L'EMPEREUR CLAUDE

 

V. — CENSURE DE CLAUDE.

 

 

Admission au sénat des citoyens romains des provinces de la Gaule chevelue. Différentes lois, entre autres, loi sur les esclaves abandonnés. Création des sociétés d'assurance maritime. Le christianisme. Reconstitution du collège des Féciaux. 47[1].

 

La septième année de son principat, Claude, frappé du désordre croissant des mœurs, voulut y remédier en rétablissant la censure, cette antique institution si grande et si respectée sous la république. Il choisit pour collègue un homme sur lequel il croyait pouvoir compter pour l'aider dans ses réformes, Vitellius, et il porta hardiment la main sur tous les abus, les scandales, les infamies, qui souillaient la vieille cité romaine. Suétone et Tacite en parlant des faits qui signalèrent la censure de Claude déclarent que malheureusement les hommes qu'il se donna pour auxiliaires ne furent pas à la hauteur de leurs délicates fonctions. Cependant cette censure produisit réellement un bon effet ; quelques lois utiles furent promulguées et tout se passa en évitant le scandale. Ainsi, par exemple, il y avait dans le sénat beaucoup de patriciens qui devaient en être exclus, soit à cause de l'infamie de leurs mœurs, soit à cause du désordre de leur fortune ; voulant ménager la dignité du, premier corps de l'Etat, éviter le mauvais effet qu'aurait produit sur le peuple leur renvoi officiel, il les fit officieusement avertir de donner d'eux-mêmes leur démission.

Mais il fallait combler les vides qu'avaient faits dans les rangs des pères conscrits ces démissions volontaires ; or c'était à peine si Rome et l'Italie contenaient assez de citoyens possédant les conditions de fortune, d'illustration et de dignités nécessaires pour pouvoir aspirer à ces hautes fonctions. D'ailleurs l'empire romain n'était-il pas devenu plutôt l'empire européen, disons mieux l'empire universel du monde civilisé ; n'était-il pas juste de faire participer aux honneurs du sénat les plus fidèles au moins de ces peuples alliés ou incorporés depuis longtemps à l'Etat dont ils supportaient les plus grandes charges. Puis, Claude, qui était né à Lyon, avait toujours conservé une réelle affection pour ces Gaulois dont il était par sa naissance le compatriote ; aussi demanda-t-il pour eux, pour ceux du moins qui étaient décorés du titre de citoyen romain, le droit d'être admis au sénat. Cela ne manqua pas d'exciter une certaine opposition, du moins chez les Italiens, seuls en droit jusqu'alors de donner des sénateurs à Rome. Il fallut que l'empereur prît lui-même en main la défense des Gaulois, et qu'il se fit leur avocat. Tacite nous a conservé le discours que Claude prononça à cette occasion dans l'assemblée du sénat.

Ce qui s'est passé jadis pour mes ancêtres, dont le premier, Clausus, Sabin d'origine, reçut en même temps le droit de cité et le rang de patricien, m'encourage aujourd'hui à suivre la même politique et à admettre ici l'élite des hommes de tous les pays. Je n'ignore pas que c'est à Albe que nous devons les Julius, à Camerium les Coruncanus, à Tusculum les Porcius, et sans aller fouiller dans l'antiquité, je sais que nous avons demandé des sénateurs à l'Etrurie, à la Lucanie, à toute l'Italie, dont nous avons reculé les limites jusqu'aux Alpes pour absorber dans le nom romain non-seulement des hommes isolés, mais même des terres et des peuples. Profonde fut la paix à l'intérieur, florissante notre puissance devant l'étranger, alors que pour alléger les charges de l'empire, nous admettions au droit de cité les habitants de la Gaule transpadane, et que nous ouvrions aux meilleurs soldats de toutes les provinces les rangs de nos légions, sous prétexte qu'elles étaient dispersées par tout l'univers. Regrettez-vous d'avoir pris à l'Espagne les Balbus, à la Gaule Narbonnaise tant d'hommes non moins illustres ? Leurs descendants sont au milieu de nous, et ils ne nous le cèdent. en rien pour l'amour de la patrie commune. Pourquoi sont tombées Athènes et Lacédémone, quoiqu'elles fussent toutes deux puissantes par les armes, si ce n'est pour avoir tenu systématiquement à l'écart les vaincus, ne voulant voir en eux que des étrangers ? Mais notre fondateur Romulus avait assez de sagesse pour transformer en un même jour la plupart de ses ennemis en concitoyens. Des étrangers même ont régné sur nous, on a confié des magistratures à des fils d'affranchis, et ce n'était pas, comme on le croit généralement par erreur, une innovation, mais bien un usage de nos prédécesseurs. — Mais nous avons eu à combattre les Sénonais. — Les Volsques et les Eques n'ont-ils jamais marché contre nous ?Les Gaulois ont pris Rome !N'avons-nous pas donné des otages aux Toscans ni passé sous le joug des Samnites ? En tout cas si nous parcourions l'histoire complète de nos guerres, nous verrions qu'aucune n'a été plus courte que la guerre des Gaules. Et depuis, la paix a toujours été loyalement observée. Déjà unis à nous par les mœurs, les arts, les alliances, que les Gaulois nous apportent donc leur or et leur richesse, au lieu d'en jouir pour eux seuls. Sénateurs, tout ce qui nous paraît bien ancien aujourd'hui a commencé par être nouveau : après avoir pris les magistrats chez les patriciens, on les prit chez les plébéiens, après les avoir pris chez les plébéiens on les prit chez les Latins, enfin chez tous les peuples de l'Italie. Ceci vieillira également, et ce qu'il nous faut aujourd'hui défendre par des exemples est destiné à en servir à son tour.

