L'EMPEREUR CLAUDE

 

XIII. — FIN DU RÈGNE DE CLAUDE.

 

 

Importance de Néron. L'empereur semble regretter cette adoption. Tendresse qu'il témoigne à Britannicus. Domitia Lépida. Narcisse. Inquiétudes d'Agrippine. Mort de Claude[1].

 

Déjà l'on voit que le règne de Claude touche à sa fin ; Néron fait tout, il harangue le peuple, il plaide la cause des nations et des villes devant les sénateurs ; entré dans sa seizième année, il consomme son union avec Octavie qui, grâce à une adoption, sort de la famille des Claudius, ne pouvant sans cela épouser Néron, devenu son frère ; nouvelle occasion de fêtes et de largesses ; le vieil empereur s'efface volontairement devant ce brillant adolescent qui est devenu son fils ; Néron a tous les mérites ; Sénèque d'ailleurs avait réellement cultivé l'esprit, nous ne disons pas le cœur, de l'élève qu'Agrippine lui avait confié. Néron est donc orateur, poète, homme d'Etat, en attendant qu'il devienne acteur et cocher. Pour le moment ce qu'il cultive de préférence, c'est l'éloquence. Apamée, Byzance ont l'heureuse idée de le choisir pour leur avocat ; ces deux cités demandent par sa bouche une décharge d'impôts, elle leur est accordée.

Après elles, voici les citoyens d'Ilium qui se prétendent les vrais Troyens, les frères, bien mieux, les ancêtres des Romains, et qui à ce titre demandent à être exemptés du tribut. C'est encore Néron qui se charge de plaider leur cause et de soutenir leurs prétentions ; c'est à lui que revient ce patronage, à lui l'enfant de la petite-fille d'Auguste, le descendant des Julius, et par conséquent, d'Anchise et d'Enée. Mais, pour parler au nom de ce peuple chanté par Homère, la langue des vieux Romains est trop vile et trop rude ; c'est en grec que Néron soutiendra la cause de ses protégés, à la grande joie de Claude qui appelait le grec sa langue. Il va sans dire qu'Ilium obtint ce qu'elle sollicitait.

Dès lors les clients ne manquèrent pas à Néron ; voici d'abord Rhodes qui confie à cet avocat si heureux la défense de ses intérêts. Claude pour la punir de quelques émeutes lui avait enlevé toutes ses franchises municipales- ; elle suppliait maintenant qu'on voulût bien les lui rendre, et grâce à Néron sa cause fut encore gagnée. Viennent ensuite les habitants de Bononia (Bologne) : un incendie les a ruinés, et, sur la demande de son fils adoptif, Claude leur accorde un secours d'argent.

L'exemple est contagieux : Claude lui-même se pique d'honneur et veut être l'avocat d'un des peuples de son empire ; à la prière de son médecin Xénophon, natif de l'île de Cos, qui devait l'empoisonner quelques mois plus tard, il demande que cette île soit affranchie de tout tribut, de tout impôt destiné au trésor central de l'empire, afin que ses habitants n'eussent à songer qu'à une chose, à honorer Esculape, le plus utile et le plus bienfaisant des dieux ; d'ailleurs l'île de Cos, outre l'immense mérite d'avoir donné le jour au dieu de la médecine, avait toujours été la fidèle alliée du peuple romain.

Pendant que Néron se faisait ainsi facilement une réputation d'éloquence, genre de talent que les Romains commençaient à priser autant que les Grecs des beaux siècles, Agrippine continuait le cours de ses intrigues. Elle obtint encore du sénat un acte d'accusation contre Statilius Taurus, proconsul d'Afrique, qu'elle savait lui être hostile et dont elle convoitait la villa, comme Messaline avait peut-être désiré les jardins de Lucullus, appartenant à l'infortuné Valerius Asiaticus. Statilius Taurus se tua avant le jugement ; c'était un ennemi de moins, mais ce n'était pas le plus à craindre.

