L'EMPEREUR CLAUDE

 

VI. — CRIMES DE MESSALINE.

 

 

Mort de Crassus Pompée et de Valerius Asiaticus. Politique étrangère de Claude. Corbulon. Jeux séculaires. Affection du peuple pour Claude. 47, 48[1].

 

Pendant que Claude tout entier à ses devoirs de censeur publiait jusqu'à vingt édits par jour, Messaline continuait le cours de ses débauches et de ses crimes ; malheureusement elle était aidée en cela par de nombreux complices ; ce Vitellius lui-même, le collègue de Claude dans la censure, était tout dévoué à l'impératrice. Parmi les familiers et les affranchis du palais, personne n'osait dévoiler au maître la conduite effroyable de sa compagne, craignant de ne pas être cru à cause de l'énormité même de l'accusation et de s'exposer ainsi à la vengeance de la redoutable impératrice.

On n'a pas oublié ce Crassus Frugi à qui Claude avait donné une part si honorable dans son triomphe ; il avait un fils nommé Pompée, et Claude, le descendant d'Antoine, le représentant et l'allié de Jules César, n'avait pas cru pouvoir trouver un meilleur mari pour sa fille Antonia que ce jeune homme fils d'un général illustre, et issu par sa mère du sang du grand Pompée. Ce mariage avait déplu à Messaline ; impliqués par ses artifices dans une conspiration contre les jours de l'empereur, Pompée et son père Crassus furent condamnés à mort, tandis que Messaline mariait à son frère Cornélius Sylla la jeune Antonia déjà précédemment fiancée au malheureux Pompée.

Valerius Asiaticus, ce sénateur qui déclarait hautement qu'il aurait voulu être le meurtrier de Caligula, fut également compromis dans la conspiration. Il parlait librement, ses clients étaient nombreux, ses biens immenses ; il avait, surtout dans les Gaules, beaucoup d'amis et beaucoup d'intérêts ; quelques lettres interceptées ou livrées par des traîtres donnèrent à penser qu'il songeait à préparer un soulèvement dans cette importante province. Sur les instances de Messaline et des affranchis, Claude le fit arrêter à Baïes, la ville aux tièdes fontaines, aux molles voluptés, où Cicéron s'excusait d'avoir seulement passé ; Crispinus, préfet du prétoire, l'amena au Palatin, où Claude voulut l'interroger lui-même. Des témoins appelés par les accusateurs se trompèrent et ne reconnurent point l'accusé ; Valerius lui-même se défendit si bien que Claude, qui l'écoutait avec impartialité, en fut profondément touché ; il doutait de sa culpabilité et il était tout près de prononcer son acquittement. Il fit sortir Valerius pour en délibérer avec ses conseillers ; à ce moment, par une perfidie infâme, Vitellius qui avait suivi Valerius en lui donnant comme son ami les plus grandes marques d'intérêt, Vitellius se précipita dans la salle où Claude était en train de déclarer qu'il allait absoudre Valerius ; il se jette aux pieds de l'empereur : Valerius mon ami, s'écrie-t-il en versant un torrent de larmes, ne demande qu'une grâce, celle de choisir son genre de mort. Sosibe, précepteur de Britannicus, sollicite la même grâce au nom de Valerius. L'empereur crut alors que l'accusé était vraiment coupable, qu'il l'avouait lui-même, et l'infortuné sénateur reçut la permission ou plutôt l'ordre de mourir comme il le voudrait. On a prétendu que ce fut Messaline qui, désireuse de posséder les célèbres jardins de Lucullus, dont Valerius était propriétaire, avait inspiré à Vitellius cette horrible trahison ; cela n'aurait rien d'étonnant, l'impératrice en était assurément bien capable. Cependant, quelques historiens disent que Messaline elle-même fut touchée de l'éloquente défense de Valerius, et peut-être devrait-on rejeter sur Vitellius et sur Sosibe, jaloux de l'accusé, toute l'infamie de cette action, En tout cas Messaline effraya tellement, à propos de cette conspiration, Poppée, épouse de Scipion, que la malheureuse femme redoutant des tortures se donna elle-même la mort. Claude était si peu instruit de tous ces crimes que Scipion étant venu quelques jours après pour souper avec lui, il lui fit des reproches de n'avoir pas amené sa femme. Scipion allait parler, Messaline le regarda, et le pauvre mari murmura tout bas que sa femme venait de mourir par accident.