Cet habile plaidoyer eut le succès qu'il devait avoir, plusieurs membres des plus illustres et des plus riches familles des Gaules, et notamment quelques citoyens d'Augustodunum (Autun) furent reçus au nombre des sénateurs, et cette concession rattacha plus intimement à l'unité romaine cette nouvelle race vigoureuse et intelligente des Gallo-Romains qui s'était créée depuis la conquête de César et dont le sang jeune et pur ranima pour des siècles encore le vieux corps épuisé de l'empire romain.

Mais le sénat n'était pas le seul ordre de l'Etat dont les censeurs eussent à s'occuper ; l'ordre équestre devait également être soumis à l'examen détaillé de ces réformateurs des mœurs ; Claude ne recula pas devant la fatigue et l'ennui d'une pareille opération ; il eut la patience d'inspecter un à un les dix mille chevaliers romains qui défilèrent devant lui au Champ-de-Mars, vêtus de leurs trabées de pourpre, la couronne de feuilles d'olivier sur la tête, chacun tenant à la main son cheval équipé en guerre.

Seulement l'institution primitive des chevaliers était bien changée ; pour entrer dans cet ordre, il suffisait, comme on sait, de payer un cens déterminé : aussi la plupart des chevaliers du temps de Claude étaient-ils des avocats, des commerçants, même des banquiers, qui auraient été pour la plupart bien embarrassés s'il leur avait fallu seulement harnacher le brillant coursier que leur avait préparé leur palefrenier ou que beaucoup même s'étaient contentés d'aller louer à quelque maquignon.

A cette revue se présenta un jeune homme généralement méprisé, mais dont le père assurait être complètement satisfait ; Claude ne voulut pas le flétrir, et, comme plusieurs personnes lui en témoignaient leur étonnement, il se contenta de leur dire : Il a son censeur. Suétone et bien d'autres lui reprochent cette action ; quant à nous, nous ne pouvons-que l'approuver ; il n'a pas voulu s'inscrire en faux contre le pouvoir paternel si respecté à Rome, il a incliné devant l'autorité du père la sévérité du censeur : il a bien fait.

Il avait noté d'infamie un autre chevalier : celui-là avait beaucoup d'amis et des plus haut placés, tout l'entourage de Claude intercéda pour lui ; obsédé de toutes parts Claude finit par céder, mais, dit-il, en signant l'acte de réhabilitation, la tache subsistera toujours.

L'usure enfin qui dévorait le patrimoine 'des plus grandes familles fut sévèrement réprimée ; un édit défendit expressément de prêter aux fils de famille des sommes remboursables avec intérêt à la mort des parents.

Mais voici maintenant deux lois qui prouvent bien toute l'intelligence et toute la bonté profonde de ce César calomnié.