Depuis son altercation avec Narcisse sur les bords du Fucin, l'impératrice ne pouvait plus se dissimuler qu'elle avait en lui un ennemi déclaré. Déjà Narcisse songeait sans doute à celle qui remplacerait Agrippine comme Agrippine avait remplacé Messaline. Peu de femmes pouvaient briguer l'honneur de partager la couche de César, une seule même paraissait alors digne de recevoir la succession d'Agrippine ; c'était Domitia Lépida, petite-nièce d'Auguste, sœur de Domitius père de Néron, également renommée pour sa beauté, sa naissance et sa richesse. Malgré le silence des auteurs il est bien présumable, selon nous, que Narcisse eut l'idée de la présenter à l'empereur pour remplacer Agrippine. Le plan n'aurait pas été mauvais ; Claude averti des méfaits de tison épouse, éclairé sur son ambition, n'aurait pas cette fois manqué de sévir ; d'ailleurs Narcisse aurait été là. Néron lui-même, que l'orgueil et l'esprit de domination de sa mère rebutaient parfois, semblait très-attaché et très-reconnaissant à Lépida, sa tante, qui l'avait recueilli enfant, pendant l'exil d'Agrippine ; et qui avait toujours continué à le combler de ses prévenances et de ses caresses. Depuis l'adoption de Néron par Claude, ç'avait été une sorte de lutte entre la mère et la tante à qui posséderait le cœur du jeune prince de la jeunesse, et Néron paraissait aux yeux de bien des gens préférer l'aimable et facile Lépida à l'orgueilleuse et sévère Agrippine. Lépida sera impératrice et Claude sera sauvé.

Mais Agrippine est prévenue du danger ; ses amis accusent devant le sénat Lépida de sortilèges, de conspiration contre la vie dé l'empereur ; la formule est toujours la même, au temps d'Agrippine comme au temps de Messaline. On lui reproche en outre de troubler la tranquillité publique par des bandes d'esclaves indisciplinés qu'elle entretenait dans la Calabre. Narcisse prend sa défense devant les pères conscrits ; furieux de voir ses projets devinés, il s'emporte en violentes paroles contre les accusateurs et ceux qui les poussent. On le sait influent, les sénateurs hésitent : qui faut-il ménager de l'affranchi ou de l'épouse ? Mais voici qui va les tirer d'embarras ; Néron lui-même, le fils de l'empereur, vient défendre sa tante bien-aimée : c'est une noble occasion de déployer cet heureux talent qui a toujours si bien servi ses clients. Mais non ! ce n'est pas une défense, c'est une accusation qu'il prononce ! Les sénateurs ne balancent plus, Néron a parlé, ils obéissent et Lépida succombe !

 

Bien qu'elle l'eût emporté sur cette Lépida dont elle redoutait tant la rivalité, Agrippine n'en continuait pas moins à trembler ; Narcisse, elle le savait bien, avait compris toute son ambition et toute la perversité de son âme, et Narcisse était resté debout malgré la condamnation de Lépida ; quoiqu'il eût échoué cette fois, c'était néanmoins un dangereux adversaire ; celui qui avait su par son audace et son énergie délivrer Claude de Messaline ne serait-il pas plus heureux une autre fois, n'aurait-il pas un jour le pouvoir de faire également disparaître Agrippine ?

Narcisse, il faut le reconnaître, était réellement dévoué à cette maison des Claudius, à cet empereur dont il avait été le compagnon de jeunesse : en présence de la faiblesse du maître, lui, humble membre de la gens Claudia, il s'en était en quelque sorte improvisé le protecteur ; il aimait ce pauvre enfant, ce jeune Britannicus, livré sans défense à sa belle-mère Agrippine, à son frère Néron. Pour lui, ce Néron n'était qu'un étranger, la fiction légale qui en avait fait le fils de Claude était nulle à ses yeux. On le savait bien puissant sur l'esprit de l'empereur ; Claude avait pour ainsi dire peur de comprendre ce que valait Agrippine, il la craignait vaguement, et n'osait plus se confier qu'à cet ancien esclave qui lui était resté fidèle et dévoué, qui ne lui mentait pas, qui avait parfois le courage de le servir malgré lui. Souvent, pendant de longues heures, il s'enfermait avec son affranchi ; tous deux ils parlaient du passé et aussi de l'avenir. Claude, malgré les flatteries et la tendresse exagérée dont Néron faisait parade à son égard, n'aimait pas au fond cet étranger, ce fils de Domitius. Ses soupçons contre l'enfant de Messaline s'étaient évanouis ; sa tendresse était revenue tout entière pour son véritable fils, ce Britannicus qui avait du moins dans ses veines le même sang que son père, le sang du vieil Atta Clausus.

