claude[26], et nomme en particulier Aquila et sa femme Priscille que saint Paul rencontra à Corinthe. Dion Cassius assure, il est vrai, qu'à cause du nombre des Juifs, l'empereur se borna à interdire leurs réunions[27]. Nous pouvons admettre qu'un certain nombre seulement d'entre eux dut s'éloigner. Le témoignage de Suétone confirme d'ailleurs le dire des Actes et indique le motif de cette expulsion : Claude, dit-il[28], chassa de Rome les Juifs, parmi lesquels Chrestus excitait de fréquents tumultes. Dans ce Chrestus il est facile de reconnaître le nom défiguré des chrétiens. Les troubles causés par la prédication de l'Évangile dans la capitale de l'Empire avaient amené Claude à sortir de sa bienveillance habituelle.

S'il y avait déjà des chrétiens à Rome, moins de vingt ans après la mort de Jésus-Christ, quel messager leur avait apporté la bonne nouvelle ? Il est Lieu question de voyageurs romains juifs et prosélytes parmi les auditeurs de saint Pierre, le jour de la Pentecôte[29] ; mais ont-ils suffi à fonder une communauté chrétienne ? Les contemporains eux-mêmes ne le pensaient pas : car comment croire qui l'on n'a pas entendu ? et comment entendre sans un prédicateur ? et qui donc peut prêcher s'il n'est apôtre[30] ?

L'apôtre n'est pas saint Paul ; il n'arriva à Rome qu'en 61, et nous savons dans quelles circonstances. Son épître aux Romains, écrite de Corinthe en janvier ou février 58, constate que leur Église était, dès culte époque[31], pleine de foi, de perfection dans l'accomplissement des préceptes évangéliques, de soumission vis-à-vis de l'autorité religieuse. Saint Paul ajoute qu'il ne veut pas bâtir sur le fondement d'autrui[32], mais il ne nomme point celui qui a posé ce fondement. Était-ce saint Pierre ? La tradition universelle, très-ancienne (et qui ne se rattache à aucune légende), des vingt-cinq années de son pontificat[33], le ferait venir à Rome peu après l'avènement de Claude, 24 juin 41, s'il est vrai qu'il dut la palme du martyre à Néron, qui mourut le 9 juin 68. Les Actes, racontant sa mise en prison par Hérode Agrippa lors de l'arrivée de ce dernier à Jérusalem, disent seulement que, quand il fut miraculeusement délivré, il s'en alla dans un autre lieu[34] ; or, ce que nous savons d'ailleurs des dispositions très-favorables aux Juifs que Claude manifesta au début de son règne, nous permet d'adopter la fin de l'année 42 comme date probable de sa venue en Italie. Après avoir profité de l'édit de tolérance, il dut être atteint par l'ordonnance d'expulsion, et prendre, comme Aquila et Priscille en 49, le chemin de l'Orient.

Cette dispersion des Juifs nous ramène naturellement à Jérusalem, on les Actes montrent les apôtres réunis en l'an 50 pour trancher une question dont la solution s'imposait à ce moment. Il s'agissait de savoir dans quelle mesure la religion nouvelle devait se dégager des observances judaïques[35]. Les Juifs, en effet, avaient vu de mauvais œil les chrétiens de Jérusalem d'abord, et ceux de Rome ensuite, se montrer de plus en plus infidèles aux usages de leurs pères. La décision, qui fut prise sur l'avis de saint Pierre, délia en principe la doctrine nouvelle de ces usages, niais, accordant la liberté dans la pratique à la conscience de chacun, elle ne trancha pas bien des difficultés qui, en réalité, ne manquèrent pas de surgir. Nous avons le texte de la décision : saint Paul allait plus loin que la lettre, quand il permettait de manger de la chair immolée aux idoles à la seule condition de ne point causer de scandale[36]. Saint Pierre restait en deçà de l'esprit, lorsqu'à Antioche il se relira d'avec les gentils par crainte des réflexions de quelques chrétiens circoncis[37]. Tous deux faisaient ainsi usage de la liberté, mais les, Juifs regardaient surtout la première partie de la décision : la communauté chrétienne s'était affranchie de la loi ; elle était désormais une ennemie qu'il fallait poursuivre à outrance.

C'est contre saint Paul que furent dirigés les premiers coups, et, chose curieuse, contre saint Paul usant de la liberté pour accomplir une observance légale. Il revenait en effet de Corinthe pour un vœu de naziréat, lorsque les Juifs l'attaquèrent dans le temple. Il ne leur échappa que par les vigoureux efforts du tribun Lysias, chef du détachement romain à la tour Antonia. Il fut envoyé au procurateur Félix, résidant à Césarée, qui le retint deux ans prisonnier, espérant en tirer de l'argent. Le successeur de ce dernier, Porcins Festus, arriva dans l'été de l'année 60, et, dès son arrivée, les Juifs l'importunèrent pour qu'il prononçât la condamnation à mort de l'apôtre ; alors celui-ci, citoyen romain, en appela à César. Cependant Festus ne comprenait rien à l'accusation portée contre saint Paul et ne savait quel rapport joindre à l'appel[38]. Il écouta avec une curiosité étonnée sa défense débitée pour la forme en présence du dernier roi de la dynastie iduméenne, Hérode Agrippa II[39], et de la célèbre Bérénice, et dut en somme mettre une note favorable, qui fit acquitter le prévenu, lorsque, deux ans après son arrivée à Rome, 61-63, vint le tour de son jugement.

L'empereur en eut-il connaissance ? Savait-il ce que c'était que les chrétiens ? La séparation, clairement faite aux yeux îles Juifs, existait-elle déjà pour l'État romain ? Cette question est capitale, parce que si les chrétiens formaient purement une secte judaïque, ils avaient une situation légale, nous l'avons vu plus haut ; si, au contraire, ils étaient les adeptes d'une religion nouvelle, leurs rapports avec l'autorité devenaient tout différents, et quelle que fut l'attitude du gouvernement à leur égard, une chose est néanmoins hors de cloute, ils n'étaient plus garantis par l'immunité juive. De fait, la solution paraît aussi complexe que controversée, et nous nous trouvons en face des opinions les plus diverses, quant à l'époque de la distinction et à ses conséquences.

Si nous prenons les écrivains allemands, par exemple, il est difficile de rencontrer deux systèmes plus opposés que celui du Dr Overbeck[40] dans sa dissertation sur les édits des empereurs romains contre les chrétiens depuis Trajan jusqu'à Marc-Aurèle, et celui du Dr Wieseler[41] dans son examen chronologique et historique des persécutions des chrétiens par les Césars jusqu'au troisième siècle. Ce dernier système se résume dans les trois points suivants : 1° déjà lors du jugement de saint Paul, la communauté chrétienne, connue du gouvernement impérial, tombait sous le coup de la loi des associations et de la loi de majesté ; 2° un édit de Domitien en aurait ordonné contre elle l'application ; 3° depuis Trajan et sous les Antonins sa situation légale se serait améliorée.

Overbeck, au contraire, voit les chrétiens confondus avec les Juifs aux yeux des Romains, même après la prise de Jérusalem par Titus ; à son avis, les persécutions de Néron et de Domitien ont un caractère purement accidentel et local ; la persécution légale ne commence qu'avec Trajan. M. Aubé est du même sentiment dans la conclusion de son Histoire des persécutions, page 393 ; cependant, il adopte successivement les deux opinions dans le corps de l'ouvrage. Il n'admet pas, page 189, que les accusations de lèse-majesté, de sacrilège, de magie, d'association illicite, etc., fussent applicables aux chrétiens. S'il en était ainsi, dit-il, on ne comprend guère qu'un seul chrétien ait survécu dans l'empire. Mais il admet, page 340, que les textes de la loi de majesté (lex Julia majestatis), de la loi de veneficiis, de la loi contre les conjurations, de la loi contre les auteurs des tumultes populaires et de tant d'autres encore dans la forêt touffue de la législation pénale des Romains, pouvaient être directement ou indirectement tournés contre les chrétiens. M. Gaston Boissier, qui fait ressortir cette contradiction, penche pour la dernière thèse, qui est celle de N. Edmond Le Blant[42], et de plus, il donne raison aux écrivains ecclésiastiques qui affirment que Néron et Domitien publièrent contre le christianisme des édits de proscription[43] ; ce qui implique une distinction absolue d'avec le judaïsme. Il oppose à bon droit ceux qui veulent la date de 68 pour l'Apocalypse, on il est question de martyrs en Orient, à ceux qui ne veulent pas que la persécution de Néron se suit étendue en dehors de Rome : deux propositions également chères à M. Aubé, qui, sur la dernière en particulier, a prétendu perfectionner l'opinion de M. de Rossi lui-même[44]. Quant au savant archéologue romain, en rendant compte du Mémoire de son collègue, M. Le Blant, sur les bases juridiques des poursuites dirigées contre les martyrs[45], il s'est vu forcé de n'en accepter les conclusions que sous bénéfice d'inventaire[46], toutes ses découvert.5 aboutissant à un résultat quelque peu différent. C'est sur les données de l'archéologie mises par lui en si vive lumière qu'il s'appuie naturellement. Tous ceux qui connaissent la longue carrière fournie dans la science par M. de Rossi comprendront que non-seulement son témoignage vaut la peine d'être discuté, mais encore qu'il ne salirait être infirmé par de simples points d'interrogation. L'étude des antiquités chrétiennes[47] lui a donc permis de constater une période de confiance et de sécurité assez longue pour n'admettre d'autre explication qu'une confusion persistante aux yeux du gouvernement, et par suite, la participation dans une certaine mesure aux privilèges de la synagogue[48]. Les protestations des Juifs ne réussissaient pas encore à en exclure complètement les chrétiens. Ce motif, joint peut-être à d'autres considérations, contribua à l'acquittement de saint Paul. Son appel, nous l'avons vu, le conduisait devant le conseil du prince[49], qui se composait de sénateurs pris parmi les amis de l'empereur et des deux consuls en charge. A ce conseil appartenait certainement Sénèque, l'ancien précepteur de Néron, le frère de celui qui avait refusé de juger l'apôtre à Corinthe.

C'était du reste au célèbre collègue de Sénèque, Burrhus, préfet du prétoire, que saint Paul dès son arrivée avait été remis par le centurion qui l'accompagnait depuis la Palestine[50] ; ce que lui-même confirme dans son épître aux Philippiens, lorsqu'il dit que ses chaînes étaient devenues une manifestation pour le Christ dans le prétoire entier et aux yeux de tous[51].