La première c'est la loi sur les registres de l'état civil promulguée par le censeur Claude en avance de 1742 ans sur l'assemblée législative de France. Enquête sur les mariages, sur les naissances, établissement d'actes indiquant exactement la filiation et confiés aux soins d'officiers publics, tout était prévu ; malheureusement cette loi gênait trop de monde pour être bien exécutée, on chercha tous les moyens pour l'éluder, et il aurait fallu pour y tenir la main un empereur plus sévère ou plus cruel que ne l'était Claude.

Enfin voici l'éternel honneur de Claude, la loi qui à elle seule mériterait de le faire mettre par la postérité bien au-dessus de ces Titus et de ces Trajan à la réputation usurpée. Claude fut le premier et peut-être le seul des empereurs qui eut pitié des esclaves, et non-seulement il les plaignit, mais il eut le courage de prendre leur défense et d'élever en leur faveur sa voix impériale. Il fut le précurseur de l'abolition de l'esclavage, il fut le premier Romain qui osa dire au maître : L'esclave n'est pas une chose ; vous n'avez pas seulement des droits sur lui, vous avez aussi des devoirs envers lui. C'était une vraie révolution, dangereuse même pour celui qui la tentait, que de restreindre l'autorité des possesseurs d'esclaves, de leur enlever sur leur chose ce jus abutendi que le droit romain leur reconnaissait.

Les circonstances dans lesquelles fut rendue la loi dont nous parlons méritent d'être rapportées : les maîtres avaient coutume à Rame, quand leurs esclaves étaient devenus vieux ou infirmes à leur service, de les exposer dans une île du Tibre, l'île d'Esculape, où ils mouraient le plus souvent de misère et de faim ; ceux qui n'étaient que malades se guérissaient-ils, on allait les reprendre jusqu'au moment où de nouveau épuisés on les rejetait sur cette île néfaste. Claude, indigné de cette inhumanité, déclara que les esclaves vieux ou malades qu'on exposerait ainsi en les laissant sans soins seraient libres de plein droit, et de plus que leurs maîtres seraient condamnés à une forte amende. Grand émoi parmi les possesseurs d'esclaves : on n'obéira pas ; l'esclave est à eux comme un cheval ou un bœuf, ils en feront ce qu'ils voudront. Mais cette fois Claude est ferme, il ne cède pas et il veille à faire exécuter la loi : des maîtres qui ont encore jeté leurs esclaves malades sur l'île d'Esculape sont condamnés à payer l'amende. Furieux, ils ne veulent pas s'avouer vaincus : quelques-uns plus hardis et plus irrités que les autres font tuer leurs esclaves hors de service. Claude l'apprend, il s'indigne ; ses licteurs partent aussitôt, s'emparent de ces maîtres barbares, les entraînent à l'Esquilin, la place de Grève de l'ancienne Rome, et là, ce que l'antiquité n'avait jamais vu, Claude, à la grande indignation des légistes et des magistrats, condamna comme homicides des citoyens qui n'avaient tué que des esclaves. Cette fois Claude fut obéi.

 

Le développement du commerce attira aussi toute l'attention de notre zélé censeur. Déjà, pour épargner à Rome ces famines qui la désolaient si souvent, il avait accordé des primes aux commerçants qui importaient du blé et qui faisaient construire des navires de charge destinés à l'approvisionnement de l'Italie ; mais il fallait aller chercher les chargements de céréales sur les côtes de Numidie et de Mauritanie, d'Egypte et d'Espagne, depuis Alexandrie jusqu'à Gadès auprès des colonnes d'Hercule.

Long était le voyage, pénible était la traversée ; l'art de la navigation était peu avancé, les désastres étaient fréquents : de là de grandes pertes pour les négociants, souvent même la ruine. Il était à craindre qu'à cause des nombreux risques qu'on avait à courir ce genre de commerce ne vînt à être complètement abandonné. Ce danger public fut évité grâce à l'intelligente prévoyance de Claude.

Claude inventa les sociétés d'assurances maritimes.

Moyennant une somme proportionnelle à la valeur du bâtiment et de la cargaison versée dans les caisses de l'Etat, l'armateur était indemnisé en cas de pertes ; et, comme l'Etat, ayant tout intérêt à la prospérité du commerce des grains, ne cherchait pas, ainsi que l'aurait fait un particulier, à tirer bénéfice de son assurance, la prime que les commerçants avaient à payer n'était nécessairement pas très-élevée. De plus, les grandes trirèmes impériales durent escorter les vaisseaux marchands qui se réunissaient en flottille pour traverser les passages dangereux ; de légères galères bien armées faisaient la police de la Méditerranée pour en éloigner les pirates ; enfin des phares furent construits sur plusieurs points du littoral, l'Etat assureur ayant le plus grand intérêt à diminuer le nombre des sinistres.