Bien sombre devenait l'intérieur du palais ; on sentait planer au-dessus de la demeure des Césars quelque imminente catastrophe. Des mots échappés à Claude au sortir de ses entretiens avec Narcisse avaient redoublé les craintes d'Agrippine : un jour qu'on le félicitait d'avoir condamné une femme convaincue d'adultère : Il est aussi dans ma destinée, avait-il dit, d'avoir des épouses impudiques, mais non pas impunies. Une autre fois, rencontrant dans l'atrium du palais son fils Britannicus, il courut à lui, l'embrassa tendrement, l'exhorta à grandir pour qu'il pût lui expliquer toute sa conduite, lui rendre compte de ses actes, et en s'éloignant il prononça ce vers d'Homère :

Celui qui a fait la blessure saura la guérir.

Quelques jours plus tard, il agita dans son conseil intime, sur la demande de Narcisse, la question de donner avant le temps la robe virile à Britannicus ; l'extérieur du jeune prince, plus avancé que ne le comportait son âge, pouvait facilement le permettre ; puis il fallait, ajoutait-il, que le peuple romain eût enfin un véritable César. Narcisse de son côté s'était ouvertement déclaré pour Britannicus ; il avait d'autant plus de mérite à le faire que l'avènement du fils de Messaline qui voudrait venger sa mère serait, comme il le disait à ses amis, probablement le signal de sa mort ; mais que lui importait ? il était avant tout dévoué au sang des Claudius, il consentait à périr pourvu qu'après Claude Britannicus pût régner. On l'avait vu embrasser le jeune prince en suppliant les dieux de le laisser grandir, pour qu'il pût chasser les ennemis de son père et punir même les meurtriers de sa mère. Enfin Agrippine apprit avec épouvante que des jurisconsultes et des magistrats, mandés au palais par ordre de Claude, l'avaient aidé à faire un nouveau testament qui ne lui avait pas été communiqué.

Cette fois le danger était trop évident : la tempête allait éclater, il fallait à tout prix la prévenir ou se résigner à périr.

Par malheur Narcisse fatigué de toutes ces inquiétudes sentait sa santé décliner ; une fois qu'il l'eut emporté, que le testament fut signé, testament qui, par parenthèse, disparut à la mort de Claude, il crut sa besogne terminée, il pensa pouvoir sans danger aller prendre quelque repos aux bains de Sinuesse, en Campanie, dont les eaux minérales lui étaient depuis longtemps recommandées.

C'était ce moment qu'Agrippine attendait anxieusement ; tant que Narcisse avait été là, il n'y avait rien à tenter, l'affranchi se méfiait trop de l'impératrice pour ne pas veiller sur son maître : une fois Narcisse parti, Agrippine pouvait tout oser.

Claude depuis quelques jours était triste et paraissait inquiet ; on ne sait quel pressentiment l'avait averti de sa fin prochaine ; il y avait quelque temps d'ailleurs que les mauvais présages abondaient, comme si le ciel avait voulu annoncer le règne douloureux de Néron. Une comète s'était montrée pendant quelques nuits ; la foudre était tombée à plusieurs reprises sur les aigles des légions ; Claude avait été profondément affecté de ces sombres indices ; comme s'il eût deviné le moment fatal où devait se terminer sa carrière, il n'avait voulu désigner aucun magistrat au delà du mois où il devait mourir ; la dernière fois qu'il avait assisté à une séance du sénat, il avait à plusieurs reprises exprimé le désir que Néron et Britannicus vécussent en bonne intelligence, et l'on avait surpris quelques larmes coulant le long de ses joues amaigries ; enfin, à la dernière audience qu'il tint à son tribunal, peu de temps avant le repas fatal où il devait trouver la mort, il répéta à deux reprises qu'il était arrivé au terme de sa vie.

Claude avait raison de s'inquiéter : un jour qu'il avait encore recommandé Britannicus à quelques-uns de ceux qu'il croyait' ses amis, Agrippine était allée secrètement trouver cette Locuste qu'elle avait pu par son crédit faire échapper à la proscription qui avait atteint les astrologues, les sorciers, les magiciens, les faiseurs de maléfices, et qu'elle avait voulu conserver comme un des instruments de sa domination future.