La confiance avec laquelle il annonce à ses correspondants sa visite prochaine, l'interruption soudaine du livre des Actes qu'un départ seul explique d'une manière satisfaisante, enfin les conditions mêmes de l'affaire, tout fait présumer une solution favorable à laquelle ne dut pas rester étrangère la bienveillance de Sénèque[52]. Mieux qu'un autre, il pouvait distinguer Paul d'un Juif ordinaire. Depuis longtemps, en effet, il était an courant des doctrines et des lisages des Hébreux. Pendant sa jeunesse à Alexandrie, il avait failli être confondu avec eux[53]. Plus lard dans un passage de ses traités perdus[54], il reprenait, entre autres superstitions sociales, les rites mosaïques et surtout le sabbat dont il établissait l'inutilité sur ce que, revenant tous les sept jours, il faisait perdre la septième partie de la vie à d'Amer, et que bien des choses pressantes pour le temps souffraient de cette inaction.

Mais Sénèque faisait exception à la plupart des hommes de son temps. Quand nous voyons les absurdités racontées par Tacite sur les Juifs, au début du cinquième livre de ses Histoires, on peut s'imaginer facilement combien l'opinion publique devait à phis forte raison être peu au courant de ce qui concernait les fidèles. Suétone n'avait que des renseignements défavorables sur leur compte, lorsqu'il écrivait an commencement du deuxième siècle, et Pline à la même époque s'éloignait du Forum romain, emportant une appréciation analogue du nom chrétien, et de la réputation qui y était attachée. Ce qu'il nous apprend de plus, il l'a entendu depuis en interrogeant les chrétiens de Bithynie. Quant à Tacite, l'information précise qu'il a recueillie sur l'origine du christianisme semble extraite de quelque rapport administratif concernant la Judée et déposé aux archives de l'empire : elle porte que l'auteur du nom chrétien avait été condamné à mort sous Tibère par le procurateur Ponce-Pilate[55]. Ces simples détails, combien peu de beaux esprits ou de lettrés les connaissaient en l'an 64, ainsi que le remarque avec raison M. Aubé[56] ! Cependant, ce sera pendant bien longtemps, aux yeux des païens, le plus clair de l'histoire du christianisme, et si l'on considère l'importance de la chose jugée en droit romain, on ne pourra s'empêcher d'être frappé de l'influence qu'une pareille mention a dû exercer sur la situation légale de la secte nouvelle[57]. Un des derniers actes de l'État persécuteur a précisément consisté à refaire calomnieusement l'histoire du procès de Jésus-Christ par Pilate, afin d'exciter les populations contre l'Église chrétienne[58].

Néron ne demanda pas tant d'informations lorsque l'opinion l'accusa du grand incendie de Rome en 64. Il avait pu être le seul de son palais à ne pas voir saint Paul, car, bien que celui-ci eût converti des gens de la maison de César[59], ce n'était pas une raison pour que César le connût ; il arrive le plus souvent aux princes d'ignorer ce qui se passe auprès d'eux. Le vulgaire, plus avancé que les lettrés, était parvenu à distinguer nettement les Juifs des chrétiens ; il n'avait pas tardé à frapper d'une note infamante ces gens d'une détestable réputation, comme parle Tacite, et qu'il connaissait par leur vrai nom ; aussi est-cc dans ses rapports avec le bas peuple que Néron apprit à les distinguer à son tour. Il les considérait comme des maudits avant de les traiter comme des coupables, et il n'eut pas de peine à les sacrifier, lorsqu'il lui fallut des victimes.

Mais comment, à une date si reculée, et parmi les deux millions d'habitants de la ville de Rome, mit-on la main sur un grand nombre de chrétiens[60] ?

Les recherches de la police n'auraient pas été si fructueuses, si elles n'eussent été secondées par la vieille haine des Juifs. Grâce à l'impératrice Poppée[61], ils avaient l'oreille de l'empereur, et longtemps après que l'incendie fut éteint, ils purent encore, sous le prétexte de christianisme, satisfaire leurs rancunes.

Prenons les nobles exemples de notre temps, dit le plus ancien document qui subsiste relativement à la persécution de Néron[62], c'est par la jalousie et par l'envie que ces hommes très-grands et très justes, les colonnes (de l'Église), ont été persécutés et ont eu à lutter jusqu'à la mort. Considérons les généreux apôtres : Pierre, à qui une injuste jalousie a imposé non pas une ou deux, mais beaucoup d'épreuves, et qui, après avoir ainsi rendu témoignage, s'en est allé à la place qu'il avait méritée dans la gloire. C'est par suite de la jalousie et de la contradiction que Paul a remporté la palme de la patience ; sept emprisonnements, les expulsions, la lapidation, son apostolat en Orient comme en Occident, ont valu à sa foi une renommée illustre ; ayant prêché la justice au monde entier, pénétré jusqu'à l'extrémité de l'Occident, rendu témoignage devant les magistrats, et étant ainsi sorti du monde, il s'en est allé dans le lieu saint, idéal accompli du courage patient. A ces hommes d'une conduite si vertueuse furent adjoints un grand nombre d'élus qui endurèrent, à cause (le la jalousie, des supplices et des tourments nombreux, et laissèrent un magnifique exemple parmi nous. A cause de la jalousie, on vit des femmes subir le traitement de Danaïdes et de Dircés, soumises à d'atroces et d'abominables outrages, et, après avoir parcouru d'un pas assuré le stade de la foi, obtenir, si frêles que fussent leurs corps, une glorieuse récompense. La jalousie a aliéné des épouses à leurs maris et a démenti la parole de notre père Adam : Voici la chair de ma chair et l'os de mes os. La jalousie et la contradiction ont renversé de grandes villes et détruit de grands peuples. Nous vous écrivons ces choses, frères bien-aimés, non-seulement pour vous faire réfléchir, mais aussi pour réveiller nos propres souvenirs, car nous nous trouvons dans la même arène, et le même combat nous est proposé.

Quelle était cette jalousie dont saint Clément de Rome parlait aux Corinthiens[63] ? Évidemment c'était celle des Juifs ; eux seuls, comme on le voit par les Actes et les Épîtres, ont ainsi maltraité saint Paul[64]. Voltaire les soupçonne même d'avoir fourni à l'accusation d'incendie la direction qu'elle prit en effet, et il ajoute[65] : Il était aussi injuste d'imputer cet accident aux chrétiens qu'à l'empereur ; ni lui, ni les chrétiens, ni les Juifs n'avaient intérêt à brûler Rome ; mais il fallait apaiser le peuple qui se soulevait contre des étrangers également haïs des Romains et des Juifs. On abandonna quelques infortunés à la vengeance publique. Il semble qu'on n'aurait pas dû compter parmi les persécutions faites à leur foi cette violence passagère. Elle n'avait rien de commun avec leur religion qu'on ne connaissait pas et que les Romains confondaient avec le judaïsme, protégé par les lois autant que méprisé.

Ce jugement, qui repose sur un fond de vérité, se ressent de la legè1-été de l'auteur, et trahit une préoccupation insolite chez lui, celle de prendre la défense du bourreau contre les victimes ; mais Tacite est ici d'accord avec saint Clément pour le rectifier. Les exécutions, dit-il, étaient accompagnées de divertissements[66] : on couvrait les uns de peaux de bêtes afin de les faire dévorer par des chiens, d'autres étaient mis en croix, d'autres enfin étaient rendus inflammables, et, à la fin du jour, devaient brûler pour éclairer la nuit. Néron avait ouvert ses jardins pour cette représentation, et il donnait des jeux dans le cirque (voisin)[67], où, vêtu en cocher, il se mêlait à la foule ou se tenait sur son char. Si bien que ces criminels, qui méritaient les derniers châtiments, ne laissaient pas d'exciter la pitié, comme si c'était moins en vue du bien général que par la fantaisie sanguinaire d'un seul qu'on les exterminait. Voilà pour la part personnelle de l'empereur ; niais Voltaire a raison de ne pas lui attribuer toute la responsabilité, car de même que la jalousie des pharisiens de Jérusalem avait trouvé un complice dans le faible Pilate, de même la jalousie de la synagogue de Rome trouva un complice dans le cruel Néron, et les Juifs ont, selon l'énergique expression de Bossuet[68], immolé saint Pierre et saint Paul par le glaive et les mains des gentils.

Cependant les disciples français et allemands de l'école de Baur voudraient que ce fût saint Pierre, ou son parti, qui eût immolé saint Paul. En effet, d'après eux, la communauté chrétienne fondée à Rome resta à l'origine attachée aux pratiques judaïques, et lorsque l'apôtre saint Paul y vint plus tard prêcher l'affranchissement de la loi, il y trouva des ennemis aussi acharnés qu'à Jérusalem. Partout où le roman démenti !' montre Simon le Magicien poursuivi par saint Pierre, ces critiques veulent substituer le nom de saint Paul[69]. Du reste, ils ont soin de couronner leur système par une réconciliation posthume des deux apôtres. Mais, en 58, saint Paul, écrivant aux Romains, s'adressait à des chrétiens qui, sans l'avoir jamais vu, étaient eu parfaite communion d'idées avec lui. Eu 62, il se plaint que quelques-uns profitent de sa captivité pour prêcher l'Évangile par esprit de contestation, niais pourquoi ferait-il là allusion à saint Pierre plutôt qu'à des prédicateurs sans mission[70], connue ceux qui avaient troublé naguère l'Église d'Antioche ? D'ailleurs, le témoignage de saint Clément, ainsi que le fait remarquer M. l'abbé Duchesne[71], est décisif, puisqu'il nous montre saint Paul comme saint Pierre victimes de la même jalousie.

Furent-ils enveloppés tous deux dans le massacre qui suivit immédiatement l'incendie ? M. Aubé se croit forcé de l'admettre[72], à cause du texte que nous avons cité. C'est tirer une conclusion trop rigoureuse d'un simple rapprochement dans une énumération démonstrative. Le même texte, au contraire, nous oblige à retarder le martyre de saint Paul, car il affirme expressément le voyage en Espagne[73], dont l'apôtre formait déjà le projet dans l'Épître aux Romains[74], et qui ne peut se placer qu'à la fin de sa première captivité. Nous avons vu aussi qu'il se proposait de retourner en Macédoine dès qu'il serait libéré, et tout donne à penser qu'il était absent de Rome en 64. Lorsqu'il revint, peut-être deux ans après, il suffisait qu'il y eût encore des Juifs dans le Transtevere pour qu'il y trouve des accusateurs.