Les lois somptuaires étaient, comme on le sait, une des attributions des censeurs. Claude aurait eu trop à faire s'il avait voulu bannir le luxe de Rome ; d'ailleurs le luxe est quelquefois de l'art, et celui-là est une noble chose ; mais le luxe bête, grossier, le luxe pesant de l'or et de l'argent, à celui-là Claude voulut s'attaquer. On avait mis en vente un chariot en argent massif : ce n'était ni un Scopas ni un Lysippe qui l'avaient ciselé, l'art n'avait rien à y voir, mais il était en argent, en argent massif et bien lourd. Tout Rome l'admirait, l'estimait du regard ; bientôt les chariots d'argent allaient devenir à la mode. Claude se rendit à la vente, il acheta le somptueux véhicule, et il ordonna de le briser. Personne n'y perdit rien, même pas le maître du chariot, et la leçon fut donnée.

Claude réforma également les tribunaux, là encore il montra une véritable finesse d'esprit et l'on est vraiment confondu de voir des historiens sérieux représenter comme des traits de démence des faits qui dénotent au contraire un esprit sagace et profond. Au surplus on va en juger. En révisant la liste des citoyens qui étaient appelés à remplir les fonctions de juge, l'empereur trouva le nom d'un chevalier qui pouvait, grâce au nombre de ses enfants, être exempté de ces fonctions ; ce chevalier n'avait pas voulu profiter de son droit. Claude le raya néanmoins de la liste, se méfiant, disait-il, d'un homme si désireux de juger.

Un autre personnage, homme de mérite d'ailleurs, et jouissant du titre de citoyen romain, était désigné pour être juge ; mais il ignorait complètement la langue latine ; or, pour juger des gens parlant latin c'était réellement peu commode. Claude lui retira le titre de citoyen et le remit dans la catégorie des étrangers. Quelques auteurs s'élèvent à ce propos contre ce qu'ils appellent la stupidité de Claude, mais franchement il y aurait eu plutôt stupidité à ne pas agir comme il le fit.

Depuis longtemps déjà les avocats faisaient un trafic honteux de leur éloquence, non-seulement exigeant de leurs clients d'énormes honoraires, mais encore acceptant trop souvent des adversaires des sommes plus énormes encore pour laisser condamner ceux qui s'étaient confiés à leur talent et à leur honneur. Claude, soutenu en cela par le consul désigné Silius, celui-là même que devait épouser Messaline, voulait rétablir la loi Cincia et empêcher ainsi les avocats de mettre à prix d'argent leur éloquence et leur savoir ; mais on lui fit observer que beaucoup de ces défenseurs n'étaient pas riches, qu'il y avait jusque dans le sénat quelques hommes qui n'avaient d'autres ressources pour soutenir leur rang que leur talent oratoire ; et l'empereur se contenta de déclarer que dorénavant nul avocat ne pourrait recevoir plus de dix mille sesterces (2.037 fr. 92 cent.).

De plus il ordonna de poursuivre un avocat nommé Suilius, orateur de talent, mais du plus méprisable caractère, qui de son autorité privée s'était fait en quelque sorte accusateur public, et qui semblait vouloir rétablir ainsi le honteux métier des délateurs. Ce Suilius n'avait pas rougi, après avoir reçu de Sammius, chevalier romain recommandable à tous les égards, 400.000 sesterces (81.516 fr. 68 cent.) pour se charger de sa défense, d'accepter de la partie opposée une somme plus considérable encore pour laisser condamner son client. Cette trahison, qui avait amené le suicide de Sammius, avait indigné Rome entière, et tout le monde applaudit au juste châtiment du prévaricateur Suilius.