 

Bientôt après, par les soins de l'impératrice une fête se prépara pour dérider le front soucieux de César. Dans la grande salle du Palatin, décorée des fresques de Lydius, dans cette gigantesque galerie qui dominait du haut de son triple rang d'arcades les temples et les monuments du Forum, les tables de bois de citre entourées de deux cents lits d'argent aux coussins de pourpre rayés d'or attendaient les six cents convives de l'empereur et de son épouse. Dans d'immenses vases de bronze des monceaux de neige de l'Apennin s'évaporaient en rafraîchissant l'atmosphère qu'embaumaient de leur odorante fumée les parfums d'Egypte et de Judée brûlés sur des trépieds d'argent. Debout, près de chaque table, du côté que les convives laissaient libre, de jeunes esclaves tenaient en main les cyathes d'or destinés à puiser dans les cratères d'airain. Tout le monde attendait en silence ; enfin les portes ornées de clous d'argent s'ouvrirent avec bruit, le maître suivi d'Agrippine, de Néron, de Britannicus, d'Octavie et de quelques fidèles entra dans la salle au milieu des applaudissements et des souhaits de longue vie : il prit place sur le lit élevé qui lui était réservé ; sa figure trahissait quelque secrète inquiétude ; en effet les sinistres présages continuaient d'effrayer son imagination, la foudre venait encore de frapper le tombeau de son père ; elle en avait entr'ouvert les parois de marbre, comme pour indiquer que la sépulture des Claudius attendait un nouvel hôte. Cependant l'empereur salua ses invités, par ses ordres on effeuilla les roses sur les coupes et le festin commença.

C'était comme d'habitude une profusion de mets divers, depuis le sanglier entier, farci d'olives et de raisin, que quatre hommes avaient peine à porter, jusqu'aux loirs rôtis dans des feuilles de vigne, depuis les foies d'oies trempés dans le lait miellé, jusqu'aux grues et aux paons revêtus de leur brillant plumage ; puis tous ces plats de poissons recherchés qui faisaient les délices des Romains, les esturgeons, les turbots gigantesques, les murènes qu'on faisait expirer devant les convives, les mulles (espèce de rougets) qu'on payait jusqu'à 8.000 sesterces (1.630 fr. 32 c.) et qu'on tuait en les plongeant dans le garum, les scares, ces poissons jusqu'alors réservés à la mer Carpathienne (partie de la Méditerranée entourant l'île de Scarpento) et que Claude avait acclimatés dans le port d'Ostie, les huîtres de Circée qui dépassaient en saveur celles même de la Bretagne. Outre le Falerne qu'an mélangeait de miel et de myrrhe, outre les vins de Calène, d'Albe, de Fundi, le Picinum, le plus estimé de tous, celui qui passait pour prolonger la vie humaine, ruisselait dans les coupes mélangé à l'eau savamment rafraîchie dans la neige[2].

Quant à Claude, il ne buvait à l'exemple d'Auguste que du vin de Sétia. Robuste mangeur, il se plaisait à ces festins, il y oubliait ses idées funèbres et les sombres avertissements du destin ; il se sentait heureux au milieu de la joie de tous ceux qui l'entouraient. Ce jour-là encore la sinistre image de la mort s'écartait peu à peu de son esprit, chassée par la joie de tous et par le tumulte du repas ; près de lui, un affranchi dont il se croyait sûr, l'eunuque Halotus, goûtait les mets et le servait attentivement, tout occupé à prévenir ses désirs. L'empereur commençait à s'animer, les beaux-esprits, les philosophes de la cour entamaient ces discussions de science ou d'histoire auxquelles Claude aimait à prendre part ; tout entier à ces joutes oratoires, il soupait d'une façon distraite ; Halotus pose devant lui un plat de champignons ; depuis son enfance c'était son mets favori, et sa mère, quand elle le portait dans son sein, avait eu la même passion pour ce dangereux comestible. Claude en mange avec avidité, et tout en mangeant, il riait, il discutait, il causait avec ses voisins Néron approuvait d'un sourire étrange, Agrippine observait. Tout à coup la parole expire sur les lèvres de l'empereur, il s'affaisse sur son lit, sa figure se décompose. Chacun se lève aussitôt, Agrippine la première ; on entoure le lit de César ; qu'a-t-il, qu'est-ce donc qu'il éprouve ? Agrippine rassure les convives : ce n'est qu'une indisposition, Claude y est sujet depuis sa dernière maladie, son estomac, leur dit-elle, affaibli par l'âge et un peu aussi peut-être par les excès de table, n'a plus la vigueur d'autrefois, mais un peu de repos suffira pour le remettre[3].