Quant à saint Pierre, une ancienne tradition, remontant au moins à la fin du deuxième siècle, puisqu'elle est mentionnée par Origène[75], le représente s'éloignant de la ville pendant la persécution, et ramené, par la vision de Jésus portant sa croix, à la mort qui lui était réservée. Cc qu'il y a d'incontestable, c'est sa présence dans la capitale de l'empire, puisque son martyre était de ceux dont, à peine trente ans plus tard, l'Église de Rome se glorifiait, tandis que jamais aucune autre église, même rivale, n'a seulement songé à le revendiquer. Ainsi il est fait, sans indication de lieu, allusion à son genre de supplice dans l'Évangile de saint Jean[76] rédigé à Éphèse, centre de la tradition asiatique. La tradition syrienne, par la bouche de saint Ignace, évêque d'Antioche, de la ville où, comme le remarque M. Aubé, saint Pierre apparaît pour la dernière fois dans l'histoire, place cet apôtre à côté de saint Paul à Rome[77]. Saint Denys, évêque de Corinthe, dans sa lettre au pape Soter, vers 170, ne les sépare pas davantage[78]. Enfin saint Irénée, évêque de Lyon, en 180, insiste sur ce qu'ils sont tous deux les fondateurs du siège même de l'orthodoxie[79].

Depuis, le consentement universel n'a pas été interrompu, et toujours, comme au temps de Caïus[80], les tombeaux de saint Pierre et saint Paul sont restés la barrière (ad limina apostolorum) contre laquelle viennent se heurter toutes les hérésies, grâce à la fidélité de l'Église romaine à conserver la mémoire du magnifique exemple laissé chez elle par la prédication et le martyre de ses apôtres[81].

Nul doute que les événements qui suivirent le désastre du 19 juillet 61 n'aient eu un grand retentissement dans tout l'Empire ; mais n'eurent-ils pas aussi des conséquences plus durables ? Voyons si leur contrecoup ne devait pas continuer à faire des victimes. M. Aubé admet qu'ils furent d'un exemple fâcheux à l'égard des provinces, sans toutefois créer un précédent de droit : En fait, dit-il, dans l'Asie proconsulaire[82], le sang des chrétiens fut largement répandu, mais il se refuse à imaginer des décrets spéciaux émanés du pouvoir central. Cependant, d'après le même auteur, Néron avait comme décrété la culpabilité des chrétiens de la capitale, et l'incendie de Rome lui fut un prétexte de sévir administrativement[83].

L'opinion d'Overbeck est plus catégorique. Selon lui, l'entreprise de Néron contre les chrétiens a été entièrement localisée dans son origine et dans ses limites, et ne décide absolument rien par elle-même quant à la situation qui sera faite désormais au christianisme dans l'Empire[84].

Il s'autorise de Tertullien pour restreindre à Rome la persécution ; mais dans le passage qu'il cite, les martyrs de cette ville sont simplement opposés à ceux de Jérusalem[85], et là, comme dans un autre passage, Tertullien tient surtout à invoquer la foi des historiens profanes qui avaient mentionné les événements dont la capitale avait été le théâtre. S'il ne fallait pas s'interdire de demander au fougueux Africain une trop grande précision, celui-ci semblerait, au contraire, croire à une proscription aussi générale que le comportait l'application des lois existantes. Tel est aussi, comme nous l'avons dit, le système de Wieseler[86], qui estime que déjà, à cette époque, les chrétiens formaient aux yeux de l'État une société distincte. Il s'appuie sur le texte de Suétone, lequel rapporte la répression de leur secte nouvelle et malfaisante[87] ; toutefois, les termes dont se sert l'historien latin n'autorisent pas à la classer, comme voudrait l'auteur allemand, parmi les associations non reconnues, niais la font plutôt rentrer dans le nombre des religions étrangères, qui depuis longtemps pullulaient à Rome, et qui, eu effet, avaient été l'objet de lois très-sévères[88].

Pour se rendre compte de la rigueur avec laquelle on appliquait ces lois, à l'époque où nous sommes, nous ne pouvons, ce semble, mieux faire que d'examiner un procès intenté peu de temps auparavant, et qui portait précisément sur ce chef d'accusation.

Nous savons par Tacite[89] qu'une femme de rang sénatorial, Pomponia Græcina, mariée au vainqueur de la Grande-Bretagne, T. Aulus Plautius, fut dénoncée comme professant un culte étranger et remise, suivant l'antique usage, au jugement de son mari assisté de ses proches. Sa réputation, sa lie étaient en jeu ; mais elle fut acquittée. Ceci se passait en l'année 58. Cette Pomponia vécut, au dire du même historien, dans une perpétuelle mélancolie jusqu'en 84. Pendant quarante ans, depuis la mort de Julie, fille de Drusus, elle n'avait point quitté son air de tristesse et ses vêtements de deuil[90]. De telles manières, jointes à des pratiques religieuses, ont été souvent considérées, jusque dans ces derniers temps, comme un indice de christianisme[91]. Mais cet indice, M. Aubé demande pour qu'il prenne cité dans l'histoire et ait la valeur d'un fait[92], autre chose que les quelques lignes de Tacite. Ses vœux sont remplis par la découverte au cimetière de Calliste de l'inscription chrétienne d'un ΠΟΜΠΩΝΙΟΣ ΓΡΗΚΕΙΝΟΣ[93]. Le voisinage d'autres épitaphes, tant païennes que chrétiennes, de Pomponii Bassi, et de Cœcilii, et d'Attici, qui étaient alliés aux Pomponii, donne de la force à l'hypothèse, antérieurement proposée sous toutes réserves[94] par M. de Rossi, d'après laquelle le surnom de Lucine, attaché à la propriétaire du terrain où le cimetière fut creusé sur la voie Appienne, aurait été reçu au baptême (φώτισμα[95], illumination) par Pomponia Grœcina. Sectatrice d'Isis et de Sérapis, Pomponia n'eût guère inspiré les soupçons. La dénonciation dont elle fut l'objet, et qui ne semble pas, à en croire Tacite, provenir de la famille, non plus que du mari[96], ainsi que le fait s'est présenté cent ans après, du temps de saint Justin, a pu être l'œuvre de quelque affranchi juif irrité de sa conversion. Aussi croyons-nous devoir rapprocher le texte cité plus haut, où saint Clément[97], parlant des fâcheux effets de la jalousie des Juifs, signale le trouble qu'elle avait causé dans certaines familles, en aliénant, dit-il, des épouses à leurs maris. Quoi qu'il en soit, Pomponia Grœcina sortit indemne de son procès. Pourquoi fut-elle acquittée ? Comme la suite nous montre bien qu'elle ne changea pas de vie, il paraît que Plautius ne trouva pas la conduite de sa femme coupable ; telle n'eût pas été sa sentence, si les anciennes lois contre les cultes étrangers avaient conservé toute leur vigueur, et rien n'indique que Néron les ait jamais fait revivre.

Mais, à défaut de textes spéciaux, comme dans cette circonstance le gouvernement romain avait à son service cette arme de tous les gouvernements, la raison d'État, que Tacite nomme utilitas publica, Wieseler croit trouver dans les paroles de l'historien un nouvel argument en sa faveur, lorsque celui-ci impute aux chrétiens, non des actes définis par une loi, mais des crimes compromettant l'ordre public, entre autres le flagrant délit de haine du genre humain[98]. Ce dernier grief ne leur est cependant pas particulier, et après saint Paul, Tacite l'avait déjà dénoncé ailleurs, comme caractéristique des Juifs[99]. Aussi n'y a-t-il là qu'une preuve de la confusion des tendances juives et chrétiennes dans l'idée de la plupart des contemporains. Seulement, comme pour l'instant on faisait moins des procès de tendances que des exécutions sommaires, les Juifs avaient une garantie individuelle qu'eux seuls pouvaient invoquer, leur nom même reconnu par l'autorité, et nulle part on ne voit qu'ils aient été impliqués dans les supplices des chrétiens. Les chrétiens, eux, n'avaient aucune qualification légale, ni bonne ni mauvaise, a l'origine. Lorsqu'ils furent poursuivis, la procédure, d'après Tacite, se borna à obtenir un aveu ; après tout, on ne leur demanda ni s'ils avaient brûlé Rouie, ni s'ils haïssaient le genre humain, mais simplement s'ils étaient chrétiens. Fatebantur, voilà leur crime fondé sur le caprice cruel du prince et les calomnies perfides des Juifs. Ces calomnies et ce caprice cessèrent-ils avec l'occasion qui leur avait servi de prétexte ? Ainsi se pose en résumé la question. D'abord, il serait inouï qu'il n'en fût pas resté quelque chose. Ensuite, Suétone ne rattache nullement la persécution des chrétiens à l'incendie de Rome ; il en parle, au contraire, parmi les institutions du règne de Néron, et Ruinart a raison d'insister sur ce point[100]. D'un autre côté, Sulpice Sévère, qui, à la fin du quatrième siècle, se servait d'un exemplaire complet de Tacite, après le passage relatif aux supplices où il le copie[101], ajoute : Hoc initio in christianos sœviri cœptum. Post etiam datis legibus religio vetabatur : palamque edictis propositis, christianum esse non licceat. Tum Paulus ac Petrus capitis damnati ; quorum uni cervix gladio desecta, Petrus in crucem sublatus est[102].