Cependant un autre danger menaçait l'intégrité des vieilles coutumes : la religion païenne s'en allait : en vain, pour renforcer l'antique Olympe, avait-on appelé à son secours toute sorte de divinités exotiques ; Mithras, Osiris, Isis avaient leurs temples à Rome et vivaient en bonne intelligence avec Jupiter et Vénus. Cela ne suffisait point : l'incrédulité grandissait toujours. Inutilement César, Auguste sont déifiés, comme si on avait voulu les charger d'apporter aux dieux menacés l'appui de leur puissance impériale ; les hommes instruits, les philosophes ne croyaient plus aux dieux de Rome ; toutes les religions n'ont qu'un temps : celle-là allait arriver au terme de son existence. Déjà avait retenti sur les côtes de la Grèce cette voix mystérieuse, entendue de quelques mariniers, et qui dans le silence de la nuit, au-dessus de cette mer d'où était née Vénus, au-dessus de cette île voluptueuse d'où s'étaient élancés Diane et Apollon, cria à trois reprises différentes : Pan, le grand Pan est mort ! Déjà au port d'Ostie quelques esclaves rameurs se racontaient sur les galères l'étrange rencontre faite par un navire romain près des côtes de Massilia : c'était pendant une tempête : à peine si le grand vaisseau pouvait en supporter les furieuses attaques ; quand tout d'un coup on avait vu passer comme une flèche, malgré la vague et le vent contraires, une frêle embarcation ; à peine avait-on eu le temps de distinguer debout à l'avant de la barque trois calmes personnages, entourés d'une sorte d'auréole ; c'était, disaient quelques esclaves, les messagers d'une foi nouvelle, venant de cet Orient fertile en miracles ; la plupart riaient de ces récits bizarres, quelques-uns seulement restaient pensifs et songeaient[2].

En tout cas le culte des vieux dieux était toujours le culte officiel, il avait sa place marquée dans les cérémonies, mais la foi vive des anciens temps avait disparu ; les chrétiens commençaient à venir à Rome ; confondus malheureusement pour eux avec la colonie juive, on n'avait généralement pour leur secte que du mépris ; leurs adeptes n'avaient été d'abord que des esclaves et des malheureux ; mais, insensiblement, la nouvelle religion avait gagné du terrain, déjà quelques matrones romaines suivaient en secret le rite du Christ, et saint Pierre, au dire des historiens chrétiens, était venu confier aux Catacombes l'humble germe d'où devait sortir la puissante théocratie des papes.

Claude voyait avec regret s'en aller le respect des antiques traditions religieuses ; il connaissait l'existence du christianisme et, bien qu'il n'en eût comme presque tous ses contemporains qu'une connaissance vague et indéterminée, il sentit qu'il y avait là un dangereux ennemi pour le paganisme ; il aimait cette vieille foi de ses pères, ce Jupiter Capitolin, cette Cybèle qui avait sauvé l'honneur de son aïeule Claudia, cette Vénus dont étaient nés les Julius. Il voulut lutter contre les nouvelles idées, et pour cela il ne crut pas pouvoir mieux faire que de rétablir avec tout leur formalisme traditionnel les anciennes cérémonies du culte. Deux collèges de prêtres avaient dans les temps glorieux de la Rome républicaine joué le rôle le plus important : c'étaient le collège des aruspices et celui des féciaux ; depuis longtemps aruspices et féciaux étaient bien négligés ; on ne les consultait plus pour les affaires publiques ; Claude voulut leur rendre leur ancienne autorité ; il recruta leurs nouveaux membres parmi les meilleures familles de Rome, il affecta de les consulter et de respecter leurs décisions, et le peuple toujours superstitieux recommença à leur rendre sa confiance. A propos d'une alliance avec des rois barbares il tint à honneur de suivre les anciens rites et il voulut, comme le prescrivaient les féciaux, immoler une truie en plein Forum, ce qui fit beaucoup rire les esprits forts d'alors : en tout cas l'histoire ne dit pas qu'il ait manqué à l'alliance ainsi jurée, comme la juraient les Catons, à la parole ainsi donnée, comme la donnaient les Scipions !

 

 

 



[1] Dion Cassius, l. LX. — Goltzius, Méd., p. 41. — Tacite, Annales, l. X. — Suétone, Claude. — Vorburgi, Hist. rom. germ., Francfort, 1645, t. I.

[2] Cette traversée miraculeuse est racontée en plusieurs endroits dans la Vie des Saints (Vies de Marie-Magdeleine et de Lazare). Le pèlerinage de la Sainte-Baume, lieux où se retirèrent ces premiers apôtres du christianisme en Gaule, rappelle encore aujourd'hui aux populations du Midi le souvenir de ce miracle.