Diverses autres personnes furent compromises dans cette affaire de complot ; mais celles-là étaient peu importantes : ni leurs charges ni leurs biens ne tentaient personne ; Messaline et son entourage laissèrent Claude les juger librement : Claude leur pardonna à tous ; il n'est pas même certain qu'il ait fait périr un chevalier nommé Cn. Novius, qui à la fin de cette année tenta de l'assassiner d'un coup de poignard.

 

Un des traits caractéristiques de la politique de Claude, c'était d'avoir toujours pour ainsi dire sous la main des prétendants ou des rois détrônés qu'il donnait ou qu'il imposait aux peuples barbares voisins des frontières. Il comprenait en effet que l'empire romain était suffisamment vaste, que de nouvelles conquêtes ne pouvaient que l'affaiblir et rendre la défense, en cas d'invasion des peuplades barbares du nord de l'Europe, plus difficile et moins énergique. La guerre de Bretagne, à laquelle il avait été provoqué par les demandes insolentes des chefs de ce pays, avait aussi pour but la destruction du druidisme, religion sanguinaire que Claude abhorrait et dont il voulait délivrer la Gaule : les autres expéditions qui eurent lieu sous son règne, notamment en Mauritanie et en Germanie, furent purement défensives. Il trouvait sage d'entourer l'empire d'une barrière de petits Etats trop faibles pour être un danger, assez forts pour amortir les premiers chocs des barbares. Nous l'avons déjà vu donner ainsi des princes au Bosphore, à l'Arménie, créer un roi des Alpes Cottiennes ; voici maintenant qu'un peuple germain, celui des Chérusques, vient lui demander un souverain.

Ce souverain était tout prêt ; c'était un prince du sang royal de cette nation, nommé Italicus, né et élevé à Rome ; il était neveu de ce célèbre Arminius qui avait détruit les légions de Varus, mais son père Flavius avait toujours été dévoué aux Romains, et l'on pouvait compter que le jeune prince, imbu des idées et décoré du titre de citoyen de Rome, ferait triompher dans son sauvage pays l'influence de la civilisation.

Claude à son départ lui donna des secours d'argent, des chevaux, des équipages, une nombreuse escorte ; il était, lui dit-il, le premier qui né à Rome la quittait non comme otage, mais comme citoyen, pour aller régner sur une nation étrangère. Bien que ce règne fût troublé par des, révoltes, le neveu d'Arminius resta définitivement, comme l'avait espéré Claude, le chef des Chérusques et l'ami des Romains.

Vers le même temps deux autres peuples germains, les Chauques et les Frisons, avaient recommencé la guerre contre l'empire, et, à l'aide de barques, de légers vaisseaux, ravageaient les côtes du nord de la Gaule. L'armée de Germanie venait de recevoir pour général le célèbre Corbulon[2]. En peu de jours la flottille des Chauques, commandée par un déserteur romain, fut surprise et anéantie : les Frisons, refoulés dans leurs anciennes limites, donnèrent des otages, reçurent des magistrats de la main de Corbulon, et se virent contraints de laisser les troupes romaines construire une forteresse au cœur même de leur pays. Dès qu'ils furent soumis, Corbulon continua la guerre contre les Chauques. Après la destruction de leurs barques, ils s'étaient réfugiés dans l'intérieur de leur pays ; Corbulon voulait les y poursuivre : déjà il avait passé le Rhin, un ordre de Claude le força de ramener en arrière ses aigles menaçantes et de se contenter d'un rôle simplement défensif.

On a blâmé Claude de cette prudence, Claude avait raison ; l'empire romain n'était que trop grand : il était important de lui donner ou de lui conserver de bonnes frontières ; or, le Rhin en était une ; ce fleuve franchi, il aurait fallu reculer les bornes de l'empire jusqu'aux rives de la Visurgis ou de l'Albis (le Weser et l'Elbe), faire la guerre par conséquent à toute la Germanie, et cette fourmilière de barbares paraissait au sage empereur dangereuse à remuer. On a dit que c'était la jalousie qui avait déterminé Claude à arrêter la marche en avant de Corbulon ; l'homme que nous allons voir décerner l'ovation à Plautius pour ses victoires de Bretagne, l'accompagner pendant tout le temps de la cérémonie en se tenant à sa gauche, ne faisait cependant pas ainsi preuve d'un caractère bien envieux. Corbulon , furieux d'obéir, laissa exhaler sa colère en quelques paroles qui auraient pu lui coûter cher sous un autre empereur. Heureux, avait-il dit, les généraux de la république !...