Il est difficile de comprendre ce texte, avec Overbeck, comme séparant la persécution de Néron de celles de ses successeurs. Le sens obvie est que les exécutions, ordonnées d'abord arbitrairement par l'Empereur, s'effectuèrent ensuite d'après un ordre constant, et qu'à cette seconde période appartient la mort de saint Pierre et de saint Paul. Nous ne prétendons pas que les apôtres fussent nommés dans Tacite ; mais nous voulons faire remarquer que si Sulpice Sévère parle d'une mesure plus générale, rien ne nous prouve qu'il n'a pas emprunté ce renseignement à l'historien profane[103], car depuis le milieu de l'année 67 jusqu'au 9 juin 68 les manuscrits des Annales nous font défaut. Étant admis que le mot d'édit est impropre en cette occasion, encore faut-il savoir jusqu'où pouvaient s'étendre les mesures administratives, et si la police impériale n'avait aucune ramifications en dehors de la circonscription urbaine[104]. Or du préfet du prétoire dépendaient des agents secrets dans tout l'empire[105] ; c'était un instrument tout indiqué contre les chrétiens. ll fut naturellement mis en action là surtout où ceux-ci étaient plus nombreux, en Asie, par exemple. A quelle marque devait-on reconnaître ces coupables signalés aux recherches ? Il n'y en avait qu'une, le nom même qu'ils se donnaient. Paul Orose, malgré son exagération notoire, ne semble pas s'éloigner de la vérité lorsqu'il fait porter la persécution sur le nom chrétien[106]. Et c'est ce qu'exprime naïvement Hermas quand, désignant dans une de ses visions les martyrs, il demande[107] : Qu'ont-ils eu à supporter ? Écoute, lui est-il répondu : le fouet, la prison, les tribulations les plus grandes, la croix, les bêtes féroces, voilà ce qu'ils ont souffert à cause du nom ; voilà pourquoi la droite leur appartient dans la gloire, à eux et à quiconque souffrira à cause du nom ; la gauche est pour les autres.

Les disciples, du reste, en avaient été prévenus par leur Maître[108] : Alors vous serez livrés à la tribulation, et ils vous tueront, et tous les peuples vous haïront à cause de mon nom. Ce nom s'est retrouvé sur une muraille à Pompéi, où il n'était assurément pas pris en bonne part[109] ; malheureusement le reste du graffito n'a pu être déchiffré d'une manière certaine[110]. On a fait un crime à M. de Rossi de voir, par conjecture, dans cette première mention des chrétiens par une main païenne, un écho de la persécution de Néron[111]. Cependant l'Italie, qui n'avait pas de gouverneur, n'était pas soumise à un autre régime que celui de Roule, et l'on sait que l'Empereur fréquentait en particulier les bords du golfe de Naples. D'ailleurs, la présence constatée à Pompéi d'une synagogue influente[112] est très-apte à expliquer cette hostilité. M. Aubé est d'avis, il est vrai, que les Juifs n'ont eu le pouvoir, ni peut-être même le dessein d'attirer le mépris et l'exécration publique sur les chrétiens[113]. Mais saint Justin affirme le contraire quand il leur reproche d'avoir envoyé de Jérusalem des messagers par toute la terre, chargés de répéter que la secte chrétienne était ennemie des dieux, et d'avoir mis eu circulation les accusations que reproduisaient contre ses membres tous ceux qui ne la connaissaient pas ; il les rend ainsi responsables, non-seulement de leur propre injustice, mais encore de celle des autres hommes, et leur applique cette parole tirée d'Isaïe : C'est par vous que mon nom est blasphémé chez les gentils[114]. À son tour Tertullien, s'adressant aux gentils de son temps, leur cite un exemple tout récent de ces calomnies dont la race des Juifs, dit-il, est la pépinière[115].

Pour résumer en quelques mots l'impression que nous laisse la persécution de Néron, nous répéterons que les Juifs ont désigné eux-mêmes à l'Empereur les victimes sur lesquelles il devait exercer sa cruauté, sans que le monde officiel eût encore appris à reconnaître dans les chrétiens autre chose qu'une secte juive mal vue de leurs coreligionnaires. Les dernières luttes du peuple d'Israël et les relations qui naquirent de là entre les vainqueurs et les vaincus laissèrent apparaître plus nettement la distinction, qui ne fut complète que sous Domitien. Mais, outre la prise de Jérusalem par Titus, nous avons à noter deux circonstances importantes pour le christianisme, le changement de dynastie dans la personne de Vespasien, et la conversion à la foi nouvelle de plusieurs membres de sa famille. Prenons ces trois faits dans leur ordre chronologique.

L'année 69 avait vu la mort des trois augustes Galba, Othon, Vitellius, et dans la prise du Capitole qui précéda la fin de ce dernier, 18-20 décembre, périt aussi le préfet de Rome, T. Flavius Sabinus, qui se trouvait avoir déjà occupé la même charge, lors du grand incendie de 64. Tacite nous le dépeint comme un homme doux, ennemi des exécutions et des meurtres ; à la fin de sa vie, dit-il, quelques-uns le crurent sans courage, le plus grand nombre, modéré et ménager du sang des citoyens[116]. Un tel homme ne paraissait pas fait pour s'acharner à la persécution, si d'ailleurs elle n'avait été interrompue par les troubles politiques. Il est remarquable que nous allons rencontrer des chrétiens parmi ses descendants, tandis que le chef de la seconde branche flavienne, sou propre frère Vespasien, va monter sur le trône.

Tacite[117], Suétone[118], le juif Josèphe, qui justifie son nom de Flavius[119], s'entendent pour montrer dans cet événement la réalisation de la croyance répandue alors en Orient que des hommes partis de la Judée devaient conquérir le inonde. En ce temps de compétition politique, les aspirants au pouvoir étaient heureux de faire tourner à leur profit les bruits populaires. Ainsi ne faut-il pas s'étonner que Vespasien, encore simple général, ait rendu hommage à un culte local en allant sacrifier sur l'autel du mont Carmel[120] au moment où il était chargé de châtier les Juifs révoltés. Il quitta bientôt l'armée pour prendre possession du pouvoir, et ses flatteurs crurent donner raison à l'oracle. En partant, il laissait à son fils le commandement de cette guerre, qui favorisa indirectement l'Église chrétienne par l'anéantissement de la nationalité juive.

Ce fut dans l'automne de 70 que Titus s'empara de Jérusalem. M. Léon Renier[121] nous a présenté, d'après Josèphe et les inscriptions, les officiers qui assistèrent au conseil de guerre tenu devant cette ville au moment de livrer le dernier assaut. Sulpice Sévère[122], reproduisant un passage de Tacite que l'on dirait composé sur les notes d'Antoninus Julianus[123], aide de camp de Titus, attribue à ce dernier l'avis de la destruction du temple pour frapper plus au cœur les sectes juive et chrétienne. A ses yeux, en effet, celle-ci était un rejeton de celle-là, et le coup porté à la racine serait mortel au tronc. La distinction légalement définie des deux religions n'existait donc pas encore ; cependant leur antipathie était connue sans qu'on crût devoir en tenir compte. De même qu'elles avaient paru associées dans la haine du genre humain, de même Titus prétendait les confondre dans la révolte, et par suite dans le châtiment. Il se trompait pour les chrétiens, à la foi desquels il rendit sans s'en douter un éclatant témoignage, et qui d'ailleurs ne se trouvaient plus à Jérusalem[124]. Les troubles et les schismes qui déchiraient cette ville, prédits par Notre-Seigneur[125], avaient été pour eux le signal de la retraite dès 68. C'est un fait curieux que l'émigration de l'Église de sain t Jacques, ou plutôt de saint Siméon, son successeur, à Pella au delà du Jourdain[126]. Déjà son développement à l'ombre du temple lui avait imprimé un caractère particulier et l'avait singularisée pour ainsi dire entre les autres Églises ; ses membres, continuant à se recruter parmi les Juifs de naissance et d'observance, joignaient à une certaine fierté d'origine l'esprit exclusif de leur race, même vis-à-vis des fidèles, dont ils furent souvent distingués par l'appellation de Nazaréens[127]. Tandis que saint Siméon, suivi de quelques-uns, rentrait dans Jérusalem dévastée, les autres se transportèrent à Kochaba, au royaume d'Agrippa II, et l'éloignement ne fit qu'accroitre ces tendances. Toutefois leur orthodoxie est attestée par le voyage qu'entreprit de chez eux, pour venir à Rome vers 150, Hégésippe, partout si curieux de la vérité apostolique.

Au troisième siècle, Jules Africain signale encore dans leur sein des δεσποσύνοι ou parents du Seigneur, descendants de ces petits-fils de Jude, que Domitien fit venir à Rome[128] lorsqu'il se préoccupa de rechercher tous ceux qui étaient issus de la race de David. A la vue de leur pauvreté et de leurs mains durcies par le travail, et sur la réponse que le royaume de Jésus-Christ n'était pas de ce monde, les soupçons du nouvel Hérode s'évanouirent, il se moqua d'eux et les renvoya en Palestine sans leur faire de mal. Une fantaisie du même genre amena vers la même époque[129] devant lui saint Jean, qu'avaient pu désigner ses relations personnelles avec le Sauveur. Il est d'ailleurs incontestable que ce dernier survivant des apôtres jouissait d'une grande influence dans les différentes Églises de la province d'Asie. L'épreuve de la chaudière bouillante, que la tradition lui fait subir, répond assez à un passage d'une lettre de Sénèque, où le philosophe proposait cc genre de supplice pour quelque esclave[130]. Saint Jean, en ayant triomphé, ne rentra à Éphèse qu'après avoir été soumis à la relégation dans une île[131], peine équivalente à notre bannissement.

