L'EMPEREUR CLAUDE

 

XI. — TROUBLES EN ORIENT.

 

 

Mort de Mithridate. Rhadamiste et Zénobie[1].

 

L'Orient depuis quelque temps déjà était le théâtre de dissensions et de luttes perpétuelles entre les différents peuples voisins des frontières romaines. Cette partie de l'histoire offre peu d'intérêt, et de plus elle est assez confuse. Il est cependant nécessaire d'en exposer au moins les traits principaux, et c'est ce que nous avons tâché de faire avec la plus grande brièveté possible.

Un prince, nommé Mithridate, avait été comme nous l'avons déjà vu, proclamé roi d'Arménie grâce à l'appui de l'empereur Claude. On lui avait laissé quelques troupes romaines sous le commandement du préfet Célius Pollion et du centurion Caspérius qui tenaient garnison dans la forteresse de Gornéas. Le frère de ce Mithridate, Pharasmane, roi d'Ibérie (aujourd'hui Géorgie et Iméréthie) avait un fils ambitieux et qui commençait à trouver que la succession paternelle se faisait longtemps attendre. Pharasmane, pour détourner de l'Ibérie l'activité de cet inquiétant héritier, l'envoie auprès de son oncle le roi d'Arménie. Rhadamiste, c'était le nom du jeune prince, arrive en fugitif à la cour de Mithridate, dont il avait précédemment épousé la fille Zénobie. D'après un plan concerté avec son père, il se dit chassé, banni par les intrigues d'une marâtre. Puis il s'empresse d'entrer secrètement en relation avec tous les mécontents du pays, prépare une révolte et retourne brusquement auprès de son père qui, sans provocation aucune, sans même un prétexte, déclare la guerre à Mithridate. Mithridate, surpris par des forces supérieures, hors d'état de résister à cette soudaine agression, est abandonné par la plupart des siens, et va se réfugier, sous la protection de Célius Pollion, dans la forteresse de Gornéas où Rhadamiste vient l'assiéger.

La place défendue par des Romains, fortifiée d'après leur savante méthode était imprenable pour des barbares ; mais, malheureusement pour le roi d'Arménie, le préfet C. Pollion, le principal commandant se laissa corrompre par les offres de Rhadamiste, et il s'apprêta à livrer à l'assiégeant celui qu'il avait mission de défendre. Caspérius, plus honnête que son chef, protesta contre cette indignité, mais, peu écouté à cause de sa position subalterne, il quitta la forteresse et se rendit en toute hâte auprès d'Ummidius (ou Numidius) Quadratus, gouverneur de la province de Syrie et le principal représentant de l'autorité romaine dans ces contrées, pour lui dévoiler la trahison de son chef et réclamer son appui.

Mais, pendant l'absence du centurion, Rhadamiste continua ses intrigues. Ne voyant pas venir de secours, pressé par les perfides conseils de Pollion, Mithridate se remit entre les mains de son neveu, à condition qu'il lui jurerait de ne jamais attenter à ses jours ni par le fer ni par le poison. Rhadamiste prêta le serment demandé et fit immédiatement étrangler l'infortuné Mithridate. Averti trop tard, Quadratus se contenta de sommer Rhadamiste et son père Pharsane d'évacuer l'Arménie. Un général romain, J. Pélignus, intendant de la Cappadoce, entama une campagne contre ces barbares : à la tête d'une armée considérable, mais composée presque uniquement d'auxiliaires et d'étrangers à la solde de Rome ; il commença par ravager et par piller une grande partie de l'Arménie ; mais, probablement gagné par l'or des deux rois, et voyant d'ailleurs son armée diminuer tous les jours par suite de la désertion des étrangers gorgés de butin, il fit un arrangement avec Rhadamiste et consentit même à assister à son couronnement comme roi d'Arménie.

Quand ces nouvelles furent connues à Rome Claude en fut indigné : par ses ordres un général austère et vertueux, bien différent des Pollion et des Pélignus, le lieutenant Helvidius Priscus, envahit et soumit presque toute l'Arménie, mais il fut bientôt rappelé par Quadratus qui savait déjà que les Parthes commençaient à préparer de grands armements, et Rhadamiste resta en possession de sa couronne.

Cette possession ne fut ni longue ni paisible, et les Romains n'eurent qu'à laisser les barbares leurs voisins s'égorger entre eux.

En effet Vologèse, roi des Parthes, songeait à reconquérir l'Arménie qui avait jadis fait partie des Etats de ses ancêtres ; il voulait la donner à son frère Tiridate. Après deux ans d'une guerre à laquelle les Romains s'abstinrent de prendre part, Rhadamiste fut dépouillé de son trône, plutôt par suite du mécontentement et de la révolte de ses sujets que par les armes de Vologèse. Forcé de fuir précipitamment devant une bande d'assassins, seul avec sa femme Zénobie, il s'aperçut que l'état de grossesse où elle se trouvait ne lui permettait pas de le suivre plus loin ; furieux, désespéré, il ne sait à quel parti se résoudre ; Zénobie elle-même comprend qu'elle retarde la fuite de son mari, elle le conjure de l'abandonner, elle le supplie de la tuer pour la dérober aux outrages de ceux qui la poursuivent. Rhadamiste hésite un instant, enfin, emporté par la violence même de son amour, il la frappe de son poignard, jette son corps inanimé dans les flots de l'Araxe (l'Aras), et continue sa course vers les Etats de son père où il espérait trouver un asile. Recueillie par des bergers, Zénobie ne mourut pas des blessures que lui avait portées la main tremblante de son époux et, conduite auprès de Tiridate, elle fut traitée par lui en reine et en héroïne.

La guerre continua longtemps encore ; Rhadamiste, plusieurs fois vaincu, se relevait toujours ; mais il finit misérablement, tué par les ordres de son père Pharasmane qu'il avait tenté de détrôner.

 

 

 



[1] Tacite, Annales, l. XII.