La guerre fut donc arrêtée, et on occupa les légions, d'après les ordres de l'empereur, à un travail plus profitable que la destruction de quelques peuplades, à construire un canal qui devait réunir le Rhin à la Meuse. Claude pendant toute la durée de son règne fit travailler les légions au bien public ; il comprenait que ces grandes masses d'hommes, inoccupées pendant la paix, ou consumant inutilement leur temps en de vains exercices de parade, étaient une perte immense pour l'Etat ; du moins voulut-il les employer à quelque occupation féconde. Par ses ordres, les légions construisirent des routes, creusèrent des mines d'argent et de cuivre sur le territoire de la Gaule chevelue et dans les provinces récemment annexées à l'empire. Bien plus, un général, Rufus, obtint les honneurs triomphaux pour la bonne direction qu'il avait donnée aux travaux des mines de Mattium. C'était la première fois qu'on voyait à Rome récompenser de cette brillante manière un homme qui n'avait fait que quelque chose d'utile.

Pour dédommager Corbulon, pour reconnaître ses succès interrompus malgré lui, Claude lui accorda également le triomphe. Mais ces occupations de terrassiers et de mineurs ne plaisaient pas aux légionnaires, et ils s'en plaignirent à l'empereur par des lettres naturellement non signées et qu'il ne fit d'ailleurs que mépriser.

Cependant Plautius, que Claude avait laissé en Bretagne, était parvenu au terme de son commandement ; il avait, non-seulement par la force de ses armes, mais aussi par l'habileté de sa politique, continué le cours de ses premiers succès ; tous les Bretons, à l'exception des Silures, des Dumnones, des Ordovices et de quelques tribus éparses dans les chaînes montagneuses du nord et de l'ouest, s'étaient résignés à être les sujets ou les alliés du peuple-roi ; une nouvelle province romaine avait été créée, et les peuplades du sud de la grande île, depuis les blancs rochers de la Cornouaille jusqu'aux vertes rives de la Tamise, ne demandaient qu'à obéir. C'était un grand succès pour les armes impériales : aussi, lorsque Plautius revint à Rome, l'empereur voulut-il qu'il y fût accueilli avec les honneurs de l'ovation ; il voulut lui-même aller au-devant du victorieux général ; pendant tout le temps de la cérémonie il l'accompagna, en ayant soin de se tenir constamment à sa gauche et de lui laisser partout la place d'honneur.

En Orient la puissance romaine n'était ni moins brillante, ni moins respectée. Depuis quelque temps, le roi du Bosphore, Mithridate, qui tenait cependant sa couronne de la bonté de Claude, cherchait secrètement à lutter contre les intérêts de son bienfaiteur. Néanmoins, il avait jusqu'alors caché habilement ses intrigues, lorsqu'il fut trahi par son frère Cotys qui dévoila toutes ses machinations et qui reçut en récompense le trône de son frère ; Claude était alors si redouté que Mithridate n'essaya même pas de résister, et le nouveau roi fut mis en possession de ses Etats par Didius Gallus, gouverneur de la province du Pont.

 