Titus, les délices du genre humain, ne s'était pas montré si doux vis-à-vis des Juifs révoltés ; il faut lire dans Josèphe, qui n'est pas suspect de partialité en faveur de ses compatriotes, l'évaluation des victimes de la guerre et du siège, ainsi que le récit des massacres qui accompagnèrent la prise de la ville, et dans lesquels furent enveloppés un grand nombre d'étrangers au pays venus pour célébrer la pâque. Toutefois la situation légale de leurs coreligionnaires restés au dehors n'était pas changée, et Titus, par exemple, refusa d'accéder au désir des habitants d'Antioche[132] qui voulaient expulser les Juifs de leur ville, conduite diamétralement opposée à celle que devait tenir Maximin, après la dernière persécution de Dioclétien, au sujet d'une requête analogue contre les chrétiens[133]. Une seule mesure fut prise par

Vespasien, qui s'étendit à tout l'empire, et qui consista à faire acheter aux Juifs la continuation de la reconnaissance de leur culte fondée sur les édits de ses prédécesseurs. Ils durent rayer annuellement au Capitole la contribution du didrachme dont ils étaient redevables au temple de Jérusalem[134]. L'empereur romain, qui était en quête d'impôts nouveaux, comptait trouver là une mine abondante. L'impôt du didrachme, en effet, n'était pas payé seulement par les Juifs de naissance ; les prosélytes concouraient aussi à cette offrande[135], et ils étaient nombreux. On les divisait en deux sortes[136] : les prosélytes de justice, qui ne différaient des Juifs purs que par la naissance et par l'incapacité de remplir certaines charges, et les prosélytes de la porte, qui n'étaient pas astreints à la circoncision, ni aux autres rites mosaïques, mais seulement à ce minimum de préceptes, presque absolument le même que celui qu'exigeait le concile de Jérusalem des gentils convertis au christianisme. Les Juifs, nous l'avons montré amplement, étaient loin de prendre les chrétiens pour des prosélytes, mais le nouvel impôt devait faire envisager les choses sous un tout autre aspect au gouvernement impérial. Sans doute, à l'origine, tout ce qui n'était pas juif de naissance put chercher à échapper à la contribution et y réussir pendant quelque temps. Mais avec Domitien il n'en fut plus de la sorte. Suétone[137] cite comme exemple de la tyrannie de cet empereur la rigueur avec laquelle fut poursuivie sous son règne la rentrée de la taxe du didrachme par le fisc, qui s'en prenait, (lit-il, tant à ceux qui, sans s'être fait inscrire, suivaient la mode juive, qu'à ceux qui, dissimulant leur origine, n'acquittaient pas la contribution levée sur leur nation. Dans la première catégorie, il y avait évidemment un certain nombre de prosélytes : n'y trouvait-on pas aussi les chrétiens ? Assurément ils ne devaient pas l'impôt ; vu la proportion rapidement prépondérante parmi eux des gentils convertis[138], ils avaient dû cesser de très-bonne heure de payer le didrachme au temple[139]. Une collecte au profit des pauvres de l'Église de Jérusalem, telle que nous voyons saint Paul la faire avec soin[140] à Antioche, à Corinthe, dans la Galatie et dans la Macédoine, en tint lieu. D'ailleurs les Juifs étaient là pour exclure leurs ennemis du bénéfice de la reconnaissance légale, qui à leurs yeux compensait largement un impôt odieux. Aussi bien la déclaration n'était guère satisfaisante pour la conscience chrétienne. Mais en même temps que les chrétiens ne faisaient pas de déclaration (improfessi), ils rentraient dans la catégorie de ceux qui, au jugement des païens, suivaient la mode juive. De là des difficultés multiples de perception. Comment fallait-il traiter ces hommes réunissant d'une part, toutes les apparences du judaïsme, et de l'autre, se proclamant étrangers à la synagogue[141] ? Le gouvernement, qui devait se refuser d'abord à admettre la distinction, fut obligé de se rendre à l'évidence, et pour la première fois, la question de la légalité du christianisme se posa juridiquement devant lui. C'est ainsi qu'on peut comprendre l'assertion émise par Voltaire[142] : Aucun des Césars n'inquiéta les chrétiens jusqu'à Domitien. Dion Cassius, ajoute-t-il, dit qu'il y eut sous cet empereur quelques personnes condamnées comme athées et comme imitant les mœurs des Juifs. Il parait que cette vexation, sur laquelle on a d'ailleurs si peu de lumières, ne fut ni longue, ni générale. On ne sait précisément ni pourquoi il y eut quelques chrétiens bannis, ni pourquoi ils furent rappelés.

Le texte auquel il fait allusion est justement celui qui nous fait connaitre le troisième point dont nous avons signalé l'importance, l'introduction du christianisme dans la famille impériale : En 95, Domitien fit périr un grand nombre de personnes parmi lesquelles Flavius Clemens, consul de cette année, quoiqu'il fût son cousin, et de plus son allié par sa femme, Flavie Domitille. Tous deux furent accusés d'athéisme, et pour le même motif beaucoup d'autres, qu'avaient séduits aussi les mœurs juives, furent punis les uns de la mort, les autres de la confiscation. Domitille fut seulement reléguée dans l'île de Pandatarie[143]. C'était la propre nièce de Domitien[144], comme nous l'apprend une inscription où elle est appelée petite-fille de Vespasien[145] :

(Flavia Domitilla) FILIA FLAVIAE DOMITILLAE

(divi ? Vespasi) ANI NEPTIS FECIT....

L'historien païen[146] qu'Eusèbe cite sans le nommer dans son Histoire ecclésiastique, l. III, c. XVIII, mais dont il donne le nom dans sa chronique, confirme les rigueurs de la persécution : Scribit Bruttius plurimos christianorum sub Domitiano fecisse martyrium[147] (5), inter quos et Pariant Domitillam, Flavii Clementis consulis ex sonore neptem, in insulam Pontiam relegatam quia se christianam esse testata sit. Saint Jérôme, dont nous avons reproduit la traduction latine, parle ailleurs de cette même île qui, de son temps, était visitée pour ce souvenir : Delata est Paula cum filia Eustochio ad insulam Pontiam quam clarissimœ quondam feminarum sub Domitiano principe pro confessione nominis christiani, Flaviœ Domitilliœ, nobilitavit exsillum. Cette île et l'île Pandatarie, pour être voisines, n'en sont pas moins différentes[148] : toutes deux servaient de lieu de bannissement. Y a-t-il donc eu deux Flavie Domitille ? M. Aubé[149] n'admet que celle de Dion Cassius et préfère mettre une erreur au compte de son abréviateur, le moine Xiphilin. Mommsen[150], sacrifiant à la fois celle de Dion et celle d'Eusèbe, en avait imaginé une troisième. M. de Rossi[151] a maintenu contre les deux opinions la tradition ecclésiastique formelle des Flavie Domitille distinctes.

Nous aurons occasion de revenir sur la question.

Ce que l'on ne peut nier, c'est que le christianisme avait pénétré dans la famille impériale, et, chose plus étrange, Domitien lui-même allait le faire monter sur le trône par l'adoption, que rapporte Suétone[152], des deux fils de Flavius Clemens et de sa nièce, élèves de Quintilien[153]. Ils disparurent sans doute avec leur père dans la tourmente qui marqua la fin du règne, et à laquelle Tacite félicite Agricola de n'avoir pas assisté, tot consularium cœdes, tot nobilissimarum feminarum, exsilia et fugas[154]. Assurément l'historien a en vue de nobles victimes, telles que Fannia, Arria, Gratilla, Herennius Senecion, Helvidius Priscus, mais il serait puéril de croire qu'il oublie les propres parents de l'empereur.

Il y a eu, selon M. Aubé[155], sous Domitien, une persécution très-violente : c'est la philosophie qui l'a soufferte. On pourrait répondre avec M. Duruy[156] : Comme sous Néron, et par les mêmes causes, la pensée libre fut réputée séditieuse ; le prince chassa de Ruine les philosophes ; il aurait voulu, dit Tacite, en chasser toute vertu et toute science. Domitien n'était pas fou à ce point, et son décret d'exil n'était, vu la dureté des temps, qu'une mesure analogue à nos lois sur la presse. On ne nie point que Civica Cerealis, Salvidienus Orfitus, Acilius Glabrion[157] aient pu être condamnés quasi molitores novarum rerum — Suétone serait disposé à en penser autant de Flavius Clemens[158] —, mais cela n'empêche pas l'empereur d'avoir frappé le judaïsme irrégulier là où il le trouvait, et il le trouvait précisément chez les chrétiens[159]. Une allusion curieuse à leur fausse situation perce à travers le langage d'un contemporain. Épictète, expulsé avec les autres philosophes, s'était retiré à Nicopolis[160] ; dans un entretien familier prenant à partie l'un de ses disciples, il disait[161] : Pourquoi jouer au Juif, puisque tu es Grec ? Ne sais-tu point dans quelles circonstances on passe pour Juif, Syrien ou Égyptien ? Quand nous voyons quelqu'un embarrassé, nous avons coutume de nous écrier : Il fait le Juif, mais il ne l'est pas. Celui-là en porte le nom, et l'est réellement qui a l'esprit du baptisé et du néophyte. Cette distinction en effet avait alors la plus grande importance.

Mais, reprend M. Aubé[162] : L'adhésion au christianisme fut taxée d'impiété, c'est-à-dire de crime de lèse-majesté. Ici il confond le crime de lèse-majesté, terrible instrument entre les mains des délateurs, avec le crime d'athéisme qui fut le prétexte de la persécution. Dion Cassius distingue les deux choses : d'une part l'άσεβεία, dont il marque la suppression par Vespasien et Titus, et le rétablissement par Domitien, d'autre part l'έγκλημα άθεότητος, inventé par cet empereur. Lorsque l'historien met au nombre des premiers actes de Nerva la suppression des crimes d'impiété et de vie judaïque, il sépare plus clairement encore l'accusation politique de l'accusation religieuse, οΰτ' άσεβείας, οΰτ' Ίουδαικοΰ βίου[163]. Celle-ci constituait un grief à part ; on possède une monnaie du vieil empereur avec l'exergue : Fisci Judaici calumnia sublata[164].

A partir de ce moment, les Juifs cessèrent de voir soupçonner la légalité de leur existence, tandis que celle du christianisme devenait illégale. Désormais, il sera de moins en moins exact de considérer la religion nouvelle comme croissant à l'ombre d'une religion déjà bien connue et parfaitement licite[165], et l'État romain saura distinguer et punir le nom chrétien[166], né sous Auguste, révélé au monde sous Tibère, proscrit sous Néron, avant d'être jugé sous Domitien.

 

 

 



[1] TERTULLIEN, Adv. Marc., IV, c. 19. Cf. c. 7.

[2] II, 2.

[3] Iterum Suriam (optinuit), dit une inscription trouvée à Tivoli et aujourd'hui au musée du Latéran.

[4] Première apologie, 24, p. 104 de l'éd. Otto (Iéna, 1876). Un peu plus loin, c. 46, il ajoute qu'il parle moins de cent cinquante ans après l'événement.

[5] JOSÈPHE, Antiquités Judaïques, XVII, II, 4. Ce fait est distinct de l'insurrection de Judas le Gaulanite, ibid., XVIII, I.

[6] Est-ce à cette date que doit se placer la plaisanterie d'Auguste jouant sur les mots υίόν et ΰν que raconte le præfectus cubiculi de Théodose II, MACROBE, Saturnales, II, 4 ? La certitude n'est guère possible avec un prince aussi peu ménager que l'Iduméen du sang de sa famille. M. DE SAULCY, Hist. d'Hérode (Paris, 1867), p. 371, n'a pas dit quelles raisons il avait de considérer l'auteur des Saturnalia comme chrétien.