On emporte dans la chambre conjugale Claude à moitié évanoui : cependant un mieux se déclare, un effort de la nature l'a débarrassé du poison qui causait ses souffrances ; la voix lui revient. Agrippine, qui le soignait, sort précipitamment de la chambre : elle demande Xénophon, le médecin grec ; à voix basse elle lui donne quelques brèves instructions, puis elle tait dire aux convives que l'empereur va mieux et qu'il entend que le repas continue.

A ce moment Claude, qui avait repris ses sens, demandait son médecin. Un homme entre, l'empereur le reconnaît, c'est son affranchi Xénophon, l'asclépiade qui va le sauver : Xénophon rassure le malade ; avec une barbe de plume introduite dans le gosier, il va achever de le soulager. Claude ouvre la bouche, le médecin le touche légèrement de la plume, et l'empereur tombe à la renverse, comme foudroyé : il râle, sa vie s'exhale en quelques soupirs douloureux…. A côté le festin continuait, les chants bachiques résonnaient sous les hautes voûtes du Palatin, et les convives vidaient joyeusement leurs coupes d'or à la santé du divin empereur.

 

 

 



[1] Eutropius, In vit. Cl. — Tacite, Annales, XII. — Suétone, Claude. — Dion Cassius, LX. — Sénèque, Ludus in Claudium, et passim. — Pline l'Ancien, passim. — Aurelius Victor, In Claudia. — Commentariorum rerum Rom., libri XII, per Ioann. Oporinum, Basiliæ, s. d.

[2] Le vin des Romains était beaucoup moins liquide que le nôtre, et beaucoup plus capiteux. Aussi avait-on l'habitude de le mélanger d'eau : la proportion ordinaire du mélange était celle-ci : Dans un vase contenant douze cyathes de liquide, on mettait trois ou neuf cyathes de vin, le reste du vase était rempli d'eau. (Voir Horace, carmen XIV, l. 3.) Quelquefois, dit Columelle, le vin nouveau était exposé pendant quelque temps à la fumée, ce qui le faisait vieillir.

Les ustensiles des buveurs étaient bien plus nombreux et bien plus compliqués que de nos jours. Le vin se conservait dans une amphore de terre fermée comme notre bouteille par un bouchon, cortex : on le mélangeait avec l'eau dans un grand vase spécial, cratera (le mot grec κρατήρ signifie à la fois vase et mélange.) Le cyathe, cyathus, servait à puiser le vin dans la cratera ; c'était une espèce de tasse avec un grand manche ; la coupe, poculum ou patera, servait à boire le vin mélangé ; il y en avait de différentes espèces, celles qu'on appelait coupes d'Hercule étaient énormes. Le guttus était un petit instrument ressemblant au cyathe, et que l'on n'employait que pour verser goutte à goutte le vin des libations, genre de dévotion auquel il était rare que manquassent les buveurs. L'echinus était une sorte de vase où l'on lavait les coupes.

[3] Il est probable que Claude ne fut pas empoisonné par des champignons vénéneux, mais bien par une sauce vénéneuse qui accompagnait des champignons parfaitement comestibles ; sans cela, l'eunuque Halotus aurait été empoisonné comme son maître : au contraire ce serviteur, complice du crime, put très-bien goûter les champignons en négligeant la sauce, dont on n'avait pas l'habitude de se méfier. Ce goût de Claude pour les champignons provenait, d'après Tristan, seigneur de Saint-Amant, d'une envie de sa mère : Antonia, dit-il, étant grosse de Claude, se soula (sic) de champignons. Claude régna 13 ans, 8 mois et 20 jours, il était âgé de soixante-quatre ans et mourut le 13 octobre. (Voir Commentaires historiques par J. Tristan, seigneur de Saint-Amant et du Puy-d'Amour, Paris, 1644.)