On avait sous le principat d'Auguste représenté avec grande pompe les jeux séculaires ; le peuple en avait gardé bon souvenir, et Claude lui-même avait souvent regretté que ce ne fût pas sous son règne que dût revenir cette brillante solennité. A force d'y rêver, il crut s'apercevoir qu'Auguste et les magistrats ses prédécesseurs avaient fait quelque légère erreur de date, et que c'était cette année-là, l'an 800 de la fondation de Rome, que l'on devait célébrer ces jeux, et non attendre la fin de la période séculaire, commencée en 737 : les jeux disait-il, ne devaient pas se célébrer tous les cent ans, mais bien à tous les anniversaires séculaires de la naissance de la cité. Cette opinion paraissait assez plausible ; de plus, outre l'envie qu'il avait de faire revivre cette cérémonie, telle qu'elle se pratiquait autrefois, en y ajoutant seulement aux splendeurs anciennes des splendeurs nouvelles, Claude y voyait un grand intérêt pour Rome. Malgré toute sa sollicitude, son port d'Ostie, ses primes à l'importation des grains, la ville avait depuis quelques années éprouvé trois ou quatre famines ; l'argent était devenu rare, il avait passé en Egypte, en Mauritanie, dans les pays producteurs de blé ; le commerce en souffrait, or un des premiers devoirs des empereurs et des rois, c'est de protéger le commerce.

Quel meilleur moyen pour cela que d'annoncer au monde entier la solennité des jeux séculaires ; on y venait de tous les points de l'empire, pas un riche romain n'y manquait ; les alliés, les étrangers y accouraient en foule, leurs ceintures de cuir bien gonflées d'or et ne demandant qu'à les vider. Ces grandes fêtes étaient en quelque sorte les expositions universelles de l'ancien monde ; on y voyait arriver, attirés plutôt par l'appât du gain que par celui des spectacles, les marchands de tous les pays : l'Egyptien avec ses cargaisons de papyrus, l'habitant de la Cyrénaïque avec ses tables précieuses, ses meubles exquis de bois de citre, le Tyrien avec sa pourpre, le citoyen de Samos avec ses amphores et ses poteries, le Numide avec ses carquois garnis de flèches, ceux de Délos et d'Egine avec leurs statuettes d'airain ; puis encore, le Germain qui apportait les peaux velues de l'auroch ou du renne, le Jute chargé du précieux duvet des oiseaux hyperboréens, l'Espagnol qui offrait ses pierres spéculaires et ses riches teintures, le Syrien qui trafiquait de ses pots de Commagène remplis d'un mélange de graisse d'oie et de cannelle, le Gaulois qui vendait des métaux, le Lydien qui vendait des tissus de lin, et le Juif qui vendait de tout.

Grâce à ce commerce colossal, Rome devait regorger de marchandises et d'argent ; chacun y trouvait son compte, les négociants surtout qui pensaient que les siècles étaient bien longs à s'écouler. Ce fut donc avec l'assentiment général, au milieu de la joie universelle, que Claude un beau jour se mit à prouver doctoralement au sénat qu'il y avait eu une erreur dans la célébration des jeux séculaires, et que c'était cette année même qu'ils devaient revenir. Tout le monde ne demandait qu'à être convaincu, sauf quelques esprits mal faits à qui il suffisait que l'empereur voulût une chose pour aussitôt la blâmer. Rire aux dépens des gouvernements, c'est un travers qui a toujours existé, et qui existera toujours, quand bien même les gouvernements en arriveraient à ne plus prêter à rire. La formule que devaient prononcer les hérauts pour annoncer l'ouverture des jeux fut un prétexte à raillerie pour tous ces opposants : Venez voir ce que vous n'avez jamais vu et ce que vous ne reverrez jamais. Or beaucoup de gens avaient déjà vu ce qu'on leur annonçait si pompeusement, car il n'y avait que soixante-quatre ans environ qu'Auguste avait célébré les derniers jeux séculaires. Comme on connaissait l'indulgence du prince on se mit à le plaisanter ; on s'amusa surtout de Vitellius qui souhaita sérieusement à Claude de célébrer souvent la même cérémonie. Eh ! mon Dieu, si c'était une flatterie, un moyen de faire croire à Claude que la mort n'avait pas prise sur lui, cela n'est pas beaucoup plus ridicule que les paroles de ce prédicateur de Versailles commençant un sermon ainsi : Nous sommes tous mortels, mes frères, et se reprenant en voyant entrer le roi de France pour dire : Nous sommes presque tous mortels.

Quoi qu'il en fût, les jeux furent très-beaux et dépassèrent de beaucoup en magnificence ceux qu'avait donnés Auguste. On y vit pour la première fois une lutte entre des cavaliers thessaliens et des taureaux, qui était, ainsi qu'on en peut juger par la description de Suétone, un véritable combat de taureaux comme on les donne en Espagne.