[7] SAINT MATTHIEU, II.

[8] JOSÈPHE, Antiquités Judaïques, XVIII, V, 2.

[9] JOSÈPHE, Antiquités Judaïques, XVIII, VII, 2, et Guerre des Juifs, II, IX, 6. L'abbé FOUARD, Vie de Jésus-Christ (Paris, 1880), t. I, p. 432, propose une autre conciliation des deux textes en plaçant le lieu d'exil à Lugdunum Convenarum (aujourd'hui Saint-Bertrand de Comminges), qui, en effet, est près de la frontière d'Espagne.

[10] Actes des Apôtres, XII, 3. Cf. Antiquités Judaïques, XIX, VII, 3.

[11] Antiquités Judaïques, XIX, VIII, 2, et Actes, XII, 21-23.

[12] De la croyance due à l'Évangile (Paris, 1866), p. 109.

[13] Antiquités Judaïques, XX, IX, 1.

[14] HÉSÉGIPPE, dans l'Histoire ecclésiastique d'EUSÈBE, II, 23. Cet auteur du second siècle, originaire de Palestine, donne certains détails représentant saint Jacques comme un Nazaréen et provenant d'une tradition conservée par la secte des Nazaréens dont il faisait partie lui-même. On appelle ainsi la continuation de l'Église de Jérusalem, qui, restant orthodoxe, niais se recrutant exclusivement parlai les Juifs, et continuant à observer les préceptes de la loi après la destruction du temple, se retira en Bathanée. Les singularités et l'isolement de cette communauté au milieu de la civilisation gréco-romaine introduite par la conquête de Cornelius Palma en 105 dans l'Arabie nabatéenne ont contribué à la faire confondre avec les hérétiques ébionites. Cf. SAINT JUSTIN, Dial. cum Tryph., XLVII, p. 156 de l'éd. Otto (Iéna, 1877) : de même ORIGÈNE, Contra Celse, V, 56.

[15] Nous savons d'ailleurs que plusieurs, parmi les prêtres juifs, s'étaient convertis à la fui chrétienne ; seulement, en se convertissant, ils n'avaient pas dépouillé leurs préjugés nationaux contre les hellénisants. Actes, VII, 7. L'attachement des chrétiens de Jérusalem aux usages mosaïques s'explique assez par ce fait que les lois cérémonielles avaient aussi chez eux le caractère de luis civiles.

[16] Actes, XVIII, 14, 15.

[17] Ses ennemis le présentaient à Pilate comme voulant se faire roi des Juifs : Ce mot seul, dit M. DURUY, Hist. rom., t. V, p. 95, constituant à ses yeux un crime qui relève de la loi de majesté, il ratifie la condamnation. Mais Rome n'excluait pas tous les rois des pays conquis, et cette accusation pouvait ne pas paraître suffisante à un magistrat romain ; aussi Pilate précise-t-il davantage : Τί έποίησας... Έγώ ούδεμίαν αίτίαν εύρίσκω έν αύτώ, SAINT JEAN, XVIII, 33-38. M. Duruy reconnaît lui-même que l'affaire ne regardait point d'abord les Romains.

[18] M. AUBÉ, Histoire des persécutions de l'Église jusqu'à la fin des Antonins, p. 41.

[19] Hist. des persécutions, p. 57. Quoiqu'il en soit, il dut rester des traces de sa sentence au greffe du prétoire. Est-ce à un témoignage de cette provenance que saint Justin (Ire Apologie, 35 et 48) et TERTULLIEN (Apologétique, 5) font allusion, ou bien au document légendaire qui le suppose et qui se trouve dans la collection de Tischendorf ? Consulter à ce sujet l'Hist. des Évangiles apocryphes, de l'abbé J. VARIOT (Paris, 1878),

[20] À Rome, le sabbat était observé par le populaire. HORACE, sat. IV, I, en fait un trait du caractère de son Fâcheux, SÉNÈQUE, De superstitione (cité par SAINT AUGUSTIN, Civ. Dei, VI, 11), s'en plaint amèrement. STRABON constate aussi d'une manière générale cette domination de la race juive apud JOSÈPHE, Ant. Jud., XIV, VII, 2.

[21] Ils réclamèrent par exemple auprès de P. Pétronius, légat de Syrie, contre les habitants de Dora en Phénicie, qui avaient introduit dans la synagogue une statue de Claude.

[22] Antiquités Judaïques, XIX, V, 2-3.

[23] Légation ad Caïus (traduction Delaunay), p. 323. — Sur l'organisation intérieure des Juifs à Rome, consulter l'intéressant mémoire de SCHURER, Die Gemeindeverfassung der Juden in Rom in der Kaiserzeit (Leipzig, 1879), 41 p., in-4°.

[24] Annales, II, 85.

[25] Actes, VI, 9.

[26] Actes, XVIII, 2. La Priscille des Actes est, sans doute la même que le chrétien Priscus de M. AUBÉ, Hist. des persécutions, p. 82.

[27] Histoire romaine, LX, 6.

[28] Claude, 25.

[29] Actes, II, 10.

[30] Épître aux Romains, X, 14 et 15.

[31] Épître aux Romains, I, 8. — XV, 19. — XVI, 19.

[32] Épître aux Romains, XV, 20.

[33] Cf. Die ältesten römischen Rischofslisten, à la suite de l'ouvrage d'Harnack, Die Zeit des Ignatius (Leipzig, 1878).

[34] Actes, XII, 18.

[35] Actes, XV.

[36] Première Épître aux Corinthiens, VII, 7-11, et X, 23-20.

[37] Épître aux Galates, II, 12. Écoutons TERTULLIEN, dont l'indulgence est peu suspecte, De præscr., XXIII : Ceterum si reprehensus est Petrus quod, quum convixisset ethuicis, postea se a convictu eorum separabat personarum respectu, utique conversationis fuit vitium, non prædicationis.

[38] Actes, XXX, 18.

[39] Il avait obtenu en 52 de la libéralité de Claude les tétrarchies de Lysanias et de Philippe, comprenant la Trachonite, l'Auranite, l'Abilène et la Batanée ; ces pays furent réunis à sa mort, en l'an 100, à la province romaine de Syrie.

[40] Studien zur Geschichte der alten Kirche (Schloss-Chemnitz, 1875), p. 93-157. Overbeck, professeur à Bâle, ne cite pas l'étude approfondie de François BAUDOUIN, Commentarii ad edicta reterum principum Romanorum de christianis, Basilæ per Joannem Oporinum, petit in-8°, 132 p., sans date : l'année 1557 est indiquée, p. XIII de la préface, à la réimpression complète de ses œuvres, par HEINECCIUS, Jurisprudentia Romana et Attica, t. I (Leyde, 1778). Baudouin, né à Arras en 1520, étudia le droit à Louvain et l'enseigna successivement à Bourges, Strasbourg, Heidelberg et Paris. Il mourut dans cette ville au collège d'Artois en 1583, et fut enterré in peristyllo Mathurinorum, couvent voisin de l'hôtel de Cluny.

[41] Die Christenverfolgungen der Gäsaren bis zunt dritten Jahrhundert, historisch und chronologisch nutersucht (Gütersloh, 1878), X-140 p. Ce serait inutile de nommer les autres auteurs allemands dont les systèmes sont résumés par les deux précédents ; mais il parait juste d'indiquer dès à présent une série d'articles de Fr. GÖRRES qui se succèdent sans ordre dans Higenfeld's Zeisschrift für wissenschaftliche Theologie (Leipzig, 1876 et suiv.), et qui traitent des diverses persécutions. Cf. le § Christenverfolgungen du même dans la Real-encyclopädie du docteur KRAUS (Fribourg en Brisgau, 1880). Enfin, dans le recueil cité ci-dessus, 1881, p. 291-331, il a paru un article de Rudolf HILGENFELD, intitulé Verhältuiss des römisehen Staates zum Christenthume in den beiden ersten Jahrhunderlen.

[42] Voir le travail de M. G. TOURRET sur la Situation légale du christianisme pendant les trois premiers siècles, dans la Revue catholique des institutions et du droit, juin et juillet 1878.

[43] Les Premières Persécutions de l'Église, dans le n° du 15 avril 1876 de la Revue des Deux Mondes. — Au contraire, M. Ferdinand Delaunay nie l'existence de ces lois dans sa communication à l'Académie des inscriptions et belles lettres, séance du 28 février 1879, sur la situation légale des chrétiens en 112.

[44] De la légalité du christianisme dans l'empire romain pendant le premier siècle, dans les Comptes rendus de l'Académie des inscriptions, 1866, p. 187, et à la fin de l'Histoire des persécutions.

[45] Comptes rendus de l'Acad. des inscript., même année, p. 358.

[46] Bullettino di archeologia cristiana, 1867, p 28.

[47] Voici, énumérés par M. de Richemont, dans les Nouvelles Études, les principaux éléments d'appréciation dont M. de Rossi s'est servi pour fixer la chronologie des catacombes : Les dispositions de la maçonnerie, les marques et les noms dont les briques portent l'estampille, la nature et la teinte des enduits, le mode d'exécution et le style artistique des peintures, le choix et l'interprétation des sujets, l'emploi des situes ou des mosaïques, l'usage des tombeaux de marbre, de terre mille ou de locuti taillés dans le lut, l'épigraphie dans toutes ses branches, la langue, le style, les symboles, la nomenclature, la paléographie des inscriptions ; enfin l'auteur ajoute, les formes architectoniques des galeries souterraines        (Loc. cit., p. 112.)

[48] Bullettino, 1865, p. 90 et suiv.

[49] Sur cette institution, v. DION CASSIUS, Hist., LIII, 21, pour Auguste ; LVII, 7, pour Tibère ; LX, 4, pour Claude ; cf. SUÉTONE, Tibère, 55.

[50] Actes, XXVIII, 16 du texte grec.

[51] Épître aux Philippiens, I, 13.

[52] Une preuve de ces bons rapports, dont FRIEDLÆNDER, Sittengeschichte Roms (Leipzig, 1871), t. III, p. 535, reconnaît la possibilité, résulte de l'inscription suivante d'un descendant de la Gens Annœa ou d'un de ses affranchis, trouvée au commencement de 1867 dans les fouilles d'Ostie, et reproduite par M. de Rossi dans son Bullettino, même année, p. 13 :

D•M•

M•ANNEO•

PAVLO•PETRO•

M•ANNEVS•PAVLVS•

FILIO•CARISSIMO.

Le prœnomen de Marcus, qui était celui du frère de Sénèque, joint aux cognomma Petrus, et Paulus deux fois répété, ne saurait être un jeu du hasard, surtout quand on se rappelle l'habitude des anciens de prendre les noms et prénoms des personnes avec qui ils avaient des relations d'affection. Ce fait doit être rapproché de la littérature apocryphe qui circulait au temps de saint Jérôme et de saint Augustin. Du reste, une seule chose importe à notre sujet : le conseiller de l'empereur (nous ne nous inquiétons pas du philosophe) a connu l'apôtre de l'Évangile.

[53] Ad Lucilium, ép.108.

[54] De superstitione, ap. Civ. Dei, VI, 11. — L'exemple de l'Angleterre, la nation du monde aujourd'hui la plus commerçante, nous prouve le contraire.

[55] Annales, XV, 44.

[56] Hist. des persécutions, p. 97.

[57] TERTULLIEN, Ad Nat., I, 4.

[58] EUSÈBE, Hist. ecclésiastique, IX, 5.

[59] Épître aux Philippiens, III, 22.

[60] Annales, XV, 54. — Les dénonciations dont parle Tacite proviennent plutôt des Juifs, qu'on était exposé à confondre avec les chrétiens.

[61] JOSÈPHE, Antiquités Judaïques, XX, VIII, 11. M. Aubé signale son influence probable dans cette affaire, Hist. des persécutions, p. 101 et p. 421 en note. M. Duruy, Hist. rom., t. IV, p. 52, est du même avis. Wieseler, loc. cit., p. 11, fait remarquer de plus, d'après Tacite, qu'elle formait avec le préfet du prétoire le cabinet secret de l'empereur, Annales, XV, 61.

[62] L'épitre de SAINT CLÉMENT DE ROME aux Corinthiens, qui fut écrite, ainsi que nous le verrons, en l'année 96.

[63] Première épître, V et VI. Édit. Funk, p. 66.

[64] Cf. Actes, IX, 25, 30 ; XIII, 50 ; XIV, 5, 18 ; IIe Épître aux Corinthiens, XI, 24-26.

[65] Essai sur les mœurs, c. VIII, De l'Italie et de l'Église ; cité par OVERBECK, p. 98.

[66] L'histoire de Dircé et celle des Danaïdes devaient être figurées. — TACITE, loc. cit.

[67] Les jardins et le cirque se trouvaient sur les pentes de la colline du Vatican ; ce sont aujourd'hui les jardins dont l'usage a été laissé au Pape, et la colonnade de Saint-Pierre.

[68] Discours sur l'histoire universelle, deuxième partie.

[69] Ils prêtent à l'Église de Rome des tendances judéo-chrétiennes sur la foi d'un seul passage de l'Épître aux Philippiens, I, 16.

[70] Saint Paul, dans son Épître aux Galates, II, 12, les nomme τινάς άπό Ίακώδου, mais ils n'avaient pas été envoyés par l'Église de Jérusalem. Actes, XV, 21. Quant à la prétendue dissension entre saint Jacques et saint Paul, l'Épître du premier, II, 17, relève seulement une fausse interprétation d'un passage de l'Épître du second aux Romains, III, 28, où il est parlé des œuvres mosaïques et non des œuvres charitables. Cf. Épître aux Galates, V, 6.

[71] Revue du monde catholique, 10 juin 1877.

[72] Hist. des persécutions, p 127.

[73] In Ép. de saint Clément, 5.

[74] Ép. aux Romains, XV, 28.

[75] Comm. sur l'Év. de saint Jean, t. XX, XII. Il s'appuie sur les Πράξεις Παυλου, écrit hérétique très-ancien, qu'Eusèbe cite (Hist. ecclésiastique, III, 25) comme étant apocryphe, quoique lu dans certaines églises.

[76] SAINT JEAN, XIX, 19. — La Première Épître de saint Pierre est datée de Babylone ce que l'Apocalypse nous apprend à traduire par Rome.

[77] Épître de saint Ignace aux Romains, IV, 3. Éd. Funk, p. 218.

[78] Histoire ecclésiastique d'EUSÈBE, II, XXV, 8.

[79] SAINT IRÉNÉE, Adv. hœres., IIII, 3.

[80] Hist. ecclésiastique, loc. cit. Sa lettre au montaniste Proclus est de la fin du deuxième siècle.

[81] Première épître de saint Clément, 6. Éd. Funk, p. 68.

[82] Le nom d'un martyr de Pergame est resté dans l'Apocalypse, II, 13. Cf. TERTULLIEN, Scorp., 12.

[83] Hist. des persécutions, p. 110, 120 et 104. Cette contradiction a été aussi relevée par FR. GÖRRES, p. 273-276 de son article, Antipas von Perganium, dans Hilgenfeld's schrift, 1878 ; lui, pour la logique du système, supprime ce martyr.

[84] Loc. cit., p. 97.

[85] Scorp., 15. Cf. Apologétique, 5.

[86] Die Christenverfolgungen, p. 8.

[87] Néron, 16. — C'est ce que, cent ans après, on disait des chrétiens de Lyon, Hist. ecclésiastique, 158 ; et Galère, dans l'édit de 313, qui mettait fin à la persécution, répétait encore la même chose : LACTANCE, De mort. persec., 34.

[88] Voici les vieux textes conservés dans CICÉRON, De leg., II, 8 : Separatim nemo habessit deos, neve novos sive advenas nisi publice adscitos privatim colunto. Cf. TITE-LIVE, XXV, 1. Ce qui aurait l'air de ne pas interdire le culte privé des divinités étrangères.

[89] Annales, XIII, 32.

[90] Avant d'entrer dans notre mission, nous dûmes revêtir l'habit de deuil des nobles Coréens... parce que, en Corée, un noble en deuil ne doit être vu de personne. Lettre du 30 sept. 1878, dans le numéro de nov. 1879 des Annales de la propagation de la foi.

[91] V. après la dissertation de Dr SANCTIS, sur le Sépulcre de Plautius (Ravenne, 1784), la réponse de FRIEDLÆNDER, De Pomponia Grœcina superstitionis externœ rea (Königsberg, 1868), par WANDINGER, Pomponia Græcina (Munich, 1873). M. DURUY, qui (t. IV, p. 50 de son Hist. rom.) admet qu'elle était probablement aussi chrétienne ou juive, écrit en note à la p. 476, t. V : Je ne puis partager les idées de M. de Rossi sur l'importance de la communauté chrétienne de Rome clés le temps de Néroli, et sur ses progrès dans la noblesse romaine. On ne saurait dire que Pomponia Græcina fût chrétienne.

[92] Histoire des persécutions, p. 181.

[93] Roma sott., t. II, pl. XLIX, n° 27.

[94] Roma sott., t. I, p. 319. Cf. t. III, p. 467.

[95] CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Pœd., I, VI, § 26. Cf. SAINT JUSTIN, Première Apologie, 62, p. 168 de l'éd. Otto.

[96] Deuxième Apologie, 2, éd. Otto, p. 198. Dans ce cas comme dans l'autre, la dénonciation ne fut pas suivie d'effet, mais pour un motif différent. La femme accusée de christianisme en 160 par son mari demanda, avant d'être jugée, à exercer les reprises dotales auxquelles elle avait droit, comme séparée de corps et de bien.

[97] Première épître, 4. Éd. Funk, É. 70.

[98] Annales, XV, 44.

[99] Hist., IV, 5. — Ire Épître aux Thessaloniciens, II, 15.

[100] Præfatio generalis in Acta martyrum, § III, 26 (éd. de Ratisbonne, 1859). C'est du reste l'expression même dont se sert TERTULLIEN, Ad nat., I, 7.

[101] Cæterum illud non pigebit fateri me... usum esse historicis ethnicis, atque ex his, quæ ad supplementum cognitionis deerant usurpasse, dit-il au début du livre Ier de sa Chronique.

[102] Chron., II, 19.

[103] Est-ce Tacite que Tertullien avait lu ? Scalp., 15.

[104] On n'ignore pas que la juridiction criminelle en Italie appartenait au préfet de la ville jusqu'au centième mille de Rome (Digeste, liv. I, tit. XII, frag. I, § 4), et au delà au préfet du prétoire.

[105] EPICTÈTE, qui vécut à Rome sous Néron et sous Domitien, témoigne, Diss., IV, XIII, 5, que des soldats habillés en bourgeois servaient d'agents provocateurs. Les milites frumentarii sont connus. M. DESJARDINS, Mém. de l'Acad. des inscr., t. XXVIII, Ire part., p. 278, ne met pas en doute que ces peregrini, devenus ainsi frumentarii, après un séjour plus ou moins long à Rome, fussent envoyés ensuite dans les provinces avec un service de police. PHILOSTRATE, Vie d'Apollonius, IV, 43, dit du préfet du prétoire de Néron, Tigellinus : περιθρει πσιν φθαλμος, πσοις ρχ βλπει. Cf. DION CASSIUS, LII, 37 ; mais l'empereur Caracalla fit relever de lui seul : τος στρατιτας τακουστοντς τε κα διοπτεοντας. Ibid., LXXVII, 17.

[106] Hist., VII, 7.

[107] PAST., Vis. Hi., 2, éd. Funk, p. 354.

[108] SAINT MATTHIEU, XXIV, 9.

[109] M. DE ROSSI, Bull., 1864, p 93, dit qu'à lui personnellement il ne reste aucun doute à cet égard, mais il ne prétend empêcher qui que ce soit de douter, ainsi qu'à tort le donne à entendre M. Aubé, Hist. des persécutions, p. 418, en note.

[110] Corp. inscr. lat., V, IV, n. 679.

[111] Bull., 1864, p. 72, et 1865, p. 93. Cf. le mémoire de M. AUBÉ sur la Légalité du christianisme au premier siècle, présenté à l'Académie des inscriptions en 1866, et reproduit dans l'Hist. des persécutions, p. 407-439.

[112] Bull., 1864, p. 70, où est cité le princeps libertinorum appuyant une candidature à l'édilité.