On vit des cavaliers thessaliens poursuivre dans le cirque des taureaux sauvages, s'élancer sur eux quand ils étaient épuisés de fatigue et les terrasser en les saisissant par les cornes.

Les jeunes gens des plus grandes familles, ayant à leur tête Britannicus et son parent Domitius Ahénobarbus (plus tard Néron), figurèrent dans les jeux Troyens, sorte de course de bagues très-en honneur chez les Romains ; mais l'on remarqua comme un mauvais présage pour Britannicus que le peuple l'accueillît moins bien que Domitius.

Un préfet du prétoire voulut combattre lui-même, à la tête d'un escadron de cavalerie prétorienne, contre une troupe nombreuse de bêtes féroces.

On montra encore des tigres apprivoisés, des lions dont un homme arrêtait la fureur en leur couvrant brusquement les yeux d'une écharpe. Un épisode des courses en char intéressa surtout les spectateurs ; un cocher de la faction blanche, raconte Pline l'Ancien, avait été renversé dans la carrière : ses chevaux devancèrent tous leurs concurrents et gardèrent leur avantage, s'opposant aux autres chars, les renversant, faisant enfin contre eux tout ce qu'aurait pu leur faire faire le conducteur le plus habile : on rougissait de voir des chevaux l'emporter en adresse sur des hommes. La course finie, ils s'arrêtèrent d'eux-mêmes à la raie qui indiquait la limite.

Enfin, prodige plus surprenant, on exposa à la vue du peuple, dans l'enceinte des comices, le phénix lui-même, cet oiseau fabuleux d'Héliopolis, qui renaissait éternellement de ses cendres. Pline du reste doute que l'oiseau en question fût véritablement le phénix : le cou du volatile exposé à Rome avait, dit-il, l'éclat rayonnant de l'or, le reste du plumage était pourpre, quelques pennes incarnates se déployaient sur sa gorge d'azur, et sa tête était décorée d'une aigrette de plume. Ce devait être un faisan doré venu de la contrée lointaine des Sères, ou peut-être plutôt quelque oiseau de paradis, amené en Egypte par des marchands de l'île de Taprobane (Ceylan) qui étaient probablement en relation avec les îles Moluques, patrie de ce genre de volatile, et alors complètement inconnues des Romains. Le préfet d'Egypte, à qui on l'offrit et qui ne connaissait pas plus le phénix que les faisans de la Chine ou les oiseaux de paradis, crut réellement avoir en sa possession le prodige, et pensa bien faire en l'envoyant à Rome.

 

Les jeux séculaires durèrent plusieurs semaines ; ils ramenèrent l'abondance dans toute l'Italie, et la masse du peuple, qui avait en outre reçu, grâce à la munificence impériale, de nombreuses distributions de vivres, d'argent et même de meubles et de vêtements, n'en aima que plus son empereur. Cette affection était portée si loin qu'un jour où Claude avait quitté Rome pour aller surveiller les travaux du port qu'il créait à Ostie, le bruit s'étant répandu qu'il avait été assassiné dans une révolte de l'armée, le peuple furieux de douleur s'arma de tout ce qu'il trouva sous sa main et s'en alla bravement assiéger les dix mille prétoriens campés au Viminal, les rendant responsables de la mort de l'empereur et voulant les massacrer. Les magistrats eurent grand'peine à ramener le calme, et il fallut que Claude lui-même revînt précipitamment et se fît bien voir à tous pour apaiser l'émotion populaire. Tacite lui-même raconte cette scène. Quelle plus belle réponse à toutes les attaques dont Claude a été l'objet que celle-ci ? Il était aimé du peuple qu'il gouvernait ; c'est vraiment chose assez rare pour qu'on n'en demande pas davantage.

 

 

 



[1] Tacite, Annales, l. XI. — Josèphe, Antiq. j., l. 20. — Pline, l. VII. — Suétone, Claude. — Zonaras, Vit. Cl.

[2] Ce célèbre général eut une fin malheureuse ; après une brillante carrière, il avait mis le comble à sa réputation en triomphant des Parthes. Mais Néron, jaloux de sa gloire, lui envoya l'ordre de mourir, alors qu'il revenait victorieux à Rome. Corbulon s'arrêta à Corinthe et se tua de sa propre épée.