[113] Mémoire cité, p. 411.

[114] Dial. c. Tryphon, 17, éd. Otto, p. 62.

[115] Ad nat., I, 14.

[116] Hist., III, 55 et 75.

[117] Hist., V, 13.

[118] Vespasien, 4.

[119] Guerre des Juifs, VI, V, 4.

[120] TACITE, Histoires, II, 78. Cf. SUÉTONE, Vespasien, 5.

[121] Mém. de l'Académie des Inscriptions et belles-lettres, t. XXVI, première partie, p. 294.

[122] Chron., l. II, c. XXX (le texte de Tacite n'existe plus au Ve livre des Histoires).

[123] MINUCIUS FELIX, Octavius, 32.

[124] EUSÈBE, Hist. ecclésiastique, III, V, 3. C'est ce qu'oublie M. DURUY, écrivant dans son t. IV, p. 49, en note : Même à Jérusalem, la communauté chrétienne était assez faible et obscure pour que Josèphe ne la cite pas dans l'énumération des partis religieux existant dans la ville. Juste de Tibériade, qui avait aussi écrit une histoire du siège, ne parait pas non plus l'avoir mentionnée.

[125] SAINT MATTHIEU, XXIV, 16-25. Jérusalem était citée à titre de leçon par SAINT CLÉMENT aux Corinthiens divisés, Ire Épître, VI. Éd. Funk, p. 70.

[126] Dissertatio historico-theologica de Christianornm migratione in oppidum Pellam imminente Hierosolymorum excidio, thèse soutenue à Iéna le 21 juin 1694, sous la présidence de J. Guill. Baïer, par J. J. Feuerlein, réimpr. en 1712, petit in-4°, 30 p.

[127] Un de leurs livres, le Testament des XII patriarches ou fils de Jacob, représente la mission de saint Paul chez les gentils comme la compensation du territoire qui manquait à la tribu de Benjamin.

[128] HÉSÉGIPPE les nomme Zocher et Jacques dans un fragment (éd Joan Cramer, Anecdotis Græcis, vol. II, Oxford, 1839, p. 88). Cf. la citation de ses commentaires, Hist. eccl., III, 19 et 20.

[129] TERTULLIEN, De persec., 26, place après ceux de saint Pierre et de saint Paul le martyre de saint Jean à Rome. SAINT JÉRÔME, Adv. Joviniam, 16, veut que par là, ce fait soit rapporté au règne de Néron : mais ailleurs, lui-même nomme Domitien. Ceux qui adoptent la première opinion attribuent l'exil de Patmos aux magistrats municipaux d'Ephèse. ORIGÈNE, cependant l'attribue à un empereur romain, sans spécifier lequel (Com. in Mat., XII, § 2). Quant à SAINT JEAN, Apocalypse, I, 9, il dit seulement : Moi Jean, votre frère, j'étais dans l'île appelée Patmos, à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus.

[130] Ep. 86 ad Lucill. ARTÉMIDORE parle d'une femme brûlée dans la chaudière publique destinée à cet usage. Oneirocrit., liv. V, c. XXV.

[131] Digeste, liv. XLVIII, tit. XII. fr. XIV, § 1. — Fr. VI, § 1. — Fr. VII, § 1. Mais cela ne veut pas dire que les municipalités, même des civitates liberiœ, comme Éphèse, eussent le droit d'en faire autant. Lors du tumulte suscité par l'orfèvre Demetrius contre saint Paul, qu'indique le secrétaire de la cité ? Actes, XIX, 38. C'est aussi la compétence du proconsul, qu'établit en un cas analogue le rescrit d'Hadrien au gouverneur de la province d'Asie.

[132] Guerre des Juifs, VII, V, 3. Ils n'avaient donc pas le droit de le faire par eux-mêmes ; or, c'est précisément à cette époque que Pline l'Ancien écrit, Hist. nat., V, § 79 : Antiochia libera.

[133] EUSÈBE, Hist. eccl., IX, II.

[134] Guerre des Juifs, VII, VI, 6. — Cf. Dion, Epist., LXVI, 7. — ORIGÈNE, Ep. ad African., 14, rappelle combien à ce prix le gouvernement des Romains leur laissait d'autonomie à Alexandrie de son temps. Voir aussi APPIEN, Syr., 50.

[135] Guerre des Juifs, VIII, III, 5, raconte l'histoire d'une illustre prosélyte de Rome nommée Fulvie, qui envoyait de la pourpre et de l'or au temple de Jérusalem, et dont les offrandes détournées furent l'occasion de l'expulsion des Juifs sous Tibère.

[136] MAMACHI, Origines et antiquitates christianœ, t. I, p. 75 (Rome, 1749).

[137] Domitien, 12.

[138] SAINT JUSTIN, Ire Apologie, LIII. Éd. Otto, p. 142.

[139] Jésus-Christ l'avait payé pour lui et ses apôtres, tout en les en déclarant affranchis. SAINT MATTHIEU, XVII, 24 et suiv.

[140] Épit. aux Galates, II, 10. Cf. Actes, XI, 30 ; I Epit. aux Corinth., XVI, 1 ; II Épit., VIII, 1 et 4.

[141] M. DURUY, t. IV, p. 236, en note : Cependant un crime nouveau était inscrit au code, celui de judaïser, ce qui conduira à en établir bientôt un autre, celui de christianiser, et dans quinze ans cela sera fait.

[142] Essai sur les mœurs, C. VIII, De l'Italie et de l'Église. — Cf. BAUDOUIN, Commentarii ad edicta, etc., p. 25.

[143] Epît., LXVII, 13.

[144] PHILOSTRATE, Vie d'Apollonius de Tyane, VIII, 25.

[145] Corp. inscr. lat., vol. VI, n° 948. Cf. le Bull. 1865, p. 21, de M. de Rossi.

[146] MULLER, t. IV, p. 352 des Fragmenta historicorum Grœcorum de l'édit. Didot, a refusé de l'insérer sous prétexte qu'il était chrétien.

[147] Cf. Chron. pasc., édit. Colin, p. 468. — Saint Jérôme, Chron. ann. Abrah. 2112 ;  Epist. XXVII, ad Eustochium.

[148] STRABON, V, III, 6 : 13 lieues environ de Terracine sur la côte.

[149] Hist. des persécutions, p. 178 et 429.

[150] Corpus, loc. cit. — Dans la deuxième partie du vol. VI, qui doit paraître bientôt, Mommsen renonce à sou système.

[151] Bullettino, 1875, p. 69-77.

[152] Domitien, 15.

[153] Inst. orat., liv. IV, c. I.

[154] Agricola, XLV.

[155] Hist. des persécutions, p. 182.

[156] Hist. rom., t. IV, p. 229. — MOMMSEN, Étude sur la vie de Pline le Jeune, p. 59 de la trad. Ch. Morel, qui a été revue par l'auteur (Paris, 1873), dit de même : C'était une mesure de police succédant aux poursuites judiciaires. Toute cette persécution frappait l'opposition politique, qu'elle se manifestait dans la littérature ou dans l'enseignement.

[157] Ce consulaire, d'après Dion Cassius, fut aussi l'objet d'une accusation d'athéisme, BAUDOUIN, loc. cit., a raison de juger d'un souverain si soupçonneux : Quanquam non solum religionis odio, sed et rerum novarum metu commotus fuisse.

[158] KLOPSTOCK, Der Messias, chant X, v. 310, a de beaux vers pour le justifier de l'oisiveté indigne de Rome qui lui était imputée.

[159] M. Ars. DARMESTETER, dans la Revue des études juives, juillet-sept. 1880, signale un curieux passage d'un ancien récit relatif à saint Jean (Acta apostolorum apocrypha, éd. Tischendorf, Leipzig, 1851, p. 267), où les Juifs, afin de détourner les coups de Domitien, dénoncent eux-mêmes les chrétiens.

[160] AULU-GELLE, Nuits attiques, XV, 11.

[161] Diss., II, IX, 20.

[162] Hist. des persécutions, p. 424. WIESTLER, p. 4 et 12, confond aussi athéisme et lèse-majesté. Il faut en dire autant de l'article sur Vespasien et Titus (Hilgenfeld's Zeitschrift, 1878, p. 492 et s.), de GÖRRES, qui du reste ne s'est jamais nettement expliqué au sujet de Domitien. Cf. Rudolf HILGENFELD, même Zeitschrift, 1881, p. 310 : Die wirklichen Juden Wurden nie von den Heiden als άθεοι bezeichnet ; dieser Vorwurf geht mir aut die Christen. — Cela est vrai ; aussi voulait-on signifier surtout que ceux-ci n'étaient ni Juifs, ni païens.

[163] Épit., LXVI, 9 et 29 ; LXVIII, 1.

[164] ECKHEL, Doctr. num. vet., t. VI, p. 405. L'impôt du didrachme n'était pas aboli, comme le veut M. AUBÉ, p. 196, puisqu'il existait encore du temps d'Origène, mais seulement les vexations qui en avaient signalé la perception pendant le règne précédent. Cf. SUÉTONE, Domitien, LXXII. M. DURUY, t. IV, p. 712 (édit. illustr.), donne le revers de la médaille en question. S'il avait reproduit également la face, il aurait vu qu'elle est de Nerva et non de Domitien, et il n'aurait pas écrit que la légende rappelle les efforts du fisc déjouant, les supercheries, calumia (!), imaginées par les Juifs et les Judaïsants pour échapper à l'impôt.

[165] TERTULLIEN, Apologétique, XXI.

[166] TERTULLIEN, Ad. nat., VII : Principe Augusto nomen hoc ortum est, Tiberio disciplina ejus illuxit, sun Nerone damnatio invaluit. PLINE à Trajan, Ép. XCVII : Cognitionibus de christianis interfui nunquam. — Cette ignorance de Pline, dit C. DE LA BERGE, dans son Essai sur le règne de Trajan, p. 208, a fait penser à M. Aubé qu'il n'y avait pas en de persécution sous Domitien, mais la conclusion ne me parait pas rigoureuse. Les exécutions ont pu être faites par les triumviri capitales sans que la haute société s'occupât de ces criminels obscurs. On sait qu'à cette époque le célèbre avocat fuyait plutôt le barreau ; comment d'ailleurs son attention eût-elle été attirée par ces sortes de procès d'où la plaidoirie était absente ?